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mercredi, 17 juillet 2024

Ce qui ne tue pas Trump...

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Ce qui ne tue pas Trump...

Alexander Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/chto-trampa-ne-ubivaet

La tentative d'assassinat de Trump était tout à fait prévisible. Il ne fait aucun doute que tout a été organisé par les mondialistes avec l'appui de la partie de l'État profond qui les soutient. Le seul moyen de maintenir le grand-père fatigué etdétraqué au pouvoir était de tuer Trump, qui, autrement, gagnerait presque certainement les élections dans les circonstances actuelles. Le tireur (après qu'on l'a laissé tirer une dizaine de fois) a été éliminé par un sniper des services secrets pour solder les comptes. En gros, on peut dire qu'il y a eu une tentative de coup d'État aux États-Unis.

Le chef du GUR ukrainien, Boudanov (reconnu comme terroriste en Russie), admet ouvertement que les services ukrainiens ont tenté à plusieurs reprises de mener des attaques terroristes contre Poutine. En Slovaquie, on a tenté de liquider le Premier ministre Fico, qui s'oppose toujours à tout soutien à la junte nazie de Kiev. Aujourd'hui, on assiste à une tentative d'assassinat de Donald Trump, qui, soit dit en passant, est très critique à l'égard de Zelensky et de son régime. Tel est le vrai visage de l'hégémonie et du monde unipolaire: toute personne qui s'oppose au mondialisme, qui se met en travers de son chemin, est d'abord soumise à la diabolisation (par le biais des outils de la cancel culture abolitionniste), puis à l'élimination physique. Et les meurtriers et les terroristes, les criminels et les auteurs de génocides, qui sont au service des mondialistes, sont présentés comme des combattants de la liberté et des "victimes innocentes". La propagande de Kiev ne manquera pas d'affirmer que "Trump s'est lui-même tiré une balle dans l'oreille", et les médias mondialistes, où tout est construit sur des mensonges cyniques et brutaux, laisseront entendre quelque chose dans ce sens.

Il ne fait aucun doute que la responsabilité de la tentative d'assassinat de Trump, le favori dans la course à la présidence américaine, incombe à la faction d'Obama, de Blinken, d'Hillary Clinton et finalement de Biden à peine conscient, qui a déjà averti que "la liberté est au-dessus de la démocratie", ce qui signifie que la démocratie et ses lois sont dorénavant suspendues, mises au rencart. Au nom de la "liberté" (de gouverner et de continuer à gouverner), on peut tuer. Le libéralisme devient enfin totalitaire avec tous ses traits caractéristiques - jusqu'à l'assassinat direct des politiciens indésirables.

L'architecture du pouvoir dans le monde change radicalement: de la seule puissance de l'Occident, on passe à une répartition de la puissance dans le monde sur plusieurs pôles. C'est ce que signifie la multipolarité. Trump représente les États-Unis comme l'un des pôles - bien que le plus fort et le plus puissant - d'un monde multipolaire. Les mondialistes se moquent des États-Unis comme de n'importe qui d'autre. Ce dont ils ont besoin, c'est d'un pouvoir planétaire, soit le pouvoir absolu d'un capital supranational. Et tous les pays, y compris l'Amérique et l'Europe elles-mêmes, ne sont que des outils dans la création du gouvernement mondial. Trump est pour l'Amérique et contre le gouvernement mondial. Tout comme Poutine est pour la Russie, Xi Jinping est pour la Chine, Modi est pour l'Inde, et Orban, Fico, Marine Le Pen et l'AfD sont pour l'Europe.

Un monde multipolaire est un système de souverainetés. Les mondialistes veulent le seul pouvoir planétaire, qui leur est tombé dans les mains avec l'effondrement du Pacte de Varsovie et l'effondrement de l'URSS, qui leur échappe aujourd'hui et auquel ils s'accrochent frénétiquement. Les mondialistes se sont finalement tournés vers des tactiques de terreur directe. Il s'agit d'un fait accompli et non d'une série de coïncidences. Il est temps de riposter au réseau mondialiste.

Tucker Carlson m'a dit à Moscou que Trump craignait sérieusement d'être assassiné par les mondialistes. Il s'avère que cette inquiétude n'était pas pour rien. Plus Joe le sénile sombre dans le marasme de la sénescence, plus il est probable que Trump risquera de se faire assassiner. C'est déjà le cas. Des gens sont morts, des gens ont été blessés. Que Dieu sauve l'Amérique et toute l'humanité de la bande criminelle des libéraux et des mondialistes. Si nous ne les arrêtons pas maintenant, ils nous détruiront tous.

vendredi, 12 juillet 2024

Modi et Poutine définissent le profil de l'axe Moscou-Delhi

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Modi et Poutine définissent le profil de l'axe Moscou-Delhi 

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/modi-e-putin-stanno-definendo-lo-scheletro-dellasse-mosca-delhi

Modi et Poutine définissent le profil de l'axe Moscou-Delhi, l'une des structures de soutien les plus importantes de l'ordre mondial multipolaire.

Bharat (alias l'Inde) est une civilisation-état. La Russie-Eurasie est un autre État-civilisation. Il est essentiel de clarifier les relations entre eux - sur le plan géopolitique, économique et culturel.

Aujourd'hui, nous apprenons tous à penser de manière multipolaire, dans le cadre d'un système non linéaire.

Empiriquement, je suis arrivé à une hypothèse: pour qu'un système multipolaire soit stable, chaque pôle ne doit pas avoir plus d'un adversaire principal. Si, pour nous, l'adversaire principal est l'Occident, tous les autres pôles doivent être des alliés. Tous les autres doivent construire leurs alliances de la même manière. Seuls ceux qui prétendent à l'hégémonie mondiale et cherchent à établir un modèle de domination unipolaire peuvent se permettre d'avoir plus d'un adversaire, mais c'est ce qui causera leur perte.

D'un point de vue pragmatique, il est important pour l'hégémon que les autres pôles aient plus d'un adversaire et il est souhaitable que l'Occident lui-même n'en ait pas. Il est souhaitable que l'Occident lui-même n'en fasse pas partie. De cette manière, il sera facile de contrôler ce pôle.

L'Inde a des problèmes avec la Chine et, dans une moindre mesure, avec le monde islamique (par l'intermédiaire du Pakistan, mais pas seulement). C'est ce qui pousse l'Inde vers un rapprochement avec l'Occident, envers lequel l'Inde a cependant aussi des comptes à régler (héritage du colonialisme) ; il faut donc que l'Inde réfléchisse plus clairement à la logique du multipolarisme et la Russie, avec laquelle l'Inde n'a pas la moindre contradiction, est en mesure de l'y aider.

La Russie se trouve aujourd'hui sur la ligne de front de la guerre avec l'hégémon, de sorte que la construction du multipolarisme et la promotion de sa philosophie deviennent naturellement notre mission.

mercredi, 10 juillet 2024

Instagram et l'idéologie libérale

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Instagram et l'idéologie libérale

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/instagram-e-lideologia-liberale

Nous sommes très proches du point de non-retour pour le libéralisme, non seulement en Russie, mais aussi dans le monde entier. Sans une catastrophe, les élites libérales ne seront plus en mesure de maintenir leur pouvoir sur l'humanité. L'échec de Biden lors du récent débat avec Trump est un symptôme très significatif. Il en va de même pour les succès des populistes de droite en Europe, où Orban est en train de devenir une figure symbolique importante.

En Russie, franchement, il n'y a toujours pas eu de purge pour nous débarrasser des libéraux parce que pratiquement rien n'a été demandé à personne. Ceux qui se sont enfuis, d'accord, mais ils peuvent toujours revenir. Quelque part dans les hautes sphères du pouvoir en Russie, il y a un blocus qui empêche encore les réformes patriotiques attendues depuis longtemps.

De l'extérieur, on a l'impression qu'elles ont déjà été faites et que tous les vrais dirigeants du monde veulent être comme Poutine, s'assimiler à lui. Mais de l'intérieur, et en particulier au sein des élites, les choses sont loin d'être aussi simples. Il y a une attente de paix et l'état d'esprit suivant:  "pour l'argent, oui". Cette tendance n'a pas été inversée et la philosophie d'Instagram domine toujours, au mépris des valeurs traditionnelles.

En Russie, c'est comme si deux mondes existaient : celui de l'héroïsme militaire, qui paie le prix du sang, et celui de la Ville. Deux planètes différentes.

En proportion, bien sûr, on évolue vers l'héroïsme, mais le blocage le plus puissant contre les nécessaires réformes illibérales à tous égards se trouve aux plus hauts niveaux du système. Il ne s'agit pas seulement d'inertie, mais d'un véritable sabotage idéologique au détriment de la civilisation. L'épisode Bastrykin, qui a pris le parti de la population dans la question des migrants, et les convulsions qui ont suivi montrent à quel point les choses ont mal tourné.

Les poursuites pénales à l'encontre de hauts fonctionnaires du ministère de la défense semblent confirmer le bien-fondé de certains accès de colère extrêmes et erronés (sans doute) du parti des héros de la ligne de front il y a un an. Les méthodes sont catégoriquement mauvaises, mais tant que nous ne commencerons pas à compter avec des contenus de type Instagram, nous ne verrons pas la Victoire. Et en attendant, le sang coule à flots.

Oui, et au fait, nous avons annulé l'USE, annulé le système de Bologne, c'est vrai, mais qui l'a introduit? Qui nous l'a imposé par la force, en brisant la colonne vertébrale de ceux qui n'étaient pas d'accord? S'est-il imposé de lui-même? Et pourquoi avons-nous oublié leurs noms? Et quels postes occupent-ils aujourd'hui? Il en va de même pour tout le reste.

Nous devons entrer dans un nouveau cycle historique de la manière la plus sérieuse et la plus systématique possible. Poutine a posé les jalons. Maintenant, en retroussant nos manches, nous devons commencer à construire une nouvelle société et un nouvel État - sur la base des valeurs traditionnelles et de la mission du monde russe. L'expédient que je nomme "pour l'argent, oui" doit être détruit, il doit être éradiqué en tant qu'attitude. Après tout, selon cette mentalité, à partir d'une petite somme, d'une escort-girl ou d'un pot-de-vin, il faudra un jour ou l'autre vendre la patrie et l'âme immortelle de notre Russie.

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"Pour de l'argent, oui" : c'est l'idéologie la plus destructrice, la plus dangereuse qui soit. C'est l'essence du libéralisme, un résumé des livres d'Ayn Rand ou la formule de la "main invisible du marché". C'est ce contre quoi l'humanité se révolte. En prenant exemple sur nous, d'ailleurs. Après tout, Poutine a l'air de dire "pour l'argent, non", la patrie et l'âme ne sont pas à vendre.

Sur ses arrières, il y a l'orthodoxie, l'empire, Dostoïevski et l'entreprise réalisée jadis par le peuple soviétique. C'est ainsi. Mais l'Instagram, c'est-à-dire le libéralisme, est déjà superflu dans la nouvelle Russie. Veuillez supprimer le dernier bloc. Bien entendu, nous comprendrons immédiatement que c'est fait. Tout le monde a compris ce que signifie la nomination de Belousov. Sans équivoque, et nous comprendrons l'étape suivante. Après cela, tout commencera vraiment.

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dimanche, 07 juillet 2024

Douguine: "Il y a de vrais militants de gauche qui luttent contre le système capitaliste mondial"

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Douguine: "Il y a de vrais militants de gauche qui luttent contre le système capitaliste mondial"

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/esistono-veri-e-propri-uomini-di-sinistra-che-lottano-contro-il-sistema-capitalistico

Il existe de vraie figure de gauche qui luttent contre le système capitaliste mondial. En Occident, ils sont représentés par des personnalités telles que Sahra Wagenknecht, Diego Fusaro, Emmanuel Todd, Giorgio Agamben, Jackson Hinkle ou Taz. Ces marxistes et socialistes considèrent les mondialistes et les libéraux comme leur principal ennemi et dans la lutte contre eux - en tant que principal ennemi (!) - ils sont prêts à s'allier avec n'importe quelle force antilibérale, y compris la droite. La vraie droite (pas les marionnettes du capital) est en guerre contre le même ennemi: l'élite libérale mondialiste, ce que Trump a appelé "le marécage" et, dans un front commun, la gauche et la droite populistes s'influencent mutuellement, échangent des concepts et des idées, progressant vers un front antilibéral uni - le Front de libération mondiale de la dictature libérale. Vers une quatrième théorie politique (à l'opposé du libéralisme, du communisme et du fascisme que la politique euro-moderne impose à tous).

Les hommes de gauche comme Sanders ou Mélanchon, dans une situation critique, quand il y a une possibilité historique de porter un coup mortel au capitalisme mondial, prennent le parti des libéraux et sauvent leur pouvoir.

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Dans l'histoire post-soviétique, les communistes de Russie ont représenté, jusqu'à un certain point, un flanc gauche-patriotique solidaire des anti-libéraux du flanc droit-patriotique conservateur, qui s'est progressivement renforcé. Cette compréhension mutuelle, incarnée de manière éclatante par la figure d'Aleksandr Andreyevič Prokhanov, avait un ton de camaraderie. L'anticonservatisme farouche (soit l'anti-"fascisme") et l'anticommunisme farouche n'étaient des caractéristiques que des parias. Les Bolcheviks nationaux, aujourd'hui interdits, étaient censés cimenter cette synthèse sur le plan doctrinal et institutionnel, mais leur alliance avec les libéraux au début des années 2000 les a gravement discrédités et a sapé leur crédibilité.

Dès les années 1990, les agents de l'influence occidentale ont constamment tenté de diviser les antilibéraux russes en deux camps, la gauche et la droite, afin de continuer à gouverner tout en se battant les uns contre les autres. Mais cela a généralement été évité. Aujourd'hui, la position des libéraux est plus faible que jamais et une victoire politique définitive sur eux - même en Occident - devient possible. Dans ces conditions, les libéraux ont repris avec une vigueur renouvelée le clivage entre la gauche antilibérale et la droite antilibérale ; mais, comme cette fois la principale menace pour la dictature libérale vient de la droite et non de la gauche, les libéraux s'en prennent à la gauche, l'impliquant dans le trotskisme et le gaucho-libéralisme et l'opposant aux populistes de droite, aux conservateurs et aux traditionalistes qui renforcent nettement leurs positions. On le voit bien en France et en Allemagne, ainsi qu'aux États-Unis, où les libéraux qui dominent le parti démocrate utilisent à leur profit leur flanc gauche trotskiste. Paradoxalement, les trotskystes se trouvent également parmi les républicains - ils constituent le noyau idéologique des néoconservateurs.

Ce processus a également touché la Russie, où un groupe de représentants des services de renseignement occidentaux, se faisant passer pour des "gauchistes" et des représentants du mouvement mondial de gauche, tente par tous les moyens de raviver la discorde politique entre les patriotes de gauche et de droite, et ce au beau milieu de la guerre de notre saint peuple contre l'Occident, menée par les libéraux et les mondialistes. Nous avons fait face à ces provocations dans le passé. Nous y ferons également face aujourd'hui. Il est temps de revenir à l'idée de l'unité des patriotes russes, qui est le testament politique de ma fille. (https://platonova-consensus.ru/)

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mardi, 04 juin 2024

Le nouveau romantisme et la Quatrième Théorie Politique (4TP)

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Le nouveau romantisme et la Quatrième Théorie Politique (4TP)

Carlos X. Blanco

S'il existe un dénominateur commun aux trois théories politiques prédominantes dans le monde, en particulier dans le monde occidental, c'est bien le matérialisme. Selon la caractérisation du philosophe russe Alexandre Douguine, les trois théories politiques dominantes de la modernité occidentale sont, dans l'ordre, 1) le libéralisme [1TP], 2) le socialisme-communisme [2TP] et 3) le fascisme et le national-socialisme [3TP]. Tous trois sont imprégnés d'une métaphysique léthargique et brutale, qui est la conception philosophique matérialiste. Cela se voit même dans les déclarations que la théorie politique fait sur elle-même, qui servent souvent des objectifs très différents de ceux d'une véritable philosophie : l'objectif de montrer la vérité. La propagande et la polémique contre les théories politiques rivales sont des facteurs qui sont à l'origine du fait que les théories politiques ne sont pas présentées telles qu'elles sont réellement, et il est nécessaire, dialectiquement, de comprendre les précédentes à partir d'une nouvelle théorie politique qui comprend et dépasse les précédentes. Toute théorie politique qui émerge au sommet de son époque implique l'engagement de comprendre cette même époque et, en même temps, intrinsèquement, de dépasser les précédentes qui, d'une manière ou d'une autre, prétendent maintenir leur validité et leur influence.

La quatrième théorie politique [4TP] de Douguine n'est pas seulement chronologiquement postérieure, comme l'affirmation selon laquelle le soir suit le matin, ou l'automne le printemps. La 4TP doit être - et est en effet - un dépassement du matérialisme en tant que dénominateur commun du libéralisme, du socialisme-communisme et du nazi-fascisme.

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La 1TP, rappelons-le, ne s'en tient pas exclusivement au libéralisme de Locke, mais aussi au matérialisme grossier de Thomas Hobbes, un autre Anglais qui, comme son lointain mais fondamental prédécesseur, le nominaliste Guillaume d'Ockham, a radicalisé la thèse d'Aristote : la seule chose qui existe est l'individu, et il n'y a pas de place pour les substances « secondes ». Les termes linguistiques qui correspondent à des entités supposées collectives, abstraites, génériques, n'existent qu'en tant que termes de langage (ontologiquement, ils se limitent à être des effets de voix - flatus vocis -, des taches d'encre sur du papier, des impulsions électromagnétiques dans un ordinateur...). Les termes nominalistes se réfèrent de manière univoque à des individus - humains ou non - distincts et ab-solus (c'est-à-dire « libres », détachés de l'arrière-plan sur lequel ils se profilent). Il est évident, comme l'a déjà souligné Costanzo Preve, que la clé de l'ontologie de la 1TP réside dans la doctrine sociopolitique sous-jacente, une ontologie de l'être social : l'entité individuelle, désignée de manière univoque à la manière nominaliste, n'est autre que l'individu humain absolutisé par le libéralisme : un atome sociopolitique et économique. Cette philosophe luciférienne, anglaise elle aussi, Mme Thatcher, l'a exprimé avec la clarté des flammes de l'enfer lui-même : « la société n'existe pas ». C'est du matérialisme pur : ce n'est pas seulement un matérialisme abstrait qui sous-tend une théorie de gouvernement et une conception économique. C'est un matérialisme imposé : la société doit être convertie, manu militari s'il le faut, et par des « chocs » (Pinochet, Videla, Eltsine...), en une masse d'atomes devant un État au service de certains capitaux tout-puissants, c'est-à-dire que la société doit disparaître.

La 2TP a l'avantage de ne pas cacher son matérialisme. Il est vrai que le Hobbes de la 1TP ne le cachait pas non plus, mais la rhétorique de la « libre initiative individuelle », de la liberté et de la société ouverte est une rhétorique qui continue à séduire de nombreuses personnes. Le socialisme et le communisme, en particulier dans sa version marxiste-engelsienne, sont des théories matérialistes et athées avouées. Mais ce n'est pas si simple. Nous devons à plusieurs auteurs (Gramsci, Preve, Fusaro, S. Bravo...) la réinterprétation de la philosophie marxiste dans une clé idéaliste : le philosophe de Trèves était un fidèle disciple de Fichte et de Hegel, un philosophe de la praxis (« au commencement était l'action »), dans la tradition allemande la plus authentique, poursuivie, grâce à Gramsci, par les Italiens.

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Cependant, l'implantation dogmatique et obligatoire de ce que l'on appelle le « matérialisme dialectique » et le « matérialisme historique », non seulement dans les États communistes (URSS, Europe de l'Est, Chine, etc.), mais aussi dans les partis communistes de l'Occident et dans une grande partie du monde, a justifié cette identification entre 2TP et matérialisme. Mais je crois que le grand maître Preve a montré au monde que ce qui est pérenne et vrai dans l'œuvre de Marx, c'est que les êtres sont des êtres communautaires, qui tissent et reconstruisent sans cesse leur communauté par l'action, et que c'est l'action communautaire - enracinée malgré les assauts du capital - qui transforme le monde et le fait évoluer, non pas dans sa pensée des Lumières tardives, mais dans son aristotélisme. Les êtres humains sont des êtres communautaires, qui tissent et reconstruisent constamment leur communauté par l'action, et c'est l'action communautaire - grosse de ses racines malgré l'assaut du capital - qui transforme le monde et le fait évoluer.

La 3TP est aussi un matérialisme grossier. Dans sa version nationale-socialiste, nul ne peut nier que derrière les appels nationalistes ou « patriotiques », la destination de cette théorie politique était la Race, et non la nation, une race prétendument supérieure, inventée sur la base de prémisses pseudo-scientifiques tirées de la science britannique et française du 19ème siècle. Le concept purement linguistique de l'« Aryen » a été extrapolé et mélangé à la pseudo-science darwiniste sociale du colonialisme occidental du 19ème et du début du 20ème siècle. L'humanité a été décrite dans des termes très similaires à ceux du bétail, parlant ainsi de races supérieures et inférieures. Les 3TP ont en fait négligé et manipulé les contributions traditionalistes et spiritualistes des penseurs de la révolution conservatrice, et ont compris l'État national allemand, dans le cas du national-socialisme, comme un simple instrument au service d'une « race » mystique et irréelle.

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Dans le cas du fascisme italien, c'est précisément la « statolâtrie » proclamée qui lie plus clairement les 3TP au matérialisme, qui tend à réduire toutes les expressions de la vie sociale et communautaire à une seule. La communauté organisée de Perón et d'autres formes (peu développées dans la pratique en raison des attaques et des interférences du néolibéralisme) auraient peut-être été des formes moins matérialistes de la 3TP, dotées d'entrailles plus spirituelles. Voir, par exemple, le profond catholicisme non-vaticaniste du général Perón. Le culte de l'État, au-dessus des peuples et des communautés qui le suscitent, est le triomphe d'une mentalité « romaine », prosaïque et matérialiste, que le grand Oswald Spengler retrouvait dans d'autres organismes « correspondants » (les Aztèques, par exemple).

C'est la 4TP qui est appelé à restaurer l'esprit. Le sujet - Dasein - de l'Histoire est constitué par le Peuple (Ethnos, Volk). Ces peuples « sont là », ils sont des réalités premières, et tous ne doivent ni ne peuvent avoir leurs propres entités étatiques. Parfois, la fortune et l'expansion vitale d'un peuple résident dans sa bonne intégration dans des unités supérieures - empires, civilisations - qui le « transportent » dans le temps, qui servent de véhicules à ses possibilités, qui sont toujours, en dernière analyse, spirituelles. Les micro-peuples (Basques, Bretons, Catalans, Corses), ainsi que ceux de l'Est et des Balkans, n'ont pas seulement été victimes de l'oppression et de l'acculturation par l'unité étatique supérieure dans laquelle ils étaient logés, un fait qui, dans de nombreux cas, ne peut être nié, mais ont également été « sauvés » pour l'histoire par ces unités supérieures. Par exemple, dans le cas le plus proche géographiquement, personne aujourd'hui ne se souviendrait de l'existence d'un peuple et d'une langue basques sans leur sauvetage pour l'histoire par la Couronne espagnole.

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La lutte décisive aujourd'hui sera une lutte entre la première théorie politique et la quatrième. L'hégémon nord-américain et son anglosphère représentent le matérialisme le plus brut, qui fait de l'individu non plus un « sujet capable de choisir dans une société ouverte », mais un atome égoïste, un consommateur compulsif (même s'il n'est plus producteur), avide de sexe et d'autres plaisirs déconnectés de l'amour des hommes, de la patrie et de la nature. Face à l'austère matérialisme de la 1TP, un nouvel « idéalisme » fait son apparition. Tout comme le romantisme a secoué l'Europe à la fin du 18ème siècle et a ébranlé toutes ces têtes perlées et ces visages ridés et poudrés, un Sturm und Drang de la jeunesse du 21ème siècle doit et peut commencer. Peut-être commencera-t-il modestement : un groupe d'adolescents brûlera ses sweat-shirts arborant l'énorme Union Jack et redeviendra fidèle à sa culture. La musique commerciale « bâtarde » promue par les majors anglo-saxonnes échouera, et les jeunes rechercheront des racines et une profondeur de sentiment. La procrastination vestimentaire cédera la place au décorum et à la modestie. Le goût pour le noble, le sage et le beau, en se généralisant, remettra en cause la « culture de supermarché »... Cela peut arriver s'il y a une révolution de l'Esprit.

Il ne s'agit pas seulement d'une lutte ouverte dans le domaine militaire, commercial, cybernétique... C'est une lutte pour les consciences. C'est une lutte qui se déploie sur le plan des idées. Elle implique une reconnaissance de soi. Si chaque jeune commence à dire, dès demain, « Je ne suis pas comme les horribles chaînes de hamburgers et je ne suis pas ce que vos producteurs de “reggaeton” veulent que je sois », « Je ne suis pas un animal, je suis une personne », le néolibéralisme sera comme une marée qui ne cessera de reculer. Il y aura alors beaucoup de batailles à mener, mais quelque chose bougera dans cette sorte de chambre magmatique qu'est l'Inconscient ; une énergie profonde et irrépressible qui jaillit de l'inconscient collectif de chaque peuple sera mobilisée. De grandes cheminées et de grands cratères s'ouvriront alors et l'explosion ne tardera pas à se produire. C'est une bataille contre le matérialisme sur tous les fronts, et en leur sein, sur les fronts de l'Esprit : l'esthétique, les loisirs, la bienséance, la morale, l'amour et les loyautés, tout ce qui est le patrimoine de l'homme et non du singe nu, et qui est le patrimoine de l'être humain et non du singe. C'est le magma qui ruinera le néolibéralisme ; c'est le magma qui peut un jour éclater et s'élever pour percer les nuages.

dimanche, 02 juin 2024

Sport ou religion ?

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Sport ou religion ?

Alexander Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/sport-ili-religiya

Le sport a des origines préchrétiennes et appartient à la culture grecque antique. Avec le théâtre, la philosophie et les systèmes de gestion de la polis, le sport, et en particulier les Jeux olympiques, était l'un des traits caractéristiques de la civilisation grecque.  C'est dans cette civilisation qu'il a connu son plus grand développement et la forme sous laquelle il nous est connu aujourd'hui.

L'interprétation grecque du sport était basée sur l'idée de jeu. C'est pourquoi les compétitions elles-mêmes étaient appelées "jeux". Le terme de "jeu" était également attribué à la représentation théâtrale, dans laquelle, tout comme dans le sport, les poètes - créateurs de tragédies et de comédies - s'affrontaient. Le concept de jeu est étroitement lié aux fondements mêmes de la culture, comme le montre J. Huizinga dans son célèbre ouvrage Homo Ludens.

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Il s'agit ici de tracer la ligne de démarcation entre l'implication sérieuse dans la contemplation d'un affrontement ou d'une compétition, ainsi que dans la création d'une œuvre dramatique (si l'on parle de théâtre) et le caractère conventionnel d'un tel affrontement. Le sport et le théâtre, et le jeu en tant que tel, présupposent la distance. C'est pourquoi, parmi les dieux grecs, patrons des Jeux olympiques, il n'y avait pas Arès, le dieu de la guerre. C'est le sens du jeu: il s'agit d'une bataille, mais pas d'une bataille réelle, conventionnelle, car elle ne franchit pas une certaine ligne critique. De même que le théâtre ne fait que représenter l'action, le sport, lui, ne fait que représenter la vraie bataille. La culture naît précisément de la prise de conscience de cette limite. Lorsque la société l'intériorise, elle acquiert la capacité de faire des distinctions subtiles dans le domaine des émotions, des sentiments et des expériences éthiques. Le sport et le théâtre procurent du plaisir précisément parce que, malgré le caractère dramatique de ce qui se passe, l'observateur (le spectateur) garde une distance par rapport aux événements qui se déroulent.

C'est cette distance qui forme un citoyen à part entière, capable de séparer strictement la gravité de la guerre de la conventionnalité d'autres types de rivalités. Ainsi, pendant la durée des Jeux olympiques, les cités-États grecques souvent ennemies concluent une trêve (έκεχειρία). C'est à l'occasion de ces jeux que les Grecs ont réalisé leur unité au-delà des contradictions politiques entre les différentes polis. Ainsi, les différents éléments du sport étaient unis par la reconnaissance de la légitimité de la distance.

À l'époque chrétienne, les manifestations sportives du monde hellénistique ont progressivement disparu parce que le christianisme offrait un tout autre modèle de culture et d'unité humaine. Tout y est sérieux et l'autorité ultime est l'Église universelle elle-même, dans laquelle les peuples et les nations sont unis. C'est elle qui porte la paix et la plus grande distance possible, celle qui sépare la terre du ciel, l'homme de Dieu. Face à la mission universelle du Sauveur, les différences entre les peuples (« Juifs et Hellènes ») passaient à l'arrière-plan. Le sport (tout comme le théâtre) a donc probablement perdu de son importance.

La renaissance du sport commence au 19ème siècle dans des conditions totalement nouvelles. Il est intéressant de noter qu'alors que le théâtre, en tant que partie intégrante de la culture antique, réapparaît au tout début de la Renaissance, il faut attendre quelques siècles de plus pour que les Jeux olympiques renaissent. Cela a probablement été entravé par certains aspects esthétiques du sport lui-même, qui contrastaient fortement avec les notions chrétiennes de ce qui constituait un comportement décent.

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Il est révélateur qu'en Allemagne, le fondateur du mouvement sportif ait été un païen convaincu et un nationaliste radical, Friedrich Ludwig Jahn (1778-1852) (gravure, ci-dessus), qui voyait dans le mouvement sportif et gymnique une base pour diffuser les idées d'unification allemande parmi les jeunes, ce qui est devenu le fondement de l'idéologie du sport. Jahn était un fervent défenseur de l'antiquité germanique et prônait la renaissance des runes. Au 20ème siècle, les idées de Jahn ont continué à se développer dans le cadre du pangermanisme et du mouvement de jeunesse Wandervogel, et ont notamment exercé une influence majeure sur le national-socialisme.

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Pierre de Coubertin (photo), qui a revitalisé le mouvement olympique, était également un nationaliste (et en un sens, un "raciste"). L'implication des Grecs, alors en lutte nationale avec l'Empire ottoman, s'inscrit également dans la stratégie globale des puissances européennes visant à transformer les rapports de force géopolitiques. Parallèlement, la franc-maçonnerie européenne, bien que fondamentalement athée, y était également très attentive, sans pour autant être étrangère à une certaine esthétique « païenne ».

De manière générale, il s'avère que le sport, phénomène culturel non chrétien à l'origine, a disparu au cours du Moyen Âge chrétien et est revenu en Europe dans un contexte post-chrétien et même en partie anti-chrétien.

Cela soulève avec une urgence nouvelle le problème suivant: le sport est-il compatible avec le christianisme ? Les passions, l'esthétique et les règles du jeu suscitées par le sport peuvent-elles être combinées avec une vision chrétienne du monde ? Bien entendu, cette question est un cas particulier d'un problème plus fondamental: le christianisme est-il compatible avec le monde moderne en général, construit en général - et pas seulement, bien sûr, le sport - sur les bases de la désacralisation, du matérialisme, de l'évolutionnisme, de la laïcité et de l'athéisme ? Il n'est évidemment pas possible de répondre à cette question de manière univoque, mais il convient de la poser, ne serait-ce que pour lancer un cycle de discussions significatives. De telles discussions pourraient nous aider à mieux comprendre, dans les nouvelles conditions, ce qu'est le sport et, plus important encore, ce qu'est le christianisme.

 

lundi, 27 mai 2024

Le virage conservateur global

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Le virage conservateur global

Alexander Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/konservativnyy-povorot

L'entrée en fonction du président Poutine marque une nouvelle étape dans l'histoire de la Russie. Certaines lignes de force des périodes précédentes seront certainement poursuivies. D'autres atteindront un seuil critique. D'autres encore seront renversées. Mais il faut aussi que quelque chose de nouveau apparaisse.

Je voudrais attirer l'attention sur l'aspect idéologique, qui peut devenir un vecteur fondamental du développement futur de la Russie dans le contexte international.

Dans notre confrontation devenue féroce avec l'Occident, qui nous amène au bord d'un conflit nucléaire et d'une Troisième Guerre mondiale, le problème des valeurs devient de plus en plus contrasté. La guerre en Ukraine n'est pas seulement un conflit d'États avec leurs intérêts nationaux tout à fait rationnels, mais un choc de civilisations défendant farouchement leurs systèmes de valeurs.

Aujourd'hui, nous pouvons affirmer avec certitude que la Russie a définitivement misé sur la défense des valeurs traditionnelles, et c'est avec elles qu'elle lie les processus fondamentaux de renforcement de sa propre identité civilisationnelle et de sa souveraineté géopolitique. Il ne s'agit pas simplement d'intérêts différents d'entités distinctes au sein d'une même civilisation - occidentale -, car jusqu'à récemment, il était encore possible d'interpréter le conflit entre la Russie et l'Occident collectif, même si c'était avec un certain décalage. Il est désormais évident que deux systèmes de valeurs sont entrés en collision.

L'Occident collectif moderne est fermement en faveur de ce qui suit :

    - l'individualisme absolu ;

    - le mouvement LGBT* et la politique du genre ;

    - le cosmopolitisme ;

    - la culture de l'annulation (Cancel culture) ;

    - le posthumanisme ;

    - l'immigration sans restriction ;

    - la destruction de toutes les formes d'identité ;

    - la théorie critique de la race (selon laquelle les peuples anciennement opprimés ont tous les droits d'opprimer à leur tour leurs anciens oppresseurs) ;

    - la philosophie relativiste et nihiliste du postmodernisme.

L'Occident censure impitoyablement sa propre histoire, interdit des livres et banni des œuvres d'art, et le Congrès américain s'apprête à supprimer des passages entiers de l'Écriture qui offenseraient certains groupes de personnes pour des raisons ethniques et religieuses. En outre, le développement des technologies numériques et des réseaux neuronaux a mis à l'ordre du jour le transfert de l'initiative de diriger le monde de l'humanité à l'intelligence artificielle - et un certain nombre d'auteurs occidentaux en font déjà l'éloge comme d'un succès incroyable et d'un moment de singularité attendu depuis longtemps.

Face à tout cela, la Russie de Poutine s'oppose explicitement à un ensemble de valeurs très différentes, dont beaucoup sont inscrites dans le décret n° 809 du 9 novembre 2022. La Russie défend fermement:

    - l'identité collective contre l'individualisme ;

    - le patriotisme contre le cosmopolitisme ;

    - la famille saine contre la légalisation des perversions ;

    - la religion contre le nihilisme, le matérialisme et le relativisme ;

    - l'être humain contre les expériences posthumanistes ;

    - l'identité organique contre son érosion;

    - la vérité historique contre la culture de l'annulation (Cancel culture).

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Il y a deux orientations opposées, plus encore, deux idéologies antagonistes, deux systèmes de vision du monde. La Russie choisit la tradition - l'Occident, au contraire, tout ce qui est non-traditionnel et même anti-traditionnel.

Cela fait du conflit en Ukraine, où ces deux civilisations se sont affrontées dans une bataille féroce et décisive, quelque chose de bien plus qu'un simple conflit d'intérêts. Ce conflit est bien là, assurément, mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel est que deux modèles d'évolution de l'humanité se sont affrontés: la voie libérale, mondialiste et anti-traditionnelle de l'Occident moderne ou la voie alternative, multipolaire et polycentrique, qui préserve les traditions et les valeurs traditionnelles, pour laquelle la Russie se bat.

Il est temps de noter que le monde multipolaire, auquel la Russie a proclamé sa loyauté au cours de la phase précédente du règne de Poutine, n'a de sens que si nous reconnaissons que chaque pôle, chaque civilisation (aujourd'hui clairement représentée dans les BRICS) a droit à sa propre identité, à sa propre tradition, à son propre système de valeurs. La multipolarité prend tout son sens et sa justification si l'on part de la pluralité des cultures existantes et que l'on reconnaît leur droit à préserver leur identité et à se développer sur la base de principes internes. Cela signifie que les pôles du monde multipolaire, contrairement au modèle unipolaire mondialiste, où les valeurs occidentales dominent par défaut en tant que valeurs universelles, suivent plus ou moins la voie tracée par la Russie, mais uniquement en protégeant leurs valeurs traditionnelles, qui sont différentes à chaque fois.

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Nous le voyons clairement dans la Chine moderne. Non seulement elle rejette le mondialisme, le libéralisme et le capitalisme mondial comme des dogmes néfastes, tout en conservant de nombreuses caractéristiques du mode de vie socialiste, mais elle se tourne de plus en plus vers les valeurs éternelles de la culture chinoise, faisant revivre d'une nouvelle manière l'éthique politique et sociale de Confucius, qui a inspiré et ordonné la société chinoise pendant plusieurs millénaires. Ce n'est pas un hasard si l'une des principales théories des relations internationales dans la Chine moderne est l'idée ancienne de Tianxia, où la Chine est considérée comme le centre du système mondial, avec toutes les autres nations entourant l'Empire céleste à la périphérie. La Chine est son propre centre absolu, ouvert au monde, mais gardant strictement sa souveraineté, son unicité et son identité.

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L'Inde moderne (Bharat) évolue dans la même direction, en particulier sous le règne de Narendra Modi. Là encore, elle est dominée par une identité profonde, l'Hindutva, qui fait revivre les fondements de la culture, de la religion, de la philosophie et de l'ordre social védiques anciens.

Le monde islamique rejette encore plus catégoriquement le système de valeurs de l'Occident collectif, qui n'est pas du tout compatible avec les lois, les règles et les attitudes islamiques. Dans ce cas, l'accent est mis sur la tradition.

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Les peuples d'Afrique évoluent dans la même direction en entamant un nouveau cycle de décolonisation - cette fois-ci de la conscience, de la culture et de la façon de penser. De plus en plus de penseurs, d'hommes politiques et de personnalités africaines se tournent vers les racines de leurs cultures autochtones.

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L'Amérique latine, elle aussi, découvre peu à peu ces nouveaux horizons du traditionalisme, de la religion et des racines culturelles, entrant de plus en plus en conflit direct avec les politiques des États-Unis et de l'Occident collectif. Et la spécificité de l'Amérique latine est que, pendant longtemps, la lutte anticoloniale a été principalement menée sous des slogans de gauche. Aujourd'hui, la situation est en train de changer : la gauche découvre les origines traditionnelles et conservatrices de sa lutte (par exemple, dans la « théologie de la libération » dominée par les catholiques) et un front anticolonial conservateur se développe (par exemple, la « théologie des peuples »).

Mais jusqu'à présent, aucune des civilisations orientées vers la multipolarité et préférant la tradition n'est entrée en conflit armé direct avec l'Occident, à l'exception de la Russie. Beaucoup hésitent, attendant le dénouement de cette confrontation dramatique. Et bien que la majorité de l'humanité rejette potentiellement l'hégémonie de l'Occident et ses systèmes de valeurs, personne, à part nous, n'est prêt à entrer en conflit direct avec lui.

Cela donne à la Russie une chance unique de prendre la tête du virage conservateur mondial. Le moment est venu de déclarer directement que la Russie est en guerre contre la prétention de la civilisation occidentale à l'universalité de ses valeurs et qu'elle défend entièrement la tradition, à la fois la sienne (le folklore russe, le pouvoir orthodoxe) et celle de tous les autres. Après tout, dans le cas du triomphe du mondialisme et de la préservation de l'hégémonie occidentale, ils sont également menacés d'une destruction imminente.

Toutes les civilisations du monde sont conservatrices, c'est en cela que réside leur identité. Et elles en sont de plus en plus conscientes. Seul l'Occident postmoderne a décidé de rompre radicalement avec ses racines chrétiennes classiques et a commencé à construire une culture de la dégénérescence, de la perversion, de la pathologie et du remplacement technique des personnes par des technorganes posthumains (de l'IA aux cyborgs, en passant par les chimères et les produits du génie génétique). Et en Occident même, une partie importante de la société rejette cette voie et s'oppose de plus en plus à l'orientation des élites libérales postmodernes au pouvoir vers l'abolition finale de l'identité culturelle et historique des sociétés occidentales elles-mêmes.

Dans son nouveau mandat de président, il serait tout à fait logique que Poutine proclame la défense de la tradition - en Russie et dans le monde entier, y compris en Occident - comme sa principale mission idéologique. Vladimir Poutine est déjà le plus grand leader aux yeux de toute l'humanité, jouant ce rôle, résistant héroïquement à l'hégémonie occidentale. Il est grand temps d'annoncer la mission mondiale de la Russie pour protéger les civilisations et leurs valeurs traditionnelles. Cessez de jouer le jeu de l'Occident et d'utiliser ses stratégies, ses termes, ses protocoles et ses critères. La souveraineté civilisationnelle consiste en ce que chaque nation a le plein droit d'accepter et de rejeter toute directive extérieure, de se développer à sa manière, indépendamment du fait que quelqu'un de l'extérieur puisse en être mécontent.

Ainsi, récemment, le 7 mai, le journal britannique Mirror a déclaré que neuf mots du discours d'investiture du président Poutine constituaient « une terrible menace pour l'Occident ». Ces mots étaient les suivants : « La Russie elle-même, et elle seule, déterminera son propre destin ». En d'autres termes, toute allusion à la souveraineté est perçue par l'Occident comme une déclaration de guerre à son encontre. La Russie l'a fait et est prête à soutenir quiconque défendra sa souveraineté avec autant de force qu'elle.

Bien sûr, chaque civilisation a ses propres valeurs traditionnelles. Mais aujourd'hui, elles sont toutes attaquées par une civilisation agressive, intolérante, trompeuse et pervertie, qui mène une guerre sans merci contre toute tradition - contre la tradition en tant que telle. Dans une telle situation, la Russie de Poutine peut ouvertement se déclarer porteuse d'une mission inverse : devenir le défenseur de la tradition et de la norme, de la continuité et de l'identité.

Auparavant, au 20ème siècle, l'influence de la Russie dans le monde reposait principalement sur le mouvement de gauche. Mais aujourd'hui, ce mouvement s'est progressivement effacé, soit absorbé par le libéralisme, soit épuisé par lui-même (à quelques exceptions près, et le plus souvent en alliance avec des tendances conservatrices anticoloniales). Il faut désormais parier sur les conservateurs, partisans de l'identité civilisationnelle. C'est ainsi qu'est né un nouveau slogan : traditionalistes de tous les pays, unissez-vous !

Et nous ne devrions pas être gênés, honteux ou le cacher. Plus nous nous engagerons avec confiance dans cette voie, plus notre influence dans le monde augmentera rapidement et sûrement. Si nous avons choisi de nous concentrer sur la multipolarité, nous devons être cohérents.

Tout le monde voit déjà en Poutine le personnage clé du renouveau conservateur. Il est temps de le proclamer ouvertement. Les critiques de l'Occident ne peuvent en aucun cas être évitées, mais les facteurs décisifs dans les relations avec l'Occident sont désormais différents. Et nos alliés - actuels et potentiels - commenceront à soutenir la Russie avec une vigueur renouvelée. Après tout, nos buts et objectifs de grande envergure leur apparaîtront désormais clairement. Ils nous feront confiance et commenceront à construire avec nous un monde juste et équilibré dans l'intérêt de l'humanité tout entière, sans méfiance ni hésitation.

* Organisation extrémiste interdite en Russie.

jeudi, 23 mai 2024

Alexey Khomyakov: le choix de la lumière

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Alexey Khomyakov: le choix de la lumière

Alexander Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/aleksey-homyakov-vybor-sveta?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTAAAR1R0W1UkcKpWk0QBsrLrLU4UMDJ8SD-ZoUEimPDG3Pb2Y5Adgg0C51yeH4_aem_AeGHvfsJribDsIlURfNfHdFQJtc4uIHoVpIl-pnBfVDA8YcSXADq3kYCXuxNra9Yj8JKnjhB2lJIu5q2lx6moctO

La « tâche » formulée par Odoevsky et Venevitinov, et plus largement par le cercle des nemultis russes, de créer une philosophie véritablement russe est devenue une tâche qui s'est étendue sur deux siècles. Les premiers à réagir furent les slavophiles, également issus de ce cercle. Plus tard, les eurasianistes ont développé leurs activités dans la même veine, et après une autre étape - les néo-eurasianistes de la fin du 20ème siècle, et enfin, cette « commande » a été prise comme un impératif dans « Noomakhia » et nos autres travaux axés sur l'exploration de la possibilité d'une philosophie authentiquement russe [1].

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Alexei Stepanovich Khomyakov, ami proche de Vladimir Odoevsky (photo, en haut) et de Venevitinov (photo, en bas), a consacré toute sa vie à une étude comparative à grande échelle des cultures et des civilisations. Cette œuvre - « Sémiramis »[2] - n'a jamais été publiée de son vivant. Ce faisant, Khomyakov cherchait non seulement à donner une volumineuse description de chacune d'entre elles, ce qui semble évidemment impossible, mais à proposer une classification selon laquelle ces civilisations pourraient être logiquement réparties. En fait, il aborde une méthodologie sur base de Logos dominants, qui est, de fait, la base de ma « Noomachia », mais il décrit ces Logos dans d'autres termes et dans d'autres correspondances structurelles.

Khomyakov part de l'idée, courante à son époque, qu'il existe cinq races humaines - blanche, jaune, noire, rouge et "olive", correspondant plus ou moins aux cinq continents. Le pôle des blancs est l'Europe, celui des jaunes l'Asie, celui des noirs l'Afrique, celui des rouges l'Amérique, celui des aborigènes de l'Australie et du reste de l'Océanie. Peu à peu, Khomyakov arrive à la conclusion que les trois races fondamentales ne sont que trois - la blanche, la jaune et la noire - et que les deux autres - la rouge et l'"olive" - sont le produit de leur mélange. Cette division en trois races était également conforme aux vues des anthropologues d'Europe occidentale du 19ème siècle, notamment Lewis Morgan [3] (1818 - 1881), les races correspondant généralement, dans ces théories, à trois types de sociétés: la civilisation blanche, la barbarie jaune et la sauvagerie noire.

Cependant, Khomyakov ne se contente pas d'une telle systématisation et, en accordant une attention particulière à l'histoire des Slaves, qui occupent les terres non seulement de l'Europe mais aussi de l'Asie, il souligne la proximité ethnique et linguistique des peuples iraniens et indiens avec la communauté indo-européenne (indo-germanique). Il s'éloigne ainsi d'une approche raciale au profit d'une approche ethnoculturelle et linguistique. Cela l'amène à identifier les similitudes des langues et de la culture slaves avec les peuples indo-européens d'Asie - et en premier lieu avec la civilisation indienne. Ce n'est pas un hasard si, dans la première partie de Semiramis, il donne une longue liste de mots homonymes en russe et en sanskrit. Certaines convergences étymologiques ont été contestées par la suite, mais la principale conclusion de Khomyakov était tout à fait correcte : les peuples indo-européens d'Asie (Iraniens, Hindous, Afghans, etc.) et d'Europe (Grecs, Latins, Celtes, Germains, etc.) avaient une origine commune et avaient autrefois une langue et une culture communes, et les Slaves faisaient partie intégrante de cette communauté indo-européenne [4].

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Khomyakov passe ensuite à l'étape suivante : après avoir reconnu que la division raciale n'est pas la plus importante du point de vue du sens de l'histoire, il propose un nouveau critère qui mérite plus d'attention. Ce n'est pas tant la race qui importe, mais le type de conception religieuse. C'est elle qui est déterminante. La façon dont Khomyakov interprète le type de conception religieuse est tout à fait conforme à l'idée de Logos dans « Noomakhia ». Dans ce cas, Khomyakov distingue deux origines fondamentales (racines) et, dans une certaine mesure, universelles : l'iranienne et la kouchite. Nous pourrions les appeler le « Logos kouchite » et le « Logos iranien ». Chacun d'entre eux est traité dans les volumes respectifs de Noomakhia [5]. Khomyakov déclare :

La comparaison entre la foi et l'illumination, qui dépend uniquement de la foi et consiste en elle (comme tout ce qui est appliqué consiste en la science pure), nous conduit à deux principes fondamentaux : l'iranien, c'est-à-dire le culte spirituel d'un esprit créateur libre ou un monothéisme primitif élevé, et le kouchite, la reconnaissance de la nécessité organique éternelle, produisant en vertu de lois logiques inévitables. Le kouchitisme se divise en deux parties : le shivaïsme, culte de la substance régnante, et le bouddhisme, culte de l'esprit servile qui ne trouve sa liberté que dans l'autodestruction. Ces deux origines, iranienne et kouchite, dans leurs chocs et mélanges incessants, ont produit cette infinie variété de religions qui a marqué le genre humain avant le christianisme, et surtout l'humanité artistique et fabuleuse (anthropomorphisme). Mais, en dépit de tout mélange, la base fondamentale de la foi est exprimée par le caractère général de l'illumination, c'est-à-dire l'éducation verbale, l'écriture des voyelles, l'utilisation de la langue française, l'utilisation de la langue anglaise, la simplicité de la vie communautaire, la prière spirituelle et le mépris du corps, exprimé par le fait de brûler ou de donner le cadavre à manger aux animaux dans l'iranisme, et l'éducation artistique, l'écriture symbolique, la structure conventionnelle de l'État, la prière incantatoire et le respect du corps, exprimé par l'embaumement, ou le fait de manger les morts, ou d'autres rituels similaires, dans le kouchitisme [6].

En fait, Khomyakov distingue ici le Logos d'Apollon, qui est le plus proche du Logos iranien, et le Logos de Cybèle, qu'il rapproche de la civilisation égyptienne méridionale de Kush. Ces deux métaphores sont confirmées par la Noomachie.  Le Logos iranien représente l'une des formes (dualistes) les plus vivantes et les plus originales du Logos vertical-patriarcal indo-européen d'Apollon [7], tandis que l'horizon kouchite et le territoire adjacent à la Corne de l'Afrique, qui était probablement le foyer ancestral de l'ensemble du cercle culturel afro-asiatique (y compris les Sémites, les Kouchites, les Égyptiens et les Berbères), est en effet proche dans ses racines les plus profondes du Logos de Cybèle [8]. Dans le même temps, il convient de souligner la perspicacité de Khomyakov lorsqu'il distingue les Iraniens (et non les Grecs, les Hindous, les Allemands, les Latins et les Celtes) des peuples indo-européens en tant que porteurs de la culture paradigmatique. Nous arrivons à la conclusion de l'influence colossale et parfois décisive des débuts iraniens sur le judaïsme et l'hellénisme post-babyloniens (et par conséquent sur le christianisme, le byzantisme et l'Europe dans son ensemble), d'une part, et sur les vastes étendues de l'Asie - de l'Asie centrale à l'Inde du Nord, au Tibet et à la Mongolie, d'autre part, et de la profonde sous-estimation de cette influence dans notre étude sur le Logos iranien [9]. Pour Khomyakov, l'Iran est un symbole de la verticale solaire indo-européenne.

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Le début kouchite est pour Khomyakov une civilisation de la fatalité, de la nécessité objective, une sorte de matérialisme sacral qui place l'homme à la périphérie de l'ontologie. C'est un trait distinctif de la civilisation de la Grande Mère, un signe clair du Logos de Cybèle. Une fois encore, la conjecture de Khomyakov sur le lien entre cette vision du monde matriarcale et matérialiste à l'origine et Kush s'avère correcte, ce qui est confirmé par nos études sur les civilisations et les cultures des peuples d'Afrique du Nord [10].

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D'autre part, nous pouvons reconnaître dans cette reconstruction l'influence du regretté Schelling (tableau, ci-dessus) qui, dans ses conférences sur la « Philosophie de la mythologie » [11], a esquissé une image grandiose de l'histoire du monde comme déploiement de la pensée divine, résolvant le problème métaphysique de la signification absolue - comment le léger et raisonnable A2 initial (dans la terminologie de Schelling) formalisera sa relation avec ce qui le précède logiquement et ontologiquement - le sombre abîme apophatique - B. Nous nous sommes référés à plusieurs reprises à ce modèle de Schelling, en découvrant et parfois en corrigeant ses incohérences lorsqu'il s'agit de le mettre en relation avec certaines civilisations (par exemple, en ce qui concerne son interprétation de la culture babylonienne ou du judaïsme primitif [12]), ainsi qu'en suggérant un développement particulier de ses idées en relation avec les figures et les Gestalten (les formes) que Schelling lui-même n'a pas pris en considération (en premier lieu, la figure de Va'ala [13] ou du Trickster [14]).

Khomyakov suit également Schelling en identifiant le « début-racine » iranien avec le Logos rayonnant, A2, et la culture, où le début B, le poids ontologique de la donation autoréférentielle, prédomine complètement, avec le Logos kouchite. Si nous laissons de côté les détails historiques, ethnologiques, linguistiques et religieux, qui, chez Khomyakov, ne demandent pas moins de correction que chez Schelling, le tableau est le suivant : l'histoire du monde est le développement successif de la lutte entre le Logos iranien et le Logos kouchite, c'est-à-dire A2 et B, ou, dans les termes de ma « Noomachia », le Logos d'Apollon et le Logos de Cybèle. C'est ainsi que se construit la dialectique de l'histoire du monde, qui commence par la domination inconditionnelle du Logos iranien, qui est ensuite remplacée par le triomphe du Logos kouchite. Nous voyons ainsi avec la plus grande clarté dans Sémiramis la première version de la « Noomakhia » russe. C'est ce qu'écrit Khomyakov :

Un regard sur l'ancienne dispersion des familles et l'ancienne dispersion de la race humaine, sur la structure fine, polysémique et spirituellement vivante du langage primitif, sur l'espace infini des déserts traversés par les premiers habitants de la terre, sur l'infinité des mers traversées par les fondateurs des premières colonies océaniques, sur l'identité des religions, des rites et des symboles d'un bout à l'autre de la terre, présente une preuve incontestable de la grande illumination, La déformation ultérieure de tous les principes spirituels, la sauvagerie de l'humanité et la triste signification des âges dits héroïques, où la lutte de forces violentes et anarchiques a englouti toutes les grandes traditions de l'antiquité, toute la vie de la pensée, tous les débuts de la communication et toute l'activité intelligente des peuples. Le germe de ce mal se trouve évidemment dans ce pays auquel la gloire ouvre plusieurs âges historiques, dans le pays des Kouchites, qui, plus tôt que tous les autres, oublièrent tout ce qui était purement humain et remplacèrent cet ancien commencement par un nouveau commencement, conventionnellement logique et matériellement formé" [15].

Cette déclaration, cruciale pour comprendre l'essence de la doctrine slavophile, contient un appel direct au Logos d'Apollon, qui pour Khomyakov est la vérité inconditionnelle, le bien et le but. En se plaçant du côté de l'« Iran », Khomyakov se positionne sans ambiguïté dans l'armée des fils de la Lumière, du côté de la verticalité patriarcale et de la liberté céleste. C'est ici que les Slaves devraient être du côté d'Apollon - en tant que dernière légion du Logos de la lumière, prenant le relais des peuples européens et asiatiques qui ont perdu leur mission sous l'assaut du Logos de Cybèle (le début indigène kouchite). En même temps, les derniers mots de ce fragment ne laissent aucun doute sur la manière dont Khomyakov lui-même et les autres slavophiles (ainsi que les membres du cercle des nemüdrovs) évaluent la civilisation moderne de l'Europe occidentale d'aujourd'hui. Elle est dominée par le Logos de Cybèle, et les principes du « début logique et matériellement éduqué » sont élevés au rang de valeur suprême et d'objectif ultime. D'où l'appel à s'opposer non seulement à l'Occident, mais à l'Occident moderne, qui a fait le même choix que de nombreuses civilisations anciennes, en abandonnant le commencement iranien au profit du commencement kouchite. Le Logos solaire doit désormais être défendu par les Slaves.

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Ainsi, l'appel aux civilisations anciennes et la tentative d'identifier certains schémas sémantiques dans l'histoire mondiale conduisent Khomyakov à la justification de l'identité russe et à la formulation de la mission historique des Russes et, plus largement, des Slaves. Dans ce cas, le point de référence de Khomyakov est la pensée germanique - en particulier les romantiques, les philosophes idéalistes qui ont été les premiers à s'approcher du problème du sujet radical [16] - Fichte, Schelling, Hegel. Le problème de l'Europe est que les valeurs bourgeoises libérales-démocratiques - essentiellement kouchitiques, mercantiles, matérialistes - y ont prévalu, représentées de la manière la plus frappante par l'empirisme anglais et le rationalisme français, c'est-à-dire que l'Europe est anglo-française, et non germano-slave. Ainsi, Khomyakov écrit :

La France et l'Angleterre sont malheureusement trop peu au courant du mouvement savant de l'Allemagne : elles ont pris du retard sur le grand guide de l'Europe. (...) Il reste le monde germanique, véritable centre de la pensée moderne. Celui qui a préparé tous les matériaux devrait avoir construit l'édifice.

Les œuvres de Herder, Schelling et Hegel sont les fondations d'un tel édifice de l'histoire mondiale. Plus tard, Oswald Spengler [17] (1880-1936) se fixera le même objectif, mais les Russes devraient également participer à la construction de cette version apollinienne de l'historien du monde. L'œuvre de Khomyakov elle-même est une contribution significative à ce projet ; plus tard, une image encore plus détaillée et élaborée de la multiplicité des types historico-culturels et de leurs missions spéciales sera offerte par le slavophile de la seconde génération Nikolaï Danilevsky (1822 - 1885).

Les slavophiles prirent donc la « commande » de Venevitinov très au sérieux et commencèrent à préparer le terrain pour l'émergence d'une philosophie russe distincte qui, aux yeux des slavophiles eux-mêmes, pouvait et devait être une défense radicale du Logos d'Apollon et une bataille contre le commencement kouchite - matérialiste et strictement immanent.

Cette bataille ne concernait pas seulement les relations entre la Russie et l'Occident, et plus précisément entre la modernité de l'Europe occidentale, mais plutôt le champ de confrontation entre les débuts iraniens et kouchites, c'est-à-dire le Logos d'Apollon et le Logos de Cybèle. Ce champ est devenu l'ensemble de la société russe du 19ème siècle, divisée en deux camps. Khomyakov, dans l'un de ses articles polémiques dirigés contre l'historien occidentaliste S. M. Soloviev (1820-1879), a fait la remarque suivante:

L'esprit expérimental s'est tourné plus strictement qu'auparavant vers toute notre vie et toutes nos lumières, y cherchant des courants hétérogènes et justifiant ou condamnant les phénomènes de la vie et l'expression de la pensée non seulement par rapport à eux-mêmes, mais aussi selon que l'on approuve ou rejette le courant qui s'en dégage. C'est ainsi que sont nées deux tendances auxquelles tous les hommes de lettres appartiennent plus ou moins. L'une de ces directions reconnaît ouvertement au peuple russe le devoir d'un développement original et le droit à une pensée autochtone ; l'autre, dans des expressions plus ou moins claires, défend le devoir de notre attitude d'étudiant constant à l'égard des peuples de l'Europe occidentale, et s'est récemment exprimée ex cathedra, avec une extrême naïveté, en déterminant que l'enseignement n'est ni plus ni moins que l'imitation [18].

Ces deux camps sont les slavophiles et les occidentalistes. Les premiers s'appuient sur l'identité russe, en la fondant sur les structures du Logos indo-européen apollinien, tandis que les seconds insistent pour poursuivre la « seconde traduction » et suivre passivement la logique et le rythme des Modernes de l'Europe occidentale (anglo-française), ce qui équivaut à leur défense du Logos de Cybèle et du commencement kouchite. En même temps, les slavophiles parlent de « développement original » et d'« auto-développement » dans le contexte de la justification d'un sujet russe indépendant. Il s'agit de la construction d'une histoire russe et de l'établissement d'une philosophie russe, qu'Odoevsky appelait également de ses vœux. Dans ce cas, ce n'est pas simplement que les Slavophiles appellent à penser de manière indépendante, et les Occidentaux à imiter la culture étrangère. La civilisation de l'ancienne Russie jusqu'à la fin de l'époque de la Russie moscovite était largement basée sur la traduction, mais la « grande traduction » du byzantinisme, couronnée par la théorie de Moscou comme troisième Rome et le couronnement d'Ivan IV comme tsar, était un engagement avec le Logos d'Apollon, tandis que la « seconde traduction », qui a débuté à l'époque de Pierre et est devenue la principale stratégie de l'occidentalisme russe, a entraîné la chute de la Russie dans l'abîme du matérialisme, de l'individualisme, de l'empirisme et de l'athéisme, c'est-à-dire dans l'abîme de la métaphysique kouchite de la Grande Mère.

Notes:

[1] Дугин А.Г. Мартин Хайдеггер. Возможность русской философии; Он же. Русский Логос - русский Хаос. Социология русского общества;Он же. Абсолютная Родина; Он же. Геополитика России; Он же. Археомодерн; Он же. Русская вещь в 2т. М.: Арктогея-Центр, 2001; Он же. Этносоциология. М.: Академический проект, 2012.

[2] Хомяков А.С. Семирамида.

[3] Морган Л. Г. Древнее общество или исследование линий человеческого прогресса от дикости через варварство к цивилизации. Ленинград: Институт народов Севера ЦИК СССР, 1935.

[4] Дугин А.Г. Ноомахия. Логос Турана. Индоевропейская идеология вертикали; Он же. Ноомахия. Восточная Европа. Славянский Логос: балканская Навь и сарматский стиль.

[5] Дугин А.Г. Ноомахия. Иранский Логос. Световая война и культура ожидания; Он же. Ноомахия. Хамиты. Цивилизации африканского Норда. М.: Академический проект, 2018.

[6] Хомяков А.С. Семирамида. С. 442 – 443.

[7] Дугин А.Г. Ноомахия. Иранский Логос. Световая война и культура ожидания.

[8] Дугин А.Г. Ноомахия. Хамиты. Цивилизации африканского Норда.

[9] Дугин А.Г. Ноомахия. Иранский Логос. Световая война и культура ожидания.

[10] Дугин А.Г. Ноомахия. Хамиты. Цивилизации африканского Норда.

[11] Шеллинг Ф.В. Философия мифологии. В 2-х томах.

[12] Дугин А.Г. Ноомахия. Семиты. Монотеизм Луны и гештальт Ва’ала.

[13] Дугин А.Г. Ноомахия. Семиты. Монотеизм Луны и гештальт Ва’ала.

[14] Дугин А.Г. Ноомахия. Цивилизации Нового Света. Прагматика грез и разложение горизонтов. М.: Академический проект, 2017; Он же. Ноомахия. Восточная Европа. Славянский Логос: балканская Навь и сарматский стиль; Он же. Ноомахия. Царство Земли. Структура русской идентичности.

[15] Хомяков А.С. Семирамида. С. 443.

[16] Дугин А. Г. Радикальный Субъект и его дубль. М.: Евразийское движение. 2009.

[17] Шпенглер О. Закат Западного мира. М: «Альфа-книга», 2014.

[18] Хомяков А.С. Замечания на статью г. Соловьева «Шлецер и антиисторическое направление»/ Хомяков А.С. Сочинения в 2 т. Т. 1. С. 519.

Фрагмент книги Дугин А.Г. Ноомахия. Русский Логос-III. Образы русской мысли. Солнечный царь, блик Софии и Русь Подземная.

vendredi, 17 mai 2024

Alexandre Douguine: "Nous avons perdu l'Occident, mais nous avons découvert « le reste »"

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Nous avons perdu l'Occident, mais nous avons découvert « le reste »

Alexandre Douguine

Source: https://www.globaltimes.cn/page/202405/1312443.shtml?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTAAAR0ffx0OreGKYPtut4jBPJH9zSlaJYX0UyMRC0Kr-x6nLa4vD0WyShqLZTU_aem_AatyfKceoirUhiqHOGccOdhAQiRfdnWrL5iGVH3JHREB1-xH5dDb4moZEve_jQMF31w9-KD0i2NSQhoxaay5OBn5

Note de l'éditeur :

Le philosophe et analyste politique russe Alexandre Douguine, que certains médias occidentaux appellent le « cerveau de Poutine », est l'un des universitaires les plus controversés de Russie. Il a rejoint les plateformes de médias sociaux chinoises telles que Sina Weibo et Bilibili, afin d'approfondir la communication avec les internautes et les universitaires chinois.

Avant l'annonce de la visite d'État du président russe Vladimir Poutine en Chine, le journaliste du Global Times (GT) Yang Sheng a eu un entretien exclusif avec Douguine à Moscou, où il a fait part de son point de vue sur les relations entre la Chine et la Russie et répondu à certains commentaires acerbes et critiques formulés par des net-citoyens chinois sur ses opinions. 

Certaines questions et réponses ont été éditées pour des raisons de concision et de clarté.

GT : Comment prévoyez-vous l'issue de la visite d'État du président Poutine en Chine et l'avenir des relations entre la Chine et la Russie ?

Douguine : En diplomatie, beaucoup de choses ont une signification symbolique. C'est la première visite à l'étranger de Poutine après sa réélection et son investiture. Cette visite n'est cependant pas unique. Il y a quelque chose de plus derrière - la volonté de créer un monde multipolaire.

La Chine ne fait pas seulement partie du système capitaliste, libéral, économique et politique occidental, mais aussi, et d'une certaine manière, elle en est déjà sortie. La Chine y participe, elle y est liée, mais c'est un pôle totalement indépendant, un État souverain et civilisationnel. Il ne fait donc aucun doute que la Chine représente un pôle souverain et un pilier de l'ordre mondial multipolaire.

L'autre pilier est la Russie. Lorsque ces deux piliers d'un monde multipolaire se rencontrent et communiquent, c'est pour montrer la volonté de continuer à construire cette multipolarité avec les deux instances les plus importantes. Le monde d'aujourd'hui n'est plus unipolaire, l'hégémonie de la puissance occidentale est terminée.

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Grâce à cette communication et à cette coopération entre deux pôles ou deux piliers (la Chine et la Russie), d'autres pays et régions veulent également rejoindre le « club multipolaire », comme l'Inde, le monde islamique, l'Afrique et l'Amérique latine.

Cela ne signifie pas que nous construisons ou bâtissons une alliance contre quelqu'un. Si l'Occident accepte la multipolarité, il peut participer à la construction de ce monde multipolaire. Mais si l'Occident continue à s'opposer à l'émergence de cette multipolarité, nous serons obligés de lutter contre cette tentative, non pas contre l'Occident, mais contre l'hégémonie en tant que telle.

Nous avons déjà vu à maintes reprises que lorsque l'Occident déclare qu'il poursuit quelque chose, il présume qu'il existe un « ordre mondial fondé sur des règles ». Mais lorsqu'il y a contradiction entre ces "règles" et leurs intérêts, ils changent tout simplement de position.

Ils ont invité la Chine à entrer dans le marché mondial ouvert, mais lorsque la Chine a commencé à prendre de l'avance, certains pays occidentaux ont commencé à imposer des mesures protectionnistes contre la Chine. Ils changent les règles pour servir leurs propres intérêts, parce que ce sont « leurs règles ».

Ensemble, nous voulons nous défendre contre toute tentative de détruire cette multipolarité ou de maintenir l'hégémonie d'une puissance quelconque dans le monde.

GT : Comment la Russie pourrait-elle surmonter toutes les difficultés et tous les défis auxquels elle a été confrontée au cours des deux dernières années, depuis l'éclatement de la crise ukrainienne en 2022 ? Une série de sanctions a été lancée par le monde occidental contre la Russie, mais l'année dernière nous avons vu que selon les données publiées par le gouvernement russe, l'économie russe a réalisé une croissance du PIB d'environ 3,6% en 2023.

Douguine : Pour répondre à votre question, nous devons étudier les différentes versions du processus de participation et de mondialisation. Vous, les Chinois, avez une expérience très particulière en la matière. Vous êtes entrés dans la mondialisation en tant que pays plus ou moins retardé dans son développement. Pendant et après les réformes, vous avez réussi à utiliser la participation à la mondialisation en votre faveur. Vous en avez tiré tous les avantages et vous avez sauvé et renforcé la souveraineté et le pouvoir du Parti communiste chinois (PCC). Ces éléments ont garanti à votre pays une certaine stabilité.

L'expérience russe de la participation à la mondialisation a été tout à fait différente. Tout d'abord, nous avons perdu l'ordre (stabilisateur). Nous avons perdu notre système de cohésion géopolitique, y compris notre contrôle sur l'Europe de l'Est. Nous avons perdu les pays du Pacte de Varsovie et les avons cédés à l'OTAN. Nous avons accepté les valeurs occidentales, les systèmes occidentaux, le type de constitution occidentale, et nous avons perdu tous les atouts de l'Union soviétique.

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Nous avons également perdu nos industries, notre économie et notre système financier. Nous avons tout perdu dans les années 1990. Il s'agit donc de deux expériences différentes du processus de mondialisation. La Chine a adopté un meilleur style et a réalisé une croissance rapide tout en préservant son indépendance et sa souveraineté. Aujourd'hui, la sagesse de Deng Xiaoping et du PCC, au cours de toutes ces décennies, se manifeste clairement.

Lorsque Poutine est arrivé au pouvoir, il a commencé à restaurer la souveraineté de la Russie étape par étape. La souveraineté a été placée au centre de sa politique. Et lorsque nous avons été coupés de l'économie occidentale mondialiste, nous n'avons rien perdu. Mais nous avons gagné parce que nous avons été obligés de suivre notre propre volonté, même si cela peut nous faire perdre certains intérêts. En même temps, nous n'avons pas été isolés et nous avons redécouvert que nous n'étions pas seuls dans ce monde.

Nous avons de nombreux partenaires, comme la Chine, le monde islamique, l'Inde, etc. Nous avons également découvert qui est prêt à coopérer avec nous. Nous avons découvert que de plus en plus de pays sont intéressés par un partenariat économique avec la Russie. Nous avons découvert les autres remplaçants de l'Occident, comme les pays d'Afrique et d'Amérique latine ; nous avons donc perdu l'Occident, mais nous avons découvert « le reste ».

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GT : Vous avez récemment ouvert des comptes personnels sur certaines plateformes de médias sociaux chinoises telles que Sina Weibo et Bilibili. De nombreux internautes chinois vous suivent pour savoir ce que vous allez dire au public chinois. Pourquoi avez-vous fait cela et lisez-vous les commentaires des internautes chinois ?

Douguine : Tout d'abord, j'ai un grand respect pour la Chine moderne et les traditions chinoises. J'ai écrit un livre intitulé « Le dragon jaune », entièrement consacré à la civilisation chinoise, des origines à nos jours. Aujourd'hui, je vois la gloire de l'esprit, de la culture et de la philosophie de la Chine. C'est le livre d'un amoureux et d'un admirateur de la Chine.

Aujourd'hui, je pense que nous devons développer davantage la base philosophique de l'amitié entre la Chine et la Russie. Les deux pays ne sont pas seulement des partenaires tactiques, mais un alignement entre deux grandes civilisations, et pour promouvoir cela, nous devons mieux nous comprendre.

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Nos sociétés, nos cultures, nos civilisations et nos valeurs traditionnelles sont très différentes. Elles sont divergentes et, sur certains points, convergentes. Afin de promouvoir un dialogue à part entière entre deux civilisations, j'ai décidé d'ouvrir des comptes sur les médias sociaux en Chine et de parler au public chinois, d'ouvrir la discussion. Je ne fais qu'exprimer mon opinion sur ce qui se passe en Russie, sur ce qui se passe dans le monde, sur la façon dont les Russes perçoivent l'importance de la Chine et sur les principes qui devraient être à la base de nos relations futures.

J'ai commencé par un geste très amical et ouvert à la discussion. Mais après cela, une énorme vague de débats a émergé, et pour moi, c'est étonnant et stupéfiant. Je ne m'attendais pas à cela.

Certaines personnes ont commencé à utiliser des fragments de mes opinions antérieures, datant des années 1990, lorsque la Russie vivait dans des conditions totalement différentes. Avant Poutine, le pays était dirigé par « les traîtres à notre civilisation ». Je considérais [à l'époque] que la Chine entrait dans la mondialisation et qu'elle allait perdre sa souveraineté, et qu'elle allait trahir ses valeurs traditionnelles au profit du capitalisme mondial en trahissant ses idées socialistes et communistes.

GT : Dans les années 1990, vous pensiez donc que la Chine serait transformée par la mondialisation, voire qu'elle rejoindrait l'Occident pour devenir une menace pour la Russie. Mais après cela, vous avez changé d'avis parce que la Chine a également changé, et le changement de la Chine vous a surpris, parce que vous ne vous y attendiez pas, et ensuite vous êtes devenu amical envers la Chine et vous soutenez à nouveau l'amitié Chine-Russie. Est-ce exact ?

Douguine : Absolument ! Tout à fait ! Le fait que le changement ait eu lieu il y a environ 25 ans n'est pas nouveau.

Mes opinions ont changé parce que la Chine a changé, le monde a changé, la Russie a changé, la géopolitique a changé. Et il n'est pas correct d'utiliser mes opinions qui sont sorties de leur contexte pour m'attaquer.

J'ai finalement changé d'avis après avoir effectué des visites en Chine dans les années 2000. J'ai rencontré de nombreux intellectuels chinois et nous avons eu des discussions sérieuses et très fructueuses. Aujourd'hui, j'ai une opinion totalement différente, non seulement d'un point de vue théorique, mais aussi parce que je suis très impliqué dans le travail visant à améliorer la vie de la société universitaire chinoise. Plus je connais la Chine, plus je l'admire. 

dimanche, 12 mai 2024

Le débat Carlson/Douguine

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Le débat Carlson/Douguine

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2024/04/30/carlson-dugin/

Le journaliste américain Tucker Carlson s'est rendu en Russie en février, où il a eu l'occasion d'interviewer le président russe Vladimir Poutine. Lors de ce voyage, il a également rencontré le philosophe Aleksandr Douguine, avec qui il s'est entretenu de philosophie.

Carlson explique à son public qui est M. Douguine. Il mentionne que Douguine figure sur la liste des personnes subissant des sanctions américaines, que ses livres ne peuvent être commandés sur Amazon et que sa fille Darya a été assassinée dans sa voiture piégée par le régime ukrainien. Qu'est-ce qui rend donc la pensée et les actions de Douguine si dangereuses que l'on veuille le faire taire ?

Avec Carlson, Douguine ne traite pas de géopolitique, d'Ukraine ou autre sujet similaure, mais il va plus loin, dans l'histoire des idées et des doctrines, et dans les sombres perspectives d'avenir auxquelles l'idéologie libérale semble conduire dans le pire des cas.

Le penseur russe commence par expliquer comment tout a commencé à aller mal à cause de l'éthique occidentale de l'individualisme, du nominalisme et de la Réforme protestante dans le monde anglo-saxon. L'individu, le sujet séparé, a été placé au centre de l'idéologie libérale: tout lien avec l'identité collective devait être éradiqué.

Le 20ème siècle a vu s'affronter le libéralisme, le communisme et le fascisme, dont le libéralisme est sorti vainqueur. Après la chute de l'Union soviétique, seul le libéralisme anglo-américain a subsisté. Douguine se réfère à Francis Fukuyama, qui a déclaré, à l'époque, que le temps des autres idéologies était révolu.

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Après cette victoire, il ne restait que deux identités collectives dont l'individu devait se libérer: l'identité de genre et l'identité humaine.

Selon Douguine, l'identité de genre a été démantelée par l'idéologie lgbt (lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels), qui promeut l'individualisme sexuel et l'idée que les genres sont interchangeables. Dans l'idéologie libérale, la sexualité est quelque chose que l'individu peut choisir et les lois de la biologie n'ont pas d'importance.

En Occident, la sexualité peut être modifiée, mais Douguine considère que l'étape finale du processus qu'enclenche le libéralisme est l'abandon de l'humanité elle-même. Cette transformation est tentée par le biais du progrès technologique et est appelée « transhumanisme ».

Le transhumanisme est également associé à la technologie de l'intelligence artificielle, à la singularité et est défendu par des personnalités telles que Klaus Schwab, Raymond Kurzweil et Yuval Noah Harari, qui estiment qu'un « avenir post-humain » est une évolution inévitable.

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Lorsque tous les liens avec le passé et la tradition sont rompus, l'individu devient un matérialiste athée et laïque. Il n'appartient même plus à une nationalité particulière, de sorte que l'État-nation - la transition vers laquelle le libéralisme s'est servi comme d'une étape intermédiaire pour détruire l'empire - peut être laissé derrière lui. De même, la famille en tant que facteur limitatif est abandonnée au profit d'un individualisme extrême.

Tel est, selon Douguine, le programme du présent et de l'avenir, qui est mis en œuvre par tous les moyens politiques et économiques. Selon le philosophe russe, cette tendance trouve son origine dans l'empirisme, le nominalisme et le protestantisme tels qu'ils sont apparus dans le monde anglo-saxon.

Le présentateur Carlson tente d'expliquer que sa conception américaine du libéralisme repose sur l'idée que l'individu est libre de ses choix et qu'il peut également se défendre contre l'État. En quoi le libéralisme embrassé par Carlson et de nombreux Américains diffère-t-il des idées de Douguine ?

Pour Douguine, le malentendu repose sur deux définitions. Il y a l'ancien « libéralisme classique » et le « nouveau libéralisme ». Le libéralisme classique privilégie la démocratie, c'est-à-dire le consensus majoritaire et donc le pouvoir populaire.

Cependant, combiné à une liberté individuelle radicale, il a finalement conduit à un « nouveau libéralisme », basé non pas sur la majorité mais sur le pouvoir de la minorité et sur une idéologie de la guerre qui prétend promouvoir une société plus égalitaire.

Puisque la majorité pourrait choisir Hitler ou Poutine, la majorité doit être surveillée et cela se fait en exploitant les différentes minorités, dont les droits spéciaux, en soulignant leurs droits spéciaux, le pouvoir de la majorité est dispersé. Pour Douguine, il ne s'agit plus de démocratie, mais de totalitarisme, qui ne défend pas les libertés individuelles, mais exige de suivre un certain agenda du « progrès ».

Pour Douguine, un tel libéralisme exige toujours une nouvelle « libération » de quelque chose. La libération a commencé par les identités collectives, les traditions, la religion, la citoyenneté, la patrie, la famille, et enfin le genre et l'humanité, où qu'ils mènent.

Douguine explique à Carlson qu'aujourd'hui, il ne suffit plus de dire que l'on est un « libéral classique », car pour les libéraux de gauche qui ont embrassé le « wokisme » et ont soif de se libérer de leur humanité, cela signifie aussi « traditionalisme, conservatisme et fascisme ». Si vous ne voulez pas être un libéral progressiste, vous serez « annulé ».

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Carlson demande à Douguine quelle est l'étape suivante une fois que l'humanité aura été libérée. Pour Douguine, la réponse se trouve dans la science-fiction américaine. Par exemple, de nombreux vieux films de science-fiction ont déjà dépeint l'époque dans laquelle nous vivons aujourd'hui: presque tout ce qui a été imaginé au 20ème siècle est devenu réalité au 21ème. « Il n'y a rien de plus réaliste que la science-fiction », affirme Douguine.

Il cite Matrix, Terminator et l'intelligence artificielle. Si l'homme n'est qu'un animal rationnel, la technologie moderne peut déjà produire de tels animaux ou en créer des combinaisons. L'intelligence artificielle, avec toutes les données dont elle dispose, pourrait devenir le roi de ce nouveau monde.

Les films hollywoodiens n'ont jamais représenté l'avenir comme un retour aux sociétés traditionnelles et aux familles élargies, mais toujours de manière dystopique, sombre avec une humanité atomisée. Pour Douguine, il ne s'agit pas seulement d'un fantasme, mais d'une option réaliste si le projet politique progressiste actuel se poursuit.

Enfin, M. Carlson demande à Douguine comment il est possible que, pendant des décennies, les libéraux de gauche de l'Occident aient défendu l'Union soviétique, Staline et le stalinisme, et que, vers la fin du 20ème siècle, ils aient même favorisé l'ivrogne Eltsine, mais qu'au 21ème siècle, la Russie soit soudainement devenue leur principal ennemi.

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Douguine attribue cette évolution au fait que Poutine s'est avéré être un dirigeant traditionnel qui, dès son arrivée au pouvoir, a commencé à réduire l'influence de l'Occident mondialiste en Russie. Poutine est devenu un défenseur des valeurs plus traditionnelles et un champion de la souveraineté de l'État.

Cela n'était pas évident au premier abord pour les étrangers, mais lorsque Poutine a souligné à plusieurs reprises le rôle de la Russie en tant que puissance civilisatrice spéciale ayant peu en commun avec les idéaux néolibéraux, il est devenu, aux yeux de l'Occident, un ennemi métaphysique de ses aspirations.

Si l'objectif est la destruction des valeurs traditionnelles, des croyances, du concept de famille, du genre et de tout le reste, la Russie de Poutine, en tant que défenseur de ces valeurs, est l'ennemie du post-humanisme libéral, conclut Douguine.

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mercredi, 08 mai 2024

L'intelligence artificielle dans le monde russe

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L'intelligence artificielle dans le monde russe

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2024/05/01/tekoaly-venalaisessa-maailmassa/

Le philosophe russe Alexandre Douguine craint que la technologie de l'intelligence artificielle ne change le monde tel que nous le connaissons, ainsi que les êtres humains eux-mêmes. « Dans le domaine de l'intelligence artificielle, l'humanité doit être conçue comme un grand ordinateur, mais ses composants ne fonctionnent pas parfaitement », déclare-t-il.

« Le matérialisme, le nominalisme, l'évolutionnisme, la philosophie analytique (basée sur le positivisme logique) et la technocratie » ont préparé le terrain théorique pour une « quatrième révolution industrielle », qui sera « diffusée et mise en œuvre par le biais de la science, de l'éducation et de la culture ».

« Dans un certain sens, l'humanité telle qu'elle est présentée par la science et la philosophie modernes est déjà une intelligence artificielle, un réseau neuronal. L'IA est humaine dans la mesure où les épistémologies modernes et postmodernes imitent artificiellement la pensée humaine", conclut Douguine.

« L'État bourgeois est l'ordinateur de la première génération, la société civile la deuxième, le pouvoir total du gouvernement mondial la troisième, et la transition vers l'IA, la quatrième, qui achève le processus d'aliénation [de l'humanité] », énumère le politologue.

Dans ce cadre, « l'histoire du capitalisme est le processus de création du superordinateur ». « L'ère moderne culminera inévitablement dans l'intelligence artificielle, à moins que la vision du monde scientifique antithéiste et antihumaniste du modernisme ne soit abandonnée », estime Douguine.

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L'IA est le « dernier arrêt » pour Douguine, mais « ce train a été pris il y a cinq cents ans ». Pour inverser cette tendance, il faudrait faire dérailler le capitalisme ici et maintenant. Existe-t-il une volonté de le faire, dans quelque direction que ce soit ?

L'opération militaire spéciale [en Ukraine] est une guerre philosophique", affirme Douguine. « La tâche des Russes est de vaincre la cyber-réalité. Il n'est guère possible de l'éviter. Il faut chevaucher le tigre et transformer le poison en médicament. L'idée russe doit conquérir et soumettre non seulement l'Ukraine, mais aussi l'intelligence artificielle. Tels sont les enjeux", s'enflamme le penseur.

Mais qu'en pense le dirigeant russe, le président Vladimir Poutine lui-même? Il salue l'IA comme « une réalisation exceptionnelle de l'esprit humain ». Néanmoins, il estime également qu'il est « important de réfléchir à ce que les gens ressentent en présence des machines ».

« Où fixer les limites du développement de l'IA ? Ces questions éthiques, morales et sociales ont suscité de sérieux débats dans notre pays et dans le monde entier. Certains ont même suggéré de reporter le développement dans le domaine de l'IA générative et particulièrement puissante, qui devrait avoir des capacités cognitives surpuissantes. »

Poutine est trop pragmatique pour être un luddite hostile à tout développement. « Nier le développement de la technologie n'est pas la voie de l'avenir, car c'est tout simplement impossible », estime-t-il. Même si la Russie interdit l'IA, d'autres continueront à y travailler et le monde russe restera à la traîne. Bien entendu, ce n'est pas ce que souhaite M. Poutine.

« Mais il est crucial de garantir la sécurité et l'utilisation rationnelle de ces technologies, et nous devons nous appuyer sur la culture traditionnelle, entre autres, parce qu'elle est le régulateur éthique le plus naturel du développement technologique. Ces idéaux de bonté et de respect humain ont été exprimés par Tolstoï, Dostoïevski et Tchekhov, ainsi que par d'excellents auteurs de science-fiction tels que Belyayev et Yefremov", ricane Poutine dans le coin éthique de son esprit, en rentrant chez lui.

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« On peut demander à l'intelligence artificielle de réfléchir aux moyens de limiter le champ de ses activités afin d'éviter de franchir certaines limites préjudiciables à l'homme. Les travaux de nos éminents auteurs ont servi de boussole morale à des générations de scientifiques, permettant à notre pays de remporter des victoires scientifiques et d'utiliser ces réalisations au profit des gens", suggère M. Poutine.

Mais une superpuissance ou une entreprise technologique - ou l'IA avancée elle-même - peut-elle (ou pourra-t-elle) réussir ? - Peut-on limiter le développement afin de ne pas entrer dans une ère transhumaniste, « post-humaine », où la « gouvernance mondiale » est contrôlée par l'IA, comme dans la science-fiction ?

La seule différence entre les différents intérêts dans le développement technologique pourrait être que l'Occident collectiviste, au bord de la ruine, permet à la technologie d'asservir les gens au « wokisme », tandis que la politique identitaire du monde russe favorise le réalisme, c'est-à-dire la reconnaissance qu'il n'y a encore que deux sexes, masculin et féminin.

Pour les experts les plus pessimistes, une intelligence artificielle de type extraterrestre qui pense mille fois plus vite que nous ne détruira pas le monde, mais seulement les hommes qui l'habitent. La « quatrième révolution industrielle » mangera-t-elle les hommes à mesure que s'estomperont les frontières de la réalité telle que nous la connaissons, ou l'IA ne sera-t-elle qu'une bulle informatique de plus ?

dimanche, 05 mai 2024

De la personnalité économique

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De la personnalité économique

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/ekonomicheskaya-lichnost-0

Personnalité et individu : différenciation des concepts

Le concept de "travailleur total" en tant que figure originelle de l'histoire économique peut être complété par la formule de "personnalité économique". La personnalité économique est un travailleur total (intégral). Dans ce cas, le centre d'attention est la personnalité dans son interprétation anthropologique (principalement celle proposée par l'école française de Durkheim-Mauss [1] et les disciples de F. Boas aux États-Unis [2]). La personnalité (la personne) s'oppose ici à l'individu, car la personnalité est quelque chose de social, de public, de complexe et de créé artificiellement, contrairement à l'individu, qui est une donnée atomique d'un être humain séparé sans aucune caractéristique supplémentaire. L'individu est le produit de la soustraction de la personnalité de la personne, le résultat de la libération de l'unité humaine de tout lien et de toute structure collective. La personnalité consiste en l'intersection de différentes formes d'identité collective, qui peuvent être représentées sous forme de rôles (en sociologie) ou d'affiliations (en anthropologie). La personnalité n'existe et n'a de sens qu'en relation avec la société. La personnalité est un ensemble de fonctions, ainsi que le résultat de la création consciente et significative de l'identité d'une personne. La personnalité n'est jamais un acquis; c'est un processus et une tâche. La personnalité se construit en permanence et, au cours de cette construction, le monde environnant est établi, ordonné ou, au contraire, détruit et chaotique.

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La personnalité est l'intersection d'identités multiples, dont chacune est une espèce, c'est-à-dire qu'elle comprend indéfiniment de nombreuses identités en tant qu'aspects de celles-ci. Une identité particulière est une combinaison de ces filiations (espèces), représentant à chaque fois quelque chose d'original - puisque le nombre de possibilités à l'intérieur de chaque espèce, et plus encore les combinaisons de ces possibilités, est illimité. Ainsi, les gens utilisent la même langue, mais prononcent à l'aide de celle-ci de nombreux discours différents, qui ne sont pas si originaux (comme il semble parfois à la personne elle-même), mais qui ne sont pas non plus si récurrents et prévisibles que dans le cas d'une machine ou même du système de signalisation des espèces animales. Par ailleurs, les identités sont constituées par la superposition d'identités propres à l'âge, au sexe, aux caractéristiques sociales, ethniques, religieuses, professionnelles, de classe, etc. qui ont chacune leur propre structure. La personnalité est donc l'intersection de structures dont la sémantique est déterminée par le contexte structurel.

L'individu est le produit de l'observation externe de l'individu humain, où l'aspect personnel n'est pas clair ou est complètement supprimé. L'individu est pensé indépendamment des structures et de la filiation et n'est fixé que sur la base de sa simple présence corporelle effective, de son système nerveux réactif et de sa capacité à se mouvoir de manière autonome. D'une certaine manière, l'individu en tant que concept est le mieux compris dans la théorie béhavioriste: dans cette théorie, la personne est une boîte noire, et ce qui interagit avec l'environnement est l'individu dans son état empirique prima facie. Cependant, si l'individu est bien un fait réaliste d'un point de vue empirique, en tant que concept métaphysique, il est purement nihiliste. Le comportementalisme affirme qu'il ne sait rien du contenu de la boîte noire et, en outre, qu'il ne s'intéresse pas à ce contenu. En principe, il s'agit d'une conclusion logique de la philosophie américaine du pragmatisme. Mais ce n'est pas parce que le contenu n'est "pas intéressant" qu'il n'existe pas. C'est très important: le pragmatisme pur, s'il refuse de s'intéresser à la structure de l'individu, le fait encore avec modestie et n'en tire aucune conclusion sur l'ontologie de ce qui se trouve dans la "boîte noire". Le pragmatisme américain n'est donc un individualisme qu'en partie - dans son aspect empirique. L'individualisme radical a des racines différentes - purement anglaises - et est associé à l'idée de l'élimination de tous les liens de filiation. En d'autres termes, l'individualisme se construit sur l'anéantissement conscient et cohérent de l'individu, sur sa négation et sur l'attribution à cette négation d'un statut métaphysique et moral: l'anéantissement de l'individu est un mouvement vers la "vérité" et la "bonté", ce qui signifie "la vérité de l'individu" et "la bonté pour l'individu".

On voit ici la frontière entre l'indifférence et la haine: le pragmatisme américain est tout simplement indifférent à l'individu, tandis que le libéralisme anglais et ses dérivés universalistes et mondialistes le haïssent et cherchent à le détruire. Il s'agit de transformer l'individu, en partant d'un concept vide, obtenu par soustraction de quelque chose de réel, dans lequel la séparation physique de l'être singulier est imbriquée avec l'élément de l'abîme métaphysique (obtenu par l'élimination de l'individu et de toutes les structures qui le fondent).

L'économie de la personnalité

Après cette explication, il est facile d'appliquer les deux concepts - personnalité et individu - à l'économie. Le travailleur intégral (total) est précisément la personnalité économique, et non l'individu économique. L'intégralité, que nous caractérisons comme le lien entre la production et la consommation et la propriété des moyens de production, est complétée par la caractéristique la plus importante: l'inclusion dans des structures sociales de nature organique. Le travailleur intégral vit (y compris la production et la consommation) dans un environnement historique et culturel qui lui offre un ensemble ramifié d'identités collectives. Cet ensemble prédétermine sa langue, son clan, sa faction, sa place dans le système de parenté [3] (C.Lévi-Strauss), son sexe, sa religion, sa profession, son appartenance à une société secrète, son rapport à l'espace, etc. Dans chacune de ces structures, l'homme occupe une certaine place qui lui confère une sémantique appropriée. C'est ce qui détermine son activité économique. L'ouvrier (en premier lieu le paysan) ne travaille pas seulement pour survivre ou s'enrichir, mais pour bien d'autres motifs, beaucoup plus importants, qui découlent des structures qui forment sa personnalité. Le travailleur travaille en raison de la langue (qui est aussi une sorte d'économie - un échange de paroles, de salutations, de bénédictions ou de malédictions), de la parenté, du sexe, de la religion et d'autres statuts. En même temps, le travail implique la personne tout entière - dans toute la diversité de ses éléments constitutifs. En ce sens, le travailleur intégral dans le processus économique affirme constamment et continuellement des structures personnelles, ce qui fait de l'économie une sorte de liturgie ontologique, de création, de défense et de renouvellement du monde.

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La personnalité économique est une expression très concrète des propriétés de l'espèce, où ces propriétés, qui ont de multiples niveaux, se combinent de manière complexe et dynamique. Si les structures sont communes (bien que cette communauté ne soit pas universelle, mais déterminée par les frontières de la culture), leur expression et leur affirmation dans la personnalité sont toujours distinctes: non seulement les structures elles-mêmes sont différentes dans certains cas (par exemple, dans le domaine du sexe, de la profession, des castes, de l'endroit où elles se trouvent, etc.), mais leurs moments se manifestent avec différents degrés d'intensité, de pureté et d'éclat. D'où l'apparition de différences qui rendent la vie imprévisible et diversifiée: les individus qui reflètent des combinaisons de structures communes (ajustées aux frontières culturelles) sont toujours diversifiés, car ils portent des éléments de ces structures accentués et combinés différemment. C'est ce qui nous permet de considérer la société à la fois comme quelque chose d'uniforme, de permanent et soumis à une logique paradigmatique commune, et comme quelque chose d'unique et d'historique à chaque fois, puisque la liberté individuelle est extrêmement grande et peut générer d'innombrables situations.

Néanmoins, la société du travailleur intégral dans son ensemble est déterminée par l'unité du paradigme, où la loi principale est la domination de l'individu en tant que gestalt de base.

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Une telle société est toute société traditionnelle, où la sphère de l'économie est distinguée comme une sphère séparée et indépendante, distincte de l'autre sphère, qui comprend les guerriers, les dirigeants et les prêtres. Il est important que les guerriers et les prêtres ne participent pas directement à l'économie et agissent comme l'Autre, appelé à consommer les surplus de l'activité économique du travailleur intégral. Il est important qu'il s'agisse du surplus. Si les guerriers et les prêtres exigeaient autre chose que le surplus (La part maudite, G. Bataille [4]), les travailleurs mourraient de faim et de pénurie, ce qui entraînerait la mort des guerriers et des prêtres eux-mêmes. En même temps, dans les sociétés où il n'y a pas de stratification sociale, les destinataires de la destruction de la "partie maudite" (l'excès) sont les esprits, les morts et les dieux en l'honneur desquels le potlatch est célébré. Le mot russe "lihva" est très expressif : il signifie quelque chose de superflu, ainsi que les intérêts bancaires, et vient de la base "liho", "mal".

De cette observation découle un principe important de la théorie du labeur intégral: la communauté de travail des labeurs intégraux doit être souveraine au sens économique du terme, c'est-à-dire qu'elle doit être en autarcie complète dans tous les sens du terme. Dans ce cas, elle sera indépendante de la superstructure (guerriers et prêtres), qui peut consommer la "partie maudite", ou qui peut être absente, auquel cas la "partie maudite" sera détruite par les travailleurs intégraux eux-mêmes au cours d'un rituel sacré. Ainsi, la condition préalable à l'intériorisation de la malédiction est éliminée. Et cette intériorisation de la malédiction est la scission (Spaltung) que signifie le capitalisme.

Le capitalisme entraîne la scission de l'individu économique, son détachement des structures, c'est-à-dire sa dépersonnalisation. Cela conduit en même temps à la dé-supervision de la communauté de travail, à sa dépendance vis-à-vis de facteurs externes, à la division du travail et à la malédiction économique : le travailleur intégral (paysan) devient un bourgeois, c'est-à-dire un consommateur immanent de la partie maudite. C'est ainsi que commence la désintégration du caractère personnel de l'économie et le changement de la nature même de l'économie: de l'économie en tant que mode de vie sacré dans le cadre de structures personnelles à l'économie en tant que moyen d'accumuler des ressources matérielles. Selon Aristote, il s'agit du passage de l'économie (οἰκονόμος) à la chrématistique (χρηματιστική). L'individu est la figure centrale de l'économie en tant que ménage. L'individu est l'unité artificielle de la chrématistique en tant que processus continu d'enrichissement.

L'individu chrématistique

Le modèle du capitalisme repose sur une vision de la société comme un ensemble d'individus économiques. En d'autres termes, le capitalisme n'est pas une doctrine économique relevant du ménage des individus, mais un dispositif anti-économique qui absolutise le chrématistique comme schématisation de l'activité égoïste des individus. L'individu chrématistique est le résultat de la scission (Spaltung) de l'individu économique.

Le capitalisme suppose qu'au cœur de l'activité économique se trouve l'individu qui cherche à s'enrichir. Non pas celui qui vise l'équilibre dans la structure cosmique et l'élément sacré de la liturgie du travail (en tant que travailleur intégral), mais précisément à l'enrichissement en tant que processus monotone et augmentation de l'asymétrie. Cela signifie que le capitalisme est le désir conscient d'intérioriser et de cultiver la "partie maudite". C'est précisément ce qu'est l'individu chrématistique - il cherche à maximiser la richesse, et ce désir se reflète dans le capitalisme du désir. Le désir est ici dépersonnalisé (d'où la "machine à désirer" de M. Foucault), car il ne s'agit pas du désir de l'individu, reflet des structures de filiation, mais de la volonté nihiliste de l'individu, dirigée contre les structures en tant que telles. Ce désir chrématistique est la force du nihilisme pur, dirigé non seulement contre l'individu, mais aussi contre l'économie en tant que telle, et plus encore contre l'individu en tant que structure.

Le capitalisme détruit le cosmos en tant que champ sacré d'existentialisation de la communauté des individus, pour affirmer à la place un espace de transactions entre des individus chrématistiques. Ces individus n'existent pas parce que chaque personne particulière reste - même sous le capitalisme - phénoménologiquement une personne, c'est-à-dire l'intersection d'une filiation collective. Mais le capitalisme cherche à réduire au maximum cet aspect personnel, ce qui n'est possible qu'en remplaçant l'humanité par des individus post-humains. C'est dans le passage au post-humanisme que le désir chrématistique atteint son apogée: la "part maudite" réalise l'implosion de l'humain commencée avec le capitalisme.

Une transaction parfaite n'est possible qu'entre deux cyborgs, réseaux neuronaux totalement dépourvus d'existentiel et de connexion aux structures personnelles.

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Mais le cyborg n'est pas introduit dans l'économie aujourd'hui. Dès le début, le capitalisme a traité précisément avec le cyborg, car l'individu chrématistique est le cyborg, un concept artificiel obtenu par la division du travailleur total (intégral). Le prolétaire et le bourgeois sont tous deux des figures artificielles obtenues en divisant le paysan (la troisième fonction traditionnelle) et en pliant ensuite artificiellement les parties en deux ensembles non équilibrés, les exploités urbains et les exploiteurs urbains. Le bourgeois cyborg et le prolétaire cyborg sont à la fois individuels et mécanistes: mais le premier est dominé par la "partie maudite" libérée, le second par le sombre destin mécanique de la production enraciné dans la pauvreté et l'insignifiance de la matière. Nous devenons bourgeois et prolétaires lorsque nous cessons d'être des êtres humains, lorsque nous renonçons à notre personnalité.

L'eschatologie économique et la 4PT (Quatrième théorie politique)

Dans le contexte de la structure générale de la quatrième théorie politique, nous pouvons parler de la structure eschatologique de l'histoire économique.

Au début se trouve la personnalité économique, le travailleur intégral (total) qui, dans la concrétisation des sociétés indo-européennes (principalement en Europe), est représenté par la gestalt du paysan. La personnalité à part entière est le paysan, qui représente l'aspect de l'homme (au sens large de l'Anthropos) tourné vers l'élément Terre. En cultivant les céréales qui donnent le pain, le paysan traverse le mystère de la mort et de la résurrection, voyant dans le destin du grain le destin de l'homme. Le travail paysan est un mystère d'Eleusis, et il est important que le don de Déméter aux hommes, grâce auquel ils sont passés de la chasse et de la cueillette à l'agriculture (c'est-à-dire le don de la révolution néolithique), soit sont passés au pain et au vin, à l'épi et à la grappe de raisin. Le paysan est un être de mystère, et l'économie au sens premier du terme était basée sur les mystères de Déméter et de Dionysos. Ces cultes n'accompagnaient pas seulement l'activité paysanne, ils étaient cette activité elle-même, représentée de manière paradigmatique. Les Athéniens considéraient qu'une personne à part entière était un initié aux mystères, et plus précisément aux mystères d'Eleusis - les mystères du pain et du vin, c'est-à-dire aux mystères paysans de la mort et de la nouvelle naissance. Cette figure est celle du travailleur intégral.

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Le moment suivant de l'histoire économique est l'avènement du capitalisme. Il est associé à la scission de la personnalité économique, à la désintégration de l'image intégrale du laboureur sacré et, par conséquent, à l'industrialisation, à l'urbanisation et à l'émergence de classes - la bourgeoisie et le prolétariat. Le capitalisme postule l'individu chrématistique comme une figure normative, le décrivant comme une symbiose entre l'animal et la machine. La métaphore animale "explique" la volonté de survie et le "désir" (ainsi que la motivation prédatrice du comportement (anti)social - le lupus de Hobbes), et la rationalité (la "raison pure" de Kant) est considérée comme le prototype de l'intelligence artificielle.

Ceci était implicite dans le capitalisme précoce (Modernité précoce) et explicite dans le capitalisme tardif (postmoderne). Ainsi, le travailleur intégral a répété une fois de plus le destin du grain - non plus dans la structure du cycle rural annuel, mais dans l'histoire "linéaire". Cependant, le temps linéaire du capitalisme est un vecteur orienté vers l'élément pur de la mort, que rien ne suit et qui n'est chargé de rien. La mort de la modernité est une mort sans résurrection, une mort sans sens ni espoir. Et ce vecteur de mort irréversible, d'anéantissement, atteint son maximum au moment de l'apparition de l'individu pur, comme point culminant du capitalisme en tant que stade historique. L'individu pur doit être porteur d'immortalité physique, car il n'y aura rien en lui qui puisse mourir. Il ne doit y avoir en lui aucun soupçon de structure ou de filiation. Il doit être totalement libéré de toute forme d'identité collective ainsi que d'existentialité. C'est la "fin de l'économie" [5] et la "mort de l'individu", mais en même temps l'épanouissement du chrématistique et l'immortalité de l'individu (posthumain). Le grain de l'humain pourrit, mais à sa place vient non pas une vie ressuscitée, mais un simulacre, un Antéchrist électronique. Le capital, étymologiquement lié à la tête (du latin caput), c'est-à-dire le capital, a historiquement été une préparation à la venue de l'intelligence artificielle.

Quel est donc l'aspect économique de la quatrième théorie politique qui défie le libéralisme dans sa phase finale ?

Théoriquement, un retour radical au travailleur intégral, à l'individu économique contre l'"ordre" capitaliste désintégré (ou plutôt le chaos contrôlé) et l'individu chrématistique devrait être défendu. Cela signifie une désurbanisation radicale et un retour aux pratiques agricoles, à la création de communautés paysannes souveraines. Tel est le programme économique de la Quatrième théorie politique - la résurrection de l'économie après la nuit noire de la chrématistique, la renaissance de l'individu économique de l'abîme de l'individualisme.

Mais nous ne pouvons pas ignorer l'échelle sans fond du nihilisme capitaliste. Le problème n'a pas de solution technique: le capitalisme ne peut pas être corrigé, il doit être détruit. Le capitalisme n'est pas seulement l'accumulation de la "part maudite", il est cette "part maudite" elle-même, son essence même. Par conséquent, la lutte contre le capitalisme n'est pas une compétition pour un mode de vie plus efficace, mais une lutte religieuse eschatologique contre la mort. Le capitalisme est historiquement, ou plutôt hiérohistoriquement, seynsgeschichtlich, l'avant-dernier accord du mystère d'Éleusis. L'économie pourrit sous les coups de boutoir de la chrématistique, la personnalité économique est brisée par l'individu, l'élément et la structure de la vie sont détruits par la mécanique du désir électronique. Mais tout cela a un sens si nous prenons l'histoire économique comme un mystère. Nous sommes à la dernière heure de l'aube. Le capitalisme d'aujourd'hui est arrivé à sa dernière ligne. Le sceau de l'Antéchrist électronique a été brisé, tout apparaît au grand jour. Il ne s'agit pas seulement d'une crise ou d'une défaillance technique, nous entrons dans le moment du Jugement dernier.

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Mais c'est le moment de la résurrection. Et pour que la Résurrection ait lieu, il faut un sujet de la Résurrection, c'est-à-dire un initié, une personnalité, un paysan, un être humain. Mais c'est précisément cette figure qui meurt dans l'histoire. Et elle semble avoir disparu. Elle est déjà partie. Et il est impossible de la ramener: la distance qui nous sépare du moment de l'innocence (la société traditionnelle) est irréversible et s'accroît à chaque instant. Mais en même temps, la distance qui nous sépare du moment final de la résurrection se réduit. Et tout le pari repose sur le fait que ce qui est destiné à être ressuscité se maintiendra jusqu'au dernier coup de tonnerre explosif des trompettes de l'archange.

C'est pourquoi, à la limite, nous ne voyons pas seulement un travailleur intégral, un paysan, une personnalité économique, mais un travailleur intégré, non pas une personnalité de grain, mais une personnalité d'épi, une personnalité de pain, une personnalité de vin. Le paysan d'aujourd'hui est enrôlé dans la milice, son destin à la dernière heure de l'aube - l'heure la plus sombre - est de faire partie de l'armée économique dont le but est de vaincre la Mort, de dompter à nouveau le temps en le soumettant à l'éternité. La quatrième théorie économique ne peut être une autre projection et un autre fantasme de modernisation et d'optimisation. Ce ne sont pas nos projections et nos fantasmes, ils sont encodés et intégrés dans notre imaginaire par le Capital. Nous devons penser personnellement, et non individuellement, historiquement, et non situationnellement, économiquement, et non chrématistiquement. Il ne s'agit pas de construire une meilleure économie que le libéralisme, mais de savoir comment détruire la "partie maudite". La richesse accumulée est un don du diable, elle se désintégrera en éclats au premier chant du coq. Seul le don gratuit nous appartient personnellement, seul le don, la donation, la gratuité constitue notre patrimoine. Le rêve de l'économie doit donc être sciemment résurrectionnel, résurrectionnel, un rêve du Don.

Notes:

[1] Mauss M., Sociétés. L'échange. Personnalité. Ouvrages d'anthropologie sociale. М., Littérature orientale, 1996. Mauss M., Une catégorie de l'esprit humain : la notion de personne celle de "moi" //Journal of the Royal Anthropological Institute. vol.LXVIII, Londres, 1938.

[2] Benedict R., Patterns of Culture. NY : Mentor, 1934 ; Wallace A., Culture and Personality. NY : Random House, 1970 ; LeVine R. A., Culture, Behaviour, and Personality. NY : Aldine Publishing, 1982 ; Funder D., The Personality Puzzle. NY : Norton, 1997 ; The Psychodynamics of Culture : Abram Kardiner and Neo-Freudian Anthropology. NY : Greenwood Press, 1988.

[3] Lévi-Strauss C., Les Structures élémentaires de la parenté. Paris; La Haye: Mouton, 1967.

[4] Bataille G., La part maudite. Moscou : Ladomir, 2006.

[5] Douguine A.G., La fin de l'économie. SPb:Amfora, 2005.

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jeudi, 18 avril 2024

Alexandre Douguine: "L'émergence de la multipolarité"

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L'émergence de la multipolarité

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/zarozhdayushchayasya-mnogopolyarnost

Entretien d'Alexandre Douguine avec Eren Yeşilürt

Cet entretien d'Alexandre Douguine a été réalisé le 12 février et publié le 18 mars 2024 sous la houlette du journaliste turc Eren Yeşilürt, un soufi proche du traditionalisme et de la philosophie islamique. L'entretien est consacré aux problèmes de la multipolarité et du choc des civilisations. Matériel original : https://erenyesilyurt.com/index.php/2024/03/18/alexander-dugin-rus-ortodokslugu-baskaldiran-bir-guc-olarak-bati-hegemonyasina-karsi-ana-kaynaktir/

Eren Yesilürt : Cela fait longtemps que je pense à réaliser une série d'interviews sur le concept de "révolution conservatrice". Je voulais interviewer des personnes connues dans le monde comme des révolutionnaires conservateurs et rendre compte de leurs réflexions. J'ai voulu commencer par le nom d'Alexandre Douguine. Mon objectif était de comprendre comment le concept de révolution conservatrice a façonné la politique russe, plutôt que de propager et d'approuver les idées qu'il représente.

Q : Aux XIXe et XXe siècles, le concept d'Occident a pris une signification différente. Selon vous, que signifie la notion d'Occident aujourd'hui et a-t-elle un avenir ?

Je pense que le concept d'Occident est le concept d'une civilisation particulière, une civilisation occidentale qui prétendait et prétend toujours être universelle. Donc, le concept d'Occident, c'est le concept d'une sorte d'universalisme, qui est une projection de la culture de la partie occidentale de l'humanité, c'est-à-dire européenne, ouest-européenne et nord-américaine. Ainsi, l'Occident signifie civilisation, mais cette civilisation particulière a toujours prétendu être une civilisation unique, et tout le reste était considéré comme n'étant pas de la civilisation mais de la barbarie, de la sauvagerie... Ainsi, le mot "civilisation" était utilisé au singulier, et l'Occident s'identifiait et s'identifie toujours à l'humanité. Si l'humanité n'est pas assez occidentalisée, elle est sous-humaine. Auparavant, il s'agissait d'un sens purement racial et biologique, aujourd'hui il s'agit d'un sens économique ou culturel.

Tout ce qui coïncide, tout ce qui s'inscrit dans la culture, l'économie et le système politique de l'Occident libéral moderne est considéré comme moderne, progressiste et civilisé... Et tout ce qui ne s'inscrit pas dans ce cadre est considéré comme sous-développé ou comme relevants de "marchés émergents", etc.

Mais cette civilisation occidentale a évidemment ses étapes, ses phases, ses époques. Elle a commencé avec la civilisation chrétienne, catholique, après que le christianisme occidental a été divisé en deux parties, de sorte que les versions catholique et protestante de la civilisation occidentale ont émergé. Ensuite, le capitalisme et la laïcité se sont fondés principalement sur la laïcisation de la civilisation protestante d'Europe du Nord, comme l'a très bien montré Max Weber dans son célèbre ouvrage. Petit à petit, l'Occident a identifié sa culture au libéralisme, à la version anglo-saxonne du libéralisme mondialiste universel.

Donc, si on regarde toutes ces étapes de la civilisation occidentale, il y a quelque chose de commun et quelque chose de différent, parce que le développement de la civilisation occidentale est orienté vers l'absolutisation de l'individualisme. Le libéralisme avait autrefois un sens différent de celui qu'il a aujourd'hui.

Ainsi, le processus de maturation de la pensée libérale, du système libéral et de la civilisation libérale a connu différents moments. En commençant par la compréhension individualiste de la relation entre l'homme et Dieu dans le protestantisme, le premier protestantisme, après la destruction des domaines traditionnels, de l'empire, de la structure sociale du Moyen Âge, les a amenés à des États-nations, ce qui est devenu l'ordre mondial. L'étape suivante a été la destruction, la désintégration des États-nations, utilisés par la même tendance, la même tendance libérale, la tendance réaliste en faveur de la société civile. Et cette société civile a commencé à devenir une société mondiale plutôt qu'un État-nation. Ensuite, il y a eu la victoire de sa version socialiste de la modernité ou la victoire du communisme, du communisme soviétique.

Cette tendance libérale a atteint un point de libération de l'individualité par rapport à l'identité de genre, connu sous le nom de politique de genre. Lorsque le genre et le sexe sont devenus facultatifs, c'est l'étape suivante de la civilisation. Et maintenant, nous sommes au seuil de la dernière étape où cette civilisation libérale mettra fin à l'humanité, parce que l'être humain est une identité collective. Nous approchons de la dernière étape de cette civilisation occidentale. Il y a donc quelque chose en commun : la civilisation occidentale a un universalisme ethnocentrique qui prétend être une civilisation unique et un critère pour tout type de civilisation. C'est aussi le racisme culturel de l'Occident.....

Maintenant que l'Occident s'est identifié au libéralisme, au libéralisme anglo-saxon, nous avons une civilisation mondialiste, une civilisation occidentale qui s'est mondialisée, avec un nouveau programme de destruction des familles traditionnelles et des relations traditionnelles entre les genres, entre les sexes. Et maintenant, la dernière étape est la perte de l'identité humaine. Ainsi, à chaque étape de son développement, l'Occident a signifié différentes choses, mais cela a été son noyau, et nous savons très bien ce que l'Occident appelle lui-même : c'est le progrès, l'idée d'une augmentation progressive des libertés individuelles et l'idéologie des droits de l'homme, le développement progressif, la modernité et la postmodernité.

Mais nous pouvons aussi l'envisager sous un autre angle, celui d'une société traditionnelle. Toute religion traditionnelle définirait immédiatement la civilisation occidentale des derniers siècles comme l'Antéchrist, une civilisation antichrétienne, le royaume de l'Antéchrist... comme Dajjala dans la perspective islamique, comme Kali Yuga dans la perspective hindoue, ou comme une grande maladie aux yeux de la culture chinoise, parce que la culture chinoise est basée sur l'équilibre, et la civilisation occidentale, depuis le tout début, est quelque chose de totalement déséquilibré, un schisme paranoïaque sans aucune harmonie, tellement conflictuel par nature. Ainsi, tout d'abord, nous devons comprendre que l'Occident n'est qu'une des civilisations qui peut poser ses limites, mais nous devons également tenir compte des différentes époques, des différents stades de civilisation, où la notion même d'Occident a changé au fil du temps sur le plan culturel, politique, social, intellectuel, philosophique et ainsi de suite. Il y a donc des différences et une unité.

Il faut donc avant tout redéfinir l'Occident et le replacer dans le cadre des autres civilisations, et nous devons lutter non pas contre l'Occident en tant que tel, mais avant tout contre sa prétention à être quelque chose d'universel, parce qu'il n'est pas universel. Il y a autour de lui des cultures et des civilisations différentes. Et la lutte... cette lutte s'appelle la multipolarité contre l'unipolarité. Mais pour comprendre cela, il faut d'abord comprendre la nature de l'Occident.

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Question : La Russie dispose-t-elle aujourd'hui d'une éthique capable de s'opposer à l'Occident et au "capitalisme satanique" ? D'où peut venir aujourd'hui la proposition éthique et idéologique la plus forte contre l'hégémonie mondiale de l'Occident ? Pour nous (musulmans), l'orthodoxie fait partie de la civilisation occidentale. L'orthodoxie russe peut-elle devenir une force contre-hégémonique en dehors du monde islamique ?

Tout d'abord, nous devons comprendre, comme je l'ai déjà expliqué dans ma réponse à la première question, ce qu'est l'Occident. Nous devons tenir compte, dans une perspective historique, du fait que l'Occident d'aujourd'hui est différent de ce que l'on entendait par Occident, de ce qui était l'Occident à l'origine. Il y a eu une scission entre l'orthodoxie orientale, le christianisme oriental et le christianisme occidental aux neuvième et dixième siècles, et même bien avant Charlemagne, de sorte qu'il y avait déjà une scission. Nous ne pouvons donc pas dire que la Russie fait partie de l'Occident, car l'Occident s'est divisé entre le christianisme oriental et le christianisme occidental. Dès le début de notre civilisation russe, nous, les héritiers de Byzance, avons hérité du christianisme oriental. Il est faux de considérer la Russie comme la voie de l'Occident, car la Russie était un christianisme oriental, différent à bien des égards du christianisme occidental. Ainsi, notre orthodoxie, le christianisme oriental, bien avant la modernité, considérait le christianisme occidental comme une chute pécheresse, une hérésie, une sorte de perversion satanique des enseignements du Christ. Nos différences éthiques avec l'Occident sont donc très, très anciennes, et pas seulement aujourd'hui. Le capitalisme n'est pas la continuation directe de la civilisation occidentale chrétienne, mais c'est un phénomène antichrétien au sein de la civilisation occidentale.

C'était un terme antichrétien, un visage antichrétien de la civilisation occidentale, et nous devons tenir compte du fait que la modernité était laïque, que le capitalisme était antireligieux dès le départ. Le capitalisme ne se fonde que sur la vie terrestre et néglige et rejette toute relation avec la vie éternelle. Ainsi, le capitalisme et le sécularisme ne reconnaissent pas les enseignements du Christ, ils sont antichrétiens au sein de la civilisation occidentale.

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C'est pourquoi nous, Russes, chrétiens, aidons encore aujourd'hui la Russie à faire revivre l'éthique traditionnelle et à opérer un retour conservateur aux racines de notre propre civilisation eurasienne orthodoxe russe, et non à celles de la civilisation occidentale. Cette renaissance de l'éthique de notre identité a deux ou peut-être trois raisons, trois raisons principales de rejeter l'Occident. Tout d'abord, j'ai déjà mentionné la raison pour laquelle l'orthodoxie orientale, le christianisme oriental, est différent et opposé au christianisme occidental depuis le tout début. Toute notre histoire en tant qu'État et en tant que culture s'est construite sur cette différence entre nous et eux. Et c'est la raison pour laquelle de nombreuses batailles et guerres anti-occidentales ont eu lieu dans le passé, dans le passé russe. D'un point de vue éthique, nous disposons donc d'une base solide pour combattre l'Occident et rejeter la civilisation occidentale dès son stade chrétien. Ainsi, parce que nous étions des branches différentes, des branches conflictuelles du christianisme, on a supposé que le christianisme occidental était une hérésie, quelque chose qui n'était pas vraiment chrétien, et c'est la première chose. C'est la base éthique du rejet de tout ce qui est occidental.

Deuxièmement, en revenant à nos racines chrétiennes, nous rejetons radicalement la civilisation occidentale capitaliste, laïque et anti-chrétienne. Être chrétien ou être laïque, laïque, ces positions s'excluent mutuellement. Nous rejetons donc l'Occident en raison de sa nature antireligieuse, antichrétienne et antichrétienne.

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Et troisièmement, notre base éthique est le rejet, le rejet des prétentions de la culture occidentale moderne, postmoderne, laïque, LGBT et transhumaniste à être universelle. Nous avons donc trois raisons et résonances éthiques de rejeter le capitalisme satanique occidental parce que, premièrement, y compris ses origines, il n'était pas orthodoxe, ce qui, à notre avis, est une erreur. Deuxièmement, il était basé sur un rejet du christianisme traditionnel, y compris des valeurs occidentales.

Troisièmement, telle qu'elle se présente aujourd'hui, la civilisation libérale mondiale occidentale LGBT représente le pur royaume de l'Antéchrist. Nous avons donc trois raisons de rejeter la civilisation occidentale, et il est donc totalement erroné de considérer les Russes comme des Occidentaux.

Vous, les musulmans, avez donc tout simplement tort, car vous considérez à tort que l'orthodoxie fait partie de la civilisation occidentale. J'ai expliqué pourquoi ce point de vue est totalement erroné. C'est pourquoi l'orthodoxie russe est une source majeure de pouvoir contre-hégémonique, et je pense que c'est la raison pour laquelle nous combattons l'hégémonie, l'hégémonie occidentale en Ukraine et ailleurs, et le monde islamique n'est pas prêt à aider votre frère musulman à Gaza. Le monde musulman, qui prétend être une puissance anti-occidentale, n'a rien pu faire contre elle....

Aujourd'hui, la véritable force, l'unique force qui lutte contre l'hégémonie américaine, contre le royaume de Dajjal et l'Antéchrist, c'est la Russie orthodoxe, la Russie chrétienne. C'est pourquoi il serait totalement erroné de l'identifier à une partie de la culture et de la civilisation occidentales. Nous sommes une civilisation différente et complètement distincte, qui fait partie du christianisme oriental depuis le tout début et qui est doublée d'une identité mongole et touranienne, qui n'a rien à voir avec l'Occident.

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Q : Comment voyez-vous le paysage géopolitique du monde actuel ? Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, certains affirment que le monde est passé de la bipolarité à l'unipolarité. Considérez-vous ce processus comme une transition douloureuse vers un monde multipolaire ?

Je pense que nous avons contribué à créer différents paysages mondiaux au cours des cent dernières années. Par exemple, dans la première moitié du XXe siècle, le monde était tripolaire et reposait sur trois idéologies. Il y avait le camp libéral, la Russie communiste et l'Europe fasciste. Il y avait donc, en quelque sorte, trois mondes polaires. Quelle est la souveraineté d'un État-nation autre que les grands États ? Je dirais l'Union anglo-saxonne, l'Allemagne et la Russie soviétique. Il y avait donc trois pôles.

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un monde bipolaire a émergé avec deux pôles : le camp communiste et le camp capitaliste. Après l'effondrement de l'Union soviétique, il ne restait plus qu'un monde unipolaire, un moment unipolaire qui a duré jusqu'à aujourd'hui. À certains égards, il existe toujours, car la puissance accumulée par l'Occident est supérieure à celle de son éventuel adversaire virtuel. Néanmoins, nous assistons aujourd'hui à l'affirmation de nouveaux pôles dans le processus de formation d'une alliance contre-hégémonique. Ce n'est pas très clairement et précisément défini, mais c'est l'émergence de la multipolarité.

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Nous pouvons observer cette multipolarité émergente avec deux pôles presque entièrement établis. La Russie lutte contre l'unipolarité, car la lutte en Ukraine est une lutte de la multipolarité contre l'unipolarité. La Russie s'affirme donc comme un pôle, un pôle indépendant du monde multipolaire. Nous constatons que la Chine est entrée en conflit principalement dans la sphère économique avec l'hégémonie économique de l'Occident, qui est un pôle très significatif et très réel. Nous avons une nouvelle version d'un monde tripolaire, mais nous avons aussi l'Inde. L'Inde est désormais le quatrième pôle, presque parfait, presque complet, mais qui affirme de plus en plus son indépendance. Nous avons potentiellement, virtuellement un pôle islamique, mais à moins que l'Islam ne puisse surmonter son hostilité et ses contradictions internes, cette qualité du nouveau pôle pourrait être suspendue. Nous voyons clairement, comme je l'ai dit, qu'il existe dans le monde islamique un pôle chiite radicalement opposé à l'hégémonie mondiale. Et il y a de nombreux problèmes avec le reste du monde islamique. Mais certaines tendances permettent d'espérer que le monde islamique émerge enfin en tant que pôle indépendant dans le contexte de la multipolarité.

Les BRICS, par exemple, peuvent être considérés comme la structure de la multipolarité future. Le fait que non seulement l'Iran, mais aussi les pays sunnites que sont l'Arabie saoudite, les Émirats et l'Égypte aient rejoint les BRICS à Johannesburg est un très bon signe. Mais vous êtes maintenant invités à vous battre pour ces ambitions et la plupart des pays sunnites préfèrent rester en quelque sorte neutres. Je pense que c'est une grande déception pour les vrais musulmans dans le monde, où il y a un moment, un moment pour défendre leur souveraineté, leur dignité religieuse et idéologique. Vous n'êtes pas présents sur le champ de bataille, et je pense que c'est très triste, parce que ce qu'Israël et l'Occident font à Gaza est un véritable crime et un génocide, et vous le regardez sans passion et sans réaction. La polémicité de l'islam, malgré sa revendication religieuse idéologique, est donc désormais discutable. Elle n'est donc pas certifiée, elle n'est pas étayée par des faits.

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L'Afrique essaie aussi de devenir un pôle, et l'Afrique du Sud et l'Éthiopie sont les deux pays BRICS, et l'Afrique de l'Ouest autour du Mali, du Niger, du Burkina Faso, du Gabon, de la République centrafricaine... Ils essaient de construire leur pôle africain indépendant, et c'est une très, très bonne initiative, mais la formation de ce pôle panafricain n'en est qu'à la première étape, au tout début. Il y a aussi l'Amérique latine, un autre pôle suivant. Le Brésil est présent dans les BRICS.

Nous avons donc une sorte de multipolarité naissante dans laquelle certains des pôles - la Russie et la Chine - sont totalement achevés. D'autres le sont à moitié ou presque, comme l'Inde. Le pôle islamique est en cours de formation, tout comme l'Afrique et l'Amérique latine. Il s'agit de la transition vers un monde multipolaire, mais pour y arriver, il faut gagner. Nous ne pouvons pas nous contenter d'attendre que le monde multipolaire arrive, nous devons nous battre pour lui. Sinon, il ne viendra pas. Si vous n'êtes pas le monde musulman, si vous n'êtes pas suffisamment unis, vous ne pouvez pas et ne pourrez pas vaincre la coalition occidentale. Je pense donc que le statut de pôle sera suspendu pour l'Islam. Mais ce processus est inévitable, c'est un processus de guerre.

Q : Nous avons vu l'attitude de l'Occident à l'égard de l'occupation israélienne de la Palestine. Le monde est-il entraîné dans un "choc des civilisations" à la Huntington ? Pensez-vous que cette thèse soit toujours d'actualité ?

Oui, bien sûr. L'occupation israélienne de la Palestine, c'est l'hégémonie de l'Occident. Il s'agit d'un choc des civilisations lorsqu'Israël, une civilisation ou une culture très spécifique, est utilisé dans la géopolitique occidentale et le mondialisme occidental principalement contre l'Islam. Nous présentons donc le choc des civilisations dans la bande de Gaza et au Moyen-Orient comme une guerre entre l'unipolarité, représentée par la civilisation occidentale, et la multipolarité. Mais cette fois, la civilisation islamique est mise à l'épreuve. Elle doit prouver qu'elle est une civilisation, un pôle capable de maintenir son unité, son indépendance et sa souveraineté.

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Je pense donc que nous avons un autre front de choc des civilisations en Ukraine, avec la Russie qui lutte désespérément contre l'Occident. J'ai souligné à plusieurs reprises dans cet entretien l'importance d'inclure d'autres pays islamiques dans la lutte pour relever le défi, car il est impossible d'affirmer le statut de la civilisation dans les circonstances actuelles sans vaincre la partie agressive.

Cette fois-ci, la partie agressive est l'Occident, qui attaque directement les civilisations islamiques et tue des musulmans simplement parce qu'ils sont musulmans. Je pense qu'il est temps de réagir. Le choc des civilisations est donc la bonne thèse. Sans elle, nous ne pourrions pas rêver de multipolarité. Nous devons dépasser cela. Nous devons passer par cette épreuve, ce test, pour créer un meilleur ordre mondial, plus juste, plus équilibré et plus harmonieux. Mais sans une victoire commune sur l'hégémonie, c'est impensable.

Traduit du turc et de l'anglais par Maxim Medovarov

lundi, 15 avril 2024

Au-delà de l'Occident collectif

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Au-delà de l'Occident collectif

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/oltre-alloccidente-collettivo

Outre l'Occident collectif, trois civilisations se sont regroupées en ce que l'on peut d'ores et déjà appeler des États-civilisations. Il s'agit de la Russie, de la Chine et de l'Inde. Ce sont les pôles tout désignés d'un monde multipolaire. Aujourd'hui, un triangle stratégique d'une importance fondamentale s'est formé entre Moscou, Pékin et Delhi.

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Il faut rendre hommage à Evgueni Primakov qui en parlait déjà dans les années 1990, alors que c'était loin d'être évident. Il s'agit maintenant de donner une description "dense" de ces trois civilisations-états, qui se sont déjà déclarées pôles, mais qui n'en sont qu'au premier stade d'une pleine prise de conscience de ce qu'elle est et de ce qui en découle.

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La civilisation des États n'est pas seulement celle des États-nations respectifs. C'est la Grande Russie, la Russie en tant qu'Eurasie. C'est la Chine en tant que Tiansya. C'est l'Inde de l'Akhand Bharat. Certes, ils sont en cours de formation, mais, fondamentalement, ils sont déjà là. Ce n'est qu'après une description théorique correcte et approfondie que le contenu de leur relation - y compris les différences et les contradictions - deviendra clair. Le format RIC (Russie, Inde, Chine) a précédé les BRICS+ mais a survécu. Il pourrait être intéressant de le ressusciter, car ce sont là des pôles tout prêts.

Bien sûr, d'autres pôles émergent: islamiques, africains et latino-américains. Il existe des centres de souveraineté civile, mais le niveau d'intégration est encore insuffisant pour parler de pôle. Les BRICS+ rassemblent les six civilisations non occidentales, mais parmi elles, les RIC ont fait plus de progrès que les autres.

La présidence russe des BRICS+ cette année montre qu'il est peu probable que ce projet aille plus loin. Il y a de nombreuses raisons à cela, notamment le manque de compréhension de la philosophie de la multipolarité par les responsables des BRICS+. Seul le premier atteint l'échelle. En ce qui concerne les deuxième et troisième, cette vision s'estompe, se dissipe, mais le format des BRICS+ lui-même, qui est sans aucun doute magnifique et qui fera date, est trop en avance sur le niveau de conscience et détourne l'attention des spécificités.

Il est temps de s'intéresser au RIC. Premièrement, il est déjà plus concret, deuxièmement, nous parlons de trois États-civilisations prêts à l'emploi, et troisièmement, il y a suffisamment de problèmes et pour aller de l'avant, nous devons résoudre les nœuds de contradiction accumulés. Premièrement, essayer de démêler le nœud des problèmes géopolitiques transfrontaliers sino-indiens, dont la présence pousse New Delhi vers l'Occident, ce qui sape objectivement le multipolarisme.

 

19:52 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : chine, russie, inde, ric, brics, multipolarité, alexandre douguine | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 02 avril 2024

Alexandre Douguine: Construire l'ère nouvelle

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Construire l'ère nouvelle

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/adostroitelstvo-novogo-vremeni

Aujourd'hui, plusieurs plans qui, jusqu'à récemment, étaient indépendants, se rejoignent :

    - La religion, la théologie et surtout l'eschatologie, qui semblaient avoir été bannies à la périphérie depuis longtemps, mais qui pénètrent à nouveau tout, jusqu'à la vie de tous les jours.

    - La géopolitique, où se jouent des types d'ordre mondial fondamentalement incomparables.

    - Les idéologies politiques qui se ré-agencent et donnent naissance à des hybrides interdits (le nazisme-libéralisme, par exemple).

    - Les processus philosophiques, où le déclin extrême contraste avec la finalisation d'intuitions absolues.

    - Le déglaçage des cultures qui se figent dans une extrême vélocité et se fondent dans l'immuabilité.

Toutes les strates se croisent de manière exotique et excentrique, formant des nœuds sémantiques dont le nombre de dimensions est difficile à définir. Tout cela s'effondre dans la guerre et la bacchanale de la technologie, bien que la guerre elle-même soit une métaphysique profonde qui exige une nouvelle pensée, et que la technologie soit un phénomène non moins métaphysique. Tout cela est extrêmement intense et en aucun cas superficiel, non linéaire et à la limite du chaos et de la complexité. Les méthodes conventionnelles ne suffisent pas à démêler un tel enchevêtrement sémantique.

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De plus, le conventionnel est aujourd'hui miné par une suspicion systématique. Toute tentative de construction d'un modèle bute sur des sous-entendus accumulés ou de simples erreurs du passé. Dès lors que l'on remet en cause une théorie naïve (voire carrément fausse) du progrès, on perd confiance dans ce qui est venu après par rapport à ce qui est venu avant. Si une erreur s'est glissée au début, un monstre naîtra à la fin.

Quand les choses ont-elles mal tourné ? L'ère des explorations. En dépassant la frontière interdite des colonnes d'Hercule, l'Europe occidentale a commis un acte de transgression irréversible. C'était fatal. La place de l'Atlantide est au fond.

La seule explication généralisable qui couvrirait d'un seul coup tout le territoire des problèmes insolubles est la conclusion qu'il y a cinq cents ans, l'Europe occidentale a commencé à devenir systématiquement folle. Elle est devenue folle, elle a commencé à devenir folle, elle deviendra complètement folle à un moment ou à un autre. Cinq anomalies ont convergé de cette manière.

    - L'athéisme et le matérialisme de l'image scientifique du monde, basés sur le nominalisme et l'idéologie protestante pathologique. Déjà à l'époque, on pouvait conclure que l'Occident entrait dans le régime de l'Antéchrist et que tout ce qui était occidental et moderne en était irrémédiablement marqué.

    - Le faux empire britannique est le début d'un atlantisme hypertrophié. Les Anglo-Saxons incarnent le Léviathan biblique. Dès le 20ème siècle, le relais a été pris par les États-Unis, mais la domination de la civilisation de la mer est d'origine et d'essence anglaises.

    - Le Moyen Âge et son idéologie indo-européenne trifonctionnelle, le catholicisme et l'Empire ont été rejetés et ridiculisés, au profit d'un capitalisme complètement pathologique à tous égards. Sur le plan idéologique, il s'est ensuite transformé en libéralisme (la principale forme de dégénérescence mentale), en nationalisme et en une version renversée qui reconnaît les attitudes de base - le socialisme. Tout mouvement idéologique dans le système du capitalisme est voué au mimétisme et à l'effondrement. Le capitalisme est absolument totalitaire. Comme l'a montré Deleuze, le capitalisme culmine dans la schizophrénie.

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  - La philosophie du New Age s'est divisée (sans crier gare) en une continuation excentrique de la tradition classique et en perversions destructrices solidaires du matérialisme et de l'externalisme de la science. Il en est résulté une confusion systématique, un glissement sémantique des interprétations. La pensée se débattait comme une biche, passant parfois à travers les mailles du filet. Mais personne ne savait vraiment où était la percée et où était l'agonie, et souvent tout semblait strictement à l'envers.

    - La culture a commencé à passer à la civilisation (selon Spengler), se refroidissant, mais non sans excès - de temps en temps, un génie imprévisible voyait l'essence de l'obscurité épaissie et la pénétrait avec une aiguille brillante. Dans l'ensemble, la culture glissait délibérément vers l'enfer.

La Russie s'est soudain trouvée en guerre contre tout cela. Sans le vouloir, sans le comprendre, sans s'y préparer, sans le calculer. Une main invisible a mis la Russie dans la position où elle se trouve aujourd'hui. Et maintenant, contre toute attente, nous allons devoir - institutionnellement ! - répondre à tous les défis de la civilisation de l'Antéchrist.

Y compris le défi de la technologie. Tous les appareils électroniques dont l'Occident a équipé l'humanité se sont révélés être un piège : grâce à eux, un inconnu recueille des informations sur tout le monde afin de régner sans discernement.

Surtout, l'homme cache ses péchés. C'est ce qui intéresse Big Brother. Il les enregistre et les laisse entrer quand c'est nécessaire. La techno-dépendance est l'outil le plus parfait du diable et de sa civilisation. Et nous nous réjouissons de la numérisation - nous aidons le diable à se gouverner lui-même. Mais que sont les océans de péché sinon un champ de folie ?

Le cycle est presque achevé. Seul notre "Opération militaire spéciale", désespérée, s'y oppose. Comment voulez-vous l'interpréter ?

mardi, 26 mars 2024

Alexandre Douguine: Moscou en première ligne !

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Moscou en première ligne !

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/moskva-prifrontovaya

Moscou est désormais, elle aussi, une ville de front, tout comme Donetsk, Sébastopol et Belgorod. Un pays en guerre ne peut pas avoir de villes pacifiques. Il vaut mieux s'en rendre compte maintenant et profondément. Et bien sûr, des mesures spéciales de comportement, des règles spéciales doivent être introduites dans un pays en guerre.

Le territoire du front intérieur n'est pas le territoire de la paix. C'est là que se forge la victoire. Les victimes du centre Crocus sont tombées sur le champ de bataille. Car la Russie d'aujourd'hui est un champ de bataille.

L'Ukraine est aussi la Russie, c'est la même Russie, en continuité territoriale, de Lvov à Vladivostok, et elle est en guerre.

La conscience publique doit devenir la conscience d'une nation en guerre. Et quiconque s'en écarte doit être considéré comme une anomalie.

Il doit y avoir un nouveau code de conduite. Les citoyens d'une nation en guerre peuvent ne pas revenir lorsqu'ils quittent leur pays. Tout le monde doit s'y préparer. Après tout, sur la ligne de front, à Donetsk et à Belgorod, c'est exactement le cas. L'UE est susceptible de fournir des missiles à longue portée au régime de Kiev, qui a perdu la guerre et qui, à nos yeux, perdra définitivement sa légitimité dans moins de deux mois. Nous le reconnaîtrons enfin comme une entité terroriste criminelle, et non comme un pays. Et ce régime ouvertement terroriste, lorsqu'il tombera, est également susceptible de frapper aussi loin qu'il le peut.  Il est difficile de spéculer sur ce qu'il fera d'autre - il vaut mieux ne rien supposer. Il ne s'agit pas d'un motif de panique, mais d'un appel à la responsabilité.

Nous sommes en train de devenir un véritable peuple, nous commençons à nous rendre compte que nous sommes un peuple.

Et ce peuple vient d'acquérir une douleur commune. Un sang commun - le sang donné par d'immenses files de Moscovites indifférents aux victimes du monstrueux attentat terroriste. Une douleur commune. Les gens ont un tarif commun lorsque des personnes emmènent gratuitement les victimes de l'hôtel de ville de Crocus à l'hôpital ou à leur domicile. C'est comme au front - le leur. Quel argent ! Il ne peut y avoir de capitalisme dans un pays en guerre, seulement de la solidarité. Tout ce qui est collecté pour le front, pour la Victoire, est imprégné d'âme.

Et l'État n'est plus un mécanisme, mais un organisme. L'État ressent lui aussi la douleur, prie à l'église, organise des cérémonies commémoratives, dépose des cierges. L'État devient vivant, populaire, russe. Parce que l'État est réveillé par la guerre.

Et les migrants d'aujourd'hui sont appelés à devenir une partie organique de la nation en guerre contre l'ennemi. À devenir leur propre peuple - ceux qui donnent leur sang, qui conduisent gratuitement quand c'est nécessaire, qui font la queue au bureau d'enrôlement militaire pour être les premiers à partir au front, qui tissent des filets de camouflage, qui partent en troisième équipe. S'ils font partie de la société, ils peuvent eux aussi, un jour ou l'autre, devenir la cible de l'ennemi. Sortez et ne revenez pas. L'un des garçons qui a sauvé des gens à Crocus Hall s'appelle Islam. Mais il s'agit du véritable islam, le russe. Il existe certes un autre islam.

Quand on vit en Russie, on ne peut pas ne pas être russe. Surtout quand la Russie est en guerre. La Russie est un pays pour ceux qui la considèrent comme leur mère.

Et aujourd'hui, notre mère souffre.

samedi, 23 mars 2024

Alexandre Douguine - Multipolarité : l'ère de la grande transition

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Multipolarité : l'ère de la grande transition

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/mnogopolyarnost-epoha-bolshogo-perehoda

Nous vivons une époque de grande transition. L'ère du monde unipolaire touche à sa fin et l'ère de la multipolarité arrive. Les changements dans l'architecture globale de l'ordre mondial sont fondamentaux. Parfois, les processus se déroulent si rapidement que l'opinion publique est à la traîne. Il est d'autant plus important de s'attacher à comprendre les événements grandioses qui secouent l'humanité.

Personne - sauf les fanatiques - ne peut nier le fait que l'Occident, après l'effondrement du système socialiste et de l'URSS, a reçu une chance unique de devenir le seul leader mondial, et qu'il n'a pas rempli cette mission. Au lieu d'une politique mondiale raisonnable, juste et équilibrée, l'Occident s'est tourné vers l'hégémonie, le néocolonialisme, agissant dans ses intérêts égoïstes et prédateurs, appliquant deux poids deux mesures, alimentant des guerres et des conflits sanglants, dressant les peuples et les religions les uns contre les autres. Il ne s'agit pas d'un leadership, mais d'un impérialisme agressif, qui perpétue les pires traditions de ce même Occident - le principe de diviser pour régner, la colonisation, essentiellement l'esclavage.

L'effondrement du leadership de l'Occident collectif s'accompagne et s'intensifie avec le rapide déclin moral de la culture occidentale. Les valeurs promues de force et avec obstination par l'Occident - LGBT, migration incontrôlée, légalisation de toutes sortes de perversions, culture de l'abolition (= cancel culture), purges brutales et répression de tous les dissidents, perte des principes humanistes et volonté d'évoluer vers la domination par l'intelligence artificielle et par le transhumanisme - ont encore réduit le prestige de l'Occident aux yeux de l'humanité mondiale. L'Occident n'est plus le modèle universel, l'autorité suprême ou le modèle à suivre.

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Ainsi, en opposition à l'hégémonie unipolaire, un nouveau monde multipolaire est né. C'est la réponse des grandes civilisations anciennes et originales, des États et des peuples souverains au défi du mondialisme.

Dès à présent, nous pouvons dire que l'humanité globale a commencé à construire intensivement des pôles civilisationnels indépendants. Il s'agit tout d'abord de la Russie, qui s'est réveillée de son sommeil, de la Chine, qui a fait une percée rapide, du monde islamique spirituellement mobilisé et de l'Inde, qui est gigantesque en termes de démographie et de potentiel économique. L'Afrique et l'Amérique latine sont sur le chemin, s'acheminant avec persévérance, vers l'intégration et la souveraineté de leurs grands espaces.

Les représentants de toutes ces civilisations sont aujourd'hui réunis au sein des BRICS. C'est ici que se forment les paramètres du nouveau monde multipolaire, que se développent ses principes, ses valeurs traditionnelles, ses règles et ses normes. Et ce, sur la base d'une véritable justice, du respect des positions des autres, avec de véritables proportions démocratiques et sans aucune tentative de faire prétendre l'un des pôles à l'hégémonie. Les BRICS sont une alliance anti-hégémonique où se concentrent aujourd'hui les principales ressources de l'humanité - humaines, économiques, naturelles, intellectuelles, scientifiques et technologiques.

Le monde unipolaire appartient au passé. Le monde multipolaire est l'avenir.

Si l'Occident renonce à son hégémonie violente et à sa politique de néocolonialisme, s'il reconnaît la souveraineté et la subjectivité de chaque civilisation humaine, s'il refuse d'imposer par la force ses règles, ses normes et ses valeurs, manifestement rejetées aujourd'hui par la majorité de l'humanité, il pourrait devenir un pôle respecté et souverain - reconnu par tous les autres et existant dans le contexte d'un dialogue amical et égalitaire entre les civilisations.

Tel est l'objectif de la construction d'un monde multipolaire: établir un modèle harmonieux d'existence amicale et équilibrée de toutes les civilisations de la Terre, sans établir de hiérarchies et sans reconnaître l'hégémonie de l'une d'entre elles.

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La plupart des civilisations - russe, chinoise, indienne, islamique, africaine et latino-américaine - se tournent aujourd'hui unanimement vers les valeurs traditionnelles, vers le sacré, vers le contenu spirituel de leurs cultures et de leurs sociétés. Il est impossible de progresser sans s'appuyer sur l'identité profonde; le contraire conduira à la dégénérescence et à la dégradation de l'homme lui-même. Bien que les valeurs traditionnelles diffèrent d'une nation à l'autre, elles ont toujours quelque chose en commun: la sainteté, la foi, la famille, le pouvoir, le patriotisme, la volonté de bien et de vérité, le respect de l'être humain, de sa liberté et de sa dignité.

Le monde multipolaire est fondé sur des valeurs traditionnelles qui sont reconnues et protégées dans chaque civilisation.

L'idée principale de la multipolarité est la paix et l'harmonie. Mais il est évident que tout changement dans l'ordre mondial - en particulier un changement aussi important - se heurte invariablement à une résistance farouche de la part de l'ancienne structure. La vague descendante du monde unipolaire empêche la vague ascendante du monde multipolaire. Cela explique la plupart des conflits actuels - en Ukraine, en Palestine et au Moyen-Orient, l'escalade des tensions dans le Pacifique autour de la Chine, les guerres commerciales, les politiques de sanctions, ainsi que l'amertume et la haine de l'hégémon en déclin à l'égard de tous ceux qui le défient.

Mais le mondialisme unipolaire n'a aucune chance de l'emporter et de maintenir son "leadership" complètement discrédité si les partisans de la multipolarité - et il s'agit de l'humanité globale (et en Occident même, où le pourcentage de personnes sobres d'esprit et dotées d'une conscience indépendante qui ne succombe pas à la propagande est encore très élevé) - se serrent les coudes, comprennent clairement les contours du nouveau monde et se soutiennent mutuellement dans la lutte commune pour un système juste et véritablement démocratique.

C'est l'essentiel aujourd'hui: comprendre les contours du nouvel ordre mondial multipolaire et polycentrique, poser les principes de l'amitié, du respect et de la confiance entre les civilisations, lutter unanimement pour la paix et l'harmonie, renforcer nos valeurs traditionnelles et respecter les valeurs traditionnelles d'autrui.

Si nous opposons tous ensemble la volonté universelle de paix aux instigateurs mondialistes des guerres et des conflits sanglants, aux commanditaires des révolutions de couleur et à la décadence de la morale publique, nous gagnerons sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré. L'Occident collectif - malgré son potentiel encore assez important - ne pourra pas s'opposer seul à l'unité de l'humanité.

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Cette année, en 2024, la Russie présidera le groupe BRICS. C'est un acte profondément symbolique. Il y a beaucoup à faire dans cette direction - admettre de nouveaux membres, développer et lancer de nouveaux mécanismes économiques, faire fonctionner les institutions financières (en premier lieu, la banque des BRICS), promouvoir la sécurité et la résolution des conflits, intensifier les échanges culturels entre les civilisations. Mais surtout, nous devrons tous non seulement comprendre, mais aussi développer, créer et établir une philosophie de la multipolarité, apprendre à vivre avec notre propre esprit et procéder à une profonde décolonisation de la conscience, de la culture, de la science et de l'éducation. Au cours des époques de sa domination coloniale, l'Occident a réussi à inculquer à de nombreuses sociétés non occidentales l'idée fausse que la pensée, la science, la technologie, les systèmes économiques et politiques ne sont réellement efficaces qu'en Occident, et que tous les autres ne peuvent prétendre qu'à un "développement de rattrapage", totalement dépendant de l'Occident. Il est temps de mettre fin à cette mentalité d'esclave. Nous sommes l'humanité, les représentants de différentes cultures et traditions anciennes, en aucun cas inférieurs à l'Occident, et à bien des égards supérieurs à lui.

Telles sont les conclusions de notre forum sur la multipolarité. Malgré toutes les différences, nous sommes tous d'accord sur l'essentiel: nous entrons dans une nouvelle ère et ce qu'elle sera dépend de nous-mêmes et de personne d'autre.

Nous créerons l'avenir ensemble !

20:42 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alexandre douguine, multipolarité | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 29 février 2024

L'humanité multipolaire

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L'humanité multipolaire

Alexander Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/multipolar-humanity?fbclid=IwAR1uNbqIfCK0jSGn8L1aEjUdDxdjGTkIdXOfOX7qmNWEeNuziAl3KXI7rKg

Discours d'Alexandre Douguine au Forum sur la multipolarité à Moscou, le 26 février 2024.

Le monde multipolaire est avant tout une philosophie. Il repose sur une critique de l'universalisme occidental.

L'Occident s'est identifié à l'humanité sur le mode raciste et impérialiste. Il fut un temps où la Grande-Bretagne revendiquait toutes les mers et tous les océans. La civilisation occidentale a déclaré que toute l'humanité lui appartenait - principalement sa conscience. Cela a conduit à la formation d'un monde unipolaire.

Dans ce monde, il n'y a que les seules valeurs occidentales. Un seul système politique - la démocratie libérale. Un seul modèle économique - le capitalisme néolibéral. Une seule culture - le postmodernisme. Une seule conception des genres et de la famille - LGBT. Une seule version du développement - la perfection technologique jusqu'au post-humanisme et le remplacement complet de l'humanité par l'IA et les cyborgs.

Selon ses partisans, le monde unipolaire est le "triomphe de l'histoire mondiale", la victoire totale de l'ère occidentale moderne - le libéralisme, qui est devenu l'idéologie unique et incontestable de toute l'humanité.

La multipolarité est une philosophie alternative. Elle repose sur l'objection fondamentale suivante: l'Occident n'est pas toute l'humanité, mais seulement une partie de celle-ci - une région, une province. Il n'est pas la civilisation au singulier, mais une civilisation parmi d'autres. Il existe aujourd'hui au moins sept civilisations de ce type, d'où le concept le plus important de la théorie multipolaire: l'heptarchie.

Certaines civilisations sont déjà réunies dans d'immenses États-continents, des États-civilisations, ou wénmíng guójiā (文明国家). Pour d'autres, c'est encore à venir. L'Occident collectif, les pays de l'OTAN et les vassaux des États-Unis ne sont qu'un des pôles.

Il y en a trois autres :

    - Russie-Eurasie,

    - la Grande Chine (Zhōngguó 中国) ou Tiānxià (天下),

    - la Grande Inde.

Tous sont des États-civilisation, ce qui signifie quelque chose de plus que des pays ordinaires.

Et trois autres grands espaces, intégrés à des degrés divers :

    - Le monde islamique, étroitement lié par la religion mais politiquement désuni jusqu'à présent,

    - l'Afrique noire transsaharienne,

    - l'écoumène latino-américain.

Ces sept civilisations ont des profils religieux complètement différents, des systèmes de valeurs traditionnelles différents, des vecteurs de développement différents et des identités culturelles différentes.

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La civilisation occidentale, contrairement à ce qu'elle prétend, n'est que l'une d'entre elles. Arrogante, audacieuse, agressive, trompeuse, prédatrice et dangereuse. Cependant, ses prétentions à l'universalisme sont sans fondement et sa domination repose sur une politique de deux poids, deux mesures.

La multipolarité s'oppose non pas à l'Occident lui-même, mais plus précisément à ses prétentions à l'unicité et à l'universalité. Ces prétentions ne nous sont pas inconnues ; elles imprègnent tous les systèmes de notre culture, de notre science et de notre éducation. L'Occident, avec son idéologie toxique, a infiltré nos sociétés, séduit et corrompu les élites, placé notre société sous son contrôle informationnel et tenté d'éloigner le plus possible notre jeunesse de la foi et de la tradition.

Cependant, l'ère de la seule hégémonie de l'Occident est révolue. Sa conclusion a été marquée par la position de la Russie et personnellement par notre président Vladimir Vladimirovitch Poutine, lorsque nous avons refusé de sacrifier notre souveraineté et sommes entrés dans un combat mortel avec l'Occident en Ukraine. Nous nous battons en Ukraine non pas contre les Ukrainiens, mais contre le monde unipolaire. Et notre victoire inévitable ne sera pas seulement la nôtre, mais celle de toute l'humanité, qui verra de ses propres yeux que le pouvoir de l'Occident n'est pas absolu, que sa politique de néocolonialisme et de dé-souverainisation peut être rejetée de manière décisive, et que l'on peut insister sur sa propre position.

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La Russie est l'un des pôles du monde multipolaire. Il ne s'agit pas d'un retour à l'ancien modèle bipolaire, mais du début d'une architecture mondiale entièrement nouvelle.

La croissance rapide de l'économie chinoise et le renforcement de la souveraineté de la Chine, en particulier sous la direction du grand leader Xi Jinping, ont fait de la Chine un autre pôle totalement indépendant. Voyant cela, l'Occident, représenté par l'élite mondialiste des États-Unis, lui a immédiatement déclaré une guerre commerciale.

Le monde islamique a défié l'Occident principalement dans les domaines religieux et culturel. Les valeurs occidentales - qui appellent ouvertement à la destruction des traditions, de la famille, du sexe, de la culture et de la religion - sont incompatibles avec les fondements de l'islam. C'est ce que comprend aujourd'hui chacun des quelque deux milliards de musulmans. Et aujourd'hui, le monde islamique mène sa propre guerre contre l'Occident mondialiste - en Palestine, au Moyen-Orient, où un génocide honteux du peuple palestinien - le meurtre d'enfants palestiniens, de femmes et de personnes âgées - est en cours avec l'approbation totale de l'Occident.

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L'Inde est un autre pôle. Aujourd'hui, surtout sous la direction de Narendra Modi, c'est une civilisation entière qui retourne à ses racines védiques, à ses anciennes traditions, à ses fondements. Elle n'est plus une colonie culturelle et économique de l'Occident, mais un géant mondial en pleine ascension.

L'Afrique et l'Amérique latine suivent méthodiquement et constamment, même si ce n'est pas sans problèmes, le même chemin.

Le mouvement panafricain ouvre la voie à une intégration africaine unifiée et globale, libérée du contrôle néocolonial. Il s'agit d'une nouvelle théorie, d'une nouvelle pratique, qui incorpore les meilleurs aspects des étapes précédentes de la lutte de libération, mais qui repose sur une philosophie différente, où la religion, l'esprit et les valeurs traditionnelles jouent un rôle crucial.

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L'Amérique latine poursuit également son chemin dans la lutte anticoloniale. Les peuples y recherchent de nouvelles voies de consolidation et d'unité, dépassant les modèles dépassés qui divisaient tout le monde entre la droite et la gauche. Dans de nombreux pays d'Amérique latine, les défenseurs des valeurs traditionnelles, de la religion et de la famille s'unissent à ceux qui prônent la justice sociale sous la bannière d'une lutte commune contre le néocolonialisme de l'Occident collectif et sa culture anti-humaine pervertie.

Le monde multipolaire d'aujourd'hui n'est pas une utopie ni un projet théorique. Six civilisations sur sept (de l'heptarchie planétaire) se sont unies dans un nouveau bloc au sein des BRICS. Il y a des représentants de chacune d'entre elles. Il s'agit de l'institutionnalisation de la multipolarité. La Grande Humanité s'unit, se comprend et commence à harmoniser ses traditions et ses orientations, ses systèmes de valeurs traditionnelles et ses intérêts.

Seul l'Occident collectif, cherchant à tout prix à maintenir son hégémonie, refuse catégoriquement de s'engager dans ce processus multipolaire inévitable. Il s'y oppose. Il complote et provoque des conflits. Il mène des interventions. Elle tente d'étouffer toute velléité d'indépendance par des sanctions et des pressions directes. Et si cela échoue, il entre dans une confrontation militaire directe - comme en Ukraine, à Gaza, et demain peut-être dans le Pacifique.

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Cependant, l'Occident n'est pas monolithique. Il y a deux Occident. L'Occident mondialiste des élites libérales et l'Occident traditionnel - l'Occident des peuples et des sociétés. L'Occident traditionnel souffre lui-même de la tyrannie des mondialistes pervers et tente, lorsqu'il le peut, de se rebeller. Les peuples de l'Occident ne sont pas des ennemis du monde multipolaire. Ils en sont avant tout les victimes. Comme l'a montré l'entretien de notre président avec le politicien et journaliste conservateur Tucker Carlson, la Russie et les antimondialistes américains ont beaucoup plus de choses en commun qu'il n'y paraît.

Par conséquent, la véritable victoire de la multipolarité ne sera pas la défaite de l'Occident collectif, mais son salut, son retour à ses propres valeurs traditionnelles (et non perverties), à sa culture (et non à l'annulation de la culture), à ses racines classiques gréco-romaines et chrétiennes. Je crois que les peuples libérés du joug mondialiste de l'Occident réel rejoindront un jour la Grande Humanité, en devenant un pôle respecté du monde multipolaire. Cesser d'être un hégémon est dans l'intérêt non seulement de toutes les civilisations non occidentales, mais aussi de l'Occident lui-même.

Je souhaite la bienvenue à tous les participants à notre forum. Nous sommes réunis ici pour construire l'avenir, comprendre le présent et sauver notre glorieux passé, en assurant la continuité de la culture.

Si différente, spéciale, unique, autosuffisante, souveraine - l'humanité, c'est nous !

lundi, 26 février 2024

Intelligence artificielle : la fin du monde est garantie

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Intelligence artificielle: la fin du monde est garantie

Alexander Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/iskusstvennyy-intellekt-konec-sveta-garantirovan?fbclid=IwAR01e1M2EC7rydLYxawH7PA02YLz-JlWQI_9PL0R9PNWy56GFPL1wHdRMV4

Pour passer à la toute-puissance de l'intelligence artificielle (IA), il est nécessaire de conceptualiser l'humanité elle-même comme un grand ordinateur, dont les éléments ne fonctionnent cependant pas trop parfaitement.

Le matérialisme, le nominalisme, l'évolutionnisme, la philosophie analytique (basée sur le positivisme logique) et la technocratie préparent une base théorique pour cela (diffusée et mise en œuvre par la science, l'éducation et la culture).

En un sens, l'humanité, telle qu'elle est représentée par la science et la philosophie modernes, est déjà une IA, un réseau neuronal. L'IA est humaine dans la mesure où la pensée de l'humanité est artificielle, émulée par les épistémologies du moderne et du postmoderne.

        - L'État bourgeois est un ordinateur de première génération.
        - La société civile est de la deuxième génération.
        - La domination complète du gouvernement mondial est de la troisième génération.
        - La transition vers l'IA est la quatrième, la finalisation du processus d'aliénation.

L'histoire du capitalisme est le processus de création du superordinateur. Il est impossible de s'arrêter à mi-chemin. La nouvelle ère culminera nécessairement dans l'IA.

La seule façon de changer cela est de rejeter la modernité dans son ensemble, avec toute sa représentation scientifique du monde, qui abhorre Dieu et l'homme.

Et la philosophie du genre est l'avant-dernière étape de ce parcours : les transgenres sont un échauffement avant la transition vers des individus trans-humains (l'humain est optionnel). Après avoir rejeté le christianisme et le Moyen-Âge, l'Occident, comme les lemmings, s'est précipité dans le précipice. Comment s'étonner d'être précipité vers le bas ?

L'IA est l'arrêt final. Mais nous sommes montés dans ce train il y a 500 ans. La seule façon de changer les choses est de faire dérailler le capitalisme. Et maintenant.

Sinon, bonjour le dragon.

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Et OOO est en général l'ontologie parfaite et développée des paysages posthumains - le génocide du sujet en faveur des Grands Dehors (lisez dieux idiots - leur métaphore, pas la nôtre !).

Les Grands Dehors gouvernent le monde moderne. La Novorossiya lui barre la route. L'Opération Militaire Spéciale est une guerre philosophique.

La tâche des Russes est de surmonter la cyber-réalité. Il n'est guère possible de l'éviter. Nous devrons chevaucher le tigre et transformer le poison en médicament. L'idée russe doit vaincre et soumettre non seulement l'Ukraine, mais aussi l'intelligence artificielle. Tels sont les enjeux.

Un vaccin contre la modernité

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Un vaccin contre la modernité

Anastasia Korosteleva

Source: https://www.geopolitika.ru/es/article/una-vacuna-contra-la-modernidad?fbclid=IwAR3PleFttkgGkgC6AaS2Ft9hD_2sWu0oy-nzf2lu2XRz1kD1yriuoBnFB14

Recension de la monographie Postphilosophie. Trois paradigmes dans l'histoire de la pensée par Aleksandr Douguine

"La sagesse, c'est de savoir que tout est un".

- Héraclite

"Qu'est-ce que le singe pour l'homme ? Une dérision ou une honte douloureuse. Et c'est justement ce que l'homme doit être pour le surhomme : une irritation ou une honte douloureuse".

- F. Nietzsche

Le livre Post-Philosophie. Trois paradigmes dans l'histoire de la pensée d'Aleksandr G. Douguine, récemment publié en 2020, est une réimpression d'un ouvrage plus ancien qui a vu le jour en 2009. Ce livre est une série de conférences importantes données par Aleksandr G. Douguine en 2005 à la Faculté de philosophie de l'Université d'État de Moscou où la méthode traditionaliste a été systématiquement exposée. Le livre Postphilosophie vise à fournir aux lecteurs, de manière exhaustive, les clés pour comprendre le processus philosophique dans une perspective historique. Pour ce faire, A. G. Douguine a recours au concept de paradigme en philosophie, en en identifiant au moins trois groupes ou catégories dans l'histoire de la pensée: le paradigme de la tradition (prémoderne), le paradigme de la modernité et le paradigme de la postmodernité. L'objectif de cette classification est de développer un discours cohérent qui permette de comprendre la diversité de l'ensemble du paysage philosophique. En rappelant la maxime d'Héraclite, qui sert d'épigraphe au livre, nous pouvons dire que Douguine utilise les paradigmes comme reflet du Logos. Héraclite voulait signifier que la véritable sagesse consistait à reconnaître l'unité fondamentale et l'interconnexion entre les différents systèmes philosophiques par le biais des catégories. Ainsi, Douguine, au lieu de considérer les processus philosophiques comme des réalités isolées et sans lien entre elles, encourage les lecteurs à rechercher l'unité sous-jacente dans toutes les formes de pensée.

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Dans son livre Postphilosophie, A. G. Douguine tente d'examiner l'histoire des paradigmes de pensée, ovo usque ad mala, sous leurs aspects anthropologiques, ontologiques et épistémologiques, en essayant de mettre en lumière les "post-épiphanies" qui les ont engendrés, une sorte de post-anthropologie, de post-ontologie et de post-gnoséologie. Cela signifie que l'auteur examine les idées qui ont émergé après que les idées traditionalistes ont été critiquées et réinterprétées par la modernité, qui à son tour sera réinterprétée par la postmodernité. Douguine explore le développement et les transformations de ces paradigmes, en proposant une excursion critique des valeurs postmodernes et en citant ses figures de proue pour expliquer le phénomène. Ce faisant, il structure, analyse, synthétise, compare et généralise les idées postmodernes afin de démontrer qu'il s'agit d'un paradigme unifié. En expliquant comment sont les idées postmodernes, Douguine tente de créer un vaccin contre la modernité, un vaccin que nous pouvons trouver en analysant attentivement ces paradigmes. Chaque époque, culture et système de valeurs possède ses propres caractéristiques de ce qu'elle considère comme juste, constituant ainsi les normes d'un temps et d'un lieu particuliers. Chaque époque a ses propres valeurs et "chaque nation parle son propre langage quant au bien et au mal" (1) : par exemple, certaines formes de souffrance sont considérées comme naturelles à une époque, alors qu'à une autre, elles sont considérées comme des pathologies. L'ère de l'intersection et du changement de paradigme, c'est-à-dire le passage du pré-moderne au moderne, puis du moderne au post-moderne, a été une période douloureuse et perplexe dans l'histoire de l'humanité. Souvent, des générations entières ont été entraînées dans ce processus, perdant toute continuité, tout naturel et toute perfection.

Friedrich Nietzsche, "philosophe réfractaire à toute catégorisation", ayant affirmé le caractère nihiliste du monde moderne, a vécu bien avant les autres la catastrophe à venir, ce qui l'a empêché d'être compris par ses contemporains. Aujourd'hui, des milliers de personnes éprouvent le même sentiment que celui qu'il a dû supporter seul. Nous avons probablement un pied dans la postmodernité, mais la modernité continue d'influencer nos vies. Le point de transition où nous nous trouvons aujourd'hui nous permet de mieux comprendre les changements qui se produisent dans tous les domaines de notre vie et il est nécessaire d'étudier la dynamique et l'essence historique de la modernité.

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Si nous considérons la modernité comme un processus de destruction délibérée de la systématicité et du holisme des époques précédentes, le processus de transition dans lequel nous nous trouvons peut être comparé au passage d'un ensemble organisé à un état de décomposition. La modernité a tenté de diviser, de détruire et de désintégrer tous les concepts et structures établis afin de créer un nouvel espace illimité dans lequel elle peut affirmer ses valeurs. Pour expliquer cela, Douguine utilise une métaphore où il parle de la fonte de la glace dans un étang qui se réchauffe: même s'il reste des morceaux de glace flottants, cela n'a pas d'importance, parce qu'en fin de compte la transformation a eu lieu. Au cours des périodes de transition, ces transformations n'ont pas eu lieu de manière définitive et c'est pourquoi nous assistons à ces processus. Nous pouvons dire que ces transformations ont eu lieu à la Renaissance "lorsque le paradigme traditionnel - créationniste et prémoderne - de la société européenne s'est effondré et que la transition vers le monde moderne a eu lieu" (3). Dans les Temps Nouveaux de la modernité, une transition similaire a eu lieu où la "bonne raison" cartésienne, avec son cogito ergo sum, et la "raison pure" kantienne ont été dépassées: "La raison pure correspond à des opérations mathématiques abstraites et ce n'est pas un hasard si c'est la pensée mathématique qui est devenue le paradigme épistémologique de la Modernité" (4). Cela signifie que la philosophie de la "raison pure" et le mécanicisme intrinsèque au rationalisme cartésien sont les fondements du paradigme de la Modernité. La philosophie en tant que discipline indépendante de la religion, telle que nous la connaissons aujourd'hui, est apparue dans la modernité. Descartes et Locke sont les piliers qui ont façonné ce paradigme. Kant a remis en question l'existence du monde extérieur et, plus tard, Nietzsche a prédit la postmodernité avec la mort de Dieu. Les textes de Nietzsche, Jünger et Evola parlent des aspects héroïques de la modernité, y compris du traditionalisme, parce que ce dernier n'a pas complètement rompu avec la tradition. Cependant, la Modernité exclut toute possibilité de retour au traditionalisme, tandis que la postmodernité appelle à la création de rhizomes, de schizons, de sous-systèmes et de domaines de signes où l'on entre dans un monde où l'on ne consomme que des simulacres et des marques dans une post-réalité sans contenu.

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Face à un tel vide spirituel où tous les paradigmes ont été brisés, la figure du sujet radical émerge. Ce processus de changement de paradigme devient intéressant pour nous dans la mesure où le sujet radical est séparé de tout environnement sacral, y compris de la composante anthropologique dans laquelle il existait à l'origine. A. G. Douguine écrit que, pendant l'âge d'or, le sujet radical était indéfinissable parce qu'il était présent partout en tant que "sujet spirituel" derrière lequel il se cachait. Le sujet radical était pratiquement identique à l'âge d'or et ne différait de ce paradigme que par une légère nuance. Après la fin du paradigme de la Tradition et le début du paradigme post-humain de la Modernité, le Sujet radical reste inchangé en tant qu'anima stante et non cadente, étant celui "qui voit le paradigme de l'autre côté" (5) et identique au "surhomme" de Nietzsche dans le contexte de l'effondrement de chaque paradigme. Le sujet radical n'est pas simplement un produit du paradigme actuel, il se trouve de l'autre côté des paradigmes et n'entre dans le schéma d'aucun d'entre eux, nous pourrions dire qu'il est une anomalie. Être indépendant de tous les paradigmes est une propriété fondamentale du sujet radical, de sorte qu'une fois les couvertures extérieures du sacré enlevées, le sujet radical est chargé de conduire les changements de paradigme afin de se révéler au monde après avoir été caché. C'est ainsi que la Postphilosophie de Douguine nous fournit une vaste boîte à outils pour tenter de comprendre la Modernité et nous fournit une "clé" pour comprendre la Postmodernité. C'est ce désir "transitoire" qui conduit les êtres humains à lancer une "flèche du désir" au-delà de tout paradigme, "de l'autre côté". Bien que la post-philosophie nie le paradigme de la modernité, elle ne postule pas un retour à la prémodernité. Il s'agit là d'un aspect essentiel de la postmodernité, car tous les autres aspects du phénomène découlent de cette affirmation et la seule façon de sortir de ce problème est la figure du sujet radical décrite par A. G. Douguine.

Notes :

1 - Ницше Ф., Сочинения в 2-х томах. Т. 2 - М. : Мысль, 1990. 829 с.

2, 3, 4, 5 - Дугин А. Г., Постфилософия. Les deux sont en train de s'entendre sur un projet de loi. - М. : Евразийское Движение, 2009. 744 с.

lundi, 12 février 2024

Approche civilisationnelle

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Approche civilisationnelle

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/civilizacionnyy-podhod?fbclid=IwAR2PKXcRp-oKPezM0NK4jFCcAPkIUbzIc8tUefUlgFmtR48OLT541yeA1M8

Pour affronter efficacement l'Occident dans la guerre des civilisations que la Russie mène déjà, il faut tenir compte de la hiérarchie des plans.

Le niveau le plus élevé est celui de l'identité :

    - quelle est l'identité de l'ennemi (avec qui sommes-nous en guerre?);

    - quelle est notre propre identité ;

    - quelle est l'identité des autres acteurs civilisationnels?

Nous devons commencer par un tel cartographiage civilisationnel. Et dès ce niveau, nous rencontrons un problème: l'ennemi a pénétré si profondément dans notre propre civilisation qu'il a en partie détourné le contrôle des significations, des structures mentales pour déterminer qui est qui - non seulement de l'extérieur de la Russie, mais aussi de l'intérieur. Par conséquent, nous devons commencer par nettoyer le champ mental, procéder à la souverainisation de la conscience.

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Voici le problème suivant: celui de l'approche dite civilisationnelle. L'ennemi a réussi à imposer aux sciences sociales et humaines russes que l'approche civilisationnelle (russe) est soit fausse, soit marginale, soit facultative. Mais il n'en est rien. Le rejet de l'approche civilisationnelle (spécifiquement russe) ne signifie automatiquement qu'une chose: l'acceptation totale de l'universalité du paradigme de la civilisation occidentale et le consentement au contrôle externe de la conscience de la société russe par ceux avec qui nous sommes en guerre.

En d'autres termes, quiconque remet en question l'approche civilisationnelle devient automatiquement un agent étranger - au sens propre du terme. Peu importe que ce soit intentionnel, stupide ou par inertie. Mais aujourd'hui, il en est ainsi et il n'y a pas d'autre solution. Seule une approche civilisationnelle nous permet de parler d'une conscience publique souveraine, et donc d'une science et d'une éducation souveraines.

C'est le dernier appel pour les sciences humaines russes : soit nous passons rapidement aux positions de l'approche civilisationnelle (Russie = civilisation souveraine), soit nous écrivons notre lettre de démission. Parfois, l'augmentation de la connaissance scientifique se fait par soustraction, et non par addition - si nous soustrayons le non-sens, les algorithmes toxiques, les stratégies épistémologiques subversives, en un mot, le virus libéral de l'occidentalisme.

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jeudi, 08 février 2024

Pourquoi l'interview de Tucker Carlson est-elle considérée comme un tournant pour l'Occident et la Russie?

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Pourquoi l'interview de Tucker Carlson est-elle considérée comme un tournant pour l'Occident et la Russie?

Alexander Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/why-tucker-carlsons-interview-considered-pivotal-both-west-and-russia?fbclid=IwAR2Dt-QI_YDKbGhaU8NgvbZOE05qAfqz3tpXk1UwuIgZyEynGt2h9CdXVlk

Commençons par la partie la plus simple : la Russie. Tucker Carlson est devenu le point de convergence de deux pôles opposés au sein de la société russe : les patriotes idéologiques et les élites occidentalistes qui restent néanmoins fidèles à Poutine et à l'opération militaire spéciale. Pour les patriotes, Tucker Carlson est tout simplement "l'un des nôtres". C'est un traditionaliste, un conservateur de droite et un farouche opposant au libéralisme. Voilà à quoi ressemblent les émissaires du tsar russe du 21ème siècle.

Poutine n'interagit pas souvent avec des représentants éminents du camp fondamentalement conservateur. L'attention que lui porte le Kremlin enflamme le cœur du patriote, inspirant la poursuite d'un parcours conservateur-traditionnel en Russie même. C'est désormais possible et nécessaire : le pouvoir russe a défini son idéologie. Nous nous sommes engagés dans cette voie et nous n'en dévierons pas. Pourtant, les patriotes ont toujours peur que nous le fassions. Non.

En revanche, les occidentalistes ont poussé un soupir de soulagement : voyez, tout n'est pas mauvais en Occident, et il y a des gens bons et objectifs, nous vous l'avions dit ! Soyons amis avec un tel Occident, pensent les occidentalistes, même si le reste de l'Occident libéral mondialiste ne veut pas être ami, mais nous bombarde de sanctions, de missiles et de bombes à fragmentation, tuant nos femmes, nos enfants et nos personnes âgées. Nous sommes en guerre avec l'Occident libéral, alors soyons au moins amis avec l'Occident conservateur. Ainsi, les patriotes russes et les occidentalistes russes (de plus en plus russes et de moins en moins occidentaux) s'accordent sur la figure de Tucker Carlson.

En Occident, tout est encore plus fondamental. Tucker Carlson est une figure symbolique. Il est désormais le principal symbole de l'Amérique qui déteste Biden, les libéraux et les mondialistes et qui s'apprête à voter pour Trump. Trump, Carlson et Musk, ainsi que le gouverneur du Texas Abbott, sont les visages de la révolution américaine imminente, cette fois-ci une révolution conservatrice. La Russie se connecte à cette ressource déjà puissante. Non, il ne s'agit pas pour Poutine de soutenir Trump, ce qui pourrait facilement être rejeté dans le contexte d'une guerre avec les États-Unis. La visite de Carlson concerne autre chose. Biden et ses maniaques ont effectivement attaqué une grande puissance nucléaire par les mains des terroristes déchaînés de Kiev, et l'humanité est au bord de la destruction. Rien de plus, rien de moins.

Les médias mondialistes continuent de faire tourner une série Marvel pour les enfants en bas âge, où Spider-Man Zelensky gagne par magie grâce à des super-pouvoirs et des cochons magiques contre le "Dr Evil" du Kremlin. Cependant, il ne s'agit que d'une série stupide et bon marché. En réalité, tout se dirige vers l'utilisation d'armes nucléaires et peut-être la destruction de l'humanité. Tucker Carlson fait le point sur la réalité : l'Occident comprend-il ce qu'il est en train de faire, en poussant le monde vers l'apocalypse ? Il y a un vrai Poutine et une vraie Russie, pas ces personnages mis en scène et ces décors de Marvel. Regardez ce que les mondialistes ont fait et à quel point nous en sommes proches !

Ce n'est pas le contenu de l'interview de Poutine qui est en cause. C'est le fait qu'une personne comme Tucker Carlson se rende dans un pays comme la Russie pour rencontrer une personnalité politique comme Poutine à un moment aussi critique. Le voyage de Tucker Carlson à Moscou pourrait être la dernière chance d'arrêter la disparition de l'humanité. L'attention gigantesque de l'humanité elle-même à l'égard de cette interview charnière, ainsi que la rage frénétique et inhumaine de Biden, des mondialistes et des citoyens du monde intoxiqués par la décadence, témoignent de la prise de conscience par l'humanité de la gravité de la situation.

Le monde ne peut être sauvé qu'en s'arrêtant maintenant. Pour cela, l'Amérique doit choisir Trump. Et Tucker Carlson. Et Elon Musk. Et Abbott. Nous aurons alors la possibilité de faire une pause au bord de l'abîme. Comparé à cela, tout le reste est secondaire. Le libéralisme et son programme ont conduit l'humanité dans une impasse. Le choix est désormais le suivant : les libéraux ou l'humanité. Tucker Carlson choisit l'humanité, c'est pourquoi il est venu à Moscou pour rencontrer Poutine. Le monde entier a compris pourquoi il est venu et à quel point c'est important.

vendredi, 26 janvier 2024

Le péronisme selon Alexandre Douguine

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Le péronisme selon Alexandre Douguine

Nicolas Mavrakis

Source: https://www.geopolitika.ru/es/article/peronismo-segun-aleksandr-dugin

"J'aime beaucoup votre pays, la culture argentine, la philosophie argentine, Carlos Astrada, la culture du gaucho, cette identité, cette identité profonde que l'on ressent en Argentine malgré la modernisation", c'est avec ces paroles que s'est présenté le Moscovite Alexandre Douguine, unique en son genre. C'était à l'École supérieure de guerre des forces armées, dans la ville de Buenos Aires, avant de prononcer une conférence sur la géopolitique. C'était en novembre 2017, mais "le penseur de la nouvelle Russie de Vladimir Poutine", comme il est connu dans les cercles intellectuels pour sa planification de la politique internationale de la Fédération de Russie, se rendait en Argentine depuis 2014. En fait, Douguine a été un visiteur régulier jusqu'en avril 2019, lorsqu'il a donné sur le sol argentin une autre série de conférences à l'occasion du 70ème anniversaire du Congrès national de philosophie de Mendoza de 1949, événement au cours duquel ont été présentés les fondements de la communauté organisée, le livre dans lequel nul autre que Juan Domingo Perón a exposé sa philosophie du gouvernement.

La célébration était opportune, car pour ce penseur russe de 62 ans, habile à exploiter l'étiquette de "philosophe le plus dangereux du monde", comme l'ont qualifié les médias européens, l'héritage péroniste a peut-être été, du moins jusqu'au début de l'invasion russe de l'Ukraine en Europe et de l'éclipse du péronisme en tant que force motrice en Argentine, l'un des éléments stratégiques insoupçonnés de l'histoire de l'Europe, l'un des alliés stratégiques insoupçonnés de la "cause russe" que Douguine lui-même a contribué à façonner en tant que conseiller du président de la Douma d'État russe entre 1998 et 2003, et en tant que directeur du département de sociologie des relations internationales à l'université d'État de Moscou entre 2009 et 2014. L'idée que ce philosophe et sociologue appelle la quatrième théorie politique est la plus proche des grandes aspirations de Vladimir Poutine à une influence mondiale : un dépassement des trois grandes théories politiques du 20ème siècle (libéralisme, communisme et nationalisme) qui, en raison de leurs interprétations erronées de l'individu, de la classe et de la nation, se sont révélées insuffisantes pour intégrer politiquement, culturellement et spirituellement une région continentale aussi vaste que l'Eurasie, zone sur laquelle la Russie cherche à construire un bloc d'opposition à la mondialisation libérale menée par les États-Unis.

À première vue, les points de contact entre le poutinisme russe et le péronisme argentin peuvent sembler inhabituels, voire farfelus. Mais c'est précisément contre cette perception que Douguine s'est efforcé d'expliquer que l'eurasisme, c'est-à-dire le modèle d'expansion continentale russe fondé sur les liens entre différentes sociétés traditionnelles basées en Europe de l'Est et en Asie mais ayant des intérêts stratégiques communs, peut dialoguer avec une alliance potentielle sur le continent latino-américain comme celle que Perón avait envisagée autrefois entre l'Argentine, le Brésil et le Chili. "C'est pourquoi je suis très heureux d'être avec l'Argentine, parce qu'en étant avec vous, je défends ma cause, la cause russe, la cause de la communauté organisée, de la justice et de l'identité", écrit Douguine dans Logos Argentino. Métaphysique de la Croix du Sud, son livre consacré à la compréhension de l'Argentine.

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Le philosophe argentin Esteban Montenegro est l'un des lecteurs les plus attentifs de l'œuvre de Douguine, éditeur de ses conférences en Argentine et auteur de Pampa y Estepa. Peronismo y Cuarta Teoría Política, un livre qui oriente les idées de ce penseur russe (identifié à la steppe) vers un dialogue actif avec la philosophie argentine (identifiée à la pampa). La Quatrième théorie politique de Douguine a la vertu de ne pas donner d'indications mais plutôt d'ouvrir des questions et de nous inviter à repenser au-delà du "clivage" entre néolibéraux et progressistes, dans lequel il y a plus de continuité que de rupture", explique M. Montenegro. Ainsi, sur la base des projets de Douguine pour la Russie, il s'agit de renouveler les outils pour repenser l'Argentine. "Il faut une vision patriotique et souverainiste qui, liée au monde du travail et enracinée dans sa propre tradition, puisse défier la gauche et la droite hégémoniques", affirme M. Montenegro.

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Dans ce scénario, l'héritage de Perón fonctionne comme une figure attrayante et unificatrice, aussi utile pour discuter de ce que les poutinistes russes considèrent comme une valeur stratégique dans la projection de leurs intérêts en Amérique latine que pour les péronistes argentins pour discuter de la reconstruction d'un péronisme moins relativiste et concessif lorsqu'il s'agit d'exercer le pouvoir. La tâche n'est pas simple et, comme le soulignent les deux parties, il faut éviter les dogmatismes de leurs passés respectifs. À tel point que, lors d'une de ses conférences à la Confédération générale du travail, Douguine a surpris ses auditeurs en déclarant que "Perón survit à sa mort parce qu'il a créé le péronisme, alors que le poutinisme n'existe pas". Ce qui existe pour le "réveil de la Russie", c'est l'eurasisme et la quatrième théorie politique, ainsi que la théorie du monde multipolaire et la géopolitique. Des concepts que, dans un esprit de provocation, ce penseur utilise pour diviser le monde en termes clairs : "Si vous êtes en faveur de l'hégémonie libérale mondiale, vous êtes l'ennemi".

Au cœur de l'expansion de la "nouvelle Russie de Poutine" se trouve l'hypothèse que la Russie est une civilisation distincte de l'Occident, une idée familière à ceux qui ont lu Limonov, ainsi que la biographie qu'Emmanuel Carrère a publiée en 2011 sur l'écrivain et homme politique russe Edouard Limonov. C'est d'ailleurs avec ce personnage exotique qu'Alexandre Douguine fonde en 1992 le Parti national bolchevique, dont la dissolution conflictuelle conduira le futur conseiller présidentiel à créer le Mouvement eurasien en 2001. Sous une forme ou une autre, le postulat de l'eurasisme est le même : s'appuyant sur les traces de l'échec de l'Union soviétique et sur les idées de philosophes tels que Martin Heidegger et Carl Schmitt, la Russie devrait aspirer à préserver, protéger et conduire, dans une perspective impériale, une identité commune parmi la diversité des pays, des ethnies, des communautés, des religions et même des Etats sous son influence en Europe de l'Est et en Asie. Dans un monde divisé en civilisations, la "civilisation terrestre eurasienne" dirigée par la Russie serait donc la meilleure option pour se défendre contre l'impérialisme de la "civilisation maritime atlantique" dirigée par les États-Unis et leurs alliés.

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Le continentalisme de Juan Domingo Perón, en ce sens, doit être revendiqué comme "la voie ibéro-américaine" pour faire avancer cette civilisation de la terre, "parce que là où se trouvent les Ibères, les Portugais, les Espagnols et les Indiens qui sont entrés dans ce contexte créole, là se trouve la civilisation de la terre, de l'identité". Prêt à forger des alliances bien au-delà des frontières géographiques, Douguine affirme également que l'avenir de l'Amérique latine et de l'Argentine réside dans cette "lutte", dans ce "réveil de l'identité latino-américaine profonde", capable de réveiller les "logos ibéro-américains", comme Perón l'avait prévu en son temps. En attendant, pour comprendre comment la cause eurasienne fonctionne dans le grand chœur des conflits internationaux réels, il suffit de regarder la présence russe en Syrie, où le leadership militaire de Poutine se déploie sur les différences religieuses entre les factions belligérantes, ou la récupération désormais presque complète par les Russes des territoires en conflit militaire avec l'Ukraine et l'OTAN. Cette dernière est sans doute la bataille idéologique et géopolitique la plus importante dans la vie de Douguine, car elle lui a coûté, entre autres, la vie de sa fille, la philosophe Darya Douguina. Âgée d'à peine 29 ans, Darya Douguina a été assassinée en 2022 à l'extérieur de Moscou au moyen d'une bombe placée sous sa voiture. On ne sait toujours pas qui a fait cela, mais il s'agissait probablement d'un attentat contre Douguine lui-même, que l'on espérait assassiner dans la même voiture.

L'étape suivante après la revendication territoriale de l'eurasisme est un nouveau modèle idéologique pour organiser sa signification politique. Une fois de plus, la nouvelle Russie de Poutine et l'ancienne Argentine de Perón semblent avoir des points communs. "Le dialogue entre les deux traditions découle d'un besoin commun de trouver un modèle politique alternatif au communisme et au libéralisme", explique M. Montenegro. Dans son livre, Montenegro définit la quatrième théorie politique comme une alternative aux trois théories politiques classiques (libéralisme, communisme et nationalisme) sous un jour nouveau. Sinon, il ne reste que la soumission à la seule théorie politique triomphante : le libéralisme, qui, pour défendre l'"individu", conçoit l'être humain comme libéré de toute identité collective, "parce qu'elles sont toutes coercitives et violentes", expliquait Douguine lors d'une conférence à la Faculté des sciences sociales de l'Université de Buenos Aires en 2017. Pour le Russe, "si nous libérons le socialisme de ses traits matérialistes, athées et modernistes, et si nous rejetons les aspects racistes et xénophobes des doctrines nationalistes, nous arrivons à un nouveau type d'idéologie politique". Il s'agit bien sûr d'imaginer une nouvelle façon d'affronter le vieil ennemi triomphant.

Mais n'est-ce pas là la fameuse troisième position du péronisme qui, en pleine guerre froide, refusait d'être étiqueté capitaliste ou marxiste ? Loin de la considérer comme étrangère ou comme une simple répétition d'idées déjà connues, nous considérons qu'elle nous aide à sortir de l'oubli des choses qui restent cachées dans nos meilleures traditions", écrit Montenegro dans Pampa y Estepa. Le péronisme et la quatrième théorie politique: et s'il était possible d'actualiser la doctrine péroniste à la lumière d'une nouvelle époque ? Une quatrième théorie politique ibéro-américaine combinant les points de vue poutinistes et péronistes est-elle possible au 21ème siècle ? À ce stade, le débat péroniste semble encore obligé de résoudre diverses discussions internes concernant le vieux modèle d'"unité nationale" qui, sous prétexte de réconcilier le capital et le travail, tourne encore aujourd'hui autour de positions antagonistes telles que la "droite péroniste" et le "progressisme", avec leurs accusations croisées respectives de "fascisme" et de "communisme".

L'hypothèse de Douguine est que les pays qui ont une politique étrangère ferme sont ceux qui réaffirment le fait que leurs véritables frontières politiques, en réalité, s'étendent jusqu'à l'unité du peuple autour de leur tradition et la conscience stratégique de leurs dirigeants. C'est ce que Poutine tente de prouver en intervenant par le biais de la Syrie au Moyen-Orient et en redéfinissant les relations avec des pays comme la Turquie et l'Iran, ainsi qu'en avançant sur l'Ukraine pour sécuriser ses frontières face à l'OTAN et aux États-Unis. C'est également la base de la théorie du monde multipolaire, destinée à faire face au monde unipolaire du libéralisme dirigé par les États-Unis. Tout le travail de Douguine converge vers cet objectif, sauf que, dans le processus, il permet à différentes identités locales d'émerger avec une plus grande autonomie que l'Union soviétique ne l'a fait en son temps. Mais derrière cette discussion, il y a aussi un projet existentiel enraciné dans la manière dont chaque pays peut se comprendre lui-même et comprendre le monde dont il fait partie. Dans le cas de l'Argentine, où la plupart des textes et des manuels qui constituent la tradition géopolitique sont anglo-saxons, souligne Douguine, la possibilité de penser à une politique étrangère ferme implique d'autres défis.

Lors d'une de ses visites dans la province de Cordoue, il y a quelques années, le "conseiller de Poutine" a développé cette question: "Ceux qui se présentent comme les véritables maîtres du monde tentent d'imposer leur agenda à tous les peuples. Ils le font en réduisant leur souveraineté à zéro, par le biais de l'économie et de la technologie, et par le biais d'institutions internationales supranationales qui limitent ouvertement la marge de manœuvre des civilisations. Ainsi, de la même manière que l'Union européenne fonctionne comme une confédération dotée de ses organes directeurs et d'une vision géopolitique, "l'Union eurasienne de Poutine peut être considérée comme la réintégration de l'espace post-soviétique pour créer un autre pôle". Dans le cas de l'Argentine, cependant, le parcours de ce type d'expérience est aussi divers que chaotique : du projet d'adhésion aux BRICS (l'alliance des économies émergentes du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud) à l'endettement record auprès du Fonds monétaire international, il est clair que la position géopolitique est loin de consolider un axe cohérent dans le temps.

mardi, 16 janvier 2024

Alexandre Douguine: 2024. Vers une révolution européenne !

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2024. Vers une révolution européenne !

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/2024-k-evropeyskoy-revolyucii

Cette année, l'Occident va connaître une révolution.

Il y a deux Occident : l'Occident mondialiste et l'Occident... ordinaire. Les mondialistes représentent l'Occident 1. Ce faisant, ils refusent de reconnaître qu'il n'y a personne d'autre qu'eux dans le monde. Ils insistent donc sur le fait qu'il n'y a pas de "deuxième" Occident, d'Occident-2. Mais il y en a un. 

Nous, le monde multipolaire, devons reconnaître aussi clairement que possible l'existence de cet Occident-2.

Il se compose d'une variété de forces qui ne sont pas d'accord avec l'agenda mondialiste ultra-libéral des élites.

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Il y a les gens de gauche, comme Sarah Wagenknecht et son nouveau parti. La "Sarah rouge" (une Valkyrie de double origine, iranienne et allemande) est en train de devenir le symbole de la gauche illibérale en Europe.

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En Italie, Diego Fusaro, disciple du marxiste et antimondialiste Costanzo Preve, est un théoricien de la même tendance.

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En France, nous avons Alain Soral, ainsi que Michel Onfray, Jean-Claude Michéa et Serge Latouche.

Ces hommes et femmes de gauche sont avant tout des ennemis du capital mondial. Ils se distinguent de la pseudo-gauche achetée par Soros : cette dernière est avant tout en faveur des LGBT, du nazisme ukrainien, du génocide de Gaza et des migrations incontrôlées, mais contre la Russie et ce que leurs maîtres capitalistes, eux-mêmes nazis libéraux, appelleraient le "fascisme".

Il y a aussi une composante de droite - mal en point, mais qui, dans de nombreux pays européens, représente la deuxième force politique la plus importante. Par exemple, Marine Le Pen en France.

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En Allemagne, Alternative pour l'Allemagne et d'autres mouvements plus modestes gagnent en puissance. En particulier en Prusse (ex-RDA).

En Italie, malgré l'infirmité libérale de Meloni, la moitié droite de la société n'a pas progressé.

Et tout le populisme de droite n'a pas progressé non plus.

Mais à l'Ouest 2, ce sont surtout les gens ordinaires qui se dressent, ceux qui ne comprennent rien à la politique. Ils ne peuvent tout simplement pas suivre les demandes de changement de sexe, de castration forcée de leurs petits fils, de mariage avec des chèvres, d'arrivée et d'entretien d'un plus grand nombre d'immigrés et de maniaques ukrainiens sauvages, incapables d'une hygiène de base et de soins personnels, de manger des cafards, de réciter des prières telles celles de Greta Thunberg à l'heure du coucher et de maudire les Russes, qui ne leur ont rien fait de mal. L'homme ordinaire occidental, la petite bourgeoisie, est le pilier du soulèvement à venir. Cet homme ordinaire ne comprend plus les élites libérales. Il est irrémédiablement opposé à l'accélération de la dégénérescence et de l'avilissement que ces élites exigent de lui.

Le monde multipolaire doit aider la révolution européenne.

Les Occidentaux sont des gens ordinaires qui ne sont coupables de rien. Ils n'ont aucune chance de changer la situation démocratiquement, tout simplement parce qu'il n'y a plus de démocratie en Occident depuis longtemps, et que l'Occident 1 a établi une dictature libérale mondialiste directe - surtout, justement, sur l'Occident 2.

Il ne reste plus qu'une chose: chasser le pouvoir des usurpateurs par des moyens révolutionnaires.

Tel est l'agenda 2024 pour l'Europe.

Votre liberté est entre vos mains.

dimanche, 07 janvier 2024

Le peuple russe et l'État russe dans l'avenir (dans la logique de Hegel)

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Le peuple russe et l'État russe dans l'avenir (dans la logique de Hegel)

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/russkiy-narod-i-russkoe-gosudarstvo-v-budushchem-v-logike-gegelya

Dans la philosophie politique de Hegel [1], il y a une transition cruciale en ce qui concerne l'établissement de l'État (der Staat). Heidegger, dans son plan de cours sur Hegel [2], s'attarde sur la terminologie même de Staat - stato - statut. Il est basé sur la racine latine stare - se tenir, mettre, établir. En russe, État vient du mot "souverain", c'est-à-dire seigneur, maître. Si, en latin et dans ses dérivés, l'accent est mis sur l'acte d'établissement - l'État est quelque chose d'établi (artificiellement), de posé, de construit, de créé, d'érigé, d'installé -, dans les langues slaves, il n'indique que le fait d'un pouvoir suprême - seigneurial. Et comme, dans la tradition slave, le seigneur était en même temps un juge, le mot fait référence au tribunal - go-sud-arj, ce qui apparaît clairement dans l'adresse polie russe dérivée de souverain - "juge". Le pouvoir juge, celui qui juge est le pouvoir. L'État est la zone de ses possessions, ce qui est en son pouvoir, ce qu'il détient et maintient en tant qu'autocrate. D'où le pouvoir.

La distinction même des concepts correspond à la distinction, beaucoup plus profonde, que fait Hegel entre l'"ancien état" ("imperfect - unvolkommener Staat - state") et le "nouvel état", le "véritable état". L'ancien État est précisément la possession, la domination, dans la limite négative, la tyrannie. Il est construit autour de l'élément réel du pouvoir, autour de l'axe vertical ordre-subordination. Bien qu'il y ait ici certaines nuances.

Parmi les "vieux États", Hegel distingue plusieurs types :

    - Le type oriental (despotisme rigide, fossilisation) ;

    - Type grec (première tentative de donner au pouvoir dans l'empire d'Alexandre un sens philosophique unificateur, mais on en arrive encore au despotisme);

    - type romain (formalisation extrême du droit privé, séparation des pouvoirs, cycles changeants de despotisme des autorités et de despotisme de la foule).

9782080235510.jpgLe Staat au sens propre est autre chose. C'est un "nouvel État". En lui, le fait de son établissement, de sa constitution, de sa création est fondamental. Le Staat est un moment de l'Esprit, pleinement réalisé et conscient de lui-même. Autre définition : "l'État est la procession de Dieu dans le monde" [3] (der Gang Gottes in der Welt). Ou:

Dans le système hégélien, l'État est considéré comme un produit de la conscience de soi. L'État en tant que Staat est l'expression du degré de concentration de la réalisation, c'est-à-dire un phénomène philosophique. Nous voyons ici une consonance avec l'"État" de Platon. Le Staat est le πολιτεία de Platon, mais pas tout à fait la Res Publica, bien qu'il y ait aussi quelque chose d'important pour Hegel dans cette traduction. L'État n'est institué que par les philosophes, c'est-à-dire par ceux en qui la conscience de soi de la société atteint son point culminant. Mais les philosophes expriment le mouvement même de Dieu dans le monde, qui se manifeste à travers une série de liens dialectiques, y compris les moments de la conscience de soi du peuple.

L'État, selon Hegel, appartient à la sphère de la moralité (Sittlichkeit). L'ensemble de cette sphère se décompose en deux séries de moments dialectiques :

thèse - famille

antithèse - société civile

synthèse - Etat (Staat)

thèse - État (Staat)

antithèse - relations internationales

synthèse - empire mondial              

L'État est l'élément commun aux deux séries, leur centre. Dans la première série, il correspond à la synthèse, dans la seconde à la thèse. Et la synthèse de la deuxième série est le super-État - l'Empire, où l'Esprit atteint le stade de l'Absolu (universel, Idée universelle). C'est là que s'achève l'histoire, en tant que séquence du déploiement de l'Esprit et de son accession à un nom propre. L'État est donc le membre intermédiaire entre la famille et la "fin de l'histoire".

Dans la philosophie du droit, cette étape est précédée de deux autres séries: le droit abstrait et la morale. Le droit établit l'idée de l'individu et la morale celle du sujet. L'individu, cependant, ne devient un esprit que dans le domaine de la morale.

9782080413574.jpgLe sujet spirituel se réalise à travers la théorie et la pratique de la famille. Dans la famille, l'Esprit réalisé devient d'abord lui-même. L'individu dans la famille se révèle comme l'expression d'une Idée concrète. Il est plus qu'un individu, et sa moralité (Hegel entend par là la capacité de prendre une distance critique par rapport à la loi formelle) s'exprime en pratique dans le soin du tout qu'est la famille.

Mais une société qui vit sur la base de la famille (agraire, patriarcale) n'est pas encore une nation ou un État au sens hégélien. La famille ne peut être mise à l'échelle linéaire de la famille des familles, c'est-à-dire de l'État, tant qu'elle n'a pas parcouru tout le chemin de la dialectique. Ce n'est que dans l'"ancien État" (et non dans le Staat) qu'il existe une société de familles. Elle représente généralement les classes inférieures dans les conditions du monde de la vie. Mais ce monde de la vie n'est pas animal, il est moral, car la famille est animée par l'Esprit, et c'est en elle qu'elle s'exprime. Le pouvoir n'appartient pas à la projection ascendante des familles, mais aux représentants de l'élite, qui se sont retrouvés dans leur position selon une logique complètement différente. Ludwig Gumplowicz [4] décrit cette situation comme le résultat d'une "lutte raciale", en considérant les "races" comme les porteurs de différentes cultures ethniques. Les plus forts subjuguent les plus faibles. C'est ainsi que se forment les vieux États, les despotismes, les tyrannies, les principautés (pas le Staat). Dans ces systèmes, les familles et les dirigeants vivent dans des mondes parallèles, ne se comprenant pas, ne réalisant pas clairement la nature de leur lien et la nature de ce qui les unit.

Dans la pratique, cette distinction entre famille et pouvoir était particulièrement caractéristique de l'Europe de l'Est et, dans une plus large mesure encore, de la Russie tsariste. Ernest Gellner [5] a résumé ce type de société par le nom d'un pays fictif et "agraire". Dans l'Europe occidentale de l'époque moderne, l'équilibre commence à se modifier. Hegel résume la nature des changements par le terme "Lumières" (Aufklärung). Il s'agit d'un point crucial de sa dialectique.

Au cours du siècle des Lumières, une nouvelle forme de société civile (bürgerliche Gesellschaft) émerge en Europe occidentale. Ce phénomène correspond à la démocratie bourgeoise et au capitalisme. Gellner appelle ce pays "Industrie" de manière généralisée. Selon Hegel, ce phénomène repose principalement sur la désintégration de la famille, l'individualisme et l'acquisition d'une conscience sociale aiguë. C'est la phase de l'antithèse, la suppression de la famille. La société civile est mauvaise en soi, mais elle est nécessaire dans la structure dialectique du déploiement de l'Esprit. L'Esprit doit passer par cette phase pour atteindre un nouveau niveau. La famille se désintègre en tant qu'unité collective pour laisser place au citoyen. En lui, la personne de la loi abstraite, le sujet moral et le père de famille sont présents, mais sous une forme retirée. Ils ne le définissent pas. Ce sont ses droits et libertés sociopolitiques qui le définissent. C'est le libéralisme.

Et ce n'est que maintenant que nous arrivons au "nouvel État", c'est-à-dire au Staat, tel que le concevait Hegel.

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Plus important encore: selon Hegel, l'État est le moment du dépassement, de la suppression de la société civile. L'État réel ne peut pas être bourgeois, il est toujours super-bourgeois. Son but ne devrait pas être de servir les individus de la société civile, de garantir ou de protéger leur bien-être ou leurs libertés. Hegel écrit:

"Dans la liberté, il faut procéder non pas à partir de la singularité, non pas à partir d'une conscience de soi singulière, mais seulement à partir de son essence, car cette essence, qu'on en soit conscient ou non, se réalise comme une force indépendante dans laquelle les individus séparés ne sont que des moments [6]".

L'État devient lui-même lorsque la société civile est complètement dépassée (quand elle est supprimée) et que le citoyen (Bürger) est finalement et irréversiblement aboli, transformé en quelque chose d'autre. Historiquement, l'État n'a pas été créé par les familles ni par la bourgeoisie (industrielle ou commerciale ou ses prototypes), mais par un domaine spécial - le domaine du courage [7] (der Stand der Tapferkeit), comme l'appelle Hegel.

Contrairement à l'émergence des anciens États, cela ne se produit pas en vertu d'une nation plus puissante et guerrière qui en soumet une autre, plus faible et plus pacifique, ou par quelque autre méthode d'usurpation du pouvoir par un tyran ou un groupe oligarchique, mais en vertu du fait que les membres de la société civile dans laquelle le mouvement de l'Esprit qui se connaît lui-même aura lieu réaliseront l'impasse qu'est le libéralisme, mais ne reviendront pas simplement à la famille (la thèse), mais surmonteront l'antithèse (eux-mêmes en tant que libéraux) par la synthèse. Cette synthèse est l'établissement de l'État en tant que Staat. Ici, comme dans la famille, l'homme sacrifie sa liberté formelle et morale au nom d'une moralité supérieure. Mais il est désormais uni non seulement à la famille, mais aussi à l'État, qui est sa mission, son être et son destin.

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C'est alors que la société civile devient un peuple (Volk). La pluralité des familles n'est pas encore un peuple. La société civile composée d'individus (c'est le demos) n'est pas non plus un peuple. La société devient un peuple lorsque l'Esprit qui l'habite parvient à dépasser le libéralisme et est prêt à établir un État (Staat).

Il est important que dans cette compréhension de Hegel la catégorie de peuple (Volk) soit très proche du terme λαός, que j'utilise dans "Ethnosociologie" [8]. [8]. Volk est un peuple construit dans un ordre raisonnable. Ce n'est pas une foule, c'est une armée. D'où le mot slave "régiment", formé précisément à partir de l'allemand Volk. La société civile cesse d'être un mouvement chaotique de bourgeois à la recherche du profit individuel. La société des marchands se transforme en une société de héros (selon Sombart [9]), en une "classe de bravoure". Le peuple en tant que société de héros crée l'État. Hegel souligne en particulier "le droit des héros à fonder l'État" [10] (das Heroenrecht zur Stiftung von Staaten).

Si nous suivons Hegel à la lettre, nous parviendrons à la conclusion intéressante que, jusqu'à présent, l'État au sens où il l'entend (Staat) n'a jamais été véritablement créé. Tout ce que nous avons vu dans l'histoire n'est qu'une approximation plus ou moins grande du Staat, et le plus souvent il s'agit d'États qui sont des tyrannies ou des despotismes, ou au contraire des républiques chaotiques atomisées par la société civile, le demos, qui ne communiquent rien sur la nature spirituelle du pouvoir.

L'État véritable et définitif appartient donc à l'avenir.

Appliquons ce modèle à l'histoire russe. Évidemment, au sens strictement hégélien, les Russes n'ont jamais vraiment eu d'État (au sens de Staat). Historiquement, il y avait, d'une part, un "monde de familles (slaves)" et, d'autre part, une élite politique (presque toujours majoritairement étrangère - sarmate, scythe, varègue, mongole, européenne, juive, etc.). Les Russes n'avaient pas de société civile.

Néanmoins, depuis le 19ème siècle, on assiste à certaines tentatives de construction d'une telle société civile. Ce projet a débuté lorsque les Lumières européennes ont pénétré en Russie, mais jusqu'au 19ème siècle, il n'a touché que les élites. Au 19ème siècle, les Occidentalistes et les Slavophiles ont participé à ce projet. Les slavophiles s'inspiraient à bien des égards de Hegel, tout comme les Russes occidentalistes, marxistes et libéraux. D'où la "citoyenneté". En même temps, traduit en russe, l'allemand Bürgerlichkeit a cessé d'être fermement associé à bourgeoisie, qui a le même sens et la même étymologie, et a acquis un sens plus "élevé" mais moins correct. Le but des Lumières était de transformer le monde des familles en capitalistes individualistes aliénés, de créer une société de marchands. Il fallait détruire les familles et la paysannerie en tant que territoire des familles (et des communautés), en les transformant en un prolétariat atomisé. Tel était le point de vue des marxistes hégéliens. Les libéraux russes pensaient que la libération des paysans transformerait la population russe en une classe moyenne. Quant aux slavophiles, ils pensaient que le peuple russe devait affirmer son intégrité et sa conscience spirituelle et morale. C'est aussi le siècle des Lumières, mais en russe.

Dans le schéma hégélien :

    - les marxistes russes aspirent à une société civile avec une interprétation de classe corrigée ;    

    - les libéraux russes à la société civile ;    

    - et les slavophiles immédiatement à la phase suivante - au statut du peuple (Volk), celui-là même où la création de l'État en tant que Staat devrait avoir lieu (et certains slavophiles - Golokhvastov et Aksakov - ont proposé à cette fin à Alexandre II puis à Alexandre III de rétablir l'État russe par la convocation du Zemsky Sobor).

Les libéraux recherchaient l'antithèse classique de Hegel - la destruction des familles (communautés) et la promotion du capitalisme. Les marxistes pensent que le capitalisme existe déjà et qu'il doit être vaincu par la révolution prolétarienne. Quant aux slavophiles, ils pensaient que l'antithèse devait être immédiatement corrélée à la synthèse et que le peuple russe, déjà suffisamment imprégné des idées libérales des Lumières, devait passer le plus rapidement possible à la troisième phase, celle de la création de l'État.

Nous savons comment les choses se sont passées dans l'histoire russe. Les idées libérales ne sont pas restées longtemps à l'état pur, mais au lieu de les surmonter dans le peuple (Volk), la révolution d'octobre a eu lieu, qui a d'abord été considérée comme la première phase de la transition vers le communisme mondial - c'est-à-dire vers la "fin de l'histoire" au sens marxiste (hégélien de gauche) - sans l'État, dans un pur internationalisme prolétarien.

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Lorsque la révolution a eu lieu dans un seul pays, et même dans la Russie agraire sous-capitaliste (avec une société civile minimale), Lénine et Trotsky l'ont acceptée, mais les marxistes occidentaux, qui s'efforçaient de rester des marxistes orthodoxes, ne l'ont pas fait.

La suite est intéressante. C'est une chose de mener une révolution prolétarienne dans un pays où il n'y avait pas de prolétariat du tout, afin de commencer ensuite à soutenir le mouvement ouvrier en Europe et dans le monde entier à partir des positions gagnées, ce que Lénine et Trotsky étaient enclins à faire, et c'est tout à fait autre chose de construire le socialisme dans un seul pays - c'était tout à fait contraire au marxisme, quelle que soit l'interprétation que l'on en donne. Mais Staline s'est engagé dans cette voie. Et là, il était tout à fait en phase avec Hegel, et Hegel lui-même, et non avec son interprétation marxiste.

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Dans la pratique, Staline a commencé à construire l'État russe sur le dépassement de la société civile (qui existait pourtant nominalement). Ce moment de l'histoire a coïncidé avec l'émergence d'une nouvelle entité - non pas tant les familles et les communautés paysannes, mais le peuple soviétique, qui était pensé en étroite unité avec l'État. Selon Marx, le nouvel État (Staat) selon Hegel ne devrait pas exister du tout, et s'il existe, c'est uniquement en tant que sous-produit des premières sociétés capitalistes créant des nations temporaires dans le cadre de l'"industrie" (Gellner). Lénine, lui aussi, pensait que les États bourgeois passaient au stade de l'impérialisme et étaient voués à l'extinction. Le capitalisme est un phénomène universel et planétaire. Et la fin de l'histoire en tant que victoire du communisme dans le monde entier se produira indépendamment de la création d'États et de l'émergence de relations internationales entre eux, ce qui n'a pas grande importance et n'est qu'un détail insignifiant.

En cela, les communistes étaient d'accord avec les libéraux, la seule différence étant que les libéraux étaient convaincus que tout se terminerait au stade du capitalisme mondial, tandis que les communistes pensaient que ce stade serait suivi d'une révolution prolétarienne mondiale, qui établirait l'internationalisme prolétarien sur la base de l'internationalisme bourgeois.

Mais Staline et l'État soviétique qu'il a construit ne s'inscrivent pas dans ce schéma (à la fois communiste et libéral). En substance, l'URSS ressemblait au Staat de Hegel, tandis que le peuple soviétique ("soviétique" est le terme exact à employer dans le présent contexte, et non pas "russe" - comme l'était le monde des familles) était le Volk selon Hegel. Dans l'URSS en tant qu'État, on croyait en effet que la société civile (l'identité bourgeoise) avait été vaincue.

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Les relations internationales revêtent alors un caractère véritablement hégélien, puisque c'est la confrontation entre l'URSS et les pays occidentaux qui déterminera le type d'empire mondial (Reich) - communiste, nazi ou libéral - qui adviendra.

L'arrière-plan hégélien est encore plus évident dans le fascisme italien, où il a été conceptualisé par l'un de ses théoriciens, Giovanni Gentile [11], et dans le national-socialisme allemand (Julius Binder [12], Karl Larenz [13], Gerhardt Dulckeit [14]). C'est à travers le prisme de la philosophie du droit de Hegel que Martin Heidegger a conceptualisé le national-socialisme.

Dans le camp libéral, l'État apparaît sous l'influence des idées de Keynes et dans l'expérience américaine de la politique du New Deal de Roosevelt, mais il ne fait pas l'objet d'un développement théorique (les fascistes britanniques d'Oswald Mosley ne comptent pas dans ce contexte). Plus tard, à l'époque de la guerre froide, l'hégélien libéral Alexandre Kojève théorise la "fin de l'histoire" en tant que victoire de la société civile mondiale [15]. Et après l'effondrement de l'URSS, le philosophe politique américain Francis Fukuyama [16], développant les idées de Kojève, a écrit un programme manifeste sur la "fin de l'histoire" et la victoire planétaire du libéralisme. Mais cela n'a rien à voir avec l'État de Hegel, qui devrait être fondé sur le dépassement de la société civile, c'est-à-dire du capitalisme.

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Il est important de retracer le destin de la société soviétique où, selon Staline, la société civile doit être complètement dépassée. Tel était le sens de l'État soviétique (si nous le considérons dans une optique hégélienne). Mais l'effondrement de l'URSS et l'abandon de l'idéologie communiste ont montré que ce dépassement était une illusion. D'une part, Staline a effectivement contribué à la formation d'une société civile dans une coquille prolétarienne en URSS (le monde de la paysannerie et l'écoumène des familles ont été fondamentalement sapés, et la majorité de la population a été déplacée vers les villes - c'est-à-dire qu'elle est devenue "citadine", "citoyenne"), mais d'autre part, cette société civile, qui était presque inexistante dans la Russie tsariste avant la révolution, n'a pas été surmontée dans l'État. Cela devrait se produire (selon Hegel) lors du prochain cycle. Entre-temps, la société soviétique s'est effondrée précisément dans le capitalisme, l'État s'est affaibli autant que possible et a presque disparu dans les années 1990, et les idées libérales ont triomphé dans la Russie post-soviétique.

C'est précisément parce que l'État stalinien n'a pas été un véritable dépassement du capitalisme qu'il a été contraint de revenir à la phase précédente - purement nihiliste et libérale - afin de repartir du fond libéral.

Mais - et ceci est d'une importance cruciale - l'inclusion de la Russie post-soviétique dans le contexte libéral global et sa transformation en une société civile post-soviétique sont devenues l'élément le plus important dans la réalisation du scénario hégélien. Ce n'est qu'à ce moment-là que la société russe est devenue véritablement bourgeoise, ce qui signifie que le moment historique du dépassement de la bourgeoisie en faveur de l'institution du Staat peut finalement se produire.

En même temps, la Russie a, contre toute attente, conservé sa souveraineté politique, que l'Allemagne, par exemple, qui avait auparavant revendiqué, et avec non moins, sinon plus de raisons, de créer un État hégélien à part entière, a perdue après la Seconde Guerre mondiale.

Il ressort de cette analyse qu'au sens plein du terme, le peuple russe en tant que Volk hégélien ne peut devenir une réalité que dans l'avenir, un avenir dont nous nous sommes rapprochés. Et l'opposition à l'Occident libéral, qui ne deviendra pas (pour l'instant du moins) un État et un peuple, décomposant les familles dans la version extrême de la société civile mondialiste, ajoute de l'énergie spirituelle interne aux Russes.

Hegel lui-même pensait qu'à la "fin de l'histoire", la mission de devenir l'expression de l'idée universelle, c'est-à-dire l'Empire mondial, revenait aux Allemands. Il prévoyait la création d'une monarchie constitutionnelle allemande sur la base de l'État prussien, ce qui s'est produit sous Bismarck et les Hohenzollern. Ensuite, grâce au système de relations internationales avec d'autres États et très probablement grâce à la métaphysique de la guerre, les Allemands sont destinés à devenir un "peuple historique mondial", fermant la chaîne des quatre empires historiques (déjà évoqués - oriental, grec et romain). Cette idée de l'importance historique mondiale de l'Allemagne et de son esprit, de sa place géographique et anthropologique dans l'histoire mondiale, a été développée plus tard au 20ème siècle par les révolutionnaires conservateurs Arthur Moeller van den Bruck [17] et Friedrich Hielscher [18]. Cependant, cette perspective a été retirée de l'ordre du jour ou reportée indéfiniment après la défaite de l'Allemagne nazie lors de la Seconde Guerre mondiale. Après 1945, les Allemands ont de nouveau été rejetés dans la société civile, essentiellement sans le droit de s'engager dans la politique. L'établissement héroïque de l'État n'était plus possible dans leur cas. L'Allemagne est donc sortie de l'horizon hégélien de la lutte pour le sens de l'histoire mondiale, pour le cours de Dieu dans le monde.

Il est évident que les pays de l'Occident libéral, déjà en vertu de leur dévotion radicale à l'idéologie bourgeoise, au capitalisme et à la société civile, ne contiennent pas non plus de conditions préalables à l'établissement de l'État et à l'incarnation de l'Esprit.

Par conséquent, parmi les prétendants à ce rôle à l'échelle mondiale à l'heure actuelle, il ne peut y avoir que la Russie et la Chine. Et tant la Russie - surtout ces dernières années - que la Chine ont déjà fait certains pas dans cette direction. Le facteur décisif sera la volonté de surmonter complètement la société civile dans ces pays, la prise de conscience de la nécessité et de la capacité d'un nouvel établissement de l'État (Staat) et l'existence d'une masse critique de "domaines du courage". La société devient un peuple, dépassant les normes bourgeoises, les structures de la conscience ordinaire, pour devenir une armée, un régiment (Volk).

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Dans la société chinoise, la tradition confucéenne de l'État éthique et le maoïsme, qui rejette le capitalisme, peuvent servir de support idéologique. En Russie, la condition préalable pour devenir une grande nation peut être considérée comme la métaphysique de l'Empire katékhonique et une certaine expérience du stalinisme soviétique, la construction d'un État solidaire non-bourgeois et illibéral. Celui qui y parvient a une occasion historique unique de devenir un réceptacle de l'Esprit universel. Les Russes ont toujours pensé qu'ils étaient le moment du "passage de Dieu dans le monde". C'est pourquoi l'idée que les Russes sont un "peuple porteur de Dieu" est apparue. Le moment est venu d'en prendre pleinement conscience et d'agir en conséquence.

Notes:

[1] Гегель Г.Ф.В. Философия права. М.: Азбука,2023.

[2] Heidegger M. Seminare: Hegel – Schelling.  2011, Frankfurt am Main: Vittorio Klostermann, 2011.

[3] Гегель Г.Ф.В. Философия права. § 258. С. 284

[4] Gumplowicz L.  Der Rassenkampf: Sociologische Untersuchungen. Innsbruck: Wagner'sche Univer-Buchhandlung^ 1883

[5] Геллнер Э. Нации и национализм. Мю: Прогресс, 1991.

[6] Гегель Г.Ф.В. Философия права. § 258. С. 284.

[7] Гегель Г.Ф.В. Философия права. § 325. С. 361.

[8] Дугин А.Г. Этноосоциология. М.: Академический проект, 2011.

[9] Зомбарт В. Собрание сочинений: В 3 т. - СПб.: Владимир Даль, 2005.

[10] Гегель Г.Ф.В. Философия права. § 350. С. 373.

[11] Джентиле Дж. Избранные философские произведения. Краснодар: КГУКиИ, 2008.

[12] Binder J. Der deutsche Volksstaat, Tübingen:  Mohr,  1934.

[13] Larenz K. Hegelianismus und preußische Staatsidee. Die Staatsphilosophie Joh. Ed. Erdmanns und das Hegelbild des 19. Jahrhunderts. Hamburg: Hanseatische Verlagsanstalt,  1940.

[14] Dulckeit G. Rechtsbegriff und Rechtsgestalt. Untersuchungen zu Hegels Philosophie des Rechts und ihrer Gegenwartsbedeutung. Berlin: Junker u. Dünnhaupt, 1936.

[15] Кожев А. Из Введения в прочтение Гегеля. Конец истории//Танатография Эроса, СПб:Мифрил, 1994.

[16] Фукуяма Ф. Конец истории и последний человек. М.: ACT; Полиграфиздат, 2010.

[17] Мёллер ван ден Брук А. Миф о вечной империи и Третий рейх. М.: Вече, 2009.

[18] Хильшер Ф. Держава. СПб: Владимир Даль, 2023.