lundi, 11 novembre 2024
La Dialectique Protestantisme/Judaïsme comme base de la civilisation occidentale
La Dialectique Protestantisme/Judaïsme comme base de la civilisation occidentale
Raphael Machado
Source: https://novaresistencia.org/2024/11/03/a-dialetica-protes...
Dans le débat sur les racines de la civilisation occidentale (celle qui dirige les destinées de l'Amérique du Nord et de l'Europe de l'Ouest), il est typique de voir ses apologètes tracer des connexions avec l'Église catholique, la Grèce et Rome. Pourtant, il se pourrait que la Réforme protestante et le Judaïsme soient sous-estimés en tant qu'éléments déterminants.
Il y a quelques jours, on a célébré l'anniversaire de la Réforme protestante. La date en elle-même est discutable car elle ignore le fait que le processus de fracture de l'Église catholique a été graduel, et qu'en un sens, la Réforme s'était déjà propagée à partir de Jan Hus et de John Wycliffe bien avant que Luther ne publia ses Thèses.
Jan Hus et Jean Calvin.
Cependant, elle représente un jalon important car les actions de Luther et, bientôt, de Calvin, ont acquis un « momentum » qui transforma leur projet en un événement d'échelle civilisationnelle, grâce à la présence d'une série de conditions favorables à cela.
Ce qui m'intéresse toutefois dans ce commentaire rapide de cette date, c'est son rôle dans la construction de ce que nous entendons par « civilisation occidentale ». Malgré les discours réactionnaires sur la « civilisation occidentale » qui font appel artificiellement à la Grèce, à Rome, ainsi qu'à l'Europe médiévale, la réalité est que l'Antiquité et le Moyen Âge constituent des réalités totalement fermées pour la mentalité libérale-conservatrice préoccupée par cette « civilisation occidentale ».
Si nous prenons ce que Spengler ou Nietzsche ont écrit sur la perspective de l'homme classique, il devient très facile de comprendre combien il est difficile de construire une connexion directe entre Athènes et l'Occident, sauf dans les termes limités de la méthode analogique utilisée par la géopolitique. L'homme classique est un homme de la réalité manifeste, qui pense la nature comme forme et comme floraison de formes; même le fonctionnement de ses sens semblait opérer différemment, comme l'examen du texte de l'Iliade permet de le percevoir en ce qui concerne les couleurs travaillées par Homère.
En pratique, bien que nous soyons habitués à ces efforts pour construire un lien avec l'Antiquité (comme l'effort foucaldien [et d'autres] pour établir un lien entre l'homosexualité et la culture grecque, ou les efforts des démocrates pour faire appel aux motifs grecs dans leur critique de la « tyrannie », etc.), efforts issus du prestige symbolique du monde grec, il y a très peu de choses dans la Modernité que nous devons vraiment, directement, aux Grecs.
En revanche, il est facile de voir comment la Réforme protestante a influencé les Lumières et, par conséquent, la Modernité et toute la civilisation qui en a découlé depuis; et cela, bien qu'il soit nécessaire de souligner le rôle du nominalisme et du jusnaturalisme, ainsi que de la tradition scolastique dans sa phase tardive, dans la construction de ce même processus.
Il est nécessaire, en ce qui concerne la Réforme protestante, de se rappeler du rôle que celle-ci a attribué à la raison humaine et à la pleine capacité de l'individu à interpréter les Écritures; ainsi que de son rejet du caractère communautaire de la relation entre l'homme et Dieu et, en revanche, de l'insistance sur sa subjectivité.
Descartes et Locke.
Ainsi, bien que Descartes ait été « catholique », sa philosophie serait-elle concevable sans un environnement déjà fondamentalement façonné par le protestantisme, comme celui de la France huguenote ? Ou celle de Locke, sans considérer ses années dans les Provinces-Unies calvinistes ?
Moses Mendelssohn.
Mais ce qui est moins connu, c'est la « Haskalah », ou « Lumières juives ». Celles-ci ont été influencées par les Lumières « gentilles », dans la mesure où Moses Mendelssohn était un lecteur de Locke et un interlocuteur de contemporains tels que Kant. Cependant, l'impact de Mendelssohn et de la Haskalah a été révolutionnaire par l'affaiblissement de l'autorité du rabbinat traditionnel. L'aboutissement de la Haskalah est le sionisme, bien que le sionisme conserve une dimension religieuse dont les racines sont assez profondes.
Les personnes bien instruites trouveront dans Maïmonide, Rambam, Luria et d'autres sages médiévaux beaucoup des prescriptions encore présentes aujourd'hui dans la mentalité israélienne concernant l'Etat d'Israël et la manière de traiter les Palestiniens.
Mais Mendelssohn lui-même a été influencé par des figures plus anciennes comme Spinoza, Menasseh ben Israel et Simone Luzzatto, qui ont exercé une grande influence sur la société et la philosophie européennes. Les deux derniers ont eu plus d'influence dans le domaine politique, tandis que Spinoza est l'un des « grands » de la philosophie moderne, étant influencé par Descartes, mais aussi par la riche tradition théo-philosophique juive. Ben Israel et Luzzatto ont joué un grand rôle, tout comme Mendelssohn, dans la propagation des conceptions modernes du sécularisme, en tant que dérivation nécessaire de la « liberté de conscience ». Mendelssohn est allé un peu plus loin, en défendant pratiquement un « indifférentisme religieux » tant au sens métaphysique qu'en tant que « nécessité d'État ».
Mais dans un sens plus large, le rôle de la raison face à la religion et à la tradition révèle une grande influence de l'environnement intellectuel juif dans la construction de la civilisation occidentale. Et cela parce que la tradition rabbinique, telle qu'elle se présente dans le Talmud, la Mischna et les textes théologiques du judaïsme médiéval, a toujours été une tradition de débat intellectuel avec une forte connotation rationaliste.
À cet égard, si l'influence de la Réforme protestante sur les Lumières est établie dans une certaine mesure, il serait nécessaire de pointer également l'influence directe des exégètes et grammairiens juifs, tels que David Kimhi et Elia Levita. Kimhi a eu une influence particulière, car la Bible « du Roi Jacques » repose en grande partie sur ses commentaires anticatholiques. Quant à Elia Levita, son rôle en tant que « professeur de Kabbale » pour le clergé catholique à la Renaissance présente des parallèles avec l'influence même du kabbaliste Johannes Reuchlin sur Luther.
Cette influence de la Kabbale sur la philosophie moderne semble d'ailleurs s'étendre au-delà, dans la mesure où il existe aujourd'hui une tradition académique soutenant avec de bons arguments que la doctrine des monades de Leibniz a des origines kabbalistiques, avec des preuves documentées démontrant que Leibniz a étudié la Kabbale; et que la doctrine de la tabula rasa ainsi que la perspective progressiste de Locke ont été influencées par le tikkun olam, une idée de « rectification de la nature » par des améliorations graduelles vers la perfection.
Un autre chemin d'influence réside dans le républicanisme libéral tel qu'il s'est développé aux Pays-Bas, notamment à travers l'œuvre de Petrus Cunaeus, qui a écrit « De Republica Hebraeorum », un texte arguant que le royaume hébreu tel qu'il est présenté dans la Torah constituait la république idéale qui pourrait servir de modèle pour les Pays-Bas récemment « libérés » de l'Empire espagnol. Cunaeus, auteur intéressant, était en dialogue avec l'agent colonial et rabbin déjà mentionné Menasseh ben Israel, ainsi qu'influencé par Maïmonide. Dans le même sens se trouvait l'un des révolutionnaires américains les moins connus, le pasteur Samuel Langdon, qui défendait également l'ancien royaume hébreu comme le modèle idéal à partir duquel construire une république fédérative.
Plus notoires et n'ayant pas besoin de nombreux commentaires, ce sont les textes de Max Weber et Werner Sombart sur les origines du capitalisme, qui abordent respectivement les racines protestantes et juives du mode de production, tant à cause du rôle attribué par le rationalisme que pour la relation assez différente que ces religions auraient tant avec l'accumulation qu'avec l'usure.
C'est pourquoi, en considérant les caractéristiques fondamentales de la civilisation occidentale, ce sont dans ces interactions entre la tradition protestante, la tradition juive et la tradition des Lumières que nous devons chercher les racines de la civilisation moderne actuelle à prétentions planétaires.
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lundi, 04 novembre 2024
Le vieux rêve occidental: la destruction de la Russie
Le vieux rêve occidental: la destruction de la Russie
Filip Martens
Bien que la Russie n'ait jamais attaqué l'Occident au cours de son histoire séculaire et qu'elle ait au contraire toujours été désireuse de coopérer avec lui, elle a toutefois dû se défendre contre des attaques occidentales à plusieurs reprises: par l'Ordre de Livonie en 1240-1242, par la Suède en 1708-1709, par la France en 1812, par l'Allemagne en 1914-1918 et en 1941-1945, par l'Ukraine par procuration des États-Unis en 2022 jusqu'à aujourd'hui. En effet, les puissances occidentales voyaient et/ou considèrent la Russie comme une superpuissance compétitive. Depuis l'industrialisation, on s'est également rendu compte que la Russie possédait d'innombrables matières premières en quantités gigantesques. Ainsi, les puissances occidentales voulaient et veulent toujours avoir accès aux incommensurables ressources minérales de la Russie, car elles sont nécessaires à leur industrie.
Pour ce faire, l'Occident emploie toujours une stratégie de balkanisation de la Russie. Cet article donne un aperçu des différentes tentatives occidentales visant à diviser la Russie en une multitude de petits États sans pouvoir et, par conséquent, facilement dominables.
1916-1918 : la première tentative allemande
La stratégie occidentale de démembrement de la Russie et de pillage de ses ressources a été lancée par l'Allemagne pendant la Première Guerre mondiale. En avril 1916, la Ligue des nationalités allogènes de Russie est fondée à Lausanne. Le statut de neutralité de la Suisse donne à la Ligue l'apparence d'un non-alignement pendant la Première Guerre mondiale qui était en cours. Financée par le ministère allemand des affaires étrangères, la Ligue a pour objectif la destruction de la Russie tsariste par la création de mouvements séparatistes. Ceux-ci étaient censés « libérer » les peuples de Russie. Pour conserver l'apparence de la neutralité, la Ligue cherche à obtenir le soutien des Alliés, des États centraux [1] et des États neutres. Avec le traité de Brest-Litovsk du 3 mars 1918 entre les pays du centre et l'URSS nouvellement créée, l'Allemagne acquiert une série d'États satellites à sa frontière orientale (États baltes, Pologne, Ukraine et Finlande). Ces États satellites dépendent économiquement de l'Allemagne et sont contraints de lui fournir des matières premières. À la suite de ce traité, la Russie a perdu environ un tiers de ses terres agricoles, plus de la moitié de son industrie et la grande majorité de ses mines de charbon. Lorsque l'Allemagne elle-même s'est effondrée en novembre 1918, elle a immédiatement perdu tous ces acquis.
1918-1939: Le prométhéisme et la stratégie d'Intermarium de la Pologne
Toujours en 1918, Jozef Pilsudski, le fondateur de la Pologne nouvellement rétablie, a lancé le prométhéisme. Ce projet visait également à balkaniser la Russie - désormais sous la forme de l'URSS - en soutenant les mouvements séparatistes parmi les peuples non russes de l'URSS. Pilsudski lui-même avait choisi le nom de « prométhéisme » en référence au Titan Prométhée de la mythologie grecque. Prométhée a volé le feu aux dieux et l'a donné aux humains. Pour cela, il a été puni pour l'éternité par Zeus. Par analogie, Pilsudski voyait la Pologne comme le Christ des peuples: de même que Jésus-Christ a apporté la lumière aux hommes, le peuple polonais apporterait la lumière aux peuples non russes qui - du moins selon la Pologne - étaient « opprimés » par l'URSS.
Le prométhéisme repose donc sur l'idée arrogante et méprisante que la petite Pologne est le leader naturel de l'Europe centrale et orientale, ce qui est une utopie compte tenu des capacités économiques et militaires limitées de la Pologne. Alors que l'ancien Commonwealth polono-lituanien (1569-1795) était territorialement le plus grand pays d'Europe, il s'agissait politiquement d'un État bi-confédéral très faible, impuissant et divisé à l'intérieur, Etat qui n'a pu exister que parce que le Brandebourg-Prusse, la Moscovie-Russie et l'Empire des Habsbourg étaient de petits États à l'époque. Une fois que ces trois États sont devenus des superpuissances, le Commonwealth polono-lituanien a disparu de la carte assez rapidement. Néanmoins, Pilsudski voyait en la Pologne une superpuissance potentielle capable de dominer les autres nations « inférieures ». C'est d'ailleurs exactement ce que le prométhéisme reprochait à l'URSS. La Pologne devait donc mobiliser et soutenir les nombreux peuples non russes de l'URSS afin de devenir elle-même dominante.
Le prométhéisme était étroitement lié à la stratégie géopolitique de l'Intermarium de Pilsudski. Ce concept visait à réunir les États d'Europe centrale et orientale au sein d'une fédération placée sous la direction de la Pologne. Cela impliquait que ces États renoncent à leur souveraineté. En effet, Pilsudski rêvait d'une restauration territoriale et politique de l'ancien Commonwealth polono-lituanien, qui s'étendait entre deux mers (la mer Baltique et la mer Noire). D'où le nom latin « Intermarium » donné à cette vision romantique de la politique polonaise.
Dès 1918, la Pologne a soutenu des mouvements séparatistes en Carélie, dans les Pays baltes, en Biélorussie, en Ukraine, dans le Caucase et en Asie centrale. Même après l'annexion de la plupart de ces régions par l'URSS en 1921, la Pologne a continué à apporter un soutien matériel aux séparatistes émigrés.
Le prométhéisme a été une ligne directrice de la politique étrangère de la Pologne pendant l'entre-deux-guerres. En 1934, la Pologne a fondé l'organisation Prometeusz. Son siège se trouvait à Paris. Il existait des antennes à Berlin, Varsovie, Vilnius, Helsinki, Téhéran et Harbin. Cette organisation apportait un soutien financier et technique aux mouvements séparatistes des peuples non russes en URSS.
Après 1939, le prométhéisme disparaît, d'une part parce que la Pologne - une fois de plus - disparaît de la carte et, d'autre part, en raison du manque d'intérêt des Alliés. À partir de 1944, la Pologne est,une fois de plus, rétablie mais devient un État satellite de l'URSS et ne peut donc pas reprendre ses activités prométhéistes.
1941-1945 : la deuxième tentative allemande
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne tente une nouvelle fois de détruire la Russie en lançant l'opération Barbarossa. Cette invasion à grande échelle de l'URSS visait à éliminer l'URSS en tant que superpuissance compétitive, en annexant certains pays et en en colonisant d'autres, en expulsant et en soumettant en partie la population, ainsi qu'en prélevant des produits agricoles et des matières premières. Pour balkaniser l'URSS, l'Allemagne utilise le pantouranisme, une idéologie turque qui cherche à réunir tous les peuples turcs et autres peuples altaïques en une seule unité politique et/ou culturelle sous le nom de Touran.
Un plan de propagande pan-turc émanant de la Turquie a rendu de grands services à l'Allemagne dans les régions occupées de l'URSS. L'Allemagne a ainsi recruté des « Osttruppen » pour la Wehrmacht (environ 250.000 hommes) et pour la Waffen-SS (environ 8000 hommes) [2] parmi les soldats soviétiques faits prisonniers de guerre, qui provenaient des peuples turcs d'URSS. En échange, l'Allemagne promet de rendre indépendantes les régions de l'URSS habitées par les Turcs. La guerre se termine par la destruction complète de l'Allemagne et la prise de Berlin par les troupes russes.
De 1991 à aujourd'hui: l'attaque américaine via les séparatistes, les salafistes, les pseudo-dissidents et les ONG
Lorsque l'URSS, après des décennies d'inertie économique à la fin de la guerre froide, s'est désintégrée en plusieurs États pour la plupart impuissants, dont les économies déjà faibles se sont ensuite complètement effondrées au cours des années suivantes, cela a évidemment offert d'énormes perspectives stratégiques aux États-Unis en tant que seule superpuissance restante. Après tout, toutes les anciennes républiques soviétiques pouvaient désormais être facilement infiltrées et déstabilisées. Depuis lors, les États-Unis et leurs alliés européens ont déstabilisé, (tenté de) changer de régime, semé la mort et la destruction dans les pays de l'ex-URSS pendant des décennies, dans leur vaine tentative de détruire géopolitiquement la Russie. En Géorgie, au Kazakhstan, en Ukraine, en Ouzbékistan, en Russie et au Belarus, entre autres, les Américains ont clairement laissé leur marque. Et aujourd'hui, l'infiltration américano-européenne en Arménie et en Moldavie est évidente.
Mais les États-Unis visent surtout à détruire la Russie. Pour ce faire, ils soutiennent des mouvements séparatistes, souvent salafistes (en Tchétchénie en 1991-2006, au Daghestan en 1999-2012, en Bachkirie en 2005,...). Par ailleurs, les États-Unis tentent - en vain - d'établir des mouvements dissidents en Russie. Le recrutement d'un personnage d'extrême droite et raciste comme Aleksey Navalny, qui a ensuite été présenté à l'Occident comme un « combattant contre la corruption » et un « leader de l'opposition démocratique », est bien connu.
En outre, les États-Unis déstabilisent la Russie par l'intermédiaire de diverses organisations non gouvernementales (ONG). Il s'agit d'organisations qui ont l'apparence d'être indépendantes des gouvernements mais qui sont en réalité contrôlées par le département d'État américain.
Il y a par exemple la National Endowment for Democracy (NED), un outil américain issu de la CIA pour saper les gouvernements dans tout le monde non occidental, instiguer des révolutions de couleur et promouvoir des changements de régime. Cette ONG est directement financée par le gouvernement américain. La NED s'est immiscée dans les élections russes et a constitué une menace pour les institutions constitutionnelles de l'État, la défense et la sécurité nationale de la Russie. Sur la base de la loi de 2012 sur les agents étrangers - qui a été remplacée en 2015 par la loi sur les organisations indésirables [3] - la NED est devenue la première organisation à être interdite en Russie en 2015.
L'ONG Freedom House (FH) est également financée par le département d'État américain. FH finance diverses organisations subversives et des politiciens pro-américains dans des pays du monde non occidental, y compris en Ukraine avant le coup d'État américain de 2014 déguisé en « révolution de Maïdan ». Dans le même temps, la FH sympathise fortement avec les régimes pro-américains. Il n'est donc pas surprenant que cette ONG ait été interdite en Russie en mai 2024 sur la base de la loi susmentionnée sur les organisations indésirables.
L'ONG bien connue mais controversée Amnesty International (AI) est financée par la Commission européenne, la Fondation Ford, la Fondation Rockefeller et les gouvernements britannique, américain et autres. Amnesty International a la sombre réputation de publier des rapports inexacts sur les pays, de collaborer avec des organisations dont le bilan en matière de droits de l'homme est douteux, de faire preuve de partialité idéologique et de politique étrangère, ainsi que de pratiquer une forte discrimination institutionnelle au sein de sa propre organisation. De nombreux États, dont la Russie, ont critiqué l'évaluation de leurs politiques par AI, estimant qu'il s'agissait de rapports partiaux ou d'une réticence à voir les menaces pour la sécurité nationale [4].
En outre, l'Open Society Foundation (OSF) de George Soros, financier notoire des changements de régime, est également interdite en Russie - en tant que troisième organisation en vertu de la loi sur les organisations indésirables - depuis le 1er décembre 2015. En effet, les activités de l'OSF et de l'Open Society Institute Assistance Foundation constituent une menace pour le système constitutionnel et la sécurité nationale de la Russie. L'OSF est un réseau international de financement basé aux États-Unis qui dispose de plusieurs milliards de dollars provenant de la fortune de Soros.
Les objectifs des États-Unis sont primo d'éliminer un rival géopolitique (en divisant la Russie en toute une série d'États impuissants et ipso facto facilement manipulables) et secundo d'avoir accès à l'incommensurable richesse en ressources de la Russie (dont l'industrie occidentale a besoin). Toutefois, les peuples que les États-Unis sont censés vouloir « libérer » n'ont jamais indiqué qu'ils souhaitaient quitter la Russie.
2022-présent: renaissance du prométhéisme et de la stratégie Intermarium en Pologne
Parallèlement aux États-Unis, la Pologne poursuit à nouveau la balkanisation de la Russie. Le 22 novembre 2007, une statue de Prométhée a été inaugurée à Tbilissi, la capitale géorgienne, par le président géorgien Mikhaïl Saakachvili et le président polonais Lech Kaczynski. Cette statue n'a pas été érigée en Géorgie par hasard, car selon la mythologie grecque, Prométhée aurait été enchaîné à une colonne et torturé par Zeus dans le Caucase. La statue symbolisait les efforts de la Pologne et de la Géorgie pour obtenir leur indépendance de la Russie et de l'URSS.
Le prométhéisme est redevenu d'actualité au début de la guerre russo-ukrainienne en 2022. Le Forum des nations libres de l'après-Russie (FNRF) est un mouvement basé en Pologne composé d'hommes politiques et de militants libéraux exilés de Russie, de mouvements régionalistes et séparatistes, ainsi que de sympathisants étrangers. Les membres du FNRF sont inconnus du public russe et connaissent peu la société russe.
Le FNRF, fondé en 2022, prône la dissolution de la Russie – dans pas moins de 34 Etats ! – et dans certains cas même pour la dérussification de certaines régions russes. Divers hommes politiques, diplomates et analystes occidentaux participent souvent au FNRF. Le 31 janvier 2023, une réunion du FNRF a même eu lieu au Parlement européen à Bruxelles. Le 31 mars 2023, le FNRF a été interdit par la Russie en tant qu'« organisation indésirable » (cf. supra).
Les activités du FNRF confirment la rhétorique du gouvernement russe selon laquelle l’Occident veut diviser et détruire la Russie. Le professeur Marlène Laruelle de l'Université George Washington a averti que les hommes politiques occidentaux ne devraient pas confondre les déclarations radicales des exilés politiques avec les opinions des citoyens russes, faisant explicitement référence à l'appel du FNRF à « la libération des nations prisonnières », une expression qui remonte à la Première Guerre mondiale (cf. supra).
Le 25 juillet 2022, Ramzan Kadyrov, président de la République russe de Tchétchénie, s'est longuement moqué du FNRF: « Il y a plus de 20 ans, l'Occident a commis la première violation de l'intégrité de la Russie en République tchétchène, en alimentant les terroristes étrangers avec de l'argent et en inventant une légende sur la liberté. (…) En général, messieurs les pseudo-libéraux, je ne peux que vous remercier d’avoir confirmé les propos des plus hauts dirigeants russes sur les tentatives de désintégration du pays» [5].
La Pologne prométhéiste continue ainsi de promouvoir la sécession des peuples non russes en Russie dans le but ultime de la dissolution et de l'élimination complète de la Grande Russie, afin qu'elle ne puisse plus constituer une menace pour l'aspiration polonaise à l'Intermarium, à nouveau bien vivante en Pologne. Par exemple, le 15 février 1991, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie ont fondé le Groupe de Visegrad en tant qu'organisation de coopération régionale. Le 6 août 2015, le président polonais Andrzej Duda a annoncé la création d'une alliance régionale des États d'Europe centrale selon l'idée d'Intermarium. Celui-ci est devenu l'organisme consultatif régional Initiative des Trois Mers, qui réunit douze États membres de l'UE entre les mers Baltique, Noire et Adriatique.
La Pologne se considère toujours supérieure à la Lituanie et à l’Ukraine, entre autres. Ces autres peuples devraient encore accepter la domination polonaise, ce qui est insultant, voire humiliant.
Puisque les États-Unis veulent déplacer leurs ressources militaires et financières vers l’Asie du Sud-Est, où ils veulent affronter la Chine, ils penchent actuellement vers l’externalisation de la guerre en Ukraine et menacent la Russie par le truchement de son État satellite, l’Allemagne, contrôlé par les Etats-Unis depuis 1945. Les troupes allemandes sont utilisées et très strictement surveillées par les services de renseignement américains. Cela se reflète dans l’installation de bases militaires allemandes en Lituanie et en Pologne et dans divers projets du gouvernement allemand visant à développer considérablement l’armée. Par exemple, entre 2015 et 2020, les dépenses de défense ont été augmentées pour moderniser l’armée et augmenter le nombre de soldats (jusqu’à 185.000), de véhicules blindés de transport de troupes, de sous-marins et d’avions. Au cours de la période 2020-2030, d’importants investissements supplémentaires seront réalisés dans des troupes supplémentaires et de nouveaux équipements. En 2023, le nombre de soldats avait encore augmenté (de 7000). 20.000 soldats supplémentaires ont été ajoutés en 2024. Dans le même temps, le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius a annoncé que l'Allemagne devait être prête à la guerre d'ici 2029. Il s’agit de la première expansion militaire allemande depuis la fin de la guerre froide.
En outre, l’Allemagne encourage à son tour la Pologne, future superpuissance, à promouvoir la stratégie Intermarium pour tenter d’affaiblir la Russie. Il semble donc qu’une troisième tentative allemande soit en route…
Notes:
- (1) Les centres étaient constitués de l'Allemagne, de l'Autriche-Hongrie, de la Bulgarie et de l'Empire ottoman.
- (2) DECORDIER (B.), The Fedayeen of the Reich : Muslims, Islam and collaborationism during World War II, dans : China and Eurasia Forum Quarterly, volume 8, no. 1, 2010, pp. 28.
- (3) La loi russe sur les organisations indésirables du 23 mai 2015 donne aux procureurs le pouvoir de déclarer les organisations étrangères et internationales « indésirables ». Cette loi prévoit l'interdiction de mener des activités en Russie, de lourdes amendes et des peines de prison en cas de non-respect de la loi, ainsi que l'interdiction pour les citoyens russes de maintenir des liens avec ces organisations. Cette loi a été votée pour contrer les nombreuses organisations libérales occidentales qui menaient des activités subversives en Russie.
- (4) LARUELLE (M.), Putin’s war and the dangers of Russian disintegration, dans : Foreign Affairs, 9 décembre 2022.
- (5) Compte Telegram de Ramzan Kadyrov, dd. 25 juillet 2022.
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samedi, 02 novembre 2024
Le Conseil de l'Atlantique pousse à la guerre contre l'Iran
Le Conseil de l'Atlantique pousse à la guerre contre l'Iran
Source: https://report24.news/atlantikrat-draengt-auf-kriegskurs-...
Les Etats-Unis, et donc leurs alliés européens, doivent être entraînés dans une guerre contre l'Iran. C'est ce que demande le Conseil atlantique. Le complexe militaro-industriel a manifestement besoin de nouvelles guerres. Surtout si Donald Trump souhaite mettre fin au conflit ukrainien.
L'influent Conseil de l'Atlantique (Atlantic Council) a présenté la semaine dernière un dangereux rapport stratégique. Intitulé de manière anodine «L'avenir de la stratégie américaine vis-à-vis de l'Iran», ce document révèle, à y regarder de plus près, un dangereux changement de cap dans la politique étrangère américaine.
Le rapport, présenté comme non partisan, vise ouvertement à impliquer davantage les Etats-Unis dans le conflit qui s'aggrave entre Israël et l'Iran. Particulièrement explosif: la stratégie proposée semble viser à manœuvrer aussi bien une éventuelle administration Trump qu'une administration Harris dans un conflit militaire.
Le rapport recommande le déploiement permanent de forces américaines supplémentaires dans la région - une mesure qui entraînerait inévitablement les Etats-Unis dans un futur conflit militaire avec la République islamique. Pourtant, 40.000 soldats américains sont déjà stationnés au Proche-Orient, et selon les idées du Conseil, ils devraient être restructurés en une « force de réaction rapide ».
La manière dont le rapport aborde la question de Trump est particulièrement révélatrice. Dans le contexte des rapports récents sur les prétendus piratages iraniens de la campagne électorale de Trump et des tentatives d'assassinat présumées, la recommandation du Conseil de répondre par la force militaire à toute attaque contre des politiciens américains apparaît comme une provocation calculée.
La dimension stratégique du rapport est encore plus évidente si l'on considère la constellation internationale. Le Conseil atlantique reconnaît lui-même que l'Iran entretient aujourd'hui des liens étroits avec la Russie et la Chine. Un conflit militaire avec l'Iran pourrait donc rapidement se transformer en une confrontation mondiale - un scénario qui, curieusement, n'est pas présenté comme un avertissement, mais presque comme une recommandation d'action. La « ligne rouge » proposée concernant les armes nucléaires iraniennes est également inquiétante. Le rapport demande une déclaration présidentielle selon laquelle les Etats-Unis ne toléreraient pas un Iran doté de l'arme nucléaire et l'empêcheraient militairement si nécessaire - sachant qu'Israël dispose déjà de son propre arsenal nucléaire.
La stratégie du Conseil atlantique semble se résumer à un opportunisme pervers: si Trump gagne et met fin à la guerre d'Ukraine comme il l'a annoncé, il devrait à la place être orienté vers un conflit avec l'Iran. Sous Harris, en revanche, la confrontation avec la Russie se poursuivrait. Le message du rapport est clair: le complexe militaro-industriel a besoin de sa guerre - peu importe où et avec qui. Les stratèges du Conseil de l'Atlantique ne semblent guère se soucier du fait que l'on s'expose à un conflit qui pourrait se transformer en incendie mondial.
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vendredi, 27 septembre 2024
L'Occident, un horizon indépassable
L'Occident, un horizon indépassable
16:41 Publié dans Actualité, Définitions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, occident, occidentisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 29 août 2024
L'Occident en quête d'icônes
L'Occident en quête d'icônes
Juan José Borrell
Source: https://euro-sinergias.blogspot.com/2024/08/occidente-en-busca-de-iconos.html
L'historien des religions Mircea Eliade expliquait que pour la mentalité collective, l'icône remplit la fonction symbolique de rappeler la création du cosmos, la création de l'ordre à partir du chaos primordial. Ainsi, la figure iconique qui apparaît à une époque régénère cette fonction mythique et héroïque qui sous-tend le fond de la mémoire collective.
Dans notre société (prétendument) moderne, les médias et l'industrie du divertissement présentent massivement des figures iconiques. Des personnalités « exemplaires » qui répondent à un modèle mythique qui sous-tend encore la collectivité. Plus l'icône est proche du modèle des valeurs traditionnelles, plus sa réception est grande, plus elle suscite l'adhésion.
Ainsi, après l'horreur de la Seconde Guerre mondiale, des régimes totalitaires et des villes bombardées, des familles dispersées, des millions de morts, de la faim et des privations extrêmes, la société de masse occidentale a appris par le cinéma, les magazines et plus tard la télévision omniprésente que « maintenant oui », elle serait libre.
Le chaos était derrière nous et l'émergence emblématique des jeunes de l'Olympe d'avant-guerre apportait la bonne nouvelle du plaisir, de la consommation matérielle et du gaspillage, du temps libre loin du bureau et de la routine grise, de la séduction sans compromis et du flâneur, des airs de caramel et de la beauté dionysiaque.
C'était le temps de la fête, de l'expansion des forces vitales, de l'autorisation et de l'abandon de soi. Les figures du star-system des années dites «dorées»: James Dean, Marilyn Monroe, Alain Delon, Romy Schneider, Claudia Cardinale ou Brigitte Bardot, entre autres, ont été contemporaines de l'éveil d'une génération, des mouvements étudiants et contre-culturels, du rejet du colonialisme et de toutes les formes d'oppression, du mur de Berlin et du Printemps de Prague.
Les icônes médiatiques de l'époque ont fait rêver des millions de personnes qui aspiraient à une autre vie « libre ». La jeunesse apollinienne a surgi des décombres d'une Europe détruite et occupée pour montrer que l'aventure, la rébellion et le romantisme étaient possibles. Des milliers de personnes se sont enrôlées pour les icônes de leur adolescence, dans un camp ou dans l'autre, prêtes à « défendre la société » ou à « rendre la justice » - ou ce qu'elles entendaient par là - selon les idéaux incarnés par ces figures. Si les héros le font dans l'espace réel de l'imagination, pourquoi pas aussi dans leur « ennuyeuse vie fictive ».
Et chaque fois que la personne qui incarne une icône meurt, cela a plus d'impact sur la fin de l'icône que sur la personne réelle. Pour les personnes âgées, c'est la nostalgie de « ces temps » révolus, à laquelle s'ajoute l'indifférence de ceux qui n'ont pas vécu cette époque, et dont la figure de référence est aujourd'hui un sportif, une personnalité médiatique ou une personne d'opinion. L'icône médiatisée se révèle alors comme un objet de consommation comme un autre, qui s'inscrit dans l'idéologie du moment, même si elle apporte de l'air frais, de la luminosité, et que dans l'imaginaire elle est descendue pour apporter aux simples mortels le flambeau d'une prétendue libération.
La question est : et après la mort d'un autre personnage-icône, quoi d'autre: y aura-t-il une nouvelle icône pour évoquer héroïquement la tyrannie anesthésiée? Les icônes de l'après-guerre étaient apolliniennes, incorrectes, espiègles, prolifiques, comme Zeus, elles arrosaient la terre de fils virils et de belles femmes, elles affrontaient des monstres. Aujourd'hui, au contraire, l'Occident est orphelin de figures. Ce qui est présenté est méconnaissable, ce sont des figures amorphes, étrangères, fausses, conformistes, rusées, sournoises, hédonistes, stériles, sans patrie ni communauté, elles incarnent le CHAOS lui-même.
Juan José Borrell.
Docteur en sciences humaines. Diplômé en histoire. Chercheur à l'université nationale de Rosario, Argentine. Professeur de géopolitique à l'École supérieure de guerre de Buenos Aires.
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samedi, 17 août 2024
L'Occident sans élites
L'Occident sans élites
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/occidente-senza-elite/
L'Occident, ou plutôt ce que nous en sommes venus à considérer comme l'« Occident élargi », a un grave problème de fond. Il semble substantiellement dépourvu d'une élite authentique pour le gouverner. Et pour orienter son action dans une direction concrète.
Cet Occident est certainement autoréférentiel. Et incapable de comprendre que le monde, et ses intérêts complexes et multiples, va bien au-delà des limites qu'il s'est inconsciemment imposées. Et qu'il croit être les limites du monde entier. Alors qu'elles ne représentent que les frontières d'une vision extrêmement limitée de celui-ci.
Cette incapacité s'avère être la plus grande limite de l'Occident actuel. Celui-ci ne peut même pas comprendre comment les aristocraties dirigeantes externes se meuvent dans la nouvelle réalité. Nous en avons eu la preuve lors de la visite, à bien des égards grotesque, de notre Giorgia Meloni en Chine. Elle a dit au dirigeant chinois Xi Jinping qu'il devait cesser de soutenir Moscou et la Russie dans le contexte du conflit ukrainien. Elle a reçu en retour un démenti poli et ironique à la fois.
Ironique, parce qu'il venait de la tête, absolue, de l'une des plus grandes réalités géopolitiques contemporaines. Et il a été reçu, mais pas compris, par un dirigeant hésitant d'un pays de moins en moins pertinent sur l'échiquier général.
D'autre part, la maigre figure de notre Meloni représente bien l'état des relations internationales entre l'Occident et le reste du monde. Ce qui, soit dit en passant, a pris des connotations bien plus dramatiques lors des rencontres entre la Chine et d'autres pays européens. En particulier avec l'Allemagne et la France, qui sont littéralement traitées comme des poissons de dixième choix par l'élite dirigeante chinoise.
Le problème, si nous pouvons l'appeler ainsi, réside toutefois dans l'incohérence substantielle des soi-disant élites occidentales. Qu'elles ne le soient pas... ou plutôt qu'elles soient des élites, s'il est encore permis de les appeler ainsi, qui sont essentiellement autoréférentielles. Et, de fait, dépourvues de tout lien avec la réalité des peuples qu'elles sont censées représenter.
Et « devraient » n'est qu'un pâle euphémisme, puisque les gouvernants occidentaux actuels sont totalement détachés de la réalité des peuples dont ils devraient, au contraire, être l'expression.
En effet, il s'avère que les oligarchies qui détiennent le pouvoir - même s'il est limité - dans les pays d'Europe occidentale sont pour l'essentiel déconnectées de la réalité des peuples qu'elles gouvernent.
La France en est le meilleur exemple. Une oligarchie homophile y a imposé des « jeux » qui ne sont rien d'autre que la célébration de ses propres « vices ». Totalement déconnectés de toute tradition et de tout lien avec le sentiment commun des Français. De la majorité des Français. Pas des petits groupes qui entourent le pouvoir autoréférentiel et s'en délectent.
Bien sûr, une discussion séparée concerne les États-Unis. Où, incontestablement, la réalité est plus complexe. Et le pouvoir n'est pas seulement entre les mains de petits groupes autoréférentiels.
D'ailleurs, l'un de ces groupes, actuellement au pouvoir, tente de forcer la main. Et de pousser les Etats à un point de non-retour dans le conflit, pour l'instant masqué et latent, avec la Russie.
Reste à savoir - et l'horizon est pour l'instant flou et incertain - comment cela se terminera.
Cependant, cela peut changer, apparemment, un plan de jeu. Pas la substance du jeu lui-même.
L'avenir du conflit en Ukraine peut rester incertain. Et, peut-être, avec un changement à la Maison Blanche - désormais très probable - il pourrait (mais le conditionnel est de rigueur) trouver une... solution pacifique.
Mais cela n'affectera pas la scène générale. Et, surtout, le Moyen-Orient. Où la tension est destinée à atteindre la chaleur du métal chauffé à blanc. Et le point de non-retour, quel que soit le président de la Maison Blanche.
Dans ce jeu, cependant, l'Europe semble complètement absente. Non pas tant en raison d'une subalternité des rôles - qui existe - que de l'inaptitude de ses prétendues élites.
En raison de l'incapacité désormais évidente de ces dernières à envisager les affaires du monde dans une perspective plus large.
Et non pas conditionnées, jusqu'à l'aveuglement, par leurs propres prédilections éphémères et substantiellement décadentes.
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dimanche, 11 août 2024
Les "valeurs" du Woke-Occident
Les "valeurs" du Woke-Occident
Enric Ravello Barber
Source: https://euro-sinergias.blogspot.com/2024/08/los-valoresde-wokoccident.html
La répétition de certains clichés sans contenu clair est devenue la charge dialectique erronée contre l'"islamisation de l'Europe". Le mantra de la "défense des valeurs occidentales" est souvent répété, mais nous n'avons jamais vu la définition et la délimitation des valeurs occidentales auxquelles se réfèrent ceux qui plaident avec insistance pour leur défense. Nous craignons que cette absence de définition ne soit pas due à un manque de volonté mais à un manque d'argumentation.
Faye - et en général la soi-disant ND française - a défini l'Occident comme "l'enfant prodigue et bâtard de l'Europe, aujourd'hui dominé par le modèle américain, qui vise à unifier le primat absolu de la société de consommation et de l'individualisme". Nous partageons largement cette définition, sans pour autant "accuser" - comme le faisait la ND - les États-Unis de tous les maux, car ce même Occident s'est aussi développé dans tous les pays d'Europe occidentale, à commencer par le Royaume-Uni, la France et les Pays-Bas.
Cet Occident bâtard a une racine idéologique libérale individualiste qui, ces dernières années, dans une évolution logique selon ses paramètres fondateurs, a donné naissance à l'idéologie woke : anti-blanc, LGTBI, ennemi de toute identité et collectivité d'origine européenne, immigrationniste, intégrationniste. Ce sont aujourd'hui les valeurs des démocraties occidentales et de leurs classes dirigeantes politiques et médiatiques. L'Occident est aujourd'hui woke-occidental.
Dès lors, ceux qui prétendent défendre l'Occident contre l'islamisation le font - dans une certaine logique - en affirmant leurs propres valeurs, c'est-à-dire l'idéologie woke-occidentale. C'est pourquoi nous constatons que les soi-disant nationalistes s'opposent à l'"islamisation" parce qu'elle s'attaque aux droits des LGTBI et à des spectacles peu reluisants tels que la "parade de la fierté".
Dans cette logique, la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques à Paris, l'une des capitales de l'Occident bâtard, a été une exposition de ces valeurs woke-occidentales : offenses à la tradition religieuse, dénigrement pansexualiste, exposition des LGTBI ; rappelons que la cérémonie a été conçue par un écolo vaguement mosaïque et que le dégénéré qui a dénigré la figure du Christ en était un aussi. Bien sûr, ce sont les zélotes intouchables au sommet idéologique woke-occidental !
C'est peut-être pour cela que ni Marine Le Pen ni Bardella n'ont osé dire un mot (Marion Maréchal l'a fait et dans les meilleures lignes) contre cette aberrante cérémonie d'ouverture, n'osent-ils pas critiquer les valeurs du Woke-Occident ? Il faut souligner que le seul gouvernement qui a protesté officiellement contre l'offense faite à Jésus-Christ, en appelant l'ambassadeur de France pour consultation, est le gouvernement iranien.
Les partis et militants nationalistes et identitaires de toute l'Europe doivent réfléchir en profondeur : nous ne défendons pas le Woke-Occident.
Nous défendons la récupération de notre meilleure tradition et des valeurs permanentes qui ont été présentes dans l'histoire de la civilisation européenne. Ce réarmement moral et idéologique nécessaire est la première prémisse pour affronter le processus de dissolution incarné aujourd'hui par le mondialisme internationaliste woke-libéral. Sinon, nous continuerons à être les simples acolytes du Woke-Occident et de son projet d'aliénation mondialiste.
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samedi, 03 août 2024
Au-delà de cet Occident nihiliste
Au-delà de cet Occident nihiliste
Carlos X. Blanco
Source: https://www.revistacontratiempo.com.ar/blanco_occidente_nihilista.htm
Les peuples d'Europe occidentale marchent docilement vers l'abattoir. Les célèbres « experts » du totalitarisme (verbi gratia, Hannah Arendt) se sont demandé comment ces masses de prisonniers dans les camps de concentration créés par les nazis, masses domestiquées, se livraient à un sacrifice certain sans presque aucune résistance, à l'exception de quelques cas dans des épisodes spécifiques. Il était évident que les individus condamnés à mort avaient préalablement subi un processus de déshumanisation, qu'ils avaient été « assassinés dans la vie », c'est-à-dire dépouillés de leur contexte moral, juridique et ontologique: par le traitement annihilant reçu avant leur élimination physique, d'autres suppressions, non moins transcendantes que la suppression de la vie biologique, avaient eu lieu.
Or, ce même concept de totalitarisme, qui renvoie à une déification de l'État (« tout dans l'État, tout par l'État, rien sans l'État »), dans lequel l'individu est abaissé et supprimé devant un énorme Léviathan, est un concept qu'il faut corriger si l'on veut l'appliquer pleinement au monde d'aujourd'hui, qui est celui du deuxième tiers du 21ème siècle, la fraction de siècle qui s'ouvre. Il existe aujourd'hui un totalitarisme dans le monde occidental, même s'il n'est pas exactement de la même nature que celui d'Hitler ou de Staline. Le camp de concentration est vaste: c'est l'Occident tout entier. Les sujets en voie de soumission totale et d'anéantissement se comptent par millions.
La soumission de l'individu « marqué » (ethniquement, politiquement, sanitairement, etc.), telle qu'elle a été pratiquée sous le nazisme ou le stalinisme, est aujourd'hui la soumission de l'individu européen occidental en tant que membre d'un Peuple. Ce sont les peuples d'Europe qui, comme je l'ai déjà dit, marchent vers leur sacrifice une fois qu'on leur a interdit d'exister en tant que peuples. Ils peuvent nous faire disparaître sous une catastrophe nucléaire. Les individus seront bientôt sacrifiés, si Dieu n'y fait rien, dans une généralisation folle du conflit ukrainien, par la mort sacrificielle des peuples auxquels ils appartiennent. Cette mort des nations et des peuples a déjà eu lieu.
Il n'y a plus d'Espagnols, plus de Français, plus d'Italiens. Il n'y a plus d'Allemands, plus de Néerlandais, encore moins de Grecs ou de Tchèques, etc. Il n'y a que des individus administrés par une Union européenne - U.E. - despotique, qui renouvelle périodiquement ses diktats - il serait exagéré de parler de « lois » - au mépris de la souveraineté et de la constitution de ses « Etats membres » et pour s'élever au-dessus de la volonté exprimée par ses peuples.
L'UE, qui est en réalité le centre de contrôle et de coordination de puissants lobbies mondiaux, est soutenue par la super-bourgeoisie européenne, à la solde de la super-élite mondiale, principalement américaine, à laquelle elle est subordonnée. La super-bourgeoisie européenne, de plus en plus « locale » et subalterne, a depuis longtemps abdiqué sa volonté de maintenir une ligne autonome. Elle a préféré se déseuropéaniser et donc déseuropéaniser le continent. Comme la noblesse de la Renaissance, la super-bourgeoisie européenne a capitulé. Comme cette classe du 15ème siècle, vaincue par les monarques autoritaires et centralisateurs de la Renaissance, reconvertie en classe « oisive » (Thorstein Veblen), ornementale et honorifique, la noblesse moderne n'a été guerrière et exécutive que dans la mesure où elle est devenue le toutou du roi, employée à ses ordres.
De même, il n'existe plus aujourd'hui de bourgeoisie pertinente en Europe occidentale. Ce sont des employés de luxe des grands fonds spéculatifs, des courtisanes et des concubines, des agents de représentation, des employés bien payés, principalement contrôlés par des sionistes ou des milliardaires américains étroitement liés à ces groupes sionistes.
Le noble féodal devient courtisan à la renaissance parce qu'il a déjà perdu son pouvoir dans « les dernières décisions ». De même, le bourgeois et le super-bourgeois d'Europe préfère ne plus avoir de « patrie », parce que sa patrie est le capital et que ses capitaux sont contrôlés de l'extérieur. Il siège au conseil d'administration d'une banque, d'une compagnie d'électricité, d'un géant de l'immobilier, d'une multinationale, mais il n'est qu'un visage, un nom, une marionnette humaine pilotée par un Capital qui ne vit pas en Europe et ne « pense » pas en Europe.
Ce que j'ai dit, le phénomène à peine crédible et à peine perçu dans notre singulière grotte platonicienne, c'est-à-dire que l'Europe n'existe pratiquement plus en tant que centre économico-politique, a une date très précise : l'année 1945. Hitler et son régime criminel sont tombés à temps. Mais c'est aussi toute l'Europe qui est tombée avec eux. La désouverainisation commence par être économique, mais elle se produit dans de nombreux domaines, et elle devient toujours ostensible et explicable en tant que conséquence d'une occupation militaire. Soviétique d'un côté, Yankee de l'autre. Sur le plan économique, le néolibéralisme le plus féroce, étranger à la trajectoire de l'Europe non anglo-saxonne, a été imposé « par le haut ». Il l'a fait contre les préceptes de la plupart des États de notre sous-continent qui, d'une manière ou d'une autre et en dehors de la tradition anglo-saxonne, incluaient des allusions à l'« État social », au protectionnisme corporatiste, au « bien-être général », au bonheur et à la santé de leurs peuples. Tout cela avec des formules différentes, mais en garantissant un contrôle de l'économie toujours sous la tutelle et la responsabilité de l'État.
L'Union européenne est devenue le pire ennemi des traditions constitutionnelles et, en général, politiques de l'Europe occidentale. Son comportement au cours des dernières décennies met en lumière ses véritables origines: l'occupation d'après 1945. Après l'échec de l'UE en tant que fédération dotée de sa propre constitution, orchestrée en réalité comme un « club » ou une association de pays, la dérive despotique de l'Union elle-même a consisté en une imposition progressive de cadres juridiques anticonstitutionnels, toujours orientés dans la même direction: déposséder les gouvernements des différents peuples d'Europe de tous les mécanismes monétaires, fiscaux, tarifaires, de planification et d'investissement, laisser les États nationaux sans défense et les déposséder de tous les dispositifs visant à garantir leur autosuffisance et leur développement autocentré.
Il est d'ailleurs logique qu'il en soit ainsi. La création d'une « souveraineté » européiste dans un sous-continent militairement occupé sur sa frange occidentale par les Yankees n'a été qu'un outil de ces mêmes occupants pour remplir leurs caisses. Le cours du temps est comme le mouvement d'un rideau de théâtre que l'on tire et qui révèle au monde entier ce qui y était caché. Une grande farce s'y cachait: la farce créée par les Etats-Unis à la fin de leur occupation de l'Europe occidentale en 1945: l'« aide » et la « reconstruction » de cette partie du monde n'avaient d'autre but que de capter des profits et de les reverser au Nouveau Monde, et de subordonner à jamais toute la pléthore de petits pays d'un « Vieux » Monde, de plus en plus vieux.
La pléthore de petits pays, chacun déjà nain par lui-même: voilà ce qu'est devenue l'Europe de l'Ouest. Les États-Unis d'Amérique ne sont entrés en guerre qu'après s'être enrichis en vendant des fournitures non seulement aux pays de leur camp, les « Alliés », mais aussi aux soi-disant « totalitarismes », qu'ils soient nazis ou bolcheviques. C'est un fait historique qui donne de l'urticaire à des milliers de libéraux pro-yankees. Ils ne veulent pas le savoir, ils ne veulent pas le divulguer. L'État, champion du « monde libre », n'a eu aucun scrupule à faire prévaloir l'autosatisfaction économique sur les choix idéologiques, qu'ils soient rouges ou bruns. Le Gardien de la Liberté, concept qu'il est venu déifier avec son immense statue à New York, fut aussi la mamelle des totalitarismes qu'il alla successivement combattre, après les avoir nourris: l'Allemagne d'abord, l'URSS ensuite: au moment où l'Empire britannique s'effondrait dans le conflit contre Hitler, les Yankees apparaissaient comme les héritiers et en même temps les successeurs de cet Empire anglo-saxon, les garants et les gardiens de la Liberté.
Avec l'entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale et l'effondrement de l'Empire britannique qui s'ensuivit, un schéma d'une grande portée historique se répéta: la subordination d'un Empire à un autre. L'arrivée des Bourbons à Madrid (Philippe V est arrivé dans la capitale espagnole en 1701, bien que le traité d'Utrecht, après une longue guerre de succession, ne soit signé en 1713) signifiait la subordination de l'empire espagnol, alors gigantesque, à la puissance française déjà gigantesque. L'empire subordonné était voué à s'effondrer peu à peu sur le plan économique et, à long terme, sur le plan politique et militaire. Un empire subordonné à un autre est une sorte de colonie géante: existant sous une forme décapitée et instrumentalisée, il n'a d'autre issue que sa désintégration finale. Il commence à être traité comme un simple butin de l'empire principal, car il renonce à son essence. Lorsque Napoléon reçut le trône de Madrid des mains des Bourbons espagnols imbéciles, l'empire hispanique ne pouvait que s'effondrer et se décomposer. Et avant cela, les élites espagnoles avaient déjà été contaminées par la francisation.
Enfin, à partir de 1945, les Américains ont stimulé dans le monde entier le discrédit des systèmes coloniaux européens en Asie, en Afrique, en Amérique et en Europe occidentale elle-même, en tant que concept. Dans de nombreux cas, ce discrédit était justifié, car les peuples indigènes des colonies, dotés tout au long du 20ème siècle d'une conscience identitaire croissante, n'ont vu dans les grandes guerres européennes qu'un « massacre tribal », bien plus cruel et à une échelle bien plus grande que ce qu'eux-mêmes, les indigènes de la périphérie, avaient subi ou entretenu. Les fausses leçons de morale du 19ème siècle (« élever les indigènes au niveau de la civilisation ») ne pouvaient plus être valables au 20ème siècle. Les maîtres d'esclaves à la peau blanche, le fouet dans une main et la Bible dans l'autre, n'étaient plus là pour faire la leçon aux gens d'une autre couleur. Loin en Europe, les maîtres s'étaient entretués de manière barbare, même si la « jeune nation » américaine pouvait les aider à s'émanciper (lorsque l'influence soviétique ou chinoise était lointaine ou avait été neutralisée à temps).
L'Europe « reconstruite » devait se débrouiller avec le dollar, sans les colonies et sans le prestige de la période impériale historique précédente. Une main sombre, presque invisible, a traversé toutes les rébellions indigènes, et cette main n'est pas toujours venue de Moscou ou de Pékin, les capitales rouges, mais s'est également étendue à Washington. L'Europe reconstruite après 1945 devait être l'Europe des petites entités impuissantes, ayant un besoin urgent d'une refonte idéologique de leur propre passé et de leur propre identité, afin de les amener à converger, bien que par la force et l'artifice, avec l'imaginaire américain d'une Jérusalem céleste, l'utopie d'une oasis de liberté. Pour créer cette convergence, ce conglomérat de l'Occident collectif, de nombreux termes fantastiques ont été inventés: le « monde libre » (W. Churchill) ou la « société ouverte » (K. Popper). Aujourd'hui, de manière dérisoire et avec sa tenue de camouflage littéralement enfilée, Josep Borrell remet le concept au goût du jour avec son fameux « jardin ». L'Europe, dit-il, est un beau jardin. Tout le reste, c'est la jungle.
Mais en réalité, le jardin européen n'est pas le jardin d'Eden, où les hommes et les femmes vivent en toute innocence dans un monde nouveau, frais, quasi divin. C'est plutôt la cage de fer créée par les Américains depuis 1945, condamnée à porter, par contraste, l'étiquette « Ancien Monde ». Peu importe que les États-Unis soient, plus que tout autre, une gérontocratie (Biden n'est plus un jeune homme). Peu importe que ses infrastructures publiques s'effondrent et que ses habitants soient zombifiés par le fentanyl et le consumérisme. Mais l'Europe, c'est « l'ancienne ».
Qu'est devenue l'Europe de la pax americana? Un monde dans lequel, disent nos bergers et leurs laquais, il faudra faire preuve de la plus grande vigilance. Les Américains, ne l'oublions pas, sont là depuis 1945, « pour nous protéger de nous-mêmes, nous les Européens ». Toute résurgence des peuples, qualifiée de populiste, de nationaliste, d'eurosceptique, etc. sera automatiquement alignée, voire assimilée, au nazisme vaincu en 1945. Quant à la gauche, avant même l'effondrement du bloc soviétique, cet ensemble de forces politiques et sociales, celles-là mêmes qui se présentaient explicitement comme communistes et révolutionnaires, a été désactivé dans son potentiel souverainiste et donc anti-américain. Les services secrets yankees ont embauché et recruté des intellectuels européens de gauche influents et, avec des dollars en poche et de nombreuses tapes dans le dos, l'idéologie révolutionnaire et même la revendication socialiste modérée d'un État social et d'une répartition équitable des richesses ont été remplacées par la plus yankee des alternatives: la revendication des « droits civiques ».
Il est bien connu que l'individualisme absolu qui triomphe dans la sphère anglo-saxonne est incapable de générer une véritable gauche avec des approches communistes, socialistes ou communautaires. Ils sont toujours restés ancrés dans leurs revendications individualistes de droits civiques. Les pays qui ont incubé le virus du libéralisme, principalement le Royaume-Uni et les États-Unis, ne peuvent comprendre et admettre les changements globaux d'une société qu'à travers des changements législatifs qui profitent à un collectif particulier, un secteur doté d'une identité abstraite qui le délimite par une qualité concrète, au-delà de l'organicité sociale. Les femmes, les Noirs, les homosexuels, les transsexuels, les migrants... Tous ces groupes ne sont que des « collectifs » sociologiques abstraits. Chacun d'entre eux appartient à une classe sociale différente, et tous manquent de force mobilisatrice en soi, au-delà des subventions reçues artificiellement. Cette façon abstraite de procéder est ce que j'ai appelé, dans des articles et des livres précédents, la « gauche identitaire ».
Une telle gauche identitaire était inconcevable en Europe avant la grande période d'après-guerre entre 1945 et 1989. Tout véritable dirigeant de gauche aurait qualifié ces mouvements de type anglo-saxon, les mouvements pour les droits civiques, de contre-révolutionnaires et de réactionnaires, comme ils l'étaient, sans fard. Une grande femme d'affaires ou une banquière n'est pas une femme qui va changer le monde... « pour le mieux ». Un riche Noir peut faire très peu pour les Noirs pauvres, et il n'est pas rare qu'il commette, très probablement, de nombreux abus à l'encontre du prolétariat, blanc ou autre. Un gay ou un trans peut vivre au sein de la bourgeoisie la plus bohème et il lui est facile de penser que le capitalisme lui sourit, qu'il est merveilleux, en disant au pauvre hétérosexuel, à celui qui est bouffé par les dettes et les cafards : « va te faire foutre... ». Bref : la gauche identitaire est intrinsèquement égoïste, elle pense dans la petite redoute abstraite à laquelle une pensée made in USA nous a habitués.
C'est la pensée sociologique néo-positiviste, et aussi la pensée post-moderne, qui pense en termes de « constructions ». Un type de pensée abstraite, très typique des milieux académiques déconnectés de la réalité, où un « collectif » (comme on le faisait autrefois avec l'analyse factorielle de l'intelligence humaine) est d'abord investi d'une entité statistique, puis, par une sorte d'animisme, d'un supposé pouvoir réel d'agir et de transformer le monde. Les Noirs de Black Lives Matter n'ont réussi qu'à briser des statues, ils ne généreront jamais un monde nouveau. De même, les collectifs LGTBIQ+ ne parviendront, s'ils continuent dans cette voie, qu'à complexifier et diffuser la liste des « crimes de haine », mais ils ne construiront certainement pas, avec leur Inquisition, un monde nouveau et meilleur. Rien n'est plus ancien que l'Inquisition.
La gauche « progressiste » et le néolibéralisme sont des idéologies occidentales qui ont perdu le contact avec la réalité. Une réalité, celle de la Totalité sociale, qui est en elle-même organique, traversée par des luttes de classes. Les classes moyennes, ouvrières et paysannes d'Europe sont condamnées à continuer à voir leur petite patrie et leur patrie européenne comme une totalité organique, où « les riches », quels que soient leur ethnie et leur sexe, leur orientation sexuelle ou leur croyance, sont riches; donc les ennemis des classes exploitées, qui, pour couronner le tout, sont les classes populaires dont on se moque et que l'on méprise parce qu'elles s'ancrent dans une vieille tradition.
Mais le natif d' Europe se comportera, après tout, comme ce qu'il est, comme un membre d'une classe appauvrie et, par conséquent, son vote et sa rage ne peuvent être contrôlés conformément aux souhaits des minorités privilégiées que le capitalisme, principalement yankee, abrite. La montée des soi-disant « populismes », ou quel que soit le nom que l'on donne à tous les nouveaux partis dits d'extrême droite, xénophobes, souverainistes, eurosceptiques, etc. est entièrement due au vide créé par les forces « progressistes » ou de gauche. Ces forces politiques ont démontré, depuis 1989, qu'elles étaient clairement systémiques. Elles sont pro-système, c'est-à-dire néo-libérales, otanistes, soumises aux diktats d'une petite caste opaque et autoritaire de politiciens de l'U.E. Elles sont ennemies des peuples. En Espagne, par exemple, peu importe que vous votiez pour les socialistes, les conservateurs, la gauche « réveillée » ou les ultras de VOX... Tous ces partis « garantissent » la permanence dans l'OTAN, la soumission à l'empire yankee, l'intégrité de l'Union européenne, l'application de politiques de désouverainisation, l'ingénierie sociale (idéologie du genre, terreur climatique, etc.) et ainsi de suite.
En fin de compte, nous devons être d'accord avec les classiques de la dialectique, Hegel et Marx. La société peut être « découpée » à l'infini par l'entendement abstrait, mais les lois qui régissent son cours, les ruptures, les changements, sont des lois de la société comprise comme un tout organique, un tout qu'il faut connaître et dépasser par la raison, qui est une faculté distincte de l'entendement. La femme est prolétaire ou bourgeoise avant d'être « féministe ». Il en va de même pour le noir ou l'indigène ou tout autre sujet « racialisé »: il est d'abord prolétaire ou bourgeois, et selon sa position dans la Production, il fera partie d'une classe sociale active, apte à changer ou à ne pas changer l'état des choses. Les classes abstraites, détachées de la Réalité-Production, sont au contraire incapables de transformer ou de faire bouger quoi que ce soit. Elles sont le produit de la compréhension la plus abstraite, elles sont le fruit d'un atroce nominalisme radical, qui est le nominalisme importé des universités américaines.
Lorsque le leader de la gauche espagnole Pablo Iglesias, il y a des années, dans son projet raté « Podemos », a rassemblé toute la gauche woke du pays, il n'a pas eu d'autre choix que d'embrasser ce nominalisme abstrait, par la médiation de théories comme celle de Laclau, selon laquelle, en l'absence d'un prolétariat « classique » (classe ouvrière d'usine) dans un Occident post-industriel sans même le soutien symbolique de l'URSS, il était nécessaire de rassembler des pseudo-prolétariats: féministes, migrants, animalistes, séparatistes, collectifs LGTBIQ+, et toute une mosaïque hétéroclite de collectifs dont l'existence, en termes dialectiques, n'est pas réelle, car leur lien avec la Production est purement individuel: une femme chef d'entreprise ou professeur peut se sentir « féministe » en son for intérieur, tout comme une ouvrière modeste ou une femme de ménage qui balaie les escaliers, mais fonctionnellement les deux types de féminismes finiront par être très différents, et la classe abstraite des féministes sera toujours abstraite, définie en termes de subventions et de bannières, incapable de rassembler tous les membres d'une force populaire réelle exploitée sur le lieu de travail. Il en va de même pour les noirs et les hispaniques aux USA, les migrants en Europe, les collectifs « arc-en-ciel » et « Pride Day », etc. La gauche woke, parfaitement représentée par l'Espagnol Pablo Iglesias, est une gauche fonctionnelle au capitalisme, qui collabore avec lui. Discursivement, c'est une gauche qui prétend lutter pour des privilèges et des réparations pour des groupes très spécifiques, définis par une étiquette extérieure: la personne n'est plus, dans cette gauche woke, d'abord et avant tout, une personne membre d'une Communauté, au sens aristotélicien le plus classique. La personne n'existe pas pour la gauche woke: elle n'est plus qu'un individu dans un collectif.
La société dépeinte par cette gauche apparaît atomisée, dans le plus pur goût néolibéral: il y a d'abord et avant tout des individus. Et puis il y a des individus qui « sortent du lot » par quelque trait préalablement victimisé par les médias d'endoctrinement (école, télé, radio, réseaux sociaux...) et qui sont regroupés en collectifs « revendicatifs », ou plutôt en collectifs d'« offensés ». Le problème est qu'il manque à cette gauche woke, appelée différemment selon les pays et les goûts (progressistes, bobos, gauche caviar, etc.) une méthode de reconstruction du Tout: quiconque sort des collectifs identitaires, créés abstraitement par le Système pour attirer votes et subventions, apparaît comme un spécimen trop vulgaire et est potentiellement perçu comme un fardeau ou un danger pour le projet néolibéral qu'ils servent.
Le néolibéralisme féroce, privatisant et asocial, qu'il s'agisse de celui de Milei ou du néolibéralisme « progressiste » de la gauche woke, est de nature identique. Ils partagent la même substance : il n'y a pas de Communauté pour eux. Il n'y a pas de Totalité organique à laquelle la personne se rattache. L'ensemble des partis systémiques, à l'exception de ceux qui reçoivent l'étiquette anti-systémique (« populistes », etc.), sont des partis qui sous-tendent un Empire Yankee unipolaire, entouré d'un noyau dur intérieur (l'Anglosphère), et dans une couche plus gélatineuse et en voie de décomposition, une périphérie colonisée qui rampe sous des noms divers : Amérique Latine, Union Européenne, « tigres asiatiques », etc.
Le projet de base des partis systémiques, tous néolibéraux, est l'absence de projet. Le nihilisme. Le populisme néolibéral de Javier Milei est le même que celui de Pedro Sánchez, Pablo Iglesias ou Santiago Abascal. Le fait qu'il existe des aides et des subventions pour certains collectifs de « nouveaux activistes » n'a aucune importance. Par exemple, l'argent alloué en Espagne à d'innombrables Marocains vivant dans le pays, et même à l'extérieur, est une garantie de votes pour la « gauche », mais personne n'est sûr que la droite, si hostile aux « paguitas », fermera théoriquement le robinet de l'argent face à la soumission géopolitique de l'Espagne à l'axe USA-Israël-Maroc. En fin de compte, le système a besoin de créer ses collectifs pour manipuler la lutte des classes et la neutraliser. Que la « tronçonneuse » néolibérale existe ou non, les cadres géopolitiques de soumission aux puissances hégémoniques demeureront toujours, et aucun des lobbies de captation de voix ne changera cet état de fait d'un iota.
L'Occident ne reconnaît plus l'existence des peuples (ou des nations). Il ne reconnaît que des « individus », qui ne sont à leur tour que des ensembles de données dont on peut tirer un profit quelconque. A l'exploitation du travail, de plus en plus stratifiée à l'échelle internationale (avec une hiérarchie entre étrangers exploitables « légalement » et étrangers exploitables « illégalement »), s'ajoute toute une exploitation numérique de l'individu, qui s'est considérablement accrue lors de la pandémie de COVID-19. Les grandes entreprises technologiques (GAFAM et autres) ont rassemblé les troupeaux humains de l'Occident, avec la collaboration nécessaire et coercitive des Etats, et se sont consacrées à la « traite » des données, même des enfants, favorisant ainsi des sociétés de plus en plus manipulées, espionnées, individualistes et lâches.
Le contexte laissé par la pandémie est idéal pour les grands groupes qui gouvernent les destinées de cette partie du monde (Forum de Davos, Groupe Bilderberg, FMI, etc.), et tout porte à croire qu'il s'agit d'un contexte recherché, planifié, conçu expressément pour augmenter les taux de plus-value. Le contexte est celui d'un mode de production capitaliste fortement financiarisé, c'est-à-dire fortement déconnecté de la Réalité, qui en économie signifie : « Production ». Si nous avons souligné plus haut que les différents partis et idéologies occidentaux étaient coupables d'une déconnexion avec la réalité (au niveau des superstructures), il faut maintenant dire la même chose au niveau des structures économiques. Les grands capitaux occidentaux sont devenus ultra-concentrés: quelques sociétés spéculatives, qui gèrent des fonds d'investissement (BlackRock, Vanguard, etc.), sont propriétaires des grandes entreprises transnationales, qui sont elles-mêmes propriétaires d'une multitude d'entreprises moyennes et petites. Les actionnaires de chacun de ces fonds possèdent à leur tour de nombreuses actions dans les autres fonds, ce qui indique que l'Occident est entre les mains de très peu d'individus, de familles et de castes, très réduites en nombre, et que le rayon d'influence de leur capital est énorme, touchant l'« industrie du divertissement » (qui inclut déjà le secteur de l'information, en grande partie fausse et manipulée), les grandes lignes de l'éducation et de la manipulation mentale, l'industrie de l'armement, l'industrie de l'énergie, etc.
Ces puissants ne forment plus vraiment une classe. Quand aujourd'hui certains marxistes parlent, dans une paléolangue de plus en plus ridicule, du « pouvoir de la bourgeoisie », ces voix semblent ignorer que la bourgeoisie nationale elle-même, et même la bourgeoisie d'élite à l'échelle européenne, n'est plus une classe « souveraine » au sens productif du terme. Depuis l'occupation militaire d'après 1945, l'élite bourgeoise européenne « autochtone » est devenue clientéliste ou courtisane du capital nord-américain, de la même manière qu'auparavant, la bourgeoisie autochtone d'Amérique latine était devenue clientéliste et filiale des métropoles yankees ou européennes. Le schéma d'une théorie économique de la dépendance a été reproduit. Les élites politiques et capitalistes européennes sont dépendantes d'un capital détenu et contrôlé par l'hégémon nord-américain et c'est là, principalement, le facteur explicatif de leur suicide actuel. Ce sont des élites qui mènent les peuples d'Europe à l'abattoir.
Ce que nous appelons le nihilisme est mortel et destructeur pour le navire. L'Europe est le vaisseau de l'idéologie et de la puissance yankee: les peuples européens ont accepté leur nihilité, leur réduction radicale à une bouillie humaine, leur abaissement au statut de fourmilière d'individus solitaires, sans valeurs, totalement déracinés, consuméristes, dépendants de la connectivité technologique, sans foi ni patrie. Il s'agit d'un nihilisme émanant des centres de pouvoir, lisez d'accumulation de la plus-value, qui dirigent les sociétés dans le seul but de les amener au bercail, à l'abattoir, ou de les traire comme force de travail exploitable ou comme données pour l'extraction de la plus-value. Une élite nihiliste, opaque et réduite qui impose le nihilisme et le suicide à ses serfs.
Que regardes-tu l'air si déprimé? J'ai déjà tout.
La logique de l'extraction et de l'accumulation incessante de la plus-value n'est pas la seule logique des autres États qui s'affrontent à l'Occident ou, du moins, s'en éloignent. En Occident, elle est devenue unique et exclusive, et donc suicidaire. Personne ne nie que la Russie, la Chine, l'Inde et les autres pays du BRICS ne sont pas, eux aussi, des pays capitalistes. Ils le sont. Mais en dehors de l'Occident, il y a un retour à la perspective de l'État-nation, et même un retour des civilisations en tant que grands espaces axiologiques, et cela implique une subordination de la logique nihiliste de l'extraction et de l'accumulation à des critères étatiques, disons des critères impériaux. Si c'est l'État qui fait plier les seigneurs de l'argent, si l'État est ce type d'instance dotée d'un pouvoir réel capable de planifier la production, capable de veiller aux espaces de sécurité et d'approvisionnement au profit de ses peuples et de ses valeurs fondamentales... alors nous aurons affaire à quelque chose d'autre, pas au néolibéralisme sauvage de l'Occident, sans idéaliser ces modèles à l'excès. Dans certains pays des BRICS, nous avons le modèle d'un (grand) État-nation au sens classique, inséré dans un système multipolaire, où la coopération dans le respect du droit international (et non des règles arbitraires du « neighborhood bully ») préside à la rencontre de diverses manières d'être et de vivre l'humanité.
L'« Occident », en revanche, est devenu une monstruosité qui cache de plus en plus difficilement toutes les hontes de son hégémon, l'empire américain, héritier néfaste des précédents empires européens (le britannique, tout d'abord). Le monde se soulève contre l'hégémon. Les peuples d'Europe eux-mêmes, tellement anesthésiés et émasculés, commencent à sentir confusément que le monde n'est plus tel que la propagande orchestrée par la CIA, le Mossad, le MI6, etc. l'a enseigné. Ce n'est peut-être pas le vote pour des formations colorées et idéologiquement confuses qui changera vraiment les choses. C'est peut-être l'échange assidu avec les institutions et les collectifs des pays membres du monde multipolaire qui sera la meilleure chose : découvrir que l'hégémon ne représente pas la « Démocratie » ou les « Droits de l'Homme », ni le « Monde Libre » compris unilatéralement et de manière intéressée. Tourner le dos, petit à petit, prudemment et par des actes de souveraineté bien mesurés mais courageux, à cet hégémon yankee sera une véritable découverte pour l'« Occidental ». L'« autre » ne lui est définitivement pas inférieur. Ce « non-Occidental » le lui fera savoir d'une manière ou d'une autre. Les défaites et les crimes de l'OTAN, la fabrication honteuse d'ogives nucléaires et la complicité avec les magnats de l'industrie de la mort américaine seront dévoilés. Là-bas, au-delà du rideau d'acier et de mort que l'OTAN a créé pour nous isoler, il y a toute une série de peuples et d'États qui voient enfin l'occasion rêvée de se débarrasser du joug. L'Oncle Sam fera beaucoup de morts dans sa chute, mais de cet empire nihiliste, comme de tous ceux qui ont été voraces et non constructifs, il n'y aura pas de nostalgie. Au milieu de la peur des champignons nucléaires en Europe, il faut espérer un monde de peuples, un globe diversifié, un système multipolaire de civilisations qui admettent leurs différences et travaillent ensemble dans la paix.
Carlos X. Blanco
Né à Gijón en 1966. Docteur en philosophie (pure). Licence en philosophie et en sciences de l'éducation (sections psychologie et pédagogie). Diplôme extraordinaire et prix de doctorat. Auteur de plus de 50 publications(http://dialnet.unirioja.es/servlet/autor?codigo=31725) et de plusieurs livres (La Luz del Norte, La Caballería Espiritual, Casería y Socialismo, Oswald Spengler y la Europa Fáustica...). Membre du comité scientifique de la revue La Razón Histórica. Revista Hispanoamericana de Historia de las Ideas. Il collabore à la Revista Contratiempo, où il a publié plusieurs essais.
Il a été professeur associé à l'université d'Oviedo et à l'université de Castille-La Manche. Il enseigne à l'Instituto « Maestro Juan de Ávila » à Ciudad Real (Espagne).
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mercredi, 24 juillet 2024
Emmanuel Todd et la dématérialisation occidentale
Emmanuel Todd et la dématérialisation occidentale
Nicolas Bonnal
Relisons Todd et son extraordinaire, dense et variée Défaite de l’Occident (j’écrirais accident, trop guénonien que je suis…). Plutôt que de décadence, mot trop ressassé depuis Spengler et sans signification maintenant, je préfère parler de dématérialisation: la puissance soi-disant économique et militaire des USA ne peut rien contre la Russie (ou les Houthis). C’est que tout disparaît. Todd:
« Pourtant, on le verra, le système américain, même s’il a réussi à soumettre l’Europe, souffre spontanément du même mal qu’elle: la disparition d’une culture nationale partagée par la masse et les classes dirigeantes. »
L’effondrement culturel et religieux (non au sens guénonien, traditionnel, mais quantitatif occidental) précipite une inefficacité tragi-comique (de Leslie Nielsen à Joe Biden – voyez l’amiral-président Benson de la série Hot Shots aussi) dont PhG s’est fait l’ardent-hilarant commentateur :
« L’implosion, par étapes, de la culture WASP – blanche, anglo-saxonne et protestante – depuis les années 1960 a créé un empire privé de centre et de projet, un organisme essentiellement militaire dirigé par un groupe sans culture (au sens anthropologique) qui n’a plus comme valeurs fondamentales que la puissance et la violence. Ce groupe est généralement désigné par l’expression « néocons ». Il est assez étroit mais se meut dans une classe supérieure atomisée, anomique, et il a une grande capacité de nuisance géopolitique et historique. »
Oui, on en revient toujours à cette capacité de nuisance dont me parla un jour J. J. Annaud (voyez mon livre) à propos de la critique de cinéma. Idem donc pour l’énarchie française ou la bureaucratie bruxelloise.
Evidemment Todd compare notre empire américain au bon vieil empire romain :
« L’afflux massif en Italie de blé, de produits manufacturés et d’esclaves y avait détruit la paysannerie et l’artisanat, d’une manière qui n’est pas sans rappeler celle dont la classe ouvrière américaine a succombé à l’afflux de produits chinois. Dans les deux cas, en forçant un peu le trait, on peut dire qu’a émergé une société polarisée entre une plèbe économiquement inutile et une ploutocratie prédatrice. La voie d’une longue décadence était désormais tracée et, malgré quelques sursauts, inéluctable. »
NDLR : la « plèbe économiquement inutile », c’est nous, c’est les mangeurs inutiles que Davos veut exterminer. Mais continuons :
« Enfin, différence fondamentale : le Bas-Empire a vu l’établissement du christianisme. Or, l’une des caractéristiques essentielles de notre époque est la disparition complète du substrat chrétien, un phénomène historique crucial qui, justement, explique la pulvérisation des classes dirigeantes américaines. »
Ici petit désaccord : le christianisme du début détraqua l’empire ; Escobar a écrit de très bonnes lignes dessus. Il fonctionna comme un wokisme (femmes, esclaves, rebelles, nihilistes, voyez Nietzsche) et accompagna l’effondrement technique à cette époque (lisez un extraordinaire texte de Bill Bonner sur ce sujet).
Citons Escobar : « Le tissu urbain même de Rome a été détruit : les rituels, le sens de la communauté, le chant et la danse. Rappelez-vous que les gens baissent encore la voix en entrant dans une église.
Pendant des siècles, nous n’avons pas entendu les voix des dépossédés. Une exception flagrante se trouve dans un texte du début du VIe siècle d’un philosophe athénien, cité par Ramsay MacMullen dans « Chrétienté et Paganisme du IVe au VIIIe siècle ».
Le philosophe grec écrit que les chrétiens sont « une race dissoute dans toutes les passions, détruite par une auto-indulgence contrôlée, rampante et féminine dans sa pensée, proche de la lâcheté, se vautrant dans toutes les bassesses, avilie, se contentant de la servitude dans la sécurité ».
Si cela ressemble à une proto-définition de la culture de l’annulation occidentale du XXIe siècle, c’est parce que c’est le cas. »
Sans rancune, Bergoglio ? Et notre culture de la Croisade et du migrant à recueillir alors ?
Bill Bonner lui précise :
« Durant une période de 300 ans environ, la taille de pierre a disparu d’Angleterre. Pendant la période romaine, on trouvait des milliers d’artisans expérimentés qui savaient extraire la pierre… brûler de la chaux pour faire du mortier… mais aussi tailler et assembler les pierres pour faire d’élégantes villas.
Ils savaient comment construire une maison pavée de mosaïques, avec chauffage au sol – et un toit de tuiles d’argile.
Au VIème siècle, ils avaient oublié. Au VIIème siècle, on ne trouvait peut-être pas une seule personne, en Bretagne anglaise, qui sache comment faire du mortier de chaux – ou tourner un pot.
Il n’y avait plus d’importations de la Méditerranée – vin, huile d’olives, vaisselle, bijoux, épices, blé. Il n’y avait plus non plus de marché où les acheter… ni d’argent pour cela. La seule monnaie encore en circulation avait été frappée avant l’effondrement de l’empire romain. »
On se dirige, on retourne plutôt à cette société occidentale dite des âges sombres : celle condamnée où personne ne sait plus rien faire !
J’avais écrit ici un texte sur Todd et le micro-théâtre militaire US. Il insiste sur sa non-portée :
« Pour revenir à notre tentative de classification, je serais tenté de parler, concernant les États-Unis et leurs dépendances, d’État post-impérial : si l’Amérique conserve la machinerie militaire de l’empire, elle n’a plus en son cœur une culture porteuse d’intelligence et c’est pourquoi elle se livre en pratique à des actions irréfléchies et contradictoires telles qu’une expansion diplomatique et militaire accentuée dans une phase de contraction massive de sa base industrielle – sachant que « guerre moderne sans industrie » est un oxymore. »
C’est surtout une absurdité. Rappelons que cette guerre occidentale se fait aussi sans soldats. Ma femme qui est ukrainienne me dit que ce serait aux soldats ukrainiens de former les cadres incapables de l’Otan, pas l’inverse.
Mais restons dans ce cadre moral effondré (qui a duré jusqu’aux années soixante, voyez toujours cette ère du cool de Thomas Frank):
« Ce principe s’applique ici à plusieurs champs essentiels: à la séquence « stade national, puis impérial puis post-impérial » ; à l’extinction religieuse, qui a fini par entraîner la disparition de la moralité sociale et du sentiment collectif ; à un processus d’expansion géographique centrifuge se combinant à une désintégration du cœur originel du système. »
Todd retombe sans le vouloir ou le savoir sur Nietzsche ensuite :
« Ce que j’appellerai l’« état religieux zéro » va produire, dans certains cas, les pires, une déification du vide.
J’utiliserai le mot « nihilisme » dans une acception qui n’est pas forcément la plus commune, et qui rappellera plutôt – et ce n’est pas un hasard – le nihilisme russe du XIXe siècle. »
Problème alors : on échappe au raisonnable et à la réalité : « le nihilisme tend alors irrésistiblement à détruire la notion même de vérité, à interdire toute description raisonnable du monde. »
Problème : mais n’était-ce déjà pas le cas avec Hegel (que j’ai toujours considéré comme un mauvais moment philo à passer) et le marxisme-léninisme du siècle passé ?
Todd ajoute sur ce désarmement ontologique :
« L’état zombie n’est pas la fin du voyage. Les mœurs et les valeurs héritées du religieux s’étiolent ou explosent, et disparaissent enfin ; et alors, mais alors seulement, apparaît ce que nous sommes en train de vivre, le vide religieux absolu, avec des individus privés de toute croyance collective de substitution. Un état zéro de la religion. C’est à ce moment-là que l’État-nation se désintègre et que la globalisation triomphe, dans des sociétés atomisées où l’on ne peut même plus concevoir que l’Etat puisse agir efficacement.
On peut donc définir les années 2000 comme les années de la disparition effective du christianisme en Occident, d’une façon précise et absolue. On relève aussi une convergence dans le néant des catholiques et des protestants. L’Europe de l’Est n’est pas concernée et l’Italie, Vatican oblige, ne dispose toujours que de l’union civile. »
On en revient au vide, au zombi, à l’objectif nul – ici on se rapproche de Baudrillard. Il ne reste que du simulacre (et encore…). Todd écrit très justement :
« L’individu ne peut être grand que dans une communauté et par elle. Seul, il est voué par nature à rétrécir. »
Si ma mémoire est bonne c’est ce qu’écrivait J. F. Lyotard dans sa scolaire et ennuyeuse Condition postmoderne : « chacun est ramené à soi ; et chacun sait que ce soi est peu ». Entre le code QR et le bulletin de vote anti-RN le froncé de souche aime rappeler que son soi est peu…
Mais venons-en à la bonne vieille dématérialisation. La clé de tout c’est ça : comment un pays déglingué et dégénéré (la Russie donc), qui a le PNB de l’Espagne ou de Monaco peut-il résister à l’Amérique et à ses dominions ?
« À la veille de l’invasion de l’Ukraine, je le rappelle, la Russie, en incluant la Biélorussie, ne pesait que 3,3 % du PIB de l’Occident. Comment ces 3,3 % ont-ils pu tenir et produire plus d’armement que l’adversaire ? Pourquoi les missiles russes, dont on attendait la disparition par épuisement des stocks, continuent-ils de tomber sur l’Ukraine et son armée ? Comment une production massive de drones militaires a-t-elle pu se développer depuis le début de la guerre, après que les militaires russes eurent constaté leur carence dans ce domaine ? »
Après notre statisticien-démographe arrive avec des données qui font mal : notre nullité ontologique en matière de science dure et d’ingénierie pas sociale (on préfère étudier l’écologie, les droits de la femme...).
« Or, ce qui distingue fondamentalement l’économie russe de l’économie américaine, c’est, parmi les personnes qui font des études supérieures, la proportion bien plus importante de celles qui choisissent de suivre des études d’ingénieur : vers 2020, 23,4% contre 7,2% aux États-Unis.
Aux États-Unis, 7,2% de 40% de 46,8 millions de personnes donnent 1,35 million d’ingénieurs. En Russie, 23,4 % de 40 % de 21,5 millions en donnent 2 millions. Malgré la disproportion des populations, la Russie parvient à former nettement plus d’ingénieurs que les États-Unis. »
Mais les Russes ne sont pas tout-puissants. Je parlais de la résistance ukrainienne, à qui Todd rend un bel hommage. Il écrit même (en se riant des fuyards US) :
« Les Américains eux-mêmes furent surpris par la résistance de l’Ukraine. Occupés à en rééquiper et réorganiser l’armée, ils avaient annoncé que l’invasion russe était imminente, puis détalèrent comme des lapins, entraînés sans doute par leur expérience de Kaboul dans l’art de l’évacuation. »
L’œuvre de dématérialisation vient aussi de l’instruction, de la féminisation et de la politisation. Gustave Le Bon en a très bien parlé dans sa Psychologie du socialisme, et Tocqueville dans son Ancien régime (« la France nation abstraite et littéraire »).
Le pire vient de la presse (déjà Kraus, Nietzsche ou Bernanos…) :
« Notre presse donne parfois l’impression que la destruction de l’économie de la France, plus encore que celle de la Russie, est son objectif. On pense à un enfant qui, fou de rage, casse ses propres jouets ; et l’expression de « nihilisme économique » vient à l’esprit. »
Trop d’éducation a tué l’éducation ; Todd remarque aussi tel un sage taoïste (ils savaient tout, ces chinois !) :
« C’est le grand paradoxe de cette séquence historique et sociologique : le progrès éducatif y a occasionné, à terme, une régression éducative, parce qu’il a provoqué la disparition des valeurs favorables à l’éducation. »
Lui parle des années soixante, mais Gustave Le Bon (Psychologie du socialisme) ou Taine (toujours lui…) observent le même phénomène au XIXème siècle : l’école et l’université fabriquent du militant, de l’intello, de l’inadapté (voir Maupassant) et de la nihiliste-écolo-féministe (plein de Sandrine Rousseau…) ; et si comme d’habitude Molière avait tout vu et/ou prévu : le sot savant qui est plus sot qu’un sot ignorant, le Trissotin, la femme savante (elle dit faire la chasse aux mots et les censurer !), le vieillard industriellement fabriqué, l’hypocrite, le tyran (tirade Don Juan), le bigot bourgeois, le Tartufe, le faux médecin et le faux malade ?
D’où vient ce qui reste de la puissance US alors ?
C’est simple et génial : de sa victoire à l’Amérique contre la… Suisse. Todd explique :
« Il est clair que, du point de vue américain, briser la Suisse était essentiel pour tenir les oligarchies européennes. Si 60 % de l’argent des riches Européens (proportion donnée par Zucman) fructifient sous l’œil bienveillant d’autorités supérieures situées aux États-Unis, on peut considérer que les classes supérieures européennes ont perdu leur autonomie mentale et stratégique. Mais le pire, leur surveillance par la NSA, restait à venir. Je ne pense pas que les riches qui ont commencé à déposer leur argent dans les paradis fiscaux anglo-saxons aient compris tout de suite qu’ils se plaçaient sous l’œil et le contrôle des autorités américaines. »
Ce livre est énorme et on pourrait composer un recueil dessus. Je vous conseille de le lire de temps à autre, par paquets comme on dit. Tiens, sur la fragilité juive par exemple :
« Un article saisissant du magazine en ligne Tablet (un magazine juif) montre à quel point la tendance actuelle est aujourd’hui à l’effacement de la centralité des Juifs aux États-Unis. Le titre de l’article, «The Vanishing », daté du 1er mars 2023 et signé Jacob Savage, est plutôt catastrophiste. L’auteur constate que « dans le monde universitaire, à Hollywood, à Washington et même à New York, partout où les Juifs américains avaient réussi à s’imposer, leur influence est en net recul ».
Et dans le chapitre hilarant sur l’Angleterre (croule Britannia), Todd remarque les britanniques de souche comme on dit sont devenus trop abrutis pour devenir ingénieurs ou docteurs, se condamnant à une domination indo-pakistanaise. Remarquez, on a Kamala machin et Mrs Vance aux affaires aux US…
Quelques références :
https://reseauinternational.net/comment-loccident-a-ete-v...
https://reseauinternational.net/le-meilleur-des-mondes-de...
https://nicolasbonnal.wordpress.com/2022/05/25/bill-bonne...
https://la-chronique-agora.com/irlande-maconnerie-chute-e...
https://www.dedefensa.org/article/gustave-le-bon-et-le-ch...
https://www.dedefensa.org/article/emmanuel-todd-et-le-mic...
https://www.dedefensa.org/article/emmanuel-todd-et-le-nar...
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jeudi, 04 juillet 2024
Les erreurs de la vision libérale-occidentale du Proche-Orient
Les erreurs de la vision libérale-occidentale du Proche-Orient
Filip Martens
L'échec de l'Islam et le succès de l'Occident
Pendant des siècles, l'Islam a été une grande culture, à la pointe de la science et de la technologie. Toutefois, à partir du XVIe siècle, cette culture a lentement commencé à se laisser distancer par l'Europe. Au XIXe siècle, l'ensemble du monde islamique s'est effondré en un rien de temps et est tombé aux mains de l'Europe impérialiste. Sur le plan militaire, les musulmans ont été vaincus à maintes reprises et même l'Empire ottoman, autrefois puissant, a été contraint de signer des traités de paix dictés par l'Europe. En outre, les économies libérales occidentales se sont avérées bien plus puissantes que celles du monde islamique. Sur le plan politique également, le Proche-Orient ne comptait plus. Le monde islamique s'est alors interrogé sur ce qui n'allait pas.
Le déplacement vers l'Atlantique des échanges commerciaux et intellectuels pluriséculaires entre l'Europe et le Proche-Orient signifiait le déclin du Proche-Orient. La découverte de l'Amérique en 1492 a modifié les routes commerciales pluriséculaires: elles ne passaient plus par le Proche-Orient. L'Europe commerçait désormais avec l'Afrique (esclaves) et avec ses colonies asiatiques et américaines. Parallèlement, l'Europe développe des armes plus performantes et le capitalisme naissant stimule le colonialisme en mobilisant d'importants capitaux. Jusqu'à la fin du XVIe siècle, le Proche-Orient continue de fournir des textiles à l'Europe.
L'histoire moderne du Proche-Orient commence en 1798 avec l'invasion de l'Égypte et de la Palestine par le général Napoléon Bonaparte. À cette époque, le processus de défaite et de recul de l'Islam avait déjà commencé dans les Balkans et en Europe de l'Est. L'invasion française a enseigné au monde islamique qu'une puissance européenne pouvait entrer et faire ce qu'elle voulait en toute impunité. Même le départ des troupes françaises n'a pas été provoqué par les Égyptiens ou les Ottomans, mais par la flotte britannique du vice-amiral Horatio Nelson, ce qui a permis de tirer une deuxième leçon: seule une autre puissance européenne peut faire repartir une puissance européenne envahissante.
Ainsi, à partir du XVIIIe siècle, l'Empire ottoman s'est affaibli et l'Europe a commencé à y construire sa sphère d'influence. Les différentes religions de l'Empire ottoman formaient chacune un "millet", de sorte que chaque croyance jouissait d'une autonomie sur le plan religieux, ce qui facilitait l'infiltration européenne. Cela a effectivement facilité l'infiltration européenne. Les "capitulations" ont notamment joué un rôle très important. Il s'agissait de traités entre l'Empire ottoman et des pays occidentaux amis, en vertu desquels les sujets de l'État occidental en question n'étaient pas soumis au droit pénal ottoman, mais étaient jugés selon le droit de leur propre pays. Le traité le plus connu est celui conclu entre la France et l'Empire ottoman en 1536, qui s'est transformé en 1740 en une combinaison de pacte de non-agression, de traité commercial et de privilèges étendus pour les sujets français dans l'ensemble de l'Empire ottoman. Cette capitulation ayant acquis en 1740 une validité perpétuelle, la France a pu s'en prévaloir au XIXe siècle pour s'immiscer dans les affaires de l'Empire ottoman affaibli.
Après avoir examiné l'échec islamique et le succès occidental, des réformes ont été lancées: modernisation de l'armée (méthodes, armes et entraînement occidentaux), industrialisation de l'économie et adoption du système politique occidental. Mais en vain. Tout au long du XIXe siècle, l'Empire ottoman tente de faire face à l'impérialisme croissant de l'Europe libérale et industrielle. Néanmoins, de nombreux territoires ottomans d'Afrique du Nord et d'Asie du Sud-Ouest sont devenus des colonies ou des zones d'influence européennes. Plusieurs réformes des structures impériales ottomanes ont donc eu lieu pour mieux défendre l'empire contre la domination étrangère. Si ces réformes ont profondément réformé le système judiciaire, l'armée et l'administration vers le début du XXe siècle, elles ont également entraîné une présence économique et culturelle européenne croissante et l'émergence de mouvements nationalistes naissants parmi de nombreux peuples de l'Empire ottoman, par exemple les Arméniens, les Arabes et les chrétiens maronites dans les montagnes libanaises. Le monde islamique a donc été non seulement dépassé par l'Europe au cours des trois derniers siècles, mais aussi dominé et colonisé par elle.
Par ailleurs, le débat sur l'"ijtihad" dans le monde islamique dure depuis trois siècles et ne cesse de fournir de nouvelles explications. Ijtihad" signifie raison, mais ce terme fait surtout référence aux divers mouvements qui ont émergé et exigé des changements depuis la fin du XVIIIe siècle. Ces mouvements étaient primo le wahhabisme réformiste et le salafisme conservateur ; secundo le modernisme islamique de Jamal ad-Din al-Afghani et Mohammed Abdu ; et tertio les combinaisons que Rashid Rida et Hassan al-Banna en ont fait.
Le choc des définitions
Le livre de Samuel Huntington "Le choc des civilisations" [1], publié en 1993, annonçait une politique mondiale totalement nouvelle, mais il s'agit d'un mythe. Huntington affirmait que, jusqu'alors, la guerre était menée entre des idéologies et que les conflits internationaux auraient désormais une cause culturelle. Ces "civilisations qui s'affrontent" - c'est-à-dire les civilisations occidentales contre les civilisations non occidentales - domineraient désormais la politique internationale. Il capitalisait ainsi sur l'idée d'un "nouvel ordre mondial" lancée par le président Bush père et sur le changement de millénaire qui était imminent.
La thèse de Huntington est une version recyclée de la thèse de la guerre froide selon laquelle les conflits sont idéologiques: pour lui, après tout, tout tourne autour de l'idéologie libérale occidentale contre les autres idéologies. En d'autres termes, la guerre froide s'est simplement poursuivie, mais sur de nouveaux fronts (Islam et Proche-Orient). Selon Huntington, l'Occident doit adopter une position interventionniste et agressive à l'égard des civilisations non occidentales pour éviter la domination de celles-ci sur l'Occident. Il voulait donc poursuivre la guerre froide par d'autres moyens au lieu d'essayer de comprendre la politique mondiale ou de réconcilier les cultures. Ce langage belliqueux apporte de l'eau au moulin du Pentagone et du complexe militaro-industriel américain.
Cependant, Huntington ne s'intéressait pas à l'histoire des cultures et était également très mal inspiré. En effet, nombre de ses arguments proviennent de sources indirectes: il n'a donc pas analysé correctement le fonctionnement des cultures, s'appuyant principalement sur des journalistes et des démagogues plutôt que sur des scientifiques et des théoriciens. Il a même emprunté le titre de son livre à l'article de Bernard Lewis "The Roots of Muslim Rage" [2]: un milliard de musulmans seraient furieux contre notre modernité occidentale, mais cette idée d'un milliard de musulmans pensant tous la même chose face à un Occident homogène est simpliste. Huntington reprend ainsi à Lewis l'idée que les cultures sont homogènes et monolithiques, ainsi que la différence immuable entre "nous" et "eux".
L'Occident serait également supérieur à toutes les autres cultures, et l'Islam serait anti-occidental par définition: cependant, le fait que les Arabes aient exploré de grandes parties du monde (Europe, Asie du Sud, Afrique de l'Est) bien avant Marco Polo et Christophe Colomb n'avait pas d'importance pour lui. Huntington pensait également que toutes les cultures (Chine, Japon, monde slave orthodoxe, Islam, ...) étaient ennemies les unes des autres et, de plus, il voulait gérer ces conflits en tant que gestionnaire de crise plutôt que de les résoudre. On peut ici s'interroger sur le bien-fondé de peindre une image aussi simpliste du monde et de faire agir les généraux et les hommes politiques sur cette base. Après tout, cela mobilise la guerre raciale et culturelle. En fait, nous devons nous demander pourquoi quiconque souhaite augmenter la probabilité d'un conflit !
Des abstractions grotesques, vagues et manipulables telles que "l'Occident", "l'Islam", "la culture slave", ... sont omniprésentes aujourd'hui et imprègnent des idéologies racistes et provocatrices bien pires que celles de l'impérialisme européen de la seconde moitié du 19ème siècle. Les puissances impérialistes inventent ainsi leurs propres théories culturelles pour justifier leur expansionnisme, comme la Destinée Manifeste des États-Unis ou le "Choc des civilisations" de Huntington. Ces théories sont basées sur les luttes et les chocs entre les cultures. De tels mouvements existent également en Afrique et en Asie, comme l'islamo-centrisme, le sionisme israélien, l'ancien régime d'apartheid sud-africain, ...
Dans chaque culture, les dirigeants politiques et culturels définissent ce que "leur" culture signifie, ce qui devrait être qualifié de "choc des définitions" plutôt que de "choc des civilisations". Cette culture officielle parle au nom de l'ensemble de la communauté. Cependant, dans chaque culture, il existe des formes de culture alternatives, hétérodoxes et non officielles qui remettent en question la culture officielle orthodoxe. Le "choc des civilisations" de Huntington ne tient pas compte de cette contre-culture des ouvriers, des paysans, des bohèmes, des marginaux, des pauvres, ... Pourtant, aucune culture ne peut être comprise sans tenir compte de cette remise en question de la culture officielle, car ce faisant, on passe à côté de ce qui est vital et fructueux dans cette culture ! Ainsi, selon l'historien Arthur Schlesinger [3], l'histoire américaine des grands politiciens et des grands éleveurs devrait être réécrite pour inclure les esclaves, les serviteurs, les immigrants et les travailleurs, dont les histoires sont réduites au silence par Washington, les banques d'investissement de New York, les universités de la Nouvelle-Angleterre et les magnats de l'industrie du Midwest. En effet, ces groupes prétendent représenter le discours des groupes réduits au silence.
Un débat culturel similaire existe également dans l'Islam, et c'est précisément cela que Huntington n'a pas su reconnaître. Il n'existe pas de culture unique et définie. Après tout, chaque culture est constituée de groupes en interaction et chaque culture est également influencée par d'autres cultures.
La souffrance du monde islamique
Les musulmans considèrent la disparition de l'Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale comme l'humiliation suprême. Pourtant, la chute avait commencé quatre siècles auparavant par un processus lent et douloureux (cf. supra). La Turquie, pays central, a surmonté cette épreuve lorsque le soulèvement de Mustafa Kemal (Atatürk) en Anatolie centrale a chassé les occupants alliés, mais il ne s'agissait pas d'une victoire islamique, mais d'une nouvelle défaite islamique. Après tout, Mustafa Kemal était un laïc et il a aboli le sultanat et le califat. La disparition du califat en particulier a été un désastre car elle a détruit l'unité religieuse dans la partie sunnite du monde islamique. Tout le monde au Proche-Orient s'en rend bien compte !
Aujourd'hui, l'ancien empire ottoman est divisé en États-nations créés artificiellement par la France et la Grande-Bretagne. Cependant, les musulmans ne se considèrent pas en termes nationaux et régionaux, mais plutôt en termes d'identité religieuse et d'allégeance politique.
Le prophète Mahomet est né à La Mecque et a fondé l'islam à Médine, d'où il a également conquis La Mecque. Les non-musulmans ne sont pas autorisés à pénétrer dans ces deux villes saintes, ainsi que dans l'ensemble du Hedjaz [4], afin de ne pas déshonorer le prophète. Selon certains, cette interdiction s'applique même à toute l'Arabie. C'est pourquoi la présence de troupes américaines (mais pas dans le Hedjaz) sur le golfe Persique est si problématique pour les musulmans. De plus, ces troupes ont attaqué l'Irak dès la genèse de l'islam, qui a été le siège du califat pendant un demi-millénaire - également la période la plus glorieuse de l'histoire de l'islam. Or, c'est précisément pour ces raisons que les Britanniques n'ont jamais pénétré à l'intérieur de l'Arabie, mais se sont cantonnés à sa périphérie (Koweït, Bahreïn, Qatar, Émirats arabes unis, Oman, Aden).
Les tromperies de l'orientalisme
L'orientaliste juif britannico-américain Bernard Lewis a affirmé que le monde islamique était de plus en plus hostile aux États-Unis depuis 1990 [5]. Bien que Lewis ait pris sa retraite en 1986, il est resté influent jusqu'à ce qu'il soit TRÈS influent ! La Maison Blanche et les deux partis politiques américains ont sollicité son avis sur le Proche-Orient, ce qui signifie qu'il a exercé une énorme influence sur la politique étrangère des États-Unis.
Bernard Lewis voyait une bataille entre "l'Islam" et "l'Occident" qui durait depuis treize siècles (croisades, djihad, Reconquista, ...), l'un l'emportant de temps en temps sur l'autre. Après l'implosion de l'URSS en 1991, il restait selon lui un ennemi majeur pour l'Islam: les Etats-Unis. Ce faisant, il a même brandi de grands mots comme "la survie de notre civilisation". Depuis que les États-Unis ont occupé militairement certaines parties du Proche-Orient, la résistance s'est accrue. Par exemple, la défense irakienne contre les États-Unis en 2003-2011 a permis d'éviter la domination américaine sur l'Irak.
Lewis a également affirmé que la politique occidentale à l'égard du Proche-Orient n'avait pas été pas bonne jusqu'alors. Son conseil à l'administration américaine était le suivant : soyez fermes ou sortez ! Par "durcir le ton", il entendait poursuivre le "bon" travail entamé en Afghanistan et donc multiplier les attaques contre des pays et des groupes prétendument "terroristes". Par "sortir", il entendait trouver un substitut au pétrole pour que le Proche-Orient ne soit plus important.
La théorie simpliste de Bernard Lewis sur le "choc des civilisations" remonte à l'orientalisme. Ce que l'Occident libéral définit aujourd'hui comme l'"Islam" en vertu de la théorie du "choc des civilisations" a été défini par l'orientalisme. Il s'agit d'une construction artificielle visant à susciter l'hostilité à l'égard d'un continent qui intéresse les États-Unis en raison de son pétrole et de sa concurrence avec l'Occident. L'orientalisme offre à l'Occident une certaine image du Proche-Orient, ce qui amène les Occidentaux à penser qu'ils savent comment les gens se comportent là-bas et quel genre de personnes y vivent. Par conséquent, ils commencent à considérer ces personnes à partir de cette "connaissance" qu'ils croient avoir d'elles. L'orientalisme n'offre cependant pas une connaissance innocente ou objective du Proche-Orient, mais reflète certains intérêts.
Le choc de l'ignorance
Les médias apparemment indépendants d'une société libérale sont contrôlés par des intérêts commerciaux et politiques: il n'y a pas de journalisme d'investigation, seulement la répétition de la position du gouvernement et des personnes les plus influentes au sein du gouvernement. Ils utilisent l'islam comme un paratonnerre extérieur pour dissimuler les graves problèmes sociaux, économiques et financiers des sociétés occidentales. Parce que les médias peuvent si facilement attirer l'attention sur un aspect négatif de l'islam, il était également très facile, à la fin de la guerre froide, de créer un nouvel ennemi étranger et de continuer à légitimer l'existence de l'énorme armée américaine.
Les Américains ne connaissent pas grand-chose à l'histoire, même ceux d'entre eux qui sont très instruits. Ils ne peuvent donc ni capter ni comprendre les références historiques. Par exemple, lorsque Oussama Ben Laden a parlé du "désastre d'il y a quatre-vingts ans", tout le monde au Proche-Orient savait qu'il parlait de la chute de l'Empire ottoman. Les Américains, en revanche, n'avaient aucune idée de ce dont parlait Ben Laden. En outre, il est très difficile de trouver de la littérature favorable à l'islam aux États-Unis, car l'islam est considéré comme une menace pour la nation juive et protestante que sont les États-Unis.
Le "Choc de l'ignorance" [6] d'Edward Saïd a réfuté les affirmations de Lewis: chaque pays du Proche-Orient a sa propre histoire et sa propre interprétation de l'islam. En outre, il faut comprendre le Proche-Orient non pas comme des pays séparés, mais à travers la dynamique qui existe entre eux. Le "choc des ignorances" de Saïd a montré que l'orientalisme de Lewis généralise de manière simpliste l'"islam": après tout, il existe de multiples types d'islam ! Néanmoins, le "choc des civilisations" de Lewis domine la politique étrangère des États-Unis au Proche-Orient. Cependant, cette vision libérale-occidentale de l'"Islam" est totalement différente de la façon dont les musulmans perçoivent l'Islam ! Par exemple, il y a un monde de différence entre l'Islam en Algérie, en Afrique de l'Est et en Indonésie ! Il est donc extrêmement imprudent de considérer cet ensemble disparate comme une seule entité islamique, irrationnelle, terroriste et fondamentaliste. Selon Edward Saïd, une culture exclusive est impossible: nous devons donc nous demander si nous voulons nous efforcer de séparer les cultures ou de les faire coexister.
Épilogue
La version de Huntington du "choc des civilisations" de Lewis a d'abord été publiée sous la forme d'un article de magazine dans Foreign Affairs, parce qu'elle pouvait ainsi influencer les décideurs politiques : après tout, ce discours a permis aux États-Unis de poursuivre le schéma de pensée de la guerre froide. Mais il est bien plus utile d'adopter une nouvelle mentalité, consciente des dangers qui menacent actuellement l'ensemble de l'humanité: pauvreté croissante, haine ethnique et religieuse (Bosnie, Congo, Kosovo, Nagorno-Karabakh, Ukraine, ...), analphabétisme croissant et nouvel analphabétisme (en ce qui concerne les communications électroniques, la télévision et l'internet).
L'histoire devrait être dénationalisée et montrer clairement que nous vivons dans un monde très complexe et mélangé, dans lequel les cultures ne peuvent pas être simplement séparées: l'histoire devrait être enseignée comme un échange entre les cultures, en montrant clairement que les conflits sont inutiles et ne font qu'isoler les gens. Or, aujourd'hui, l'enseignement de l'histoire en Occident continue d'enseigner que l'Occident est le centre du monde.
Les différences entre les cultures doivent également subsister : il n'est pas bon de vouloir effacer les cultures ou de vouloir que les cultures s'affrontent. Nous devrions nous efforcer de faire coexister des cultures, des langues et des traditions différentes et donc de préserver ces différences plutôt que de viser une culture mondiale unique ou - comme Huntington et Lewis l'ont fait - la guerre.
L'idée orientaliste erronée du "choc des civilisations" doit être combattue en révélant ce qui la sous-tend réellement, en en débattant, par l'éducation et en faisant prendre conscience aux intellectuels américains et européens de l'impact énorme des interventions étrangères de l'Occident sur les autres cultures.
Notes:
[1 ] HUNTINGTON (Samuel), Colliding Civilisations, Anvers, Icarus, 1997, pp. 412.
[2] LEWIS (Bernard), The Roots of Muslim Rage, in : The Atlantic Monthly, 1990.
[3] SCHLESINGER (Arthur), The Disuniting of America, New York, Norton, 1992, pp. 160.
[4] Le Hedjaz est une région située à l'ouest de l'Arabie, qui comprend les villes saintes islamiques de La Mecque et de Médine.
[5] LEWIS (Bernard), What went wrong ? Western Impact and Middle Eastern Response, Oxford, Oxford University Press, 2002, pp. VII + 180.
[6] SAÏD (Edward), Orientalism, Londres, Penguin, 2003, pp. 396.
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samedi, 22 juin 2024
L'Occident collectif explique au Sud global comment faire de la politique étrangère. Sans succès
L'Occident collectif explique au Sud global comment faire de la politique étrangère. Sans succès
Enrico Toselli
Source: https://electomagazine.it/loccidente-collettivo-ordina-al-sud-globale-come-fare-politica-estera-senza-successo/
On regarde l'équipe gouvernementale de Giorgia Meloni et on se dit, inévitablement, que Lady Garbatella (= G. Meloni) a été la dernière, mais vraiment la dernière, à choisir les familiers dont elle allait s'entourer. Puis les membres de la bande de Zelensky arrivent et nous sommes rassurés: il n'y aura pas de limite au pire, mais à Kiev, ils s'en approchent. Sauf que, par comparaison, Lollo est un homme d'État. Car, à l'occasion de la visite de Poutine en Corée du Nord, une invitation a été lancée par la clique ukrainienne à Kim Jong-un : arrêtez Poutine et, en échange, nous vous remettrons sur la liste des humains fréquentables.
Il est déjà risible qu'un politicien ordinaire, issu d'un État qui vit des largesses de l'Occident, ose s'adresser à un chef d'État comme s'ils étaient des copains de bowling. Et qu'ensuite, au nom de l'ONU et de la communauté internationale, il dicte les conditions de la réintégration ou non de Kim Jong-un dans la communauté mondiale. Il n'est d'ailleurs pas le seul génie à avoir tout compris. Carla del Ponte, l'ancienne procureure du tribunal de La Haye, connue pour ses accusations unilatérales, a assuré qu'il suffirait à Poutine de sortir de Russie pour se retrouver en prison aux Pays-Bas.
Le président russe s'est rendu en Corée, au Viêt Nam, en Chine et, dans les semaines à venir, il ira à Astana, au Kazakhstan, où il devrait rencontrer Erdogan pour discuter de questions économiques et politiques.
Bien entendu, Kim Jong-un n'a même pas répondu à l'idiotie de Kiev. Et personne n'a prêté attention aux menaces de Mme Del Ponte. Tout comme personne ne prête attention au Menzognero qui publie des titres sur le désastre russe, l'abandon de la Crimée, les succès militaires ukrainiens. Quelqu'un se souvient peut-être des merveilleux articles de journalistes italiens sur les soldats russes contraints de se battre avec des pelles parce qu'ils n'avaient plus de munitions. Ou sur l'épuisement des missiles qui auraient permis, il y a deux ans, trois jours seulement d'attaques russes.
De toute évidence, c'est ainsi qu'ils s'amusent dans les salles de rédaction. Comme lorsqu'ils ont rapporté que Giorgia Meloni avait ordonné à Haftar de chasser les Russes de Cyrénaïque. En échange de quelques colliers et de quelques miroirs. Ah, avait-elle vraiment dit cela ? C'est sans doute pour cela que des navires militaires russes sont arrivés en Cyrénaïque ces jours-ci. Pour que l'on comprenne bien qui compte vraiment en politique internationale.
20:47 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, sud global, occident | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 17 juin 2024
Un ordre fondé sur des règles sans règles
Un ordre fondé sur des règles sans règles
par Markku Siira
Source: https://markkusiira.com/2024/06/05/saantopohjainen-jarjestys-vailla-saantoja/
La Chambre des représentants des États-Unis a approuvé un projet de loi qui imposerait des sanctions, ayant force de loi, à la CPI, la Cour pénale internationale, qui a osé demander des mandats d'arrêt contre des criminels de guerre émanant du régime israélien.
Dans le passé, le procureur de la CPI, Karim Khan (photo), a reçu des menaces de mort alors qu'il poursuivait Israël. Un "haut dirigeant" lui a même expliqué que le tribunal de La Haye était "conçu pour l'Afrique et les voyous comme Poutine" et qu'il n'avait jamais été censé juger "l'Occident et ses alliés".
Cette attitude révèle que le "droit international" n'existe pas pour tous, mais qu'il a toujours été un ensemble arbitraire de belles phrases conçues pour soutenir le pouvoir des États et des entreprises occidentaux dans le système de l'après-Seconde Guerre mondiale.
Comme le dit l'historien Adam McConnell (photo), "les autorités américaines contestent aujourd'hui ouvertement et publiquement la légitimité de l'ordre international qu'elles ont elles-mêmes créé". L'Amérique de Biden a perdu la confiance du reste du monde et Israël sera un État paria malgré ses menaces.
"Malheureusement, les responsables américains ont oublié depuis longtemps que les intérêts et la sécurité des États-Unis nécessitent non seulement une armée forte, mais aussi la capacité de faire des compromis avec d'autres pour garantir la sécurité et la prospérité mondiales", observe M. McConnell.
Le "nouvel ordre mondial" que l'ancien président George H. W. Bush a proclamé en 1990 signifiait simplement que les États-Unis cherchaient à renforcer leur domination au détriment d'un ordre mondial plus équitable, en exploitant les institutions internationales à leurs propres fins.
Alors que les partisans du système atlantiste - comme Sauli Niinistö en Finlande - scandaient l'expression "ordre international fondé sur des règles", les actions des Américains eux-mêmes montraient clairement qu'"ils se considéraient comme la nouvelle Rome, le nouveau Léviathan [hobbésien], auquel aucune autre loi ne s'appliquait".
Les conséquences de cette attitude et de ce comportement ont été pour le moins désastreuses. Malgré leur jargon sur les règles et les valeurs, "les États-Unis ne se contentent pas de hausser les épaules devant la communauté internationale, ils fournissent les armes qui ont déjà tué plus de 35.000 civils à Gaza".
"Il appartient donc au reste du monde de réformer le régime actuel ou de construire un régime alternatif plus viable qui puisse apporter la paix et la prospérité à la plus grande partie possible de l'humanité", déclare l'universitaire McConnell, qui évalue l'état de dégradation de l'ordre dirigé par l'Occident.
20:45 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cpi, cour pénale internationale, droit, occident, règles | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 15 juin 2024
Les valeurs occidentales de la "société de consommation" face à l'hystérie guerrière
Les valeurs occidentales de la "société de consommation" face à l'hystérie guerrière
Peter Dmitriev
Source: https://geoestrategia.es/noticia/42913/politica/valores-occidentales-de-la-sociedad-de-consumo-contra-la-histeria-belica.html
Les États du fameux Occident collectif entretiennent depuis longtemps et délibérément une "société de consommation". Les impératifs axiologiques, les tendances de la mode et les "leaders d'opinion" ont été créés et formés à cette fin. Aujourd'hui, les élites occidentales démontrent une fois de plus leur incapacité à mobiliser dans leur intérêt ceux qui, semble-t-il, devraient être facilement contrôlés.
La guerre contre la Russie dans l'espace ukrainien a ouvert une boîte de Pandore. La menace d'une guerre nucléaire ne semble pas inquiéter les gouvernements occidentaux autant que la perspective d'un reformatage global vers un monde multipolaire. De nombreux penseurs et hommes politiques occidentaux parlent déjà de la fin de l'hégémonie occidentale et de l'instauration d'un nouvel ordre mondial multipolaire. Parmi eux, le Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui fait des déclarations similaires tous les mois.
"L'hégémonie occidentale est terminée, personne ne le conteste aujourd'hui, les données le confirment clairement. Un nouvel ordre mondial est en train de se former, la situation doit être constamment évaluée et analysée", a déclaré le dirigeant hongrois en mars.
En avril et en mai, il a continué à parler dans cet esprit. Les dirigeants de la Slovaquie et d'autres États que les États-Unis et la vieille Europe avaient récemment considérés comme des vassaux obéissants ont fait écho à ses propos.
Dans le même temps, l'Occident tente de surmonter l'aliénation politique de la population, que l'on appelle encore officiellement "citoyens". Dans le même temps, les élites occidentales ne veulent pas mettre fin à leur irresponsabilité et au confort qu'offre la "société de consommation".
En théorie, la guerre contre la Russie était censée unir le citoyen moyen de l'Occident collectif et l'encourager à s'engager dans diverses activités militaires. En fait, la guerre n'intéresse personne, sauf les élites et les entrepreneurs du complexe militaro-industriel qui les ont corrompues. Cela explique l'absence d'un afflux massif de personnes prêtes à se battre personnellement en Ukraine ou à donner des sommes importantes de leur revenu personnel à cette fin, ou encore à soutenir une telle orientation de leurs dirigeants, au moins en votant. C'est pourquoi, par exemple, aux États-Unis, depuis l'année dernière, Donald Trump est considéré comme le prochain président.
L'ancien nouveau président américain est connu pour sa promesse de mettre fin au conflit ukrainien en 24 heures et de se concentrer sur les problèmes intérieurs. L'afflux d'immigrants illégaux à la frontière mexicaine est l'un d'entre eux, et ce n'est pas le seul.
Biden préfère jeter de l'argent par les fenêtres. En outre, la dette nationale américaine astronomique est considérablement amplifiée par de nouveaux prêts destinés à aider le régime criminel de Zelensky, le régime à peine meilleur de Netanyahu et les vassaux taïwanais qui comptent sérieusement sur l'implication des États-Unis dans la guerre qu'ils entendent peut-être mener contre la République populaire de Chine.
Les citoyens américains et de nombreux intellectuels considèrent les échecs de l'administration Biden comme un mal nécessaire. Les États-Unis sont toujours officiellement leur pays, mais ils n'y décident de rien. Mais la question de savoir s'ils veulent vraiment décider est également controversée.
Les valeurs modernes de la société de consommation occidentale ont été inculquées avec succès depuis longtemps. Elles déterminent les priorités et les pratiques quotidiennes de l'Occidental moyen. Il se sent mal à l'aise d'en être séparé par une "guerre en Ukraine", une "menace chinoise" ou autre.
Cependant, des élites dirigeantes irresponsables exigent que le citoyen moyen abandonne ces mêmes valeurs. Par exemple, celle du bien-être matériel avec abondance d'objets de prestige et une consommation incontrôlée, atteignant des volumes gigantesques (selon les normes du reste du monde), d'un large éventail de biens et de services. Il est actuellement proposé aux masses de minimiser leur confort avec de nombreux services, de faire progresser l'individualisme habituel, de reconsidérer les points de vue sur la diversité et la tolérance envers presque tout (sauf l'antisémitisme et la russophilie), d'accepter la "discrimination positive" et la perspective de se détendre non pas dans des centres commerciaux et de divertissement ou dans des stations thermales paradisiaques, mais dans des endroits plus modestes et même plus dangereux. Mais pour quoi faire ?
L'économiste américain Thorstein Veblen, dans son célèbre ouvrage "The Theory of the Leisure Class : An Economic Study of Institutions" (en franç.: Théorie de la classe de loisir), est arrivé à la conclusion à la fin du siècle dernier: il n'y a pas de besoin. Au contraire, la "consommation ostentatoire" est exactement ce dont les grandes masses de la "société de consommation" ont besoin, et les élites sont obligées de créer les conditions nécessaires et de multiplier les opportunités.
Herbert Marcuse, dans son célèbre livre L'homme unidimensionnel (1964), a attiré l'attention sur les fausses valeurs de la "société de consommation", auxquelles sont sacrifiés l'esprit critique, les droits civiques et les libertés durement acquises. L'aliénation politique et le conformisme sont des phénomènes qui accompagnent l'hédonisme hypocrite.
Jean Baudrillard, Pierre Bourdieu et bien d'autres, qui n'étaient pas du tout des penseurs marxistes, ont travaillé dans ce même domaine problématique. Des marxistes (par exemple David Harvey) ont également contribué à la compréhension de ces problèmes naturels, différents chemins menant au même précipice. Chacun d'entre eux, d'une manière originale mais très claire, a mis en évidence la relation entre la "société de consommation" et la transformation des structures sociales, de la culture, des relations politiques et, en général, de tout ce qui fait la vie d'un Occidental ordinaire.
L'irresponsabilité de l'actuelle classe politique dans les sociétés occidentales est une conséquence directe du triomphe des valeurs de la "société de consommation". Bien sûr, les lobbyistes sont à blâmer. Mais ils ne font que leur travail, comme tout le monde, depuis longtemps et en toute légalité. Il est bien connu que les lobbyistes représentent les intérêts des grandes entreprises, nationales et transnationales.
Les grandes entreprises contrôlent les médias, grâce auxquels elles façonnent l'opinion publique et inculquent des goûts, principalement pour leurs produits, y compris les nouveaux. Par le biais des médias et des réseaux sociaux, elles exercent des pressions sur les hommes politiques, les concurrents et ceux qui interfèrent simplement dans la vente de biens et de services. Le citoyen moyen est captivé par les scandales, les intrigues et les enquêtes inspirées, ce qui l'oblige à détourner son attention des questions réellement sérieuses et urgentes.
Il semble que l'homme de la rue occidental n'ait pas grand-chose à redire à cette forme d'autogestion. Il ne s'attarde pas sur les pouvoirs réels d'une personne prétendument élue, sur les pouvoirs des services de renseignement, sur les questions de l'indépendance judiciaire et de l'élaboration des lois, sur l'érosion de la démocratie et son remplacement par le simulacre d'un nouveau totalitarisme. Tout cela est souvent interprété comme les termes d'un mythique "contrat social" dont le point clé est un niveau élevé de consommation.
Faut-il s'étonner qu'en Ukraine, où les valeurs occidentales se sont répandues bien avant Yanoukovytch, il y ait aujourd'hui peu de gens prêts à mourir pour Zelensky et le régime qu'il incarnait ? L'engouement pour les réfractaires n'est en aucun cas une spécificité ukrainienne. La Finlande et la Suède, l'Allemagne et d'autres pays de l'Occident collectif éprouvent également de grandes difficultés à pourvoir les postes vacants dans l'armée et au-delà.
La jeunesse occidentale moderne a des intérêts complètement différents, une vision différente d'elle-même dans le monde moderne et dans le monde de l'avenir en tant que tel. Les jeunes occidentaux modernes ont des intérêts complètement différents, une vision différente d'eux-mêmes dans le monde moderne et dans le monde de l'avenir en tant que tel.
La Russie aidera l'Occident à décliner un jour ou l'autre. Ce déclin ne sera peut-être pas aussi inconfortable que dans le cas de l'Empire romain, dont les citoyens étaient quelque peu fatigués d'assurer l'hédonisme de leurs élites avilies, qui avaient perdu ne serait-ce qu'un semblant de leur grandeur d'antan.
La troisième Rome paie aujourd'hui le prix fort dans une bataille mortelle pour un monde nouveau, juste et diversifié, dans lequel la Russie a sa place. L'Occident ne veut pas s'élever, il ne veut pas payer en renonçant aux valeurs de la "société de consommation". La fin est donc évidente, la seule question est celle du temps.
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jeudi, 06 juin 2024
Entretien avec le général Marco Bertolini
Entretien avec le général Marco Bertolini
Propos recueillis par Stefano Vernole
Entretien accordé au "Centre d'études Eurasie et Méditerranée"
Source: https://www.cese-m.eu/cesem/2024/05/intervista-al-generale-marco-bertolini/
- Bonjour, mon Général. La semaine s'est ouverte sur les réactions du gouvernement italien aux déclarations de Jens Stoltenberg ; le secrétaire général de l'OTAN a invité les alliés qui fournissent des armes à l'Ukraine à « envisager » de lever l'interdiction d'utiliser ces armes pour frapper des cibles militaires en Russie, parce que Kiev « a le droit de se défendre et cela inclut de frapper des cibles sur le territoire russe ». Nonobstant le fait qu'en réalité, l'Ukraine frappe déjà depuis deux ans des cibles sur le territoire de la Fédération de Russie (Belgorod en particulier) et pas seulement en Crimée, territoire contesté, pensez-vous que le gouvernement italien pourra résister à l'effet d'entraînement provoqué par les propos de Stoltenberg et d'autres dirigeants européens (Macron en particulier), même après les élections européennes ? Ne vous semble-t-il pas que la rhétorique atlantiste, jour après jour, cherche l'escalade et que le comportement antérieur de notre pays face aux pressions américaines ne rassure pas pleinement sur la possibilité de rester à l'écart d'une aggravation du conflit ?
« Tout d'abord, je pense que je dois admettre que Stoltenberg a exposé, certainement sans le vouloir, l'hypocrisie de l'Occident dans son ensemble. L'Occident, entendu comme ce conglomérat qui appartient à l'anglosphère en général et à l'OTAN et l'UE en particulier, est en guerre contre la Russie depuis deux ans. Il l'est par les termes insultants (boucher, criminel, dictateur, etc.) utilisés pour qualifier ce qui fut et reste le président élu et reconnu d'un pays avec lequel nous entretenons toujours des relations diplomatiques, par les démonstrations de haine « raciale » contre tout ce qui est russe (de la culture au sport, au point d'exclure les athlètes paralympiques des compétitions internationales), et bien sûr par le régime de sanctions qui non seulement affecte surtout nos économies, mais contredit aussi des décennies de relations commerciales entre l'Europe occidentale et l'Europe slave qui ont apporté prospérité et richesse aux uns et aux autres. Ainsi que la sécurité.
Mais tout au long de cette longue période, une hostilité sous-jacente a persisté, en particulier de la part de l'extrême Occident, qui ne pouvait digérer une soudure entre l'Europe et l'Asie via la Russie, qui menacerait de créer un énorme centre de pouvoir dans le « Heartland » de Mackinder, l'inventeur de la géopolitique. Et ce, au détriment des puissances insulaires, navales et anglo-saxonnes qui ont toujours considéré l'Europe comme une entité quelque peu étrangère, voire hostile. En tout cas, à contrôler.
Dans les mêmes années où Vladimir Poutine a été reçu dans nos chancelleries avec tous les honneurs, en effet, les actions n'ont pas manqué pour miner ce qui restait de la sphère d'influence russe emportée par l'effondrement soviétique. Quelques années après la chute du mur de Berlin, un autre, plus petit, était construit dans les Balkans pour isoler la petite Serbie et ghettoïser la Republika Srpska en Bosnie, encore plus petite, tandis que la quasi-totalité des pays autrefois alliés au sein du Pacte de Varsovie basculaient dans l'OTAN, voire une partie de l'ex-URSS elle-même (les pays baltes). Avec les printemps arabes, initiés, toujours par coïncidence, par le trio américain, britannique et français, avec l'attaque de la Libye et la destruction de la Syrie, l'allié historique de Moscou, le tableau était donc planté pour d'autres développements, qui se déroulent malheureusement aujourd'hui sous nos yeux.
Laissant de côté cette digression historique et revenant au sujet, l'hypocrisie de l'Occident a atteint son apogée avec la fourniture d'armes hautement sophistiquées à l'Ukraine, avec la clause à la Ponce Pilate d'interdire - au moins officiellement - leur utilisation contre le territoire russe. Une clause absurde et probablement impossible à respecter par ceux qui combattent un ennemi plus fort avec ces armes. Et par ceux qui perçoivent désormais clairement que leur propre survie politique, voire physique, dépend de l'issue d'une guerre qui semble désormais perdue sur le terrain ; à moins de tout remettre en jeu en élargissant le périmètre et en impliquant l'OTAN et l'Union européenne.
Dans ce « je voudrais bien, mais je ne peux pas », se cache en somme toute la duplicité occidentale mise à nu par Stoltenberg avec un « le roi est nu » qui embarrasse tout le monde. Et l'embarras est aussi motivé par le fait que, contrairement à Macron qui est le président élu de la France et qui, à ce titre, a tout à fait le droit de faire et de dire ce qu'il juge nécessaire dans l'intérêt de son propre pays, Stoltenberg n'est qu'un haut fonctionnaire nommé, dont les pouvoirs se limitent à rapporter et à coordonner les décisions prises à l'unanimité par les pays de l'OTAN, dont certains, comme on le sait, ne voient pas d'un bon œil la poursuite d'autres actes belliqueux.
Il n'en reste pas moins que je ne crois pas qu'il parle pour faire grincer des dents, et qu'il participe certainement, sans en avoir le droit, à une escalade de tons qui a commencé il y a au moins deux ans, pour préparer l'opinion publique et porter aux conséquences extrêmes une guerre qui, jusqu'à présent, voit la Russie avec un avantage considérable, au niveau tactico-opérationnel, au grand dam de ceux qui prévoyaient sa défaite définitive et son exclusion de l'Europe et de la mer Méditerranée.
En bref, nous en sommes arrivés aux conséquences prévisibles d'un plan d'action misérable par lequel l'Occident tout entier s'est plié aux décisions belliqueuses de Londres et de Washington dans l'illusion qu'il existait une différence suffisante de potentiel technologique, social, moral et motivationnel pour prendre le dessus sur Moscou.
Cela dit, c'est avec soulagement que de nombreux gouvernements, dont le nôtre, ont pris leurs distances avec les affirmations de Stoltenberg et de Macron ; mais je doute que cette attitude prudente tienne face à un accident nucléaire majeur à Energodar, par exemple, exposé aux tirs d'artillerie ukrainiens depuis deux ans alors que tout le monde semble l'avoir oublié, ou à un casus belli avec un fort impact médiatique et un appel aux armes conséquent pour la défense de la « démocratie » ukrainienne.
- Depuis le 17 avril, l'Ukraine a utilisé au moins 50 ATCMS pour attaquer diverses cibles. Certaines de ces attaques ont été couronnées de succès et ont touché des installations importantes: au moins deux S-400, un dépôt de munitions et au moins trois avions lors d'une attaque contre l'aéroport de Belbek le 16 mai. L'un des deux radars d'Armavir, dans le sud de la Russie, a été touché et, d'après les photos, endommagé. Les deux systèmes radar d'Armavir, qui fonctionnent sur des fréquences UHF, couvrent l'Iran, le Moyen-Orient et la partie la plus méridionale de l'Ukraine. Ils constituent surtout l'une des composantes du réseau d'alerte précoce de la Russie pour sa propre défense contre les attaques de missiles ICBM et les attaques nucléaires ; ils peuvent également identifier des avions et des missiles d'autres types, mais c'est là leur rôle principal. Dans la pratique, un radar qui permet à la Russie d'identifier les missiles nucléaires se dirigeant vers son territoire a été touché. Si un radar de ce type est endommagé, non seulement les capacités de défense contre une attaque nucléaire sont limitées, mais le risque d'identifier comme une menace quelque chose qui n'en est pas une et de déclencher des contre-mesures appropriées même en l'absence de menace augmente de manière disproportionnée. En résumé, pensez-vous que le risque d'une riposte russe, même nucléaire, est toujours réel ?
« C'est l'un des risques auxquels je faisais référence. Les systèmes d'alerte précoce des Etats-Unis et de la Russie surtout, mais cela vaut aussi pour la Chine, font partie intégrante de la dissuasion nucléaire dans son ensemble, au même titre que les armes et les lanceurs qui permettent de les lancer sur des cibles. C'est grâce à eux que les puissances nucléaires sont en mesure de détecter les menaces qui pèsent sur leur territoire bien avant qu'elles n'apparaissent à l'horizon. Mais c'est aussi grâce à la connaissance de leur existence que l'ennemi potentiel sait que ses attaques seront détectées bien à l'avance, ce qui déclenchera des représailles.
Pour en venir au cas particulier que vous évoquez, l'inefficacité éventuelle de l'alerte précoce d'Armavir, qui ouvrirait une faille dans l'angle sud-ouest de la Russie, pourrait déclencher de fausses alertes, voire pousser la Russie à une frappe préventive pour éviter la première frappe de l'adversaire. En bref, si Zelensky parvenait à détruire le radar par une telle « frappe », il aurait infligé de graves dommages non seulement aux défenses de la Russie, mais aussi à celles des États-Unis, désormais exposés à une réaction contre leur dissuasion stratégique et pas seulement contre leur « outil » tactique ukrainien. À moins que les États-Unis ne soient, autant que possible, à l'origine de l'attaque, ce qui supposerait une exploitation imminente de ses résultats, avec les conséquences que l'on peut imaginer.
Mais Zelensky n'y va pas de main morte car il lutte pour sa propre survie. Une survie compromise par les revers constants sur le terrain, par la résistance toujours plus grande à une mobilisation qui épuise ce qui reste de la société ukrainienne, par les accusations d'illégitimité politique nées de l'expiration de son mandat électoral, par la présence d'autres figures comme Arestovich et Zaluzny qui, bien qu'éloignées de l'Ukraine, ne manquent pas d'un plus grand charisme, par la lassitude de l'opinion publique occidentale, de plus en plus réticente à prouver ce que l'on ressent quand on « meurt pour Kiev ».
D'autre part, elle peut compter sur la terreur de l'Occident face à une éventuelle victoire russe qui mettrait en péril sa crédibilité globale, en raison de ce qu'elle a investi dans cette guerre par procuration d'un point de vue rhétorique, politique, financier, énergétique et militaire, exprimant le meilleur de ses outils tactiques jusqu'à présent insuffisants dans ce dernier domaine. À cet Occident qui a déjà dû faire de nombreux pas en arrière en Afrique, la France donne de la voix avec un interventionnisme dangereux qui, pour l'instant, ne semble attirer personne d'autre que les petits États baltes en colère, impatients de mettre la main à la pâte, tout en s'accrochant fermement aux jupes de Mother UK.
- En Europe, nous semblons être confrontés à une « tempête parfaite ». L'Ukraine génère un effet domino extrêmement dangereux et plusieurs crises régionales sont réactivées : les Balkans (Republika Srpska et Kosovo), la Transnistrie et la Gagaouzie (Moldavie et Roumanie), Kaliningrad et le corridor de Suwalki (Allemagne, Pologne et Belarus), le Caucase (Arménie et Azerbaïdjan), les tensions frontalières dans les pays baltes (Estonie, Lituanie et Finlande) et la rivalité russo-anglaise pour le contrôle de la mer Noire. Le président hongrois Viktor Orban a dénoncé non seulement l'agressivité de l'opinion publique européenne mais aussi la tenue d'une réunion à Bruxelles dans le but d'impliquer directement l'OTAN dans le conflit ukrainien, mais aussi inévitablement sur d'autres théâtres de crise. Comment évaluez-vous la proposition d'une armée européenne intégrée à l'OTAN (récemment évoquée par von der Leyen et d'autres) ? Ou bien un repositionnement sur l'intérêt national, comme le suggère Orban lui-même, serait-il préférable ?
« Les inquiétudes suscitées par la guerre en Ukraine nous font souvent oublier le contexte général, qui est encore plus inquiétant. Que la Russie soit encerclée est un fait incontestable, non seulement en raison du passage de nombreux pays du Pacte de Varsovie à l'OTAN ou de l'influence américaine dans les anciennes républiques soviétiques du Sud, mais aussi en raison de l'émergence de situations de crise qui sont sur le point d'exploser à la périphérie même du pays. C'est le cas de la mer Baltique, devenue subitement un lac « OTAN » avec le passage de la Suède et de la Finlande à l'Alliance atlantique après une ère de neutralité prolongée, alors même qu'elle est la base d'une des cinq flottes russes, à Kaliningrad. Le fait que l'amiral Stavridis, ancien SACEUR et aujourd'hui cadre supérieur de la Fondation Rockefeller, ait parlé de la nécessité de neutraliser l'enclave russe en cas de crise laisse clairement entrevoir la possibilité non négligeable d'un cas ukrainien même à ces latitudes, à la satisfaction des républiques baltes et de la Pologne. Des raisons similaires de crise existent en Roumanie, avec la construction prévue à Mihail Kogqlniceanu, près de Constanza sur la côte de la mer Noire, de la plus grande base militaire de l'OTAN en Europe. Par ailleurs, les manœuvres moldaves visant à ramener la Transnistrie « russe » sous la souveraineté de Chisinau ne peuvent qu'être perçues comme une menace par Moscou, qui déploie depuis des décennies son propre contingent limité de maintien de la paix sur cette étroite bande de territoire.
Dans les Balkans, des pressions considérables s'exercent depuis longtemps sur la réalité serbe. L'instauration par l'Assemblée générale des Nations unies d'une journée de commémoration du « génocide » de Srebrenica a fortement touché la population serbe de Bosnie qui, selon le président de la Republika Srbska, pourrait désormais décider de se séparer de la Bosnie-Herzégovine. Bref, une sorte de « 25 avril » balkanique, qui démontre la véritable fonction de certaines « journées du souvenir », non pas destinées à surmonter la laideur d'hier, mais simplement à les figer en fonction de leur utilité pour l'avenir ; ou à empêcher des pays potentiellement importants, comme dans le cas de l'Italie, de se présenter d'une seule voix sur la scène internationale.
Dans le Caucase, autre zone stratégique où les intérêts russes et américains (et turcs) se croisent et s'affrontent, la situation n'est pas meilleure, la Géorgie, pays candidat à l'OTAN et à l'UE, étant touchée par des manifestations qui pourraient déboucher sur un Euromaïdan local, sous le prétexte d'une loi qui garantirait simplement la transparence dans le financement des ONG. Heureusement, pour l'instant, la réaction du gouvernement résiste aux indignations faciles de l'Occident qui voudrait dicter les choix politiques locaux, mais la région est trop importante pour renoncer à l'ouverture d'un nouveau front qui engagerait Moscou. Sans oublier, bien sûr, le conflit azerbaïdjano-arménien où les Etats-Unis, la Russie et la Turquie se disputent le contrôle de la zone, cruciale pour la construction du corridor qui devrait mener de Saint-Pétersbourg à l'Iran et, de là, à l'Inde. Quant à l'Iran, son affrontement avec Israël jette au moins une ombre de doute sur le caractère aléatoire de l'incident qui a conduit à la mort du président Raisi et de son ministre des affaires étrangères, rendant une zone de conjonction entre la crise ukrainienne et la crise du Moyen-Orient encore plus instable et capable d'entraîner tout le monde dans son tourbillon.
Pour en venir à la question concrète, face à cette prolifération non aléatoire de crises, la tentation de mettre en place une « armée européenne » se fait toujours sentir. Je crois cependant qu'il s'agit d'un faux problème qui tend à faire oublier la nature première des forces armées, à savoir constituer une garnison pour protéger et défendre la souveraineté nationale. En bref, la création d'un instrument militaire « européen » dans le sillage des craintes suscitées par la crise ukrainienne se traduirait par une simple abdication de ce qui reste de la souveraineté nationale individuelle, pour confier ses forces à un commandement qui, dans ce cas, serait sous le contrôle d'autres ; en particulier de la France, de l'Allemagne, de la Pologne ou du Royaume-Uni (même si les Britanniques sont désormais en dehors de l'UE), tous des pays centrés sur « leurs » intérêts nationaux plutôt que sur les intérêts évanescents et virtuels de l'Union ou de l'Alliance.
Si la situation est critique en Europe, elle ne semble guère meilleure dans le reste du monde. En Afrique, nous assistons à une confrontation totale entre les puissances occidentales et les nations du BRICS, avec les Turcs comme troisième roue de la charette, pour le contrôle de leurs sphères d'influence respectives ; au Moyen-Orient, nous sommes les spectateurs actifs du massacre des Palestiniens (en fournissant des armes à Israël) et de l'intensification du ressentiment du monde islamique à l'égard de l'Occident ; en Asie, la crise de Taïwan s'aggrave dangereusement. Il semble évident que sans un retour à la diplomatie internationale, l'avenir du monde sera de plus en plus nébuleux et dangereux. Que pouvons-nous attendre de ce point de vue dans les mois/années à venir ? Existe-t-il un potentiel diplomatique pour au moins limiter les conflits actuels et futurs ?
« Nous sommes dans une phase de transformation spectaculaire de l'ordre mondial autoproclamé en quelque chose d'autre qu'il est encore difficile de prédire. Certes, la réalité des BRICS semble menacer la domination traditionnelle anglo-occidentale mais, d'un autre côté, il ne fait aucun doute que, sur le plan stratégique, les jeux ne sont pas encore faits. Un lien fort entre la Russie et la Chine se consolide, y compris en termes militaires, mais il est également vrai que les zones de friction ou d'affrontement entre l'Ouest et l'Est le long de la frontière eurasienne posent à la Russie de grands problèmes à prendre en compte. À cette situation s'ajoute l'insoluble problème du Moyen-Orient, où Israël, sorte de greffe occidentale à l'Est, agit avec une extrême absence de scrupules, sans craindre de devoir répondre à qui que ce soit de ses actes, même les plus cruels à l'égard de la population palestinienne. Et le fantôme d'un affrontement régional impliquant l'énorme Iran, cible depuis des années d'attentats en Syrie, ne permet pas de cultiver trop d'illusions sur un avenir pacifique.
Bref, ce n'est pas une ère de paix qui s'annonce, et cela met à jour une autre hypocrisie sous-jacente de l'Occident, désormais contraint par l'irruption de la réalité à renoncer à l'illusion que la guerre a été effacée de l'histoire avec l'affirmation des démocraties et la défaite de l'autoritarisme européen il y a quatre-vingts ans. Cette réalité contredit le rêve onirique de Francis Fukuyama selon lequel il n'y aurait plus besoin de l'histoire, qui, au contraire, fait toujours bonne figure dans notre présent vertueux. Vertueux, inclusif, accueillant, solidaire et respectueux de l'environnement.
Il faudrait en effet une diplomatie capable d'apaiser les tensions, mais avant cela, il faudrait une politique qui privilégie réellement - et pas seulement en paroles - le dialogue à la confrontation. C'est en effet la politique qui fait avancer la diplomatie, et si la politique veut la guerre, la diplomatie ne peut que reculer.
Cela peut paraître étrange, en effet, mais pour beaucoup, la guerre n'est pas encore un mal absolu, mais un moyen acceptable de défendre ce que l'on considère comme les intérêts vitaux de son pays, à tort ou à raison. C'est pourquoi elle est menée par des soldats et non par des policiers, même si, dans notre recherche hypocrite d'euphémismes conciliant les engouements constitutionnels et les réalités politiquement incorrectes, nous en sommes venus à inventer la catégorie des opérations internationales de police, sœurs jumelles de l'oxymore des opérations de paix, au son des canonnades bien sûr. Je crois personnellement que la référence aux « intérêts vitaux » peut être comprise par tous, de même que la référence à « son propre pays ». Mais encore faut-il préciser que les valeurs ou principes souvent évoqués (par exemple la « démocratie ») ne sont pas vitaux, surtout lorsqu'ils sont utilisés pour étouffer dans l'œuf les ambitions de défense d'autrui. C'est malheureusement ce qui se fait depuis des décennies et si nous avions été attentifs à ce qui se passait dans le monde en dehors de notre bulle euro-atlantique, nous aurions dû nous en rendre compte bien plus tôt qu'aujourd'hui. Bien avant l'effondrement ».
* * *
Marco Bertolini, général de corps d'armée (r) de l'armée italienne, est né à Parme le 21 juin 1953. Officier parachutiste, il a terminé son service actif le 1er juillet 2016 à la tête du Commandement des opérations du sommet interforces de la défense (Coi), dont dépendent toutes les opérations des forces armées en Italie et à l'étranger.
Stefano Vernole, journaliste indépendant et analyste géopolitique, est vice-président du Centro Studi Eurasia Mediterraneo.
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dimanche, 02 juin 2024
Paul Watzlawick et les pathologies occidentales
Paul Watzlawick et les pathologies occidentales
Nicolas Bonnal
La guerre contre la Russie devait être la solution : elle est devenue le problème. L’Europe technocratique supranationale devait être la solution : elle est le problème. Le vaccin devait être la solution : il est devenu le problème. On continue ? Et quand quelque chose ne marche pas, il suffit d’insister.
On va voir plusieurs aspects du problème (vous savez, « la solution c’est le problème »). Le légendaire Paul Watzlawick avait souligné le caractère gothique de nos monstrueux systèmes de « santé » : la multiplication par trente des dépenses médicales a créé les conditions d’un effondrement humain : faible, endetté, complexé, le citoyen serait bon pour les abattoirs de la postmodernité et pour soixante vaccins par an. Tournant le dos aux enseignements de Jünger (dans les années cinquante –voyez mes textes) ou de Rudolf Steiner (dans les années vingt) le petit blanc occidental se donne aux monstres et aux charlatans des hôpitaux (Debord, Commentaires) pour un oui ou pour un non.
Deux caractères m’enchantent chez Watzlawick, sa culture littéraire qui est vraiment étonnante – et son humour. Pour Watzlawick la solution est souvent le problème : et la presse britannique découvre l’écrasante défaite aujourd’hui de l’Ukraine et de l’Otan face à l’ours d’argile russe…Toutes les solutions de nos technocrates et politiciens froncés n’ont fait que créer de nouveaux problèmes sans jamais rien solutionner. Ce Watzlawick est un sage taoïste ironisant face au triomphe apocalyptique-millénaire des bureaucrates.
Mais laissons-lui la parole.
Faites-vous-même votre malheur, début du livre :
« Ce que les directeurs de zoo pratiquent dans leur modeste domaine, les gouvernements modernes tentent de l’accomplir à l’échelle nationale: confits dans la sécurité, il faut que les citoyens mènent une existence dégoulinante de bonheur du berceau jusqu’à la tombe. Pour atteindre ce noble objectif, il faut, entre autres choses, entreprendre et mener sans relâche l’éducation du public pour lui permettre d’accéder à des niveaux toujours plus élevés d’incompétence sociale. Il ne faut donc pas s’étonner de voir l’accroissement vertigineux des sommes consacrées dans le monde à la santé publique et aux diverses entreprises à caractère social. »
L’ironie dénonce cette attitude protectrice (cf. Tocqueville) qui débouche sur ses conséquences tragi-comiques et catastrophiques :
« Donnons quelques exemples: le total des dépenses de santé des États-Unis s’est élevé de 12,7 milliards de dollars en 1950 à 247,2 milliards en 1980. Les seules dépenses de médicaments et d’articles médicaux sont passées de 3,7 milliards à 19,2 milliards pendant la même période. Et les dépenses de Sécurité sociale ont connu une évolution aussi faramineuse, passant de 23,5 milliards en 1950 à 428,4 milliards en 1979 (24). Pour prendre un seul exemple européen, les statistiques actuelles font apparaître en Allemagne de l’Ouest une dépense quotidienne de 450 millions de DM pour le système de santé, c’est-à-dire trente fois plus qu’en 1950. Elles montrent aussi qu’on compte à tout moment une moyenne de 10 millions de personnes malades en République fédérale et que le citoyen moyen d’Allemagne de l’Ouest engloutit trente mille comprimés dans le cours de sa vie. »
On répète parce que c’est drôle : « le citoyen moyen d’Allemagne de l’Ouest engloutit trente mille
comprimés dans le cours de sa vie. »
Et vous ? Et moi ?
Certes un système aussi tragicomique ne peut être interrompu. Il doit aller au bout comme le Titanic de la « civilisation » moderne dont a parlé Jünger dans son Rebelle :
« Que l’on imagine ce qui nous arriverait en cas de ralentissement, voire ce qu’à Dieu ne plaise! –
d’inversion de cette tendance. Des ministères entiers et toutes sortes d’autres institutions monstrueuses s’effondreraient, des pans entiers de l’industrie feraient faillite et des millions d’hommes et de femmes se retrouveraient au chômage. Pour participer à la lutte contre l’éventualité d’un tel désastre, j’ai conscience du rôle modeste mais réel que peut jouer ce petit livre. »
La clé c’est ça. L’État moderne rend le citoyen nul et incapable, dépendant jusqu’au suicide – Tocqueville toujours et cette puissance publique, ce souverain qui nous enlèvera le trouble de penser et la peine de vivre, qui nous débarrassera dit Pearson vers 1990 du fardeau de la personnalité :
« L’État moderne a si grand besoin de l’impuissance et du malheur toujours croissant de ses citoyens qu’on ne peut laisser la satisfaction d’un tel besoin à la seule initiative individuelle, quelles qu’en soient les bonnes intentions. Comme dans tous les autres domaines de la vie humaine, le chemin de la réussite passe ici par la planification et le dirigisme de l’État. Être malheureux est certes à la portée du premier venu. »
Après l’art de se rendre malheureux devient une occupation à plein temps, via la pharmacie ou les livres de « développement personnel » (défense de rire) :
« Mais se rendre malheureux, faire soi-même son propre mal heur sont des techniques qu’il faut
apprendre: à cet apprentissage-là, quelques coups du destin ne suffisent pas. Or, même dans les écrits des professionnels (c’est-à-dire des psychiatres et des psychologues), les renseignements utiles sont rares et le plus souvent fournis au hasard, en dehors de toute intention de l’auteur…. »
Mais venons-en à l’oncle Sam.
Dans son guide non conformiste pour l’usage de l’Amérique, Watzlawick règle ses comptes avec la matrice de Palo Alto qui fit sa fortune et sa célébrité. Le bouquin est en effet un règlement de comptes digne de figurer dans le répugnant brûlot de Philippe Roger sur les anti-américains de tout poil, qui comme on sait ont perdu la partie en France et en Europe – car plus l’Amérique sombre et devient folle (militairement, démographiquement, politiquement, culturellement et économiquement), plus elle fascine et domine les esprits européens réduits à l’état de zombis et de suicidaires bellicistes-écologistes. Il reste aux politiciens européens à liquider la population locale sur ordre des labos, des GAFAM et des fonds de pension US (merci aux dibbouks de Kunstler et à cette volonté du Tikkoun olam qui devait réparer le monde – sont-ils stupides ou vraiment mal intentionnés ?). Le problème est qu’en réduisant la population de leurs ouailles ici comme au Japon (-800.000/an depuis le vaccin) les « élites » américaines détruisent aussi leur capacité de nuire à l’échelle planétaire. Mais quand on dispose d’indices boursiers éternellement stratosphériques (quarante fois la valeur de 1980 quand l’or entre-temps n’a que triplé, et cinq fois celle de 2009), on peut tout se permettre, pas vrai ?
On sait que fille de l’Europe, l’Amérique, l’a toujours voulue détruire (le vieux continent est devenu une vieille incontinente), ce qui est devenu possible à partir de la Première Guerre Mondiale. Ruinée et dépeuplée par cette guerre, l’Europe devient une colonie US, achève de se ruiner avec la Deuxième Guerre Mondiale qui se fait sur ordre américain (voir Frédéric Sanford, Barnes, Preparata, etc.) et ensuite peu à peu dépose les âmes et les armes. Elle n’est qu’un ombre et la construction européenne apparaît pour ce qu’elle est : une déconstruction sur ordre « anglo-saxon », qui aujourd’hui revêt un caractère haineux et carrément exterminateur.
Je reviendrai sur la lucidité des grands écrivains américains quant à la faculté de nuisance US qui est apparue dès la première moitié du dix-neuvième siècle : de Poe à Lovecraft en passant par Twain ou Hawthorne, il n’est pas un grand esprit US qui n’ait vu la catastrophe matérialiste et illuministe arriver : même Walt Whitman (voyez mon texte) en avait très bien parlé, une fois raccroché ses crampons de moderniste. Après la guerre de quatorze poursuivie pour les banquiers et la possession de la terre feinte, écrivains et dernières élites de souche anglo-saxonne culturelles décampent et vont sur l’Italie ou Paris ; et pendant que Stefan Zweig dénonce l’américanisation-uniformisation du monde (il dit bien que c’est la même chose), uniformisation qui repose sur le matérialisme, l’abrutissement et l’industrie culturelle (quelle alliance de mots tout de même), le banquier américain commence sa conquête de l’Europe, celle qui ravit nos leaders.
Donc dans son livre sur l’Amérique Watzlawick insiste sur la haine du père. Pays de grand remplacement et d’immigration, l’Amérique désavantage le père à partir des années 1870-1880.
« Les relations avec le père géniteur sont toutes différentes. Au début de son traité The American People, devenu un classique, l’anthropologue britannique Geoffrey Gorer analyse le phénomène typiquement américain du rejet du père, et l’attribue à la nécessité, qui s’imposait pratiquement à chacun des trente millions d’Européens qui émigrèrent aux Etats-Unis entre 1860 et 1930, de s’adapter aussi vite que possible à la situation économique américaine. Mais, en s’efforçant de faire de ses enfants (généralement nés aux États-Unis) de « vrais » Américains, il devint, pour ces derniers, un objet de rejet et de dérision. Ses traditions, ses connaissances insuffisantes de la langue et surtout ses valeurs constituaient une source de gêne sociale pour la jeune génération qui fut, à son tour, victime de la réprobation de ses enfants. »
Oui l’homme immigré est toujours désavantagé et ne peut plus éduquer ses enfants, car il ne maîtrise pas assez la nouvelle langue et sa nouvelle sous-culture de sport, de consommation ou de télévision. Lipovetsky en avait bien parlé pour les maghrébins en France. Dans la démocratie cool et nihiliste qu’il décrit, les parents n’ont plus droit de cité (sic). Comme dit ailleurs Guy Debord, on ressemble à son temps plus qu’à son père. Le grand livre de Booth Tarkington, la Splendeur des Amberson, mal adapté sur ce point essentiel par l’agent communiste et New Deal Orson Welles, en parle de ce grand remplacement. La technologie actuelle accélère l’inadaptation paternelle.
Mais le maître enfonce encore le cou :
« Ce rejet du père comme symbole du passé va de pair avec la surestimation des valeurs nouvelles et donc de la jeunesse. Le trentième anniversaire est cette date fatidique qui vous met au rebut du jour au lendemain, et mieux vaut ne pas parler du quarantième. Il en va de même avec l’engouement pour tout ce qui est nouveau, et tire sa qualité de cette nouveauté, même s’il s’agit d’une vieillerie sortie tout droit du magasin de friperie. »
La société de consommation s’impose et impose la rapide consommation sexuelle ou autre des femmes (Ô James Bond et le Tavistock Institute !) et des hommes (aujourd’hui confondus dans le sac unisexe) :
« Les slogans proclament imprimés sur les emballages des produits du supermarché même si l’on peut supposer, à juste titre, que farine ou aspirine, il s’agit toujours du même produit. Et le modèle de l’année d’un type d’automobile doit se distinguer du précédent, au moins par une enjolivure, même si ce qui importe, la technique de construction, n’a pas changé depuis des années. »
L’idéal totalitaire va s’imposer : on oublie la famille et on impose un groupe manipulé par un conditionnement ou un danger extérieur (pensez à ces films des années 70 qui bâtis sur l’implosion terminale de la famille imposent la naissance d’un groupe tenu par la peur et l’obéissance à un prêcheur ou un chef-clone issu du Deep State) ; Watzlawick encore :
« A cette foi utopique en l’avenir et au rejet du passé s’ajoute un autre élément, déjà évoqué: l’égalité et la stéréotypie, une éducation fondée sur l’intégration à la communauté. Cette félicité à venir devra être partagée à parts égales, il ne saurait être question de privilèges individuels. Depuis le jardin d’enfants, on inculque aux Américains qu’ils font partie d’un groupe, et que les valeurs, le comportement et le bien-être de ce groupe sont prépondérants. Toute pensée individuelle est répréhensible, sans parler d’une attitude non conforme. Les enseignants s’adressent à leurs élèves comme à un collectif, en se servant du mot class: Class, you will now write a composition about…, et cette entité amorphe qu’est la classe commence sa rédaction. Alors qu’un Européen ne supporte pas d’être pris pour Monsieur Tout-le-monde, le souci majeur d’un Américain est de ne pas dévier des normes du groupe. »
Ce groupe totalitaire et festif, abruti et bien soumis a donné en Europe les fous de Bruxelles et cette communauté européenne qui nous promet guerre, misère, Reset et totalitarisme informatique.
Mais venons-en au dernier point, le plus tragi-comique : « Il suffit d’insister ».
On sait que l’occident ne veut plus s’arrêter quel que soit le sujet : sanctions, guerres, guerre mondiale, sanctions, dette, propagande, vaccin, sanctions, Reset, mondialisme, féminisme, antiracisme, immigration sauvage, sanctions toujours (treize doses pour rien), Europe, etc. Et s’il y a des problèmes c’est qu’il n’y a pas assez de tout cela. C’est qu’on n’a pas assez insisté, comme dit notre psychologue et humoriste, qui semble avoir été doté d’une double personnalité.
On l’écoute (extrait de son extraordinaire « Faites vous-même votre malheur ») :
« Cette formule apparemment toute bête: «il suffit d'insister», est l'une des recettes les plus assuré ment désastreuses mises au point sur notre planète sur des centaines de millions d'années. Elle a conduit des espèces entières à l'extinction. C'est une forme de jeu avec le passé que nos ancêtres les animaux connaissaient déjà avant le sixième jour de la création... »
La solution souvent n’est plus adaptée ; mais au lieu de le reconnaître, on INSISTE. Watzlawick :
« L’Homme, comme les animaux, a tendance à considérer ces solutions comme définitives, valides à tout jamais. Cette naïveté sert seulement à nous aveugler sur le fait que ces solutions sont au contraire destinées à devenir de plus en plus anachroniques. Elle nous empêche de nous rendre compte qu'il existe - et qu'il a sans doute toujours existé - un certain nombre d'autres solutions possibles, envisageables, voire carrément préférables. Ce double aveuglement produit un double effet. D'abord, il rend la solution en vigueur de plus en plus inutile et par voie de conséquence la situation de plus en plus désespérée. »
On répète car on boit du « petit laid » : « D'abord, il rend la solution en vigueur de plus en plus inutile et par voie de conséquence la situation de plus en plus désespérée. »
Le maître autrichien poursuit :
« Ensuite, l'inconfort croissant qui en résulte, joint à la certitude inébranlable qu'il n’existe nulle autre solution, ne peut conduire qu'à une conclusion et une seule: il faut insister. Ce faisant, on ne peut que s'enfoncer dans le malheur. »
Watzlawick redéfinit ce phénomène :
« Ce mécanisme, depuis Freud, assure l'existence confortable de générations de spécialistes qui ont toutefois préféré à notre « il suffit d'insister » un terme de consonance plus scientifique : névrose. »
Ensuite il reformule cette aberration du comportement qui est l’essence du comportement apragmatique contemporain :
« Mais qu'importe le terme, pourvu qu'on ait l'effet. Et l'effet est garanti aussi longtemps que l'étudiant s'en tient à deux règles simples. Premièrement, une seule solution est possible, raisonnable, autorisée, logique; si elle n'a pas encore produit l'effet désiré, c'est qu'il faut redoubler d'effort et de détermination dans son application. Deuxièmement, il ne faut en aucun cas remettre en question l’idée qu'il n'existe qu'une solution et une seule. C'est sa mise en pratique qui doit laisser à désirer et peut être encore améliorée. »
Nous allons à la catastrophe. Mais ce n’est pas grave. Ils trouveront bien quelque chose…
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samedi, 01 juin 2024
Macron découvre que faire la guerre dans le monde ne crée pas beaucoup d'amis
Macron découvre que faire la guerre dans le monde ne crée pas beaucoup d'amis
Ala de Granha
Source: https://electomagazine.it/macron-scopre-che-far-le-guerre-al-mondo-non-crea-molti-amici/
Il y a ceux qui découvrent l'eau chaude, ceux qui inventent (à nouveau) la roue. Et puis il y a Macron. Qui a soudain compris que la survie de l'Europe était en danger « parce que nous n'avons jamais eu autant d'ennemis ». Bien sûr, on peut aussi rire devant un tel génie. Ou bien on peut se moquer de nos cousins transalpins qui l'ont choisi comme président de la France, insultant leur propre intelligence avant d'insulter la mémoire de De Gaulle. Mais l'illumination à laquelle Macron est parvenu n'a pas encore touché Crosetto, Tajani, Scholz. Tandis que Meloni attend la permission de Biden pour s'éclairer elle-même.
Mieux vaut donc ne pas se déchaîner contre le président français.
Mais si quelqu'un a découvert l'eau chaude, il semble qu'aucun politicien européen n'ait encore compris comment la réchauffer. Et, métaphoriquement, les raisons pour lesquelles le monde entier en a assez de cette Europe au service des oligarques et des intérêts américains. Macron et les autres ne comprennent pas pourquoi les Africains ne veulent plus des troupes des puissances coloniales du passé. Parce qu'ils ne veulent pas que l'Europe continue à piller les ressources du sol et du sous-sol du continent noir.
Macron et les autres ne comprennent pas pourquoi l'Iran n'est pas enthousiaste face aux sanctions répétées décidées par les Etats-Unis et appliquées par les Européens contre Téhéran. Pourquoi Pékin est agacé par les sanctions et les supermédicaments. Pourquoi l'Inde, elle aussi, n'a pas apprécié les menaces de Washington de déclencher les sanctions omniprésentes parce que New Delhi veut moderniser un port iranien qui renforcera les échanges entre les deux pays et ceux d'Asie centrale et même la Russie.
La Russie, justement. Qui n'a pas apprécié les mensonges de l'OTAN sur la promesse non tenue du non-élargissement de l'alliance autour de la Russie. Ni les exclusions d'événements sportifs alors qu'Israël peut y participer malgré le génocide à Gaza.
La situation n'est pas meilleure avec l'Amérique latine, qui doit faire face à de nouvelles sanctions et au rejet par Macron lui-même d'un accord commercial avec le Mercosur. Et puis les Houthis soumis aux bombardements occidentaux; les Irakiens massacrés grâce à l'ignoble mensonge des armes chimiques inexistantes; les Libyens poussés dans une interminable guerre civile; les Serbes assassinés par les bombes des libérateurs occidentaux puis par les munitions à l'uranium appauvri qui ont aussi tué des soldats italiens; les Syriens tués par les révoltes colorées payées et organisées par les sains exportateurs de la démocratie.
Oui, Macron, pourquoi tout le monde nous déteste-t-il ?
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mardi, 28 mai 2024
Emmanuel Todd et le narcissisme occidental
Emmanuel Todd et le narcissisme occidental
Nicolas Bonnal
Pepe Escobar a bien résumé récemment les observations d’Emmanuel Todd. Elles me conduisent à rapprocher cet auteur de Freud quand, dans son Inquiétante étrangeté (que j’ai beaucoup évoqué dans mon livre sur Kubrick), ce dernier évoque les démêlés du narcissisme psychique avec la trop dure réalité et « ses véhémentes protestations »…
Le plus important est là, rappelle Escobar :
« 1. Au début de l’opération militaire spéciale (SMO) en février 2022, le PIB combiné de la Russie et de la Biélorussie ne représente que 3,3% de celui de l’Occident réuni (en l’occurrence la sphère de l’OTAN plus le Japon et la Corée du Sud). Todd s’étonne que ces 3,3%, capables de produire plus d’armes que l’ensemble du colosse occidental, non seulement gagnent la guerre, mais réduisent à néant les notions dominantes de l’«économie politique néolibérale» (taux de PIB). »
C’est Kubrick qui fait dire dans Folamour à un de ses généraux génocidaires yankees qu’on est face à un tas de moujiks ignorants. Donc avec 3% du PNB des USA, ou de l’Espagne (qui refile, Pierre déshabillant Paul, ses Patriot à Z.), ou de Monaco, la Russie tient tête à tout l’occident. On verra quand l’Otan enverra ses troupes : leur énième opération barbe roussie promet...
Puis on se rapproche de Freud :
« 2. La «solitude idéologique» et le «narcissisme idéologique» de l’Occident – incapable de comprendre, par exemple, comment «l’ensemble du monde musulman semble considérer la Russie comme un partenaire plutôt que comme un adversaire». »
Je vais citer Freud (voyez mon texte sur Freud politiquement incorrect – et Dieu qu’il l’était, comme le rappela Onfray –exemplaire dédicacé à Mussolini !) :
« L’analyse de ces divers cas d’inquiétante étrangeté nous a ramenés à l’ancienne conception du monde, à l’animisme, conception caractérisée par le peuplement du monde avec des esprits humains, par la surestimation narcissique de nos propres processus psychiques, par la toute-puissance des pensées et la technique de la magie basée sur elle, par la répartition de forces magiques soigneusement graduées entre des personnes étrangères et aussi des choses (Mana), de même que par toutes les créations au moyen desquelles le narcissisme illimité de cette période de l’évolution se défendait contre la protestation évidente de la réalité. »
C’est pareil pour tout : invasion migratoire, abolition des sexes, nazisme sanitaire, dette immonde, catastrophe ou sabotage écolo-politique : l’occident veut nier toute réalité. Il est gnostique au sens bouffonnant du terme. Cette tendance ancienne (perçue déjà par Poe, Nietzsche ou Tocqueville) s’est accélérée avec Internet, comme je l’avais montré dans mon bouquin publié en 2001 et qui s’était retrouvé (horresco referens…) Une du Monde des Livres. J’avais aussi évoqué les techno-lords (notion qui m’a été froidement piquée depuis) et cette technognose qui doit déboucher nûment sur leur homme-robot.
Continuons avec Todd résumé par Escobar :
« 4. L’implosion, étape par étape, de la culture WASP, qui a conduit, «depuis les années 1960», à «un empire privé de centre et de projet, un organisme essentiellement militaire géré par un groupe sans culture (au sens anthropologique)». Voilà comment Todd définit les néocons américains. »
Cette implosion a été décrite par Kevin McDonald et surtout par Thomas Frank dans un livre demeuré non traduit : la conquête du cool. Frank évoque le rôle de la pub (et de Volkswagen) pour altérer le logiciel américain. Pour moi l’aspect le plus important est que «l’on peut ne pas reconnaître un peuple après cinq ans de reprogrammation.» On fabrique du gastronome, du mangeur d’insectes, du héros, du crétin, du lâche, de l’écolo-antiraciste-féministe imbécile en finalement peu de temps. C’est ce qu’explique génialement l’Anglaise géniale de Taine …
Pepe ajoute ensuite excellemment :
« 8. La critique acerbe de Todd sur l’esprit de 1968 mériterait un tout nouveau livre. Il évoque «l’une des grandes illusions des années 60 – entre la révolution sexuelle anglo-américaine et Mai 68 en France» : «croire que l’individu serait plus grand s’il était libéré du collectif». Cela a conduit à une débâcle inévitable : «Maintenant que nous sommes libérés, en masse, des croyances métaphysiques, fondatrices et dérivées, communistes, socialistes ou nationalistes, nous vivons l’expérience du vide». Et c’est ainsi que nous sommes devenus «une multitude de nains mimétiques qui n’osent pas penser par eux-mêmes – mais se révèlent aussi capables d’intolérance que les croyants de l’Antiquité».
Lipovetsky a très bien décrit cette ère du vide il y a déjà quarante ans. Et Debord parle déjà d’un conglomérat de solitudes sans illusions, et Pouchkine (dans Eugène Onéguine, traduction de ma femme) écrit génialement à vingt ans vars 1820 :
« Mais nous n’avons même pas de l’amitié.
Nous avons détruit tous les préjugés ;
On prend pour les zéros les autres gens
En se prenant pour le « un » sérieusement.
Tous – nous tendons vers Napoléon,
Et les bipèdes créatures, en millions,
Ne sont pour nous que des outils ;
Le sentiment pour nous est une étrange bêtise. »
Lignes extraordinaires. Disparition des corps intermédiaires ; l’individu nu devant le marché (Houellebecq, pour faire facile) ou devant l’Etat (Jouvenel).
Sur les USA, sujet essentiel tout de même :
« 5. Les États-Unis en tant qu’entité «post-impériale» : une simple coquille de machinerie militaire privée d’une culture axée sur l’intelligence, conduisant à «une expansion militaire accentuée dans une phase de contraction massive de sa base industrielle». Comme le souligne Todd, «la guerre moderne sans industrie est un oxymore». »
Notons que Baudrillard nie le déclin US comme d’autres : le pays au sens matériel est liquidé par son élite gnostique (Yvan Blot avait beaucoup insisté sur cette notion lors de nos entretiens), puissance militaire incluse, mais sa matrice informatique et médiatique – et maintenant pharmaceutique – imbibe le monde. Elle tient l’Inde et le Brésil sous sa coupe par exemple, Brics ou pas Brics. Quant au président chinois, on sait qu’il ne jure que par « son ami Bill Gates »… Avant de parler de Libération…
Sur l’Europe maintenant :
« 10. Le «suicide assisté» de l’Europe. Todd rappelle que l’Europe, au départ, c’était le couple franco-allemand. Puis, après la crise financière de 2007/2008, ce couple s’est transformé en «un mariage patriarcal, avec l’Allemagne comme époux dominant qui n’écoute plus son compagnon». L’UE a abandonné toute prétention à défendre les intérêts de l’Europe en se coupant de l’énergie et du commerce avec son partenaire, la Russie, et en se sanctionnant elle-même. Todd identifie, à juste titre, l’axe Paris-Berlin remplacé par l’axe Londres-Varsovie-Kiev : ce fut «la fin de l’Europe en tant qu’acteur géopolitique autonome». Et cela s’est produit seulement 20 ans après l’opposition commune de la France et de l’Allemagne à la guerre néoconservatrice contre l’Irak. »
Rappelons que Todd sur ce sujet comme sur d’autres s’est complètement trompé, qui annonçait sans preuves une Europe libre et vive dans son Après l’Empire. Ce titre était faux aussi : l’Empire croît et se multiplie – à chaque clic pour commencer. Malheur à celui qui recèle des déserts, dit Zarathoustra…
Enfin, on enfonce une porte ouverte :
« 11. Todd définit correctement l’OTAN en plongeant dans «leur inconscient» : «Nous constatons que son dispositif militaire, idéologique et psychologique n’existe pas pour protéger l’Europe occidentale, mais pour la contrôler». »
On verra si la réalité (qui vit encore en contact avec elle, terrestre ou céleste ?) peut encore quelque chose contre le monde virtuel que notre « amer Caïn » a mis en place pour contrôler le monde ou ce qui reste de nos vieilles et fainéantes nations européennes. Le triomphe de l’OMS dans quelques semaines va nous rappeler qui est le maître.
Priez fort.
Sources :
https://reseauinternational.net/comment-loccident-a-ete-vaincu/
https://www.amazon.fr/Internet-nouvelle-initiatique-Nicol...
https://www.amazon.fr/Conquest-Cool-Business-Countercultu...
https://www.amazon.fr/EUGENE-ONEGUINE-Bilingue-Traduction...
https://www.amazon.fr/D%C3%A9faite-lOccident-Emmanuel-Tod...
https://www.amazon.fr/Apr%C3%A8s-lempire-d%C3%A9compositi...
https://nicolasbonnal.wordpress.com/2023/10/20/michel-fou...
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samedi, 25 mai 2024
La parabole de l'Occident et le nouveau potlatch
La parabole de l'Occident et le nouveau potlatch
par Andrea Zhok
Source : Andrea Zhok & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-parabola-dell-occidente-e-i-nuovi-potlach
Dans le cadre politique international qui caractérise cette phase historique, il y a un facteur que je trouve extrêmement inquiétant. Il s'agit de la combinaison, dans le monde occidental, d'un facteur structurel et d'un facteur culturel. Je vais essayer d'en esquisser les aspects fondamentaux de manière volontairement schématique.
1) LE CONTEXTE STRUCTUREL
L'Occident a acquis une position hégémonique mondiale au cours des trois derniers siècles. Il l'a fait grâce à certaines innovations (européennes) qui lui ont permis d'accroître de manière décisive la production industrielle et la technologie militaire.
Au cours du 19ème siècle, l'Occident a imposé ses lois, ou contrats, à la quasi-totalité du monde. Des régions du monde comme l'Amérique du Nord et l'Océanie ont radicalement changé leur configuration ethnique, devenant des colonies stables de populations d'origine européenne. Des empires asiatiques vieux de plusieurs milliers d'années se sont retrouvés dans un état de protectorat, de colonie ou d'assujettissement. L'Afrique est devenue une source de main-d'œuvre gratuite et de matières premières.
Tout cela s'est produit à la lumière d'un modèle économique qui avait structurellement besoin d'une croissance constante pour maintenir sa fonctionnalité, y compris la paix intérieure. Le dynamisme expansif de l'Occident s'explique par le fait que le système avait besoin de marges bénéficiaires constantes et que les entreprises étrangères garantissaient des rendements substantiels (ce qui leur permettait de bénéficier d'un financement solide).
Ce processus a connu des hauts et des bas jusqu'au début du 21ème siècle.
Plus ou moins avec la crise des subprimes (2007-2008), une difficulté majeure à maintenir la domination sur un système mondial démographiquement, politiquement et culturellement trop vaste a été signalée. Le système de développement occidental, largement fondé sur la libre entreprise décentralisée, a commis, dans sa recherche de marges bénéficiaires, des erreurs impardonnables pour une puissance impériale telle qu'elle était devenue entre-temps (d'abord sous la forme de l'empire britannique, puis de l'empire américain). La sphère financière ayant des marges bénéficiaires plus importantes que la sphère industrielle, on a assisté à une délocalisation constante de l'industrie manufacturière occidentale vers des pays lointains à bas salaires. Si cette opération a réussi dans certains pays à l'organisation interne fragile, qui ont été et restent de simples producteurs subsidiaires, politiquement subordonnés aux puissances occidentales, elle n'a pas réussi dans certains pays qui offraient plus de résistance pour des raisons culturelles, la Chine en tête.
L'émergence de certaines contre-puissances dans le monde est désormais un fait historique incontestable et incontournable. Un Occident qui a joué pendant des années toutes ses cartes sur la domination financière et technologique se voit défié par des contre-pouvoirs capables d'une résistance efficace tant sur le plan économique que sur le plan militaire. En ce sens, la guerre russo-ukrainienne, avec les erreurs fatales commises par l'Occident, représente un moment de transition historique : le fait d'avoir poussé la Russie et la Chine dans une alliance forcée a créé le seul pôle mondial véritablement invincible, même pour l'Occident unifié. Les États-Unis étaient tellement inquiets de perturber une éventuelle collaboration fructueuse entre l'Europe (l'Allemagne en particulier) et la Russie qu'ils ont négligé une collaboration beaucoup plus puissante et décisive, celle entre la Russie et la Chine précisément.
Mais que se passe-t-il lorsque l'Occident dirigé par les États-Unis est confronté à un contre-pouvoir insurmontable ? Tout simplement, le modèle - expérimenté dans la dernière phase sous le nom de « mondialisation » - fondé sur l'attente d'une expansion incontestée et de marges bénéficiaires en constante dilatation s'arrête brusquement. Les chaînes d'approvisionnement apparaissent hypertrophiées et incontrôlables, à un moment où les États-Unis ne sont plus les seuls à tirer sur le pays. Le cauchemar systémique du modèle libéral-capitaliste se profile : la perte d'un horizon d'expansion. Sans perspectives d'expansion, c'est tout le système, à commencer par la sphère financière, qui entre dans une crise sans issue.
2) L'ARRIÈRE-PLAN CULTUREL
C'est ici qu'intervient le deuxième protagoniste du scénario actuel, à savoir le facteur culturel. La culture élaborée au cours des trois derniers siècles en Occident est tout à fait particulière. Il s'agit d'une approche culturelle universaliste, anhistorique et naturaliste qui, grâce également aux succès obtenus sur le plan technoscientifique, a fini par s'interpréter comme la Vérité Ultime, sur le plan épistémique, politique et existentiel. La culture occidentale, qui a conquis le monde non pas grâce aux capacités de persuasion de ses vertus morales, mais grâce à celles de ses obusiers, a cependant imaginé qu'une culture capable de construire des obusiers aussi efficaces ne pouvait être qu'intrinsèquement Vraie.
L'universalisme naturaliste nous a détournés de l'évaluation des différences historiques et culturelles, en assumant leur caractère contingent, de simples préjugés qui seront surmontés. Cette approche culturelle a créé un dommage dévastateur, qui a coïncidé en Europe avec l'américanisation galopante de ses propres grandes traditions : l'Occident, devenu le système vassalique de la puissance américaine, apparaît aujourd'hui culturellement totalement incapable de comprendre son propre caractère de détermination historique, qui ne peut être sereinement universalisé. L'Occident, se pensant comme l'incarnation du Vrai (Démocratie libérale, Droits de l'homme, Science) n'a donc pas les outils culturels pour penser qu'un autre monde (et même plusieurs) est possible.
3) L'IMPASSE DE L'HISTOIRE OCCIDENTALE
Si l'on combine maintenant les deux facteurs, structurel et culturel, que nous avons évoqués, on aboutit à l'image suivante : l'Occident sous direction américaine ne peut maintenir son statut de puissance, garanti par la perspective d'une expansion illimitée, et d'autre part il ne peut même pas imaginer de modèle alternatif, puisqu'il se conçoit comme la Dernière Vérité.
Cette aporie produit un scénario d'époque tragique.
L'Occident dirigé par les Américains est incapable de reconnaître un « plan B » et, d'autre part, comprend que le « plan A » est rendu physiquement infranchissable par l'existence de contre-pouvoirs indéniables. Cette situation ne produit qu'une seule tendance tenace, celle d'œuvrer à la disparition de ces contre-pouvoirs internationaux.
Pour simplifier, les Etats-Unis n'ont d'autre perspective sur le terrain que de soumettre les contre-pouvoirs eurasiatiques (Russie, Chine, Iran-Perse ; l'Inde est déjà largement sous contrôle), comme ils l'ont été dans le passé. Mais cette soumission ne peut aujourd'hui passer que par un conflit, qu'il s'agisse d'une guerre ouverte ou d'une somme de guerres hybrides visant à déstabiliser l'« ennemi ».
Mais, à ce stade, la situation est rendue particulièrement dramatique par un autre facteur structurel. Bien que les États-Unis sachent qu'ils ne peuvent pas faire face à une guerre ouverte où tous les coups sont permis (nucléaire), ils ont une très forte incitation à maintenir la guerre sur le plan hybride à « basse tension ». Cela s'explique par la raison structurelle évoquée plus haut: une perspective d'augmentation de la production est nécessaire.
Mais comment garantir une perspective d'augmentation de la production dans un contexte où l'expansion physique n'est plus possible (ou est trop incertaine) ? La réponse est malheureusement simple : une perspective de croissance de la production dans ces conditions ne peut être garantie que si l'on crée simultanément des fours où ce qui est produit peut être brûlé en permanence. Il y a un besoin systémique d'inventer des Potlatchs colossaux et sanglants qui, à la différence des Potlatchs des Amérindiens, doivent détruire non seulement des objets matériels, mais aussi des êtres humains.
En d'autres termes, l'Occident dirigé par les Américains a un intérêt inavouable mais impératif à créer de plus en plus de plaies systémiques d'où le sang peut s'écouler, afin que les forces productives puissent fonctionner à plein régime et que les marges de profit puissent être vitalisées. Et quelles formes peuvent prendre ces blessures qui détruisent cycliquement et puissamment les ressources ?
Deux viennent à l'esprit : les guerres et les pandémies.
Seul un nouvel horizon de sacrifices humains peut permettre à la Vérité Ultime de l'Occident de rester debout, de continuer à être crue et adorée.
Et si rien ne change dans la prise de conscience généralisée des populations européennes, principales perdantes de ce jeu, je crois que ces deux cartes destructrices seront jouées sans pitié, de manière répétée.
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mercredi, 24 avril 2024
L’Occident défait… par lui-même
L’Occident défait… par lui-même
par Georges FELTIN-TRACOL
Si François-Xavier Rochette qualifie Emmanuel Todd de « demi-dissident en carton-pâte » dans Rivarol du 10 avril dernier, Michel Geoffroy dans sa recension mise en ligne, le 24 février 2024, sur Polémia l’appelle à « encore un effort ! » Paru en début d’année, son nouvel ouvrage, La défaite de l’Occident (avec la collaboration de Baptiste Touveray, Gallimard, 375 p., 23 €), suscite une incroyable hostilité de la part de la cléricature intello-médiatique.
Emmanuel Todd est un nationiste, quelqu’un qui sait que la nation est une idée de gauche, une vision qui porte en elle des valeurs égalitaires, voire égalitaristes. Il n’a d’ailleurs jamais caché son souverainisme républicain assimilationniste nullement identitaire. Il n’est pas prêt à rejoindre le Rassemblement national.
La caste s’indigne de l’usage par l’auteur d’indicateurs statistiques qui confirment ses analyses. Elle dénonce son parti-pris pro-russe et verse dans l’accusation facile. Fidèle à sa lecture sociologique tirée de l’examen minutieux des systèmes familiaux de la planète, Emmanuel Todd distingue clairement la Russie de l’Ukraine. « Il existe, note-t-il, une culture proprement ukrainienne, au sens profond que l’anthropologie donne à cette expression, en incluant la vie familiale et l’organisation de la parenté. L’Ukraine n’est pas la Russie. » Il poursuit que « vers la fin du XIXe siècle, à l’époque des tsars, la famille ukrainienne se distinguait donc clairement de la famille russe par son individualisme et un statut plus élevé des femmes, deux traits qui, selon mon modèle associant les systèmes familiaux aux idéologies politiques, suggèrent une culture ukrainienne plus favorable à la démocratie libérale et plus apte au débat que la culture russe ».
En observant les structures étatiques à l’Ouest, Emmanuel Todd oppose volontiers « la nation active, consciente, à la nation inerte, qui hors de toute conscience d’elle-même continue sur une trajectoire, comme par inertie, au sens physique du mot ». Afin d’étayer sa thèse, il prend l’exemple de l’Hexagone. « L’éclipse de la France en tant qu’agent historique nous laisse avec le problème de Français qui, eux, continuent d’être ce qu’ils sont : de faire des manifs, des émeutes, de refuser que leurs services publics se déglinguent et se raréfient. L’impuissance de la nation en tant qu’agent historique efficace nous permettait de postuler, dans le cas de la France, géopolitiquement, une nation disparue. » Il prévient toutefois que « seule sa capacité d’action s’évanouit. Le peuple subsiste ». Reste à savoir comment comprendre le dernier mot...
Ses détracteurs lui reprochent de voir dans la Russie de Poutine une « démocratie autoritaire » et dans les États occidentaux affidés à l’OTAN des oligarchies post-démocratiques au tropisme ploutocratique. Emmanuel Todd va encore plus loin. Dans Qui est Charlie ? (2015), il inventait le concept de « catholique zombie » afin de décrire l’avènement d’un individu post-chrétien qui « ne pratique plus sa religion mais en conserve l’éthique, attaché aux valeurs d’honnêteté, de travail, de sérieux, et toujours conscient que l’homme ne dispose que d’un temps limité ». Considérant que les protestantismes sont la matrice de l’Occident moderne, il élargit son champ d’étude et avance l’existence d’un « protestantisme zombie » présent en Scandinavie, terreau fertile du féminisme et du bellicisme, au Royaume Uni et aux États-Unis d’Amérique. Il va jusqu’à évoquer une troisième étape, l’« état zéro ». En Grande-Bretagne, « succédant au protestant natif du premier libéralisme et au protestant zombie du Welfare State, l’homme idéal du néolibéralisme thatchérien est un protestant zéro ». Emmanuel Todd estime que « le Brexit a, en réalité, découlé d’une implosion de la nation britannique».
L’auteur veut en outre révéler « la vraie nature de l’Amérique : oligarchie et nihilisme ». Pour lui, « le nihilisme […] ne traduit pas seulement un besoin de détruire soi et les autres. Plus en profondeur, quand il se transforme en une sorte de religion, il tend à nier la réalité ». Le phénomène sociétal LGBTQIA+++ exprime ce nihilisme occidental en acte. Emmanuel Todd considère que « l’idéologie transgenre en Occident semble poser au monde patrilinéaire un problème plus sérieux encore que l’idéologie gay ». Ces interrogations légitimes permettent à la Russie de développer une « stratégie consciente [qui] lui confère un soft power considérable » auprès du « Reste du monde ».
Plus qu’un Occident zombie, il serait judicieux d’évoquer un « Occident nihiliste » à travers le fait transgériste. Cette idéologie « dit qu’un homme peut devenir femme, et qu’une femme peut devenir homme. Elle est une affirmation du faux et, en ce sens, proche du cœur théorique du nihilisme occidental ». De pareils propos pourraient valoir à leur auteur un séjour dans une froide cellule selon une nouvelle loi liberticide adoptée en Écosse. Emmanuel Todd s’inquiète surtout que cette « idéologie nihiliste, qui progresse sans cesse en Amérique, transforme le principe même du respect des engagements en une chose désuète, négative. Trahir devient normal ».
La meute médiatique poursuit de sa vindicte Emmanuel Todd parce qu’il a mis à jour un ensemble occidental hypertrophié qui pense toujours bénéficier de l’impunité. L’auteur scandalise les belles âmes cupides, car il ose dénoncer un Occident zombie, nihiliste, terminal et faussaire. L’Occident global creuse sa propre tombe. Les Albo-Européens que nous sommes s’en réjouissent. Mais il est certain que La défaite de l’Occident ne lui sera pas pardonné.
Salutations flibustières !
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 111, mise en ligne le 16 avril 2024 sur Radio Méridien Zéro.
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jeudi, 22 février 2024
Les nouveaux pharisiens
Les nouveaux pharisiens
Helmut Müller
Source: https://helmutmueller.wordpress.com/2024/02/21/die-neuen-pharisaer/
A peine le Nordstream avait-il sauté que Poutine était déjà désigné comme coupable par la presse "mainstream". Presque sur commande. Et maintenant, avant même de connaître les détails de la mort de Navalny, il était déjà clair que seul Poutine pouvait l'avoir tué. Le mot "présumé", qui est habituellement utilisé avant toute preuve, est bien entendu ignoré. Tout comme la possibilité que la mort de Navalny, qui aurait été soutenu par les services secrets occidentaux, puisse être plus utile aux opposants de Poutine qu'au Kremlin. Comme Nordstream, d'ailleurs.
Orwell savait déjà que les gens croient ce que les médias "mainstream" prétendent croire, et les opposants de Poutine s'en tiennent donc à cette grande foule de naïfs et de confortables qui ne peuvent ou ne veulent pas penser par eux-mêmes et auxquels on peut faire croire n'importe quoi, sauf la vérité. Comme le coronabidule l'a déjà fait, et c'est une fois de plus à la fois impressionnant et pathétique.
Goebbels et le commissaire responsable de l'agitation et de la propagande sous Staline (Agiprop) auraient pu servir de parrains: dans le cas de Poutine, les médias de la pensée unique le décrivent sans contestation comme le "monstre au Kremlin" (Kurier) qui envoie ses "hordes criminelles" (Krone) contre les Ukrainiens. Et déjà, on n'entend plus rien d'autre du côté des laquais de l'UE, mais jamais on ne tiendrait un tel langage contre un président américain belliqueux et son "armée", qui ne respecte pas le droit international, ou contre un gouvernement israélien criminel.
Oui, où étaient tous les pharisiens indignés d'aujourd'hui lorsque le gouvernement de Kiev a fait assassiner des milliers d'Ukrainiens d'origine russe, et où ont-ils manifesté lorsque le Pentagone et l'OTAN ont envahi plusieurs pays et que la CIA a fait assassiner des opposants et des chefs de gouvernement à tour de bras ? Aucun cri, aucune indignation, juste un silence gêné. Ou encore: un homme politique de premier plan ou un journaliste de premier plan a-t-il été bouleversé par le fait que, non pas en Russie, mais en Autriche, quelqu'un ait dû végéter pendant 15 ans dans un cachot pour un délit d'opinion et y ait péri ? Et Julian Assange, dont le "crime" est d'avoir révélé au public les crimes de guerre américains, n'est-il pas menacé d'une telle fin ?
L'Occident, si glorieux, devrait commencer par se regarder dans le miroir. Il devra se rendre compte qu'il n'est pas moralement capable de condamner Poutine, et un petit journaliste de Krone comme Claus Pandi devrait constater que la "folie perfide" des dirigeants du Kremlin qu'il a diagnostiquée est largement dépassée par celle de l'Occident. Je pense que je n'ai pas besoin d'expliquer ici en quoi consiste la folie occidentale qui menace notre civilisation.
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mercredi, 14 février 2024
L'Occident collectif et autres bagatelles
L'Occident collectif et autres bagatelles
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/loccidente-collettivo-e-altre-bagatelle/
La géopolitique - enseigne Ernesto Massi - est une science cruelle. Parce qu'elle vous montre la réalité des choses telles qu'elles sont. Sans faux-semblants.
À l'époque où Massi - le dernier grand géopoliticien italien - enseignait et écrivait, la science cruelle, la géopolitique, n'était pas du tout à la mode. Au contraire, il y a encore quelques décennies, elle était taxée de pseudo-science, de science obscure, qui dégageait en outre une odeur sulfureuse de... nazisme.
Aujourd'hui, au contraire, la géopolitique est à la mode. Et nombreux sont ceux qui s'en empiffrent, de manière plus ou moins inappropriée. Des géopoliticiens improvisés et autoproclamés avec des titres académiques d'on ne sait quelle valeur... des journalistes généralement plus au fait des tenues des chanteurs de Sanremo que de concepts tels que l'Ile du Monde ou le Heartland. Des jeunes en goguette qui ont peut-être entendu parler de McKinder et même de Haushofer, mais qui croient probablement que Kjellen est l'avant-centre de l'équipe de la Finlande et Ratzel un golfeur australien...
Mais surtout, le langage plus ou moins charcuté de la science géopolitique commence à imprégner la rhétorique des hommes politiques.
C'est ainsi qu'un président argentin nouvellement élu - jusqu'à hier connu pour ses coups de théâtre, tronçonneuse à la main, et un vocabulaire qui fait passer notre vieux Bossi pour un fin rhéteur (sans parler de l'intelligence politique) - se rend à Jérusalem.
Et là, après avoir été photographié en train de verser de grosses larmes au Mur des Lamentations (ce qui, étant donné que le nôtre est d'origine italienne et n'a même pas une jota de sang juif, devrait être considéré comme une insulte ou une moquerie par un juif pratiquant sincère), il se lance dans des discours à tire-larigot.
Soutien à Israël dans la guerre de Gaza. Evident et patent. Mais ensuite, Milei devient tout théorique, utilisant des catégories (qu'il croit) propres à la géopolitique.
Il parle d'un "Occident collectif". Dont Israël ferait bien sûr partie intégrante... mais ce n'est pas ce qui nous intéresse. C'est plutôt l'affirmation de cette catégorie, que l'on entend depuis un certain temps du haut de plusieurs chaires.
L'Occident collectif. Qu'est-ce que cela signifie ? D'un point de vue purement géographique, cela ne veut rien dire. Le néant absolu.
Parce que déjà le concept d'Occident, purement et simplement, est en lui-même contestable.
Spengler, lorsqu'il parle du "Déclin de l'Occident", se réfère à l'Europe. Dimension, voire Continent spirituel assiégé par les "barbares" triomphants. À l'est, les Russes. À l'ouest, les Américains. Tous deux ne font pas partie de son idée de l'Occident. En fait, ce sont précisément ceux qui sont sur le point de le détruire.
Bien des années plus tard, Geminello Alvi, un économiste brillant et original, a appelé l'Amérique le Deep West (Estremo Occidente). Ce sont les États-Unis. Différents de notre vieille Europe occidentale... un concept, lui aussi essentiellement culturel, dérivé de la pensée de Rudolf Steiner.
Deux brèves allusions pour dire quelque chose de très simple. Le concept d'"Occident collectif" est une invention tout à fait récente. Il veut rassembler dans une sorte d'unité tout ce qui correspond à des modèles sociaux et politiques précis. Ceux de l'anglosphère. Pour simplifier, ceux voulus à tous les niveaux - politique, social, culturel... - par les élites économiques qui dominent à Wall Street, à la City et dans leurs périphéries. Les camarades de Davos, en quelque sorte.
Des modèles, je tiens à le préciser, qui ne sont pas les nôtres. Mais pas plus que ceux des citoyens américains et britanniques ordinaires. Même avec toutes les différences, historiques et culturelles, qui nous séparent.
Rien à voir, cependant, avec les catégories propres à la géopolitique. Qui se fondent, toujours et uniquement, sur la réalité la plus convaincante. Celle de la géographie. Donc de la nature.
Qu'est-ce donc que cet "Occident collectif"?
Une abstraction qui contient, voire cache, pas mal de choses. Du turbo-capitalisme financier déconnecté de la Richesse des Nations (et rétif aux concepts de nations et de peuples) au malthusianisme idéologique qui veut décimer la population mondiale. D'une conception oligarchique du pouvoir (déguisée en dialectique démocratique) à la culture Woke. C'est-à-dire à la négation de l'histoire et des histoires différentes.
D'un environnementalisme anti-humain (et instrumental) aux prédilections sexuelles des minorités élevées au rang de nouveaux modèles éthiques...
Des bagatelles, en somme. Mais qui nous mènent à l'abattoir.
Pendant ce temps, M. Milei, après Jérusalem, se rend à Rome.
Au Pape François.
L'aumônier du nouvel Occident collectif.
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lundi, 12 février 2024
L'Occident contre l'Occident
L'Occident contre l'Occident
par Franco Cardini
Source : Franco Cardini & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-occidente-contro-l-occidente
"Le véritable dommage qui menace la civilisation ne vient pas de l'Est mais de l'extrême Occident". Telle est, en résumé, la thèse avancée non seulement par moi dans La deriva dell'Occidente (Laterza 2023), mais aussi et surtout par Emmanuel Todd dans La défaite de l'Occident (Gallimard 2024), d'une manière beaucoup plus autorisée et radicale.
Je voudrais cependant signaler que la phrase d'ouverture de ces quelques notes est citée dans un essai de Luciano Canfora, La schiavitù del capitale (il Mulino, 2017), toujours aussi lucide: elle appartient à Isaac Kadmi-Cohen (1892-1954) (photo), qui souligne comment, déjà au lendemain de la Première Guerre mondiale, avait été lancé, de la part des États-Unis en particulier, un projet "aussi intelligent que répugnant [...] de ruiner l'Europe et de la coloniser".
Tout cela revient de manière différente et encore plus convaincante dans le dernier livre du chrétien franco-libanais Amin Maalouf, Le Labyrinthe des égarés. L'Occident et ses adversaires (Grasset 2023), où les quatre ennemis de ce qu'il continue d'appeler "l'Occident" sont, dans l'ordre chronologique, le Japon de l'ère Meji, l'Union soviétique, la Chine d'aujourd'hui et enfin les Etats-Unis. Nous pouvons en déduire que Maalouf continue d'utiliser le terme "Occident" comme Spengler l'utilisait (donc comme synonyme d'Europe), mais qu'il converge avec l'opinion de Kadmi-Cohen selon laquelle le véritable ennemi de notre civilisation est "l'extrême Occident", c'est-à-dire précisément les États-Unis et leur zone de soutien immédiate, la soi-disant "anglosphère".
En revanche, le véritable ennemi de l'Europe a été historiquement, de manière graduelle mais progressive, depuis le début de l'ère moderne, l'Europe elle-même lorsqu'elle s'est proposée comme "Occident moderne" en rompant l'équilibre d'un monde antérieur caractérisé par des civilisations qui n'étaient pas totalement ouvertes les unes aux autres et en initiant l'économie-monde, donc la mondialisation, tout en choisissant de plus en plus irrévocablement l'individualisme, la volonté de puissance et le processus de sécularisation comme principales forces motrices.
Au vu de tout cela, entre le 16ème et le 20ème siècle, l'Europe, prétendant apporter au reste du monde son progrès, sa foi religieuse, sa civilisation et avec elle la paix, a en fait organisé un colossal système d'asservissement des autres continents et de destruction progressive de leurs civilisations respectives.
Maalouf choisit comme exemple, parmi des milliers, un épisode (rapporté dans son livre, pp. 199-201) pour préciser ce que fut la réalité des choses, occultée par les Européens sous couvert de relations commerciales pacifiques mais déjà, par exemple, par les Chinois à la fin du 18ème siècle, révélée et dénoncée dans sa brutale réalité.
En septembre 1793, le "fils du ciel" Qianlung de la dynastie mandchoue des Qing fête ses 82 ans. Le roi George III d'Angleterre juge bon de lui envoyer un ambassadeur pour lui présenter ses meilleurs vœux de longue vie; à cette occasion, le diplomate doit proposer à l'empereur chinois une collaboration commerciale toujours plus étroite, ce qui implique d'ouvrir davantage ses ports aux navires britanniques. Lord George Macartney, qui avait déjà une certaine expérience de l'Asie, du moins de l'Inde, fut choisi pour mener à bien cette mission.
En tant que représentant de la plus grande puissance navale du monde, Macartney estime qu'une certaine nonchalance déférente suffit pour être reçu à la cour de Pékin: il apporte de riches cadeaux, et il estime que cela suffit pour croire que le représentant du roi d'Angleterre peut être exempté du rite des neuf prosternations devant le trône du Fils du Ciel.
Mais Qianlung était d'un autre avis. Non seulement il le traite avec dédain en l'obligeant à lui rendre l'hommage qui lui est dû, mais il adresse même au roi George un long et sévère avertissement écrit: "Notre Empire céleste possède à l'intérieur de ses frontières toutes sortes de biens en abondance et ne manque de rien. Il n'a donc pas besoin d'importer de l'extérieur les choses que les barbares produisent. Néanmoins, comme le thé, la soie et la porcelaine sont des produits de première nécessité pour les Européens, nous avons, en signe de faveur, permis à des groupes de marchands européens de s'installer à Canton, afin que vos besoins soient satisfaits et que votre pays reçoive sa part des marchandises que nous produisons. Mais votre ambassadeur vient de formuler de nouvelles revendications qui méconnaissent totalement le principe par lequel Nous avons résolu d'accorder le même traitement bienveillant à tous les étrangers. Votre Angleterre n'est pas le seul pays qui fasse du commerce à Canton. Si d'autres pays, suivant votre mauvais exemple, commençaient à nous troubler les oreilles par des revendications insensées, comment pourrions-nous continuer à les traiter avec la même indulgence ? Néanmoins, n'oublions pas que vous venez d'une île lointaine, isolée du reste du monde par une vaste étendue d'eaux marines, ce qui excuse votre ignorance des coutumes du Céleste Empire. En conséquence, nous avons chargé nos ministres de le faire savoir à votre ambassadeur...".
Deux cultures, deux systèmes mentaux se font face. D'un côté, la tradition, les coutumes, le respect accordé et exigé; de l'autre, l'arrogance du pouvoir matériel, du pouvoir qui naît de la conscience de la supériorité, dont les piliers actuels sont ceux indiqués par Carlo Maria Cipolla, les voiles mobiles qui permettent la navigation océanique et les puissantes bouches de feu capables de faire plier des interlocuteurs certainement dotés d'une culture égale et peut-être même supérieure. À la culture de l'Être, l'Occident n'opposait ni Jésus-Christ, ni Platon, ni Aristote, mais la culture de l'Avoir : c'est-à-dire de posséder, d'imposer par la force sa supériorité vantée, de faire fructifier son propre profit.
Les fruits de ce choc des cultures sont apparus en Chine moins d'un siècle plus tard, lorsque la balance commerciale a basculé du côté des Chinois, qui produisaient en quantité et en qualité des biens de valeur très demandés en Occident. Les Britanniques proposent alors aux Chinois d'exporter ce que, grâce à leur empire indien, ils possèdent en abondance: l'opium, que le gouvernement du Céleste Empire rejette dédaigneusement au motif qu'il causerait d'immenses dommages moraux, économiques et physiques à son peuple. La réponse des puissances européennes - la Grande-Bretagne et la France - fut chrétienne et libérale, comme elles se targuaient de l'être; une agression qui fut suivie de la "guerre de l'opium" déclenchée en 1839 et du début de la destruction de la structure impériale, une porte ouverte à ce qui s'est produit plus tard et que l'Occident officiel blâme en chœur bien qu'il soit contraint d'y faire face: le communisme dans une nouvelle édition et sa puissance mondiale renouvelée.
Il existe des bibliothèques entières sur tout cela: récemment, la traduction italienne d'un excellent livre de Julia Lovell, The Opium War and the Birth of Modern China (Einaudi 2022), a été publiée. Victor Hugo a écrit que l'agression européenne contre le grand empire hautement civilisé était un pur acte de piraterie et de boucherie. Pour la Chine d'aujourd'hui, cet épisode a marqué l'issue fatale d'une conspiration occidentale visant à détruire la Chine par la drogue et la "diplomatie de la canonnière". Qu'en est-il dans les écoles italiennes du "danger chinois contre la démocratie occidentale"?
Depuis trop longtemps, l'Occident, qui prône la paix, la liberté, le progrès, la fraternité entre les peuples, a semé ce vent dans le monde; nos enfants, enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants de générations de vautours démocratiques éduqués et civilisés, récolteront maintenant la tempête qui se prépare. Et nos gouvernants n'ont pas pu éviter, ils ont même contribué à provoquer la situation que Marco Tarchi définit avec une exactitude désenchantée comme "no way out". Le néo-langage orwellien de nos politiciens libéraux, qui ont préparé la guerre en l'appelant "paix", qui ont organisé des provocations en les appelant "soutien à la démocratie" et des agressions en les appelant "droit à la défense" ou "défense préventive", qui ont ourdi des conspirations putschistes en les appelant "protection de la liberté", est responsable de tout cela.
FC
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jeudi, 25 janvier 2024
Franco Cardini et l'implosion de l'Occident
Franco Cardini et l'implosion de l'Occident
Source: https://www.destra.it/home/franco-cardini-limplosione-delloccidente/
À la fin de l'année dernière, il m'est arrivé d'écrire un petit livre prétentieux et pédant, une sorte de réponse, quelques années plus tard, à ce grand essai qu'était en son temps (et qui l'est resté) L'occidentalisation du monde de Serge Latouche (La Découverte, 1989). Mon petit essai, peut-être à la façon d'un pamphlet, s'intitule La deriva dell'Occidente (Laterza, 2023), et examine le retour fiévreux et insultant de l'orgueil collectif d'un "Occident" qui n'arrive même pas à se définir clairement, qui perd une à une ses connotations historiques, culturelles, intellectuelles, religieuses, spirituelles, etc, et qui ne parvient à s'illusionner en croyant donner corps à son impossible reconquête identitaire qu'à travers l'orgie consumériste (d'ailleurs frustrée par la crise naissante) et le désert d'une "volonté de puissance" qui, après l'échec d'un projet fou de suprématie raciste, est incapable de donner à son illusion de supériorité un autre nom que le plus figé qui soit: la "démocratie".
Je m'attendais à ce que cet exercice vide de prose frustrée suscite un désintérêt nonchalant. Après tout, c'était ce que je méritais et ce à quoi je m'attendais. Au lieu de cela, l'éditeur en a placé plusieurs milliers, et il y a même eu quelques critiques élogieuses. Mais surtout, coup de chance paradoxal, ma plaquette est sortie quelques semaines avant un vrai grand essai, bien plus important et significatif que le mien : et dont le titre, La défaite de l'Occident (Gallimard, 2024), semble reprendre mon discours, l'exalter et le conduire à ses conséquences extrêmes, celles vers lesquelles je n'avais même pas osé regarder.
D'ailleurs, il y a quelques mois, Emmanuel Todd et moi avons eu un prédécesseur valable dans une étude lucide de Didier Billon et Christophe Ventura au titre impitoyablement désenchanteur : Désoccidentalisation. Repenser l'ordre du monde (Agon, 2023).
Il faut dire que nous, historiens, philologues, philosophes, anthropologues, spécialistes de toutes sortes de "sciences humaines", n'aurions jamais eu le courage d'implanter une analyse dans les termes si concrètement, presque "matériellement" réalistes, où l'a implantée ce rude et parfois "minimaliste" élève d'Emmanuel Leroy Ladurie. Qui a le courage de regarder la réalité dans ses connotations squelettiques et de la décrire dans un langage réaliste et dépouillé. Todd nous dit : "Oublions les superstructures, regardons la structure nue".
Seulement, surprise, la structure de l'échec européen et de sa défaite n'est pas du tout socio-économique. Bien au contraire. Dès les années 1980, alors que la "victoire" de l'Occident semblait se dessiner si clairement qu'elle provoquait le cri de triomphe de la fin de l'histoire lancé par Francis Fukuyama, l'implosion de l'Union soviétique a tout remis en mouvement: comme si la fin de la Grande Union des athées avoués et militants avait fait éclater une cloque gonflée depuis trois quarts de siècle et contenant toutes les spores d'une religiosité refoulée et invincible, comprimée et prête à exploser.
Une religiosité qui a vu ailleurs la victoire de l'argent et du marché (le "roi Midas" décrit précisément par Paolo Cacciari dans l'essai Re Mida. La mercificazione del pianeta, La Vela, 2022) avait lentement et implacablement tué dans une sorte de lente euthanasie. Soixante-dix ans de dictature soviétique n'ont pas figé les racines profondes du christianisme orthodoxe russe; de même, dans la très catholique Pologne, quelques années de démocratie ont suffi à mettre en crise la grande Église polonaise, qui avait résisté à la dictature indigène et à la tyrannie hégémonique soviétique pendant de nombreuses décennies.
Mais que s'est-il passé entre-temps dans l'Occident opulent et consumériste, dans l'univers du dollar et du marché, du profit et de la consommation ? C'est là que la crise du système socio-économico-politique international hégémonisé par les États-Unis a découvert son véritable point faible, précisément et surtout dans le domaine religieux et spirituel. Aux États-Unis, la dissolution de la grande tradition protestante a abouti au néolibéralisme et au nihilisme; en Grande-Bretagne, au tourbillon de la suprématie de la grande finance; en Europe, à un athéisme perdu dans le sommeil consumériste, à la lumière duquel, le dimanche, les centres commerciaux ont remplacé les messes et les paroisses.
Et voici que le sociologue et démographe Todd mobilise les ressources de la critique économique, de la sociologie religieuse et de l'anthropologie des profondeurs pour décrire, avec une abondance de données quantitatives, la défaite de l'Occident incapable de construire des valeurs qui ne soient pas exclusivement ou majoritairement matérialistes. L'Occident n'a pas explosé, il n'a pas été battu, il implose, incapable d'exprimer des valeurs qui ne soient pas liées à la monétisation, au profit, à la consommation. Incapable de résister au Rien qui avance.
Franco Cardini, Minima Cardiniana, 15 janvier 2024
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jeudi, 18 janvier 2024
Emmanuel Todd et la défaite de l'Occident
Emmanuel Todd et la défaite de l'Occident
Markku Siira
Source: https://markkusiira.com/2024/01/12/emmanuel-todd-ja-lannen-tappio/
L'historien et sociologue français Emmanuel Todd, qui avait prédit dès 1976 la chute prochaine de l'Union soviétique, évalue dans son nouveau livre La Défaite de l'Occident la fin imminente de l'Occident.
Décrit comme un "conservateur de gauche", Todd estime que l'OTAN est déjà en train de perdre le conflit en Ukraine. Malgré la situation actuelle enflammée, il conclut également que la défaite finira par culminer avec la réconciliation de la Russie avec l'Europe et son rapprochement avec l'Allemagne, contre la volonté des États-Unis. Cette affirmation semble bien téméraire.
L'historien français condamne l'attitude brutale de l'Occident à l'égard de la Russie, affirmant que "la prévention du rapprochement entre l'Allemagne et la Russie était l'un des objectifs des États-Unis". Ce rapprochement aurait signifié l'éviction des États-Unis de la structure du pouvoir européen. Ainsi, les Américains "préférent détruire l'Europe plutôt que de sauver l'Occident".
Dans sa nouvelle analyse, Todd souligne le déclin de "l'Amérique, plongée dans le nihilisme" en tant que superpuissance mondiale et l'affaiblissement de son industrie de guerre. Le penseur français cite également la perte d'influence de l'Europe, autrefois représentée par le partenariat franco-allemand.
Suite au conflit en Ukraine, l'Union européenne a pris ses distances avec la Russie, au détriment de ses propres intérêts commerciaux et énergétiques. Selon M. Todd, nous vivons désormais dans un "monde poutinophobe et russophobe" saturé par le discours occidental. Il n'est pas surprenant que ses opinions lui aient déjà valu l'étiquette de "poutiniste".
Mais Todd est un penseur ouvert et défend le pluralisme, qui reconnaît la valeur des différentes perspectives. Il souhaite que l'Occident reste pluraliste, même si, à l'heure actuelle, il semble qu'une seule version politisée de la réalité soit acceptée.
Todd ne pense pas que les prochaines élections présidentielles américaines changeront le cours du conflit actuel. Il pense que la Russie est fermement attachée à sa ligne de conduite. Le changement de leadership à la Maison Blanche n'a aucune importance pour le Kremlin, car "la Russie est en guerre contre les États-Unis".
L'historien considère que la situation en France est sombre. Pour Todd, "la France n'existe même plus parce qu'elle est alliée aux États-Unis et contrôlée par l'OTAN". La France de Macron ne semble de toute façon pas être une puissance très sérieuse: l'élite népotique vient d'élever un inexpérimenté de 34 ans, ouvertement homosexuel, Gabriel Attal, au poste de premier ministre.
D'un point de vue géopolitique, la dégradation de l'Europe ne se limite pas à la France. Les États existent grâce à leurs divers intérêts et à leur souveraineté nationale; dès lors qu'ils acceptent l'élément de vassalité volontaire, ils cessent d'exister. La guerre mondiale est loin, mais l'Europe vit toujours en territoire occupé par les Américains.
Selon Todd, la meilleure chose qui puisse arriver à l'Europe serait que les États-Unis se retirent de l'ensemble du continent. Alors que les euro-atlantistes habitués à l'hégémonie de Washington et souffrant du syndrome de Stockholm politique pourraient se demander "que nous arriverait-il alors?", Todd voit une paix s'étendre partout dans un espace européen libéré du joug américain.
Bien entendu, on peut se demander si le départ des États-Unis de l'Europe nécessite d'abord une guerre. La géopolitique est revenue au premier plan dans les relations internationales et la "gouvernance mondiale" est en pleine mutation. Qui déterminera finalement le nouvel ordre si et quand la domination de l'Occident, selon l'hypothèse de Todd, prendra fin ?
17:25 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, emmanuel todd, occident, europe, affaires européennes, livre | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 15 novembre 2023
L'empire euro-américain, Tacite et les droits de l'homme
L'empire euro-américain, Tacite et les droits de l'homme
Federico Leo Renzi
Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-impero-euro-americano-tacito-e-i-diritti-umani
L'une des grandes questions de l'histoire ancienne peut nous éclairer sur la situation actuelle : pourquoi Tacite, sénateur de la république romaine, a-t-il écrit un ouvrage comme son Agricola qui contenait une critique féroce de l'impérialisme romain ? Pourquoi un membre de l'élite romaine a-t-il remis en cause les fondements idéologiques de l'expansionnisme romain ?
Pour nous, la réponse est simple : parce que Tacite a vécu à l'apogée de l'empire (une apogée qui s'est produite immédiatement après les guerres civiles), qu'il croyait fermement en ses valeurs (la pax romana et la suprématie de la loi sur le chaos barbare) et qu'il a vu comment, dans la pratique, ces valeurs étaient pliées à de simples appétits de conquête territoriale. Son travail ne visait pas à démolir les idéaux de l'Empire romain, mais à appeler la classe dirigeante latine à les réaliser.
1900 ans plus tard, un phénomène similaire s'est produit dans l'empire euro-américain : les droits de l'homme ont été la charte des valeurs élaborée par l'empire euro-américain à son apogée, et se sont imposés après le désastre des guerres fratricides (première et deuxième guerres mondiales) pour redonner un élan idéal à un impérialisme désormais en crise idéologique. Les vives protestations qui ont eu lieu en Occident à partir des années 1960 parce qu'entre les proclamations officielles et la réalité des faits, les droits de l'homme n'étaient guère respectés, reposaient sur l'idée que l'empire à son apogée avait la force politico-économique de réaliser ses idéaux, sans les plier aux bas intérêts des nécessités économiques et géopolitiques du moment.
Nous sommes entrés dans une nouvelle phase, que le conflit actuel au Moyen-Orient illustre parfaitement : l'empire euro-américain est en crise, et il ne fait même plus semblant de respecter des lois pour justifier l'usage de sa force, il se contente de frapper le plus fort possible là où il perçoit un danger (réel ou supposé) pour l'éliminer, indifférent aux lois qu'il a lui-même élaborées pour se modérer.
Faire appel aux droits de l'homme pour pousser les élites occidentales à contraindre Netanyahu & co. à un cessez-le-feu n'a donc guère de sens : cela en aurait eu il y a 30 ans, lorsque les États-Unis et l'Europe étaient au faîte de leur puissance, mais maintenant qu'ils se sentent assiégés par des empires émergents (Russie, Chine, Inde, etc.), toute la rhétorique sur la limitation de la force et la protection des peuples les plus faibles n'est guère plus qu'un bruit de fond.
En bref, le problème est le suivant : Tacite nous enseigne que les empires se donnent des règles pour modérer l'usage de la force et produisent une classe dirigeante qui croit en ces règles lorsqu'elles sont à leur apogée, pour ensuite les rejeter dès que l'empire entre en crise et que les règles précédemment élaborées se heurtent à la nécessité de survivre. Le choc pour nous, Occidentaux, est donc double : la guerre actuelle nous confronte au fait que nos élites, après nous avoir inculqué de force le culte des droits de l'homme, ne les considèrent guère plus que comme du papier à jeter, et que notre empire est en crise profonde, peut-être irréversible.
L'Occident est donc nu, et nous avons découvert que sans vêtements, il n'offre pas un grand spectacle.
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