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mardi, 03 décembre 2024

Le Tchad et le Réveil Souverain de l’Afrique

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Le Tchad et le Réveil Souverain de l’Afrique

Constantin von Hoffmeister

Source: https://www.eurosiberia.net/p/chad-and-africas-sovereign-...

La décision du Tchad de rompre sa coopération militaire avec la France dépasse un simple mouvement géopolitique isolé — elle constitue un acte décisif de libération vis-à-vis de l'ordre postcolonial qui a longtemps attaché une grande partie de l’Afrique à l’hégémonie occidentale. Annoncée après une rencontre entre le président Mahamat Idriss Déby et le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, à N'Djamena, cette décision marque la maturation de la souveraineté tchadienne. Le ministre des Affaires étrangères, Abderaman Koulamallah, a souligné que le Tchad est désormais une puissance autonome, déterminée à façonner ses politiques étrangères et militaires en fonction de ses intérêts nationaux, affranchie de toute tutelle extérieure.

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Ce tournant est emblématique du réveil de l’Afrique dans un monde de plus en plus marqué par la multipolarité. Le moment unipolaire, qui visait à intégrer le Sud global dans une vision monolithique de la modernité, s’érode. Le rapprochement du Tchad avec Moscou plus tôt cette année, culminant avec une rencontre personnelle entre le président Déby et Vladimir Poutine, ainsi que l’inauguration d’une Maison Russe à N'Djamena en présence du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, illustre une réorientation des alliances. Ces actions ne sont pas de simples ajustements, mais l’expression d’une quête plus large des nations africaines pour redéfinir leurs rôles au sein d’un ordre mondial non plus dicté uniquement par les puissances occidentales.

Militairement, les actions du Tchad révèlent les contours de cette transformation. Ayant auparavant compté sur les avions Rafale français pour réprimer les dissidences internes, le Tchad construit désormais son autosuffisance à travers des partenariats avec la Turquie, qui fournit des avions d’attaque au sol et des drones, et avec les Émirats arabes unis, qui l’aident à acquérir davantage de drones. Cette diversification symbolise un rejet plus large de la dépendance. Elle reflète une Afrique qui cherche à gérer ses défis sécuritaires non pas en tant que cliente de puissances lointaines, mais comme architecte de son destin. L’intérêt de la Hongrie à déployer des soldats au Tchad, ostensiblement pour le contrôle migratoire, illustre la complexité croissante des engagements internationaux dans une région désormais ouverte à une variété d’acteurs.

Pour la France, la décision du Tchad est un coup dur, non seulement sur le plan pratique mais aussi sur le plan symbolique. Paris, autrefois arbitre incontesté de la géopolitique au Sahel, fait face à la perte progressive de son influence. Bien que le ministre tchadien des Affaires étrangères ait déclaré que la rupture n’est pas absolue, contrairement au rejet catégorique de la présence française par le Niger, l’incertitude entourant l’avenir des relations bilatérales — qu’elles soient purement économiques ou incluent une coopération militaire résiduelle — met en lumière la fragilité de la position française. Cela fait partie d’un bilan plus large pour l’Occident, qui doit affronter la réalité de son déclin dans des régions qui étaient autrefois des bastions de son pouvoir.

Le chemin emprunté par le Tchad n’est pas isolé, mais s’inscrit dans une trajectoire africaine plus vaste, dans un monde en profond réalignement. L’annonce par le Sénégal de son intention d’expulser les troupes françaises témoigne d’un changement similaire, et à travers le Sahel et au-delà, le désir de souveraineté devient une force irréversible. Dans le contexte d’un monde multipolaire, l’Afrique s’affirme non comme un participant passif, mais comme un acteur actif, forgeant des partenariats qui servent ses intérêts tout en rejetant les cadres hiérarchiques d’autrefois. L’avenir du continent réside dans sa capacité à naviguer dans cet ordre émergent, où aucun pôle unique ne domine et où le réveil de la souveraineté sert de pierre angulaire à sa résurgence. Longtemps considérée comme un terrain de domination extérieure, l’Afrique émerge désormais comme une frontière de possibilités dans l’architecture d’une nouvelle ère mondiale.

vendredi, 20 septembre 2024

La présence de la Chine en Afrique - les atouts géopolitiques de l'Éthiopie

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La présence de la Chine en Afrique - les atouts géopolitiques de l'Éthiopie

Peter W. Logghe

Source : Nieuwsbrief Knooppunt Delta, n°192, septembre 2024

Un moment clé de cette histoire géopolitique est l'année 2023, lorsque la Chine et l'Éthiopie ont porté leur coopération au niveau d'un « partenariat stratégique de tous les temps ». Une formulation que la Chine n'avait jusqu'alors utilisée que pour sa politique étrangère à l'égard de ses alliés les plus proches, tels que le Sri Lanka, le Pakistan, le Belarus, l'Ouzbékistan et le Venezuela. Elle souligne l'importance de l'Éthiopie dans la politique africaine de la Chine. Il est clair que l'Éthiopie soutiendra la politique de la Chine lors des réunions des Nations unies et de l'Organisation de l'unité africaine. Le « partenariat stratégique de tous les temps » pour l'Éthiopie n'a été mentionné nulle part dans nos grands médias flamands, pour autant que je sois bien informé.

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Je mentionne simplement en passant que l'Éthiopie est probablement le seul pays du continent africain à avoir réussi à échapper à la colonisation européenne, et ce grâce à ses progrès en matière de modernisation, à sa résistance militaire et aussi à sa diplomatie, qui tente d'équilibrer les différentes superpuissances.

L'Éthiopie est un pays important en Afrique : elle compte environ 127 millions d'habitants, ce qui en fait le pays le plus peuplé du continent noir après le Nigeria.

Importance géopolitique de l'Éthiopie

L'Éthiopie est un pays important en Afrique, comme nous l'avons écrit plus haut, mais pas seulement en raison de sa forte population. Contrairement au Nigeria et à l'Angola, par exemple, ce pays d'Afrique de l'Est dispose de peu de ressources telles que le pétrole ou le gaz pour expliquer l'importance de la présence chinoise. En revanche, l'Éthiopie dispose d'autres atouts tout aussi importants, qui sont d'ordre géopolitique s'entend.

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La Corne de l'Afrique est une région clé pour la Chine, comme pour tous les pays dont le commerce emprunte la route maritime de la mer Rouge, du canal de Suez et du golfe d'Aden. En outre, la Corne de l'Afrique est importante pour la Chine dans le cadre de sa stratégie de la route de la soie maritime. L'Éthiopie est le pays le plus important de cette Corne de l'Afrique. Le port de Djibouti (à l'est de l'Éthiopie) est le plus important de la région, occupant une position stratégique dans le golfe de Tadjoura et le détroit de Bab el-Mandeb, à l'entrée du canal de Suez. C'est à Djibouti que la Chine a installé sa première base navale à l'étranger en 2017. Les Américains, les Français, les Japonais et les Italiens disposent également de bases navales, ce qui souligne l'importance géostratégique de Djibouti et de l'ensemble de la Corne de l'Afrique. Il est donc important de préserver l'accès des navires à la mer Rouge, surtout avec la menace des rebelles houthis du Yémen, ce pays arabe situé juste en face du détroit de Bab el-Mandeb.

L'Éthiopie est vitale pour la Chine, mais l'Éthiopie peut-elle se passer de la Chine ?

Depuis 2020, la Chine a adopté pour elle-même un modèle de développement à « double circulation » : une stratégie dans laquelle le marché intérieur est le principal moteur de la croissance économique, mais où le marché intérieur et le marché international se renforcent mutuellement. L'objectif intérieur était de devenir autosuffisant en matière de technologie et de matières premières. Sur le plan international, la Chine souhaitait conquérir les marchés des principaux pays émergents à forte croissance économique.

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Il est clair que l'Afrique est un acteur clé de ce double flux économique : son marché est immense, les matières premières y sont abondantes et les opportunités d'investissement y sont nombreuses. L'Afrique possède 30% des ressources minérales, 8% des réserves de gaz et 12% des réserves de pétrole. 30% des matières premières rares telles que le lithium et le nickel se trouvent en Afrique. Il est clair que les États-Unis et l'Europe souhaitent également coopérer avec les pays africains.

La Chine joue ses atouts en Afrique de manière très ciblée : elle met l'accent sur les infrastructures, l'énergie, l'exploitation minière et les télécommunications lorsqu'elle investit en Afrique. La Chine est généreuse en matière de financement, ce qui confère aux entreprises (publiques) chinoises un avantage compétitif sur leurs concurrents étrangers.

Ce n'est pas seulement sur le plan économique et financier que l'Afrique est un acteur important pour la Chine. Il va de soi que l'influence politique en découle également. En 2015, par exemple, le Forum multilatéral sur la coopération sino-africaine (FOCAC) a été mis en place, structurant les relations commerciales, diplomatiques, sécuritaires et financières entre la Chine et les pays africains.

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Quelques chiffres pour illustrer ce propos

La Chine est devenue le principal partenaire économique de nombreux pays africains au cours des 20 dernières années. En 2022, la Chine était le premier pays importateur de pétrole et de gaz de l'Angola. Peu après, c'est au tour de la République démocratique du Congo (pour l'argent et le cobalt) et de l'Afrique du Sud (or, diamants, platine). Les cinq premières destinations des IDE (investissements directs étrangers) de la Chine en Afrique en 2022 sont l'Afrique du Sud, le Niger, la République démocratique du Congo, l'Égypte et la Côte d'Ivoire.

Où se trouve donc l'Éthiopie ? Selon le Rapport sur l'investissement dans le monde 2023 de la CNUCED, l'Éthiopie est le troisième État qui a le plus bénéficié des investissements étrangers de la Chine. Pour les années 2022/2023, le chiffre serait de 3,4 milliards de dollars. La Turquie arrive en deuxième position en termes d'investissements en Éthiopie (avec 2,5 milliards de dollars), suivie par l'Inde.

L'influence chinoise se fait également sentir dans l'accumulation de la dette de l'Éthiopie: la Chine représente 50 % de la dette extérieure de l'Éthiopie. C'est un signe révélateur pour la Chine et l'Éthiopie: selon de nombreux observateurs, la Chine ne s'intéresse pas à des partenaires qui ne sont plus en mesure de rembourser leurs dettes. Certes, la Chine veut accroître son pouvoir économique et politique, mais cet objectif peut être mieux atteint avec des partenaires capables de faire face économiquement et financièrement.

Entre 2000 et 2022, la Chine a prêté un total de 170 milliards de dollars à 47 pays africains, entreprises publiques ou institutions multilatérales. L'Éthiopie arrive en deuxième position (après l'Angola avec 42 milliards de dollars) avec un total de 13,7 milliards de dollars.

En conclusion, les problèmes de l'Éthiopie sont-ils autant d'opportunités pour la Chine ?

On connaît le slogan des nationalistes irlandais : « Les difficultés de la Grande-Bretagne sont les opportunités de l'Irlande ».  Ces dernières années ont été dramatiques pour l'Éthiopie, avec une guerre civile dans le Tigré au nord du pays. Bien que la guerre ait pris fin en 2022, elle a été suivie d'une sécheresse extrême dans la région et d'une famine. La croissance économique de l'Éthiopie, qui s'élevait jusqu'alors à 10% par an en moyenne, s'est arrêtée. Des problèmes financiers et économiques, mais aussi des opportunités pour la Chine.

Un deuxième élément jouant en faveur de la Chine a été l'inclusion de l'Éthiopie en tant que nouveau membre du club des BRICS, le groupe des puissances économiques émergentes. En 2023, le moment était venu pour l'Éthiopie de rejoindre l'Argentine, l'Iran, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l'Égypte. Ce qui a encore accru l'influence de la Chine dans le club des BRICS.

Troisième point d'intérêt de ces décisions : malgré une croissance économique de 6,1% d'ici 2023, l'Éthiopie est devenue le troisième État africain, après la Zambie et le Ghana, à être officiellement qualifié d'« État en difficulté de paiement ». L'Éthiopie a réussi à se mettre d'accord sur de nouvelles règles de remboursement avec le Royaume-Uni, les États-Unis et la Chine, qui acceptent la suspension des remboursements dans un certain délai. Mais les experts estiment que l'Éthiopie pourrait devoir dévaluer sa monnaie.

C'est dans ce contexte qu'il convient de considérer le « partenariat stratégique de tous les temps » entre l'Éthiopie et la Chine. D'un point de vue géopolitique, la carte du monde a complètement changé en 20 ans, y compris en Afrique. Il est temps que nos décideurs politiques fassent preuve de réalisme et développent également des visions à long terme, avant que nous ne perdions tous nos points d'ancrage.

Peter W. Logghe

jeudi, 19 septembre 2024

L'éveil africain

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L'éveil africain

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/risveglio-africano/

Le Burkina Faso nationalise deux mines d'or. Des mines jusqu'à présent contrôlées par une major britannique, considérée comme le premier producteur d'or au monde.

Les nouvelles sont rares. Et, de surcroît, elle n'est pas donnée par les grands médias. Elle circule sur le net. Et ce n'est pas grand-chose non plus. Après tout, qui s'en soucie ? Il y a plus important pour les conformistes d'Italie et d'Europe. Beaucoup plus important au niveau de l'actualité... la pression sur le gouvernement, pour le gaspillage du comportement (disons) de San Giuliano... Les hypothétiques politiques d'aide à la naissance... Pour ceux qui s'intéressent - mais ils sont certes très peu nombreux - à ce qu'on appelle les affaires étrangères, il y a la situation en Ukraine, il y a le comportement d'Israël au Moyen-Orient....

Et pourtant, les nouvelles du Burkina Faso sont importantes. Beaucoup plus qu'on ne le pense à première vue.

Parce qu'elle représente un signe clair et décisif de la volonté de l'Afrique de sortir d'une longue, trop longue, condition de minorité. De soumission à l'Occident.

unmcafrnamed.jpgBeaucoup, beaucoup trop d'années se sont écoulées depuis que Marco Cochi - un grand africaniste et surtout un ami inoubliable - a écrit son « Afrique. Le continent oublié ». Un ouvrage aujourd'hui presque introuvable, mais qui devrait être réédité et surtout relu. Avec beaucoup d'attention.

Car Cochi a pressenti et anticipé ce qui se passe aujourd'hui. La crise, irréversible, du pouvoir européen sur l'Afrique. Et surtout de ce vilain rêve qu'était la Françafrique. Mauvaise pour les Africains, bien sûr, qui ont été exploités et saignés à blanc sans état d'âme. Et, surtout, sans rien recevoir en retour.

Lorsque Cochi écrivait, il y a une trentaine d'années, il prédisait déjà le réveil de l'Afrique noire, à partir précisément du Burkina Faso où, malgré une répression impitoyable, la mémoire de Sankara restait vivante.

Et c'est précisément du Burkina que cette nouvelle nous parvient aujourd'hui. Le Burkina n'est plus un soulèvement isolé, comme à l'époque de Sankara, qui a payé de sa vie cet isolement politique.

Car, aujourd'hui, la situation de l'Afrique du Nord et de l'Afrique Centrale, ou de ce qu'il convient d'appeler l'Afrique Noire, a profondément changé.

Outre le Burkina, les Français et même les Britanniques sont chassés de la plupart des États de la région, Niger, Mali, Tchad... et cette révolte africaine s'étend.

Un réveil des élites locales, qui ont pris conscience d'elles-mêmes. Qui ne veulent plus vivre dans la corruption pour un salaire de misère, laissant leurs peuples à la famine et surtout à l'exploitation.

Des élites, il faut le dire, essentiellement militaires. Formées en Europe et aux États-Unis. Donc bien conscientes du rôle des grands « frères » de l'Occident. Et qui, aujourd'hui, veulent prendre en main le destin de cette partie de l'Afrique. La racheter de l'exploitation séculaire. La transformer en une nouvelle réalité, active tant sur le plan économique que géopolitique.

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Le Burkina Faso qui revendique la propriété de ses mines d'or et chasse les Français qui les exploitaient n'en est qu'un signe.

Bientôt, tout le monde devra compter avec cette nouvelle Afrique.

Des comptes difficiles pour les Européens, qui peinent encore à prendre conscience de cette nouvelle réalité.

dimanche, 23 juin 2024

Tambours de guerre en Europe, le conflit ukrainien s'étend à l'Afrique et l'adhésion de la Turquie aux BRICS

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Tambours de guerre en Europe, le conflit ukrainien s'étend à l'Afrique et l'adhésion de la Turquie aux BRICS

Mehmet Perinçek

Source: https://www.geopolitika.ru/es/article/tambores-de-guerra-en-europa-el-conflicto-de-ucrania-salpica-africa-y-el-ingreso-de-turquia

Suite aux déclarations du secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, en faveur de l'utilisation par l'Ukraine d'armes fournies par les pays occidentaux pour attaquer des cibles militaires sur le territoire russe, les pays occidentaux, l'un après l'autre, ont commencé à accorder à Kiev l'autorisation de le faire.

Chaque jour qui passe, le front atlantique prend de nouvelles mesures pour augmenter l'intensité de la guerre et même étendre son ampleur et son aire géographique.

L'Europe se prépare à la guerre

Le président français Emmanuel Macron parle depuis longtemps d'envoyer des troupes en Ukraine.

    Le monde entier a appris, grâce à des fuites d'enregistrements audio, que des généraux allemands envisageaient de faire tomber le pont de Crimée.

Bien entendu, il faut supposer qu'il existe de nombreux autres plans secrets qui n'ont pas été divulgués.

Les pays européens multiplient par plusieurs fois leurs budgets de défense. En Allemagne, le service militaire obligatoire est de retour. Même le ministre de la santé souligne que le système de santé du pays n'est pas adapté à la guerre et doit être restructuré.

À cet égard, le Royaume-Uni est déjà le premier à jeter de l'huile sur le feu.

La tentative d'assassinat du premier ministre slovaque Robert Fico et les menaces similaires contre le président serbe Aleksandar Vucic, qui ont des politiques différentes de celles de la France, de l'Allemagne et du Royaume-Uni sur la question ukrainienne, montrent que le processus est entré dans une nouvelle phase.

Sans multiplier les exemples, nous pouvons affirmer avec certitude que l'Europe se prépare à la guerre et connaît un processus rapide de militarisation.

L'ère atlantique touche à sa fin

Pour comprendre ce processus, il convient d'examiner plusieurs évolutions.

Commençons par les faits généraux...

L'hégémonie atlantique est en déclin.

Par ailleurs, le centre de l'économie mondiale se déplace de l'Atlantique vers le Pacifique.

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Avec la pandémie et la guerre en Ukraine, chacun peut constater que le système néolibéral est à l'arrêt. Le front atlantique présente des lacunes dans presque toutes les guerres qu'il mène.

L'agression israélienne a échoué face à la résistance palestinienne, même les politiques génocidaires n'ont pas pu briser la résistance du peuple palestinien.

L'Occident n'a pas pu renverser Assad. Les plans occidentaux dans le Caucase du Sud ont échoué.

    Des mouvements d'indépendance fondés sur l'État émergent en Afrique. L'Amérique latine n'est pas différente.

Les pays du Golfe, tels que l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ne cèdent pas à la pression américaine. Ils agissent sur de nombreuses questions, telles que les questions militaires et les prix du pétrole, non pas en fonction des intérêts de Washington, mais de leurs propres intérêts.

En outre, les pays de toutes ces régions qui sont dans la ligne de mire de l'atlantisme se rassemblent.

Des partenariats tels que l'Organisation de coopération de Shanghai, les BRICS et l'Organisation des États turcs gagnent rapidement en puissance et façonnent un nouvel ordre mondial multipolaire.

Mauvaises nouvelles du front

Et le contexte de l'Ukraine...

Les sanctions économiques contre la Russie n'ont pas fonctionné. L'économie européenne a souffert, pas l'économie russe. Au contraire, la Russie a saisi l'occasion de rompre avec la dépendance à l'égard de l'Occident et de se concentrer sur sa production intérieure.

    La contre-offensive ukrainienne s'est révélée être un échec total. À un moment donné, pourtant, certains Occidentaux ont cru que l'armée ukrainienne allait défiler sur la place Rouge de Moscou.

Cet échec sur la ligne de front a également provoqué des fissures dans le régime de Kiev, entre factions qui se battaient pour occuper le trône, et l'Occident a commencé à chercher des alternatives à Zelensky. En outre, le mandat de Zelensky a expiré et il a perdu sa légitimité en ne convoquant pas d'élections.

Au cours de cette période, nous avons assisté à des accusations entre les bailleurs de fonds du régime de Kiev, principalement les États-Unis et le Royaume-Uni. Les désaccords entre Paris et Berlin sont également devenus visibles.

Nous verrons sans aucun doute des fissures plus profondes en Europe. Les gouvernements du vieux continent, qui ont adopté une politique de "l'Europe pour les États-Unis" au lieu de "l'Europe pour l'Europe", sont confrontés à des objections sociales chez eux.

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Il est inconcevable que les peuples d'Europe, qui paient déjà un prix économique, soient prêts à donner leur vie dans une guerre.

Tous ces développements créeraient inévitablement un sentiment de panique à l'Ouest. Ils feraient tout pour ne pas perdre la guerre.

La Russie semble se préparer à une offensive dans l'espoir de prendre un grand avantage sur le front. L'Occident entend dissuader la Russie de le faire. L'attentat terroriste contre le Mall Crocus avait pour but de distraire Moscou en déclenchant des perturbations internes et d'empêcher ainsi une éventuelle offensive. Toutes les déclarations de l'Occident, de l'envoi de troupes en Ukraine à l'autorisation d'utiliser ses armes sur le territoire russe, sont consacrées à la dissuasion.

Se préparer aux prochaines élections américaines

Les prochaines élections américaines doivent également être prises en compte.

Tout le monde a commencé à faire des projections basées sur le "retour de Trump". Qui remplira le vide lorsque Washington se retirera sur son propre continent, renonçant à la prétention de "commander le monde". Macron était très enthousiaste à ce sujet pendant la première ère Trump, mais les choses ne se sont pas déroulées comme il le souhaitait.

Lorsque Biden est arrivé au pouvoir, toutes les puissances européennes ont tranquillement accepté les directives de Washington. Après tout, elles partageaient le même état d'esprit que Biden. Aujourd'hui, une fois de plus, les centres européens se demandent s'ils doivent remplacer les États-Unis s'ils quittent la scène. Les forces prêtes pour une nouvelle aventure en Europe se préparent aux prochaines élections américaines.

L'Europe bluffe-t-elle ?

    Notre conclusion à partir de ce qui précède : il y a du bluff pour arrêter la Russie d'une part, et ceux qui veulent devenir le nouvel "Hitler" au sein de la grande bourgeoisie européenne, d'autre part.

Le conflit ukrainien s'étend à l'Afrique

Pour atteindre ces objectifs, le front atlantiste veut aussi étendre la géographie de la guerre.

En fait, ils ont déjà essayé à plusieurs reprises en Moldavie ou dans les pays baltes en utilisant la question de la Transnistrie. Mais cela n'a pas fonctionné.

Maintenant, il y a des mouvements dans une géographie encore plus lointaine : l'Afrique.

Il y a déjà une confrontation en Afrique. Les pays africains se rebellent contre les politiques néocolonialistes des États-Unis et de la France et les chassent progressivement du continent.

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La Russie, la Chine et la Turquie sont les piliers les plus importants pour les pays africains dans cette lutte. Ces trois pays font contrepoids au néocolonialisme sur les plans militaire, économique et politique.

Aujourd'hui, le front atlantiste a l'intention d'introduire un nouvel "acteur" en Afrique.

De nouvelles ambassades ukrainiennes ont récemment été ouvertes dans dix pays africains (Côte d'Ivoire, Ghana, Rwanda, Botswana, Mozambique, République démocratique du Congo, Soudan, Tanzanie, Mauritanie et Cameroun). Paris, en particulier, veut rattraper son échec sur le continent. Et pour l'Ukraine, c'est une façon de payer le prix de l'aide qu'elle reçoit de l'Occident.

Il a même été révélé que des forces militaires des services secrets ukrainiens combattaient au Soudan. L'objectif est de briser l'influence de la Russie en Afrique.

    Si Kiev envoie des troupes en Afrique pour la politique néocolonialiste de la France, elle tente également d'y recruter des soldats pour lutter contre la Russie en Ukraine.

Par exemple, après que l'Ukraine a ouvert une ambassade en Côte d'Ivoire, pays connu pour son soutien à la stratégie française, la presse a publié un document sur le recrutement de volontaires pour rejoindre l'armée ukrainienne. Au Sénégal, les autorités sénégalaises sont intervenues et les recruteurs ukrainiens ont été empêchés de rameuter des mercenaires pour le front contre la Russie.

Les ambassades ukrainiennes font également du lobbying pour la "paix" occidentale en Afrique en jouant la carte du "transport de céréales".

Comme il ne fait aucun doute que l'Ukraine poursuivra également la stratégie occidentale en Afrique, les activités de l'Ukraine viseront non seulement la Russie, mais aussi la lutte pour l'indépendance des peuples africains et donc la Turquie, qui est l'un des principaux soutiens de cette lutte sur le continent.

Adhésion aux BRICS : contribuer à la paix dans le monde

Les préparatifs de guerre en Occident et les plans visant à déplacer le conflit ukrainien vers l'Afrique révèlent clairement la menace qui pèse sur le monde.

Dans un tel contexte, l'annonce par la Turquie de sa volonté de rejoindre les BRICS revêt une importance particulière.

La consolidation du pouvoir par des organisations multipolaires telles que les BRICS est le moyen d'éviter la guerre. C'est l'unification du front eurasien qui peut dissuader les États-Unis et l'Europe de se lancer dans de dangereuses aventures.

Des BRICS forts et institutionnalisés, une Organisation de coopération de Shanghai forte, une Organisation des États turcs tout aussi forte obligeront Biden, Macron et Scholz à agir plus prudemment. Sinon, ils semblent prêts à recourir à toutes sortes de méthodes violentes dès qu'ils perçoivent la moindre faiblesse chez l'autre partie.

    En rejoignant les BRICS, la Turquie apporterait une contribution importante à la paix mondiale.

La Turquie ne doit pas chercher à faire de l'adhésion aux BRICS un levier pour négocier avec l'Occident, comme elle l'a fait par le passé sur différentes questions. Au contraire, la Turquie doit prendre des mesures concrètes dès que possible. 

Traduction anglaise pour Geopolitika.ru, par Dr. Enrique Refoyo, Source : https://unitedworldint.com/

samedi, 11 mai 2024

Logiques africaines

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Logiques africaines

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/logiche-africane/

Les Russes arrivent au Niger. Et les Américains s'en vont. Avec une certaine gêne réciproque. Mais aussi avec de bonnes manières. Dans un style militaire de part et d'autre.

La junte militaire nigérienne a pris sa décision. Les Américains quittent la base militaire de Niamey. Et pour conforter son choix, elle a demandé à une milice russe « privée » de prendre leur place. Pour garantir la sécurité contre les groupes djihadistes.

La milice en question est le fameux et tristement célèbre Groupe Wagner. Vous vous en souvenez ? Celui de Prighozin, le « cuisinier » de Poutine. Celle qui devait, selon nos fins analystes, renverser le tsar. Et nous faire gagner la guerre avec la Russie, sans coup férir.

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Au lieu de cela, le Groupe Wagner est maintenant en Afrique. Au service des intérêts géopolitiques du Kremlin.

Et, apparemment, elle le fait bien.

La relève de la garde s'est déroulée sans incident. En effet, il semble que les Russes et les Américains se soient salués poliment.

En fait, cet épisode - qui vient de faire surface dans nos actualités - révèle la présence croissante de la Russie en Afrique sahélienne. La Franceafrique, qui s'effrite, perd morceau par morceau. Sans que les Etats-Unis n'aient réussi à concrétiser l'intention peu subtile de remplacer Paris dans le contrôle de la région.

Ce qui, dans la logique de Washington, aurait dû équilibrer et contenir l'expansion de l'influence chinoise depuis le Sud et la Corne de l'Afrique.

Car les Français sont certes des alliés, mais pas toujours fiables.

D'ailleurs, comme le disait Kissinger, être l'ennemi des Etats-Unis est dangereux. Mais être leur ami est mortel.

Mais tout le monde avait compté sans l'aubergiste. C'est-à-dire sans les Africains. Car les cadres militaires des pays de la ceinture subsaharienne ont beau avoir été formés sous l'égide de l'OTAN, ils se révèlent las de toute tutelle. C'est-à-dire de ce néocolonialisme qui les maintient dans une situation séculaire de minorité. Et de misère.

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C'est ainsi que le Burkina Faso - fort de la leçon de Sankhara - puis le Mali et le Niger ont rompu avec l'Occident collectif. En chassant les Français. Et en invitant, plus poliment, les Américains à faire leurs valises.

Et voilà que le Sénégal, toujours sentinelle de Paris, voit lui aussi l'ascension démocratique d'un président qui revendique une indépendance totale vis-à-vis de la France.

Et le Congo prend lui aussi ses distances avec Washington. Et fait un clin d'œil à Moscou.

Reste le Tchad. Avec sa forte tradition militaire. Mais même là, les secousses telluriques deviennent plus intenses et plus fréquentes.

Il semble que le rêve de Kadhafi soit en train de se réaliser. La création d'un pôle géopolitique africain dans la région du Sahel. Capable de rivaliser dans le grand jeu géopolitique, avec un rôle autonome. Ce n'est plus une terre de conquête.

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Le colonel était, certes, un hurluberlu. Mais il avait une vision à long terme.

Bien sûr, cette nouvelle génération de dirigeants africains, essentiellement militaires, est bien consciente des dangers auxquels elle est confrontée. Le fantôme de Sankhara hante leurs nuits. Et les Russes aussi.

Car la Russie n'a pas d'objectifs coloniaux. Et elle conçoit sa présence croissante en Afrique comme une stratégie pour mettre Washington en difficulté. Et pour souder la relation avec la Chine, qui prend le contrôle des autres régions du continent.

Un jeu extrêmement complexe. Il est difficile de dire comment les choses vont se passer. Ce qui est certain, en revanche, c'est que l'Afrique n'est plus un appendice périphérique du Grand Jeu. Elle en devient l'un des principaux théâtres.

lundi, 29 avril 2024

La Namibie accuse les Verts allemands de racisme et de colonialisme

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La Namibie accuse les Verts allemands de racisme et de colonialisme

Peter W. Logghe

Source : https://www.facebook.com/peter.logghe.94

L'index sentencieux et vertueux des Grünen allemands est mal barré: voilà que la Namibie accuse les Grünen de colonialisme et de racisme. Les grands champions de la lutte contre le racisme systémique européen et de la lutte contre la droite - deux synonymes pour les Grünen - sont maintenant eux-mêmes accusés de racisme - et par une ancienne colonie allemande de surcroît. Il s'agit d'accusations portées par le ministre namibien de l'environnement, Pohamba Shifeta, à l'encontre de la ministre allemande de l'environnement, la verte Steffi Lemke (tous deux en photo ci-dessous).

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Tout tourne autour du gibier abattu en Afrique, en Namibie. La ministre allemande Lemke veut interdire partiellement l'importation de gibier africain en Allemagne. Dans une lettre ouverte citée par le journal allemand Bild-Zeitung, l'homme politique namibien Swapo Shifeta parle d'"ingérence unilatérale, illégale et néocoloniale dans notre droit souverain à utiliser nos ressources naturelles". Le ministre namibien y affirme que la chasse au gibier est strictement limitée et qu'elle fait partie d'une stratégie plus large de conservation des ressources fauniques. Ceux qui veulent protéger la faune sauvage doivent autoriser une chasse contrôlée, déclare le ministre namibien.

Les Grünen se tirent-ils une balle dans le pied ?

Dans l'ancienne colonie que fut la Deutsch-Südwestafrika, la protection de la faune a rang de loi. "Comme en Allemagne et en Europe, la chasse contrôlée fait partie de la politique de protection des espèces. Selon le ministre namibien, une partie de l'argent des impôts est justement utilisée pour ces mesures de conservation. Le directeur de l'association namibienne NACSO (management of nature and breeding areas), Maxi Louis, accuse également le parti au pouvoir en Allemagne de "ne même pas vouloir écouter". C'est comme si les Grünen disaient des Namibiens : "Ils ne peuvent pas penser par eux-mêmes".

La superbe avec laquelle les Grünen veulent imposer leur politique à la Namibie, et "veulent imposer la façon dont un pays africain devrait agir, ressemble à une attitude raciste à notre égard". C'est pourquoi le chef de l'exécutif namibien a invité Mme Lemke et la ministre allemande des affaires étrangères (également verte), Annalena Baerbock, en Namibie. "Asseyons-nous ensemble, en tant que personnes civilisées, et discutons du problème". Condition préalable pour la Namibie : "Ils doivent vouloir nous écouter, nous et notre communauté". Droit au but, non ?

 

jeudi, 25 avril 2024

Les États-Unis, chassés d'Afrique, refusent de partir. Parce qu'ils sont les bons!

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Les États-Unis, chassés d'Afrique, refusent de partir. Parce qu'ils sont les bons!

Enrico Toselli

Source: https://electomagazine.it/gli-usa-cacciati-dallafrica-rifiutano-di-andarsene-perche-sono-i-buoni/

... et ils ne veulent pas partir... Non, pas les enfants qui ont grandi mais qui préfèrent rester dans la maison de maman. Dans le cas qui nous occupe ici, ceux qui ne veulent pas partir sont les soldats américains que les gouvernements du Niger et du Tchad ont invités à retourner chez eux. Non. Hic manebimus optime. D'accord, ils n'ont peut-être pas utilisé le latin pour répondre, mais le fond ne change pas. Eux, les Américains, sont les gentils et ont donc le droit de garder leurs bases militaires où ils veulent, même si les gouvernements locaux voudraient les mettre dehors.

Et ils s'en offusquent même, les Yankees. Mais comment, nous sommes les gentils, nous exportons la démocratie avec des bombes, nous amenons des multinationales pour vous exploiter un peu, et au lieu de nous remercier, vous nous renvoyez ? Pas question ! Nous restons parce que nous sommes en mission pour Dieu. Pour le dollar-Dieu, mais chacun choisit les Dieux à son image et à sa ressemblance.

Et puis, assez de bêtises sur la souveraineté nationale. Ce n'est pas un dogme absolu. Cela dépend des cas. Si nos ennemis ne la respectent pas, ils sont des criminels à punir sans pitié. À sanctionner, à bombarder. Si, au contraire, ce sont nos amis qui ne la respectent pas, ou si c'est nous directement, alors la situation change. Parce que nous sommes les gentils, nous pouvons violer n'importe quelle règle et n'importe quelle frontière étatique. Nos intérêts sont des intérêts mondiaux. Et deux pays africains ne peuvent pas se permettre de nous renvoyer.

Si ce n'est pas le cas, nous organisons l'habituel soulèvement populaire manipulé et coloré, et si le gouvernement se défend, nous intervenons avec des bombardiers pour défendre la démocratie. Comme d'habitude.

dimanche, 14 avril 2024

L'alternance à Dakar

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L’alternance à Dakar

par Georges FELTIN-TRACOL

Le 24 mars dernier, avec une participation s’élevant à 61,30%, 54,28% des électeurs sénégalais  choisirent dès le premier tour Bassirou Diomaye Diakhar Faye à la présidence de la République de cet État francophone d’Afrique occidentale. Le 2 avril, conformément au cadre constitutionnel en vigueur, le plus jeune chef d’État sénégalais, 44 ans, prêta serment devant une quinzaine de dirigeants africains, en particulier le Nigérian Bola Tinubu, président en exercice de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest). La cérémonie d’investiture mit un terme à un trimestre politique agité.

La chronique n°103 évoquait la décision explosive des sept juges du Conseil constitutionnel. Ils annulaient le report de la présidentielle au mois de décembre et exigeaient sa tenue selon le calendrier légal prévu. Constatant l’inaction de l’exécutif à fixer une date précise pour le premier tour, ce même conseil imposa le 24 mars et conserva le même nombre de candidats. Seule Rose Wardini retira sa candidature.

Mis devant le fait accompli, le président Macky Sall pousse à la démission, dès le 6 mars, le premier ministre, Amadou Ba, et en nomme un nouveau, Sidiki Kaba. Amadou Ba poursuit sa campagne électorale. Le Parlement adopte dans le même temps une loi d’amnistie pour toutes les violences commises depuis 2021. Cette mesure pacificatrice concerne aussi bien les manifestants et/ou émeutiers que les forces de l’ordre responsables de nombreux tirs mortels (une soixantaine de tués).

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Une fois celle-ci promulguée à la mi-mars, le président-fondateur du mouvement des PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité) dissout, Ousmane Sonko, et le secrétaire général de ce parti interdit, mais très actif dans la clandestinité, Bassirou Diomaye Faye, quittent leur cellule respective. Si Ousmane Sonko a perdu ses droits civiques et est inéligible, Bassirou Diomaye Faye qui se trouvait en détention provisoire pour outrage à la magistrature, reste candidat. Dans le même temps, début mars, la justice réhabilite Ousmane Sonko, annule sa condamnation par contumace et le réinscrit sur les listes électorales. Certes, il est trop tard pour qu’il puisse remplacer Diomaye Faye. À peine libérés, le duo multiplie les réunions publiques et soulève l’enthousiasme de la jeunesse déclassée. Quinze jours plus tard, ce tandem remporte les élections et passe du statut de prisonniers politiques à celui de dirigeants de premier plan. Ce parcours n’est pas étonnant. Maints dirigeants au XXe siècle ont d’abord connu la prison avant d’accéder au pouvoir. Il est fort probable qu’au XXIe siècle, divers politiciens (à l’instar peut-être de Nicolas Sarközy dans les prochains mois) se retrouvent en prison après l’exercice du pouvoir.

L’engouement électoral en faveur de Bassirou Diomaye Faye a surpris tous les observateurs. Il est courant qu’au Sénégal, le vainqueur gagne dès le premier tour même si, dans les années 1960, Léopold Sédar Senghor était le candidat unique. Seules les présidentielles de 2000 et de 2012 ont connu un second tour. En 2000, le libéral du PDS (Parti démocratique sénégalais) Abdoulaye Wade bat le président socialiste Abdou Diouf. En 2012, le président Abdoulaye Wade perd face à son ancien Premier ministre, Macky Sall…

Outre sa jeunesse, Bassirou Diomaye Faye suscite bien des interrogations. Les PASTEF seraient des souverainistes de gauche. Or la gauche occidentale semble s’en méfier. La une de Libération du 26 mars 2024 montre un Diomaye Faye en contre-plongée, singulière façon de saluer la victoire d’un ancien prisonnier politique. Nos belles âmes festives, wokistes, inclusives et féministes n’apprécient guère que le nouveau président soit de manière officielle bigame. Ce musulman pieux a une première épouse de confession chrétienne avec qui il a quatre enfants (une fille et trois garçons), et une seconde épouse musulmane.

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Fait inédit, le Sénégal accepte désormais deux épouses officielles. Le protocole établirait une « première dame » et une « seconde dame ». La bigamie demeure cependant pour les gendéristes de l’Occident terminal une manifestation patriarcale honnie alors qu’il s’agit d’une coutume africaine fort respectable pour tout ethno-différencialiste conséquent. Autre pierre d’achoppement à venir: le nouveau gouvernement envisagerait de renforcer la pénalisation de l’homosexualité. Voilà une intention qui ne va pas dans le sens du LGBTisme international… La majorité des Sénégalais est musulmane même si la République du Sénégal est un État laïque. Les confréries musulmanes et une prégnance certaine de l’animisme structurent cet islam incompatible avec la vision rigoriste des wahhabites. Il est habituel que les Sénégalais de toutes religions célèbrent le lundi de Pâques.

Qualifié d’« anti-Système », Bassirou Diomaye Faye a étudié à l’ÉNA de Dakar. Haut-fonctionnaire, il choisit l’inspection des finances et des domaines. Il partage avec son collègue, Ousmane Sonko, une ferme détermination à combattre la corruption endémique. Des prospections au large des côtes du Sénégal révèlent l’existence de vastes gisements d’hydrocarbures sous-marins (gaz et pétrole). Pas certain donc que le peuple sénégalais accepte la transition écologique à la mode occidentale et la mise à la retraite des véhicules thermiques. C’est fou que les Verts occidentaux reformulent sous couvert d’un discours écologiste bienveillant envers le climat les vieilles lunes néo-colonialistes et pseudo-paternalistes !

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Malgré l’onction populaire incontestable, le mandat du nouveau président s’ouvre sur diverses incertitudes. Quelles vont être les relations entre le président Diomaye Faye et Ousmane Sonko ? Une éventuelle réforme constitutionnelle créerait la fonction de vice-président de la République, mais quel rôle garderait le Premier ministre ? N’y a-t-il pas un risque de tricéphalisme exécutif ? Pour couper court à toutes les spéculations, le nouveau président a immédiatement nommé Ousmane Sonko Premier ministre. Quels rapports ce tandem va-t-il dorénavant entretenir avec la « Françafrique » en coma dépassé ? Certes, il souhaite quitter la zone du franc CFA (Communauté financière africaine) ou bien concevoir une nouvelle monnaie, peut-être à vocation panafricaine, dégagée du cours de l’euro. Leur aura d’anciens opposants peut leur attirer la sympathie des gouvernements militaires de l’Alliance du Sahel (Mali, Niger et Burkina Faso) d’autant qu’un même panafricanisme les anime.

Par ailleurs, comment le nouveau chef de l’État va-t-il gouverner alors qu’il doit cohabiter avec une Assemblée nationale qui lui est hostile ? La Constitution interdit toute dissolution dans les deux premières années de la législature. Cette contrainte cessera en juillet prochain. Il est toutefois possible que le PDS qui a appelé, deux jours avant le scrutin, à voter pour Bassirou Diomaye Faye soutienne le nouveau gouvernement. Les nouveaux responsables doivent par conséquent composer avec un « Établissement » plus ou moins hostile, même si Macky Sall a reçu son successeur, le 28 mars, afin de déclencher le processus de transition démocratique.

Le Sénégal ouvre une nouvelle page de son histoire. Il a su surmonter une incroyable crise politico-institutionnelle. Il a montré à tout un continent enclin aux coups d’État, aux révolutions de palais et aux soulèvements populaires que la voie électorale peut renverser dans les formes légales et pacifiques un gouvernement solidement installé. Ce n’est peut-être pas un hasard si, ancienne colonie française, le Sénégal a eu pour fondateur un poète, épris de littérature et agrégé de grammaire. Par le biais de la langue qu’on habite toujours, certaines particularités morales françaises s’y enracinent durablement.

Salutations flibustières !

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 110, mise en ligne le 10 avril 2024 sur Radio Méridien Zéro.

dimanche, 07 avril 2024

Pétrole, hausse des prix et nouvelles stratégies en Afrique

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Pétrole, hausse des prix et nouvelles stratégies en Afrique

Ala de Granha

Source: https://electomagazine.it/petrolio-prezzi-in-risalita-e-nuove-strategie-in-africa/

Les vacances d'été ne sont pas encore là mais le prix du pétrole augmente déjà et les automobilistes italiens risquent d'en payer les conséquences. Certes, les craintes liées à la sacro-sainte réaction de Téhéran au bombardement israélien de l'ambassade d'Iran en Syrie pèsent lourd. Mais elles pèsent surtout sur les nombreux changements qui interviennent sur le marché pétrolier. Des changements qui n'affectent pas les désinformateurs italiens, mais qui affectent les marchés.

La Russie, tout d'abord, n'a aucun problème à encaisser les paiements indiens pour les livraisons de pétrole. Contrairement à ce qu'affirment les médias italiens. Et les livraisons à la Chine se maintiennent à des niveaux record. À cela s'ajoutent les livraisons à la Corée du Nord. Or Moscou a décidé, en accord avec l'Opep+, de réduire sa production pour faire remonter les prix.

Mais la nouvelle concerne aussi l'Afrique. Le Sénégal, après l'élection du président Faye et la nomination du premier ministre Ousmane Sonko, a décidé de revoir ses contrats pétroliers existants. Et ce n'est certainement pas au profit des pays européens.

Puis ce fut le tour du Nigeria. Premier producteur de pétrole en Afrique, ce pays doit importer de l'essence et du diesel d'Europe en raison d'un manque de raffineries. Cette semaine, cependant, la raffinerie Dangote a commencé à fournir du carburant au marché intérieur. Une fois pleinement opérationnelle, cette raffinerie sera la plus grande de toute l'Afrique et, en perspective, pourrait non seulement couvrir les besoins du Nigeria, mais aussi exporter du carburant vers l'Europe. Les marges des raffineries du Vieux Continent s'en trouveraient ainsi réduites.

Entre-temps, l'Europe sanctionneuse a augmenté les importations de gaz liquéfié russe de près de 100%, pour atteindre 15% du total après être tombées à 8,7 %. D'un autre côté, les effets négatifs sur l'environnement ont également augmenté, à la fois en raison du transport par bateau au lieu du gazoduc et des coûts énergétiques de la liquéfaction et de la regazéification. Mais c'est là le génie de l'Europe verte et démocratique.

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lundi, 01 avril 2024

Un acte de souveraineté: le gouvernement militaire du Niger met les Américains à la porte

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Un acte de souveraineté: le gouvernement militaire du Niger met les Américains à la porte

Source: https://zuerst.de/2024/03/22/ein-akt-der-souveraenitaet-militaerregierung-in-niger-wirft-die-amerikaner-raus/

Niamey. C'est une défaite stratégique cuisante pour les Etats-Unis, dont on se réjouira surtout à Moscou: le gouvernement militaire de ce pays du nord-ouest de l'Afrique, arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en juillet 2023, a mis fin à sa coopération militaire avec les Etats-Unis avec effet immédiat. Pour la position américaine en Afrique, c'est un coup dur. Avec la base aérienne 201, les États-Unis entretenaient jusqu'à présent au Niger leur deuxième plus grande base de drones au monde et la plus grande en Afrique. Un millier de soldats américains sont stationnés dans le pays.

Le Niger a longtemps été considéré comme un partenaire de l'Occident dans la région du Sahel. L'UE avait spécialement créé l'alliance de la CEDEAO pour renforcer son influence dans la région. Mais après le coup d'État au Niger, elle a tenté de monter la CEDEAO contre les nouvelles autorités. Le gouvernement putschiste s'est retiré de l'alliance et a été le premier à expulser les Français du pays.

Les soldats américains vont maintenant devoir les suivre. Le gouvernement a "décidé, en tenant compte des intérêts de la population, de mettre fin avec effet immédiat à l'accord sur le statut du personnel militaire américain et des employés civils du ministère américain de la Défense sur le territoire national du Niger", a lu samedi soir un porte-parole du gouvernement dans une déclaration à la télévision nationale.

Le porte-parole du département d'Etat américain, Matthew Miller, a déclaré que Washington avait pris note de la déclaration. Elle fait suite à des "discussions franches" sur les "préoccupations" des Etats-Unis concernant "l'évolution de la junte", a expliqué Miller sur X (anciennement Twitter). Le ministère américain de la Défense a fait une déclaration identique.

Vendredi dernier, une délégation américaine de haut niveau avait achevé une visite de trois jours au Niger, censée renouveler les contacts avec le gouvernement putschiste.

L'Occident suit avec une méfiance particulière le fait que le gouvernement de transition de Niamey se tourne de plus en plus vers la Russie depuis sa prise de pouvoir fin juillet 2023. Déjà lors des manifestations contre les Français peu après la prise du pouvoir, de nombreux drapeaux russes étaient apparus dans les rues. Et en décembre, un accord de coopération militaire a été conclu avec Moscou - depuis, l'expulsion des Américains était dans l'air. La Russie s'est proposée comme alliée à de nombreux pays d'Afrique noire et a promis une aide militaire et au développement. (he)

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dimanche, 31 mars 2024

Triomphe du nationalisme multipolaire au Sénégal

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Triomphe du nationalisme multipolaire au Sénégal

Par Raphael Machado

Source: https://jornalpurosangue.net/2024/03/29/triunfo-do-nacionalismo-multipolar-no-senegal/

Ces dernières années ont été des années de retournement et d'espoir en Afrique, notamment en Afrique de l'Ouest et autour du Sahel, avec le Mali, le Burkina Faso, le Niger et la Guinée Conakry qui ont connu des révolutions nationalistes menées par des militaires anti-atlantistes.

Ces révolutions nationalistes ont été impulsées par des sanctions et des menaces d'invasion, mais des dialogues en coulisses, certes aidés par la Russie et la Chine avec le Nigeria (qui aspire à rejoindre les BRICS), ont conduit à une pacification et à une normalisation de la nouvelle situation politique dans la région (ce qui n'a toutefois pas empêché les pays en question de se retirer de la CEDEAO - la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest).

Après l'échec du projet d'intervention militaire à travers le Nigeria et ses alliés, promu par les États-Unis et la France, l'Occident atlantiste a "ressuscité" l'Etat islamique/ISIS dans la région, qui y est soudainement apparu en force, avec les classiques "mystérieuses Toyota", des vidéos excessivement bien produites, un niveau plus élevé d'organisation et d'équipement militaire, etc. sous le titre d'État islamique - Province du Sahel.

Le groupe est combattu avec acharnement par les militaires de la région avec le soutien du groupe Wagner, qui est, comme on le sait, un bourreau expérimenté de l'Etat islamique/ISIS en Syrie.

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Tous ces événements font partie de l'effondrement de la Françafrique, vestige de l'ancien projet impérialiste français tardif qui subordonnait les anciennes colonies françaises à l'élite financière parisienne (et maintenant européenne) par la dépendance du franc CFA aux décisions prises dans les couloirs des banques de Paris, puis de Francfort.

Mais ce qui est de bon augure, c'est que si ces processus se sont déroulés par la "force" ces dernières années, on assiste aujourd'hui au Sénégal à un retournement de situation par la voie électorale, au sein d'une structure démocratique, avec la victoire de Diomaye Faye, 44 ans, dès le premier tour avec 54 % des voix, un jeune chef d'État de plus dans une Afrique marquée par une gérontocratie servile à l'égard de l'Occident.

La "révolution nationale-démocratique" a cependant été précédée par l'instabilité et la violence, les manifestations contre le gouvernement pro-Françafrique de Macky Sall ayant été réprimées avec une extrême violence en 2023, avec l'assassinat d'au moins 30 patriotes.

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Macky Sall a même tenté d'annuler les élections et d'arrêter la plupart des opposants, mais il a renoncé, est revenu en arrière et a libéré les prisonniers politiques - probablement persuadé de le faire en coulisses parce qu'il est possible que le pays tombe dans une guerre civile dans le cas contraire. Peut-être la France elle-même a-t-elle favorisé une résolution pacifique de la situation, car en cas de guerre civile, le tournant anti-atlantiste au Sénégal aurait pu être beaucoup plus radical. C'est une explication plausible de la raison pour laquelle Macron a donné à Sall un "poste" immédiat en tant que délégué spécial au Pacte de Paris, le nommant également comme prochain président.

Faye est le secrétaire général de l'organisation des Patriotes du Sénégal, un parti national-populaire d'orientation panafricaniste dont l'un des principaux objectifs est l'abandon du franc CFA et le rétablissement de la souveraineté monétaire du Sénégal.

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Des ponts de contact, de partenariat et d'investissement avec la Russie et l'Axe contre-hégémonique à travers Ousmane Sonko ou Kemi Seba sont possibles, dans la mesure où le Sénégal peut garantir l'accès indispensable de l'"Axe de la résistance africaine" à la mer à travers le port de Dakar.

Dakar est également une partie importante de plusieurs projets d'infrastructure de l'Union africaine qui sont étroitement liés à l'initiative chinoise Belt and Road. Un exemple est le projet de relier Dakar à Djibouti par une ligne de chemin de fer, la Russie ayant déjà manifesté son intérêt pour contribuer au financement et à la construction du projet.

"Par chance", ce chemin de fer, dont le projet remonte à plusieurs années, passerait par les pays mêmes dans lesquels les terroristes wahhabites ont soudainement "surgi" au cours des cinq dernières années, et qui sont aujourd'hui combattus par les militaires nationalistes et le groupe Wagner.

Le Sénégal est en effet l'un des pays les plus prometteurs d'Afrique, avec une "zone économique-industrielle spéciale" en préparation à Dakar - un endroit où le Brésil pourrait certainement faire des investissements intéressants, d'autant plus que le plus grand gisement de gaz d'Afrique de l'Ouest (450 milliards de m3) y a été découvert ces derniers mois et que le nouveau président a déjà annoncé qu'il voulait renégocier tous les contrats pétroliers et gaziers (au grand dam de BP et de Woodside).

dimanche, 25 février 2024

Turbulences sénégalaises

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Turbulences sénégalaises

par Georges FELTIN-TRACOL

La chronique 78 du 13 juin 2023 de « Vigie d’un monde en ébullition » intitulée « Le Sénégal sous tension » (http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2023/06/18/le-senegal-sous-tension.html) évoquait le contexte politique de ce pays. Depuis une quinzaine de jours, on assiste à une nette dégradation du cadre institutionnel.

Le 3 février 2024, lors d’une allocution solennelle, le président de la République, Macky Sall, reporte l’élection présidentielle dont le premier tour devait se tenir le 25 février prochain. Cette décision provoque un traumatisme national agrémenté de manifestations, d’émeutes et d’une répression policière meurtrière. Dès le lendemain, les manifestants scandent: « Macky Sall, dictateur ! » Exagération ? Le 5 février, le gouvernement coupe l’Internet mobile au motif qu’il peut diffuser des messages haineux et subversifs. Dans le même temps, les autorités suspendent, puis révoquent la licence de diffusion de la chaîne Walf TV qui couvre les manifestations, ce qui alimenterait les scènes de désordre… Toutefois, à la différence du pesant silence du monde artistique et des milieux hip hop fortement subventionnés par l’État, la société civile, les confréries musulmanes, les paroisses chrétiennes et les syndicats s’unissent contre cet arrêt du processus électoral.

Les réactions internationales étonnent par leur modération. Les diplomaties occidentales regrettent ce choix sans trop insister. Très en pointe contre les juntes sahéliennes du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la CÉDÉAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) tient une réunion en urgence à Abuja au Nigeria le 8 février suivant. Son communiqué final enjoint la classe politique sénégalaise à prendre au plus tôt les mesures nécessaires pour rétablir le calendrier électoral initial et exige des forces de l’ordre de « faire preuve de la plus grande retenue et à protéger les droits fondamentaux des citoyens ».

L’Assemblée nationale est immédiatement convoquée afin d’entériner le report. Elle utilise la procédure du vote accéléré. Les débats sont plus que houleux. Les unités d’élite de la gendarmerie pénètrent dans l’enceinte, expulsent de l’hémicycle les élus de l’opposition et arrêtent même certains députés, sous le prétexte du flagrant délit, au mépris de leur immunité parlementaire. Une fois la majeure partie de l’opposition évacuée manu militari, l’Assemblée nationale adopte par 105 votes pour et une voix contre le report. Sur le plan légal, le quorum de révision constitutionnelle est atteint puisqu’il faut l’obtention des trois cinquièmes, soit 99 députés sur 165. 

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Les députés placent le premier tour au 15 décembre 2024 et prolongent le mandat du président sortant qui se terminait le 2 avril jusqu’au début de l’année 2025 à l’encontre d’ailleurs de l’article 103 de la Constitution du Sénégal qui précise que « la durée et le nombre de mandats consécutifs du président de la République ne peuvent faire l’objet de révision ».

L’interruption de la campagne électorale résulte-t-elle d’une manœuvre machiavélique de Macky Sall ? Ce dernier a longtemps entretenu le suspense autour d’une troisième candidature alors que la Constitution n’en permet que deux consécutives. Le 3 juillet 2023, l’actuel chef de l’État sénégalais annonçait qu’il ne solliciterait pas un nouveau mandat. Son parti, l’Alliance pour la République, présente l’actuel Premier ministre Amadou Ba. Mais d’autres personnalités issues de la majorité présidentielle posent eux aussi leur candidature.

Le 20 janvier 2024, le Conseil constitutionnel publie la liste des candidats à la présidentielle. On en recense vingt dont le Premier ministre en exercice et deux anciens chefs de gouvernement. Les observateurs politiques considèrent que ce scrutin sera le plus ouvert de l’histoire du Sénégal. Ce grand nombre de candidats se comprend par la coexistence de deux formes de parrainage. Le premier est un parrainage populaire: un candidat doit recueillir entre 0,8 et 1 % de signatures d’électeurs avec un seuil minimal de 2000 parrainages obtenus dans sept régions sur les quatorze du Sénégal. Prévu dès 1991, il s’applique pour la première fois cette année. Or l’Assemblée nationale vient de le supprimer pour le scrutin de décembre 2024. La seconde procédure repose sur le parrainage de treize députés et de cent-vingt maires et présidents de conseils régionaux. Le filtre va pleinement fonctionner en défaveur des candidats anti-Système.

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Figure de l’opposition souverainiste, populiste et panafricaniste, candidat à la présidentielle de 2019 avec 15,67%, Ousmane Sonko ne peut être candidat. Purgeant une peine de prison ferme pour diffamations envers un ministre, son dossier de candidature a été rejeté, car jugé incomplet... Le gouvernement interdit en juillet 2023 son parti, les PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité), accusé d’avoir appelé la population à l’insurrection. Néanmoins, Ousmane Sonko adoube son numéro deux, Bassirou Diomaye Faye, pour la présidentielle bien qu’il soit en détention provisoire depuis avril 2023 pour « diffusion de fausse nouvelle, outrage à magistrat et diffamation envers la magistrature ».

Parmi les recalés, on rencontre en outre Karim Wade, chef de la formation d’opposition PDS (Parti démocratique sénégalais). Fils de l’ancien président libéral Abdoulaye Wade (2000 – 2012), Karim Wade a la double nationalité française et sénégalaise, ce qu’interdit la Constitution. Or une autre candidate, Rose Wardini, n’a jamais caché sa double nationalité franco-sénégalaise. Elle a pourtant le droit de concourir. Cette incohérence irrite les députés du PDS qui portent plainte contre deux juges du Conseil constitutionnel accusés de manquer de probité. Dès les premiers jours de janvier 2024, l’Assemblée nationale inaugure une commission d’enquête sur le processus électoral de cette présidentielle. Karim Wade renonce ensuite à sa nationalité française et devient éligible si bien que les élus du PDS acceptent le report approuvé par leurs adversaires théoriques de la majorité présidentielle.

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Des considérations politiciennes entrent enfin en compte. Les sondages indiquent très tôt, d’une part, la difficulté pour Amadou Ba d’accéder au second tour et, d’autre part, la très forte poussée en faveur de Bassirou Diomaye Faye (photo). Il ne faut pas que l’Alliance des États du Sahel puisse, indirectement, bénéficier d’un débouché océanique au moment où elle quitte la CÉDÉAO et s’affranchit d’un marché commun dysfonctionnel.

Macky Sall a réalisé un acte décisionniste schmittien propre à l’usage de la souveraineté en période d’exception. Il revient en théorie au Conseil constitutionnel de statuer en dernier ressort sur tout ce qui concerne les modalités pratiques de l’élection présidentielle. Le décret du 3 février 2024 dessaisit dans les faits le Conseil constitutionnel. Il s’agit d’une nouvelle démonstration de force de l’hyperprésidentialisme sénégalais qui n’a eu que quatre dirigeants : Léopold Sédar Senghor (1960 – 1980), Abdou Diouf (1981 – 2000), Abdoulaye Wade et Macky Sall. Il ne faut donc pas s’étonner que le Sénégal ait connu des constitutions variées en 1959, en 1960, en 1963, en 2001 et en 2016 avec de nombreuses révisions internes plus ou moins erratiques.

Divers candidats et plusieurs mouvements politiques dénoncent le report et déposent des recours auprès du Conseil constitutionnel. Cette institution comprend sept membres (les juges) nommés pour six ans par le président de la République qui doit en choisir deux sur une liste de quatre personnes présentées par le président de l’Assemblée nationale. Le 15 février, en début de soirée, le Conseil annule le report et exige des élections dans les meilleurs délais. Il confirme que le mandat de l’actuel président s’achèvera le 2 avril et, en cas de vacance à cette date, l’intérim reviendra au président de l’Assemblée nationale. En conflit ouvert avec les juges, les députés critiquent cette censure qui confère au Conseil constitutionnel une compétence supraconstitutionnelle, c’est-à-dire avoir un droit de regard sur les révisions de la loi fondamentale. Prenant acte de la décision, le président Macky Sall prône un dialogue national. Des négociations auraient commencé avec Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye.

Longtemps perçu comme un pôle de stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest francophone, le Sénégal entre en cette année 2024 dans une phase de très grandes turbulences politico-institutionnelles. « Quatre Communes » sénégalaises (Dakar, Saint-Louis, Rufisque et Gorée) ont été autrefois des communes françaises. Craignons que le précédent survenu à Dakar ne donne pas quelques mauvaises idées à l’Élysée dans la perspective de 2027...

 

GF-T

 

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 103, mise en ligne le 21 février 2024 sur Radio Méridien Zéro.

mardi, 20 février 2024

Washington "avertit" l'Afrique: seulement des bases américaines et pas de place pour la Chine

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Washington "avertit" l'Afrique: seulement des bases américaines et pas de place pour la Chine

Enrico Toselli

Source: https://electomagazine.it/washington-avverte-lafrica-solo-basi-americane-e-nessuno-spazio-per-la-cina/

Danger, Chine, danger pour la paix mondiale ! L'avertissement a été lancé par les bons Américains qui ont mis en garde le Gabon et la Guinée équatoriale contre l'acceptation de bases militaires de Pékin. En effet, les équilibres actuels visant à garantir la pax americana seraient rompus. On ne peut peut-être pas définir ce qu'est exactement la paix, mais les guerres atlantistes ne sont pas de vraies guerres, ce sont des exportations de démocratie avec quelques effets secondaires. Comme les plus de 30.000 Palestiniens assassinés par les tendres bouchers de Netanyahou.

Ainsi, en Afrique, comme en Asie et en Europe, les seules bases militaires autorisées sont les bases yankees. Parce que les bombes américaines sont bonnes et justes. Et bonnes pour la "démocratie".

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Alors, au nom de la paix et de la démocratie, on menace les pays qui osent faire des choix différents. Qui acceptent d'être courtisés, et bien payés, par les méchants de Pékin au lieu de devoir payer pour être protégés par les troupes des gentils.

Bien entendu, les désinformateurs atlantistes s'alignent parfaitement sur le discours de Washington. Pourquoi les Chinois devraient-ils avoir des bases sur la côte atlantique ? C'est comme si les États-Unis avaient des bases militaires en Asie ! Ah bon ? Peu importe, mais ils le peuvent. Ce sont des bases démocratiques. En Irak, en Syrie, au Liban, les gouvernements respectifs n'en veulent pas, mais les gentils ne peuvent pas écouter les choix des autres pays. Et celui qui ne veut pas des bases américaines est mauvais et doit être puni et corrigé. De peur qu'ils ne choisissent d'accueillir des Russes et des Chinois. Donc, malgré eux, les Américains sont obligés d'occuper des pays théoriquement souverains. Ils le font pour notre bien, ça va sans dire. Et malheur à eux s'ils protestent.

lundi, 20 novembre 2023

Le cœur du Sud

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Le cœur du Sud

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/southern-heartland

Récemment, la coopération avec les pays africains a suscité un intérêt croissant au niveau mondial. L'affaiblissement de l'autorité de l'Occident sur le continent peut être l'une des raisons de cette réorientation vers le Sud et l'Est. De multiples facteurs économiques, politiques, stratégiques et géopolitiques contribuent également à cette réorientation.

Ne vous laissez pas tromper par les cartes de la projection de Mercator : l'Afrique est nettement plus grande que l'Europe en termes de taille réelle. C'est un immense continent qui couvre plus de 20 % de la masse continentale de la Terre et qui compte 54 nations indépendantes. Il s'agit de vastes zones qui peuvent être utilisées pour l'agriculture, les gisements de ressources naturelles et le soutien politique, comme le vote aux Nations unies.

Ce continent a beaucoup souffert du colonialisme européen. Bien que l'Afrique ait donné naissance à de nombreuses civilisations anciennes et à des États puissants, tels que l'Égypte ancienne et l'Empire éthiopien (l'Abyssinie), les peuples du continent ont toujours souffert de l'oppression et de la domination extérieure. D'abord directement, puis indirectement. Tout le 20ème siècle a été consacré aux tentatives de nombreux pays de ce continent pour se libérer de la dépendance coloniale. Et la poursuite de cette lutte (déjà contre les chaînes du néocolonialisme) se poursuit encore aujourd'hui.

Il n'est pas nécessaire de vous rappeler que l'Eurasie possède une zone appelée "Heartland", l'axe géographique de l'histoire. Ces deux termes ont été introduits par le géographe britannique Halford J. Mackinder. Pour une raison ou une autre, beaucoup de gens oublient qu'il parlait également d'un second Heartland, l'île mondiale.  Par île mondiale, il entendait l'Eurasie et l'Afrique, reliées par la péninsule arabique. Contrairement au Heartland eurasien, il a proposé de l'appeler Heartland méridional en raison de sa place sur le continent africain. Il est certain qu'il a surtout parlé de la nécessité de contrôler le Heartland nord pour dominer l'Eurasie et, en fin de compte, l'île mondiale.

Et compte tenu de la manière dont les stratèges anglo-saxons élaborent leur politique étrangère, suivent leurs doctrines et leurs idées fixes, on comprend mieux pourquoi les États-Unis s'intéressent tant à l'Afrique. Le Southern Heartland pour être exact. Parce qu'en géopolitique mondiale, ces deux Heartlands ont des corrélations.

Selon Mackinder, le Southern Heartland s'étend du Soudan à la pointe ouest de la Gambie sur la côte atlantique et couvre la partie de l'Afrique située en dessous du Sahara jusqu'aux forêts tropicales qui s'étendent au niveau de l'équateur. L'extrémité nord-est du Heartland sud est constituée par l'Éthiopie et la Somalie, qui ont accès au Yémen, et il existe un passage à travers les steppes arabes vers le Heartland nord. Mackinder évoque certaines similitudes entre les deux massifs désignés en ce qui concerne la facilité des liaisons de transport, les réseaux fluviaux et les terres fertiles.

Il souligne notamment l'importance de la Syrie et de la Palestine historiques en tant que lien entre l'Afrique et l'Eurasie. Dans le contexte des conflits actuels en Syrie et dans la bande de Gaza, ainsi que des efforts déployés par les États-Unis pour maintenir leur contrôle sur la souveraineté libanaise et pour utiliser Israël comme mandataire en Asie occidentale, cela indique que Washington s'appuie toujours sur la formule Mackinder pour définir sa stratégie dans la région.

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Examinons maintenant la situation politique actuelle dans le South Heartland. En commençant par la partie orientale, nous découvrons des États confrontés à une crise ou à un conflit. Le Soudan, avec l'implication directe des États-Unis, a été divisé en deux parties, dont l'une est aujourd'hui en pleine guerre civile. Le Sud-Soudan a également connu des conflits et des affrontements interethniques. Le conflit dans le nord de l'Éthiopie a duré de 1961 à 1991 et a conduit à la formation de l'Érythrée. Cependant, après la reconnaissance de l'indépendance de ce pays en 1993, la guerre entre les deux États a éclaté. Plus récemment, en Éthiopie, un conflit interne a éclaté dans la province du Tigré. Les responsables de la Fédération ont accusé les États-Unis de soutenir les rebelles et les séparatistes. La Somalie a été confrontée à plusieurs conflits, ce qui a entraîné un état critique de son économie. Le dollar américain y est utilisé comme monnaie, ce qui indique clairement une dépendance vis-à-vis de l'extérieur. Seul Djibouti, après s'être libéré de la France, a réussi à devenir autosuffisant dans une certaine mesure. Cependant, il abrite des bases militaires des États-Unis, de la France, de l'Italie, du Japon et, plus récemment, de la Chine. Leur approche équilibrée des relations internationales a deux significations.

Ensuite, si vous vous déplacez vers l'ouest, dans le Heartland méridional se trouvent le Tchad, le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Le Tchad est en proie à des militants islamiques et l'une des opérations menées contre eux en 2021 a coûté la vie au président du pays. En octobre 2022, des émeutes ont eu lieu dans tout le pays. Au début de cette année, le gouvernement a nationalisé les actifs de la filiale d'Exxon Mobil. En outre, l'uranium est extrait dans le pays avec la participation de la société française Ogapo S.A., qui possède également des actifs au Niger, au Nigeria, au Gabon et en Namibie.  Actuellement, la France est toujours présente dans le pays et du personnel militaire français a récemment été transféré du Niger vers le Mali.

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Le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont récemment convenu de créer une Alliance des États du Sahel. Cette décision fait suite à des coups d'État militaires et à la quasi-expulsion des Français de ces pays. Malgré la menace des pays de la CEDEAO (à l'exception de ceux qui se sont retirés) de déployer des troupes au Niger, ils se sont finalement abstenus de le faire.

La Guinée, qui a un accès à l'océan et a connu un coup d'État militaire en 2021, a rejoint la nouvelle Alliance du Sahel.

Au Sénégal, pays voisin, le sentiment de rejet du colonialisme et de la France est également très fort. Le premier dirigeant de cette nation, Léopold Sedar Senghor, était l'un des défenseurs de la négritude, une philosophie politique qui soulignait le développement unique des peuples africains.

Nous constatons donc des problèmes fréquents dans le cœur méridional, et l'influence occidentale se manifeste par un néocolonialisme évident et une série d'installations militaires.

Les récentes prises de pouvoir par les militaires ont mis l'accent sur la libération nationale, et il est possible que cette tendance persiste en raison des forces extérieures qui s'efforcent de gérer les crises et de soutenir les gouvernements locaux.

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Mais le Rimland (zone côtière) de l'Afrique au nord est également directement lié au South Heartland. Par exemple, l'aide de la Libye a partiellement assuré la sécurité du Niger et du Tchad jusqu'en 2011. Cependant, une rébellion menée de l'extérieur a détruit la Jamahiriya libyenne, entraînant une guerre civile. L'effet domino a causé des problèmes avec les islamistes au Tchad et au Niger, mais aussi en Tunisie et en Égypte. L'Algérie a adopté une ligne politique stratégiquement correcte et continue de coopérer étroitement avec la Russie. Dans le même temps, les relations avec l'Espagne, qui recevait du gaz naturel de ce pays, se sont détériorées.

Dans le nord-ouest, il existe un triangle de contradictions entre la Mauritanie, le Maroc et l'Algérie sur le statut du Sahara occidental. L'Algérie soutient le Front Polisario, mais le Maroc contrôle le Sahara occidental, où se trouvent les plus grandes réserves de phosphate. Les habitants du Sahara occidental estiment que le phosphate leur appartient et qualifient d'illégales l'exploitation et la vente de ce minerai par le Maroc. D'ailleurs, Donald Trump a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en 2020 en échange de l'établissement de relations diplomatiques entre le Maroc et Israël. Tous ces facteurs affectent les pays situés en dessous du Sahara.

Si nous considérons la région située sous le Southern Heartland lui-même, la République centrafricaine se trouve plus près de l'équateur. À proximité se trouve l'un des géants du continent, la République démocratique du Congo, qui représente un grand potentiel. L'Angola, pays voisin, a également connu un développement rapide, même après le départ du Portugal. Aujourd'hui, la Chine investit dans le développement des infrastructures et de l'industrie dans ce pays. Dans l'ensemble, Pékin cherche à établir des centres de transport pour son projet "Belt and Road" et à s'assurer un accès aux ressources naturelles des pays africains.

La Russie est également une invitée de marque en Afrique. Cela s'explique principalement par l'héritage favorable de l'implication de notre nation dans l'élaboration du destin politique et économique de divers pays africains.

L'Afrique du Sud interagit avec la Russie dans le cadre des BRICS depuis de nombreuses années. À partir du 1er janvier 2024, le club s'élargira à l'Éthiopie, située en Afrique.

L'environnement politique en Afrique est en train de changer. Les perspectives extérieures changent et une pensée indépendante se développe, en fonction de la négritude, du panafricanisme, du socialisme africain et de l'humanisme africain. Une nouvelle tendance, l'afropolitanisme, est apparue et crée une identité transcontinentale. Il est clair que ce mode de pensée renvoie aux conditions nécessaires pour que l'Afrique devienne un acteur unique dans un monde aux puissances multiples.

vendredi, 27 octobre 2023

Un baril de poudre: la Libye, l'"Occident" et le flot de demandeurs d'asile

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Un baril de poudre: la Libye, l'"Occident" et le flot de demandeurs d'asile

Par Alexander Markovics

L'avertissement de Kadhafi à l'Europe

"Maintenant, écoutez-moi, peuple de l'OTAN ! Vous êtes en train de bombarder le mur qui a stoppé l'immigration africaine vers l'Europe, y compris les terroristes d'Al-Qaïda, ce mur était la Libye. Vous êtes en train de le détruire. Vous êtes des idiots et vous brûlerez en enfer pour les milliers d'immigrants venus d'Afrique et pour votre soutien à Al-Qaïda". (Muammar al-Gadaffi, président libyen 1969 - 2011)

Marée de l'asile : 700.000 personnes veulent passer de la Libye à l'UE

Ces paroles du leader de la révolution libyenne, Kadhafi, se sont avérées exactes. Depuis l'intervention militaire occidentale de 2011, la Libye est en proie au chaos. Des groupes armés se font la guerre et se partagent le pays, et l'EI s'est même implanté dans certaines régions. Une nouvelle guerre civile de 2014 à 2020 a finalement abouti à la division du pays: alors qu'à l'ouest du pays, centré sur Tripoli, les forces proches des Frères musulmans donnent le ton et sont soutenues par la Turquie, le général Khalifa Haftar, d'orientation nationaliste et laïque, qui bénéficie notamment du soutien de la Russie, règne sur l'est du pays. La tentative d'instaurer un gouvernement d'unité nationale a jusqu'à présent échoué en raison de la rivalité entre les deux camps. La Libye semble se désintégrer de plus en plus dans les zones tribales d'avant le règne de Kadhafi. Il manque encore un homme qui, comme Mouammar Kadhafi, pourrait unifier les tribus.

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Seul le second fils de ce dernier, Saïf-al-Islam, est considéré par les observateurs comme un candidat potentiel pour cette tâche - mais il doit craindre pour sa vie, car l'Occident s'en prendra à lui. Tout cela se passe dans un pays cinq fois plus grand que l'Allemagne, avec six frontières extérieures et une population d'à peine sept millions d'habitants. Environ 700.000 d'entre eux sont, en juillet 2023, des étrangers, dont une grande partie ne veulent utiliser la Libye que pour transiter vers l'Europe.

Le chaos en Libye : violence, trafic d'êtres humains, pauvreté

Aujourd'hui, le quotidien libyen est marqué par la violence, la traite des êtres humains, la pauvreté et la défaillance de l'État. Les fonctionnaires, par exemple, ne reçoivent pas leur salaire pendant des mois, les factures d'électricité et de gaz ne sont pas payées par de nombreux Libyens parce que personne ne les paie, et l'infrastructure se détériore. Le dernier exemple en date du déclin du pays est l'effondrement du barrage de Derna, qui a fait jusqu'à 20.000 morts. Mais en même temps, cet État d'Afrique du Nord est aussi une porte sur la Méditerranée et donc sur l'Europe. Par nécessité, de nombreux anciens employés de l'État ont profité de cette occasion pour se lancer dans le commerce de la traite des êtres humains, beaucoup plus lucratif pour eux.

C'est précisément ce chaos qui a rendu possible la crise des réfugiés de 2015, car l'île de Lampedusa se trouve non loin des côtes libyennes et constitue ainsi la voie d'accès à l'UE pour les masses africaines en détresse. Alors que sous Kadhafi, la Libye coopérait avec le gouvernement italien pour empêcher l'immigration vers l'Europe, toutes les digues ont cédé et le flot des demandeurs d'asile s'est déversé sur l'Europe depuis.

La route de la Méditerranée centrale: porte d'entrée en Europe, terrain de jeu des passeurs et des ONG allemandes

La route de la Méditerranée centrale est un facteur important dans ce contexte. Elle est considérée par les passeurs et les candidats à l'émigration comme la voie la plus sûre vers l'Europe - entre janvier et mi-juin 2023, "seulement" 662 personnes y ont trouvé la mort, et 368 autres sont portées disparues. Une traversée de la ville portuaire de Tobrouk vers les côtes italiennes coûte entre 460 et 1840 euros, selon que l'on souhaite utiliser un canot pneumatique surpeuplé ou un navire marchand pour la traversée, comme l'a révélé la Deutsche Welle dans un reportage de juillet 2023. Par le biais de médias sociaux tels que Tiktok, ils diffusent des vidéos de conditions prétendument paradisiaques en Europe, incitant ainsi des personnes de toute l'Afrique et du Moyen-Orient à émigrer. Associés à l'absence de pouvoir central étatique et aux passeurs de l'association allemande "Seenothilfe" déguisés en ONG, ils agissent comme des outils d'immigration massive vers l'Europe. Mais comment arrêter cette ruée vers l'Europe ?

En utilisant l'héritage de Silvio Berlusconi pour sortir de la crise migratoire ? L'approche de Giorgia Meloni

La Première ministre italienne Giorgia Meloni poursuit une solution possible au problème: début septembre, elle a reçu à Rome le gouvernement de l'ouest de la Libye reconnu par l'UE. Elle renoue ainsi avec l'héritage du "Cavaliere" Silvio Berlusconi qui, dans la tradition de la "Mare Nostrums" romaine, voulait à son tour lier étroitement à l'Italie les pays d'Afrique du Nord riverains de la Méditerranée, et en particulier l'ancienne colonie libyenne. Berlusconi a ainsi pu non seulement obtenir des sources d'énergie bon marché pour l'Italie, mais aussi réduire drastiquement l'immigration vers l'Europe. Meloni a une idée similaire en tête, même s'il faut malheureusement mentionner que cette atlantiste acharnée ne s'oppose qu'à l'immigration illégale, mais veut en revanche permettre davantage de routes migratoires légales vers l'Italie, y compris via l'Afrique du Nord. Elle veut que la Libye renforce les patrouilles le long de ses côtes, en échange de quoi elle a offert plus de bateaux et des formations pour leurs équipages. De même, face au conflit entre l'Occident et la Russie, elle cherche à obtenir de l'énergie supplémentaire d'Afrique du Nord et à faire de l'Italie la plaque tournante énergétique de l'Europe en matière de pétrole et de gaz. Bien sûr, elle n'a à sa disposition que la moitié occidentale de la Libye, qui souffre d'une instabilité chronique. Sans une autorité centrale en Libye, cette tâche est vouée à l'échec.

dimanche, 24 septembre 2023

La métaphysique de combat de Kémi Seba

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La métaphysique de combat de Kémi Seba

par Georges FELTIN-TRACOL

« Et si […] le salut de notre peuple aux quatre coins du monde passait tout simplement par l’éloignement définitif de l’Occident, ce de manière physique, psychique, métaphysique, afin de redevenir nous-mêmes ? » « Et si c’était cela, la décolonisation réelle ? ». Celui qui prône cette rupture radicale s’appelle Kémi Séba dans son nouvel essai, Philosophie de la panafricanité fondamentale (Éditions Fiat Lux, 2023, 198 p., 20 €).

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Né à Strasbourg en 1981, Stellio Capo Chichi s’intéresse très tôt au kémitisme qui exalte la civilisation égyptienne selon un tropisme négrocentré. Il s’inscrit dans une vision du monde ouvertement traditionnelle. Il oppose d’ailleurs le traditionalisme, « ensemble de modalités constituant une voie initiatique menant les êtres qui la suivent à la compréhension de la métaphysique, autrement dit : - la connaissance de l’Être suprême, - la connaissance du monde invisible, - le respect de la hiérarchie spirituelle, - l’homme avec la nature » à la coutume qui en serait son « altération ». « Maladie de l’ère moderne », « la coutume symbolise la quintessence du cérémonialisme (des manifestations clinquantes prétendument spirituelles, surtout réalisées pour nourrir l’ego ethno-culturel) ».

1259958_5.jpgSon interprétation des cycles historiques met en confrontation directe les Noirs qui appartiennent aux « populations primordiales » au monde moderne, manifestation implacable de l’actuel Âge de Fer. Les Blancs en sont le principal vecteur. L’auteur évoque leurs terribles ancêtres, les impitoyables Yamnayas, qui détruisirent de hautes civilisations noires, capables de se rendre en Amérique centrale. En s’établissant dans le monde entier, « les contre-valeurs occidentales sont devenues des valeurs universelles, normatives ». Kémi Séba entend au contraire libérer les siens de cette emprise. Si « le terme “ panafricanité “ […] renvoie à une unité des Africains et afrodescendants qui n’est pas à construire mais qui est, en soi, si l’on revient à la racine de nos êtres, un état de fait partout dans le monde », il adopte un raisonnement global qui concerne aussi bien les Africains et les Afro-Américains que les peuples noirs d’Asie (Aeta des Philippines, Andamanais du golfe du Bengale, Senang de Malaisie, Dravidiens du Sud indien et même Aïnous du Japon) et d’Océanie (les Salomoniens et les Aborigènes d’Australie). Ainsi en appelle-t-il à « l’unité métaphysique des peuples noirs » d’autant que « la matrice de l’humanité était le peuple négro-africain ». Il sait que son point de vue unitaire « fera forcément grincer des dents les ethnistes belliqueux, les tribalistes mentalement miséreux et autres fondamentalistes religieux haineux ». Sa conception du fait africain, voire de sa dimension intrinsèquement noire, ne correspond donc pas aux analyses de Bernard Lugan qui qualifie le panafricanisme d’utopie politique.

lafrique-libre-ou-la-mort.jpgLa métaphysique de l’histoire de Kémi Séba s’inspire de la théorie théosophique de l’histoire. Les théosophes, vilipendés par René Guénon, estiment que chaque cycle historique engendre sa propre « race-racine ». Dans le cadre du New Age des décennies 1990 – 2000, des occultistes occidentaux pensaient que la présence noire était antérieure à l’irruption de l’homme blanc. Ils estimèrent en outre que les Noirs de l’Âge de Bronze traditionnel étaient si violents qu’ils paient maintenant les conséquences (l’esclavage, par exemple) via leur karma collectif au cycle suivant : l’Âge de Fer.

Kémi Séba reprend aussi à son compte la thèse de la psychiatre afrocentriste Frances Cress Welsing (1935 – 2016) qui assure que « les Blancs seraient […] le fruit des populations noires originelles dont la peau aurait connu une maladie provoquant une dépigmentation sévère », d’où leur profonde négrophobie. Élucubrations isolées ? On lisait dans L’Express du 14 octobre 2021 sous la plume d’un certain Bruno D. Cot qu’« il y a encore 10.000 ans, nous étions noirs aux yeux clairs ». L’« Afropéen » serait par conséquent un Noir présent dès l’origine sur le sol européen. Pourquoi alors s’opposer aux migrants venus du Sud de la Méditerranée ? On remarquera que Kémi Séba n’aborde pas les peuples asiatiques jaunes et amérindiens rouges.

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De haut en bas: Frances Cress Welsing, Abdias do Nascimento et son ouvrage principal sur le "quilombismo".

L’auteur promeut le quilombisme du Brésilien Abdias do Nascimento (1914 – 2011) qui, dans sa jeunesse, s’engagea dans le mouvement intégraliste. Le quilombisme désigne « l’organisation communautaire, le redéploiement de la culture afro-brésilienne, en revalorisant l’endogamie communautaire, le solidarisme noir économique, la connaissance de soi ». Chaque groupe noir devrait former son propre quilombo. Ensuite, « tous les quilombos d’Amérique du Nord ou du Sud, d’Europe de l’Ouest ou de l’Est, du Proche-Orient, du Moyen-Orient, du Maghreb, d’Asie, d’Océanie devront être dans la dynamique de la panafricanité fondamentale, reliés au trône de notre peuple sur Terre qu’est le continent africain en vue de former un État fédéral ». En effet, le dessein final « est que puisse, à la place des 54 États et de toutes les diasporas noires, s’instituer un État fédéral de tous les peuples noirs qui s’intitulerait les “ Quilombos-Unis de Kemet “ (Kmt étant le véritable nom de l’homme noir) ».

Conséquent, Kémi Séba ne désire aucun « front de la Tradition ». Il convient en revanche que « nous devons parfois passer des alliances avec des entités pour qui nous pouvons éprouver de l’hostilité mais qui, pour X ou Y raison, ont le même ennemi que nous ». Ethno-différencialiste cohérent, le président de l’ONG Urgences panafricanistes affronte « le Système à tuer les peuples ». Ses objectifs tactiques peuvent se recouper de manière ponctuelle avec les initiatives des Européens identitaires et nationalistes-révolutionnaires les plus radicaux. Contrairement à ce que profèrent ces détracteurs qui le dépeignent en « suprémaciste noir », Kémi Séba est d’abord et avant tout un « primordialiste noir » d’Afrique.  

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 84, mise en ligne le 19 septembre 2023 sur Radio Méridien Zéro.

mercredi, 20 septembre 2023

La nouvelle carte de l'Afrique

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La nouvelle carte de l'Afrique

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/la-nuova-mappa-dellafrica/

L'Alliance du Sahel est née. Une entente militaire et politique entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger.

Peu en ont parlé. Mais c'est un fait... révolutionnaire.

La géographie de l'Afrique change. Rapidement. Et les cartes encore utilisées aujourd'hui, qui reproduisent en fait celles de la période coloniale, risquent de finir bientôt remisées au grenier.

L'équilibre de l'Afrique du Nord-Ouest, et de l'Afrique centrale, semble en effet figé. Arrêté au moment du colonialisme, notamment français, qui avait profondément mise en friche ces terres. Sans jamais vraiment lâcher prise.

En fait, la domination coloniale directe avait simplement été remplacée par un contrôle non moins étroit des ressources économiques, de la monnaie et des réserves d'or des pays issus du seul processus apparent de décolonisation. Elle a même maintenu une présence militaire directe. Cette présence a été renforcée par la volonté affichée de coopérer à la lutte contre le djihadisme islamique.

Le gouvernement est resté, nominalement, entre les mains de dirigeants locaux - parler d'élites serait absurde - hétéro-dirigés depuis Paris. Et, presque toujours, auto-référents et profondément corrompus. Incapables, à de rares exceptions près, de donner un sens national à des pays qui s'étaient constitués uniquement sur la base des frontières des anciens gouvernorats coloniaux. Sans aucun respect pour les différences ethniques, culturelles et religieuses des peuples.

Ces pays africains nous ont habitués, pendant des décennies, à de fortes tensions tribales. Et à une instabilité politique chronique, seulement partiellement masquée par des régimes personnalistes. Et, souvent, familiaux, comme celui, vieux de quarante ans, des Bongo au Gabon.

Tout cela, cependant, n'a jamais porté atteinte aux intérêts coloniaux. Et surtout sur ceux de la France, qui a continué à se nourrir sur le dos de ses anciennes (si l'on peut dire) colonies. À tel point qu'il n'est pas exagéré de dire qu'une grande partie de la richesse française provient de son empire africain.

Aujourd'hui, cependant, la situation est complètement différente. Cette nouvelle alliance sahélienne fragilise la CEDEAO, qui a toujours été un outil docile entre les mains de l'Élysée. Et elle ouvre des horizons totalement nouveaux.

Mais il n'y a pas que le conflit, pour l'instant latent, entre les alliés (subalternes) de la France et les rebelles. Toute l'Afrique semble être devenue une poudrière. Et les tentatives de l'Elysée pour détendre les relations tendues avec l'Algérie n'ont guère abouti. Cette dernière ayant publiquement déclaré son soutien au Niger et à la nouvelle Alliance.

Au contraire, cela a eu un effet boomerang. L'aliénation des relations avec le Maroc. Comme en témoigne le double camouflet infligé par Rabat à Macron. Le Maroc a d'abord refusé l'aide française lors du récent et tragique tremblement de terre. Il a ensuite refusé publiquement la visite officielle du président français et sa rencontre avec le roi Mohammed VI.

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Et puis le coup d'État au Gabon. Et celui, plus tard démenti mais manifestement tenté, au Congo. Où se jouent d'étranges jeux internationaux.

Car s'il est vrai que Moscou soutient la révolte des États du Sahel - avec également une présence de plus en plus évidente des SMP russes, dont la célèbre Wagner - même Washington ne semble pas mécontent de certains changements en Afrique centrale. A commencer, précisément, par le Gabon.

Une attitude qui révèle comment les Etats-Unis ont l'objectif mal dissimulé de remplacer Paris dans le contrôle d'une certaine région africaine.

L'Afrique est le nouveau théâtre privilégié du Grand Jeu. Un jeu entre puissances qui ne respecte aucun schéma préétabli. Pas d'alliances ou d'alignements formels. Un jeu dont il est très difficile, aujourd'hui, d'identifier clairement les lignes et les frontières.

Une certitude. La carte de l'Afrique évolue rapidement. Et la France est sur le point d'être expulsée du continent qu'elle considérait, hier encore, comme sa propriété.

mercredi, 06 septembre 2023

Gabon. Le dictateur déchu et les États-Unis

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Gabon. Le dictateur déchu et les États-Unis

Source: https://www.piccolenote.it/mondo/gabon-il-dittatore-deposto-e-gli-usa

Le général qui a mené le coup d'État au Gabon, Brice Nguema, s'est élu président par intérim du pays, affirmant qu'il y aura bientôt de nouvelles élections, une nouvelle constitution et les autres choses qui sont habituellement promises dans de tels cas. Dans d'autres notes, nous avons souligné, comme d'autres, que le coup d'État posait de nouveaux problèmes à la Françafrique et mettait fin à une dynastie de plus de dix ans, celle des Bongo, père et fils.

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Mais le chef de l'opposition unie, Albert Ondo Ossa (photo), qui a été battu lors des récentes élections remportées frauduleusement par Ali Bongo et annulées par les putschistes immédiatement après la publication des résultats, a déclaré qu'il s'agissait en fait d'une "révolution de palais, pas d'un coup d'État".

Il a expliqué à Al Jazeera que le général est un cousin d'Ali Bongo et qu'il a fait carrière avec lui, comme d'autres des putschistes actuels. "Je pense que la famille Bongo s'est débarrassée d'un de ses membres, qui faisait de l'ombre à la famille, parce qu'elle voulait que le pouvoir Bongo se perpétue en empêchant Albert Ondo Ossa d'accéder au pouvoir", a-t-il conclu.

Le dictateur déchu : l'homme des Etats-Unis en Afrique

Bref, une simple succession familiale, mais forcée. Une analyse qui n'est peut-être pas tout à fait lucide, car les putschistes ont agi après la défaite électorale - d'Ossa qui le reléguait de toute façon hors du pouvoir - et qui pourrait être entachée d'intérêt personnel, c'est-à-dire de pressions exercées sur la junte pour obtenir de l'espace. Mais il semble qu'il y ait un fond de vérité.

En fait, Fabio Carminati dans Avvenire raconte une histoire similaire, en ajoutant un détail : "Ainsi, dans la réalité africaine à l'envers, il peut arriver que la fille du président gabonais déchu Ali Bongo Ondimba, la députée Malika Bongo Pereira, félicite sur Facebook les putschistes qui ont renversé son père le jour même du coup d'État, le 30 août".

Plusieurs médias, tout en notant les similitudes avec le récent coup d'État au Niger, ont également établi des distinctions entre les deux. A Niamey, il y a eu une véritable percée, à Libreville, cela reste à voir. Mais il faut garder à l'esprit que même une révolution de palais peut ouvrir des espaces à la société civile, auparavant fermés, ou donner lieu à une politique étrangère moins sujette aux intérêts étrangers indus.

Ainsi, comme nous l'avons écrit dans les notes précédentes, l'avenir du Gabon reste incertain. Mais il y a encore quelque chose à découvrir sur le passé, et cela concerne les relations de l'autarque déchu, ou du dictateur selon le cas, avec le monde.

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S'il est vrai que le Gabon a entretenu des relations étroites avec l'ancien maître colonial français, qui les a utilisées pour ses propres intérêts, Alì Bongo a également eu d'autres protecteurs munificents, dont il devait évidemment servir les intérêts. Un article publié dans Monthly Review, un site inconnu du plus grand nombre mais qui se réfère à la documentation courante (et vérifiée), fait état de ces amis.

Dans cet article, il est question de la relation entre Ali Bongo et le président américain Barack Obama : "Le lien entre Obama et Bongo était si étroit que Foreign Policy a qualifié le dirigeant gabonais d'"homme d'Obama en Afrique"".

"Avec l'aide d'Obama, poursuit le site, Bongo a tenté de se présenter comme un réformateur modernisateur. Il s'est rendu à plusieurs reprises à Davos, en Suisse, pour assister au Forum économique mondial, où il a été nommé "contributeur à l'agenda". Toujours à Davos, il s'est engagé à accélérer la quatrième révolution industrielle en Afrique en développant des systèmes lucratifs d'identification et de paiement numériques au sein de la population plus que pauvre de son pays" [telle est l'hyperréalité du mondialisme, ndlr].

La biographie de M. Bongo sur le site web du WEF le qualifie de "porte-parole de l'Afrique pour la biodiversité" [...]. L'homme de la renaissance [africaine] autoproclamé a réussi à s'entendre avec Obama, à plaisanter avec Klaus Schwab et à toucher la chair de Bill Gates".

Le changement de régime en Libye et le prix de l'OTAN

Il n'y a pas que des plaisanteries et des attestations. Lorsque les États-Unis se sont lancés dans l'opération de changement de régime en Libye en 2011, "ironiquement justifiée comme un exercice de "promotion de la démocratie", grâce au soutien de Washington, le Gabon a été admis au Conseil de sécurité de l'ONU, où il a adhéré à toutes les résolutions américaines, qui ont d'abord imposé des sanctions contre la Libye et ensuite une zone d'exclusion aérienne" au-dessus de son ciel.

"L'esprit de coopération de M. Bongo lui a valu une visite à M. Obama à Washington quatre mois plus tard. Là, dans la résidence personnelle du président, il est devenu le premier dirigeant africain à demander à Kadhafi de quitter le pouvoir". Inutile de rappeler les désastres de cette intervention, dont nous payons encore aujourd'hui le prix en termes d'instabilité et de terreur qui sévissent en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne.

"[...] À peine un mois après sa réélection, qu'il a remportée en 2016 lors d'un scrutin controversé, Bongo a été rappelé aux États-Unis, cette fois par le Conseil atlantique parrainé par l'OTAN, pour recevoir le Global Citizen Award lors du gala de grande classe qui s'est tenu en 2016 à New York."

"Mais comme les doutes sur la fraude électorale persistaient dans le pays - étant donné que dans une région, il avait remporté 95% des voix avec un taux de participation de près de 100 % des électeurs - il a été contraint d'annuler le voyage."

"'L'Atlantic Council respecte la décision du président gabonais Bongo de renoncer à recevoir le Global Citizen Award en raison des priorités auxquelles il est confronté dans son pays', a annoncé le think tank dans un communiqué absurde publié sur son site internet."

Depuis quelques jours, les médias se déchaînent sur Alì Bongo et son régime, oubliant de dire qui sont ses nombreux amis internationaux qui le soutiennent depuis si longtemps, ceux que dans un appel dramatique le susnommé a appelé à "faire du bruit".

Quelqu'un devrait lui suggérer d'éviter de telles initiatives. Il risque d'inquiéter ses anciens amis qui, tombés en disgrâce, se sont empressés de le renier de peur que leur auguste nom soit juxtaposé au sien.

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Sur la photo, le président Barack Obama et la première dame Michelle Obama avec Ali Bongo Ondimba, président du Gabon, à la Maison Blanche en août 2014.

Les relations entre l'Italie et la Libye à l'époque Andreotti-Kadhafi

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Les relations entre l'Italie et la Libye à l'époque Andreotti-Kadhafi

S'appuyant sur les documents d'archives de l'homme politique romain conservés à l'Institut Luigi Sturzo, le livre, que nous recensons ici, décrit les relations entre Rome et le dirigeant libyen arrivé au pouvoir en 1969.

par Andrea Scarano

Source: https://www.barbadillo.it/110864-i-rapporti-tra-italia-e-libia-nella-stagione-andreotti-gheddafi/

Une analyse systématique des relations bilatérales entre États suppose un examen approfondi des facteurs qui influencent leurs principales lignes d'évolution dans le temps.

Les évaluations politiques, les besoins géostratégiques, les différends remontant au passé colonial et les intérêts économiques largement liés à la question de l'approvisionnement énergétique constituent le cœur du livre Andreotti, Gheddafi e le relazioni italo-libiche, publié en 2018 par la maison d'édition Studium et édité par Massimo Bucarelli et Luca Micheletta avec la contribution d'autres auteurs.

Se concentrant sur la documentation d'archives de l'homme politique romain conservée à l'Institut Luigi Sturzo, le volume décrit ses relations avec le leader libyen arrivé au pouvoir en 1969, identifiant entre des personnalités de tempérament opposé un point commun dans la foi monothéiste. 

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Les États-Unis et l'"obsession" libyenne

Dans un contexte d'instabilité croissante de l'espace méditerranéen (installation de missiles Pershing et Cruise sur la base militaire de Comiso, objet de récriminations à plusieurs reprises de la part de Kadhafi, qui ne cache pas son hostilité aux accords de Camp David, au dialogue entre l'Egypte et Israël, ce qui lui donne la volonté de se rapprocher "tactiquement" de l'URSS), la détérioration des relations entre les exécutifs de Washington et de Tripoli est déclenchée par l'aggravation du différend sur la souveraineté du golfe de Syrte.

L'embargo commercial et pétrolier a été le prologue de la décision de Reagan - soutenue par le consensus de la grande majorité de l'opinion publique, mais longtemps "incubée" en raison de désaccords internes au sein de son administration - de résoudre la question par la force, en soumettant les villes ennemies à des bombardements aériens au plus fort de l'opération El Dorado Canyon (1986), "justifiée" par des attentats terroristes antérieurs impliquant des citoyens américains sur le sol européen.  

Inquiète d'éventuelles représailles contre les bases américaines sur son territoire (ce qui s'est ponctuellement produit à Lampedusa sans conséquences fâcheuses), l'Italie s'est limitée - conformément au comportement des pays membres de l'Alliance atlantique et de la CEE, à l'exception évidente de la Grande-Bretagne - à approuver des sanctions diplomatiques, alors que l'image de Washington était fortement ternie par le scandale Iran-Contras. 

Bien que les auteurs reconnaissent la difficulté d'en établir la substance réelle, un canal diplomatique a été activé par l'ambassadeur américain auprès du Saint-Siège, William Wilson, qui a ensuite été contraint à la démission par le Département d'Etat. Convaincu que les désaccords et l'interruption des négociations provenaient du fait que l'intéressé s'adressait directement au Conseil national de sécurité, Andreotti - qui avait proposé une définition du litige à la Cour internationale de justice de La Haye, rejetée par les Américains - nota en privé la volonté de confrontation de Kadhafi, imprévisible mais pas "fanatique", contrairement à l'image qu'en donnaient les médias. 

L'affaire provoqua des frictions entre la Secrétairerie d'Etat et le leader démocrate-chrétien, conscient que Reagan ne voulait pas, délibérément, explorer une solution multilatérale à la crise (ce n'est pas par hasard qu'il boycotta la tentative maltaise d'organiser une conférence des Etats riverains de la Méditerranée centrale), mais plutôt affirmer la priorité de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme - un phénomène abordé sans trop d'hésitation en Libye - en les plaçant dans le cadre d'une véritable urgence nationale. 

Les relations italo-libyennes

L'examen de la politique italienne à l'égard de la Libye à partir des années 1970 reflète avant tout la nécessité de la recherche constante - bien que problématique - d'un point de convergence entre la solidarité atlantique et la sauvegarde des équilibres en Méditerranée, ces derniers étant étroitement liés à la question israélo-palestinienne.

Malgré les expulsions massives et la confiscation à grande échelle des biens de l'importante communauté italienne, les caractéristiques de la politique dite de la "double voie" apparaissent comme une propension à maintenir ouverte la confrontation avec un interlocuteur gênant, dans le sillage de la ligne substantiellement pro-arabe adoptée par Moro. 

Alors que la Rai, déterminée à reprendre par étapes forcées le contrôle de l'industrie énergétique nationale, obligeait les compagnies étrangères - de concert avec les autres pays membres de l'OPEP - à accepter l'augmentation du prix de référence du pétrole, la ratification des accords de coopération économique, scientifique et technologique répondait, du côté italien, à la nécessité d'obtenir des conditions avantageuses en matière d'approvisionnement, en garantissant à l'ENI le maintien des concessions qu'elle détenait et en lui permettant de se prévaloir de la production directe à l'étranger. Le différend sur les mécanismes de compensation, dans le secteur pétrolier, des crédits dus aux entreprises italiennes, périodiquement suspendus par le régime lors de fréquentes périodes économiques défavorables, a longtemps fait l'objet de débats. 

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Persuadé d'avoir affaire au "moindre mal" d'un pays non aligné, Andreotti fut confronté dès ses débuts de Premier ministre à l'attitude du colonel, plus enclin à l'ouverture par commodité que par conviction sincère et capable d'alterner flatteries et menaces, comme lorsqu'il conditionna la conclusion de certains accords pétroliers à la fourniture d'armes et d'autres équipements militaires.

Révélateurs de l'énorme difficulté d'archiver définitivement les scories du passé, les contentieux qui s'éternisent depuis des décennies confirment combien le chemin vers la normalisation des relations achevée par le traité d'amitié, de partenariat et de coopération d'août 2008 a été semé d'embûches.

Les demandes répétées de Tripoli pour la réparation des dommages matériels et moraux produits par l'Italie depuis 1911 - y compris ceux causés par les vieilles bombes de la Seconde Guerre mondiale, pour lesquelles Rome s'est engagée à coopérer au déminage - doivent être encadrées dans la stratégie visant à obtenir une règle de droit international condamnant le colonialisme; loin de boycotter sérieusement la recherche de coopération, le rais aurait ainsi satisfait ses ambitions de s'ériger en champion du mouvement panarabe dans les pays d'Afrique du Nord. 

Si des indemnités symboliques avaient déjà été prévues au titre de l'aide à la reconstruction dans l'ancien accord de coopération économique de 1956, la thèse selon laquelle les réparations résultant d'une domination coloniale illégitime ne constituaient pas un motif de transfert de ressources au profit des pays en développement était soutenue par l'universitaire Guido Napoletano, chargé par la Farnesina d'étudier la question sous l'angle du droit international. 

En revanche, l'épineuse affaire des réfugiés italiens rapatriés de Libye, qui, ayant obtenu ce statut légal en 1974, ont d'abord eu l'illusion de pouvoir être indemnisés par le colonel, plutôt prêt à attaquer une communauté surprise par le fait qu'une querelle idéologique désormais dépassée puisse s'enraciner avec virulence même en Italie, avec des accusations méprisantes de colonialisme et de fascisme, a été complètement occultée. Des réglementations inadéquates et des critères de procédure lourds, des estimations à la baisse des biens confisqués par les experts des différents ministères italiens et des indemnisations incomplètes en raison de l'inflation galopante ont facilité l'amnésie des gouvernements et de l'opinion publique. 

Des divergences importantes et des sensibilités différentes ont caractérisé les positions des principaux acteurs politiques: en tant que Premier ministre, Bettino Craxi a souvent mis l'accent sur l'aspect politique du terrorisme, minimisant le rôle éventuel de Kadhafi dans le processus de paix au Moyen-Orient, également pour maintenir une majorité solide dans laquelle les partis fortement caractérisés par un sens pro-atlantique (républicains et libéraux) revendiquaient une visibilité; Andreotti, pour sa part, a utilisé des tons plus critiques à l'égard des États-Unis, réitérant la nécessité de ne pas pousser l'OLP vers des positions extrémistes.

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Les épisodes du détournement du bateau de croisière Achille Lauro et de la crise de Sigonella qui s'en est suivie ont été largement minimisés: les tensions ont été largement dramatisées par Spadolini, à l'époque ministre de la Défense prenant parti pour les États-Unis et Israël, mais elles n'ont pas produit - malgré les clameurs des médias - de clivages destinés à durer, confirmant plutôt une approche différente sur la manière de se comporter à l'égard des pays arabes.

Les turbulences provoquées par certaines situations de crise (comme l'échec de la mission multinationale au Liban, à laquelle l'Italie avait également participé malgré les protestations de Kadhafi) et l'implication plus ou moins directe de membres des services libyens, d'abord dans les attentats terroristes palestiniens de Rome et de Vienne, puis dans ceux de Lockerbie et de Tenerè, ont déterminé l'isolement progressif de la Libye.

Malgré le blocage des relations avec l'Italie et la diffusion par les services anglo-américains d'informations selon lesquelles le régime (qui s'est ensuite rangé du côté de l'Occident pendant la guerre du Golfe) produisait des armes chimiques, Rome a favorisé la mise en place de structures de coopération telles que l'Initiative pour la Méditerranée occidentale. Ces tentatives devaient s'avérer éphémères puisque deux résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU sanctionnaient en 1992 le gel du trafic aérien, l'interdiction des ventes d'armes et l'expulsion des citoyens impliqués dans des actes de terrorisme, tandis que le rais tentait d'exploiter la médiation italienne avec la Grande-Bretagne et les États-Unis dans l'affaire de Lockerbie pour redonner de la vigueur aux relations bilatérales et tenter de se réintégrer dans la communauté internationale.

La Libye et le Saint-Siège : un pont pour la paix en Méditerranée

Andreotti s'est également taillé un rôle non négligeable dans le difficile et progressif processus de dialogue qui s'est concrétisé en 1997 par la reconnaissance de relations diplomatiques entre la Libye et le Saint-Siège. 

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Les auteurs reconstituent les liens d'amitié profonde avec le cardinal Sergio Pignedoli (photo), président du Secrétariat du Vatican pour les non-chrétiens, créateur des premières rencontres qui ont eu lieu à Tripoli entre des représentants de l'islam et du christianisme, ainsi que les phases de l'enlèvement du franciscain Giovanni Martinelli, libéré par la suite à Malte ; le rôle stratégique de l'île en tant que "pont de paix en Méditerranée" a en outre été parrainé par la Libye et surtout par l'Italie, sûre de l'importance de sa position géographique dans une perspective antisoviétique. 

L'action, probablement destinée à solliciter l'intervention du Vatican pour condamner les opérations que les Etats-Unis préparaient, n'était pas dirigée contre le gouvernement italien (l'ambassadeur Reitano a averti la Farnesina de l'intention de Kadhafi d'utiliser l'affaire pour retarder la restitution des passeports), mais contre des religieux individuels accusés de recueillir des informations pour le compte de services secrets étrangers non identifiés.

Le chemin de révision profonde du fondamentalisme islamique initié par le colonel et son désaveu progressif du califat ont encouragé les initiatives d'Andreotti et de Raffaello Fellah (homme d'affaires et réfugié juif de Libye), qui ont convergé dans le projet "Trialogue", une association d'éminents représentants des trois religions monothéistes engagés dans la lutte contre les conflits au Moyen-Orient. 

Bien structuré et riche en idées, l'ouvrage approfondit les mérites et les limites de l'action politique d'Andreotti (et en arrière-plan de toute la classe dirigeante de la Première République) sans trop céder à des tendances hagiographiques assez en vogue aujourd'hui, mais il est parfois alourdi par la superposition de thèmes analysés en même temps dans les différentes monographies. Le lien identifié entre les deux protagonistes, fondé sur une sensibilité commune au dialogue interreligieux avant le dialogue politique, apparaît faible, car il manque de débouchés immédiats et concrets.


Andrea Scarano

mardi, 05 septembre 2023

Le Niger renverse le néocolonialisme français

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Le Niger renverse le néocolonialisme français

Brecht Jonkers

Source: https://crescent.icit-digital.org/articles/niger-overthrows-french-neo-colonialism

Le renversement du gouvernement de Mohamed Bazoum au Niger, soutenu par la France, le 26 juillet, peut peut-être être comparé à la défaite de l'apartheid en Afrique du Sud il y a près de 30 ans. Bazoum n'était pas seulement président du Niger, mais aussi président de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont l'agenda est néolibéral. Sa cote de désapprobation auprès de la population nigérienne était très élevée.

Cela ne signifiait pas qu'il jouait un rôle particulier dans la constellation politique ouest-africaine. À bien des égards, Bazoum peut être considéré comme un représentant typique du courant politique dominant dans de nombreuses anciennes colonies françaises d'Afrique de l'Ouest.

Les critiques à l'encontre de son gouvernement portaient sur l'augmentation du coût de la vie, la persistance d'un niveau élevé de pauvreté et une incompétence flagrante. L'incapacité des dirigeants successifs de Niamey à réprimer l'insurrection wahhabite-takfiri menée par des groupes tels que Daesh et Al-Qaïda n'a fait qu'accroître le mécontentement de la population.

Lorsque le chef d'état-major Salifou Modi s'est rendu au Mali voisin en mars dernier et a convenu de mesures antiterroristes conjointes, Bazoum l'a rapidement limogé. Les mouvements anti-impérialistes antérieurs, en particulier le sentiment anti-français, ayant pris le dessus au Mali et au Burkina Faso, le Niger est devenu l'un des derniers piliers explicitement "pro-français" de la région, un pilier que la France, mais aussi les États-Unis, ont utilisé avec empressement dans la mascarade actuelle connue sous le nom de "guerre contre le terrorisme".

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Près de 1100 soldats américains et une véritable base de la CIA étaient stationnés au Niger au moment du coup d'État du 26 juillet. Cela a rendu la plupart des Nigériens furieux à un point tel que le nouveau commandant de la Garde présidentielle, le général Abdourahamane Tchiani, a dû intervenir.

Bazoum a été déposé et emprisonné. Le pouvoir au Niger a été confié à un nouveau gouvernement de transition, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).

Comme on pouvait s'y attendre, les grands médias occidentaux se sont déchaînés pour condamner la "prise de pouvoir militaire" au Niger. Ils ont tenté de pimenter les choses en soulignant le "rôle de Wagner et de la Russie" dans la fomentation de l'instabilité au Sahel, et en mettant en garde contre une "nouvelle instabilité" dans la région. La question est de savoir si une région ciblée par des insurgés wahhabites depuis des années, faisant plusieurs milliers de victimes civiles sous l'œil vigilant du "soutien militaire" de la France et des États-Unis, pourra jamais être qualifiée de "stable" ou de pacifique. Mais même cela n'est pas le cœur du problème.

La persistance du néocolonialisme français

Une grande partie de l'Afrique de l'Ouest en a assez du néocolonialisme français, du projet de "Françafrique" et du système monétaire du franc CFA qui lie les monnaies locales au franc français (et ensuite à l'euro) et à l'influence du Trésor français. Le Mali est malade de l'exploitation massive de son or par la France. Paris a accumulé 2 500 tonnes de réserves d'or sans une seule mine d'or en France alors que le Mali, avec environ 860 mines d'or opérationnelles, ne dispose que de 881 tonnes de réserves d'or. De même, le nouveau gouvernement de Niamey critique vivement la façon dont la France a profité de l'abondance d'uranium au Niger. Le "yellow cake" est très recherché par le marché français de l'énergie qui dépend du nucléaire pour plus de 71% de ses besoins.

L'histoire sanglante de la France en Afrique, y compris l'héritage impérialiste permanent, a perduré sur le continent même après l'"indépendance". Le néocolonialisme occidental, en particulier français, est tellement flagrant et connu que même les médias occidentaux ne peuvent pas le nier ou l'occulter. Ils avancent de vagues excuses telles que "la Russie n'est pas meilleure", "l'amélioration se profile à l'horizon" et, argument souvent entendu, "ce n'est pas la bonne méthode". "Ce terme signifie ici l'intervention de l'armée (ou des deux) ou le ralliement des masses dans les rues.

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Pour les experts européens, les habitants de la région du Sahel devraient simplement suivre la voie "civilisée" en copiant l'Europe. Ils devraient élire un homme politique qui négociera un avenir meilleur pour son pays, sans répercussions négatives pour les intérêts commerciaux occidentaux, bien entendu.

Condamner les développements révolutionnaires dans des pays comme le Mali, la Guinée, le Burkina Faso et le Niger comme de simples "coups d'État militaires", simplement parce que l'action directe de destitution de l'élite précédente a été entreprise par le personnel des forces armées, est une interprétation simpliste et naïve des événements.

Elle témoigne d'un manque de compréhension de la situation politique et de l'histoire récente de la région du Sahel en particulier, ainsi que du népotisme profondément ancré et de la stabilité fermement excluante et contrôlée par l'étranger de l'élite dirigeante qui a existé dans ces pays.

Se plaindre que "la transition du pouvoir devrait se faire démocratiquement" ne tient pas compte du fait qu'une transition démocratique était pratiquement impossible dans tous les pays susmentionnés. Les cliques au pouvoir dans des pays comme le Niger et le Burkina Faso ressemblent beaucoup à une forme d'aristocratie moderne, dans laquelle la possibilité de gravir les échelons dépend souvent de vos connaissances et des mains que vous graissez, plutôt que de ce que vous êtes ou de ce que vous pouvez faire.

La maxime "c'est un grand club, et vous n'en faites pas partie" s'applique à l'élite politique de ces pays, tout comme aux États-Unis. Aux États-Unis, les outsiders politiques n'ont aucune chance de "percer" dans le système, à moins de se vendre complètement. Et même ceux qui sont présentés comme des "outsiders", tels que Barack Obama et Alexandria Ocasio-Cortez, s'avèrent être soit des initiés de bas niveau depuis le début, soit ont été astroturfés et préparés depuis le début pour donner un semblant de revitalisation tout en gardant intact le cœur pourri du système.

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La situation dans une grande partie du Sahel est assez similaire. De toutes les anciennes puissances coloniales, c'est la France qui a adopté l'approche la plus pratique. À bien des égards, la France n'a jamais quitté ses anciennes colonies. Les bases militaires françaises parsèment toujours le paysage ; la France s'empare des réserves d'or et les stocke en Europe, et Paris contrôle la monnaie de ces pays par le biais du franc CFA, ne leur laissant aucune souveraineté financière.

La "transition démocratique" n'était tout simplement pas possible. Il n'y avait pratiquement aucune capacité à voter pour une alternative. Le système politique était rigide et truqué, sans parler du fait qu'il était très statique et qu'il offrait peu de possibilités de mobilité sociale verticale (c'est-à-dire une chance de "monter en grade" ou de "s'imposer" en partant du bas de l'échelle).

L'agitation autour du changement au Niger

L'Occident a fait grand cas de la prise de pouvoir militaire au Niger, et plus tôt au Mali et au Burkina Faso. On peut se demander pourquoi le coup d'État militaire en Égypte (sur le même continent africain), qui a entraîné le massacre de milliers de civils innocents, n'a suscité que peu ou pas d'intérêt. En Afrique, la mémoire de Thomas Sankara est encore fraîche dans l'esprit de nombreuses personnes. Il n'est donc pas surprenant que les Nigériens soient venus en très grand nombre pour soutenir le renversement de Bazoum.

Certes, leur accession au pouvoir ne s'est pas faite de manière "traditionnelle", occidentale, libérale et "démocratique". Mais la question peut être posée : est-ce particulièrement pertinent ? Le fait est qu'il n'existe pas de test décisif universellement applicable pour la légitimité d'un gouvernement dans le monde entier, même si les médias grand public et les élites politiques occidentales voudraient nous faire croire le contraire.

Il est étrange que la distance spatiale et la souveraineté culturelle ne soient pas traitées avec la même préoccupation légitime que la "distance" temporelle dans la politique contemporaine. Personne ne semble se soucier du manque de légitimité démocratique de figures historiques occidentales sacrées telles que Napoléon, Otto von Bismarck ou la reine Victoria, pour ne citer que trois personnages de l'histoire européenne relativement récente. Aucun d'entre eux n'a été élu selon les principes de la démocratie libérale et aucun ne s'est soucié de sauver les apparences. Mais cela ne semble pas avoir d'importance parce que "c'était une autre époque".

Il est vrai que les normes varient selon les époques, mais les crimes de la reine Victoria sont bien plus fondamentaux qu'un simple manque de représentation démocratique (la colonisation et l'asservissement de 23 % de la population mondiale étant un concurrent majeur). Toutefois, les experts politiques et les idéologues occidentaux contemporains semblent être beaucoup moins indulgents lorsqu'il s'agit de différences fondamentales dans la culture, l'histoire politique, la situation économique ou toute autre forme d'identité spécifique des différents pays.

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Les normes occidentales ne sont pas universelles

Ils ne se donnent même pas la peine d'expliquer pourquoi les autres sont censés s'attendre à un système politique presque identique dans des pays tels que les États-Unis, le Niger, le Venezuela, l'Iran ou la Russie. On peut supposer que l'opinion publique s'attend à une telle similitude politique comme une nécessité dogmatique, au sujet de laquelle aucune question n'est censée être posée. Si quelqu'un exigeait que tous les pays du monde partagent la même identité culturelle ou les mêmes croyances religieuses, il serait déclaré fou. Pourtant, exiger une telle quasi-uniformité et une suprématie unipolaire en termes de dimension politique est soi-disant considéré comme logique.

Cette attitude ridicule ne s'arrête pas là. L'impérialisme est hypocrite, unipolaire et expansionniste. L'insistance à copier les systèmes et valeurs "démocratiques" libéraux de l'Occident ne s'applique apparemment qu'aux opposants à la suprématie mondiale de l'Occident. Les alliés de l'Occident peuvent faire ce qu'ils veulent, comme le montrent les cas d'États et d'entités non démocratiques tels que l'Arabie saoudite et "Israël".

Pour en revenir au sujet qui nous occupe, il n'y a jamais eu de menace d'invasion de la CEDEAO ou d'intervention de l'OTAN lorsque le banquier du Fonds monétaire international Alassane Ouattara a violemment renversé le gouvernement de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire en 2010. Au contraire, la France et l'Ukraine ont participé militairement au renversement du gouvernement ivoirien, et la CEDEAO a fait pression pour que Ouattara soit reconnu comme président.

Le chouchou du cartel du FMI règne depuis lors sur la Côte d'Ivoire. Le fait qu'il ait réussi à se représenter et à remporter un troisième mandat lors d'une élection très controversée, bien que la constitution du pays ne le permette pas, ne semble pas déranger les élites de la CEDEAO, de la France ou des États-Unis. En retour, Ouattara s'est montré un atout fiable pour la France, en promettant que la Côte d'Ivoire enverrait des troupes pour attaquer le Niger si la CEDEAO décidait de poursuivre ses plans d'invasion.

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Dans le même ordre d'idées, il n'y a pratiquement aucune condamnation étrangère, que ce soit par la CEDEAO ou par l'Occident "démocratique", du président sénégalais Macky Sall, malgré sa décision d'interdire le deuxième parti du pays, le parti socialiste panafricain PASTEF, et d'emprisonner son dirigeant, Ousmane Sonko (photo). La répression meurtrière des manifestants de l'opposition qui a suivi, au cours de laquelle plusieurs personnes ont été tuées par la police, n'a pas non plus semblé déplaire au camp "pro-démocratie". À l'instar de son collègue ivoirien, M. Sall a également promis que les troupes sénégalaises participeraient à la lutte contre le gouvernement révolutionnaire du Niger.

Les discours sur la "démocratie" et les "droits de l'homme" dans les médias occidentaux, en particulier en ce qui concerne l'Afrique ou le monde islamique, ne sont que de la poudre aux yeux. Les élites néolibérales ne se soucient pas de la démocratie ou des droits de l'homme, leur principale préoccupation est le pillage et le profit.

Voler l'uranium du Niger

Le Niger est le septième producteur mondial d'uranium, responsable d'environ 5 % de la production mondiale de ce matériau nécessaire au fonctionnement des centrales nucléaires. L'essentiel de l'uranium nigérien est extrait par la société française Orano, dont l'État français est le principal actionnaire. Paris a donc un intérêt immédiat et très important dans l'économie du Niger, en particulier dans les mines à ciel ouvert d'Arlit, dans le nord-ouest du pays. Orano est également directement impliqué dans le développement d'une nouvelle mine à Imouraren, qui contiendrait l'une des plus grandes réserves d'uranium au monde.

L'exploitation de l'uranium par des sociétés françaises a lieu au Niger depuis 1968 et constitue un véritable trésor pour les marchés occidentaux. Il n'existe aucun droit du travail ni aucune réglementation environnementale. "En Occident, vous avez besoin d'une étagère remplie d'autorisations et de certificats. Au Niger, vous donnez à quelqu'un une bêche et deux dollars par jour, et vous exploitez l'uranium", écrivait le journaliste Danny Forston en 2010. La France a bien sûr promis à son ancienne colonie un avenir radieux grâce à ce nouveau "partenariat" entre Niamey et Paris.

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Depuis lors, on estime que 150.000 tonnes d'uranium ont été extraites du Niger par la seule société Orano (anciennement Areva). La mine d'Akuta a été fermée en 2021 en raison de l'épuisement complet du minerai. L'organisation caritative britannique Oxfam estime qu'un tiers des lampes en France fonctionnent grâce à l'énergie produite par l'uranium nigérien.

Les relations entre le Niger et Orano sont d'autant plus compliquées que l'entreprise publique bénéficie du soutien total de l'État français, avec toutes les implications militaires et de renseignement que cela implique. Il en résulte des "accords" très inégaux en faveur de l'entreprise, marqués par des exonérations fiscales extrêmement rentables.

L'exploration incontrôlée et non réglementée de l'uranium autour d'Arlit a entre-temps provoqué un désastre humanitaire et écologique. Plusieurs études menées dès 2003 par la Commission de recherche et d'information indépendantes sur les radiations (CRIIAD), basée en France, ont révélé que les niveaux de radioactivité de l'eau potable consommée par les travailleurs des mines locales dépassaient parfois jusqu'à cent fois les seuils de sécurité de l'Organisation mondiale de la santé. Une étude menée par Greenpeace en 2009 a révélé des résultats similaires, ainsi qu'une pollution toxique, dans cinq des six puits d'eau examinés. Un porte-parole d'Orano a qualifié ces résultats de "contamination naturelle".

Les conséquences médicales alarmantes d'une exposition quotidienne à un niveau de radiation 300 fois supérieur à la normale, détaillées dans un rapport d'enquête publié en 2017 par African Arguments, sont minimisées ou complètement ignorées par les prestataires de soins médicaux, ce qui n'est pas surprenant étant donné que la majorité des soins médicaux à Arlit sont fournis par l'entreprise Orano elle-même et que les professionnels de la santé sont ses employés.

Bien entendu, les gouvernements qui se sont succédé au Niger depuis 1968 portent également une grande responsabilité dans ces abus. C'est là que le néocolonialisme entre en jeu. Le Niger a été, du moins avant les récents événements révolutionnaires, un élément clé du projet néocolonial de la "Françafrique", dans lequel Paris a conservé un contrôle majeur sur ses anciennes colonies en Afrique. Dès le début de l'indépendance du Niger, des centaines de "conseillers" français sont restés à tous les niveaux du gouvernement. L'armée était composée exclusivement d'anciens membres des milices coloniales, et les officiers étaient souvent des Français qui avaient obtenu la nationalité nigérienne dans ce but précis.

Au total, 1500 soldats français et 1100 soldats américains sont toujours présents au Niger, bien que le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) ait officiellement mis fin aux cinq accords militaires conclus avec la France et ordonné le départ de toutes les troupes françaises pour le début du mois de septembre. Ces accords ont souvent été conclus sous la forte pression de Paris.

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Effet domino au Sahel

Il est clair que les récents développements ont pris la France complètement au dépourvu, 60 ans d'exploitation impitoyable de l'Afrique de l'Ouest semblant s'effondrer en l'espace de quelques années seulement. Mujtaba Rahman, directeur général pour l'Europe de la société de conseil Eurasia Group, est même allé jusqu'à qualifier les développements anticoloniaux au Niger, qui ont suivi les changements antérieurs au Burkina Faso et au Mali, de "théorie des dominos évidente pour le XXIe siècle".

Il convient de noter que le départ des troupes françaises du Niger ferait du Tchad le seul pays de la région stratégiquement importante du Sahel à maintenir une présence militaire française, bien que de plus petits contingents de troupes françaises soient toujours présents au-delà du Sahel, dans les États membres de la CEDEAO que sont la Côte d'Ivoire, le Gabon et le Sénégal.

Il reste à voir comment la situation au Sahel et dans l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest évoluera. Il est peu probable que la France prenne ces pertes avec élégance. L'élite française est pleinement consciente de sa dépendance totale à l'égard de l'Afrique et de l'exploitation parasitaire qu'elle en fait.

L'ancien président français Jacques Chirac avait déclaré que "sans l'Afrique, la France glissera vers le rang de troisième puissance [mondiale]", faisant écho aux paroles inquiétantes de son prédécesseur François Mitterrand selon lesquelles "sans l'Afrique, la France n'aura pas sa place au XXIe siècle".

La France peut avoir "besoin" de l'Afrique pour continuer à se faire passer pour une puissance mondiale. Mais le fait est que l'Afrique n'a pas besoin, et apparemment ne veut pas ou ne désire pas plus de liens avec la France dans l'ordre mondial multipolaire émergent.

Brecht Jonkers

samedi, 02 septembre 2023

La fantôme de Sankara

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Le fantôme de Sankara

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/il-fantasma-di-sankara/

Un fantôme erre dans le monde. Un fantôme inquiet, qui erre entre le Maghreb et les terres au sud du Sahara. Mais qui se manifeste aussi de plus en plus au Nord. En Europe.

C'est le fantôme de Thomas Sankara. Celui qui a donné son nom au Burkina Faso. Car avant, ce pays s'appelait simplement la Haute-Volta. Le nom que les colonialistes français avaient donné à cette terre. Et Burkina Faso signifie, dans la langue des Mossi, le "Pays des hommes debout". Un nom qui, à lui seul, illustre le programme que Sankara a tenté de mettre en œuvre entre 1980 et 1988. Certains le qualifient aujourd'hui de tiers-mondiste et de socialiste. En réalité, il s'agissait d'une tentative d'arracher le pays aux griffes de l'exploitation néocoloniale française. Et celle des multinationales occidentales.

Une tentative courageuse, payée de sa vie.

Un coup d'État hétéro-dirigé, puis l'assassinat. Et la "pratique Sankara" semblait définitivement archivée.

Mais, aujourd'hui, son fantôme est revenu hanter les terres abandonnées de l'Afrique subsaharienne.

Toute la ceinture du Sahel, l'ancienne (c'est le cas de le dire) Afrique française, est en ébullition. En fait, en révolte ouverte. Coups d'État militaires au Mali, au Burkina Faso, au Niger... et maintenant au Gabon. Le Tchad tremble. Au Nigeria, le vent de la guerre civile endémique souffle. Et même le Sénégal, jusqu'ici fidèle, commence à frémir.

Le plus grand soulèvement africain depuis l'époque coloniale est en cours. Il ne s'agit pas, comme une certaine presse voudrait nous le faire croire, de simples coups d'État. Il s'agit d'enjeux internes, de luttes tribales et familiales pour le pouvoir. Les soldats qui brandissent le drapeau de la révolte bénéficient partout d'un fort soutien populaire. Et ce sont, à ce jour, des soulèvements pacifiques. Sans effusion de sang. Mais toujours suivis de grandes manifestations populaires contre la présence française. Et contre la présence américaine...

Pour Paris, c'est un désastre. Et c'est aussi un désastre pour le reste de l'Europe, en particulier pour l'Allemagne. Par un inévitable retour de bâton.

De ces régions d'Afrique proviennent du pétrole, de l'or. De l'uranium. Des métaux précieux de toutes sortes. Pour ne citer qu'un exemple, le Gabon est le premier producteur mondial de manganèse. Sans lequel il est impossible de produire de l'acier.

Mais de ces immenses richesses, il ne reste presque rien dans les pays africains. Et ce peu va dans les mains des marionnettes qui gouvernent, manipulées par Paris et les multinationales.

Des hommes comme le président gabonais Ali Bongo. dont la famille est au pouvoir sans interruption depuis plus de cinquante ans.

Et voilà que l'Union européenne, y compris le ministère italien des affaires étrangères, a le culot de parler, ou plutôt de glapir, à propos d'un coup d'État qui a renversé un gouvernement "légitime et démocratique". Sic !

Sankara avait été le premier à tenter de briser cette chaîne qui asservit la ceinture du Sahel. Qui l'exploite. Et qui fait vivre plus de 80% de la population dans la misère et la dégradation, dans la faim.

C'était trop tôt. Le cadre international trop différent. Et hostile. Sankara a payé son pari de sa vie.

Mais il reste, dans les mémoires, comme le Bolivar de l'Afrique subsaharienne.

Aujourd'hui, la situation est pourtant totalement différente.

Et son fantôme est en train de devenir un cauchemar. Pour beaucoup, à Paris, à Washington et dans d'autres chancelleries occidentales.

"Pour aller loin, il faut marcher ensemble". La Chine et l'Afrique dans la vision de Xi Jinping

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"Pour aller loin, il faut marcher ensemble". La Chine et l'Afrique dans la vision de Xi Jinping

Luca Bagatin

Source: https://electomagazine.it/per-andare-lontano-andiamo-insieme-cina-e-africa-nella-visione-di-xi-jinping/

Lors du 15ème sommet des BRICS à Johannesburg, qui s'est tenu du 22 au 24 août, le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, a affirmé deux concepts importants.

Le premier : "Nous (les pays des BRICS) choisissons nos voies de développement de manière indépendante, défendons ensemble notre droit au développement et marchons en tandem vers la modernisation. Cela représente la direction du progrès de la société humaine et aura un impact profond sur le processus de développement du monde".

Le second : "Les règles internationales doivent être écrites et respectées conjointement par tous les pays sur la base des objectifs et des principes de la Charte des Nations unies, plutôt que d'être dictées par ceux qui ont les muscles les plus forts ou la voix la plus forte. Il est encore plus inacceptable de s'organiser pour former des groupes exclusifs et d'ériger leurs règles en normes internationales".

Soulignant ainsi que la tâche des BRICS est, entre autres, de "soutenir l'équité et la justice et d'améliorer la gouvernance mondiale".

Le président Xi a également fait l'éloge du continent africain, avec lequel la Chine entretient des relations de longue date, en déclarant qu'il est "un réservoir de sagesse simple mais profonde", rappelant un proverbe africain qui dit : "Si vous voulez aller vite, allez-y seul ; si vous voulez aller loin, allons-y ensemble".

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Les relations entre la Chine et l'Afrique remontent en fait aux années 60, à l'époque du Grand Timonier Mao-Tse Tung, qui, par l'intermédiaire du Premier ministre et ministre des affaires étrangères de l'époque, Zhou Enlai, a commencé à nouer des relations avec tous les pays africains qui cherchaient à se libérer du colonialisme occidental et à émanciper le tiers monde des impérialismes opposés des États-Unis et de l'Union soviétique.

Dès cette époque, Zhou Enlai énonce les principes cardinaux de la politique étrangère chinoise, fondée sur l'entraide: le bénéfice mutuel par la coopération commune, la non-agression et le respect de la souveraineté nationale. Ainsi, dès cette époque, la République populaire de Chine a commencé à construire des infrastructures en Afrique, à apporter une aide médicale et éducative et à garantir des prêts à faible taux d'intérêt.

Une stratégie poursuivie, après Mao et Zhou Enlai, par tous leurs successeurs et qui est à la base de la profonde amitié entre la Chine et l'Afrique.

Des réalités qui ont en commun d'avoir été la proie du colonialisme occidental, mais qui, cela vaut particulièrement pour la Chine, ont su se libérer de cette sujétion et s'émanciper à travers le socialisme et des formes de coopération pacifique.

Les études de la sinologue italienne Alessandra Colarizi et de l'universitaire américaine Deborah Brautigam sur les relations Chine-Afrique sont très intéressantes.

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mardi, 29 août 2023

États de la Corne de l'Afrique

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États de la Corne de l'Afrique

Suleiman Walhad

Source: https://katehon.com/ru/article/gosudarstva-afrikanskogo-roga

Pourquoi ils sont importants pour le monde

La mer Rouge, le détroit de Bab el Mandeb, le golfe d'Aden et la mer de Somalie constituent les principales voies maritimes utilisées par les nations les plus puissantes. Le Nil fournit la majeure partie de l'eau douce de l'Afrique du Nord-Est.

La région est l'un des principaux fournisseurs de viande de la péninsule arabique, en particulier pendant la saison du Hadj, au cours de laquelle des millions de bovins sont envoyés à l'abattoir dans le cadre de l'un des rituels les plus importants de l'islam.

Le long littoral de la région s'étend sur quelque 4 770 kilomètres, du sud de la mer Rouge à Ras Quiamboni, l'extrémité sud de la Somalie dans l'océan Indien, et recèle un potentiel considérable en matière d'économie bleue, ce qui ajoute à la valeur et à l'importance de la région pour les principales puissances régionales et mondiales.

Sans surprise, cinq des six pays qui seront admis au sein des BRICS en 2024 sont liés à la région : l'Éthiopie, l'Égypte, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l'Iran. Tous se caractérisent par d'importantes ressources, qu'elles soient actuellement exploitées ou en cours de développement dans un avenir pas si lointain. La richesse actuelle de l'ensemble de la région et des cinq pays mentionnés comprend, entre autres, du pétrole et du gaz, un vaste marché et une base manufacturière importante. Le potentiel de la région se cache également, comme nous l'avons vu précédemment, dans les vastes étendues de l'économie bleue: les plages blanches accueilleront le tourisme international, la pêche, les minéraux et les sources d'énergie renouvelables telles que l'énergie éolienne, solaire, géothermique et hydroélectrique. En outre, un tiers des réserves mondiales d'uranium ont été découvertes dans la région.

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La Corne de l'Afrique dispose également de vastes terres cultivables et de beaucoup d'eau douce sous forme de précipitations, de rivières et de lacs. Des cultures locales telles que le café, le teff (une céréale sans gluten), l'enseta (un type de banane) et d'autres sont développées dans la région. Parmi les avantages de la région, citons une population jeune et nombreuse et une grande variété d'oiseaux, de faune et de flore. La région exporte une quantité importante d'encens vers de nombreux marchés, y compris le Vatican.

Avec tous ces atouts et ressources, un climat varié et une superficie d'environ 1,9 million de kilomètres carrés, la région de la Corne de l'Afrique est vraiment importante pour le monde et les dirigeants doivent utiliser cette richesse pour un développement autonome au lieu de chercher de l'aide auprès des ONG et des organisations des Nations unies qui, malgré leur présence dans ces pays depuis plus de trente ans, n'ont pas amélioré d'un iota la situation dans la région. En fait, beaucoup pensent que leur présence est à l'origine de la plupart des conflits dans ces pays.

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Il y a quelques années, les pays de la région ont commencé à se rapprocher, mais l'opposition des parties intéressées par le maintien des conflits s'est manifestée, ce qui a causé davantage de problèmes, principalement liés à la concurrence ethnique pour le pouvoir. En effet, d'autres blocs commerciaux tels que la Communauté de l'Afrique de l'Est semblent avoir persuadé certains pays de la Corne de l'Afrique d'abandonner leurs alliés naturels et de rejoindre la paix swahilie. La Somalie avait déjà commis l'erreur d'adhérer à la Ligue arabe, à laquelle elle n'appartient pas. Il semble que le pays soit sur le point de commettre à nouveau une erreur similaire en rejoignant un autre groupe avec lequel il n'a pas grand-chose en commun. La cohésion naturelle des États de la Corne de l'Afrique (Somalie, Éthiopie, Érythrée et Djibouti), ou "pays SEED", s'en trouve affectée. Ces quatre pays ont des populations similaires, des racines historiques similaires et une coopération traditionnelle entre les hautes terres et les basses terres.

L'économie de la région devrait croître à mesure que sa population augmente et que les investissements de son importante diaspora et d'autres parties prenantes augmentent. On s'attend également à ce que la nécessité d'une présence dans la région contraigne les pays à revenu élevé et moyen à tirer parti des possibilités offertes par la région dans la plupart des activités économiques, qu'il s'agisse de l'éducation, de la santé, de l'industrie manufacturière, du commerce, des services portuaires et, bien sûr, du tourisme.

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Un domaine à ne pas négliger est le développement de l'économie et de la technologie numériques, dans lequel les jeunes de la région sont appelés à jouer un rôle important. Notez que l'économie somalienne est pratiquement dépourvue d'argent liquide et qu'au fil des ans, d'autres pays de la région devraient suivre cet exemple. Les riches ressources minérales de la région comprennent de nombreux éléments nécessaires aux nouvelles technologies, tels que le cuivre, le lithium, le cobalt et les terres rares. La région possède également d'importantes réserves d'or, d'uranium, de platine et d'autres minéraux. Cela devrait placer la région au premier rang des investissements, à condition que les dirigeants de la région soient capables de gérer les conflits tribaux et ethniques, et que les dirigeants soient capables de travailler ensemble plutôt que l'un contre l'autre en premier lieu.

Cette collaboration permettrait à la région d'entretenir des relations internationales, économiques, commerciales et politiques communes avec d'autres régions et pays du monde. Cela devrait permettre à chaque pays de gérer plus facilement son espace, son économie et sa population, et donc de favoriser un développement durable et inclusif. Cela permettrait sans aucun doute d'éliminer ou au moins de minimiser la concurrence ethnique pour le pouvoir. Les luttes de pouvoir ethniques du type "c'est mon tour maintenant" seraient éliminées des mélodrames politiques de la région.

lundi, 28 août 2023

Niger : ethnosociologie et géopolitique

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Niger : ethnosociologie et géopolitique

Katehon

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/niger-etnosociologia-e-geopolitica?fbclid=IwAR2hEeAj_1QidUMPVA4qPeBK7gDoVd2Jew5vw9PFStj43yc1GH1tnBKiQV8

L'une des grandes questions mondiales des prochaines semaines est la possible intervention de la France et de ses alliés au Niger. Cette invasion, si elle a lieu, se fera sous la bannière de la CEDEAO, la communauté économique ouest-africaine dominée par des éléments pro-français. L'État du Niger lui-même est étroitement lié à de nombreux pays, de sorte que les conséquences d'une invasion pourraient entraîner une réaction en chaîne dans la région.

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Ethnosociologie du Niger

L'État du Niger a une histoire et une structure ethnique et géopolitique complexes. Sa population est composée de plusieurs groupes ethniques: les Berbères touaregs au nord, les Haoussa de la branche nilo-saharienne mélangés aux Fulbe nilo-congolais au sud-est, et les Jerma, également de la branche nilo-saharienne, les Songhai, qui jouent un rôle important. Les ethnies nomades du nord du Niger - Kanuri, Tihishit et Tasawak - appartiennent au même groupe nilo-saharien.

Pendant la période coloniale, le territoire a été brutalement conquis par la France et incorporé à l'Afrique occidentale française. Mais bien avant les colonisateurs français, des entités politiques distinctes et même des empires existaient sur le territoire.

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Les Songhaïs : les Jerma

Les peuples de langue Songhaï (dont le Jerma fait partie) ont créé l'Empire Songhaï aux 15ème et 16ème siècles, qui s'est étendu aux États du Mali, du Niger et du Nigeria. L'empire Songhaï a succédé à l'empire du Mali et est devenu l'hégémon de l'Afrique de l'Ouest pendant un certain temps.

L'État Songhaï s'est construit dans le bassin du fleuve Niger (cours supérieur et moyen), à partir duquel il s'est étendu dans les deux directions, d'abord au nord et au sud, puis, après Gao, à l'ouest et à l'est.

Les sultans du Maroc ont conquis l'empire Songhaï en 1591. Par la suite, le Songhaï est devenu l'une des principautés régionales, au même titre que de nombreuses autres.

L'empire Songhaï était fondé sur une stratification rigide et formalisée des castes, qui a survécu à l'ère coloniale et a été maintenue par les Jerma, les Dendi et d'autres peuples jusqu'à aujourd'hui.

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Les sociétés des peuples Songhai se composaient de trois castes strictement endogames. La première comprenait les personnes libres - les chefs (Zarmakoi des Jerma), les propriétaires de troupeaux (éleveurs) et les propriétaires de terres (agriculteurs). La strate supérieure de ce groupe endogame, lui-même subdivisé en une série de clans et de sous-castes endogames, était constituée des descendants de Sonni Ali, aujourd'hui considérés comme un type particulier de prêtres et de faiseurs de miracles (sohanche). Le deuxième groupe était constitué des employés (artisans, forgerons, musiciens, poètes). Enfin, le troisième groupe était celui des esclaves.

Les esclaves étaient une catégorie héréditaire et les descendants des esclaves devenaient esclaves à leur tour. Cependant, après quatre générations, les esclaves pouvaient prétendre au statut de personne libre. Dans le même temps, la caste dépendante ne pouvait pas changer de statut.

La différenciation des castes chez les Songhai est associée à un patriarcat prononcé et stable, ce qui constitue une différence significative par rapport à la stratification des castes chez les Berbères, qui présente certains parallèles avec les Songhai, mais conserve des liens avec d'anciens modèles matriarcaux qui, dans le cas des tribus Songhai (Jerma, etc.), sont totalement absents. La proximité avec les Berbères pourrait conduire à l'échange de certains éléments culturels, mais le patriarcat nilo-saharien original des Songhai est un trait distinctif de leur peuple.

Il est révélateur que la structure des huttes Jerma - rondes et à toit pointu - reproduise entièrement la forme des maisons nilotiques, ce qui démontre non pas tant l'origine orientale des Songhai que l'unité du type culturel. Parallèlement, la société Jerma est désormais sédentaire et la majorité de la population se consacre à la culture des céréales, à l'entretien des arbres fruitiers et à l'horticulture, avec une pratique de l'élevage largement développée.

Les membres de la classe supérieure des Jerma considèrent qu'il est de leur devoir de posséder un cheval, signe de leur appartenance à l'aristocratie militaire. Les Jerma sont belliqueux et ont de tout temps mené des raids contre les peuples voisins, s'emparant du bétail et réduisant les captifs en esclavage pour les utiliser dans l'agriculture ou les vendre sur les marchés d'esclaves. Le commerce des esclaves était une institution économique traditionnelle chez les Songhai, ainsi que chez les Berbères et les Arabes voisins.

Le peuple Jerma a joué un rôle important dans l'histoire de l'État du Niger moderne. Par exemple, le premier président du Niger après l'indépendance était le Jerma Amani Diori (1916-1989). En 1974, il a été renversé par un coup d'État militaire par un autre Jerma, Seyni Kuntche (1931-1987), qui est devenu président du Niger et l'est resté jusqu'à sa mort.

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Salou Djibo (photo, ci-dessus), qui a mené un coup d'État en 2010, était également un Jerma.

Aujourd'hui, les Songhaïs - Jerma et autres - ne représentent que 21 % de la population du Niger. Néanmoins, ils contrôlent les principaux processus politiques.

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Les Haoussas

Les Haoussas, comme les Jerma, appartiennent à la famille des langues nilo-sahariennes. Historiquement, les Haoussas sont étroitement liés au groupe ethnique nomade nigéro-congolais, les Fulbe (ou Fulani), largement répandus en Afrique de l'Ouest, qui ont été une force précoce et majeure dans la propagation de l'Islam parmi les peuples négroïdes.

Le territoire habité par les Haoussas en Afrique de l'Ouest est parfois appelé "Hausaland". Dans l'Antiquité, les Haoussas disposaient d'un réseau de cités-états développées, liées par la langue, la culture et le commerce. La majeure partie du Hausaland se trouve aujourd'hui au Nigeria, mais un pourcentage important de Haoussas constitue la population du Niger voisin.

Les légendes haoussas font remonter leurs origines au plateau de l'Aire, dans le centre du Niger. Plusieurs groupes ethnographiques de Haoussas s'appellent eux-mêmes par le nom d'états qui ont existé ou existent (sous forme traditionnelle). Ainsi, les Haoussas du Niger comprennent les Gobirawa (cité-État de Gobir, le souverain traditionnel est le Sarkin de Gobira, qui vit sur le territoire du Nigeria), les Katsinawa ou Maradawa (État de Katsina, le souverain est le Sarkin de Katsina, exilé par les Fulbe à Maradi), les Damagarawa (sultanat de Damagaram), les Daurawa (État de Daura), les Konnawa (ville de Birnin-Konnie), les Aderawa, les Mauri et d'autres encore.

Au début du 19ème siècle, la plupart des cités-états du Hausaland ont été conquises par une armée islamiste Fulbe ("Jihad Fulani") dirigée par Usman dan Fodio et incorporées au califat de Sokoto. Les cités-états de Maradi et de Damagaram étaient situées en territoire nigérien. Après les conquêtes d'Usman dan Fodio, les Haoussas ont commencé à se déplacer en masse sur le territoire de l'actuel Niger.

Les Haoussas sont un peuple sédentaire qui se consacre à l'agriculture, à l'artisanat et au commerce. Aujourd'hui, les Haoussas constituent la majorité de la population nigérienne (55%). Ils vivent dans le sud du pays, le long de la frontière avec le Nigeria, de Dogonduchi à l'ouest à Zinder à l'est. Les Haoussas sont également nombreux dans les régions de Tahoua et de Niamey.

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Le président du Niger, Mahamadou Issoufou (photo, ci-dessus), qui a gouverné de 2011 à 2021, était d'origine haoussa.

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Les Fulbe

Autre grand peuple d'Afrique de l'Ouest, les Fulbe, au Niger, sont étroitement mêlés aux Haoussas et la plupart des Fulbe nigérians parlent la langue haoussa. Dans les sociétés haoussa-fulbe, le groupe ethnique Fulbe tend à former une noblesse, le Toronkawa (au Nigeria).

Socialement et culturellement, les Fulbe ne font qu'un avec les Haoussas. Cela dit, la plupart des Fulbe sont répartis sur une vaste zone de l'Afrique de l'Ouest, allant de la Mauritanie, de la Gambie, du Sénégal et de la Guinée au Cameroun et au Soudan.

Traditionnellement, la société Fulbe comprend trois castes : les dirigeants, les Rimbbe ; les intellectuels, gardiens de l'héritage culturel, les Ninbbe ; et les esclaves, les Jayabbe.

Les Fulbe sont des nomades et des pasteurs qui considèrent l'intérieur aride de l'Afrique de l'Ouest comme leur territoire, indépendamment des frontières nationales. Certains Fulbe vivent aujourd'hui dans des zones urbaines.

Ils représentent 8,5 % de la population du pays.

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Le premier président Fulbe du Niger fut Mamadou Tandja (photo, ci-dessus) (1938-2020).

Les Touaregs

L'ouest du Niger et, plus généralement, le nord de l'État sont traditionnellement habités par des membres d'un autre peuple non nigérien, les Touaregs.

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Les Touaregs sont nomades et vivent dans tout le Sahara : la moitié nord dans le sud-ouest de la Libye et le sud-est de l'Algérie, et la moitié sud dans l'ouest du Niger, l'est du Mali et le nord du Burkina Faso. Le territoire occupé par les Touaregs est comparable à celui d'un grand État africain. Les Touaregs sont l'un des peuples berbères les plus archaïques, qui a conservé les coutumes et les traditions les plus anciennes. En particulier, aujourd'hui encore, les Touaregs interdisent aux hommes d'exposer leur visage. Les femmes touaregs ne se couvrent pas le visage. Les femmes jouissent d'une position privilégiée dans la société touareg ; le système de parenté est matrilinéaire et matrilocal. De nombreuses décisions importantes dans la société sont prises par la mère du chef (aminokal), qui jouit d'une grande autorité. Malgré la propagation de l'islam et la pratique de la polygamie, le mariage touareg est strictement monogame.

Les Touaregs ont conservé l'ancienne langue berbère, le tamashek, et un système d'écriture particulier, le tifinag, basé sur l'ancienne écriture libyenne.

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En raison de leur mode de vie essentiellement nomade et pastoral et de leurs modèles sociopolitiques non verticaux, les Touaregs n'ont jamais eu leur propre État, mais ont activement résisté à l'intégration dans d'autres systèmes politiques existants. Les Touaregs ont traditionnellement dominé les sociétés sédentaires adjacentes aux zones touaregs, les attaquant régulièrement, leur imposant un tribut et les réduisant en esclavage (les Touaregs ont une caste spéciale d'esclaves, les forgerons Inclans et Ineden, qui sont ethniquement différents des Touaregs eux-mêmes et qui sont composés de Noirs). Une partie des Touaregs pratique la culture à la houe. Les Touaregs se caractérisent également par l'habitude d'élever des chèvres, une caractéristique des anciennes cultures matriarcales.

Lors de la création de l'Afrique occidentale française, ce sont les Touaregs qui ont opposé la résistance la plus farouche aux Français, ce qui a culminé avec la rébellion touarègue de 1916-1917. Les Touaregs n'ont pu être persuadés de reconnaître l'autorité française qu'en soudoyant les chefs de certaines tribus influentes.

Après l'indépendance des pays du Maghreb et de l'Afrique centrale, où les Touaregs représentaient un pourcentage important de la population, le modèle traditionnel de l'équilibre ethno-sociologique au Sahara et le rôle des Touaregs dans cet équilibre ont commencé à changer rapidement. Le mode de vie des Touaregs s'en est trouvé affecté, l'intensité de leur influence a diminué et les structures séculaires des relations avec les peuples voisins ont été perturbées.

Peu à peu, des concepts de nationalisme touareg sont apparus. Il s'appuie sur des précédents historiques. Ainsi, au Niger, les Touaregs ont créé le sultanat d'Agadez en 1449. En 1500, il est conquis par l'empire Songhaï, mais retrouve son indépendance en 1591. Le sultanat est florissant au 17ème siècle. Les Français l'ont conquis en 1900, mais les Touaregs ont résisté pendant quatre ans et n'ont jamais reconnu la légitimité de la domination française.

Dans les régions occidentales du Niger, les Touaregs sont traditionnellement forts et représentent une grande partie de la population.

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Dans les années 1990, les Forces armées touarègues du désert du Sahara ont été créées au Niger. Ce groupe s'est rebellé en 1990 et a poursuivi ses actions militaires contre le gouvernement jusqu'en 1995, après quoi une trêve a été conclue. Les Touaregs ont repris leur lutte contre le gouvernement nigérien en 2007 sous la forme du Mouvement nigérian pour la justice, auquel se sont joints des groupes antigouvernementaux du peuple Fulbe (famille nigéro-congolaise) et des nomades Toubou (famille nilo-saharienne). Le chef du Mouvement nigérian pour la justice est un Touareg, Agali Ag Alambo (photo, ci-dessus).

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Entre 2007 et 2009, des troubles touaregs ont éclaté non seulement au Niger, mais aussi au Mali voisin, car les Touaregs habitent également les territoires contigus de ces deux États. Par conséquent, la rébellion armée touareg au Niger a également impliqué les Touaregs maliens, en particulier l'un des hommes politiques et chefs de guerre les plus influents, Ibrahim ag Bahanga (photo, ci-dessus).

En 2012, les Touaregs ont profité du coup d'État au Mali pour proclamer la création de l'État indépendant de l'Azawad sur le territoire du même nom. La capitale de cette région est Tombouctou. Les Touaregs ont par la suite assoupli leurs exigences, acceptant l'autonomie et de larges pouvoirs au sein du Mali. C'est au Mali que le nationalisme touareg s'est manifesté le plus clairement, car les Touaregs constituent la principale population du nord du pays, mais en termes politiques, ils ne sont pas bien représentés au niveau de l'État.

Au Niger actuel, les Touaregs représentent 9% de la population et vivent principalement dans le nord du pays, dans la région d'Agadez (du nom de l'ancien État) et dans la vallée du Niger. Il est important de noter que les Touaregs du Niger forment une seule et même communauté avec les Touaregs du Mali, de l'Algérie et de la Libye voisins.

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La géopolitique du Niger

En 2021, Mohamed Bazoum (photo, ci-dessus), un homme politique entièrement dévoué aux Français, d'origine arabe et originaire du Fezzan, proche de l'ancien président Mahamadou Issouf, auquel il a succédé, devient président du Niger.

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Le 26 juillet 2023, Mohamed Bazoum est renversé par les forces armées nigériennes dirigées par le général de brigade Abdurahmane Tchiani (photo, ci-dessus), issu d'une ethnie haoussa.

Les rebelles capturent Mohamed Bazoum et l'accusent de corruption et de favoriser la France coloniale. En même temps, les rebelles ont proclamé une voie de rapprochement avec les régimes antifrançais et anticoloniaux du Mali et du Burkina Faso, orientés vers un monde multipolaire et favorables à un rapprochement avec la Russie.

Pour la France, le Niger est une source importante d'uranium. Paris est extrêmement préoccupé par sa sécurité énergétique, qui a été maintenue depuis un demi-siècle aux dépens de ce pays le plus pauvre d'Afrique. Au centre de la zone naturelle du Sahel, les régions septentrionales du Niger revêtent une importance géostratégique. C'est notamment une route caravanière pour le transport de l'or, de la drogue, des armes, de la main d'œuvre illégale et des groupes terroristes qui déstabilisent l'ensemble de l'Afrique. Par exemple, la drogue arrive en Europe via le Niger et les régions du nord du Mali, où les Français empêchent les autorités locales d'entrer depuis 2013. Dans la même région, Agadez accueille une base militaire américaine dotée d'un aérodrome pouvant accueillir des avions de transport militaire.

Ni les États-Unis ni la France n'ont l'intention de retirer leurs troupes du Niger. Du moins, aucune déclaration officielle n'a été faite en ce sens. Toutefois, l'expérience du Mali voisin suggère que la présence des militaires français pourrait être remise en question après la consolidation du nouveau gouvernement.

La possibilité d'une intervention militaire de la France et de ses alliés au Niger demeure.

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Outre le rétablissement du président "légitime" Bazoum, la situation sécuritaire pourrait servir de prétexte à une intervention. Après le renversement du président pro-français, les djihadistes de l'État islamique, interdits en Russie, sont devenus plus actifs au Niger. Dans le même temps, l'ancien chef rebelle touareg Rissa Ag Boula (photo, ci-dessus) a annoncé la création du "Conseil de résistance pour la République" (CRR) et le début de la lutte contre l'armée nigérienne. Les rebelles touaregs se sont manifestés ces dernières années tant en Algérie qu'au Mali, ce qui a coïncidé avec la détérioration des relations de ces pays avec la France.

L'intervention militaire de la France et de ses alliés, si elle a lieu, s'accompagnera de tentatives de déstabilisation de la zone sahélienne en utilisant les facteurs touaregs et djihadistes. Les groupes peuls et touaregs servent actuellement de base aux mouvements extrémistes dans la région, notamment l'État islamique au Grand Sahara, une branche d'ISIS interdite en Russie, et une coalition de groupes loyaux à Al-Qaïda (JNIM), également interdite en Russie, dirigée par l'ancien nationaliste touareg Iyad Ag-Ghali. Cependant, même en l'absence d'intervention, des forces extérieures pourraient chercher à fomenter l'instabilité au Niger, avec le risque d'une escalade des tensions dans l'ensemble du Sahel, où les mêmes populations et les mêmes groupes transfrontaliers opèrent.

L'intervention de l'OTAN en Libye en 2011 n'a pas seulement porté atteinte à l'intégrité territoriale du pays pendant une décennie, en le transformant en un bastion de l'extrémisme et de la criminalité. Les Touaregs déplacés de Libye par les forces de Mouammar Kadhafi sont devenus la force derrière le soulèvement dans le nord du Mali en 2012, qui a ensuite été rejoint par les djihadistes. La déstabilisation de la Libye a fini par déstabiliser le Sahel et les actions de la France contre les djihadistes ont renforcé les groupes séparatistes locaux, qui pullulent au Mali et au Niger. En cas de tentatives de déstabilisation et d'ingérence dans les affaires du Niger, auxquelles s'opposent les puissances régionales que sont le Mali, le Burkina Faso et l'Algérie, il faut s'attendre à ce que le conflit dégénère en une guerre majeure au Sahel. Cela affectera à son tour la situation dans toute l'Afrique de l'Ouest et du Nord.

En théorie, la menace peut être éliminée si le Niger se tourne vers de nouveaux partenaires. De toute évidence, il pourrait s'agir de la Russie et de la PMC "Wagner", qui ont fait leurs preuves en RCA et au Mali. Cependant, la Turquie tente également de s'implanter activement dans la région. Ankara développe des liens avec des pays qui soutiennent le Niger face à une éventuelle intervention - le Mali et le Burkina Faso - et s'est déjà opposée à une intervention au Niger. Il est à noter que le Burkina Faso est un important consommateur de produits militaires turcs.

dimanche, 13 août 2023

La rébellion africaine contre l'Occident

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La rébellion africaine contre l'Occident

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2023/08/08/afrikan-kapina-lantta-vastaan/

Comme l'a révélé le sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg, l'Afrique redevient un continent important et une arène pour les jeux géopolitiques. La Russie, elle aussi, abandonne son eurocentrisme d'antan et, comme si elle respectait l'héritage soviétique, se tourne à nouveau vers l'Afrique.

La longue relation de la Russie avec les pays africains n'a pas été oubliée. En 1960, l'Union soviétique a fondé l'Université de l'amitié entre les peuples, qui offrait un enseignement supérieur aux étudiants des pays qui avaient obtenu leur indépendance de la domination coloniale. Le bastion académique soviétique de la "puissance douce" devait former la nouvelle élite africaine.

Aujourd'hui, nous assistons enfin à une situation dans laquelle les puissances occidentales de l'ère coloniale sont repoussées hors d'Afrique par les Africains eux-mêmes. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont aujourd'hui en première ligne des critiques occidentales, mais d'autres pays devraient suivre au fur et à mesure que le temps passe et que l'influence de l'Occident dans la région continue de s'éroder.

L'Afrique, toujours considérée comme un puits sans fond pour l'enrichissement personnel de l'élite dirigeante occidentale, sera-t-elle enfin capable de décider de son propre destin et d'utiliser ses propres ressources naturelles pour développer la civilisation africaine ? La vision de Mouammar Kadhafi d'une Afrique forte et indépendante se réalisera-t-elle ?

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Comme l'a dit le capitaine Ibrahim Traoré (photo), 35 ans, qui a pris le pouvoir au Burkina Faso par un coup d'État militaire, sa génération s'est demandé comment l'Afrique, avec tant de richesses, est devenue le continent le plus pauvre du monde, dont les dirigeants sont obligés d'aller mendier à l'étranger ?

Traoré connaît probablement la réponse à sa question rhétorique, car l'état actuel des choses est en fin de compte la faute des cercles financiers internationaux et des familles puissantes qui ont cherché à tout posséder sur la planète, quelles qu'en soient les conséquences.

Les officiers militaires qui ont déposé les régimes fantoches "démocratiques" soutenus par l'Occident dans divers pays ont invoqué les mêmes raisons pour justifier leurs coups d'État. Ils ont agi parce qu'ils étaient préoccupés par la montée du terrorisme et le sous-développement social et économique chronique de leur pays d'origine.

Le Sahel, par exemple, est l'une des régions les plus riches du monde en termes de ressources naturelles telles que le pétrole, l'or et l'uranium, mais c'est aussi l'une des plus pauvres sur le plan économique. Le Niger est un autre exemple frappant : il est l'un des principaux exportateurs d'uranium au monde, mais il se classe régulièrement au bas de l'indice de développement humain en termes d'espérance de vie, d'éducation et de niveau de vie.

Aux yeux des nouveaux dirigeants de ces anciennes colonies et de leurs partisans, la France porte une grande responsabilité dans cette situation. Ce coin d'Afrique, anciennement connu sous le nom colonial de Françafrique, a continué à exercer son influence sur ses anciens postes avancés, remplaçant la domination coloniale directe par des formes plus subtiles de contrôle néocolonial - avant tout, la monnaie.

Bien que la décolonisation de l'Afrique ait conduit à l'adoption de monnaies nationales par les pays africains, la France a réussi à persuader la plupart de ses anciens sujets d'Afrique centrale et occidentale de conserver une monnaie coloniale, le franc CFA ("CFA" signifie à l'origine Colonies françaises d'Afrique, puis Communautés financières d'Afrique).

Lorsque plusieurs pays ont tenté d'abandonner le système CFA, la France a fait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher le passage aux monnaies nationales. Les relations entre la France et ses vassaux en Afrique étaient basées sur l'intimidation, les campagnes de déstabilisation, les coups d'État et même les assassinats par le pays européen anciennement colonisateur. Les mêmes tactiques ont bien sûr été utilisées en Afrique par d'autres pays occidentaux, tels que la Grande-Bretagne et les États-Unis.

À la lumière de l'histoire, il ne faut pas s'étonner que les dernières juntes militaires africaines aient choisi la France comme principale cible de leur colère. L'"impérialisme monétaire" occidental a empêché le développement des économies africaines et les a maintenues sous le contrôle d'une élite égoïste dominée par la France et d'autres puissances occidentales.

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Comme pour souligner ce passé, au Mali, le chef militaire actuel, Assimi Goïta (photo), a expulsé l'armée française, rompu les relations diplomatiques et même interdit le français comme langue officielle. Au Burkina Faso, le jeune leader révolutionnaire Ibrahim Traoré a également expulsé les troupes françaises et interdit plusieurs exportations.

Cette jeune génération en colère pourra-t-elle achever le processus de décolonisation entamé dans les années 50 et 60 en Afrique francophone ? Outre l'indépendance politique (et le retrait des bases militaires occidentales), la souveraineté économique serait également nécessaire.

Les régimes militaires bénéficient encore d'un soutien populaire, car ceux qui ont été élus lors d'élections "démocratiques" se sont révélés être des marionnettes occidentales corrompues qui ont cherché à maintenir le statu quo et l'absence de souveraineté tout en s'enrichissant.

La nouvelle liberté ne sera pas facile à obtenir. Déjà, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) - une alliance politique et économique de quinze pays africains soutenue et financée par l'Occident - menace d'intervenir au Niger, éventuellement par la force ; en effet, les armes économiques de l'arsenal occidental ont déjà été déployées et des sanctions ont été imposées au Niger. La célèbre figure de proue de l'élite occidentale, Victoria Nuland, s'est également rendue au Niger.

Pour sa part, le régime militaire nigérien a averti que toute intervention militaire étrangère dans le pays conduirait à un "bain de sang". Les régimes militaires du Mali et du Burkina Faso ont tous deux exprimé leur soutien au nouveau gouvernement nigérien.

Le coup d'État au Niger menace également le projet de construction d'un gazoduc de 13 milliards de dollars reliant les gisements de gaz du Nigeria voisin à l'Europe, qui passerait directement par le Niger. Avec la décision prise l'année dernière par l'Union européenne de couper le gaz russe, ce projet est probablement plus urgent que jamais.

L'Occident prend donc note des liens de la Russie avec les régimes militaires et Poutine a déjà été accusé de ce nouveau rebondissement. Assiste-t-on à une nouvelle "guerre régionale par procuration" en Afrique, où la Russie et la société de mercenaires Wagner, par exemple, soutiendraient le Niger (ainsi que le Burkina Faso et le Mali), tandis que l'Occident inciterait les pays de la Cedeao à faire la guerre aux rebelles ? L'alliance militaire de l'OTAN sera-t-elle impliquée ?

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Bien que le drapeau russe ait été brandi dans les rues du Mali, du Burkina Faso ou du Niger - comme une sorte de symbole de l'anti-occidentalisme - les événements récents trouvent leur origine dans les injustices historiques et la volonté locale de changer de cap. Ainsi, l'intimidation et la complaisance de l'Occident ne risquent pas d'aller bien loin, mais ne feront que renforcer la détermination à rompre avec les anciens maîtres coloniaux.

Lorsque les politiques agressives de l'Occident ne seront plus acceptées en Afrique, cela créera-t-il les conditions d'une nouvelle vague de souverainisme ? Alors que les contours du nouvel ordre économique mondial se dessinent, l'Afrique, avec ses marchés dynamiques, ses vastes richesses naturelles et ses nouveaux dirigeants critiques à l'égard de l'Occident, doit également être prise en compte.