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mardi, 05 août 2025

La guerre des puces électroniques va décider de l'ordre mondial

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La guerre des puces électroniques va décider de l'ordre mondial

Elena Fritz

Source: https://pi-news.net/2025/08/im-chipkrieg-entscheidet-sich-die-weltordnung/

Dans un monde où la supériorité technologique détermine l'armement, les services de renseignement, l'approvisionnement énergétique et même la communication politique, l'accès aux semi-conducteurs devient un enjeu géopolitique crucial.

Aujourd'hui, le pouvoir politique ne se redéfinit pas par la diplomatie ou le déplacement de chars, mais par des nanomètres. Ce sont les micropuces, à peine visibles mais stratégiquement essentielles, qui structurent le 21ème siècle. Ceux qui les fabriquent ont le contrôle sur l'armement et l'intelligence artificielle, sur la création de valeur et l'ordre mondial. Et ceux qui dépendent de leur production peuvent invoquer des traités internationaux – ou le principe de l'espoir.

Les États-Unis tentent de se libérer de cette dépendance. Et ce, avec une détermination brutale. Ce qu'ils poursuivent sous le terme de « réindustrialisation » n'est pas une simple politique industrielle, mais un programme géostratégique qui rappelle les grandes mobilisations de la guerre froide – plus discret, mais non moins ambitieux. Il ne s'agit pas seulement de sécurité d'approvisionnement, mais aussi de prétentions au leadership mondial. Le contrôle de la technologie clé des semi-conducteurs est devenu à Washington le nouvel axe de l'ordre mondial. Dans un monde où la supériorité technologique détermine l'armement, les services de renseignement, l'approvisionnement énergétique et même la communication politique, l'accès aux semi-conducteurs devient un test géopolitique de premier ordre.

Les micropuces comme axe impérial

Le fait que Taïwan, un État insulaire à portée immédiate des systèmes de missiles chinois, fournisse la majeure partie des puces haute performance dans le monde constitue, du point de vue de Washington, un risque sécuritaire de premier ordre. Environ 70 % des puces logiques les plus modernes sont fabriquées à Taïwan, en particulier par TSMC. Efficace en temps de paix. Fatal en temps de crise.

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La réponse des États-Unis : délocalisation, contrôle, autarcie. Sous Biden, l'argent a coulé à flots : plus de 50 milliards de dollars de subventions directes, accompagnées d'allégements fiscaux et de paquets législatifs. Trump, quant à lui, recourt à la manette des droits de douane, avec jusqu'à 100% sur les importations de puces taïwanaises. La carotte et le bâton, mais avec le même objectif : le d'une technologie mondialisée.

Et cela fonctionne. TSMC construit en Arizona. Intel délocalise en Ohio. Samsung s'étend au Texas. Plus de 450 milliards de dollars d'investissements ont été lancés, des dizaines de grands projets sont en cours de construction. Les États-Unis font ce que l'Europe ne fait que promettre : ils prennent acte de la réalité géopolitique et en tirent les conséquences en matière de politique industrielle.

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Le prix du découplage

Mais le programme américain de réindustrialisation ne se fait pas sans bruits parasites. Il est coûteux, complexe et structurellement fragile. Les coûts de production des usines de semi-conducteurs aux États-Unis sont en moyenne de 30 à 50% plus élevés que dans les pays producteurs d'Asie de l'Est tels que Taïwan ou la Corée du Sud. Cela s'explique notamment par des réglementations plus strictes, des coûts salariaux plus élevés et un manque de routine industrielle dans la fabrication de haute technologie.

À cela s'ajoute une pénurie aiguë de main-d'œuvre qualifiée : presque toutes les régions manquent d'ingénieurs, de techniciens et de personnel de production spécialisé. Des études estiment que d'ici 2030, les États-Unis auront un déficit d'environ 90.000 travailleurs qualifiés dans l'industrie des semi-conducteurs, un déficit qui ne pourra être comblé à court terme. Les infrastructures constituent également un facteur limitant. La plupart des machines de précision proviennent toujours des Pays-Bas, en particulier d'ASML. Des matériaux importants tels que le silicium de haute pureté ou des produits chimiques spéciaux proviennent du Japon. Et même les étapes finales de test et d'emballage, nécessaires à la production en série, se déroulent principalement en Asie. Les plans ambitieux des États-Unis se heurtent donc à des dépendances mondiales qui ne peuvent être éliminées d'un trait de plume.

Il en résulte une mosaïque industrielle : pensée au niveau national, mais dépendante au niveau mondial. L' idée que l'on puisse construire une industrie clé mondiale comme un projet d'infrastructure national est illusoire. Mais les États-Unis prennent cette illusion au sérieux – en tentant résolument de façonner la réalité selon leurs intérêts.

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CHIP4 – une promesse géopolitique sans substance

Pour soutenir cette stratégie géopolitique, le format « CHIP4 » a été créé – une alliance avec le Japon, la Corée du Sud et Taïwan. Il vise à stabiliser les chaînes d'approvisionnement, coordonner les normes et orienter les investissements. Mais ce qui ressemble à une alliance sur le papier reste en pratique un forum de consultation informel. Les participants hésitent, notamment parce qu'ils sont réticents à se mettre au service d'un ordre industriel dominé par les États-Unis.

À cela s'ajoute le fait que les États partenaires asiatiques ont leurs propres intérêts. Ils ne veulent pas devenir le jouet de la politique industrielle américaine ou chinoise, mais souhaitent rester des acteurs souverains. Les États-Unis répondent à cette ambivalence par le moyen classique de la politique structurelle impériale : pression par les droits de douane, incitation par les promesses du marché. Mais la confiance stratégique ne s'impose pas de force. Dans le même temps, la pression de la Chine s'intensifie : interdiction d'exporter des matières premières critiques, investissements propres dans les technologies 7 et 5 nm, acquisitions stratégiques tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Pékin ne se contente pas de réagir, elle agit – de manière systématique et avec persévérance.

Le somnambulisme stratégique de l'Europe – et comment y remédier

L'Europe ne se tait pas, elle murmure. Entre les plans de relance, les sommets d'experts et les documents de la Commission, on semble se contenter de littérature réglementaire. Mais ce dont nous avons besoin, c'est d'un esprit d'expédition – d'une stratégie, d'un rythme et d'une détermination. Le Chips Act de 2022 devait faire de l'Europe un acteur mondial dans le domaine des semi-conducteurs. Mais à l'été 2025, il ressemble plutôt à une réaction tardive aux démonstrations de force des États-Unis et de la Chine.

Alors que Washington construit, subventionne et menace même d'imposer des droits de douane, Bruxelles insiste sur les normes environnementales, les délais d'autorisation et les lignes directrices en matière d'aides d'État. Cette approche coûte du terrain. Ce n'est pas l'argent qui manque, mais la mobilisation intellectuelle. La France a formulé ses ambitions, l'Allemagne est bloquée par une jungle administrative fédérale, l'Italie se dit prête à coopérer, mais il n'y a pas de ligne européenne commune. Ce n'est qu'avec un étau industriel solide que l'Europe pourra faire contrepoids. Et concrètement, l'épine dorsale technique de l'Europe est prête. ASML, aux Pays-Bas, contrôle la lithographie ultraviolette, sans laquelle les autres ne peuvent produire que des puces à moitié finies. Infineon, STMicroelectronics et Bosch sont compétitives à l'échelle internationale. Mais le déficit le plus important concerne la fabrication de pointe, c'est-à-dire la technologie dite « sub-5 nm », qui permet de fabriquer des structures de commutation de moins de cinq milliardièmes de mètre. Sans elle, nous manquons de puces pour l' IA de pointe, les ordinateurs haute performance et les systèmes d'armes autonomes. L'Europe est à la traîne dans ce domaine.

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La pénurie de main-d'œuvre qualifiée à laquelle il faut s'attendre nécessite la création de centres de formation spécialisés, l'extension des programmes d'études en alternance et des programmes visant à attirer les talents européens à l'étranger. D'ici 2030, environ 90 000 travailleurs qualifiés devront être recrutés. Enfin, l'Europe devrait s'engager en tant que co-investisseur stratégique dans de nouvelles installations de production. Les participations minoritaires dans des projets clés renforcent non seulement le droit de regard, mais garantissent également des intérêts à long terme dans la chaîne de valeur. L'Europe se trouve aujourd'hui à un tournant géopolitique : va-t-elle devenir souveraine sur le plan numérique ou rester le jouet des géants asiatiques et américains ? Le temps presse, et c'est à nous de donner le rythme.

Conclusion : la grammaire géopolitique de la technologie

Il ne s'agit plus depuis longtemps de marchés, mais de pouvoir. Les micropuces ne sont pas des produits industriels parmi tant d'autres. Elles sont, comme le pétrole au 20ème siècle, un levier géopolitique. Les États-Unis l'ont compris. Leur succès reste à déterminer. Mais leur détermination est indéniable. L'Europe ferait bien de ne pas considérer la lutte pour les semi-conducteurs comme un conflit économique lointain, mais comme faisant partie d'un nouvel ordre mondial. Dans cet ordre, ce n'est pas celui qui discute qui compte, mais celui qui produit. Celui qui produit définit les règles.

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