Bruno Guigue : L’avalanche de propagande contre la Chine a pris pour prétexte la crise sanitaire actuelle, mais elle figure sur l’agenda occidental depuis longtemps, et au moins depuis le deuxième mandat d’Obama. Trump a radicalisé cette hostilité, mais elle existait à l’état latent depuis une bonne décennie. Mais, aujourd’hui, la dénonciation de la Chine n’est plus seulement une posture, c’est devenu une politique. Quand on dit que la Chine est un ennemi systémique, inutile de faire un dessin.
Durant cette pandémie du Covid, la Chine s’est illustrée par une posture positive en aidant les pays amis et même certains pays européens en difficulté. La Chine, qui a géré efficacement la pandémie chez elle, a-t-elle gagné des points sur le plan géopolitique ?
Oui, bien sûr. La principale raison de l’hostilité occidentale, précisément, c’est que la coopération avec Pékin, pour de nombreux pays, représente une alternative crédible à une hégémonie occidentale défaillante. Le problème n’est pas que la Chine veut dominer le monde, ni qu’elle veut exporter son modèle. C’est faux dans les deux cas. Le problème, du moins pour l’Occident, c’est qu’elle est à la fois plus performante et moins intrusive que les Occidentaux. Cette situation était antérieure à la crise actuelle, mais celle-ci l’a exacerbée. Quand Pékin envoie une équipe médicale en Italie, la démonstration est faite que l’UE ne vaut strictement rien. Quand la Chine livre des médicaments au Venezuela, elle fait un bras d’honneur à Washington. Ce retour de la puissance chinoise dans l’arène internationale, après des décennies de discrétion, est un évènement majeur qui coïncide avec le formidable développement du pays sous l’égide du parti communiste. Le paradoxe, c’est que l’inconséquence occidentale est largement à l’origine de cette renaissance de la politique chinoise, comme si un système de vases communicants transfusait l’énergie d’un Occident délabré vers la puissance montante. De ce point de vue, la crise du Covid-19 accélère le basculement du monde.
Cette crise sanitaire mondiale exacerbée pourrait-elle aller jusqu’à provoquer une confrontation militaire entre les Etats-Unis et la Chine ?
Je ne crois pas à un affrontement militaire de grande ampleur entre les États-Unis et la Chine, pour la simple raison qu’aucun des deux n’est assuré de vaincre, et que la seule chose certaine, c’est la destruction mutuelle. Les USA adorent la guerre, mais ils la pratiquent contre plus faible qu’eux. Et même dans ce cas, ils trouvent le moyen de la perdre. Vous voyez vraiment le Pentagone se lancer à l’assaut de la Chine ? C’est risible.
Le sentiment anti-chinois dans le monde n’a jamais été aussi fort estime un rapport de l’Institut chinois des relations internationales contemporaines révélé par Reuters. Y a-t-il réellement selon vous une désaffection envers la Chine et si ça se trouve est-elle réelle ou sciemment entretenue ?
La désaffection à l’égard de la Chine est entretenue par des médias occidentaux serviles et falsificateurs, et malheureusement les calomnies dont elle fait l’objet répandent leurs fruits empoisonnés. Mais ne prenons pas l’Occident pour le centre du monde. 80 pays coopèrent avec Pékin dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Les peuples ne sont pas aveugles. En Asie, en Afrique, en Amérique latine, chacun peut voir ce que fait la Chine, la juger sur pièce, la critiquer si nécessaire, mais je doute que, globalement, son image soit plus négative que celle des puissances occidentales.
Ce séisme sanitaire mondial donnera-t-il selon vous naissance à de nouveaux équilibres dans les relations internationales ?
Sans doute, car la Chine a une longueur d’avance sur les autres pays. Elle a géré la crise sanitaire de façon magistrale, sans même se poser la question de la priorité à donner à la santé publique. Elle a accepté de payer le prix d’une brève contraction de son économie pour juguler la propagation du virus, et cette politique a porté ses fruits.
La mobilisation des moyens, sous l’égide d’un État fort, a impressionné l’opinion mondiale, et elle représente à cet égard un exemple à méditer. Le paradoxe, c’est que la pandémie semble venir de la Chine, du moins jusqu’à preuve du contraire, et on a de moins en moins de certitudes à ce sujet, et c’est la Chine qui semble tirer les marrons du feu, car elle a su imposer son propre tempo au phénomène viral sur son propre territoire en utilisant toutes les ressources de l’action publique. Le deuxième aspect de la question, c’est le redémarrage économique, qui semble aujourd’hui acquis en Chine, alors que le monde occidental s’enfonce dans un marasme sans précédent. Ce contraste entre un Occident incapable de faire face au défi de la pandémie et une Chine, et au-delà de la Chine, une Asie orientale qui réalise une performance remarquable du point de vue de la gestion publique, doit être sérieusement médité. Quand on voit la situation lamentable des États-Unis, manifestement aggravée par l’irresponsabilité de son administration, on se demande comment certains peuvent encore voir dans cette puissance, dont l’arrogance progresse au même rythme que sa déliquescence, un leader crédible pour l’Occident tout entier.
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