Cette semaine encore, votre chroniqueur, à la veille d'une intervention chirugicale en principe sans gravité, se contentera, si l'on ose dire, et vous lui pardonnerez, d'un bref tour du monde qui, depuis plusieurs années, se réfère à Phileas Fogg qui l'avait accompli en 80 jours. Ce périple évoque en général des pays dont on parle très peu, trop peu.
Arménie-Azerbaïdjan : le prix terrible de la paix
L'indulgent lecteur pardonnera aussi à l'auteur de cette chronique de délaisser, cette quinzaine, les regards distanciés sur les rivages les plus lointains, pour retrouver quelques situations plus passionnelles, car elles interpellent nos consciences et nos solidarités chrétiennes.
Comment demeurer [faussement] objectif, comment oser feindre l'indifférence en effet, devant les images atroces des villageois arméniens contraints de brûler leurs maisons, sur leurs terres millénaires, pour ne pas les livrer aux Turcs ? Comment ignorer que la nationalité des citoyens de l'Azerbaïdjan se désigne comme telle ? Comment ne pas penser au vers de Victor Hugo "les Turcs sont passés là tout n'est que ruine et deuil" ? Comment ne pas penser quand on connaît l'Histoire, que ce sont les décrets génocidaires de 1915 qui se prolongent, que c'est aussi hélas la réactivation du traité soviéto-turc de Kars partageant le Caucase en 1921, que c'est la destruction sanguinaire et l'incendie de Smyrne de 1922 et, une fois de plus, le massacre des chrétiens qui se renouvellent ? Comment ne pas se souvenir aussi de juillet 1962 et de l'exode des Français d'Algérie ?
Indignez-vous lançait dans le vide, à l'intention des jeunes ignorants insatisfaits, le faux révolté d'origine trotskiste, Stéphane Hessel. Eh bien voilà un vrai motif d'indignation.
Mais il ne suffit pas de protester dans le vide : il faut essayer aussi de savoir, et de comprendre comment on en est arrivé là, et comment il se fait qu'une fois encore l'occident consommatique est resté les bras croisés.
Turquie : comment en est-on arrivé là
Le 7 novembre à Istanbul les marchands du grand bazar constataient que la livre turque valait désormais un peu moins de 10 centimes, exactement 9,87 centimes d'euros ce jour-là. 5Elle a légèrement remonté les jours suivants.) Depuis août en effet, la livre turque est passée d'un cours de 13,06 centimes d'euros à 11,25 centimes. Un an plus tôt, en septembre 2019, elle valait 16,24 centimes.
Un tel effondrement imposait dès lors le limogeage du gouverneur de la Banque centrale, nommé 16 mois plus tôt, Murat Uysal. Premier fusible à sauter.
Le lendemain 8 novembre à Ankara c'était au tour du ministre du Trésor et des Finances, le propre gendre du tout-puissant chef de l'État, Berat Albayrak, souvent considéré comme son futur successeur, de démissionner. Cette information apparaissait sur un simple compte instagram de l'intéressé. Les raisons familiales invoquées ne pouvaient évidemment convaincre personne.
Comment ne pas comprendre que le mégalomane Erdogan, devant les difficultés économiques, et une impopularité grandissante de son pouvoir, népotiste, confrérique et mafieux, cherche à tout prix la compensation dans des aventures militaires. Il les poursuit toujours impunément, en Libye et en Syrie, en armant des mercenaires.
Dans mon petit livre sur la Turquie, qui date de plus de 10 ans, j'affirmais que la diplomatie, toujours habile, de cette puissance ressemble au discours de la chauve-souris de La Fontaine : « je suis oiseau voyez mes ailes, je suis souris vivent les rats ! ».
Or, désormais la chauve-souris est devenue vampire.
Car, traditions ottomanes, islamistes et kémalistes obligent : il lui faut trouver des cibles parmi les « giaours », parmi ceux qui osent refuser le statuts de « dhimmis ». Pendant des mois, il aura cherché à se désigner lui-même comme ennemis : la Grèce, Chypre, et aussi, depuis 2009, Israël, son ancien allié. Mais ces trois pays ont décidé de faire face et noué très clairement leur alliance défensive. Et le soutien de certains pays de l'Union européenne, dont la France, a fait reculer, au moins momentanément, les Turcs. Alors pour ménager l'ouest on s'est souvenu à Ankara d'une appartenance à l'OTAN : on s'est retourné vers les « giaours » de l'est, ceux du Caucase : les Arméniens. Impunément cette fois. Une fois de plus le proverbe chypriote se vérifie : la pierre tombe sur l'œuf tant pis pour l'œuf. L'œuf tombe sur la pierre, tant pis pour l'œuf.
États-Unis : à chacun son élection
Le 8 novembre à Washington, selon l'immuable procédure constitutionnelle américaine, le processus de désignation du nouveau président avait franchi les principales étapes, celles du scrutin au niveau des États et le premier dépouillement, en attendant l'élection formelle en décembre. Constatons que cette désignation, qui ne dépend que des Américains eux-mêmes, interpelle en premier lieu leurs alliés.
Appelé à devenir le chef du monde libre, le président élu sera aussi tributaire de la contribution que les États Européens consentent, chichement, pour leur propre défense. Celle-ci dépend aussi, ne l'oublions jamais de nos industries militaires, aéronautiques comme navales, et tout cela reflète une plus ou moins grande volonté de combattre. On parle de 2 % du produit intérieur brut : c'est un ratio de technocrates que les budgets 2021 atteindront difficilement.
Si, à ce jour, le président sortant semble en voie de quitter la Maison Blanche, on doit constater aussi que sa non-réélection n'emporte pas la défaite du parti républicain, qui gagne dans tous les États centraux du pays. Il rassemble non seulement quantitativement 70 millions de suffrages directs, mais aussi, qualitativement, la droite conservatrice gagne en cohérence et en pugnacité.
Or, observé du point de vue de l'Europe, n'oublions jamais que c'est le démocrate Wilson qui a inspiré le Traité de Versailles en 1919, que c'est le démocrate Roosevelt qui a conclu les accords de Téhéran en 1943 et de Yalta en 1945.
L'isolationnisme retrouvé des républicains et des conservateurs américains, y compris sous la présidence écoulée, dont le titulaire se disait même "nationaliste", nous met en face de nos propres responsabilités.
La dernière guerre qu'aient vraiment remportée nos alliés et protecteur états-uniens l'a sans doute été celle de Corée en 1953, sous la présidence républicaine du général Eisenhower. La même année, ils reprenaient le contrôle de l'Iran. Depuis lors, les défaites infligées au communisme international se sont effectuées largement sans eux. Si l'effondrement de l'URSS n'a pas donné lieu de Nuremberg du communisme, la raison ne doit pas être cherché bien loin.
France : à chacun son De Gaulle
Le 10 novembre à Colombey, le successeur élyséen de Charles De Gaulle semblait appeler les Français, les Européens et même le monde entier, à s'installer à nouveau dans les pantoufles, plutôt que les bottes, du fondateur de la cinquième république.
Mais de quel De Gaulle parle-t-on désormais ?
Les lecteurs de Présent savent sans doute, dans leur grande majorité, à quoi s'en tenir quant à notre Plus Grand Commun Diviseur. Au 50eanniversaire de sa disparition l'intéressé divise même ceux qui se réclament de lui. Pour un Éric Zemmour, habile admirateur de Maurras, qui fait de l'homme de Colombye un lecteur de Kiel et Tanger, un Onfray en dresse le portrait inverse, probablement plus conforme à la réalité : celui d'un homme beaucoup plus à gauche.
Au vrai le plus décapant des portraits, et en même temps le plus cruel des bilans, nous semble avoir été publié le 10 novembre par le chroniqueur militaire, très proche des milieux et des réseaux du Renseignement, Jean-Dominique Merchet. Il souligne en effet qu'en 11 (onze) ans d'exercice du pouvoir, de 1958 à 1969, le grand homme a suivi pas moins de 4 (quatre) lignes en matière de politique mondiale. Et toutes se sont terminées par des échecs. De janvier 1969, jusqu'à son départ en avril, il renoua avec les États-Unis. Ceux-ci venaient d'élire Richard Nixon, avec lequel le général s'entendait à merveille. Georges Pompidou avait fait une seule promesse dans sa plate-forme présidentielle, celle de continuer ce rapprochement. Mais à partir de 1973 les relations redevinrent exécrables.
Allemagne : arrêtons de vendre des winchesters aux Indiens
Le 10 novembre, on apprenait qu'à Berlin, une demande bien significative arrivait en direction de la diplomatie d'outre-Rhin.
C'est aussi un legs, certainement positif, de la cinquième république que d'avoir scellé, ou cherché à fonder, une entente entre la France et l'Allemagne, dont la querelle a tant contribué à ensanglanter, et à affaiblir le Vieux Continent.
Or... alors que les forces françaises continuent d’afficher leur présence « ostensiblement » en Méditerranée orientale ... alors que la Marine nationale déploie 3 frégates, un avion de patrouille maritime Atlantique... alors que l'armée de l’Air a envoyé un avion radar E3F AWACS… un contrat signé par Thyssen Krupp Marine Systems [TKMS], prévoit la livraison à la marine turque de 6 sous-marins de Type 214T construits sous licence par un chantier naval turc.
Si ces navires sont livrés, alors « la Turquie aura à nouveau un avantage sur la Grèce », fait valoir auprès de l'Union européenne le gouvernement d'Athènes. Cette avantage avait disparu avec le contrat des 18 Rafale, dont il faut se féliciter, comme il faut applaudir au fait qu'une nouvelle livraison de ces excellentes aréonefs soit prévu pour l'Armée française. La concommitance entre l'annonce de ce contrat et la première reculade d'Erdogan mérite d'être, à cet égard, rappelée.
Quand donc, grands dieux, les Occidentaux, ou du moins certains d'entre eux, cesseront-ils de vendre des winchesters aux Indiens ?
Éthiopie : sauver la chrétienté africaine
Enfin, dans le trouble menaçant du monde n'oublions pas l'Afrique. Sur ce continent 5 000 de nos soldats sont engagés dans la seule opération Barkhane dans le Sahel, et des forces navales significatives, face à la Libye, dans l'opération Irini avec fort heureusement le concours grandissant, mais encore modeste, d'autres pays européens.
En Orient, l'effondrement pathétique de la classe politicienne libanaise comme l'approfondissement de l'opposition entre Iraniens et Arabes deviennent de plus en plus préoccupants.
Mais c'est en Éthiopie et au Mozambique, pays dont ne parlait pas jusqu'en ce début novembre, que s'ouvre un nouveau front de l'islamo-terrorisme le plus sanglant et des guerres tribales interafricaines.
Ceci nous annonce de nouvelles candidatures à l'immigration de masse.
Mais ceci devrait aussi nous alerter sur les dangers qui pèsent de plus en plus sur les chrétientés orientales et africaines.
Même notre désastreuse troisième république, si odieusement anticléricales, savait pourtant tenir compte de ce que le rayonnement de la France devait au souvenir de saint Louis et du Père de Foucauld.
La cinquième république l'a-t-elle complètement oublié ? Quand on entend la manière dont nos dirigeants et bureaucrates parlent de ce qu'ils appellent sauver Noël, un Noël d'où disparaît la Nativité, on ne peut que le craindre.
JG Malliarakis
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