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samedi, 29 juillet 2023

Dans les bas-fonds de la société; le "Grand hospice occidental" de Limonov

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Dans les bas-fonds de la société; le "Grand hospice occidental" de Limonov

par Michele (Blocco studentesco)

Source: https://www.bloccostudentesco.org/2023/07/13/bs-limonov-grande-ospizio-occidentale/

Un livre pour en finir avec le 1984 de George Orwell, ou du moins pour le dépasser et actualiser sa critique de la société qui nous entoure, c'est aussi cela Le Grand hospice occidental d'Edouard Limonov. Si, au fond de vous, vous n'avez pas beaucoup de sympathie pour ce Winston Smith bourgeois aux veines variqueuses, dont les seuls gestes révolutionnaires consistent à baiser et à se faire baiser par le système, si chaque fois que vous entendez parler de "dérive orwellienne" vous prenez votre fusil, si vous détestez la tranquillité bovine de vos vies plus que la violence de la répression, le nouvel essai de l'écrivain russe est le livre qu'il vous faut.

Nouveau pour ainsi dire. Paru en France au début des années 1990, Le grand hospice occidental est enfin arrivé en Italie cette année aux éditions Bietti, sous la direction d'Andrea Lombardi et dans une traduction d'Andrea Scarabelli, le tout accompagné d'une introduction signée par Alain de Benoist.

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L'hypothèse de base de Limonov est que d'un système basé sur la violence dure, nous sommes passés à un système qui utilise un autre type de contrôle, celui de la violence douce. En bref, rien à voir avec la "botte qui écrase un visage pour toujours". Pour comprendre la différence entre ces deux types de violence, la comparaison avec Orwell peut encore être utile. Si l'un des rares enseignements valables que Limonov reconnaît à 1984 est l'importance accordée aux écrans de télévision, au point qu'ils deviennent "le personnage principal de la société future, son principal moyen de contrôle", c'est vrai mais selon des schémas dépassés. Au contraire, "Aujourd'hui, la télévision contrôle la population. Mais elle le fait à travers ce qu'elle montre, pas en l'observant". En d'autres termes, il ne s'agit pas d'une surveillance continue allant jusqu'à l'interdiction d'éteindre les écrans de télévision, mais d'une manipulation encore plus subtile et omniprésente. Ce changement de paradigme découle de l'apogée de la destruction et du danger extrême atteint au début du 20e siècle:

Terrifiée par son propre cannibalisme lors de la Grande Guerre puis de la Seconde Guerre mondiale, l'humanité "civilisée" a pris ses distances avec les régimes durs, optant résolument pour les régimes doux (deux autres facteurs essentiels ont déterminé ce choix : l'armement nucléaire, qui dissuade l'agression ; l'innovation technologique, qui permet d'assouvir les appétits des masses).

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Une différenciation que Limonov explique ainsi :

Si la violence dure implique essentiellement la répression physique de l'individu, la violence douce repose sur l'exploitation de ses faiblesses. La première entend transformer le monde en cellule d'isolement, la seconde veut faire de l'homme un animal de compagnie. Bref, un régime doux ne sait pas quoi faire des uniformes noirs, des matraques et de la torture. Il dispose d'un autre arsenal : la fausse idée du bien-être matériel, la menace du chômage et de la crise, la peur et la honte d'être plus pauvre - et donc moins bon - que son voisin, la paresse. L'homme n'est pas seulement énergie mais aussi paresse.

D'où l'image de l'hospice, qui résume l'idée d'un monde sénescent et sans force, "dont les patients sont soignés dans une atmosphère douce, mais néanmoins disciplinaire". Une métaphore qui "entend créer le fameux effet de distanciation, pour que le lecteur voie le monde familier à travers un regard étranger", celui de Limonov lui-même. Il ne faut pas se faire trop d'illusions sur l'étendue de l'Hospice et sa signification "occidentale". Les sanatoriums de l'Est ne sont qu'une forme plus primitive et plus grossière de ceux de l'Ouest, ils doivent encore affiner leurs méthodes. Les chaînes qui lient ceux qui habitent l'Hospice sont les pièges du confort et de la facilité, la dilution de la vie dans l'ennui, l'exclusion de toute excitation excessive. Une perspective désespérante et sans issue, parce qu'à partir de la vieillesse, on ne peut être guéri que par la mort.

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Dans cette sorte de frontière ultime qu'est l'hospice, certains hommes s'épanouissent, d'autres sont exclus. Tout prend l'allure d'une sélection par le bas, d'un élevage d'hommes qui choisit les personnages les plus faibles et les moins problématiques. Nous atteignons l'apogée - ou l'abîme ? - de ce "déséquilibre des troupeaux" que Nietzsche reprochait au libéralisme. Les "Agités", ceux que l'on appelait autrefois les héros, sont niés et désavoués. Au contraire, ce sont les faibles et les "malades" qui sont exaltés, dans un renversement de sens qui fait du révisionnisme et de la stigmatisation morale son arme :

Le culte des victimes est encore plus absurde face à l'Histoire. C'est sans doute par confusion mentale que l'humanité admire depuis deux mille trois cents ans Alexandre le Grand, le premier conquérant européen. Selon les critères d'aujourd'hui, nous devrions avoir pitié des tribus qu'il a subjuguées. Heureusement pour Alexandre, Amnesty International n'existait pas encore.

Après tout, il s'agit d'une "utopie faite et achevée", de la réalisation de rêves humides de bien-être matériel et de la rectification du monde par l'esprit socratique, par opposition à l'esprit tragique. Mais tout cela exclut, par l'amer paradoxe de tous les humanitaires, la partie la plus intéressante de l'humanité. Mais on a beau vouloir rejeter le risque et le conflit, on a beau vouloir anesthésier la vie et déformer l'homme, on ne peut pas éternellement balayer sa véritable essence sous le tapis : "une "bonne vie" peut devenir insupportable même à l'animal le plus docile. Un travail monotone, une digestion paisible, un accouplement tranquille sont d'excellentes choses, mais elles ne peuvent satisfaire qu'une partie de l'animal humain. Son agressivité veut aussi s'exprimer".

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