vendredi, 05 janvier 2024
Ernst Jünger et le «Merveilleux Retour»
Ernst Jünger et le «Merveilleux Retour»
par Frédéric Andreu
L’indifférenciation contemporaine à l'endroit de la poésie en général et envers le Magnum Opus de Ernst Jünger en particulier, est emblématique de notre relation au "Merveilleux Retour". Ne laissons pas des controverses revanchardes à l'endroit du soldat au «quatorze blessures» jeter le trouble voile de la suspicion sur le pionnier de l'écologie, le poète, l'homme de paix et surtout, l'homme à la fois simple et profondément spirituel qu'était Ernst Jünger.
Qu'est-ce que des termites de faux-plafond peuvent comprendre au vol souverain d'un faucon ? Peut-être de puissants cris dont ils ne comprennent pas le sens. Ce qui intéressent un certain nombre de critiques dans une œuvre - qu'ils n'ont d'ailleurs généralement pas lu - c'est la possibilité de l'utiliser comme bannière de ralliement ou d'éventail idéologique. Bref, ils passent à côté de la littérature.
Certes, un poète comme Jünger a pu s'enflammer pour un passé glorieux, mais l'aurait-il vécu lui-même qu'il ne s'y serait jamais aligné. Jünger (perquisitionné deux fois à son domicile par le régime nazi) ne fut pas plus dupe du National-Socialisme de «festival» dont il vécut l'inexorable ascension, que du miroir inversé de celui-ci, l'International-Libéralisme qui règne sur tout l'Occident depuis la chute du Troisième Reich.
Témoin direct de cette chute tout aussi inexorable, il décrit dès septembre 1945, avec une prescience qui force le respect, le type macronoïde d'homme parvenu de nos jours au pouvoir :
«Ils ne connaissent ni les mythes grecs ni l'éthique chrétienne. Ce sont des titans et des cyclopes, esprits de l'obscurité, négateurs et ennemis de toutes forces créatrices […].
Ils sont loin des poèmes, du vin, du rêve, des jeux, empêtrés sans espoir dans des doctrines fallacieuses, énoncées à la façon des instituteurs prétentieux».
Imbu de sa personne, cet «ennemi des forces créatrices» n'a aucun pressentiment du Merveilleux Retour ni a fortiori de la Chute. Il ne connaît de fascination que pour les doubles parodiques de ce monde dans lesquels la littérature se réduit au rôle de marqueur mondain. Plein de griserie puérile à l'endroit de la technique, il n'entend pas dans le bruit du moteur de sa grosse cylindrée le ricanement victorieux des titans et des cyclopes contre les dieux.
Cependant, il peut arriver qu'une page de cette œuvre jünguérienne - si phréatiquement poétique - vienne fissurer la surface asphaltée de leurs croyances athées. Lors, quelque chose qui est dans le lecteur et dans la société tout entière, se met à voir le monde comme à travers l'aile d'une libellule... La pensée symbolique de Jünger est en effet de celles qui peuvent ajouter au réel quelque chose comme l'auréole couronnée du songe, la transparence diaprée, propices à transformer nos attentes inquiètes en insatiables appels intérieurs. La littérature se découvre alors sous le jour qu'elle n'a jamais cesser d'être, une liturgie, voire une théologie du dévoilement. Pourquoi la chute de l'âme ? pourquoi cette existence temporaire, sinon pour remonter, avec les beaux textes qui nous y aident, les échelons merveilleux et transfigurateurs vers le royaume qui n'est pas ce monde. Dans les recoins les plus sombres de son œuvre, Jünger se fait le témoin du «voile d'Isis de ce monde» que la beauté soulève mystérieusement.
Si la littérature éclaire les ruines de nos vies, elle montre aussi que ces ruines sont celle d'un temple. «Dans aucune de ces marches, cependant, nous ne négligions les fleurs. Elles nous indiquaient la direction, comme la boussole montre le chemin à travers des mers inconnues».
Si les poètes ont donc assurément «mission» d'hâter ce dévoilement «sacré», les «ennemis des forces créatrices» dont parle Jünger ont assurément la leur. Drapés dans le vernis démocratique, leur but est aujourd'hui de s’affairer par les moyens légaux - aspersion de glyphosate, pilules abortives, immigration massive – à la destruction des jardins, champs, nappes phréatiques, cellules familiales, bref, tout ce qui constituent les membranes protectrices de la vie.
Ernst Jünger mais aussi Dominique de Roux, Luc-Olivier d'Algange entre autres veilleurs, répondent, chacun à sa manière propre, à l'appel du Merveilleux Retour bordé de fleurs, mythique et impérial. Dès lors que l'insatiable nostalgie en l'Homme s'oriente non vers le regret et le ressentiment, mais vers les spirales rédemptrices de l'âme, le règne de la machine est déjà vaincu ! L'aigle a terrassé le drone !
On se croyait perdus, consommateurs interchangeables au milieu de la tranchée du monde ; on se découvre pèlerins sur la terre ferme ! Comme dans le chant ancien des Lansquenets :
Vi gå över daggstänkta berg, «Nous allons par la montagne couverte de rosée»...
Dès lors, nous avons le pressentiment que «quelqu'un» nous attend à Ithaque !
19:22 Publié dans Littérature, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ernst jünger, révolution conservatrice, lettres, lettres allemandes, littérature, littérature allemande | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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