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jeudi, 22 février 2024

Les nouveaux pharisiens

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Les nouveaux pharisiens

Helmut Müller

Source: https://helmutmueller.wordpress.com/2024/02/21/die-neuen-pharisaer/

A peine le Nordstream avait-il sauté que Poutine était déjà désigné comme coupable par la presse "mainstream". Presque sur commande. Et maintenant, avant même de connaître les détails de la mort de Navalny, il était déjà clair que seul Poutine pouvait l'avoir tué. Le mot "présumé", qui est habituellement utilisé avant toute preuve, est bien entendu ignoré. Tout comme la possibilité que la mort de Navalny, qui aurait été soutenu par les services secrets occidentaux, puisse être plus utile aux opposants de Poutine qu'au Kremlin. Comme Nordstream, d'ailleurs.

Orwell savait déjà que les gens croient ce que les médias "mainstream" prétendent croire, et les opposants de Poutine s'en tiennent donc à cette grande foule de naïfs et de confortables qui ne peuvent ou ne veulent pas penser par eux-mêmes et auxquels on peut faire croire n'importe quoi, sauf la vérité. Comme le coronabidule l'a déjà fait, et c'est une fois de plus à la fois impressionnant et pathétique.

Goebbels et le commissaire responsable de l'agitation et de la propagande sous Staline (Agiprop) auraient pu servir de parrains: dans le cas de Poutine, les médias de la pensée unique le décrivent sans contestation comme le "monstre au Kremlin" (Kurier) qui envoie ses "hordes criminelles" (Krone) contre les Ukrainiens. Et déjà, on n'entend plus rien d'autre du côté des laquais de l'UE, mais jamais on ne tiendrait un tel langage contre un président américain belliqueux et son "armée", qui ne respecte pas le droit international, ou contre un gouvernement israélien criminel.

Oui, où étaient tous les pharisiens indignés d'aujourd'hui lorsque le gouvernement de Kiev a fait assassiner des milliers d'Ukrainiens d'origine russe, et où ont-ils manifesté lorsque le Pentagone et l'OTAN ont envahi plusieurs pays et que la CIA a fait assassiner des opposants et des chefs de gouvernement à tour de bras ? Aucun cri, aucune indignation, juste un silence gêné. Ou encore: un homme politique de premier plan ou un journaliste de premier plan a-t-il été bouleversé par le fait que, non pas en Russie, mais en Autriche, quelqu'un ait dû végéter pendant 15 ans dans un cachot pour un délit d'opinion et y ait péri ? Et Julian Assange, dont le "crime" est d'avoir révélé au public les crimes de guerre américains, n'est-il pas menacé d'une telle fin ?

L'Occident, si glorieux, devrait commencer par se regarder dans le miroir. Il devra se rendre compte qu'il n'est pas moralement capable de condamner Poutine, et un petit journaliste de Krone comme Claus Pandi devrait constater que la "folie perfide" des dirigeants du Kremlin qu'il a diagnostiquée est largement dépassée par celle de l'Occident. Je pense que je n'ai pas besoin d'expliquer ici en quoi consiste la folie occidentale qui menace notre civilisation.

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mercredi, 14 février 2024

L'Occident collectif et autres bagatelles

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L'Occident collectif et autres bagatelles

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/loccidente-collettivo-e-altre-bagatelle/

La géopolitique - enseigne Ernesto Massi - est une science cruelle. Parce qu'elle vous montre la réalité des choses telles qu'elles sont. Sans faux-semblants.

À l'époque où Massi - le dernier grand géopoliticien italien - enseignait et écrivait, la science cruelle, la géopolitique, n'était pas du tout à la mode. Au contraire, il y a encore quelques décennies, elle était taxée de pseudo-science, de science obscure, qui dégageait en outre une odeur sulfureuse de... nazisme.

Aujourd'hui, au contraire, la géopolitique est à la mode. Et nombreux sont ceux qui s'en empiffrent, de manière plus ou moins inappropriée. Des géopoliticiens improvisés et autoproclamés avec des titres académiques d'on ne sait quelle valeur... des journalistes généralement plus au fait des tenues des chanteurs de Sanremo que de concepts tels que l'Ile du Monde ou le Heartland. Des jeunes en goguette qui ont peut-être entendu parler de McKinder et même de Haushofer, mais qui croient probablement que Kjellen est l'avant-centre de l'équipe de la Finlande et Ratzel un golfeur australien...

Mais surtout, le langage plus ou moins charcuté de la science géopolitique commence à imprégner la rhétorique des hommes politiques.

C'est ainsi qu'un président argentin nouvellement élu - jusqu'à hier connu pour ses coups de théâtre, tronçonneuse à la main, et un vocabulaire qui fait passer notre vieux Bossi pour un fin rhéteur (sans parler de l'intelligence politique) - se rend à Jérusalem.

Et là, après avoir été photographié en train de verser de grosses larmes au Mur des Lamentations (ce qui, étant donné que le nôtre est d'origine italienne et n'a même pas une jota de sang juif, devrait être considéré comme une insulte ou une moquerie par un juif pratiquant sincère), il se lance dans des discours à tire-larigot.

Soutien à Israël dans la guerre de Gaza. Evident et patent. Mais ensuite, Milei devient tout théorique, utilisant des catégories (qu'il croit) propres à la géopolitique.

Il parle d'un "Occident collectif". Dont Israël ferait bien sûr partie intégrante... mais ce n'est pas ce qui nous intéresse. C'est plutôt l'affirmation de cette catégorie, que l'on entend depuis un certain temps du haut de plusieurs chaires.

L'Occident collectif. Qu'est-ce que cela signifie ? D'un point de vue purement géographique, cela ne veut rien dire. Le néant absolu.

Parce que déjà le concept d'Occident, purement et simplement, est en lui-même contestable.

Spengler, lorsqu'il parle du "Déclin de l'Occident", se réfère à l'Europe. Dimension, voire Continent spirituel assiégé par les "barbares" triomphants. À l'est, les Russes. À l'ouest, les Américains. Tous deux ne font pas partie de son idée de l'Occident. En fait, ce sont précisément ceux qui sont sur le point de le détruire.

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Bien des années plus tard, Geminello Alvi, un économiste brillant et original, a appelé l'Amérique le Deep West (Estremo Occidente). Ce sont les États-Unis. Différents de notre vieille Europe occidentale... un concept, lui aussi essentiellement culturel, dérivé de la pensée de Rudolf Steiner.

Deux brèves allusions pour dire quelque chose de très simple. Le concept d'"Occident collectif" est une invention tout à fait récente. Il veut rassembler dans une sorte d'unité tout ce qui correspond à des modèles sociaux et politiques précis. Ceux de l'anglosphère. Pour simplifier, ceux voulus à tous les niveaux - politique, social, culturel... - par les élites économiques qui dominent à Wall Street, à la City et dans leurs périphéries. Les camarades de Davos, en quelque sorte.

Des modèles, je tiens à le préciser, qui ne sont pas les nôtres. Mais pas plus que ceux des citoyens américains et britanniques ordinaires. Même avec toutes les différences, historiques et culturelles, qui nous séparent.

Rien à voir, cependant, avec les catégories propres à la géopolitique. Qui se fondent, toujours et uniquement, sur la réalité la plus convaincante. Celle de la géographie. Donc de la nature.

Qu'est-ce donc que cet "Occident collectif"?

Une abstraction qui contient, voire cache, pas mal de choses. Du turbo-capitalisme financier déconnecté de la Richesse des Nations (et rétif aux concepts de nations et de peuples) au malthusianisme idéologique qui veut décimer la population mondiale. D'une conception oligarchique du pouvoir (déguisée en dialectique démocratique) à la culture Woke. C'est-à-dire à la négation de l'histoire et des histoires différentes.

D'un environnementalisme anti-humain (et instrumental) aux prédilections sexuelles des minorités élevées au rang de nouveaux modèles éthiques...

Des bagatelles, en somme. Mais qui nous mènent à l'abattoir.

Pendant ce temps, M. Milei, après Jérusalem, se rend à Rome.

Au Pape François.

L'aumônier du nouvel Occident collectif.

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lundi, 12 février 2024

L'Occident contre l'Occident

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L'Occident contre l'Occident

par Franco Cardini

Source : Franco Cardini & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-occidente-contro-l-occidente

"Le véritable dommage qui menace la civilisation ne vient pas de l'Est mais de l'extrême Occident". Telle est, en résumé, la thèse avancée non seulement par moi dans La deriva dell'Occidente (Laterza 2023), mais aussi et surtout par Emmanuel Todd dans La défaite de l'Occident (Gallimard 2024), d'une manière beaucoup plus autorisée et radicale.

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Je voudrais cependant signaler que la phrase d'ouverture de ces quelques notes est citée dans un essai de Luciano Canfora, La schiavitù del capitale (il Mulino, 2017), toujours aussi lucide: elle appartient à Isaac Kadmi-Cohen (1892-1954) (photo), qui souligne comment, déjà au lendemain de la Première Guerre mondiale, avait été lancé, de la part des États-Unis en particulier, un projet "aussi intelligent que répugnant [...] de ruiner l'Europe et de la coloniser".

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Tout cela revient de manière différente et encore plus convaincante dans le dernier livre du chrétien franco-libanais Amin Maalouf, Le Labyrinthe des égarés. L'Occident et ses adversaires (Grasset 2023), où les quatre ennemis de ce qu'il continue d'appeler "l'Occident" sont, dans l'ordre chronologique, le Japon de l'ère Meji, l'Union soviétique, la Chine d'aujourd'hui et enfin les Etats-Unis. Nous pouvons en déduire que Maalouf continue d'utiliser le terme "Occident" comme Spengler l'utilisait (donc comme synonyme d'Europe), mais qu'il converge avec l'opinion de Kadmi-Cohen selon laquelle le véritable ennemi de notre civilisation est "l'extrême Occident", c'est-à-dire précisément les États-Unis et leur zone de soutien immédiate, la soi-disant "anglosphère".

En revanche, le véritable ennemi de l'Europe a été historiquement, de manière graduelle mais progressive, depuis le début de l'ère moderne, l'Europe elle-même lorsqu'elle s'est proposée comme "Occident moderne" en rompant l'équilibre d'un monde antérieur caractérisé par des civilisations qui n'étaient pas totalement ouvertes les unes aux autres et en initiant l'économie-monde, donc la mondialisation, tout en choisissant de plus en plus irrévocablement l'individualisme, la volonté de puissance et le processus de sécularisation comme principales forces motrices.

Au vu de tout cela, entre le 16ème et le 20ème siècle, l'Europe, prétendant apporter au reste du monde son progrès, sa foi religieuse, sa civilisation et avec elle la paix, a en fait organisé un colossal système d'asservissement des autres continents et de destruction progressive de leurs civilisations respectives.

Maalouf choisit comme exemple, parmi des milliers, un épisode (rapporté dans son livre, pp. 199-201) pour préciser ce que fut la réalité des choses, occultée par les Européens sous couvert de relations commerciales pacifiques mais déjà, par exemple, par les Chinois à la fin du 18ème siècle, révélée et dénoncée dans sa brutale réalité.

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En septembre 1793, le "fils du ciel" Qianlung de la dynastie mandchoue des Qing fête ses 82 ans. Le roi George III d'Angleterre juge bon de lui envoyer un ambassadeur pour lui présenter ses meilleurs vœux de longue vie; à cette occasion, le diplomate doit proposer à l'empereur chinois une collaboration commerciale toujours plus étroite, ce qui implique d'ouvrir davantage ses ports aux navires britanniques. Lord George Macartney, qui avait déjà une certaine expérience de l'Asie, du moins de l'Inde, fut choisi pour mener à bien cette mission.

En tant que représentant de la plus grande puissance navale du monde, Macartney estime qu'une certaine nonchalance déférente suffit pour être reçu à la cour de Pékin: il apporte de riches cadeaux, et il estime que cela suffit pour croire que le représentant du roi d'Angleterre peut être exempté du rite des neuf prosternations devant le trône du Fils du Ciel.

Mais Qianlung était d'un autre avis. Non seulement il le traite avec dédain en l'obligeant à lui rendre l'hommage qui lui est dû, mais il adresse même au roi George un long et sévère avertissement écrit: "Notre Empire céleste possède à l'intérieur de ses frontières toutes sortes de biens en abondance et ne manque de rien. Il n'a donc pas besoin d'importer de l'extérieur les choses que les barbares produisent. Néanmoins, comme le thé, la soie et la porcelaine sont des produits de première nécessité pour les Européens, nous avons, en signe de faveur, permis à des groupes de marchands européens de s'installer à Canton, afin que vos besoins soient satisfaits et que votre pays reçoive sa part des marchandises que nous produisons. Mais votre ambassadeur vient de formuler de nouvelles revendications qui méconnaissent totalement le principe par lequel Nous avons résolu d'accorder le même traitement bienveillant à tous les étrangers. Votre Angleterre n'est pas le seul pays qui fasse du commerce à Canton. Si d'autres pays, suivant votre mauvais exemple, commençaient à nous troubler les oreilles par des revendications insensées, comment pourrions-nous continuer à les traiter avec la même indulgence ? Néanmoins, n'oublions pas que vous venez d'une île lointaine, isolée du reste du monde par une vaste étendue d'eaux marines, ce qui excuse votre ignorance des coutumes du Céleste Empire. En conséquence, nous avons chargé nos ministres de le faire savoir à votre ambassadeur...".

Deux cultures, deux systèmes mentaux se font face. D'un côté, la tradition, les coutumes, le respect accordé et exigé; de l'autre, l'arrogance du pouvoir matériel, du pouvoir qui naît de la conscience de la supériorité, dont les piliers actuels sont ceux indiqués par Carlo Maria Cipolla, les voiles mobiles qui permettent la navigation océanique et les puissantes bouches de feu capables de faire plier des interlocuteurs certainement dotés d'une culture égale et peut-être même supérieure. À la culture de l'Être, l'Occident n'opposait ni Jésus-Christ, ni Platon, ni Aristote, mais la culture de l'Avoir : c'est-à-dire de posséder, d'imposer par la force sa supériorité vantée, de faire fructifier son propre profit.

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Les fruits de ce choc des cultures sont apparus en Chine moins d'un siècle plus tard, lorsque la balance commerciale a basculé du côté des Chinois, qui produisaient en quantité et en qualité des biens de valeur très demandés en Occident. Les Britanniques proposent alors aux Chinois d'exporter ce que, grâce à leur empire indien, ils possèdent en abondance: l'opium, que le gouvernement du Céleste Empire rejette dédaigneusement au motif qu'il causerait d'immenses dommages moraux, économiques et physiques à son peuple. La réponse des puissances européennes - la Grande-Bretagne et la France - fut chrétienne et libérale, comme elles se targuaient de l'être; une agression qui fut suivie de la "guerre de l'opium" déclenchée en 1839 et du début de la destruction de la structure impériale, une porte ouverte à ce qui s'est produit plus tard et que l'Occident officiel blâme en chœur bien qu'il soit contraint d'y faire face: le communisme dans une nouvelle édition et sa puissance mondiale renouvelée.

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Il existe des bibliothèques entières sur tout cela: récemment, la traduction italienne d'un excellent livre de Julia Lovell, The Opium War and the Birth of Modern China (Einaudi 2022), a été publiée. Victor Hugo a écrit que l'agression européenne contre le grand empire hautement civilisé était un pur acte de piraterie et de boucherie. Pour la Chine d'aujourd'hui, cet épisode a marqué l'issue fatale d'une conspiration occidentale visant à détruire la Chine par la drogue et la "diplomatie de la canonnière". Qu'en est-il dans les écoles italiennes du "danger chinois contre la démocratie occidentale"?

Depuis trop longtemps, l'Occident, qui prône la paix, la liberté, le progrès, la fraternité entre les peuples, a semé ce vent dans le monde; nos enfants, enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants de générations de vautours démocratiques éduqués et civilisés, récolteront maintenant la tempête qui se prépare. Et nos gouvernants n'ont pas pu éviter, ils ont même contribué à provoquer la situation que Marco Tarchi définit avec une exactitude désenchantée comme "no way out". Le néo-langage orwellien de nos politiciens libéraux, qui ont préparé la guerre en l'appelant "paix", qui ont organisé des provocations en les appelant "soutien à la démocratie" et des agressions en les appelant "droit à la défense" ou "défense préventive", qui ont ourdi des conspirations putschistes en les appelant "protection de la liberté", est responsable de tout cela.

FC

jeudi, 25 janvier 2024

Franco Cardini et l'implosion de l'Occident

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Franco Cardini et l'implosion de l'Occident

Source: https://www.destra.it/home/franco-cardini-limplosione-delloccidente/

À la fin de l'année dernière, il m'est arrivé d'écrire un petit livre prétentieux et pédant, une sorte de réponse, quelques années plus tard, à ce grand essai qu'était en son temps (et qui l'est resté) L'occidentalisation du monde de Serge Latouche (La Découverte, 1989). Mon petit essai, peut-être à la façon d'un pamphlet, s'intitule La deriva dell'Occidente (Laterza, 2023), et examine le retour fiévreux et insultant de l'orgueil collectif d'un "Occident" qui n'arrive même pas à se définir clairement, qui perd une à une ses connotations historiques, culturelles, intellectuelles, religieuses, spirituelles, etc, et qui ne parvient à s'illusionner en croyant donner corps à son impossible reconquête identitaire qu'à travers l'orgie consumériste (d'ailleurs frustrée par la crise naissante) et le désert d'une "volonté de puissance" qui, après l'échec d'un projet fou de suprématie raciste, est incapable de donner à son illusion de supériorité un autre nom que le plus figé qui soit: la "démocratie".

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Je m'attendais à ce que cet exercice vide de prose frustrée suscite un désintérêt nonchalant. Après tout, c'était ce que je méritais et ce à quoi je m'attendais. Au lieu de cela, l'éditeur en a placé plusieurs milliers, et il y a même eu quelques critiques élogieuses. Mais surtout, coup de chance paradoxal, ma plaquette est sortie quelques semaines avant un vrai grand essai, bien plus important et significatif que le mien : et dont le titre, La défaite de l'Occident (Gallimard, 2024), semble reprendre mon discours, l'exalter et le conduire à ses conséquences extrêmes, celles vers lesquelles je n'avais même pas osé regarder.

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D'ailleurs, il y a quelques mois, Emmanuel Todd et moi avons eu un prédécesseur valable dans une étude lucide de Didier Billon et Christophe Ventura au titre impitoyablement désenchanteur : Désoccidentalisation. Repenser l'ordre du monde (Agon, 2023).

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Il faut dire que nous, historiens, philologues, philosophes, anthropologues, spécialistes de toutes sortes de "sciences humaines", n'aurions jamais eu le courage d'implanter une analyse dans les termes si concrètement, presque "matériellement" réalistes, où l'a implantée ce rude et parfois "minimaliste" élève d'Emmanuel Leroy Ladurie. Qui a le courage de regarder la réalité dans ses connotations squelettiques et de la décrire dans un langage réaliste et dépouillé. Todd nous dit : "Oublions les superstructures, regardons la structure nue".

Seulement, surprise, la structure de l'échec européen et de sa défaite n'est pas du tout socio-économique. Bien au contraire. Dès les années 1980, alors que la "victoire" de l'Occident semblait se dessiner si clairement qu'elle provoquait le cri de triomphe de la fin de l'histoire lancé par Francis Fukuyama, l'implosion de l'Union soviétique a tout remis en mouvement: comme si la fin de la Grande Union des athées avoués et militants avait fait éclater une cloque gonflée depuis trois quarts de siècle et contenant toutes les spores d'une religiosité refoulée et invincible, comprimée et prête à exploser.

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Une religiosité qui a vu ailleurs la victoire de l'argent et du marché (le "roi Midas" décrit précisément par Paolo Cacciari dans l'essai Re Mida. La mercificazione del pianeta, La Vela, 2022) avait lentement et implacablement tué dans une sorte de lente euthanasie. Soixante-dix ans de dictature soviétique n'ont pas figé les racines profondes du christianisme orthodoxe russe; de même, dans la très catholique Pologne, quelques années de démocratie ont suffi à mettre en crise la grande Église polonaise, qui avait résisté à la dictature indigène et à la tyrannie hégémonique soviétique pendant de nombreuses décennies.

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Mais que s'est-il passé entre-temps dans l'Occident opulent et consumériste, dans l'univers du dollar et du marché, du profit et de la consommation ? C'est là que la crise du système socio-économico-politique international hégémonisé par les États-Unis a découvert son véritable point faible, précisément et surtout dans le domaine religieux et spirituel. Aux États-Unis, la dissolution de la grande tradition protestante a abouti au néolibéralisme et au nihilisme; en Grande-Bretagne, au tourbillon de la suprématie de la grande finance; en Europe, à un athéisme perdu dans le sommeil consumériste, à la lumière duquel, le dimanche, les centres commerciaux ont remplacé les messes et les paroisses.

Et voici que le sociologue et démographe Todd mobilise les ressources de la critique économique, de la sociologie religieuse et de l'anthropologie des profondeurs pour décrire, avec une abondance de données quantitatives, la défaite de l'Occident incapable de construire des valeurs qui ne soient pas exclusivement ou majoritairement matérialistes. L'Occident n'a pas explosé, il n'a pas été battu, il implose, incapable d'exprimer des valeurs qui ne soient pas liées à la monétisation, au profit, à la consommation. Incapable de résister au Rien qui avance.

Franco Cardini, Minima Cardiniana, 15 janvier 2024

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jeudi, 18 janvier 2024

Emmanuel Todd et la défaite de l'Occident

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Emmanuel Todd et la défaite de l'Occident

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2024/01/12/emmanuel-todd-ja-lannen-tappio/

L'historien et sociologue français Emmanuel Todd, qui avait prédit dès 1976 la chute prochaine de l'Union soviétique, évalue dans son nouveau livre La Défaite de l'Occident la fin imminente de l'Occident.

Décrit comme un "conservateur de gauche", Todd estime que l'OTAN est déjà en train de perdre le conflit en Ukraine. Malgré la situation actuelle enflammée, il conclut également que la défaite finira par culminer avec la réconciliation de la Russie avec l'Europe et son rapprochement avec l'Allemagne, contre la volonté des États-Unis. Cette affirmation semble bien téméraire.

L'historien français condamne l'attitude brutale de l'Occident à l'égard de la Russie, affirmant que "la prévention du rapprochement entre l'Allemagne et la Russie était l'un des objectifs des États-Unis". Ce rapprochement aurait signifié l'éviction des États-Unis de la structure du pouvoir européen. Ainsi, les Américains "préférent détruire l'Europe plutôt que de sauver l'Occident".

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Dans sa nouvelle analyse, Todd souligne le déclin de "l'Amérique, plongée dans le nihilisme" en tant que superpuissance mondiale et l'affaiblissement de son industrie de guerre. Le penseur français cite également la perte d'influence de l'Europe, autrefois représentée par le partenariat franco-allemand.

Suite au conflit en Ukraine, l'Union européenne a pris ses distances avec la Russie, au détriment de ses propres intérêts commerciaux et énergétiques. Selon M. Todd, nous vivons désormais dans un "monde poutinophobe et russophobe" saturé par le discours occidental. Il n'est pas surprenant que ses opinions lui aient déjà valu l'étiquette de "poutiniste".

Mais Todd est un penseur ouvert et défend le pluralisme, qui reconnaît la valeur des différentes perspectives. Il souhaite que l'Occident reste pluraliste, même si, à l'heure actuelle, il semble qu'une seule version politisée de la réalité soit acceptée.

Todd ne pense pas que les prochaines élections présidentielles américaines changeront le cours du conflit actuel. Il pense que la Russie est fermement attachée à sa ligne de conduite. Le changement de leadership à la Maison Blanche n'a aucune importance pour le Kremlin, car "la Russie est en guerre contre les États-Unis".

L'historien considère que la situation en France est sombre. Pour Todd, "la France n'existe même plus parce qu'elle est alliée aux États-Unis et contrôlée par l'OTAN". La France de Macron ne semble de toute façon pas être une puissance très sérieuse: l'élite népotique vient d'élever un inexpérimenté de 34 ans, ouvertement homosexuel, Gabriel Attal, au poste de premier ministre.

D'un point de vue géopolitique, la dégradation de l'Europe ne se limite pas à la France. Les États existent grâce à leurs divers intérêts et à leur souveraineté nationale; dès lors qu'ils acceptent l'élément de vassalité  volontaire, ils cessent d'exister. La guerre mondiale est loin, mais l'Europe vit toujours en territoire occupé par les Américains.

Selon Todd, la meilleure chose qui puisse arriver à l'Europe serait que les États-Unis se retirent de l'ensemble du continent. Alors que les euro-atlantistes habitués à l'hégémonie de Washington et souffrant du syndrome de Stockholm politique pourraient se demander "que nous arriverait-il alors?", Todd voit une paix s'étendre partout dans un espace européen libéré du joug américain.

Bien entendu, on peut se demander si le départ des États-Unis de l'Europe nécessite d'abord une guerre. La géopolitique est revenue au premier plan dans les relations internationales et la "gouvernance mondiale" est en pleine mutation. Qui déterminera finalement le nouvel ordre si et quand la domination de l'Occident, selon l'hypothèse de Todd, prendra fin ?

mercredi, 15 novembre 2023

L'empire euro-américain, Tacite et les droits de l'homme

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L'empire euro-américain, Tacite et les droits de l'homme

Federico Leo Renzi

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-impero-euro-americano-tacito-e-i-diritti-umani

L'une des grandes questions de l'histoire ancienne peut nous éclairer sur la situation actuelle : pourquoi Tacite, sénateur de la république romaine, a-t-il écrit un ouvrage comme son Agricola qui contenait une critique féroce de l'impérialisme romain ? Pourquoi un membre de l'élite romaine a-t-il remis en cause les fondements idéologiques de l'expansionnisme romain ?

Pour nous, la réponse est simple : parce que Tacite a vécu à l'apogée de l'empire (une apogée qui s'est produite immédiatement après les guerres civiles), qu'il croyait fermement en ses valeurs (la pax romana et la suprématie de la loi sur le chaos barbare) et qu'il a vu comment, dans la pratique, ces valeurs étaient pliées à de simples appétits de conquête territoriale. Son travail ne visait pas à démolir les idéaux de l'Empire romain, mais à appeler la classe dirigeante latine à les réaliser.

1900 ans plus tard, un phénomène similaire s'est produit dans l'empire euro-américain : les droits de l'homme ont été la charte des valeurs élaborée par l'empire euro-américain à son apogée, et se sont imposés après le désastre des guerres fratricides (première et deuxième guerres mondiales) pour redonner un élan idéal à un impérialisme désormais en crise idéologique. Les vives protestations qui ont eu lieu en Occident à partir des années 1960 parce qu'entre les proclamations officielles et la réalité des faits, les droits de l'homme n'étaient guère respectés, reposaient sur l'idée que l'empire à son apogée avait la force politico-économique de réaliser ses idéaux, sans les plier aux bas intérêts des nécessités économiques et géopolitiques du moment.

Nous sommes entrés dans une nouvelle phase, que le conflit actuel au Moyen-Orient illustre parfaitement : l'empire euro-américain est en crise, et il ne fait même plus semblant de respecter des lois pour justifier l'usage de sa force, il se contente de frapper le plus fort possible là où il perçoit un danger (réel ou supposé) pour l'éliminer, indifférent aux lois qu'il a lui-même élaborées pour se modérer.

Faire appel aux droits de l'homme pour pousser les élites occidentales à contraindre Netanyahu & co. à un cessez-le-feu n'a donc guère de sens : cela en aurait eu il y a 30 ans, lorsque les États-Unis et l'Europe étaient au faîte de leur puissance, mais maintenant qu'ils se sentent assiégés par des empires émergents (Russie, Chine, Inde, etc.), toute la rhétorique sur la limitation de la force et la protection des peuples les plus faibles n'est guère plus qu'un bruit de fond.

En bref, le problème est le suivant : Tacite nous enseigne que les empires se donnent des règles pour modérer l'usage de la force et produisent une classe dirigeante qui croit en ces règles lorsqu'elles sont à leur apogée, pour ensuite les rejeter dès que l'empire entre en crise et que les règles précédemment élaborées se heurtent à la nécessité de survivre. Le choc pour nous, Occidentaux, est donc double : la guerre actuelle nous confronte au fait que nos élites, après nous avoir inculqué de force le culte des droits de l'homme, ne les considèrent guère plus que comme du papier à jeter, et que notre empire est en crise profonde, peut-être irréversible.

L'Occident est donc nu, et nous avons découvert que sans vêtements, il n'offre pas un grand spectacle.

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mercredi, 08 novembre 2023

Les guerres et les hurlements inutiles de leurs supporters

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Marcello Veneziani :

Les guerres et les hurlements inutiles de leurs supporters

Source: https://www.destra.it/home/marcello-veneziani-loccidente-e-il-peggior-nemico-di-se-stesso/

Les massacres du Hamas en Israël et l'invasion de l'Ukraine ont été interprétés comme une attaque contre l'Occident, obligeant les Occidentaux à prendre parti. En réalité, il s'agit de deux cas différents : si l'attaque du Hamas révèle également une certaine hostilité envers l'Occident, l'invasion russe de l'Ukraine n'était pas dirigée contre l'Europe mais visait plutôt à restaurer la zone d'influence russe, comme à l'époque des tsars et de l'URSS, et à éviter les bases de l'OTAN aux frontières de la Russie.

Mais dans les deux cas, l'appel est lancé pour défendre l'Occident et prendre parti en conséquence.

Inutile de le nier, mais dans le monde "conservateur", un carrefour inéluctable refait surface entre ceux qui prennent toujours et de toute façon le parti de l'Occident, et d'abord des Etats-Unis, et ceux qui ne se reconnaissent pas dans un Occident qui nie leurs identités et leurs matrices mêmes ; leur histoire, leur pensée, leur tradition, leur foi, leurs communautés naturelles, et court vers une dérive post-humaine et nihiliste. Il s'agit bien de ce clivage, mais nous ne pouvons pas l'éluder. Il est facile de prendre le parti de l'Occident et de tout ce qu'il exprime, si l'on reconnaît sans hésiter son modèle économique et social comme le nec plus ultra ; ses intérêts, ses modes de vie fluides et son idéologie dominante comme la représentation du bien, de la liberté, de la démocratie, des droits, du progrès et du bien-être. Et vice versa, il est facile de prendre parti contre l'Occident si l'on est un ennemi du modèle capitaliste, du consumérisme effréné, du colonialisme passé, ou si l'on vit avec honte et culpabilité l'héritage historique, civil et religieux de l'Occident et de son "impérialisme".

Mais il devient plus difficile de prendre parti si, d'un côté, on aime la civilisation dont nous sommes issus et si, de l'autre, on déteste sa décadence et son déni, la primauté de l'individualisme, de l'économie, de la technologie, l'absence de valeurs autres que les codes idéologiques woke, black ou politiquement corrects. Si vous êtes toujours et partout du côté de l'Occident, vous vous aplatissez dans la défense de cet Occident qui nie sa propre civilisation, son identité et ses racines grecques, romaines et chrétiennes. Vous ne défendez finalement que son niveau de prospérité et de puissance, en renonçant à tout le reste, jusqu'à mettre en péril la liberté et la démocratie. Si, en revanche, vous vous opposez à l'Occident, vous risquez de travailler pour les bourreaux ou les ennemis, du fanatisme islamique à la dictature chinoise, et de soutenir des régimes et des pays qui nient la liberté, les droits et la démocratie. Nous n'aimons pas cet Occident, ni la suprématie américaine, mais pourrions-nous jamais nous ranger du côté des pays du Brics et de leurs nouveaux alliés, sachant que nous sommes de toute façon dans le camp opposé ? Peut-on se ranger du côté de Poutine, des ayatollahs ou de Xi jinping parce qu'on déteste cet Occident ? Il faut aller au-delà de l'apocalyptique et de l'intégré.

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Sur le plan culturel ou des principes, on peut trouver un point de cohérence, en embrassant la civilisation et en critiquant certains aspects de la civilisation, en aimant et en soutenant notre identité nationale, européenne et méditerranéenne, civilisée et religieuse, et en rejetant le modèle mondial uniforme et aliénant promu par le techno-capitalisme. Activer la capacité à se distinguer sur le plan international (par exemple, l'Inde est un interlocuteur préférable à la Chine).

Mais quand l'histoire vous oblige à choisir tel ou tel côté du terrain, et de manière rapide et sanglante ; quand il y a une guerre en cours, ou une extermination, que faites-vous, restez-vous au milieu, vous enfermez-vous dans la tour, choisissez-vous l'un ou l'autre, sachant en tout cas que vous trahissez une part essentielle de votre être européen ? Il y a ceux qui résolvent tout en agitant sans délai les drapeaux du moment, le drapeau ukrainien, le drapeau israélien, comme le fait le gouvernement actuel ; ils acceptent le manichéisme élémentaire des médias et des acteurs les plus puissants de l'Occident, ils ne se posent pas de questions critiques, ils ne reconnaissent pas les précédents et les hypothèses, ils ne voient pas les choses de plusieurs points de vue, ils ne calculent pas les effets à long terme, la douleur et le ressentiment de vengeance qu'elle suscite. Elle divise absolument entre victimes et bourreaux, sans se demander si les bourreaux d'aujourd'hui sont les victimes d'hier et vice-versa ; c'est plus facile pour le message et peut-être plus bénéfique, même sur le plan personnel. Mais pour ceux qui aiment la réalité et la vérité et qui chérissent certains principes, il n'y a pas de solution aussi simple et unilatérale. Il ne reste plus qu'à adhérer au sens des réalités, à la primauté du bien ou, à défaut, à la préférence pour le moindre mal, à la distinction des plans, des temps et des priorités, à l'équilibre dans la prise en compte des différents points d'intérêt et d'observation. Pour prendre un exemple brûlant du présent, vaincre le terrorisme du Hamas est une priorité à partager, mais l'agenda ne peut pas être uniquement la sauvegarde d'Israël, qui est sacro-sainte, sans considérer la nécessité de garantir la vie au peuple palestinien et de lui donner un État et un territoire. Les frustrations et les droits fondamentaux bafoués alimentent l'extrémisme et compromettent l'avenir bien plus que les pourparlers et les négociations.

D'énormes questions passent au second plan et rappellent le thème du christianisme à son crépuscule, la question de la technologie qui envahit tout, l'acceptation ou non du capitalisme comme horizon indépassable, corrigeable ou surmontable. Et puis la relation entre l'Europe et les États-Unis, et entre l'Europe et le reste du monde. L'Occident n'est pas un bloc compact, dire l'Occident c'est désigner au moins trois mondes irréductibles, voire souvent divergents : les États-Unis, l'Amérique latine et l'Europe. Raison de plus pour écarter l'idée de l'Occident comme corps unique et parler d'une part d'Europe ou d'archipel de patries, et d'autre part de Multivers, c'est-à-dire d'un monde pluriel avec plusieurs zones de cohésion.

C'est précisément le réalisme qui devrait nous obliger à partir d'une considération : l'Occident n'est pas le monde entier ni le paradigme de l'univers, mais une réalité désormais minoritaire, destinée à être de moins en moins centrale, voire à succomber, dans de nombreux défis et dans de nombreux domaines. Un Occident qui, de surcroît, a honte de lui-même, de son identité, de son histoire et de sa culture, de sa tradition et de sa religion. Au sein de l'Occident, les priorités et les intérêts européens ne coïncident pas avec ceux de l'Atlantique. La conséquence est d'accepter l'idée d'un monde multipolaire, de considérer l'Europe comme l'une de ces zones et de dépasser la prétention que les États-Unis peuvent continuer à être l'arbitre suprême de la planète. Que cette position s'éloigne ou rejoigne celle du gouvernement actuel ne nous intéresse guère : il ne s'agit pas d'une question de droite ou de gauche. Il s'agit de défendre la réalité, le bon sens, l'équilibre, de chercher des morceaux de vérité dans le polygone de la vie, de défendre la civilisation et l'humanité, en commençant par les plus proches.

 

Marcello Veneziani, La Verità - 15 octobre 2023

jeudi, 02 novembre 2023

Le fantôme de la liberté. Un Occident totalitaire ?

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Le fantôme de la liberté. Un Occident totalitaire?

par Roberto Pecchioli

Source : EreticaMente & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/il-fantasma-della...

La liberté n'est pas en bonne santé en Occident, patrie autoproclamée de la liberté. Elle risque de se transformer en fantôme, au point de se fondre dans une nouvelle forme, non moins insidieuse que les précédentes, de totalitarisme, où les méthodes "dures" (contrainte physique, terreur, élimination des dissidents, interdictions explicites de penser, de parler, de s'associer, d'agir) sont remplacées par la séduction, le contrôle à distance, l'abolition progressive des idées non conformes. C'est la méthode de la grenouille ébouillantée, le rétrécissement lent et régulier des libertés concrètes, retirées une à une, toujours justifiées par de nobles motifs: sécurité, protection, défense des minorités, inclusion, discours de haine, etc. Nous n'avons pas encore basculé dans le totalitarisme pur et dur, mais les prémisses sont là.

Le titre de cette réflexion contient deux mots (liberté et totalitarisme) dont le sens n'est pas universellement partagé. La troisième catégorie - l'Occident - a depuis longtemps perdu toute connotation géographique pour devenir le nom de la civilisation articulée autour du libéralisme politique et du libéralisme économique, dirigée par les États-Unis, et composée de l'Europe occidentale, d'Israël et des satellites de l'ancien empire britannique, avec des ramifications de plus en plus indisciplinées en Amérique centrale et en Amérique du Sud. L'Occident est un système d'hégémonie sur l'humanité au nom d'une oligarchie internationale illégitime. Il est le contraire de l'Europe, dont il a détruit la culture, les racines et les traditions. Ayant atteint le pouvoir "impérial", il a inversé la prédiction de Lord Acton au 19ème siècle : le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument.

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Margaret Thatcher était une interprète cohérente de cette tendance, pour qui il n'y a pas d'alternative au modèle mondial occidental. L'acronyme TINA, there is no alternative, est devenu l'un des mantras d'un système de plus en plus oppressif au nom de la liberté économique et financière de quelques géants. La négation de la possibilité d'alternatives est en soi un concept totalitaire.

La définition la plus prégnante du totalitarisme est celle de Hannah Arendt. Pour la penseuse juive allemande, le totalitarisme contemporain est un modèle politique distinct des formes historiquement connues de pouvoir autoritaire telles que le despotisme, la tyrannie et la dictature. Là où il a pris le pouvoir, il a détruit les traditions politiques, écrasé l'ordre social antérieur et poussé à l'extrême les caractéristiques de la société de masse, telles que l'isolement et l'interchangeabilité des individus.

Le néo-totalitarisme n'exige pas seulement la subordination politique, il envahit et contrôle également la sphère privée et intime. Son objectif est de remplacer la société existante par une société radicalement différente, en construisant au fil du temps une autre humanité. En ce sens, il ne fait aucun doute que le libéralisme mondialiste qui a triomphé après la défaite du communisme et le discrédit de toute autre forme d'organisation politique, économique, sociale et de valeurs présente des traits totalitaires. Notamment en raison de son alliance avec l'appareil technologique et scientifique dont il est le moteur et le propriétaire. L'accusation portée contre le collectivisme d'État par Friedrich von Hayek, économiste ultra-libéral, se retourne contre le libéralisme - sorti de lui-même pour devenir le mondialisme - : celui qui possède tous les moyens, détermine toutes les fins. Les siennes, bien sûr. Encore un indice de totalitarisme.

Avec la même force argumentative, on peut soutenir qu'une société fondée sur des "droits" ne peut être totalitaire, que la liberté économique n'a jamais été aussi grande, et que jamais l'individu, dans ce coin du monde qu'est l'Occident, n'a bénéficié d'autant d'opportunités qui sont devenues des "droits". Les deux thèses sont valables. L'auteur de ces lignes aime la liberté et se méfie des droits. D'abord parce que proclamer des droits sans établir de devoirs correspondants engendre le cynisme, l'indifférence sociale, l'individualisme rancunier, le repli sur un "moi" capricieux, tyrannique comme un enfant gâté. Ensuite, la nature des droits: les droits sociaux et communautaires sont effacés, les droits subjectifs sont mis en exergue, notamment ceux liés à la sphère pulsionnelle et sexuelle. Plié dans un individualisme radical, pulvérisant la communauté, l'Occident détruit aussi la société, l'ordre qui régule les principes, les valeurs, les intérêts distincts mais non incompatibles.

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Les droits proposés concernent toujours la sphère subjective et considèrent la liberté comme l'absence de contraintes (freedom 'from'), c'est-à-dire la libération. De la famille, de l'autorité, des appartenances naturelles, voire de l'identité la plus intime. Le modèle est le "trans", sujet fluide, changeant, provisoire, détaché de tout ce qui dépasse sa volonté, son plaisir, sa préférence, devenus incontestables. Le droit de ne plus être quelque chose de défini tout en en faisant un drapeau. Renoncer à tout héritage (sauf matériel; l'argent et les moyens deviennent des fins "il n'y a pas d'alternative"), considérer le bonheur - dont la poursuite est un droit - comme la satisfaction immédiate des pulsions, des désirs, des caprices.

Consommation, changement permanent de goûts, d'idées, de modes, de partenaires, de profession, de sexe, d'"orientation sexuelle" et d'existentialité. Fragiles girouettes sans souveraineté sur elles-mêmes, poussées dans le sens du vent. La temporalité comme projet de vie. Une absurdité logique qui produit de l'inconfort, de la tension, de l'insatisfaction jusqu'à la schizophrénie et l'insatisfaction permanente, dont le remède est tout aussi provisoire : le plaisir compulsif, la consommation de la vie - transformée en marchandise - à relancer sans cesse. Le bien et le mal, le juste et l'injuste ? Le concept de Calderòn de la Barca s'applique, dans la bouche du volage Sigismond : nada me parece justo, en siendo contra mi gusto. Rien ne me semble juste si c'est contre mon goût ou ma préférence.

Sans nous en rendre compte, nous avons dessiné la définition de l'addiction. La liberté des modernes est la suite des addictions rendues justes, auxquelles il n'est pas permis d'opposer des limites éthiques, des freins législatifs, des réprobations sociales, des jugements négatifs. L'issue ne peut être que l'équivalence, l'indifférence à tout élément commun au profit d'un subjectivisme égoïste. Le relativisme qui en résulte devient un absolu, la pensée faible interdisant la pensée forte. Selon Benjamin Constant, la liberté des anciens était une étroite autonomie politique vécue dans le droit-devoir de participation à la polis. Celle des modernes est la liberté privée individuelle, y compris le droit à l'indifférence sociale. Résultat : dissolution des limites et des liens, remplacée en fait par l'imperium du plus fort, celui qui souffle sur la girouette en lui imprimant la direction souhaitée.

La liberté des modernes, qui découle du système des droits et de l'insincérité des choix individuels (induits, hétérodirigés par un dispositif très puissant) aboutit à l'absence d'ancrages, de principes partagés. Le paradoxe est que le seul universel reconnu est l'interdiction des universaux, l'imposition de ne rien croire parce que rien n'est valable. Un non-sens destructeur.

Par une singulière association d'idées, on se souvient d'un passage de La luna e i falò de Cesare Pavese, épreuve extrême de l'écrivain, qui s'est suicidé quelques mois après la publication du roman. "Un pays est nécessaire, ne serait-ce que pour s'évader. Un pays signifie ne pas être seul, savoir que dans les gens, dans les plantes, dans la terre, il y a quelque chose qui vous appartient, que même quand vous n'êtes pas là, cela vous attend". Il n'y a plus rien de nous qui nous attend, parce que nous avons rompu tous les liens. Le départ est souvent un voyage dont le retour est prévu, où ce que nous laissons derrière nous est un parangon, même dans le rejet.

Le voyageur a besoin de boussoles, d'objectifs, d'une Ithaque - matérielle et spirituelle - à laquelle se référer, d'une communauté à laquelle se sentir appartenir, d'un ensemble de principes auxquels adhérer, qui peuvent être rejetés ("le goût de partir") mais qui restent là, en attente, solides, stables, parfois rugueux comme la Langa de Pavese. Pour le poète Antonio Machado, il n'y a pas d'empreintes à suivre, le chemin, ce sont nos empreintes. No hay camino, sino estelas en la mar : il n'y a pas de chemin, seulement des sillages dans la mer. C'est - ennobli par la beauté scintillante des vers - le programme de la liberté moderne. Le sillage reste un instant, aussitôt effacé par les vagues.

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Pire encore, en raison de l'omniprésence facile du message musical qui a influencé des millions de personnes, est la liberté abstraite d'Imagine, la chanson de John Lennon qui est le manifeste du nihilisme jubilatoire contemporain. "Imaginez qu'il n'y ait pas de paradis, Si vous essayez, c'est facile. Il n'y a pas d'enfer en dessous de nous, il n'y a que le paradis au-dessus de nous. Imaginez que tous les gens ne vivent que pour aujourd'hui. Imaginez qu'il n'y ait pas de patrie. Ce n'est pas difficile à faire. Il n'y a pas de raison de tuer ou de mourir. Et pas de religion non plus".

Simple, évocateur, la vie en rose. C'est la bande-son du projet subtilement totalitaire des "droits", car si rien ne vaut la peine de vivre ou de se sacrifier, si nous n'existons que pour l'instant, si nous privons de sens toute réalité qui nous dépasse, nous cessons d'être des hommes. C'est le mécanisme totalitaire de l'Occident ultime, avec tous ses masques, les bons sentiments qui cachent la volonté de puissance des oligarchies, le projet d'une humanité grégaire, zootechnique, commandée par la technologie, surveillée 24 heures sur 24, où les décisions sont prises par des appareils artificiels appartenant à un dôme tout-puissant, dont les mots d'ordre pour les masses sont à l'opposé de la conduite.

Plus nous vantons la valeur de la solidarité, plus nous vivons comme des étrangers et des ennemis indifférents et concurrents. Plus nous crions à la tolérance, moins nous acceptons l'autre, moins nous lui reconnaissons le droit d'avoir des idées différentes de celles qui dominent aujourd'hui, en prévision des prescriptions de demain. Plus on prêche la liberté, plus on accepte, plus on invoque la surveillance, le contrôle, une vie d'esclaves libres devant la fenêtre en millions de photocopies. On apprécie toutes les formes d'exhibitionnisme, que le pouvoir appelle transparence pour nier le droit à la sphère privée, intime, immatérielle.

Ce qu'ils appellent des opportunités, c'est la négation "vertueuse" des droits sociaux concrets. Assez de sécurité de l'emploi, d'un ordre collectif raisonnable, d'une dimension publique, de soins de santé protégés, d'une éducation qui soit une culture, une formation à l'esprit critique, et non une simple formation à des tâches futures. Si vous ne réussissez pas, c'est votre faute : vous êtes un perdant dans la grande danse de la compétition. Vous pouvez vous consoler avec l'une des milliers d'addictions auxquelles vous avez droit : drogue, alcool, sexe, défonce, jeu, etc. Personne ne peut vous les refuser, ce sont des "droits". Même le suicide sera bientôt un droit.

Vous n'avez pas un salaire décent bien que vous travailliez dur toute la journée, mais vous pouvez vous marier avec une personne de votre sexe (master gender), acheter le dernier smartphone ou la dernière chemise de marque à crédit. Vous pouvez partir en vacances à tempérament et louer tout ce que vous voulez, du costume à la Ferrari. Vivre de dettes et de loyers, un autre totalitarisme anti-humain. On peut se défoncer toute la nuit dans les clubs et revenir défoncé. Mais à pied, car des villes de quinze minutes sont en préparation. Fini la voiture, place à la mobilité libre. Ils le font pour l'environnement. Dieu banni, l'humanité vénère Gaïa, la Terre personnifiée : retour de l'animisme.

La métaphysique est exclue de la connaissance et les savoirs "humanistes" sont relégués aux loisirs, à commencer par l'histoire et la philosophie, matières qui, comme par hasard, ouvrent l'esprit et permettent le jugement personnel. L'homme technologique n'en a que faire. La suppression du savoir est une opération totalitaire, une ablation de la personnalité au profit d'esclaves qui atrophie des zones entières du cerveau.

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La civilisation occidentale se veut rationnelle, scientifique. "Civilisation, progrès, science, technologie : des mots auxquels nos contemporains semblent attacher une sorte de pouvoir mystérieux, indépendamment de leur sens. La science, avec une majuscule, comme le progrès et la civilisation, le droit, la justice et la liberté, fait partie de ces entités qu'il vaut mieux ne pas essayer de définir et qui risquent de perdre tout leur prestige dès qu'on commence à les examiner d'un peu trop près. Toutes les conquêtes dont le monde moderne est si fier se réduisent à de grands mots derrière lesquels il n'y a rien, ou si peu : suggestion collective ; illusion qui, pour être partagée par tant d'individus et se maintenir, ne peut être spontanée". (René Guénon) Exactement : un totalitarisme mou.

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mercredi, 25 octobre 2023

L'ethnocratie israélienne et la crédibilité inexistante de l'Occident

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L'ethnocratie israélienne et la crédibilité inexistante de l'Occident

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2023/10/19/israelin-etnokratia-ja-lannen-olematon-uskottavuus/

"Le soutien de l'Occident à l'attaque d'Israël contre Gaza a empoisonné les efforts visant à parvenir à un accord avec les principaux pays émergents pour condamner la guerre de la Russie contre l'Ukraine", se plaignent des fonctionnaires et diplomates occidentaux dans le Financial Times.

Selon eux, l'escalade du conflit israélo-palestinien a exposé les États-Unis, l'UE et leurs alliés à des accusations d'hypocrisie et a réduit à néant des mois de travail visant à faire de Moscou un paria mondial pour avoir violé le droit international.

L'Occident a été accusé à juste titre de "ne pas avoir défendu les intérêts de 2,3 millions de Palestiniens, de s'être empressé de condamner l'attaque du Hamas et de soutenir Israël".

Le large soutien des États-Unis et d'autres puissances occidentales à Israël leur aliène une grande partie du Sud, ce qui nuit également aux efforts déployés par l'Occident pour obtenir le soutien du reste du monde à l'égard de l'Ukraine.

"Ce que nous avons dit à propos de l'Ukraine doit s'appliquer à Gaza. Sinon, nous perdons toute crédibilité", a ajouté le haut diplomate du G7. "Les Brésiliens, les Sud-Africains, les Indonésiens: pourquoi devraient-ils croire ce que nous disons sur les droits de l'homme ?".

Le reste du monde est conscient que les paroles et les actes de l'Occident ne concordent pas toujours. Par exemple, de nombreux Arabes estiment que les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Europe n'ont jamais tenté de demander des comptes à Israël pour le traitement qu'il réserve aux Palestiniens, ni accordé suffisamment d'attention aux conflits brutaux qui sévissent au Yémen et en Libye.

Les représailles d'Israël et la coupure de l'eau, de l'électricité, de la nourriture, des médicaments et de l'accès à Internet à Gaza ont suscité l'opposition des pays pro-palestiniens. Cette opposition est liée à l'hypocrisie de l'Occident, où les règles de "l'ordre fondé sur des règles" ne sont pas les mêmes pour tout le monde.

Les États arabes, notamment la Jordanie et l'Égypte, ont pressé les responsables occidentaux de durcir le ton pour protéger les civils de Gaza. "Si vous qualifiez de crime de guerre le fait de couper l'eau, la nourriture et l'électricité en Ukraine, vous devriez en dire autant de Gaza", a commenté un responsable arabe.

Ces derniers jours, la Russie a tenté de faire adopter une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant les violences commises contre les civils dans le cadre du conflit, sans mentionner spécifiquement le Hamas. La proposition de résolution a été rejetée lundi par les membres du Conseil qui sont favorables à Israël.

"Nous devons empêcher la Russie, soutenue par la Chine, de prendre l'initiative d'utiliser cette résolution contre nous", a déclaré un haut diplomate occidental au Financial Times. "Il y a un risque que lors du prochain vote de l'Assemblée générale [des Nations unies] sur le soutien à l'Ukraine, le nombre d'abstentions explose.

Si le conflit entre les mouvements de résistance palestiniens et Israël s'aggrave encore, cela détournera l'attention de l'Ukraine. En outre, l'Occident se trouve dans une position encore plus faible, car son soutien unilatéral au régime répressif d'Israël érode la crédibilité de la demande de compréhension de l'Ukraine par le reste du monde.

Toutes les puissances occidentales ont publiquement soutenu le sionisme politique pendant des décennies, de sorte que leur crédibilité est perdue (si tant est qu'elle l'ait jamais été). Les mêmes forces ont appelé au multiculturalisme et à des politiques d'ouverture des frontières en Europe, mais ont permis aux Juifs israéliens de poursuivre des politiques d'apartheid dans le style de l'ancienne Afrique du Sud.

À l'ère des colonies juives illégales, le "modèle à deux États" ne vaut même plus la peine d'être évoqué. La seule façon d'avancer serait d'endiguer l'extrémisme, d'abolir l'ethnocratie sioniste et de créer un État unique dans lequel les habitants de la région - Palestiniens, Juifs et tous les autres - auraient des droits égaux.

Bien entendu, les sionistes ne peuvent accepter une telle solution, car elle signifierait la fin d'un "État juif" séparé. La question est de savoir pourquoi ils auraient droit à une telle chose dans le monde globalisé d'aujourd'hui. L'Holocauste (après les crimes de sang des sionistes) ne peut plus être invoqué à ce stade, après plus de soixante-dix ans.

mercredi, 11 octobre 2023

La dérive de l'Occident - Entretien avec le Prof. Franco Cardini

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La dérive de l'Occident

par Franco Cardini

Source : La Gazzetta del Mezzogiorno & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-deriva-dell-occidente

La deriva dell'Occidente (Laterza, pp. 176, euro 17.00) est le dernier livre de Franco Cardini. Ce médiéviste de 83 ans, professeur émérite à l'Institut des sciences humaines et sociales de la Scuola Normale Superiore, est infatigable dans son activité d'enseignant, d'essayiste, de journaliste, de blogueur, de conférencier dans le monde entier et souvent à la télévision.

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Pourquoi, professeur, l'Occident va-t-il à la dérive ?

Il a des limites et même des frontières qui se déplacent avec le temps et la sensibilité. L'Occident d'aujourd'hui a adopté l'American way of life, la suprématie économique et technologique, l'idéologie du marché et de la mondialisation, l'idée fantaisiste de Francis Fukuyama d'une fin de l'histoire dans l'ordre libéral. L'Europe est absorbée dans une dimension qui, avec la guerre en Ukraine, exclut la Russie du lieu de la civilisation chrétienne et européenne pour la reléguer en Asie puis la lier à la Chine. Mais cet Occident avec une seule superpuissance à la tête d'États vassaux, comme l'aimait Samuel Huntington, n'a pas de sens. Il ne sert que des intérêts qui ont suscité l'hostilité des "Brics" (les économies émergentes : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui développent leur propre projet.

Ce projet occidental vise-t-il à affaiblir Poutine ?

Non: le projet est de créer un grand rassemblement de petits États défendus par l'OTAN, fondée sur le principe de la consommation et dont le marché ouvert est soumis au dollar. L'idée est de construire un empire dont le centre est sécurisé et qui dépend du système multinational basé sur la mondialisation, mise en œuvre par la civilisation du dollar et de la consommation. Cet empire devrait s'étendre de l'Europe à la grande muraille de Chine. Mais cette construction, initiée avec la guerre contre l'islam dit fondamentaliste, tarde à devenir une réalité effective.

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L'OTAN semble jouer un rôle clé dans ce processus...

L'OTAN est une expression des Etats-Unis. Elle aurait pu garantir un ordre fondé sur le maintien de la paix. Au lieu d'accepter un monde sans ennemi métaphysique, ce qu'était l'Union soviétique, et ouvert à d'éventuels changements dans l'ordre économique et financier, on a préféré orienter l'OTAN, à l'origine une alliance défensive, vers un nouvel ennemi. On a l'impression que cette configuration d'un bloc autour d'une superpuissance hégémonique, les Etats-Unis, et contre un ennemi extérieur a été préparée. Ceux qui l'ont fait aujourd'hui ne savent pas comment aller de l'avant et, face à ce problème, les États-Unis se désagrègent. Ce qu'on appelle les Brics n'ont pas une structure pyramidale, mais se regroupent autour d'une puissance très forte, armée et déterminée. Bien plus que l'OTAN, issue d'un pacte théoriquement dissoluble, et donc impropre à la construction d'un empire. Telle est la dérive de l'Occident.

La victime de cette nouvelle guerre froide est ce que Jeremy Rifkin appelait il y a vingt ans "le rêve européen".

Ce rêve européen reposait sur l'hypothèse souhaitable que l'Europe trouverait en son sein la capacité de construire une force autonome capable de servir de médiateur entre l'empire américain et les actuels Brics. Ces derniers ne sont pas liés par une idéologie, mais par le rejet de l'hégémonie américaine et de la mondialisation selon Washington. Dans la mesure où l'Europe feint de ne pas voir qu'un espace d'autonomie est possible et refuse de prendre ses responsabilités, elle est destinée à être un satellite de la politique de l'anglosphère. Nous en revenons à des gouvernements formellement responsables devant leurs gouvernés, mais qui reçoivent des ordres d'une superpuissance extérieure en soumettant leur pays aux intérêts de cette dernière. Il s'agit d'une vieille danse construite sur une vieille musique qui remonte à la Seconde Guerre mondiale.

Propos recueillispar Pietro Andrea Annicelli.

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mardi, 03 octobre 2023

Aleksandr Douguine sur Trump et la guerre avec la Société Satanique

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Aleksandr Douguine sur Trump et la guerre avec la Société Satanique

Aleksandr Douguine et Vladimir Maslov

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/aleksandr-dugin-su-trump-e-sulla-guerra-con-la-societa-satanica

Le philosophe, penseur, sociologue et géopoliticien de renommée mondiale Aleksandr Gel'evič Douguine a accordé une grande interview de 90 minutes à la chaîne YouTube "Metametrica". Il y a passé un rouleau compresseur sur les États-Unis et l'Union européenne, les qualifiant de "civilisation de l'Antéchrist", a prédit l'assassinat de Trump et a noté que la confrontation actuelle entre la Russie et l'Occident est une guerre de civilisations, dans laquelle "la société satanique et diabolique" se bat contre nous, Russes. Vous trouverez ci-dessous les déclarations les plus intéressantes du philosophe de mon point de vue, rassemblées dans un article.

Je le remarque tout de suite. Les haineux vont recommencer à hurler, car Douguine a dit beaucoup de choses ambiguës, et je sais pourquoi. Habile stratège, il fait preuve d'un "radicalisme" du type "exigez davantage et vous obtiendrez ce que vous voulez". Douguine n'est pas seulement un bâtisseur social, mais aussi un propagandiste subtil, un farceur et un amateur de blagues que tout le monde ne peut pas comprendre. Le contexte religieux est également très présent dans cette interview, alors qu'il l'est beaucoup moins d'habitude.

La logique de Douguine implique, pour la Russie, de disposer de l'armée la plus puissante du monde et d'obtenir la victoire finale sur l'Occident, le libéralisme et la "civilisation de l'Antéchrist", ce qui est impossible sans la science et le progrès proprement dit. Il propose de combiner la tradition russe, l'orthodoxie et d'accepter le progrès nécessaire.

"La guerre que nous menons contre l'Occident collectif est une guerre de civilisation, dans laquelle la civilisation de l'Antéchrist, la civilisation de Satan, la société satanique et diabolique se bat contre nous. La Russie est en guerre contre cela. Nous combattons cette civilisation au nom de Dieu".

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Une telle civilisation satanique, qui abolit le sexe, abolit la famille, abolit tous les interdits, permet toutes les formes de pathologie et de perversion, et même les impose, jusqu'au changement de sexe des enfants, est une civilisation si diabolique que l'humanité n'en a jamais connu de pareille.

Que les hordes de l'Antéchrist contrôlent la majorité des peuples de la Terre, avec une idéologie ouvertement diabolique, nous le savons déjà. Le vrai satanisme a prévalu lorsque le libéralisme a fait cavalier seul.

En fait, nous avons un pied dans le royaume de l'Antéchrist. Nous y aurions été pleinement intégrés dans les années 1990 sans Poutine, qui a commencé à sortir le pays de cet abîme. La mission de Poutine a une dimension religieuse.

La période soviétique fait partie de notre histoire russe, c'est la partie la plus importante.

En Occident, la guerre a été déclarée à toutes sortes de valeurs traditionnelles. C'est-à-dire que toute collectivité est détruite, tout caractère sacré est rejeté, tout est relativisé et l'individu est chargé de tout.

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L'Occident nie toutes les valeurs traditionnelles, il déforme tout ce que l'on peut imaginer. Il dénature le christianisme, il crée non seulement une civilisation antichrétienne, mais il dénature aussi le sacerdoce féminin, qui est strictement interdit, les prêtres homosexuels, le mariage homosexuel, idem pour le cannibalisme et la légalisation des perversions diverses, les tatouages, les drogues.

Le Moyen Âge a été dénigré et vilipendé dans le cadre du projet de relations publiques de la "nouvelle ère des lumières". La civilisation du Moyen-Âge était très spirituelle, très humaine, très profonde, avec en son cœur l'immortalité de l'âme humaine. Quoi de plus beau qu'une société construite autour de l'immortalité de l'âme ? Et l'idée de progrès a remplacé cette verticale spirituelle par une idée de confort très douteuse. Je pense que nous devrions être plus prudents et plus critiques à l'égard des idées d'évolution, de progrès et de développement technologique, car elles ne s'accompagnent pas d'une ascension et d'une profondeur de l'esprit humain, mais conduisent au contraire à une chute. Le progrès est une chose très douteuse.

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Si l'homme peut être remplacé par une machine, alors il est déjà une machine, mais elle est mauvaise. Un véritable homme pensant, un homme avec une âme, un homme qui entrevoit l'immortalité, un homme religieux, un homme aux valeurs sacrées et traditionnelles ne peut être remplacé par un ordinateur.

Nous avons besoin d'une décolonisation dans les faits, mais nous avons surtout besoin d'une décolonisation de la conscience russe. Car nous sommes sous l'influence de la colonisation occidentale. Nous ne vivons pas notre pensée, pas notre Logos russe. Nous sommes une colonie mentale et culturelle de l'Occident.

Nous devrions revenir à notre tradition, nous ne devrions pas en avoir honte. L'idée d'un Moyen Âge sombre, l'idée que les valeurs traditionnelles ne font que diviser la société, que nous devons être modernes et universels - c'est la conscience de soi de l'agent occidental. Le Moyen Âge est beau, les coutumes russes sont merveilleuses, le pouvoir est la valeur suprême. Oui, nous avons une autorité sacrée, oui, nous croyons que notre chef suprême et commandant en chef est notre père. Il n'y a pas lieu d'en être gêné.

Nous avons besoin de décolonisation pour éradiquer complètement les attitudes occidentales de notre société. Nous avons, Dieu merci, le concept d'agent étranger. Cet agent étranger est toute personne qui, contre toute attente, continue à professer un point de vue libéral et occidental.

Si un homme n'a pas de barbe, qu'est-ce qu'il est ? Auparavant, au 17ème siècle, c'était un signe très suspect. Si un homme adulte marche sans barbe, d'où vient-il ? C'est un étranger ou pire. Faites donc attention à vos rasoirs.

Trump serait très bon pour toute l'humanité, pour l'Amérique, pour l'Europe, pour nous. Trump est un représentant de la tradition politique américaine classique, plus enclin à l'isolationnisme, au réalisme en politique internationale, c'est un partisan des paléoconservateurs plutôt que des néoconservateurs, c'est un pragmatique, c'est un Américain normal et ses adversaires sont des post-Américains profondément anormaux.

Le Parti démocrate est une collection de capitalistes trotskistes agressifs et maniaques, une forme politique complètement pathologique, mais il y a un homme intéressant, Robert Kennedy, qui est pratiquement un trumpiste. Je pense que plus de la moitié du parti républicain est farouchement trumpiste. Voilà l'Amérique que nous avons perdue. Les pervers et les femmes à barbe, les monstres, les bigots et les fous parlent au nom de l'Amérique. Ils préféreraient tuer Trump plutôt que de lui permettre de gagner.

Il existe en fait une dictature libérale totalitaire [aux États-Unis]. Antiaméricaine, elle n'a rien à voir avec la démocratie américaine classique, avec le vieux libéralisme américain classique.

Quiconque pense que la démocratie est la règle de la majorité est un fasciste. Donc, vénérer les minorités, n'importe quelle minorité, différente, multicolore, transgenre, c'est de la démocratie".

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mardi, 26 septembre 2023

Alexandre Douguine: "Rompre avec la civilisation de la mort"

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Rompre avec la civilisation de la mort

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/porvat-s-civilizaciey-smerti

Nous devrions faire une expérience mentale et imaginer ce que l'Occident, qui est en guerre contre nous, peut encore nous faire, en plus d'une frappe nucléaire. Quelles sanctions nous imposer en sus? Qui expulser ? Comment nous humilier ? Nous expulser d'où ? Nous priver de quoi ? (Nous n'envisageons pas une frappe nucléaire, parce qu'ils ne le feront pas, et s'ils le font, cela n'aura pas d'importance, parce que nous le ferons aussi).

    Eh bien, l'Occident fera tout cela. Et rien ne l'arrêtera.

Et il n'y a pas lieu de se faire des illusions : en fait, l'Occident ne dépend pas de nous pour presque rien d'important. Et si c'est le cas, il cherche intensément un remplaçant. Et le plus souvent, il en trouve un. Il est peu probable que l'on parvienne à le coincer avec des ressources naturelles ou autre chose. Il est bon que nous ayons cessé de nous rassurer avec un raisonnement tel que "un hiver européen rigoureux, auquel l'Europe ne survivra pas sans nous". Elle a survécu au dernier hiver et elle survivra à celui-ci. Et l'Ukraine ne s'effondrera pas et ne se rendra pas d'elle-même. Tant que nous ne l'aurons pas effondrée et forcée à se rendre. Par la volonté, par la force et en comptant sur nous-mêmes. Uniquement sur nous-mêmes.

    Nous devons apprendre à vivre sans l'Occident. Sans rien du tout.

Nous devons nous débarrasser de tout ce qui nous lie à lui. Couper radicalement tout contact, toute forme de dépendance, toute transaction, toute coopération technique, économique et humanitaire.

Pas de céréales ni d'engrais. Pas de publications dans les revues scientifiques occidentales, retrait de SCORUS, révision des critères du RINC. Ne pas attendre que les scientifiques russes reçoivent un ultimatum: soit vous trahissez votre patrie, soit vous n'êtes plus des scientifiques. Et même aujourd'hui, c'est pratiquement le cas.

Dans le sport, c'est le cas. En politique, c'est plus que cela. En économie et en finance, tout va dans le même sens.

L'Occident nous coupe de lui-même et pose des conditions pour ne pas nous couper davantage: trahir le pays, le peuple, la société, la Russie, trahir Poutine. Nous verrons alors si vous êtes toujours un oligarque ou si vous n'êtes plus un oligarque, un scientifique ou si vous n'êtes plus un scientifique, un politicien ou si vous n'êtes plus un politicien.

L'Occident nous frappera avec tout ce qu'il peut nous frapper. Avec ce qu'il a déjà, et avec ce qu'il n'a pas encore, il nous frappera progressivement.

C'est facile à imaginer. Et si nous l'imaginons, nous devons nous préparer.

    Nous sommes condamnés à vivre désormais sans l'Occident.

C'est tout à fait inattendu. Mais tout à fait logique.

Tout ce qui est occidental est désormais profondément toxique (franchement, il l'a toujours été). Il s'agit en effet d'une addiction à ce que nous ne contrôlons pas, mais que l'ennemi contrôle. Tout soupçon de libéralisme, toute reconnaissance de l'universalisme occidental, toute acceptation de la normativité de tout ce qui vient de l'Occident, toute acceptation des règles, des critères, des pratiques occidentales, où que ce soit et dans quoi que ce soit, est un pas vers la trahison, si ce n'est la trahison elle-même.

    C'est ce que signifie être un État-civilisation.

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Ne pas dépendre en quoi que ce soit et de quelque manière que ce soit d'une autre civilisation, et surtout de celle qui nous livre une guerre sans merci.

Une fois que nous aurons complètement rompu toute relation avec ce modèle global (de dégénérescence et de déshumanisation) appelé "Occident collectif" moderne, nous pourrons nous concentrer sur l'établissement de nos propres fondements civilisationnels.

Franchement, nous n'avons pas encore regardé dans cette direction. Tout le monde a essayé de s'intégrer à l'Occident tout en préservant sa souveraineté. C'est impossible, irréaliste et inutile. Et c'est exactement ce qui s'est passé immédiatement. L'Occident n'a pas besoin d'une "corporation Russie", même si elle est loyale envers l'Occident. Pour eux, la bonne Russie est la Russie absente. Ce n'est même pas la Russie d'Eltsine, elle n'existe tout simplement pas.

Il est plus coûteux de prolonger ce processus. Il est temps de couper ce fil, car il s'agit d'entraves civilisationnelles, et non du désir de rejoindre le "courant principal du développement". L'Occident est une impasse. Mais c'est leur affaire. Pour nous, il n'est qu'un ennemi, il est la mort et la fin.

La Russie ne vivra que dans un monde où l'Occident ne décide pas et ne signifie rien. Du moins pour nous. Dans tous les autres cas, ce sera la torture de l'épouse étrusque, lorsque le criminel était attaché vivant à un cadavre en décomposition. Il n'y a rien de plus horrible qu'une telle torture. Un homme meurt lentement, la nécrose pénètre son corps cellule par cellule.

    L'Occident moderne est donc un cadavre en décomposition lié à l'humanité.

Il ne lui suffit pas de périr, il veut entraîner tout le monde avec lui dans l'abîme.

Regardez l'Ukraine, ce qu'ils lui ont fait ... Une nation empoisonnée, tordue, psychologiquement brisée. Un État détruit. Broyée en masse sur les fronts d'une guerre insensée et délibérément perdue ou fuyant le pays par une société enragée. La mariée morte du contrôle occidental est fermement attachée au pays qui respire encore (mais à peine). Mais la mort gagne en Ukraine. Les yeux de ses dirigeants enragés sont fixés sur l'Ukraine, qui est déjà passée de l'autre côté, déjà morte mais toujours extérieurement vivante.

La libération totale de l'Occident est la seule voie de salut. Tout ce qui est mauvais dans la Russie moderne vient de l'Occident. Ses miasmes ont rongé notre politique, notre économie, notre culture, notre science, notre psychologie, notre vie quotidienne, notre jeunesse. Il s'agit d'un processus cancérigène. Plus vite et plus fort nous couperons les cellules atteintes, plus grandes seront les chances de salut et de renaissance de notre patrie, la grande Russie.

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samedi, 23 septembre 2023

Tyrannie humanitaire: René Guénon et la monstruosité occidentale

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Tyrannie humanitaire: René Guénon et la monstruosité occidentale

Nicolas Bonnal

La civilisation occidentale devient totalement dégoûtante aux yeux du monde et des antisystèmes. Elle déraille sur le plan spirituel, économique, écologique, culturel, sexuel, elle est toujours plus folle et belliqueuse, humanitaire et missionnaire, arrogante et psychopathe. Problème : elle a souvent été comme ça pendant son histoire. Voyez le texte de mon ami Guyénot sur l’esprit de croisade et les réflexions de nos amis russes qui ont remplacé les nazis allemands dans l’esprit des toqués aux affaires euro-américaines.

J’avais déjà écrit un texte sur Guénon et notre civilisation hallucinatoire : dans leur histoire en effet les Occidentaux paraissent souvent sous hypnose. Ils sont hypnotisés par des mots (science, progrès, droits, etc.) par le fric, l’hérésie, la luxure, puis par la mission et par la guerre.

9791024206134-475x500-1.jpgJ’ai décidé depuis de rependre le même admirable livre de René Guénon, Orient et Occident (1924) pour tenter de voir avec ce grand traditionaliste ce qui ne va pas depuis si longtemps, et ce qu’il faudrait faire.

Guénon est plus optimiste que moi : il écrivait il y a un siècle. Depuis l’Occident et en particulier l’Amérique a conquis le monde par sa technique, son fric et sa technologie, ses images, ses virus et son informatique, ses marottes et sa porcherie. Mais comme on voit enfin se profiler une résistance sur fond d’effondrement voulu et provoqué par un consortium de milliardaires devenus fous et possédés (cf. les dibbouks du folklore juif que citait récemment Howard Kunstler dans un texte hélas incompris), et que cette résistance concerne des pays au profil traditionnel guénonien (Inde, Chine, monde arabe) je me suis dit qu’il serait bon de partager avec mes lecteurs les réflexions de Guénon sur l’anomalie occidentale qui éclate au grand jour au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Le texte va être assez long et il serait dommage de s’en lasser trop tôt.

Guénon donc (première partie d’Orient et Occident) :

« La civilisation occidentale moderne apparaît dans l’histoire comme une véritable anomalie : parmi toutes celles qui nous sont connues plus ou moins complètement, cette civilisation est la seule qui se soit développée dans un sens purement matériel, et ce développement monstrueux, dont le début coïncide avec ce qu’on est convenu d’appeler la Renaissance, a été accompagné, comme il devait l’être fatalement, d’une régression intellectuelle correspondante… »

9791024206158_large.jpgChez Guénon intellectuel désigne en fait le spirituel théologique, la capacité de parler sérieusement de Dieu et du monde spirituel. A l’époque cela décline déjà (mais en relisant Huizinga, on découvrirait que le quatorzième siècle n’était déjà pas très brillant). Guénon rajoute :

« Nous rappellerons seulement que Descartes a limité l’intelligence à la raison, qu’il a assigné pour unique rôle à ce qu’il croyait pouvoir appeler métaphysique de servir de fondement à la physique, et que cette physique elle-même était essentiellement destinée, dans sa pensée, à préparer la constitution des sciences appliquées, mécanique, médecine et morale, dernier terme du savoir humain tel qu’il le concevait… »

Tout cela se manifeste en Occident, ce côté de l’obscurité, et va se radicaliser avec l’utopie américaine réalisée bien décrite par Boorstyn, Baudrillard ou Watzlawick. Guénon écrit que « mentalement aussi bien que géographiquement, l’Amérique actuelle est vraiment l’« Extrême-Occident » ; et l’Europe suivra, sans aucun doute, si rien ne vient arrêter le déroulement des conséquences impliquées dans le présent état des choses. »

Ensuite le problème important que soulève Guénon est celui de civilisation élue. Cette civilisation occidentale hérétique, scientifique et technique se sent élue (ce qui explique sa violence et l’incroyable interventionnisme US) :

« Mais ce qu’il y a peut-être de plus extraordinaire, c’est la prétention de faire de cette civilisation anormale le type même de toute civilisation, de la regarder comme « la civilisation » par excellence, voire même comme la seule qui mérite ce nom. C’est aussi, comme complément de cette illusion, la croyance au « progrès »

Citant un excellent texte de l’historien Jacques Bainville, Guénon écrit :

« La civilisation, c’était donc le degré de développement et de perfectionnement auquel les nations européennes étaient parvenues au XIXe siècle. Ce terme, compris par tous, bien qu’il ne fût défini par personne, embrassait à la fois le progrès matériel et le progrès moral, l’un portant l’autre, l’un uni à l’autre, inséparables tous deux. »

9791024206431-475x500-1.jpgNous découvrons (c’est la fameuse théorie de la conspiration conspuée partout et menacée par le néo-totalitarisme ambiant) que l’on nous a menti sur nous (croisades, lune, guerres, épidémies, etc.) ; or Guénon le dit déjà très bien :

« Il faut convenir que l’histoire des idées permet de faire parfois des constatations assez surprenantes, et de réduire certaines imaginations à leur juste valeur ; elle le permettrait surtout si elle était faite et étudiée comme elle devrait l’être, si elle n’était, comme l’histoire ordinaire d’ailleurs, falsifiée par des interprétations tendancieuses, ou bornée à des travaux de simple érudition, à d’insignifiantes recherches sur des points de détail. L’histoire vraie peut être dangereuse pour certains intérêts politiques ; et on est en droit de se demander si ce n’est pas pour cette raison que certaines méthodes, en ce domaine, sont imposées officiellement à l’exclusion de toutes les autres : consciemment ou non, on écarte a priori tout ce qui permettrait de voir clair en bien des choses, et c’est ainsi que se forme l’« opinion publique ».

71pqpgKqQ8L._AC_UF894,1000_QL80_.jpgCela ressemble bien à la guerre occulte décrite par Julius Evola dans les Hommes au milieu des ruines. Nietzsche a très bien écrit à ce sujet dans sa deuxième considération actuelle sur l’Histoire : l’historien est un journaliste qui adapte au goût trivial du jour les temps anciens que l’on ne comprend pas ou plus.

On reprend sur la capacité hallucinatoire occidentale :

« Certes, « le Progrès » et « la Civilisation », avec des majuscules, cela peut faire un excellent effet dans certaines phrases aussi creuses que déclamatoires, très propres à impressionner la foule pour qui la parole sert moins à exprimer la pensée qu’à suppléer à son absence ; à ce titre, cela joue un rôle des plus importants dans l’arsenal de formules dont les « dirigeants » contemporains se servent pour accomplir la singulière œuvre de suggestion collective sans laquelle la mentalité spécifiquement moderne ne saurait subsister bien longtemps. »

Guénon enfonce plus le clou :

« Sans doute, le pouvoir des mots s’est déjà exercé plus ou moins en d’autres temps que le nôtre ; mais ce dont on n’a pas d’exemple, c’est cette gigantesque hallucination collective par laquelle toute une partie de l’humanité en est arrivée à prendre les plus vaines chimères pour d’incontestables réalités ; et, parmi ces idoles de l’esprit moderne, celles que nous dénonçons présentement sont peut-être les plus pernicieuses de toutes. »

M02080710575-large.jpgPuis il souligne le caractère moraliste aberrant (Nietzsche parle d’hystérie féminine chez l’Occidentale moderne dans Par-delà le bien et le mal : voyez la septième partie intitulée Nos vertus) qui progresse avec le culte du fric et du profit :

« Développement matériel et intellectualité pure sont vraiment en sens inverse ; qui s’enfonce dans l’un s’éloigne nécessairement de l’autre… »

On bascule dans le sentimentalisme guerrier (Todd en a bien parlé dans Après l’Empire quand il oppose la « femme castratrice américaine » à l’islam) puis dans le « zen emballé sous vide » (Debord) et le mysticisme de drugstore :

« En fait, matérialité et sentimentalité, bien loin de s’opposer, ne peuvent guère aller l’une sans l’autre, et toutes deux acquièrent ensemble leur développement le plus extrême ; nous en avons la preuve en Amérique, où, comme nous avons eu l’occasion de le faire remarquer dans nos études sur le théosophisme et le spiritisme, les pires extravagances « pseudo-mystiques » naissent et se répandent avec une incroyable facilité, en même temps que l’industrialisme et sa passion des « affaires » sont poussés à un degré qui confine à la folie ; quand les choses en sont là, ce n’est plus un équilibre qui s’établit entre les deux tendances, ce sont deux déséquilibres qui s’ajoutent l’un à l’autre et, au lieu de se compenser, s’aggravent mutuellement… »

Dans son livre sur l’impérialisme (livre annoté et cité par Lénine dans l’Impérialisme…), Hobson remarque « l’inconsistance » occidentale. Le caractère américain, brutal et pleurnichard, dans Apocalypse now sous la plume du savant John Milius cela donne : « on les bombardait puis on leur amenait des pansements » et même des missionnaires... Guénon sur la question :

« Ainsi, le « moralisme » de nos contemporains n’est bien que le complément nécessaire de leur matérialisme pratique : et il serait parfaitement illusoire de vouloir exalter l’un au détriment de l’autre, puisque, étant nécessairement solidaires, ils se développent tous deux simultanément et dans le même sens, qui est celui de ce qu’on est convenu d’appeler la « civilisation ».

Guénon qui ne déteste pas Voltaire (il a bien raison, la fin « turco-musulmane » de Candide est un chef-d’œuvre d’intelligence et de vraie tolérance) ajoute :

« D’ailleurs, ce qui est encore beaucoup plus simple, ils s’empressent ordinairement d’oublier la leçon de l’expérience ; tels sont ces rêveurs incorrigibles qui, à chaque nouvelle guerre, ne manquent pas de prophétiser qu’elle sera la dernière. Au fond, la croyance au progrès indéfini n’est que la plus naïve et la plus grossière de toutes les formes de l’« optimisme »

Tout cela nous rapproche d’Audiard et de celui qui ose tout (notion inspirée comme on sait tous par Saint-Thomas d’Aquin…). On sait que l’Occident a gagné sa guerre contre la Russie (vous ne le lui enlèverez pas de la tête) et déjà gagné contre la Chine. Guénon :

« Le monde moderne a proprement renversé les rapports naturels des divers ordres ; encore une fois, amoindrissement de l’ordre intellectuel (et même absence de l’intellectualité pure), exagération de l’ordre matériel et de l’ordre sentimental, tout cela se tient, et c’est tout cela qui fait de la civilisation occidentale actuelle une anomalie, pour ne pas dire une monstruosité. »

L’obsession du changement est subtilement dénoncée : on aurait pu crever en vieux blancs bien tranquilles et fainéants ; mais non, nos élites conduites par Strong ou Kissinger ont voulu nous exterminer et appellent cela un énième changement ; Philippe Muray avec qui j’en avais parlé l’avait bien compris.

« Ce que les Occidentaux appellent progrès, ce n’est pour les Orientaux que changement et instabilité ; et le besoin de changement, si caractéristique de l’époque moderne, est à leurs yeux une marque d’infériorité manifeste : celui qui est parvenu à un état d’équilibre n’éprouve plus ce besoin, de même que celui qui sait ne cherche plus. »

71IWVs-hthL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgPuis Guénon devient presque trivial (Guénon, trivial ?!) : ce que l’Orient voudrait c’est qu’on lui foute la paix !

« Mais qu’on se rassure : rien n’est plus contraire à leur nature que la propagande, et ce sont là des soucis qui leur sont parfaitement étrangers ; sans prêcher la « liberté », ils laissent les autres penser ce qu’ils veulent, et même ce qu’on pense d’eux leur est fort indifférent. Tout ce qu’ils demandent, au fond, c’est qu’on les laisse tranquilles ; mais c’est ce que refusent d’admettre les Occidentaux, qui sont allés les trouver chez eux, il ne faut pas l’oublier, et qui s’y sont comportés de telle façon que les hommes les plus paisibles peuvent à bon droit en être exaspérés ».

A la même époque Bernanos comprend que l’homme égal c’est l’homme pareil (voyez mes textes sur la France – la pauvre ! – contre les robots). Guénon écrit… pareillement :

« L’« égalité » si chère aux Occidentaux se réduit d’ailleurs, dès qu’ils sortent de chez eux, à la seule uniformité ; le reste de ce qu’elle implique n’est pas article d’exportation et ne concerne que les rapports des Occidentaux entre eux, car ils se croient incomparablement supérieurs à tous les autres hommes, parmi lesquels ils ne font guère de distinctions… »

C’est vrai que pour l’Américain et ses mille milliards de dollars de déficit commercial tout devient article d’exportation, même la drogue qui rend zombi.

Chose amusante, l’Occidental exige qu’on l’admire :

« Les Européens ont une si haute opinion de leur science qu’ils en croient le prestige irrésistible, et ils s’imaginent que les autres peuples doivent tomber en admiration devant leurs découvertes les plus insignifiantes… »

A côté de cela notre crétin est repentant et exige d’être remplacé. Guénon explique pourquoi :

« L’orgueil, en réalité, est chose bien occidentale; l’humilité aussi, d’ailleurs, et, si paradoxal que cela puisse sembler, il y a une solidarité assez étroite entre ces deux contraires : c’est un exemple de la dualité qui domine tout l’ordre sentimental, et dont le caractère propre des conceptions morales fournit la preuve la plus éclatante, car les notions de bien et de mal ne sauraient exister que par leur opposition même. En réalité, l’orgueil et l’humilité sont pareillement étrangers et indifférents à la sagesse ».

Les complexes de la personnalité occidentale étaient résumés finalement par la formule de Victor Hugo (génie qui pouvait écrire n’importe quelle ineptie à côté de n’importe quel trait juste) : « je suis une force qui va ! » Guénon :

« Ce changement où il est enfermé et dans lequel il se complaît, dont il n’exige point qu’il le mène à un but quelconque, parce qu’il en est arrivé à l’aimer pour lui-même, c’est là, au fond, ce qu’il appelle « progrès », comme s’il suffisait de marcher dans n’importe quelle direction pour avancer sûrement ; mais avancer vers quoi, il ne songe même pas à se le demander… »

L’Occidental c’est la « recherche » (défense de se moquer de Proust !) :

« Le goût maladif de la recherche, véritable « inquiétude mentale » sans terme et sans issue, se manifeste tout particulièrement dans la philosophie moderne, dont la plus grande partie ne représente qu’une série de problèmes tout artificiels, qui n’existent que parce qu’ils sont mal posés, qui ne naissent et ne subsistent que par des équivoques soigneusement entretenues ; problèmes insolubles à la vérité… john-wesley-large.jpg

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Le maître souligne le péril anglo-saxon (De Maistre et Bonald l’avaient fait déjà, voyez mes textes) :

« C’est chez les peuples anglo-saxons que le « moralisme » sévit avec le maximum d’intensité, et c’est là aussi que le goût de l’action s’affirme sous les formes les plus extrêmes et les plus brutales ; ces deux choses sont donc bien liées l’une à l’autre comme nous l’avons dit. Il y a une singulière ironie dans la conception courante qui représente les Anglais comme un peuple essentiellement attaché à la tradition, et ceux qui pensent ainsi confondent tout simplement tradition avec coutume. »

A l’époque déjà la domination est fragile. Mais en cessant d’être coloniale elle est souvent devenue plus dangereuse (voyez mon texte sur Titus Burckhardt et la tradition marocaine détruite par l’Etat moderne marocain) : l’Etat moderne dénoncé par Jouvenel s’est appliqué partout et il projette partout sa meurtrière matrice totalitaire. Davos et les smart cities sont là pour nous le rappeler comme leur développement durable globalisé aux relents si génocidaires…

« Les Occidentaux, malgré la haute opinion qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur civilisation, sentent bien que leur domination sur le reste du monde est loin d’être assurée d’une manière définitive, qu’elle peut être à la merci d’événements qu’il leur est impossible de prévoir et à plus forte raison d’empêcher. »

Guénon sera moins optimiste sur l’Orient traditionnel dans le Règne de la quantité ; et Frithjof Schuon encore beaucoup moins (cf. Burckhardt cité supra).

La folie occidentale n’est pas près de s’interrompre ; sur ce point le maître ne se trompe pas :

« Quoi qu’il en soit de ces prévisions peut-être lointaines, les Occidentaux d’aujourd’hui en sont encore à se persuader que le progrès, ou ce qu’ils appellent ainsi, peut et doit être continu et indéfini ; s’illusionnant plus que jamais sur leur propre compte, ils se sont donné à eux-mêmes la mission de faire pénétrer ce progrès partout, en l’imposant au besoin par la force aux peuples qui ont le tort, impardonnable à leurs yeux, de ne pas l’accepter avec empressement. Cette fureur de propagande, à laquelle nous avons déjà fait allusion, est fort dangereuse pour tout le monde, mais surtout pour les Occidentaux eux-mêmes, qu’elle fait craindre et détester ; l’esprit de conquête n’avait jamais été poussé aussi loin, et surtout il ne s’était jamais déguisé sous ces dehors hypocrites qui sont le propre du « moralisme » moderne. »

Guénon fait une allusion à la faiblesse ontologique de la « race » occidentale :

« En effet, les peuples européens, sans doute parce qu’ils sont formés d’éléments hétérogènes et ne constituent pas une race à proprement parler, sont ceux dont les caractères ethniques sont les moins stables et disparaissent le plus rapidement en se mêlant à d’autres races ; partout où il se produit de tels mélanges, c’est toujours l’Occidental qui est absorbé, bien loin de pouvoir absorber les autres. »

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Il est confirmé par le penseur raciste Madison Grant qui voit sa presque comique « grande race » péricliter partout à la même époque.

Guénon n’évite pas la question juive, ni la russe, ni l’allemande (qui se posait encore alors !) :

« Il est profondément ridicule de prétendre opposer à l’esprit occidental la mentalité allemande ou même russe, et nous ne savons quel sens les mots peuvent avoir pour ceux qui soutiennent une telle opinion, non plus que pour ceux qui qualifient le bolchevisme d’« asiatique » ; en fait, l’Allemagne est au contraire un des pays où l’esprit occidental est porté à son degré le plus extrême ; et, quant aux Russes, même s’ils ont quelques traits extérieurs des Orientaux, ils en sont aussi éloignés intellectuellement qu’il est possible. Il faut ajouter que, dans l’Occident, nous comprenons aussi le judaïsme, qui n’a jamais exercé d’influence que de ce côté, et dont l’action n’a même peut-être pas été tout à fait étrangère à la formation de la mentalité moderne en général ; et, précisément, le rôle prépondérant joué dans le bolchevisme par les éléments israélites est pour les Orientaux, et surtout pour les Musulmans, un grave motif de se méfier et de se tenir à l’écart ; nous ne parlons pas de quelques agitateurs du type « jeune-turc », qui sont foncièrement antimusulmans, souvent aussi israélites d’origine, et qui n’ont pas la moindre autorité. »

On arrête ici. Malgré toutes ses tares l’Occident a gagné, triomphé des sociétés traditionnelles et imposé son modèle de coursier nihiliste qui semble plus excitant aux foules. L’imposition mondiale de la tyrannie informatique nous montre qu’il sera quasiment impossible d’en sortir, comme je l’annonçais dans la première édition de livre sur Internet. Le contrôle de tout par le totalitarisme numérique mettra tout le monde d’accord. Sauf miracle.

 

dimanche, 03 septembre 2023

La guerre en Ukraine et la crise de l'Occident

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La guerre en Ukraine et la crise de l'Occident

par Giacomo Gabellini 

Source : L'Antidiplomatico & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-guerra-in-ucraina-e-la-crisi-dell-occidente 

Quelles sont les principales raisons des graves erreurs de jugement commises par les décideurs politico-militaires occidentaux dans la guerre en Ukraine ?

Je pense que les raisons de ces erreurs de calcul stupéfiantes résident dans le sentiment de toute-puissance qui a envahi les classes dirigeantes américaines depuis l'effondrement de l'Union soviétique. Cette perception déformée a atrophié la pensée critique et alimenté un mépris substantiel pour le reste du monde ; le conformisme rampant qui en résulte a entravé leur capacité à évaluer de manière réaliste leur propre potentiel et celui de l'ennemi et à comprendre les implications stratégiques de leurs choix politiques. Ils ont ainsi délibérément transformé la question ukrainienne d'une crise régionale en un défi existentiel pour la Russie, sans réaliser pleinement les dangers liés à la décision d'acculer le plus grand pays du monde avec plus de 6000 ogives atomiques et des lanceurs hypersoniques capables de les acheminer jusqu'à la cible. Ils ont ainsi sous-estimé la capacité industrielle, la cohésion sociale, les compétences technologiques et la force militaire latente de la Fédération de Russie, tout en surestimant sa capacité de conditionnement et de dissuasion à l'égard des pays tiers, l'impact des sanctions et les implications de la tendance croissante à la "militarisation" du dollar et des circuits dans lesquels circule la monnaie américaine.

Ils ont ainsi cru pouvoir étrangler l'économie russe comme ils l'avaient fait pour l'économie chilienne dans les années 1970, convaincre facilement le reste du monde de se joindre à la campagne de sanctions orchestrée par l'Occident contre la Fédération de Russie, et infliger une défaite stratégique sur le champ de bataille en s'appuyant sur la supériorité supposée de leur doctrine militaire et de leurs systèmes d'armement.

En ce qui concerne la Chine, ils ont fait des erreurs de calcul comparables, voire pires. Ils ont cru pouvoir l'"occidentaliser" en l'intégrant dans l'ordre mondialisé, et en favorisant ainsi la délocalisation de ses milliers d'usines de production vers la première puissance démographique du monde, qui, au fil des millénaires, est restée remarquablement fidèle à elle-même en s'appuyant sur un patrimoine culturel inestimable. Ils ont ainsi créé les conditions de la transformation d'un pays très pauvre en une superpuissance universelle, avec des intentions ouvertement anti-hégémoniques. Un résultat stupéfiant.

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S'agit-il des erreurs d'une classe dirigeante ou d'une culture entière ?

Je pense qu'il s'agit du fruit empoisonné d'un processus généralisé de "barbarisation" culturelle. Aux États-Unis, le concept parétien de "circulation des élites" a été appliqué au point de dégénérer en un système bien connu de "portes tournantes", déjà analysé par Charles Wright Mills (photo) dans son excellent The Power Elite. Soldats, politiciens, banquiers et financiers passent avec une grande facilité du public au privé, puis de nouveau au public, donnant lieu à des enchevêtrements d'intérêts particuliers profondément opposés à ceux de la nation dans son ensemble. La fonction politique devient ainsi l'otage de l'affairisme le plus flagrant, qui s'exprime sous la forme d'une association très particulière que l'ancien analyste de la CIA Ray McGovern (photo, ci-dessous) a appelé le "complexe militaro-industriel-congrès-intelligence-médias-université-tank de réflexion", dans lequel la circulation de l'argent par le biais de pots-de-vin interconnecte les médias, les universités, les "think tanks", les agences d'espionnage et le Congrès, en orientant les directions stratégiques de la puissance publique.

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L'ampleur des efforts de propagande visant à façonner l'opinion publique nationale et à "créer un consensus" dans le pays donne la mesure du niveau de corruption atteint par les États-Unis, qui, à mon avis, tendent à ressembler de plus en plus à l'Union soviétique des années 1980.

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Ces derniers temps, lorsque je réfléchis à l'ampleur de la dégradation qui caractérise aujourd'hui les États-Unis, je me souviens souvent des évaluations amères faites à l'époque par Nikolai Ivanovic Ryžkov (photo, ci-dessus), ancien fonctionnaire et homme politique soviétique, à propos de son pays. L'abrutissement du pays", déclarait Ryžkov, "a atteint son apogée: après cela, il n'y a plus que la mort. Rien n'est fait avec soin. Nous nous volons nous-mêmes, nous prenons et donnons des pots-de-vin, nous mentons dans nos rapports, dans les journaux, depuis le podium, nous nous révoltons dans nos mensonges et pendant ce temps, nous nous donnons des médailles les uns aux autres. Tout cela du haut vers le bas et du bas vers le haut".

La guerre en Ukraine est la manifestation d'une crise de l'Occident. Est-elle réversible ? Si oui, comment ? Si non, pourquoi ?

Je dirais que oui. Certes, l'Occident a encore de nombreuses flèches à son arc, mais il me semble qu'il est en train de glisser de manière irréversible sur une pente très raide. Comme j'ai tenté de l'expliquer dans mes propres travaux, le conflit russo-ukrainien a révélé urbi et orbi le manque de fiabilité de l'"Occident collectif" et l'arbitraire du soi-disant "ordre fondé sur des règles" dont les porte-parole de Washington vantent sans relâche les vertus inexistantes. Mais surtout, elle a mis en lumière la faiblesse structurelle des Etats-Unis et la fausse conscience des classes dirigeantes euro-américaines, qui présentent le conflit russo-ukrainien comme un affrontement entre démocraties et autocraties, alors que le reste du monde y voit une guerre par procuration entre l'OTAN et la Russie, cette dernière tenant tête économiquement et militairement à l'ensemble de l'Alliance atlantique. Je suis tout à fait d'accord avec Emmanuel Todd pour dire que "la résilience de l'économie russe pousse le système impérial américain vers le précipice".

Personne n'avait prédit que l'économie russe résisterait à la "puissance économique" de l'OTAN. Je pense que les Russes eux-mêmes ne l'avaient pas prévu. Si l'économie russe résistait indéfiniment aux sanctions et parvenait à épuiser l'économie européenne, où elle reste sur le terrain, soutenue par la Chine, le contrôle monétaire et financier américain sur le monde s'effondrerait et, avec lui, la possibilité pour les États-Unis de financer leur énorme déficit commercial à partir de rien. Cette guerre est donc devenue existentielle pour les Etats-Unis". Les États-Unis auraient besoin d'une "adaptation en douceur" à un monde en mutation rapide, mais le pays ne dispose pas d'un appareil de direction à la hauteur de la tâche.

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La Chine et la Russie, les deux puissances émergentes qui contestent la domination unipolaire des États-Unis et de l'Occident, ont, depuis l'effondrement du communisme, renoué avec leurs traditions culturelles prémodernes : le confucianisme pour la Chine, le christianisme orthodoxe pour la Russie. Pourquoi ? Le retour au passé, littéralement "réactionnaire", peut-il s'enraciner dans une société industrielle moderne ?

La redécouverte des racines culturelles a permis à la Chine et à la Russie d'ériger de "grandes murailles" suffisamment solides pour résister à la tentative obstinée du tout américain d'occidentaliser le monde entier. La redécouverte du passé constitue un formidable outil pour ces deux Etats-civilisations, en vue d'affirmer leur identité propre et différenciée, et de resserrer la société autour de valeurs millénaires spécifiques.

Je crois que "greffer" ces traditions dans une société moderne est une tâche difficile en général, mais pour des nations comme la Chine et la Russie, elle peut être beaucoup moins ardue car ce sont des pays qui n'ont jamais vraiment renié leur passé. D'une manière ou d'une autre, les pierres angulaires de ces deux cultures ont toujours resurgi, même lorsqu'elles ont été soumises à de rudes épreuves telles que la révolution culturelle ou les projets soviétiques visant à créer ce que l'on appelle "l'homme du futur". La dérive nihiliste de l'Occident, en revanche, rend particulièrement difficile la mise en œuvre d'un processus de réévaluation du passé similaire à celui mené par la Chine et la Russie.

lundi, 28 août 2023

La relation Europe-Orient vue par le philosophe Schubart

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La relation Europe-Orient vue par le philosophe Schubart

La lecture du livre "L'Europe et l'âme de l'Orient" a marqué un lecteur exceptionnel, Ernst Jünger.

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/110840-il-rapporto-europa-oriente-visto-dal-filosofo-schubart/

Un livre important est désormais en librairie grâce aux éditions Oaks.  Il s'agit de l'essai du philosophe allemand Walter Schubart, L'Europe et l'âme de l'Orient, qui a vu le jour en 1938 (sur commande: info@oakseditrice.it, pp. 399, euro 28,00). Schubart était un éminent spécialiste du "continent russe" et a su capter la profondeur de l'âme de la "mère Russie" dans ses écrits. Avec la prise du pouvoir par Hitler, il a quitté sa patrie en 1933 et, avec sa femme d'origine juive, s'est réfugié à Riga où, en 1942, après avoir été arrêté et déporté par les Soviétiques, il a trouvé la mort dans un goulag soviétique au Kazakhstan. Inutile de souligner que le thème abordé dans les pages de ce volume est d'une grande actualité: les relations entre l'Ouest et l'Est, entre l'Europe et la Russie. Le développement argumentatif de l'essai repose, d'une part, sur la prose narrative de l'écrivain, apte à captiver le lecteur, et, d'autre part, sur le caractère prophétique de ses pages. À la fin des années 1930, la situation spirituelle et géopolitique du monde présentait, selon Schubart, les caractéristiques suivantes : "Ce qui [...] s'approche, c'est la lutte de deux mondes, la composition finale entre l'Occident et l'Orient et la naissance d'une culture occidentalo-orientale à travers l'homme johannique, en tant que représentant d'un nouvel âge" (p. 5).

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Avec le recul, il semble facile d'affirmer que la prémisse de cette affirmation était certainement vraie, alors que la conclusion entrevue par le penseur n'a pas été réalisée. La référence à l'homme johannique et à la régénération du monde dans une nouvelle ère montre clairement que le cadre herméneutique de l'auteur est certainement apocalyptique, puisque l'apocalyptique est l'animus russe. En Italie, des positions similaires se sont manifestées dans le catholicisme johannique et universaliste de Silvano Panunzio.

La lecture de l'ouvrage a beaucoup impressionné un lecteur exceptionnel, Ernst Jünger. Ce dernier, dans son livre Le Nœud gordien, a posé l'Orient et l'Occident comme des archétypes, des mythes éternels à travers la leçon de Schubart. Cela dit, le lecteur doit savoir que le philosophe déclare explicitement qu'il reprend la conception éonico-cyclique de l'histoire, articulée autour de quatre âges, chacun centré sur un type humain spécifique: l'homme harmonieux, héroïque, ascétique et messianique. À la fin des années 1930, le monde se trouverait dans une phase de transition, entre le monde ascétique et le monde messianique. Une époque de mutations et d'attentes naissantes, où l'on peut déceler la crise du monde bourgeois-industriel, mais où il est difficile de saisir les traits salutaires de l'ère nouvelle : "Nous vivons une époque de transition [...] elle est pleine de mélancolie, mais aussi d'espérance" (p. 15).

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Au cours du dernier millénaire, l'Europe, rappelle l'auteur, a connu deux époques: la gothique et la prométhéenne. La première, qui se développe entre le 11ème et le 16ème siècle, incarne le prototype de l'homme harmonieux, parfaitement réconcilié avec le surnaturel et dont la vie a pour but la paix accordée par la Grâce. Entre 1450 et 1550, le passage au monde prométhéen s'opère, notamment avec la Réforme: "L'homme nouveau tourne son regard vers la terre, vers les lointains, vers le globe, et non plus vers les hauteurs infinies" (p. 16). L'homme nouveau veut posséder le monde, sa nature est la volonté de puissance, c'est un Titan qui s'est rebellé contre l'ordre divin des choses. L'ère prométhéenne du 20ème siècle touche à sa fin: "l'ère johannique est annoncée, dans laquelle le prototype messianique façonnera l'homme" (p. 16).

Schubart est convaincu que l'esprit du paysage est une constante de l'histoire, que le genius loci agit sur le sentiment animique des hommes. Les Russes ont été forgés par les plaines sans limites, dans lesquelles l'éternel les regarde majestueusement, les détachant de leur attachement au fini, à la terre comprise en termes de simple matérialité. La force du paysage agit dans l'histoire, tandis que les forces du sang, les forces purement biologiques sont soumises au vieillissement. Contrairement à la culture nationale socialiste: "Le sang et la terre désignent des éléments différents, qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre sur le plan conceptuel" (p. 20). Dans l'ère johannique, l'autre monde reviendra s'affirmer, c'est pourquoi un rôle de premier plan, selon le penseur, sera joué par les Russes, peuple métaphysique: "Le grand événement qui se prépare est l'accession du slavisme au pouvoir déterminant de la culture" (p. 27). Le problème des relations Est-Ouest n'est pas un problème historico-politique, il est de nature spirituelle et philosophique.

Revenant à cette espérance messianique, le message goethéen-leibnizien concernant l'avènement d'une future grande civilisation occidentalo-orientale. L'Europe pourra se retrouver elle-même, sa grandeur homérique et médiévale, à travers le choc avec la Russie. L'homme grec est pour l'Allemand la première apparition de l'homme harmonieux, alors que Rome et sa civilisation juridique annoncent l'ère prométhéenne. L'Occident "a donné à l'humanité les formes les plus perfectionnées de la technique, de l'État [...] mais il lui a volé son âme. C'est à la Russie qu'il incombe de la restituer à l'humanité. La Russie possède précisément les forces que l'Europe a perdues et détruites" (p. 41). En effet, les Russes possèdent "l'idée nationale la plus profonde et la plus universelle: la rédemption de l'humanité [...]. L'idée de la rédemption du monde est l'expression du sentiment de fraternité, de l'humanitarisme universel au niveau de la politique internationale" (p. 248). Schubart, en reconstituant les étapes historico-idéales de la formation de l'idée nationale russe, en confrontant les principaux représentants de la slavophilie et de l'eurasianisme, s'attarde sur Dostoïevski. Ses personnages témoignent, par leurs conflits intérieurs, de la lutte entre les valeurs prométhéennes de l'Occident, qui ont fait irruption dans le pays oriental avec Pierre Ier, et l'âme originelle.

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Dans Crime et Châtiment, l'issue du récit est un réquisitoire contre l'exaltation de la personnalité libre et forte affirmée en Occident avec la ligne spéculative Machiavel-Nietzsche, tandis que dans Démons, c'est l'État-Moloch qui montre ses limites. Le salut vient de la reconnaissance des limites humaines, il mûrit à travers un repentir intensément vécu. C'est ainsi que l'homme se rachète. Le salut du peuple russe est centré sur la récupération de la transcendance et de la tradition. Le bolchevisme lui-même a paradoxalement contribué, malgré l'athéisme d'État, à protéger la "Mère Russie" de la dissolution dans les eaux usées de la société post-moderne. La redécouverte stalinienne de l'idée nationale et de sa primauté le confirmera.

Dans le même ensemble historique, la crise de la culture prométhéenne et les signes de renaissance spirituelle en Occident ont convaincu Schubart de la proximité de la rencontre, sous le signe apocalyptique de Jean, de l'Europe et de la Russie. Il nous semble que les choses se sont passées et se passent autrement. La théologie johannique de l'histoire, qui soutient les thèses de Schubart, n'est pas proprement européenne. Seul un retour à la physis grecque peut ramener les Européens à leurs origines.

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samedi, 29 juillet 2023

Dans les bas-fonds de la société; le "Grand hospice occidental" de Limonov

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Dans les bas-fonds de la société; le "Grand hospice occidental" de Limonov

par Michele (Blocco studentesco)

Source: https://www.bloccostudentesco.org/2023/07/13/bs-limonov-grande-ospizio-occidentale/

Un livre pour en finir avec le 1984 de George Orwell, ou du moins pour le dépasser et actualiser sa critique de la société qui nous entoure, c'est aussi cela Le Grand hospice occidental d'Edouard Limonov. Si, au fond de vous, vous n'avez pas beaucoup de sympathie pour ce Winston Smith bourgeois aux veines variqueuses, dont les seuls gestes révolutionnaires consistent à baiser et à se faire baiser par le système, si chaque fois que vous entendez parler de "dérive orwellienne" vous prenez votre fusil, si vous détestez la tranquillité bovine de vos vies plus que la violence de la répression, le nouvel essai de l'écrivain russe est le livre qu'il vous faut.

Nouveau pour ainsi dire. Paru en France au début des années 1990, Le grand hospice occidental est enfin arrivé en Italie cette année aux éditions Bietti, sous la direction d'Andrea Lombardi et dans une traduction d'Andrea Scarabelli, le tout accompagné d'une introduction signée par Alain de Benoist.

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L'hypothèse de base de Limonov est que d'un système basé sur la violence dure, nous sommes passés à un système qui utilise un autre type de contrôle, celui de la violence douce. En bref, rien à voir avec la "botte qui écrase un visage pour toujours". Pour comprendre la différence entre ces deux types de violence, la comparaison avec Orwell peut encore être utile. Si l'un des rares enseignements valables que Limonov reconnaît à 1984 est l'importance accordée aux écrans de télévision, au point qu'ils deviennent "le personnage principal de la société future, son principal moyen de contrôle", c'est vrai mais selon des schémas dépassés. Au contraire, "Aujourd'hui, la télévision contrôle la population. Mais elle le fait à travers ce qu'elle montre, pas en l'observant". En d'autres termes, il ne s'agit pas d'une surveillance continue allant jusqu'à l'interdiction d'éteindre les écrans de télévision, mais d'une manipulation encore plus subtile et omniprésente. Ce changement de paradigme découle de l'apogée de la destruction et du danger extrême atteint au début du 20e siècle:

Terrifiée par son propre cannibalisme lors de la Grande Guerre puis de la Seconde Guerre mondiale, l'humanité "civilisée" a pris ses distances avec les régimes durs, optant résolument pour les régimes doux (deux autres facteurs essentiels ont déterminé ce choix : l'armement nucléaire, qui dissuade l'agression ; l'innovation technologique, qui permet d'assouvir les appétits des masses).

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Une différenciation que Limonov explique ainsi :

Si la violence dure implique essentiellement la répression physique de l'individu, la violence douce repose sur l'exploitation de ses faiblesses. La première entend transformer le monde en cellule d'isolement, la seconde veut faire de l'homme un animal de compagnie. Bref, un régime doux ne sait pas quoi faire des uniformes noirs, des matraques et de la torture. Il dispose d'un autre arsenal : la fausse idée du bien-être matériel, la menace du chômage et de la crise, la peur et la honte d'être plus pauvre - et donc moins bon - que son voisin, la paresse. L'homme n'est pas seulement énergie mais aussi paresse.

D'où l'image de l'hospice, qui résume l'idée d'un monde sénescent et sans force, "dont les patients sont soignés dans une atmosphère douce, mais néanmoins disciplinaire". Une métaphore qui "entend créer le fameux effet de distanciation, pour que le lecteur voie le monde familier à travers un regard étranger", celui de Limonov lui-même. Il ne faut pas se faire trop d'illusions sur l'étendue de l'Hospice et sa signification "occidentale". Les sanatoriums de l'Est ne sont qu'une forme plus primitive et plus grossière de ceux de l'Ouest, ils doivent encore affiner leurs méthodes. Les chaînes qui lient ceux qui habitent l'Hospice sont les pièges du confort et de la facilité, la dilution de la vie dans l'ennui, l'exclusion de toute excitation excessive. Une perspective désespérante et sans issue, parce qu'à partir de la vieillesse, on ne peut être guéri que par la mort.

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Dans cette sorte de frontière ultime qu'est l'hospice, certains hommes s'épanouissent, d'autres sont exclus. Tout prend l'allure d'une sélection par le bas, d'un élevage d'hommes qui choisit les personnages les plus faibles et les moins problématiques. Nous atteignons l'apogée - ou l'abîme ? - de ce "déséquilibre des troupeaux" que Nietzsche reprochait au libéralisme. Les "Agités", ceux que l'on appelait autrefois les héros, sont niés et désavoués. Au contraire, ce sont les faibles et les "malades" qui sont exaltés, dans un renversement de sens qui fait du révisionnisme et de la stigmatisation morale son arme :

Le culte des victimes est encore plus absurde face à l'Histoire. C'est sans doute par confusion mentale que l'humanité admire depuis deux mille trois cents ans Alexandre le Grand, le premier conquérant européen. Selon les critères d'aujourd'hui, nous devrions avoir pitié des tribus qu'il a subjuguées. Heureusement pour Alexandre, Amnesty International n'existait pas encore.

Après tout, il s'agit d'une "utopie faite et achevée", de la réalisation de rêves humides de bien-être matériel et de la rectification du monde par l'esprit socratique, par opposition à l'esprit tragique. Mais tout cela exclut, par l'amer paradoxe de tous les humanitaires, la partie la plus intéressante de l'humanité. Mais on a beau vouloir rejeter le risque et le conflit, on a beau vouloir anesthésier la vie et déformer l'homme, on ne peut pas éternellement balayer sa véritable essence sous le tapis : "une "bonne vie" peut devenir insupportable même à l'animal le plus docile. Un travail monotone, une digestion paisible, un accouplement tranquille sont d'excellentes choses, mais elles ne peuvent satisfaire qu'une partie de l'animal humain. Son agressivité veut aussi s'exprimer".

mercredi, 05 juillet 2023

L'Europe contre l'Occident

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L'Europe contre l'Occident

par Alberto Giovanni Biuso

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/25864-alberto-giovanni-biuso-europa-vs-occidente.html?auid=100081

imakmmpcges.jpgCapitalisme et dévastation sont inséparables. C'est ce qui ressort du célèbre éloge de la bourgeoisie par Marx et Engels, laquelle "a joué un rôle suprêmement révolutionnaire dans l'histoire. Là où elle est parvenue à dominer, la bourgeoisie a détruit toutes les conditions de vie féodales, patriarcales et idylliques. Elle a déchiré sans pitié tous les liens féodaux colorés qui liaient l'homme à son supérieur naturel, et n'a laissé entre l'homme et l'homme d'autre lien que l'intérêt nu, le froid "paiement comptant". [...] Elle a dissous la dignité personnelle dans la valeur d'échange, et à la place des innombrables libertés brevetées et honnêtement conquises, elle a mis, seule, la liberté sans scrupule du commerce. En un mot, elle a substitué à l'exploitation masquée par des illusions religieuses et politiques, l'exploitation ouverte, éhontée, directe et sèche. La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui étaient jusqu'alors vénérées et regardées avec une pieuse crainte. [...] La bourgeoisie a déchiré le voile sentimental des relations familiales et les a réduites à de purs rapports d'argent. [...] Seule la bourgeoisie a montré ce que l'activité de l'homme peut accomplir".

"Elle a accompli bien plus de merveilles que les pyramides égyptiennes, les aqueducs romains et les cathédrales gothiques, elle a réalisé bien plus d'expéditions que les migrations de peuples et les croisades. [...] En exploitant le marché mondial, la bourgeoisie a donné une empreinte cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays". (Manifeste du Parti communiste, édité par E. Cantimori Mezzomonti, Laterza, Rome-Bari 1981, pp. 57-59).

Cette dernière déclaration constitue une définition claire de la mondialisation, de cette idéologie occidentaliste et non européenne que les médias aux mains des capitalistes contemporains et de leurs sociétés multinationales ne se contentent pas de vanter, de défendre et de diffuser, mais dont ils sont tout simplement imprégnés dans chaque nouvelle qu'ils donnent, dans chaque ligne qu'ils publient, dans chaque pensée que leurs journalistes conçoivent et qui est transmise par la force de la gravité à leurs lecteurs paresseux et habitués. Les journaux italiens La Repubblica et La Stampa, détenus par la famille Elkann-Agnelli par l'intermédiaire de la société GEDI, qui fait partie du holding financier Exor, sont un exemple de ces médias.

La bourgeoisie financière et ses relais dans les rédactions des journaux et des télévisions ont chanté les louanges de la destruction économique de la Grèce, début de celle de tout le continent, dont les effets ont été et continuent d'être la misère, le désespoir et les suicides.

La bourgeoisie financière et ses thuriféraires dans les rédactions des journaux et des télévisions donnent quotidiennement la parole et la raison au gouvernement de l'Union européenne, institution dont le but premier est aujourd'hui l'appauvrissement de l'Europe.

La bourgeoisie financière et ses thuriféraires dans les rédactions des journaux et des chaînes de télévision conçoivent orwelliennement la liberté d'expression comme le discours de ceux qui répètent les dogmes du politiquement correct, en enlevant situation et voix à ceux qui ne partagent pas ces dogmes et en les présentant sous des formules des plus offensantes que les gentils aiment à distribuer avec effusion..

La bourgeoisie financière et ses thuriféraires dans les rédactions des journaux et des chaînes de télévision désignent comme ennemis toutes les sociétés et tous les États qui n'acceptent pas l'hégémonie des États-Unis d'Amérique: la Russie en Europe, l'Iran au Moyen-Orient, la Chine en tant que puissance mondiale.

La bourgeoisie financière et ses thuriféraires dans les rédactions des journaux et des chaînes de télévision ont été à l'avant-garde de la vague de despotisme sanitaire et de dissipation de la socialité, habituant les citoyens à l'ingérence des autorités dans leur vie privée et quotidienne et soulignant le "devoir moral" de ces citoyens de se mêler eux-mêmes de la vie des autres, même par le biais de la dénonciation.

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La bourgeoisie financière et ses thuriféraires dans les rédactions des journaux et des chaînes de télévision sont une partie fondatrice et fondamentale de l'Empire du Bien qui "décide, administre, gère, planifie et assiste : légifère, enferme, condamne les idées non conformes, souvent bombarde et tue. ["Le Bien montre son visage, celui d'une des tyrannies les plus pernicieuses de l'histoire humaine" (Francesco Marotta, Diorama Letterario n° 373, mai-juin 2023, p. 31).

Face à cette domination de l'Un, nous pouvons espérer que le nouveau pluriversum, qui émerge aussi de la tragédie de la guerre menée par les États-Unis et l'OTAN en Ukraine contre la Russie, fera émerger ce qu'avec Carl Schmitt nous pouvons appeler un nouveau Nomos de la Terre, capable de rendre l'espace à la multiplicité féconde de l'Europe par opposition à l'uniformité destructrice de l'Occident.

mercredi, 28 juin 2023

Comment la Commission trilatérale a façonné l'Occident contemporain

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Comment la Commission trilatérale a façonné l'Occident contemporain

par Giacomo Gabellini 

Source: https://www.ariannaeditrice.it/articoli/come-la-commissione-trilaterale-ha-modellato-l-occidente-contemporaneo

Lorsqu'ils ont créé la Commission trilatérale en 1973, les fondateurs David Rockefeller, Zbigniew Brzezisnki et George Franklin aspiraient à créer un organisme transnational pour consolider l'ordre international dirigé par les États-Unis et atténuer les tensions naissantes entre les membres de la "triade capitaliste" - formée par les États-Unis, l'Europe occidentale et le Japon - en raison de la croissance économique européenne et japonaise et de l'intensification de la concurrence intercapitaliste à la suite de la crise pétrolière.

Au milieu des années 1970, le groupe de réflexion a publié, entre autres, une étude selon laquelle "une initiative commune Trilatérale-Opec visant à mettre davantage de capitaux à la disposition du développement servirait les intérêts des pays trilatéralistes". À une époque où la croissance stagne et le chômage augmente, il est évidemment avantageux de transférer des fonds des États membres de l'OPEP vers les pays en développement afin d'absorber les exportations des nations représentées au sein de la Commission trilatérale".

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Un autre document datant de la même période indique que: "l'objectif fondamental est de consolider le modèle basé sur l'interdépendance [entre les États] afin de protéger les avantages qu'il garantit à chaque pays du monde contre les menaces externes et internes qui viendront constamment de ceux qui ne sont pas disposés à supporter la perte d'autonomie nationale qu'implique le maintien de l'ordre existant. Cela peut parfois nécessiter de ralentir le rythme auquel le processus de renforcement de l'interdépendance [entre les États] doit être mis en œuvre et de modifier ses aspects procéduraux. La plupart du temps, cependant, il faudra s'efforcer de limiter les intrusions des gouvernements nationaux dans le système de libre-échange international des biens économiques et non économiques".

L'objectif des trilatéralistes était donc de transformer la planète en un espace économique unifié impliquant l'établissement de liens étroits d'interdépendance entre les États et, comme on peut le lire dans une étude fondamentale consacrée à ce sujet, "la restructuration des relations entre les travailleurs et les employeurs en fonction des intérêts des actionnaires et des créanciers, la réduction du rôle de l'État dans le développement économique et le bien-être, la croissance des institutions financières, la reconfiguration des relations entre les secteurs financier et non financier au profit du premier, la mise en place d'un cadre réglementaire favorable aux fusions et acquisitions d'entreprises, le renforcement des banques centrales à condition qu'elles se préoccupent avant tout d'assurer la stabilité des prix, et l'introduction d'une nouvelle orientation générale visant à drainer les ressources de la périphérie vers le centre". Sans oublier la baisse des impôts sur les revenus, les patrimoines et les capitaux les plus élevés, afin de libérer des ressources pour l'investissement productif et de mettre fin au déclin inquiétant de la part de la richesse totale - mesurée par la propriété combinée de biens immobiliers, d'actions, d'obligations, de liquidités et d'autres actifs - détenue par le fameux 1% le plus riche de la population, à son niveau le plus bas depuis 1922.

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Un chiffre important, qui n'est que partiellement imputable au renversement historique de l'architecture fiscale mise en place avant l'éclatement de la crise de 1929 par l'administration Coolidge - et en particulier son secrétaire au Trésor Andrew Mellon (portrait, ci-dessus) - dirigée par Franklin D. Roosevelt. La contraction des revenus perçus par les plus aisés était étroitement liée à la baisse tendancielle des profits des entreprises qui, comme Karl Marx l'avait deviné à l'époque, se produit chaque fois que la concurrence intercapitaliste s'intensifie. Dans le cas présent, l'augmentation astronomique de l'investissement et de la productivité réalisée par l'Europe occidentale et le Japon avait non seulement été supérieure à celle capitalisée par les États-Unis, mais elle avait également été obtenue dans un contexte de faible inflation, de taux d'emploi élevé et d'augmentation rapide du niveau de vie.

Pendant un certain temps, l'abaissement du seuil de rémunération produit par l'intensification de la confrontation entre les États-Unis, l'Europe occidentale et le Japon a été compensé par l'augmentation vertigineuse de la masse des profits industriels générés par le boom économique, mais à partir du milieu des années 1960, la marge a commencé à s'amenuiser progressivement en raison de la poursuite de l'exacerbation de la concurrence intercapitaliste, combinée à l'augmentation généralisée des salaires et au renforcement des syndicats. D'autre part, le krach de Wall Street entre 1969 et 1970 avait porté un coup sévère aux tendances spéculatives, déclenchant une spirale descendante destinée à durer au moins jusqu'à la fin de 1978, avec la liquéfaction de quelque 70 % du total des actifs détenus par les 28 principaux fonds spéculatifs américains.

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Le phénomène n'a pas manqué d'attirer l'attention de Lewis Powell (portrait, ci-dessus), juge à la Cour suprême ayant fait carrière comme avocat des multinationales du tabac, qui a envoyé en août 1971 une lettre célèbre à Eugene B. Sydnor, fonctionnaire de la Chambre de commerce des États-Unis. Dans ce document, intitulé avec éloquence Attack of American Free Enterprise System (Attaque contre le système américain de la libre entreprise), Powell déplorait le siège idéologique et axiologique imposé au système des entreprises par "l'extrême gauche, qui est bien plus nombreuse, mieux financée et tolérée qu'à n'importe quel moment de l'histoire". Ce qui est surprenant, cependant, c'est que les voix les plus critiques proviennent d'éléments très respectables ancrés dans les universités, les médias, le monde intellectuel, artistique et même politique [...]. Près de la moitié des étudiants sont également favorables à la socialisation des industries américaines fondamentales, en raison de la diffusion sporadique d'une propagande trompeuse qui sape la confiance du public et l'embrouille". Le juge a ensuite proclamé qu'il était maintenant "temps pour les entreprises américaines de marcher contre ceux qui ont l'intention de les détruire [...]. Les entreprises doivent s'organiser, planifier à long terme, se réglementer pour une durée illimitée et coordonner leurs efforts financiers en vue d'un seul objectif fondamental [...]. La classe des entrepreneurs est appelée à tirer les leçons de la classe ouvrière, à savoir que le pouvoir politique est un facteur indispensable qui doit être cultivé avec engagement et assiduité et exploité de manière agressive [...]. Ceux qui représentent nos intérêts économiques doivent affûter leurs armes [...], exercer une forte pression sur l'ensemble de l'establishment politique pour s'assurer de leur soutien et frapper sans délai leurs adversaires par le biais du pouvoir judiciaire, comme l'ont fait par le passé la gauche, les syndicats et les groupes de défense des droits civiques [...], qui ont obtenu des succès considérables à nos dépens.

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Le passage le plus significatif de la lettre est cependant celui dans lequel Powell attire l'attention sur la nécessité de prendre le contrôle des écoles et des médias, considérés comme des outils indispensables pour "former" l'esprit des individus et créer ainsi les conditions politiques et culturelles nécessaires à la reproduction pérenne du système capitaliste. De toute évidence, Powell n'avait pas oublié les réflexions formulées par Marx et Gramsci sur le concept d'"hégémonie", qui s'exerce beaucoup plus efficacement par une manipulation habile des appareils éducatifs et des médias de masse que par la coercition. Selon lui, il est nécessaire de convaincre les grandes entreprises de fournir des sommes d'argent suffisantes pour renforcer l'image du système par un travail raffiné et méticuleux de "construction de consensus" auquel s'emploieraient des professionnels grassement rémunérés. "Nos interventions dans les médias, lors de conférences, dans le monde de l'édition et de la publicité, dans les tribunaux et dans les commissions législatives devront être d'une précision inégalée et d'un niveau exceptionnel.

Un autre aspect crucial est l'établissement d'une relation de collaboration avec les universités en vue de l'inclusion dans les universités de "professeurs qui croient fermement au modèle entrepreneurial [...] [et qui, sur la base de leurs convictions] évaluent les manuels, à commencer par ceux d'économie, de sociologie et de sciences politiques". En ce qui concerne l'information, "la télévision et la radio devraient faire l'objet d'un contrôle permanent selon le même critère que celui utilisé pour évaluer les manuels universitaires. Cela vaut en particulier pour les programmes d'approfondissement, d'où proviennent très souvent les critiques les plus insidieuses du système d'entreprise [...]. Des articles parrainant notre modèle devraient être publiés en permanence dans la presse, et les marchands de journaux devraient également être impliqués dans le projet".

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L'autre texte de référence, complémentaire au mémorandum de Powell, dont les trilatéralistes se sont inspirés est The Second American Revolution de John D. Rockefeller III. La seconde révolution américaine de Rockefeller III, véritable manifeste idéologique publié par le Council on Foreign Affairs en 1973, propose de limiter drastiquement le pouvoir des gouvernements à travers un programme de libéralisation et de privatisation visant à priver les autorités étatiques de certaines de leurs fonctions régulatrices fondamentales et à révoquer les politiques keynésiennes en vigueur depuis le New Deal pour revenir au modèle darwinien et fortement dérégulé qui a perduré jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Franklin D. Roosevelt.

La mise en œuvre des schémas trilatéraux, favorisée par la prolifération des fondations (l'activisme de celles du Midwest, dirigées par les familles Olin, Koch, Richardson, Mellon Scaife et Bradley, serait particulièrement incisif) et l'application pratique d'une série d'expédients exposés dans un impressionnant rapport sur la "crise de la démocratie" rédigé par les politologues Samuel Huntington, Michel Crozier et Joji Watanuki pour le compte de la Commission, s'est faite sous la présidence de Jimmy Carter.

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En effet, le candidat démocrate qui a remporté les élections de 1976 grâce à une impressionnante campagne médiatique s'est attaché à rendre l'administration publique responsable de l'émergence de toute une série de problèmes qui frappaient les États-Unis, à commencer par l'inefficacité due à une bureaucratisation excessive et à l'"ingérence" dans la vie économique qui nuisait à la pleine exploitation du potentiel économique du pays. Fait significatif, pas moins de 26 membres de la Commission trilatérale ont été recrutés dans l'administration Carter, dont Walter Mondale (vice-président), Cyrus Vance (secrétaire d'État), Harold Brown (secrétaire à la défense), Michael Blumenthal (secrétaire au Trésor) et Zbigniew Brzezinski (conseiller à la sécurité nationale).

 

jeudi, 01 juin 2023

L'Occident ne laisse pas le choix à l'Ukraine

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L'Occident ne laisse pas le choix à l'Ukraine

Oleg Ladogin

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/defensa/40781-2023-05-25-18-06-03

Début mai, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a entamé un long voyage autour du monde. Le premier pays qu'il a visité a été la Finlande, puis il s'est rendu aux Pays-Bas; Volodymyr Zelensky a également participé au sommet des pays nordiques, dans le but de "discuter de la situation de la guerre d'agression russe en Ukraine, du soutien apporté à l'Ukraine par les pays du Nord, des relations de l'Ukraine avec l'UE et l'OTAN".

S'exprimant en ligne lors du sommet de Copenhague sur la démocratie, Volodymyr Zelensky a critiqué les pays européens qui hésitent à autoriser l'Ukraine à rejoindre l'Union européenne, et a également appelé les pays de l'OTAN à prendre une décision positive sur l'adhésion de l'Ukraine dès le sommet de l'alliance qui se tiendra en juillet à Vilnius. Il convient de noter que le Seimas lituanien a même adopté une résolution spéciale sur l'invitation de l'Ukraine à adhérer à l'OTAN.

Auparavant, le Washington Post avait écrit que les 31 membres de l'OTAN s'accordaient à dire que, malgré le soutien apporté à Kiev, l'OTAN n'inviterait pas officiellement l'Ukraine à adhérer à l'Alliance lors de ce sommet. L'Allemagne et la Hongrie s'opposent ouvertement à l'admission de l'Ukraine au sein de l'OTAN à l'heure actuelle.

Du 13 au 15 mai, Volodymyr Zelensky a réussi à se rendre en Italie, en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne, où il a principalement tenté d'obtenir des armes supplémentaires pour l'Ukraine, bien que la fourniture de ces armes ait été annoncée à l'avance. Le dirigeant ukrainien a lui-même promu l'idée de la création d'une "coalition aérienne" par les Européens pour transférer des avions de combat modernes à l'Ukraine et former des pilotes ukrainiens.

Par ailleurs, on ne peut passer sous silence la rencontre du président ukrainien avec le pape François au Vatican, qui lui a offert un rameau d'olivier. Cependant, Volodymyr Zelenskyy n'a pas hésité à dire dans une interview à la télévision italienne que "avec tout le respect dû à Sa Sainteté, nous n'avons pas besoin de médiateurs, nous avons besoin d'une paix juste" basée sur la "formule de paix" ukrainienne, ce qui signifie qu'aucun compromis avec la Russie ne sera fait.

Le 19 mai, le président ukrainien a participé au sommet de la Ligue arabe en Arabie saoudite, où il n'a manifestement pas obtenu le même que effet politique que le retour de la Syrie au sein de la Ligue et que la présence de son président Bachar al-Assad à ce sommet. Volodymyr Zelensky n'a pas été en mesure d'apporter un soutien matériel à l'Ukraine à l'issue de cette réunion. Le lendemain, il est arrivé au sommet du G7 au Japon.

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Une large discussion sur la situation en Ukraine a eu lieu à Hiroshima, avec la participation de pays invités et non membres du G7 tels que l'Inde, la Corée du Sud, l'Indonésie et quelques autres. En marge du sommet, Volodymyr Zelenskyy a rencontré personnellement le président américain Joe Biden et a discuté de diverses questions urgentes.

Le principal résultat obtenu par l'Ukraine est que le président américain a déclaré à ses alliés qu'il n'interdirait pas aux pilotes ukrainiens de s'entraîner à piloter des F-16 américains. Les responsables américains se sont engagés à déterminer dans les mois à venir quel pays transférera des avions de combat à l'Ukraine et en quelle quantité.

Il est évident que l'objectif initial du voyage mondial de Volodymyr Zelensky était d'obtenir des garanties de sécurité après la fin du conflit, et l'Ukraine comptait sur la perspective d'adhérer à l'OTAN. Or, personne en Europe, à l'exception des pays baltes et de la Pologne, n'est disposé à être directement responsable de la sécurité de l'Ukraine en vertu de l'article 5 du traité de l'OTAN.

Il est caractéristique qu'après la rencontre des présidents ukrainien et américain au sommet du G7, le communiqué de la Maison Blanche ne dise pas un mot sur la possibilité d'une adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. Toutefois, la version ukrainienne des résultats de la réunion contient les propos de Vladimir Zelensky sur l'importance d'obtenir des garanties de sécurité pour l'Ukraine avant d'adhérer à l'alliance nord-atlantique.

En ce sens, les visites du président ukrainien dans les principales capitales européennes et le sommet du G7 apparaissent comme un échec. La rhétorique de ses partenaires s'est réduite à la seule question de la fourniture d'une assistance militaire, l'Ukraine n'ayant reçu aucune garantie de sécurité.

Dans le même temps, les journalistes occidentaux ont tourmenté le président ukrainien en lui posant des questions sur la contre-offensive annoncée pour le printemps. Volodymyr Zelensky est bien conscient que le plus le niveau du soutien militaire occidental à l'Ukraine sera élevé, plus les performances de la contre-offensive seront tangibles.

En réponse à une question similaire posée par des journalistes, le président ukrainien a répondu : "Il y a un risque que le soutien diminue si les actions offensives ne sont pas couronnées de succès. Mais il me semble que ce n'est pas une idée générale. Ils n'ont pas été très actifs pendant toute la période de soutien à l'Ukraine".

Dans une interview accordée à la BBC, Volodymyr Zelensky a déclaré que l'Ukraine avait besoin de plus de temps pour lancer cette contre-offensive tant attendue, parce que son armée attend la livraison d'une aide militaire sibstantielle, promise par l'Occident. Parallèlement, en avril, le général Christopher Cavoli, chef du Commandement européen (Eurocom) des États-Unis et commandant suprême des forces armées alliées en Europe pour le compte de l'OTAN, a déclaré que l'Ukraine avait reçu "plus de 98 %" des véhicules de combat demandés.

Commentant la déclaration du président ukrainien le 9 mai, le chef du département d'État américain Anthony Blinken a de nouveau insisté sur le fait que toutes les armes demandées par l'Ukraine avaient été livrées, sans mentionner, bien sûr, les chars américains Abrams. Joe Biden, répondant aux questions des journalistes lors du sommet du G7, a déclaré : "Nous et nos alliés de l'OTAN savons combien de brigades ukrainiennes sont entraînées, nous connaissons le niveau de cet entraînement et nous supposons que l'offensive ukrainienne a des chances de réussir".

À en juger par ces propos, les États-Unis envoient l'Ukraine dans une contre-offensive, indépendamment du désir et de la volonté de la partie ukrainienne. La chef de la mission ukrainienne auprès de l'OTAN, Natalya Galibarenko, a même dû tempérer les passions: "Nous disons maintenant à nos partenaires internationaux: soyez patients, ne nous poussez pas trop fort. Il est maintenant plus important de réfléchir à ce qui peut être fait d'autre pour que cette contre-offensive soit couronnée de succès".

Le 16 mai, France24 écrivait que les capitales occidentales espéraient une contre-offensive dans l'espoir que l'Ukraine puisse aller de l'avant et forcer la Russie à s'asseoir à la table des négociations selon les conditions de Kiev, afin d'ouvrir la voie à la fin du conflit. Publié sur le site de la Maison Blanche, le communiqué conjoint en 15 points des pays du G7 indique clairement que le processus de négociation visant à résoudre le conflit russo-ukrainien est condamné dès le départ s'il va à l'encontre des intérêts de l'Occident.

Par conséquent, la visite de Li Hui, le représentant spécial du gouvernement chinois pour le règlement du conflit ukrainien, à Kiev le 17 mai, n'a eu aucune implication pratique. L'Occident ne laisse pas le choix à l'Ukraine, il l'oblige même à battre sa coulpe face à l'armée russe, car les garanties et les perspectives de sécurité pour l'Ukraine seront déterminées uniquement par les résultats de sa contre-offensive.

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Les pays occidentaux sont clairement accablés par ce conflit; ils ne peuvent pas maintenir longtemps le niveau actuel d'intensité des hostilités. Les États-Unis veulent se concentrer sur la confrontation avec la Chine, et la "vieille Europe" veut juguler la crise économique, qui a été exacerbée par les sanctions énergétiques contre la Russie.

Le 18 mai, le Financial Times a publié un article indiquant que les États-Unis considèrent les cinq prochains mois comme décisifs pour l'issue du conflit et comme "la dernière véritable chance pour l'Ukraine de faire la différence sur le terrain". Le même jour, Politico écrivait que la question du gel du conflit en Ukraine dans le cadre du "scénario coréen" avait été discutée à la Maison Blanche par manque de fonds. Un conflit gelé est tout à fait bénéfique pour les États-Unis, car il peut être dégelé à un moment inopportun pour la Russie.

Ces publications montrent que malgré les appels fanfarons de Volodymir Zelensky sur la nécessité de vaincre la Russie sur le champ de bataille, sous prétexte qu'elle veut détruire non seulement l'Ukraine mais aussi l'Europe, l'Occident est bien conscient qu'il est impossible de vaincre une puissance nucléaire avec des armes conventionnelles.

Seul l'Occident compte sur une contre-offensive ukrainienne si réussie qu'elle conduirait à la déstabilisation de la société russe même après le gel du conflit. Le Wall Street Journal a écrit en mars, citant ses sources, que Washington et les capitales européennes s'attendent à ce que la contre-offensive ukrainienne "fasse un trou" dans la défense de la Russie. En théorie, cela donnerait aux forces de Kiev un tel avantage sur le champ de bataille que la Russie serait contrainte d'entamer des pourparlers de paix dans lesquels le Kremlin céderait au moins le territoire qu'il a acquis depuis le début de l'Opération militaire spéciale. Les autorités russes pourraient alors être confrontées à la colère de leur propre population.

En janvier de cette année, le conseiller du chef du cabinet du président ukrainien, Mikhail Podolyak, a exprimé à peu près le même scénario selon lequel l'Ukraine souhaite mettre fin au conflit, dès que certains succès de l'armée ukrainienne démoraliseraient la Russie et provoqueraient là-bas des protestations sociales.

Dans une interview accordée en mai à la chaîne de télévision allemande Deutsche Welle, Mikhaïl Podolyak, développant son idée, a déclaré qu'il était nécessaire de provoquer une guerre civile en Russie et de stimuler le séparatisme dans les régions. Sinon, après tout accord de paix, l'esprit impérial de la Russie ne changera pas et elle continuera à menacer ses voisins.

Ici, inutile de compter sur la mémoire des Ukrainiens qui ont refusé de mettre en œuvre les accords de Minsk, tout cela a été littéralement effacé par la propagande. Selon le conseiller du président ukrainien, la Russie est venue pour tuer tous les Ukrainiens et ainsi détruire l'Ukraine.

Il semblerait que ce mensonge soit trop évident, car dès le premier jour de l'Opération militaire spéciale, le secrétaire de presse de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, a expliqué que Moscou était prêt à négocier avec Kiev, sur la base des problèmes de sécurité de notre pays exprimés par le président russe Vladimir Poutine. Personne ne propose de négociations le jour où les hostilités commencent s'il veut vraiment détruire l'ennemi, mais cela ne rentre pas dans le cadre de la propagande ukrainienne.

Dans ses messages de propagande, Mikhail Podolyak justifie auprès des Européens l'objectif qui est de provoquer l'effondrement de la Russie. Il s'étonne publiquement de la vénération de la culture russe par certains Européens, avec l'engouement pour de grands écrivains tels Dostoïevski et Tchekhov, affirmant que cette haute littérature n'est qu'une couverture pour camoufler la nature agressive de la Russie. En d'autres termes, il appelle à l'effacement de la contribution russe à la civilisation européenne et à l'effacement du code culturel russe.

Plus encore, dans un degré de russophobie fanatique, le chef du département du renseignement du ministère ukrainien de la défense, Kirill Boudanov, est intervenu dans une interview avec Yahoo News, justifiant le terrorisme et le meurtre de Daria Douguina, en disant: "nous avons tué et nous continuerons à tuer des Russes partout dans le monde jusqu'à la victoire complète de l'Ukraine". Le Times britannique publie sans hésiter un article intitulé "L'Ukraine a tué des propagandistes russes, a admis le chef des services de renseignement".

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Les faits relatifs au non-respect par l'Ukraine de la Convention de Genève sur les non-combattants sont connus depuis longtemps, mais la justification d'actes terroristes contre des civils aurait dû provoquer une condamnation substantielle de la part de l'"Occident civilisé", ce qui n'a pas été le cas.

Inconsciemment, l'Occident lui-même ouvre une "fenêtre béante" aux activités terroristes des radicaux de droite et de gauche qui, par exemple, ont opéré en Europe après la Seconde Guerre mondiale jusqu'à l'effondrement et le pillage de l'URSS, lorsqu'un boom de la consommation a pris forme à l'Ouest. Aujourd'hui, l'Europe est loin d'être prospère et encourage involontairement l'esprit du terrorisme, ce qui signifie que l'histoire peut se répéter.

Pour résumer les objectifs et les messages de l'Occident collectif, il semble que les Russes qui ne sont pas sur les fronts ouverts par l'Opération militaire spéciale devront faire preuve de la même force morale et émotionnelle que leurs combattants dans les tranchées, car la campagne d'information des opérations psychologiques destructrices qui accompagnera la contre-offensive ukrainienne devrait être très forte, tout cela dans le but de déstabiliser la société russe. N'oubliez donc pas que la Russie se bat aujourd'hui pour son avenir.

 

samedi, 13 mai 2023

Quand Emmanuel Kant dénonce la dette et le colonialisme occidental…

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Quand Emmanuel Kant dénonce la dette et le colonialisme occidental…

par Nicolas Bonnal

Projet de paix perpétuelle : un texte célèbre et mal lu. Car le plus grand esprit du siècle tord le cou aux Occidentaux : voyons ce qu’il dit de la dette (qui en Occident signifie la richesse de la nation, plaisante Marx dans le Capital, VI) :

« Chercher des ressources au dedans ou au dehors dans l’intérêt de l’économie du pays (pour l’amélioration des routes, la fondation de nouvelles colonies, l’établissement de magasins pour les années stériles, etc.) ne présente rien de suspect. »

Mais la menace arrive avec l’Angleterre, qui bâtit son empire et ses guerres napoléoniennes avec sa dette immonde ; Kant s’inquiète :

« Mais il n’en est pas de même de ce système de crédit, — invention ingénieuse d’une nation commerçante de ce siècle, — où les dettes croissent indéfiniment, sans qu’on soit jamais embarrassé du remboursement actuel (parce que les créanciers ne l’exigent pas tous à la fois) : comme moyen d’action d’un État sur les autres, c’est une puissance pécuniaire dangereuse ; c’est en effet un trésor tout prêt pour la guerre, qui surpasse les trésors de tous les autres États ensemble et ne peut être épuisé que par la chute des taxes, dont il est menacé dans l’avenir (mais qui peut être retardée longtemps encore par la prospérité du commerce et la réaction qu’elle exerce sur l’industrie et le gain). »

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Qui dit dette dit en effet guerre, et une guerre éternelle comme celle menée par les pays anglo-saxons :

« Cette facilité de faire la guerre, jointe au penchant qui y pousse les souverains et qui semble inhérent à la nature humaine, est donc un grand obstacle à la paix perpétuelle… »

La paix perpétuelle ne peut se faire que sans l’Occident : on le sait maintenant. Un total écroulement financier et économique de ce tordu pourra seul établir la paix dans le monde. Voilà pour la dette.

Et puis Kant pousse plus loin : il se rend compte des mauvaises manières (on ne dit pas encore coloniales) des Occidentaux. Et cela donne :

« Si maintenant on examine la conduite inhospitalière des États de l’Europe, particulièrement des États commerçants, on est épouvanté de l’injustice qu’ils montrent dans leur visite aux pays et aux peuples étrangers (visite qui est pour eux synonyme de conquête). L'Amérique, les pays habités par les nègres, les îles des épiceries, le Cap, etc., furent, pour ceux qui les découvrirent, des pays qui n'appartenaient à personne, car ils comptaient les habitants pour rien. »

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Kant dénonce le désordre et le chaos amené partout par les « civilisateurs occidentaux » :

« Dans les Indes orientales (dans l’Indoustan), sous prétexte de n'établir que des comptoirs de commerce, les Européens introduisirent des troupes étrangères, et par leur moyen opprimèrent les indigènes, allumèrent des guerres entre les différents États de cette vaste contrée, et y répandirent la famine, la rébellion, la perfidie et tout le déluge des maux qui peuvent affliger l’humanité. »

Après des pays plus lointains et plus puissants se méfient – et comme on les comprend :

« La Chine et le Japon, ayant fait l’essai de pareils hôtes, leur refusèrent sagement, sinon l’accès, du moins l'entrée de leur pays ; ils n’accordèrent même cet accès qu’à un seul peuple de l’Europe, aux Hollandais, et encore en leur interdisant, comme à des captifs, toute société avec les indigènes. »

Mais la Chine sera économiquement anéantie au siècle suivant (perdant 90% de sa capacité productive grâce toujours à la civilisatrice Angleterre qui affame l’Inde) et le Japon finira en 1945 comme on sait après avoir mal copié l’Occident et avoir été poussé à faire la guerre à la Russie en 1905.

Et Kant note le caractère dérisoire de ce développement à l’occidentale :

« Le pire (ou, pour juger les choses au point de vue de la morale, le mieux), c'est que l’on ne jouit pas de toutes ces violences, que toutes les sociétés de commerce qui les commettent touchent au moment de leur ruine, que les îles à sucre, ce repaire de l'esclavage le plus cruel et le plus raffiné, ne produisent pas de revenu réel et ne profitent qu’indirectement, ne servant d'ailleurs qu’à des vues peu louables, c’est-à-dire à former des matelots pour les flottes et à entretenir ainsi des guerres en Europe, et cela entre les mains des États qui se piquent le plus de dévotion et qui, en s’abreuvant d’iniquités, veulent passer pour des élus en fait d'orthodoxie. »

On note au passage l’allusion à la tartuferie occidentale. Comme dira Trotski dans un texte célèbre que j’ai recensé :

« L’histoire favorise le capital américain: pour chaque brigandage, elle lui sert un mot d’ordre d’émancipation. »

Eh bien c’est enfin en train de se terminer.

Sources :

https://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9taphysique_des_m%C5...

https://blogs.mediapart.fr/danyves/blog/220117/comment-tr...

 

11:20 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : immanuel kant, dette, philosophie, colonialisme, occident | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 08 mai 2023

Opération Bélisaire : une stratégie eurasienne pour l'Occident

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Opération Bélisaire : une stratégie eurasienne pour l'Occident

Alexander Wolfheze

Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/operacao-belisario-estrategia-eurasiana-para-o-ocidente

Discours d'Alexander Wolfheze, philosophe et écrivain néerlandais, lors de la Conférence mondiale sur la multipolarité du 29 avril 2023.

C'est un honneur de parler ici aujourd'hui au nom du peuple néerlandais, qui vit depuis plus de mille ans sur les rives grises de la mer du Nord, à la frontière maritime de la grande Eurasie, et de parler pour une grande cause qui unit tous les peuples d'Eurasie dans la lutte pour un avenir post-mondialiste, un avenir dans lequel les Pays-Bas méritent eux aussi une place au soleil.

Si une réalité historique et géopolitique mondiale est apparue clairement ces dernières années - une réalité malheureusement connue depuis longtemps par peu de gens, mais heureusement par nous tous réunis ici aujourd'hui - c'est qu'un grand mal s'est incarné en Occident. Il y a près d'un demi siècle, en 1979, la révolution iranienne nommait déjà ce mal : elle appelait l'État le plus puissant de l'Occident, les États-Unis, le "Grand Satan". Le Royaume-Uni n'était qu'un échelon sur l'échelle géopolitique de la hiérarchie démoniaque : il était le "Petit Satan". Bien entendu, si nous suivons cette ligne de description du milieu mondialiste-atlantiste, mon propre pays, les Pays-Bas, peut être décrit comme un "Mini-Satan" - une république pirate, refuge d'une petite mais ancienne et impitoyable force portée par des institutions d'usure et par un "ordre fondé sur des règles", celles de la haute finance. La plupart d'entre nous, réunis ici dans notre section européenne de la conférence multipolaire d'aujourd'hui, viennent de pays qui font - encore - partie de l'Occident unipolaire : nous tous, dissidents, savons ce que c'est que de devoir vivre et travailler dans l'antre de la bête.

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Nous, dissidents occidentaux, savons également que notre partie de l'Europe est tout aussi possédée par Satan que l'Amérique. D'une certaine manière, l'Europe occidentale est encore plus une dystopie totalitaire orwellienne, avec moins de liberté et plus de répression. Alors que l'Amérique elle-même dispose encore de certains droits constitutionnels, tels que la liberté d'expression, la liberté de réunion et l'autodéfense, ici en Europe, nous avons connu des confinements totaux, des mandats de vaccination complets, une répression policière brutale et une censure ouverte. En fait, la majeure partie de l'Europe n'est rien d'autre qu'une colonie américaine, comme l'a amplement prouvé la servilité de ses "dirigeants" lors de la crise ukrainienne et de l'affaire Nord Stream, et ces dernières décennies, elle n'a pas été en mesure de s'opposer de manière significative à l'agenda impérialiste-mondialiste. L'Europe est sous le joug de ce qui est, en fait, un gouvernement néocolonial mondialiste : la substitution ethnique (la "crise des réfugiés") installe des colons du tiers-monde sur nos terres, la dégénérescence sociale parrainée par les mondialistes (la "révolution sexuelle") dissout nos cultures indigènes, et l'usure bancaire imposée par les mondialistes (le "néolibéralisme") pille nos ressources humaines et naturelles. La "gouvernance de l'UE" et la "sécurité de l'OTAN" sont une farce : ce ne sont rien d'autre que des mécanismes de contrôle mondialistes visant à maintenir l'Europe sous la domination coloniale impitoyable d'une élite mondialiste-nihiliste qui peut être basée dans l'anglosphère mais qui pense et planifie désormais à l'échelle transnationale. Pour cette élite, le "monde ne suffit pas" : elle mène actuellement une guerre multidimensionnelle pour remporter le prix géopolitique ultime : la masse continentale eurasienne et les grandes puissances terrestres que sont la Russie et la Chine. Mais une victoire mondialiste dans cette guerre - et nous pouvons dire que la "dernière guerre insulaire du monde" d'Alexandre Douguine a commencé le 22 février 2022 - est loin d'être certaine. En effet, comme je l'ai soutenu dans mon essai, The Apocalyptic Rite of Spring, sur notre espace partagé geopolitika.ru, il semble que l'élite mondialiste ait réagi de manière excessive et qu'elle soit maintenant engagée dans une spirale descendante imparable. L'"Empire du mensonge" mondialiste est ébranlé dans ses fondements par des erreurs de calcul militaire, un désastre pour sa réputation et une ruine économique après son attaque démesurée contre la coalition eurasienne de la Russie et de la Chine. Qu'est-ce que cela signifie pour nous, dissidents occidentaux ? Quels risques et quelles opportunités la crise actuelle et l'éventuel effondrement futur de l'"Empire du mensonge" représentent-ils pour nous, dissidents ?

Nous devrions nous rappeler qu'après la chute de la Première Rome et de l'Empire romain d'Occident, l'Empire romain d'Orient a survécu pendant un millier d'années - et que la Seconde Rome, Byzance, a non seulement joué un rôle déterminant dans la re-civilisation de l'Occident pendant la Renaissance, mais aussi dans la reconquête de la Première Rome quelques décennies seulement après sa chute. Un grand général, Bélisaire, part en Occident pour détruire et expulser les royaumes barbares fondés par les Vandales, les Ostrogoths et les Visigoths. Son armée est composée de mercenaires, de barbares et d'auxiliaires issus des terres occidentales reconquises. Est-il possible que la Troisième Rome, qui est la Russie chrétienne orthodoxe restaurée, qui est le centre de notre mouvement eurasien, reconquière à nouveau la Première Rome ? C'est possible : à l'heure actuelle, la domination barbare sur l'Europe occidentale s'affaiblit lentement. Alors que les peuples terrifiés de l'Occident s'enfoncent lentement dans une nouvelle ère sombre de tyrannie, d'anarchie et de pauvreté, leurs structures de pouvoir sont de plus en plus tendues et susceptibles de se dissoudre en raison de la perte de confiance du public, du sectarisme et des luttes intestines. Dans un tel climat, une "opération Bélisaire" eurasienne - une Reconquista de l'Occident - peut devenir une option. De nombreux Occidentaux dépossédés et mécontents accepteraient volontiers une libération eurasienne de leurs terres dévastées : la restauration de la liberté, le retour de l'État de droit, la redécouverte des traditions et la renaissance de la culture. Que pouvons-nous faire, nous les dissidents occidentaux, pour faciliter cette ambitieuse mais nécessaire "opération Bélisaire" ? Nous pouvons espérer que l'année prochaine, le groupe Wagner tiendra sa parade de victoire à Berlin ou que les troupes chinoises de maintien de la paix patrouilleront dans les rues de Rome, mais je pense que le Götterdämmerung de l'Occident prendra plus de temps. Il se peut même que cela prenne une décennie, voire toute une vie. Que pouvons-nous donc faire, nous, dissidents occidentaux, maintenant ?

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Nous pouvons préparer le terrain, nous pouvons jeter les bases de la Reconquista. Certains d'entre nous peuvent le faire en exil, en travaillant comme publicistes et en soutenant le mouvement eurasien, d'autres peuvent le faire chez eux, en travaillant comme activistes et politiciens pour planter les graines de formes alternatives de gouvernance, de droit et de médias. Nous, dissidents occidentaux, connaissons mieux que quiconque l'ennemi mondialiste, ses forces et ses faiblesses. Nous pouvons analyser les obstacles et les opportunités - la réalité sur le terrain. Nous savons que seule une minorité d'Occidentaux est complice du mal mondialiste. Mon pays était réputé pour son commerce équitable, ses transactions honnêtes et sa comptabilité saine - des choses qui peuvent être utilisées pour le bien ou pour le mal. Permettez-moi donc de vous donner mon meilleur "compte-rendu" des calculs politiques. J'oserais dire que sur le noyau dur de la population occidentale, seuls 10 % sont réellement perdus politiquement - irrémédiablement englués dans la corruption, le péché et rendus fous par le phénomène "Woke". Peut-être que 20 % sont simplement des collaborateurs apolitiques, travaillant pour l'argent sans allégeance intérieure au mondialisme. Face à eux, il y a encore 10 % et 20 % - ceux qui s'opposent ouvertement ou secrètement au Nouvel ordre mondial mondialiste. Il reste donc 40 % au milieu, des gens qui veulent simplement vivre leur vie avec leur famille, qui sont très dépendants du système totalitaire et qui en ont peur. Les pourcentages ne semblent donc pas trop mauvais : l'équilibre démographique est défavorable au régime d'occupation mondialiste, ce qui n'est pas sans rappeler la situation dans les pays du Sud, comme l'Inde britannique lorsqu'elle a entamé sa lutte pour l'indépendance. En fait, une grande poussée peut faire s'écrouler tout le château de cartes mondialiste. En tant que dissidents, nous devrions travailler dans ce sens, c'est-à-dire nous préparer.

Nous devrions encourager nos amis eurasiens de l'Est à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour promouvoir une nouvelle génération d'eurasiens occidentaux - une génération qui pourra prendre les rênes du pouvoir lorsque l'ensemble du château de cartes mondialiste s'effondrera. Pour ajouter une stratégie de puissance douce à une stratégie de puissance dure. Les jeunes Occidentaux peuvent être invités à faire l'expérience de choses qui sont rares en Occident aujourd'hui : une bonne éducation, une vie religieuse, une carrière militaire, une année de travail dans une ferme ou une usine, une véritable éducation politique. Les cœurs et les esprits des masses de jeunes Occidentaux se sont depuis longtemps détournés de la décadence crasse, des illusions obsolètes et du matérialisme vide de la "voie moderne" du nihilisme mondialiste. Ils aspirent à un avenir différent, à un nouveau départ et à une vraie vie. C'est tout cela que l'Orient eurasien en pleine expansion et le nouveau mouvement eurasien peuvent leur offrir. De cette manière, nous pouvons renverser la vapeur face à l'ennemi mondialiste et atlantiste : à mesure que l'attaque mondialiste contre l'Eurasie s'enfonce et vacille, et que l'"Empire du mensonge" se brise et se fragmente, il implosera tout simplement de l'intérieur.

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Enfin, j'ai un mot d'avertissement pour nos amis de l'Est. En tant que personne née et élevée à l'Ouest, qui a vécu et travaillé à l'Ouest, je voudrais dire ceci : ne croyez pas que vous pouvez négocier avec l'élite mondialiste qui dirige l'Ouest, ne vous faites pas d'illusions en pensant qu'il peut y avoir des concessions. Ce qu'il faut, c'est une pression constante, une patience constante, un travail constant - et une volonté de fer pour mener le combat jusqu'au bout. Il n'y a pas de demi-paix avec l'ennemi mondialiste-atlantiste - ce mal doit être renversé une fois pour toutes. Cette lutte devra être menée jusqu'au bout, jusqu'au "Triomphe de la Volonté". Notre combat pour notre liberté - et la vôtre.

La volonté inébranlable
Elle aussi peut durer
Je suis toujours Bélisaire
- Henry Wadsworth Longfellow

vendredi, 05 mai 2023

La multipolarité et la montée des États civilisationnels

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La multipolarité et la montée des États civilisationnels

Zhang Weiwei

Transcription du discours de Zhang Weiwei lors de la conférence mondiale sur la multipolarité du 29 avril 2023.

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/multipolarity-and-rise-civilizational-states

À la veille de la visite du président chinois Xi Jinping en Russie, le 19 mars, j'ai été interviewé par Russia Today, qui m'a demandé comment je percevais les lourdes sanctions occidentales imposées à la Russie, et j'ai répondu que la Russie avait été isolée par l'Occident et que l'Occident avait été isolé par les autres. La raison en est simple: si l'opération militaire russe en Ukraine est controversée, l'un des objectifs avoués de la Russie est de transformer l'ordre mondial multipolaire dirigé par les États-Unis en un ordre mondial multipolaire, et cet objectif est largement soutenu ou du moins compris par le monde non occidental.

Leur soutien ou leur compréhension de cet objectif est renforcé par le fait que les grandes puissances non occidentales comme la Chine, la Russie, l'Inde et l'Iran, et d'autres encore, se qualifient ouvertement d'États civilisationnels. Ils peuvent diverger sur la définition exacte du terme "État civilisationnel", mais ils semblent s'accorder sur au moins trois thèmes : premièrement, ils constituent tous respectivement une civilisation unique, deuxièmement, ils en ont assez que l'Occident leur impose ses valeurs au nom de "valeurs universelles" et, troisièmement, ils résistent à l'ingérence de l'Occident dans leurs affaires intérieures.

Ces États civilisationnels en plein essor remettent en effet en question l'ordre mondial unipolaire dit libéral, et le monde assiste ainsi à un changement de l'ordre mondial, qui passe d'un ordre vertical, dans lequel l'Occident est au-dessus des autres, à un ordre horizontal, dans lequel l'Occident et les autres sont sur un pied d'égalité en termes de richesses, de pouvoir et d'idées. Sans parler des autres puissances non occidentales, la Chine à elle seule a contribué davantage à la croissance économique mondiale que les pays du G7 réunis (38 % contre 25 %) au cours des dix dernières années. L'utilisation du dollar par les États-Unis dans le cadre de leurs sanctions contre la Russie n'a fait qu'inciter de plus en plus de pays non occidentaux à abandonner l'utilisation du dollar dans leurs échanges internationaux, ce qui porte un coup terrible à l'ordre économique unipolaire existant. L'année dernière, 70 % des échanges sino-russes ont été réalisés dans les monnaies locales, et l'Inde, le Brésil, l'Iran, la Turquie, l'Indonésie et d'autres grands pays non occidentaux encouragent tous les échanges dans leurs monnaies locales.

Il est également vrai que dans les relations internationales, les puissances occidentales ont longtemps poursuivi une stratégie de "diviser pour régner" depuis l'époque coloniale. En revanche, les grandes puissances non occidentales, notamment la Chine, suivant sa tradition d'État civilisationnel, poursuivent exactement le contraire, c'est-à-dire "unir et prospérer", comme le montre sa vaste initiative "la Ceinture et la Route" (BRI), qui s'avère populaire auprès de la plupart des pays, et la Chine estime également que cet idéal d'union et de prospérité représente les meilleurs intérêts des Chinois ainsi que de la plupart des autres peuples.

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Le pouvoir politique et l'autorité morale de Washington s'affaiblissant rapidement tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, il est tout à fait naturel que les pays non occidentaux s'inspirent de leurs propres cultures et civilisations pour se démarquer du modèle libéral américain discrédité et de son hégémonie unipolaire.

Il est intéressant de noter que l'idée d'un État-civilisation est également attrayante pour de nombreuses personnes dans le monde occidental. Par exemple, face aux défis redoutables de la "renationalisation" de l'Europe, le président français Macron a presque ouvertement admiré l'idéal de l'État civilisationnel en citant la Chine, la Russie et l'Inde comme exemples et en déclarant que le destin historique de la France était de guider l'Europe vers un renouveau civilisationnel.

Pour la droite occidentale, le modèle de l'État civilisationnel est un moyen de défendre les valeurs traditionnelles et de résister à l'excès de l'ultralibéralisme et à la dégénérescence culturelle largement perçue, tandis que pour la gauche, ce modèle témoigne du respect dû aux cultures et aux traditions indigènes et constitue un moyen de rejeter l'impérialisme occidental et l'excès du néolibéralisme.

En effet, les États civilisationnels émergents d'Eurasie se définissent principalement contre l'Occident libéral, tandis que l'Occident s'efforce aujourd'hui de définir sa propre identité, ce qui semble plus difficile que pour la Chine ou la Russie. D'une part, les libéraux ont longtemps prêché des valeurs universelles au-delà des frontières nationales ou civilisationnelles et pensent que leurs valeurs sont universelles, ni occidentales, ni européennes, ni judéo-chrétiennes. Pourtant, le politologue européen Bruno Maçães affirme que l'"Occident" libéral est aujourd'hui mort, reflétant sa sympathie pour "une révolte contre le déracinement mondial".

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Cependant, l'Occident peut-il exister en tant qu'entité civilisationnelle indépendante ? L'universitaire britannique Christoph Coker note que "ni les Grecs ni les Européens du XVIe siècle... ne se considéraient comme "occidentaux", un terme qui ne remonte qu'à la fin du XVIIIe siècle".

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Certains libéraux occidentaux prônent un retour aux Lumières en Europe, mais il est évident que le libéralisme des Lumières, avec ses tendances universelles, a conduit l'Occident à son dilemme actuel, qui a coupé l'Occident, et l'Europe en particulier, de ses propres racines culturelles, comme le note Macaes : "Les sociétés occidentales ont sacrifié leurs cultures spécifiques au nom d'un projet universel." En effet, un Occident divisé culturellement, socialement et politiquement, comme c'est le cas aujourd'hui, a encore une bataille difficile à mener avant de façonner une identité civilisationnelle commune, si tant est qu'il y en ait une.

Dans une perspective à moyen et long terme, comme l'ordre mondial devient de plus en plus horizontal plutôt que vertical, et que l'Occident et les autres pays sont davantage sur un pied d'égalité en termes de richesse, de pouvoir et d'idées, il est probable que nous assistions à l'émergence d'un plus grand nombre de communautés ou d'États civilisationnels, autoproclamés ou authentiques, parmi lesquels il pourrait bien y avoir une communauté civilisationnelle occidentale sur un pied d'égalité avec d'autres. Il faut espérer que les "valeurs universelles" définies unilatéralement par l'Occident seront progressivement remplacées par certaines valeurs communes approuvées par l'ensemble de la communauté internationale, telles que la paix, l'humanité, la solidarité internationale et une seule communauté humaine, et que toutes les communautés civilisationnelles apporteront leur contribution à cette noble entreprise dans l'intérêt de l'humanité tout entière.

lundi, 24 avril 2023

Le monde a décidé de se passer de l'Occident

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Le monde a décidé de se passer de l'Occident

Entretien avec Gianandrea Gaiani

Source : Analisi Difesa & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/il-mondo-ha-deciso-di-fare-a-meno-di-noi-come-occidente

Le nouvel ordre mondial américain est de plus en plus en crise et un nouvel ordre mondial est en train d'émerger. C'est l'objectif déclaré de Moscou et de Pékin: le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a lui-même subordonné le processus de paix avec Kiev à l'installation d'un nouvel ordre mondial. Ce qui est étonnant, c'est que les eurocrates de Bruxelles restent obstinément aveugles. Le nouvel ordre n'est pas une simple hypothèse, mais est désormais une réalité en advenance, explique Gianandrea Gaiani, rédacteur en chef d'Analisi Difesa (https://www.analisidifesa.it/ ), faits à l'appui.

Pour la première fois, un navire russe a accosté en Arabie saoudite et a pu s'y ravitailler, peut-être aussi en raison de l'influence accrue des Chinois dans la région après leur médiation entre l'Arabie et l'Iran. En outre, l'Arabie elle-même fait pression pour qu'Assad réintègre la Ligue arabe. Pour les États-Unis, il s'agit d'un camouflet évident.

Gaiani: "Les Américains ne sont plus un partenaire fiable pour de nombreux pays, beaucoup l'ont compris, mais nous, Européens, faisons semblant de ne pas nous en apercevoir".

Est-ce parce qu'ils ne pensent qu'à leurs propres intérêts?

Tout le monde doit penser à ses propres intérêts: une grande puissance doit le faire, les Américains le font, même sans scrupules; l'Union soviétique l'a fait, l'empire britannique l'a fait. Le problème n'est pas là, le problème est de comprendre ce qui se passe. C'est la véritable tragédie de l'Europe, qui a une classe dirigeante qui n'est pas à la hauteur du niveau politique, social et économique du continent, qui n'est pas à la hauteur des défis qu'elle doit affronter et qui est donc absolument soumise aux Américains, dont nous devrions être les alliés et dont nous sommes au contraire les vassaux. Il y a là une grande différence.

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Comment la carte du pouvoir mondial évolue-t-elle et pourquoi?

Dans le monde arabe, la méfiance envers les États-Unis a commencé en 2011, quand Obama, dont l'adjoint était Joe Biden, a ouvertement soutenu les printemps arabes, qui visaient à renverser des régimes arabes qui n'étaient certes pas d'une démocratie exemplaire, mais qui étaient tous pro-occidentaux. Depuis, si l'on exclut l'intermède Trump, qui a un peu raccommodé les choses, les relations entre le monde arabe sunnite, c'est-à-dire les monarchies sunnites du Golfe, et les États-Unis se sont dégradées. Trump a accepté de vendre des F35 aux EAU mais quand Biden est arrivé à la Maison Blanche, il a dit qu'ils ne pourraient les acheter que s'ils renonçaient au réseau 5G fabriqué par les Chinois. Et les Émirats ont répondu aux Américains qu'ils n'accepteraient pas d'ingérence dans leur souveraineté et qu'ils installeraient le réseau 5G avec qui ils voulaient. Et que les Américains pouvaient garder leurs F35. Ils ont donc acheté plusieurs dizaines de Rafale français.

Le regard du monde arabe sur les États-Unis a-t-il changé?

Je vois dans le monde arabe une représentation fière de la souveraineté nationale face aux protecteurs américains, une fierté que j'aimerais aussi voir dans les États européens, mais qui est malheureusement absente à l'appel. La présence américaine dans le Golfe n'a été justifiée ces dernières années que par l'état de quasi-guerre entre l'Iran et les Saoudiens, entre la République islamique chiite et les monarchies sunnites. Le grand chef-d'œuvre des Chinois, qui ont inauguré le troisième mandat de Xi Jinping, a été de régler cette question. La résolution de cette crise rendra la présence des bases militaires américaines dans le golfe Persique complètement inutile ou du moins dépassée d'ici quelques années.

Maintenant, les rebuffades envers les Américains concernent aussi le pétrole....

Oui. Le fait que les Saoudiens aient répondu à la lettre aux Américains qui leur demandaient de ne pas baisser la production de pétrole, et que l'ensemble de l'Opep l'ait au contraire baissée précisément pour faire monter les prix, favorise les producteurs, y compris la Russie, bien sûr. En baissant la production, les prix du pétrole augmentent.

Les choses changent-elles ailleurs aussi?

Bien sûr. Prenez par exemple le fait que le PIB des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a dépassé celui des pays du G7: c'est un fait dont personne ne parle ou presque. Nous ne cessons de dire "Nous avons isolé la Russie", mais nous n'avons isolé personne, c'est nous qui sommes de plus en plus isolés, car les pays qui ont imposé des sanctions à la Russie sont les pays européens, pas même tous, ainsi que l'Australie, la Nouvelle-Zélande et en partie le Japon. Tous les autres ont renforcé leurs relations économiques, commerciales et militaires avec la Russie.

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Même l'Afrique échappe à l'orbite de l'Occident.

Le sommet Russie-Afrique s'est récemment tenu à Moscou, en présence de délégations africaines de 44 pays sur 54. L'énergie russe en Inde et en Chine est payée en roubles, en roupies et en yuans. Les Brics s'organisent pour éviter les dollars et les euros dans les échanges commerciaux et utiliser les monnaies locales. Ce n'est pas une coïncidence si, en 2022, la monnaie mondiale la plus performante était le rouble russe, qui était censé s'effondrer en même temps que l'économie moscovite.

Bref, qu'arrive-t-il à l'Occident et à l'Europe?

L'épisode du Golfe entre l'Iran et l'Arabie saoudite, qui ont rétabli leurs relations diplomatiques, n'est qu'un des indicateurs qui montrent que nous continuons à nous regarder le nombril et à nous considérer comme le centre du monde, mais que le monde a décidé de se passer de nous en tant qu'Occident. C'est ce problème qui devrait nous préoccuper.

17.04.2023 - int. Gianandrea Gaiani

jeudi, 20 avril 2023

Baerbock en Chine: un éléphant dans le magasin de porcelaine de la politique étrangère

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Baerbock en Chine: un éléphant dans le magasin de porcelaine de la politique étrangère

Source: https://www.heimat-kurier.at/2023/04/17/baerbock-in-china-ein-elefant-im-aussenpolitischen-porzellanladen/

L'impérialisme occidental en matière de droits de l'homme plutôt que la défense des intérêts allemands - la visite d'État de la ministre des Affaires étrangères en Chine s'est soldée par des tensions diplomatiques. Au lieu d'entretenir les relations, Baerbock a profité de sa visite pour éructer des leçons de morale. L'affront à la Chine n'est pas resté sans réponse.

En 2021, la Chine était le premier partenaire commercial de la République fédérale pour la sixième année consécutive. Rien que cela devrait être une raison suffisante pour attendre des politiciens allemands qu'ils fassent preuve d'habileté diplomatique. Au lieu de cela, la ministre allemande des Affaires étrangères a opté pour la confrontation morale. La République populaire a répondu à l'affront par une réprimande. Son homologue chinois a finalement refusé de lui serrer la main. Le président Xi Jinping a surpris tout le monde en annulant une rencontre prévue. Une déclaration de guerre "accidentelle", comme celle de Baerbock à l'égard de la Russie, n'a heureusement pas eu lieu.

La Chine n'a "pas besoin de leçons condescendantes"

Lors d'une déclaration commune à la presse avec le ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang, Baerbock a vraiment abordé tous les sujets de friction. Elle a évoqué les violations présumées des droits de l'homme et critiqué les relations de la Chine avec la Russie. Elle a également évoqué de manière menaçante le conflit latent autour de Taïwan. Son homologue chinois n'a pas apprécié la leçon de morale occidentale: "Nous n'avons pas besoin de leçons condescendantes". Il a ajouté que les discussions devaient se dérouler sur un pied d'égalité, dans le respect mutuel.

Un agenda moral plutôt qu'une représentation des intérêts

Le rôle de la politique étrangère devrait en fait être, tout simplement, de défendre les intérêts de l'État. Or, depuis son entrée en fonction, Baerbock mise sur une "politique étrangère féministe". Cette attitude déplacée ne peut que provoquer des conflits inutiles sur la scène politique mondiale. D'autres nations y voient à juste titre une forme d'impérialisme culturel occidental. C'est le cas de la Chine.  

En revanche, les médias du système de la République fédérale d'Allemagne applaudissent la "prestation" de Baerbock. En tant que gardiens de la vertu, donner des leçons aux autres nations semble plus important que de mener une politique dans l'intérêt même du peuple allemand. Seuls les hommes politiques de l'AfD ont émis des critiques justifiées. Maximilian Krah, député européen, a qualifié Baerbock d'"éléphant dans un magasin de porcelaine".

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La Chine célèbre une percée en matière de politique étrangère

Alors que la "politique étrangère féministe" tarde à porter ses fruits, la Chine, elle, a réalisé une percée remarquable au Moyen-Orient. Les rivaux jurés, l'Iran et l'Arabie saoudite, ont établi à Pékin des relations diplomatiques pour la première fois depuis des années. La stabilisation d'une situation auparavant gravement perturbée s'apparente à une véritable sensation. Le rapprochement des deux puissances régionales pourrait mettre fin à la guerre au Yémen et conduire à une pacification à grande échelle du Moyen-Orient.

L'Occident perd de son importance

Ce succès retentissant a été obtenu sans la participation de "l'Occident" sous la direction américaine. En exportant des chimères idéologiques, les pays occidentaux se mettent de plus en plus à l'écart. Les nations et les peuples étrangers ne veulent pas se laisser imposer l'idéologie libérale. Mais cela n'empêche pas les hommes politiques occidentaux, et en particulier le gouvernement allemand, d'offenser les autres nations avec des leçons de morale déplacées.

C'est l'une des raisons pour lesquelles de plus en plus de nations préfèrent se rapprocher du géant rouge plutôt que de saisir la main de l'Occident, désormais peinte aux couleurs de l'arc-en-ciel. Alors que la Chine permet une politique d'intérêt sobre, les gouvernements libéraux s'obstinent à soumettre idéologiquement leurs partenaires. 

mercredi, 12 avril 2023

L'Occident perd chaque jour de son influence: sa politique de la carotte et du bâton n'est plus aussi efficace qu'elle l'était autrefois

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L'Occident perd chaque jour de son influence: sa politique de la carotte et du bâton n'est plus aussi efficace qu'elle l'était autrefois

Par Marcelo Ramirez

Source: https://noticiasholisticas.com.ar/occidente-pierde-influencia-dia-a-dia-su-politica-de-la-zanahoria-y-el-garrote-carece-ya-del-efecto-de-antano-por-marcelo-ramirez/

"Les États-Unis et le bloc militaire de l'OTAN portent des responsabilités évidentes dans la crise ukrainienne. Ils ne sont pas en mesure de critiquer la Chine ou de faire pression sur elle pour qu'elle prenne leur parti", a déclaré le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Mao Ning, lors d'une conférence de presse tenue le jeudi 6 avril. Ces remarques s'inscrivent dans un contexte sombre pour l'Occident, qui fonde une grande partie de sa force sur l'attrait du dollar.

La monnaie américaine est la cible de ce pays asiatique via son partenaire russe. La rébellion militaire qui s'est produite d'abord en Syrie, puis en Ukraine, a remis en question la capacité des États-Unis et de l'OTAN à continuer à maintenir le statu quo.

Lorsque Kadafi ou Saddam Hussein ont tenté de se dissocier du dollar, ils ont été anéantis, ainsi que leurs propres pays. Mais cette époque appartient désormais au passé. Bachar el-Assad, en Syrie, était également visé, mais l'intervention déterminée de la Russie, avec l'appui de l'Iran, a mis un terme aux plans occidentaux.

Le putsch de l'OTAN à Kiev, avec son Euromaïdan, a réussi à imposer ses politiques pro-otanistes, mais a eu des conséquences inattendues. La Russie a occupé la péninsule de Crimée et l'a réintégrée dans son territoire après un plébiscite dénoncé en vain par l'Occident. L'Ukraine a ensuite été divisée, vu l'émergence d'un secteur pro-russe, le Donbass, qui, avec le soutien de Moscou, a accueilli des Ukrainiens de souche russe, persécutés par les putschistes de Kiev.

Les sanctions ultérieures ont échoué, la Russie est restée ferme et, quatre ans plus tard, elle a annoncé une nouvelle génération d'armes qui tournerait en sa faveur toute guerre directe avec les États-Unis.

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Rien ne s'est passé du côté de Washington. L'affaiblissement de l'économie occidentale et les crises récurrentes n'ont pas réussi à faire dérailler la Chine, mais seulement à ralentir sa croissance à un coût énorme pour elle-même.

Lentement mais sûrement, la Russie s'est rapprochée de la Chine, aplanissant les différences et coordonnant d'abord leurs économies, puis accélérant leur coopération militaire. Pékin a maintenu sa politique d'accords bilatéraux visant à utiliser les monnaies locales au lieu du dollar.

Le contexte commence à être nettement défavorable à l'Occident, qui voit la Chine accéder à l'énergie abondante et bon marché de la Russie, ainsi qu'à ses immenses réserves minérales et alimentaires.

Les cartes jouées par l'Occident perdent de leur poids, l'AUKUS crée de graves rigidités internes : la France est mise à l'écart parce qu'elle n'appartient pas au club sélect des Anglo-Saxons et ses sous-marins sont remplacés par des équivalents issus de l'anglosphère. Paris a perdu des dizaines de milliards sur un accord qui avait déjà été décidé par Londres et Washington.

Ce n'était qu'un avant-goût : l'Allemagne allait voir sa capacité industrielle détruite par l'action des États-Unis, qui ont tout simplement refusé le gazoduc germano-russe et l'ont saboté.

Il y a d'abord eu des avertissements et des pressions, puis des explosions pour mettre fin à la possibilité d'obtenir du gaz bon marché au lieu du GNL coûteux des navires américains.

Cela s'est produit alors que des changements juridiques nationaux, poussés par Biden, ont attiré aux Etats-Unis des entreprises allemandes dont les perspectives commerciales étaient devenues peu encourageantes dans leur propre pays.

L'axe anglo-saxon avait auparavant séparé le Royaume-Uni de l'UE, les raisons semblent désormais claires lorsque ce partenariat est sacrifié afin de priver la Russie et la Chine de leurs marchés les plus importants. La stratégie est absolument visible, les Anglo-Saxons sont déterminés à maintenir leur contrôle sur le monde à tout prix, et si cela signifie détruire l'Europe, cela n'a pas trop d'importance. En effet, ils ne peuvent rivaliser avec la Russie pour l'approvisionnement en énergie à la même valeur et dans les mêmes quantités, et la Chine a parié sur une route de la soie menant aux marchés européens. L'influence de l'une et de l'autre s'accroîtrait sur l'UE et finirait par l'éloigner de l'atlantisme anglo-saxon si elle suivait le cours naturel des choses.

La Chine est plus compétitive, ses produits sont moins chers et plus innovants, et elle supplante ses concurrents européens et américains. Comme ce processus ne peut être arrêté, la destruction doit suivre, tout simplement. Rien de nouveau en fait, car ce modèle a été appliqué ailleurs, produisant de la terre brûlée, si nécessaire, pour refuser l'accès à leurs ennemis stratégiques; le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Amérique latine peuvent témoigner de la façon dont les Etats-Unis ont détruit leurs économies et leur propre stabilité nationale lorsque cela les favorisait.

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Ce défi sino-russe est important en soi, mais il l'est aussi parce qu'il ouvre une brèche dans le modèle de contrôle atlantiste. Les pays sous l'égide des États-Unis, comme le Brésil de Lula, prennent des mesures ambiguës. Un candidat propre s'est mis en place pour écarter Bolsonaro, qui avait conclu des accords pertinents dans des domaines sensibles avec la Russie et s'était montré réticent à mettre en œuvre la politique culturelle woke, poussée par l'Occident. Lula, qui a démissionné de son poste de président des BRICS et a voté contre la Russie à l'ONU, s'est mis d'accord avec la Chine pour négocier en reals et en yuans au lieu du dollar. Il est clair que le thème de la recherche d'alternatives au dollar est devenu à la mode, parmi les étrangers, mais aussi parmi les siens, parce qu'il signifie des solutions économiques et un moyen de sortir du piège de la dette imposé par le système financier occidental.

Tranquillement, l'Inde, qui a refusé de se joindre à l'AUKUS contre la Chine (et la Russie), a décuplé ses achats de pétrole russe, non seulement en réduisant ses coûts intérieurs, mais aussi en le raffinant et en le renvoyant en Europe dans le cadre d'une énorme opération.

Ce n'est pas la seule chose que Narendra Modi a faite ; il a également commencé à conclure des accords bilatéraux à la manière chinoise. Il a récemment conclu un accord avec les Émirats arabes unis pour acheter du pétrole en roupies, ainsi qu'avec la Malaisie, qui a déclaré qu'"il n'y a aucune raison pour que la Malaisie reste dépendante du dollar", selon son premier ministre, Anwar Ibrahim. La Malaisie est également en pourparlers avec la Chine pour créer un Fonds monétaire asiatique.

La Chine, enfin, n'est pas si loin de l'Inde.

Il se trouve que les choses ne sont pas comme on le croit dans cet Occident manipulateur, les nations ont des intérêts et n'oscillent pas entre le bien et le mal. Elles ne le font pas pour les "droits, la liberté et la démocratie" mais pour leurs intérêts permanents en tant que nations.

La Chine et l'Inde coexistent depuis des millénaires et sont voisines, elles savent qu'elles doivent trouver des solutions, ce qui ne veut pas dire qu'elles ne sont pas en compétition l'une avec l'autre. Elles ne partent pas non plus du principe qu'on peut les manipuler avec des miroirs colorés.

Le contexte actuel nous amène à admettre que l'Occident perd chaque jour de son influence, que sa politique de la carotte virtuelle et du bâton réel n'est plus aussi efficace qu'elle l'a été. Il est peut-être capable de réprimer les soulèvements de petits pays contre son ordre intentionnel, mais il ne le peut pas contre les grandes nations, ce dont profitent les petites nations dans l'ombre des puissants.

C'est tout simplement ce qu'ils voient dans une grande partie du monde, sauf en Occident, où les grands médias semblent avoir décidé que ce qu'ils n'aiment pas n'existe pas, de sorte qu'une grande partie de ces nouvelles est tout simplement ignorée et que les sociétés sont laissées dans l'ignorance.

L'Occident a un sentiment d'importance et de domination qui n'a pas évolué, qui ne comprend pas qu'il est aujourd'hui incapable de s'imposer comme il l'a fait par le passé.

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Le voyage en Chine d'Emmanuel Macron et de la présidente du Parlement européen, Ursula von der Leyen, a laissé un sentiment de ridicule pathétique. Il est bon de rappeler que le Français met son pays à feu et à sang tandis qu'une secrétaire d'État, Marlène Schiappa, n'a pas d'autre idée que de poser pour des photos suggestives dans Playboy afin de défendre le droit des femmes à disposer de leur corps dans n'importe quelle situation.

Quant à Mme von der Leyen, elle en est venue à contrôler l'Europe sans vote populaire, ce qui n'est pas une mince affaire pour les champions de la démocratie, et avec des scandales de corruption à répétition depuis les affaires douteuses de son mari alors qu'elle était ministre de la défense allemande. Bien sûr, les scandales liés à l'achat de vaccins par Pfizer n'ont pas aidé à promouvoir une image de transparence.

Ces deux personnages se sont rendus à Pékin dans l'idée de faire pression sur Xi Jinping, une action dont l'arôme de décrépitude temporelle rappelle le 19ème siècle. Bien entendu, le voyage a échoué et la Chine a une fois de plus fait savoir, avec la subtilité qui la caractérise, que sa politique d'alliance avec la Russie est scellée et qu'elle n'a pas l'intention de changer comme ça à cause de la prétendue séduction de l'Europe.

Les actions des Européens sont pathétiques, comme nous l'avons souligné, car ils ne comprennent tout simplement pas que la Chine est plus puissante que l'UE dans son ensemble et qu'elle est suffisamment forte pour agir de manière autonome et ne pas céder aux menaces.

De plus, la Chine souffre de l'hostilité de l'Occident. Rappelons l'humiliation de la PDG de Huawei, les actions sur TikTok ou les problèmes avec les puces électroniques. Sans parler du voyage de Pelosi à Taïwan et de la réception actuelle de Tsai Ing Wen aux États-Unis.

Pékin sait aussi qu'elle est la prochaine cible des Anglo-Saxons. Ce qui est sur la table n'a rien d'une conspiration ou d'une manoeuvre occulte. L'hostilité est manifeste.

En bref, une association mineure, en profond déclin économique, moral et militaire, avec une guerre de haute intensité sur son territoire qu'elle ne peut contrôler, s'associe à une nation puissante mais également en déclin comme les États-Unis pour faire pression sur les Chinois, y compris militairement.

Dans ce contexte, ils tentent de rompre une alliance économiquement rentable, qui leur donne une grande marge de sécurité, avec la Russie, afin de les soutenir contre Moscou et de les réorienter ensuite contre la Chine elle-même.

Telle est la politique internationale de l'Occident. L'incapacité de ces gens à gouverner, à élaborer des stratégies et, en fin de compte, à comprendre la réalité est absolument incroyable.