jeudi, 12 décembre 2024
«L'Incertitude Internationale de 2025». Les hypothèses d'Alexandre Douguine
«L'Incertitude Internationale de 2025». Les hypothèses d'Alexandre Douguine
Alexandre Douguine
Voici les thèses de mon discours à la conférence de MGIMO intitulée «L'Incertitude Internationale de 2025».
Dans l'ordre mondial contemporain, plusieurs niveaux d'incertitude (indétermination) sont identifiables :
- 1) Incertitude de la transition de phase entre l’unipolarité et la multipolarité
Il est difficile de dire avec certitude si nous vivons déjà dans un monde multipolaire ou si nous sommes toujours dans un monde unipolaire. Le concept heideggérien de "noch nicht" (« pas encore ») s’impose ici comme une problématique philosophique aiguë.
La multipolarité est en pleine ascension, tandis que l’unipolarité est en déclin. Cependant, l'agonie de l’unipolarité pourrait être fatale.
Les récentes attaques désespérées – et parfois réussies – des globalistes contre la Russie (en Ukraine, Géorgie, Moldavie, Roumanie, Syrie) montrent qu’il est prématuré de reléguer l’unipolarité au passé. Le dragon du globalisme est mortellement blessé, mais toujours vivant.
Kenneth Waltz, Robert Gilpin et Fabio Petito.
Dans les relations internationales, la bipolarité a été théorisée par Kenneth Waltz, qui, même après l’effondrement de l’URSS, voyait la Chine comme un second pôle. L’unipolarité a été conceptualisée par Robert Gilpin, tandis que la multipolarité a été esquissée par Samuel Huntington et Fabio Petito.
- 2) Incertitude sur la description théorique de la multipolarité
Qu'est-ce qu'un « pôle » ? S'agit-il d’un État souverain (comme dans le système westphalien et le réalisme classique) ? Ou bien d’une civilisation ? Mais dans ce cas, quel est le statut politique d’un concept à la fois culturel et religieux ?
Le spécialiste chinois des relations internationales Zhang Weiwei propose la notion d’État-Civilisation. Cette notion est également utilisée par le président Vladimir Poutine et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Un État-Civilisation est une civilisation (dotée de valeurs traditionnelles développées et d’une identité forte) organisée comme un super-État, capable d’attirer des constellations de peuples et d’États partageant une même vision civilisationnelle.
Cependant, aujourd’hui, le terme « pôle » ou « centre » (dans un cadre polycentrique) est compris différemment selon les contextes :
- Des États (grands et indépendants),
- Des civilisations (politiquement non intégrées),
- Et des États-Civilisations à part entière.
Actuellement, il existe quatre États-Civilisations achevés :
- L’Occident collectif (NATO-land),
- La Russie,
- La Chine,
- L’Inde.
D’autres civilisations, comme celles du monde islamique, africain et latino-américain, existent également, mais elles doivent encore s’intégrer en super-États. L’Occident pourrait aussi se diviser en Amérique du Nord et en Europe. Une civilisation bouddhiste est également potentiellement envisageable.
À cette incertitude conceptuelle s’ajoute l’ouverture du processus de transformation des civilisations et des États en États-Civilisations, ainsi que la question des frontières (frontiers). Ce dernier point est crucial pour l’élaboration de la théorie du monde multipolaire. Une frontière est une zone de chevauchement entre deux ou plusieurs civilisations, où des États souverains de petite taille peuvent exister ou non. Les frontières relèvent ainsi de cette deuxième incertitude.
- 3) Incertitude liée à Trump et sa stratégie
Donald Trump est peu enclin à accepter la multipolarité, étant partisan de l’hégémonie américaine. Cependant, il la conçoit de manière radicalement différente des globalistes qui ont dominé les États-Unis ces dernières décennies (démocrates et républicains confondus).
Les globalistes associent la domination politico-militaire, la supériorité économique et une idéologie libérale fondée sur l’imposition des valeurs anti-traditionnelles à tous, y compris aux États-Unis. Cette hégémonie n’est pas celle d’un pays, mais d’un système idéologique libéral international.
Trump, en revanche, insiste sur les intérêts nationaux des États-Unis, soutenus par des valeurs traditionnelles américaines. Il s’agit donc d’une hégémonie conservatrice de droite, idéologiquement opposée à l’hégémonie libérale de gauche (Clinton, Bush Jr., Obama, Biden).
Les conséquences du trumpisme sur les relations internationales restent imprévisibles. Cela pourrait accélérer la multipolarité ou, au contraire, la freiner.
Conclusion : Les incertitudes de 2025
En 2025, nous serons confrontés simultanément à ces trois niveaux d’incertitudes. Ainsi, il convient de donner au terme « incertitude » un statut conceptuel autonome et polysémique, essentiel pour une compréhension correcte des processus mondiaux.
19:09 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, alexandre douguine, année 2025 | | del.icio.us | | Digg | Facebook