Dans «Histoire de l'Afrique des origines à nos jours», Bernard Lugan brosse une histoire du continent noir sans hésiter à sortir des sentiers battus. Raconter l'Afrique depuis sa préhistoire, voici plus de douze mille ans, jusqu'à nos jours : telle est l'ambition de ce livre de 1 300 pages qui retrace l'aventure d'un continent méconnu du fait de son extraordinaire complexité. Une performance réalisée par l'africaniste Bernard Lugan. Après avoir évoqué les premiers peuplements de cette région, il développe de manière chronologique les grandes périodes qui ont façonné le visage multiple de l'Afrique, de la civilisation égyptienne à l'islamisation des royaumes berbères du Nord, en passant par le développement des empires africains de l'Ouest (Ghana, Mali, Songhay), les débuts de l'intrusion européenne au début du XVIe siècle, et bien sûr la colonisation et ses conséquences. Ce récit aussi linéaire qu'érudit aurait pu être monotone, mais Lugan, qui a vécu sa jeunesse au Maroc et longtemps travaillé au Rwanda, est un passionné. Il insiste particulièrement sur des épisodes que nous avons quelquefois oubliés. Par exemple l'histoire de ces anciens esclaves noirs revenus vivre en Afrique de l'Ouest au XIXe siècle, au Liberia ou en Sierra Leone. Ou encore la guerre des Boers, au début du XXe, en Afrique australe où l'Angleterre de Cecil Rhodes, fondateur de la Rhodésie, et les Afrikaners du Transvaal se sont combattus : un conflit qui, par sa cruauté - les Anglais créèrent les premiers camps de concentration du siècle -, est comme un prélude aux déchaînements à venir en Europe. Bernard Lugan nous rappelle l'épopée des aventuriers de légende que furent Livingstone et Stanley à la recherche des sources du Nil et revient très longuement sur la tragédie de l'esclavage. L'auteur, qui enseigne depuis vingt ans l'histoire de l'Afrique, ne cache rien de ses partis pris. Opposé à toute forme de repentance historique, tout en étant plus que critique à l'égard de l'impérialisme, il considère que la colonisation, si elle a bouleversé la vie de ce continent, n'a été qu'une parenthèse : « La période coloniale, qui débute véritablement après la conférence de Berlin, organisée par Bismarck, et s'achève dans les années 1960, représente la durée de vie d'un homme. Ce n'est qu'un bref éclair dans la longue histoire africaine, et c'est pourquoi il est faux de lui attribuer tous les malheurs de ce continent. » À ses yeux, le modèle d'une relation réussie entre Européens et colonisés fut le protectorat de Lyautey au Maroc, parce qu'il était respectueux des traditions de ce pays. Son antimodèle fut la colonisation de l'Algérie fondée sur le mépris de la population et l'utopie de l'assimilation. Plus généralement, pour Bernard Lugan, il est absurde de vouloir que l'Afrique nous ressemble au nom d'un universalisme censé être favorisé par la mondialisation. « La colonisation au nom du développement, idée totalement occidentale, a voulu modifier le socle social et familial de l'Afrique. Donc tout a été fait pour développer les villes. Ce qui était insensé. En Europe, la ville ou la cité fait depuis toujours partie de notre réalité. Au sud du Sahara, à l'exception de l'Éthiopie, il n'existait pas de ville. Les exemples de villes africaines précoloniales sans influence arabe ou européenne sont très rares », explique l'universitaire. Pour lui, l'Afrique fascine justement parce qu'elle est « autre », irréductible et foisonnante depuis toujours. Un point de vue évidemment contestable, mais qui mérite le détour, à travers ce livre que l'on peut lire tout à la fois comme un essai et une encyclopédie.
Paul-François Paoli , Le Figaro, 29 janvier 2009