mardi, 25 mars 2025
Platon, Aristote et le destin de la civilisation occidentale
Platon, Aristote et le destin de la civilisation occidentale
Le libéralisme et le communisme sont tous deux des produits de la tradition anti-platonique. Pour restaurer la civilisation, nous devons revenir aux fondations métaphysiques de Platon et d'Aristote.
Alexander Douguine
Platon est pour la civilisation russe et également pour la civilisation traditionnelle de l'Occident aussi important que les Upanishads pour l'Inde ou Confucius pour la Chine. La théologie chrétienne est basée sur Platon. Sans lui, sans ses théories, ses termes, sa langue, rien n'est compréhensible dans notre héritage.
D'ailleurs, la philosophie islamique, le soufisme (en terres arabes et ailleurs) et la doctrine chiite (avant tout le chiisme rouge) sont également construits sur Platon. Certains étaient appelés péripatéticiens, mais en réalité, ils reposaient sur le néoplatonisme. Platon est central dans la tradition intellectuelle islamique à ses apogées.
La Kabbale juive n'est rien d'autre qu'une doctrine néoplatonique introduite au Moyen Âge dans la religion juive. Scholem soutient qu'elle était étrangère au judaïsme traditionnel précédent, où presque aucune trace de la théorie des émanations n'est trouvée, sauf pour quelques groupes mystiques (peut-être influencés plus tôt).
Platon est le fondement métaphysique de notre civilisation. Mais cela ne signifie pas qu'Aristote doit être abandonné. Proclus, Simplicius et d'autres néoplatonistes ont inclus Aristote dans le contexte platonicien. La lecture correcte d'Aristote est celle d'Alexandre d'Aphrodise et de Brentano.
Ainsi, Aristote est le deuxième pilier le plus important de notre héritage intellectuel. En perdant une connaissance et une compréhension profondes de ces deux hautes figures, nous nous coupons des racines de notre identité en tant que civilisation. Rien dans la philosophie, la religion et la vie elle-même ne peut être compris correctement sans ces deux phares de la pensée.
Nous n'avons aucune idée des éléments qui seraient purement sémitiques dans nos religions monothéistes - dans toutes les trois. Le sémitisme a déjà été profondément retravaillé par l'hellénisme (où le platonisme et Aristote ont joué un rôle crucial). Tout l'esprit sémitique que nous connaissons aujourd'hui est une version hellénisée de celui-ci.
La modernité et le déclin de l'Occident ont commencé avec l'abandon de Platon et d'Aristote et de leur héritage. C'est là que Démocrite est réapparu. L'atomisme et l'externalisme, aussi connu sous le nom de matérialisme, étaient des hérésies philosophiques grecques ressuscitées du passé présocratique.
La modernité est anti-platonicienne et anti-aristotélicienne. Mais pro-Démocrite. Démocrite est la racine commune du communisme et du libéralisme. Ainsi, l'alternative au communisme et au libéralisme ne peut être que le retour à Platon et à Aristote. C'est pourquoi le platonisme politique est si important.
La Grande-Bretagne est un morceau de l'Occident profondément empoisonné, toxique et en décomposition. C'est un démon mourant. Déjà sénile et faible mais toujours vindicatif, agressif, violent, stupide et ensauvagé, comme le sont habituellement les vieilles personnes de mauvais aloi.
Le nouveau 1776 est la seule solution. Pour les États-Unis, je veux dire.
Le Royaume-Uni essaie d'entraîner MAGA dans l'abîme. Je ne leur ferais pas confiance.
La pandémie teslaphobe est une invention typique du MI6, mise en œuvre par Soros et ses réseaux.
La modernité et le déclin de l'Occident ont commencé avec l'abandon de Platon et d'Aristote et de leur héritage. C'est là que Démocrite est réapparu. L'atomisme et l'externalisme, aussi connu sous le nom de matérialisme, étaient des hérésies philosophiques grecques ressuscitées du passé présocratique.
L'externalisme est l'approche qui nous domine lorsque nous convenons que la réalité est placée à l'extérieur de la conscience et non à l'intérieur. Platon et Aristote (ce dernier s'il est correctement interprété) ont supposé que la réalité est interne. Ce qui est purement "externe" n'est que matière dépourvue de toute qualité et donc elle égale à rien.
La modernité a commencé avec le nominalisme niant l'internalisme et affirmant l'externalisme. C'est pourquoi la modernité est totalement erronée. Incurable.
13:09 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : alexandre douguine, platon, aristote, philosophie, philosophie grecque, platonisme, aristotélisme | |
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mercredi, 19 mars 2025
Hegel, Marx et Douguine: une dialectique contrariée
Hegel, Marx et Douguine: une dialectique contrariée
Pierre Le Vigan
Paru sur cerclearistote.fr le 16 mars 2025
Dans un article récent [1], Alexandre Douguine s’interroge sur le « saut platonicien » et les conséquences métapolitiques que l’on peut en déduire de nos jours. Le saut platonicien, c’est celui qui va des phénomènes à l’Idée, de ce que l’on voit et ressent aux choses telles qu’elles sont réellement. Idée et phénomènes : c’est ce que l’on a appelé le dualisme de Platon, dualisme qui est relativisé par la participation (metaxu, un terme qui veut dire « au milieu de », « dans l’intervalle de »). La participation, c’est le fait que les phénomènes participent de l’Idée et n’en sont séparés qu’en apparence. Cette question du supposé dualisme de Platon hantera la philosophie occidentale.
Hegel, de son côté, veut supprimer le dualisme entre le phénoménal et l’objectif (ce qui est objectivement, non subjectivement, le réel, ce qui est le réel « en soi »). Il veut cette suppression du dualisme d’une autre façon que Platon, par la dialectique. Le phénoménal est un « pour soi », l’objectif est un « en soi ». Le « pour soi » est ce qui est subjectif, le « en soi » est ce qui est nature et matière. C’est à la matière, en ce sens de quasi équivalent de nature (phusis), que l’on fait référence quand on parle des philosophies matérialistes[2]. Ce n’est bien sûr aucunement à une vision de la vie centrée sur les seuls intérêts matériels, qui est le matérialisme au sens vulgaire.
Il y a donc une dialectique entre esprit subjectif et esprit objectif. « Hegel, explique Douguine, soutient qu'il existe un esprit subjectif qui se révèle à travers l'esprit objectif par le biais de l'aliénation dialectique. La Thèse est l'Esprit subjectif et l'Antithèse est l'Esprit objectif, c'est-à-dire la nature. La nature n'est donc pas la nature puisque, selon Hegel, rien n'est identique à soi, mais tout est altérité de l'Autre, d'où le terme de ‘’dialectique’’. En d'autres termes, il y a l'Esprit subjectif en tant que tel qui se projette comme Antithèse. C'est ainsi que commence l'histoire. Pour Hegel, la philosophie de l'histoire est d'une importance fondamentale car l'histoire n'est rien d'autre que le processus de déploiement de l'Esprit objectif qui acquiert à chaque nouvelle étape sa composante spirituelle qui constitue son essence. Mais le premier acte de l'Esprit objectif est de cacher son caractère spirituel, de s'incarner dans la matière ou la nature, et ensuite, tout au long de l'histoire, cette altérité de l'Esprit subjectif revient, par l'homme et l'histoire humaine, à son essence. »
La dialectique est donc le chemin d’une reconquête du soi, mais d’une reconquête transformatrice. Non à l’identique. Quand l’esprit objectif (celui de la nature et des institutions de l’homme) redevient esprit subjectif, ce n’est plus l’esprit subjectif du point de départ. C’est un « en soi - pour soi » (un objectif subjectivisé) qui est en même temps un « pour soi - en soi » (un subjectif objectivisé). C’est un résumé pertinent que fait Alexandre Douguine. Il n’est pas à proprement parler un hégélien mais, comme tout praticien des philosophies de l’histoire, il sait que l’on ne peut que rencontrer Hegel sur sa route.
Alexandre Douguine a rencontré Hegel dans le cadre de son cheminement. Douguine plaide pour une quatrième théorie politique. Il rejette le libéralisme, le marxisme, le fascisme. En effet, le fascisme n’était pas un dépassement de l’opposition entre le libéralisme et le marxisme – et plus généralement le socialisme, mais il était un anti-libéralisme socialisant (et sous toutes ses formes, italiennes, allemandes et autres, il est mort en 1945). Ce que parait souhaiter Douguine, c’est une synthèse entre le stade 2 des théories politiques, le socialisme, et le stade 3, le fascisme (ou, pour prendre un terme et une notion non datée, le nationalisme révolutionnaire dans ses formes totalitaires). Le fascisme a été une réaction contre l’universalisme abstrait du socialisme. Mais cette réaction a été faussée par un nationalisme stérilisant, un racisme ou au moins un racialisme biologique (le fascisme italien n’était pas le national-socialisme allemand et n’était pas exterminateur), par un vitalisme extraverti qui donnait déjà un avant-goût du « bougisme » (bien analysé par P-A Taguieff) contemporain et de la société du spectacle. La quatrième théorie politique de Douguine se veut une synthèse du meilleur du socialisme, à savoir le sens de la communauté et du commun, et de qui fut à l’origine de certaines aspirations « fascistes », à savoir la volonté de se réenraciner dans la longue histoire d’un peuple et de redonner du sens – un sens partagé - à la vie dans une civilisation de plus en plus machiniste et massifiée.
En outre, la quatrième théorie politique allie la vision métapolitique avec la géopolitique. Douguine souhaite un monde multipolaire de même qu’il voit le monde comme un pluriversum. Un monde dans lequel les cultures doivent rester diverses. Il oppose à l’ « Occident collectif », centré hier sur la Grande-Bretagne et ses dépendances, aujourd’hui sur les Etats-Unis, de grands espaces civilisationnels. Celui qui concerne directement les Européens est l’Eurasie, la grande « île mondiale » de Halford John Mackinder. L’Eurasie, ce n’est pas seulement l’Europe de Dublin à Vladivostok. C’est plus.
Alexandre Douguine considère que les autres grands espaces de l’Eurasie, la Chine et l’Inde notamment, ont vocation à faire bloc contre les Etats-Unis et leur tentative de créer un monde unipolaire. C’est aussi le souhait d’une coalition des puissances de la Terre contre les puissances de la Mer (Etats-Unis et Grande Bretagne). L’Eurasie est ainsi non seulement un projet géopolitique consistant à ne pas se laisser diviser par les puissances de la Mer, mais un projet spirituel de nouvelle civilisation, qui serait post-occidentale et échapperait à la domination de la marchandise et aux idéologies de l’indifférenciation (wokisme, LGBTisme, etc). C’est l’eurasisme, dont l’un des principaux théoriciens fut Nikolaï Sergueïevitch Troubetskoï (1890-1938)[3]. Nouvelle civilisation ? Le pluriel s’impose certainement. La quatrième théorie politique serait celle qui permet l’éclosion de nouvelles civilisations post-marchandes.
La quatrième théorie politique d’Alexandre Douguine – que l’on ne peut séparer des écrits philosophiques de sa fille Daria Douguine, fauchée en pleine jeunesse et essor de sa pensée - serait le projet d’un nouveau traditionalisme sans immobilisme. L’idée d’un enracinement dynamique. Dans cette perspective, on peut définir la dialectique de Douguine, une dialectique ternaire, comme Tradition-Modernité-Nouvelle Tradition (ce dernier stade correspondant à ce que Hegel appelle l’esprit absolu, dernier stade de Thèse-Antithèse-Synthèse). Mais comment fonctionne cette dialectique ? C’est ici qu’il faut faire, pour le comprendre, un saut chez Hegel lui-même.
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La dialectique chez Hegel n’est pas seulement une méthode pour trouver le vrai. Elle est l’étoffe même du réel. Ce qui est au départ chez Hegel, - disons plutôt « à l’origine » -, c’est la logique, ou l’Idée, ou encore l’esprit. « L’esprit est [.…] l’essence absolue et réelle qui se soutient soi-même » (Phénoménologie de l’esprit, chap. 6, 1807). Mais ce qui se tient à l’origine, c’est l’esprit non absolu. Celui-ci est médiatisé par la nature. Mais cette médiation est elle-même médiatisée par la synthèse, par la réconciliation de l’Idée et de la nature dans l’esprit absolu. Cette synthèse joue le rôle du « troisième homme » chez Platon. L’esprit absolu est, pour le dire dans des termes proches de ceux de Bernard Bourgeois (Le vocabulaire de Hegel, 2000), l’unité infinie de l’esprit infini (l’Idée – ou la logique, le logos - du premier stade de la dialectique) et de l’esprit fini, deuxième stade de la dialectique, esprit fini qui se présente sous la forme de la nature (ou matière). L’unité infinie correspond au stade troisième, synthétique, de la dialectique de Hegel.
Cette dialectique aboutit à une conception de l’histoire universelle dans laquelle les singularités expriment toutes un universel, et dans laquelle tout universel inclut et donne force aux singularités, leur donne « un énorme droit » dit Hegel. L’histoire a ainsi un sens. « L’histoire est le progrès dans la conscience de la liberté » (La raison dans l’histoire, posth. 1837). Mais l’observation du réel rend difficile de croire à cet ajustement implacable qui se produirait entre l’homme et son histoire via la médiation de la nature (ou encore, comme on le verra, via la médiation de l’esprit objectif, le stade 2 de Hegel).
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Le sens de l’histoire est aussi un sens de l’esprit : il y a selon Hegel coïncidence entre l’esprit absolu (le moment de la synthèse) et l’esprit du monde (ou esprit-monde). « L’esprit-monde est l’esprit du monde tel qu’il s’explicite dans la conscience humaine ; les hommes se rapportent à lui comme des individus singuliers au tout qui est leur substance. Et cet esprit–monde est conforme à l’esprit divin qui est l’esprit absolu ». (La raison dans l’histoire). L’esprit du monde est donc identique à l’esprit absolu.
Cette coïncidence laisse perplexe plus d’un philosophe et même plus d’un hégélien. Le processus par lequel le Soi se ressaisit lui-même par la médiation historique et ses productions (art, religion, philosophie) nécessite de connaitre les ressorts réels de l’histoire des hommes, et c’est ce que veut entreprendre Marx, en rompant avec l’idéalisme de Hegel, idéalisme spéculatif (selon Marx) qui ne voit la vérité (ou l’être – c’est ici la même chose) dans aucune des choses finies qui apparaissent et qui s’interdit donc de comprendre l’histoire au nom d’une conception du Tout qui fait au final l’impasse sur les processus historiques. C’est ce totalisme[4] historiciste hégélien que rejette Marx.
Autre sujet d’interrogation : en faisant de l’absolu – du divin, de l’esprit – un sujet, Hegel rompt avec Spinoza, en passant d’une métaphysique de la substance à une métaphysique du sujet. Ceci n’amène-t-il pas à un désenchantement du monde, à un rapport entre le divin et l’homme qui éclipserait la nature ? A une métaphysique de la subjectivité, comme dira Heidegger ? C’est peut-être ce qui pèche chez Hegel par rapport à Spinoza, peut-être aussi par rapport à Marx, et certainement par rapport à Schelling. Sans prétendre à répondre pleinement à toutes ces questions, nous soulignerons leur légitimité. La dialectique est bel et bien au cœur de la pensée de Hegel, et elle est contrariée. Par le totalisme de Hegel lui-même.
On évoque souvent pour caractériser la démarche de Hegel le triptyque Logique–Nature–Esprit. Il serait peut-être plus clair, pour être pédagogue, de dire Idée–Nature–Esprit. Quand Hegel (1770-1831) parle de la science de la logique[5], il s’agit de la science de l’Idée. La logique chez Hegel, c’est l’Idée (et on voit bien l’influence de Platon). C’est pourquoi nous parlerons d’Idée plutôt que de logique, le terme logique ayant un sens contemporain éloigné de l’ancienne signification du terme logos. Ce triptyque Idée–Nature–Esprit, - cette œuvre pliée en trois – serait la forme concrète de la suite « Thèse–Antithèse–Synthèse » (Fichte). C’est certainement un point de repère que de se remémorer cette suite, mais ce n’est pas une explication. Ce triptyque[6] ne prend sens qu’à partir d’une théorie de la transformation qui a pour nom la dialectique. Qu’est-il de celle-ci ? C’est non seulement un art de raisonner mais un art particulier, fondé sur la succession affirmation–négation–réconciliation. La dialectique est ainsi, non un jeu de l’esprit, mais, selon Hegel, le mouvement même de l’être. De l’être lui-même, on ne peut rien dire, car il est la possibilité de tout, la potentialité de tout, mais par là même, il n’est rien. L’être est le néant. L’être, c’est rien, et c’est pour cela qu’il peut être tout (Heidegger a parfaitement compris cet aspect de la pensée de Hegel[7]).
Un des topos (enjeu, terrain de débat) de la philosophie est la distinction du « pour soi » et de l’ « en soi ». C’est une distinction entre les choses telles qu’on les voit et les choses telles qu’elles sont, indépendamment de nous. Pour Kant, le grand prédécesseur de Hegel, le « pour soi » et l’ « en soi » ne pourront jamais coïncider. Selon Kant nous ne pouvons connaitre les « choses en soi ». C’est pourquoi Alexandre Douguine parle de pessimisme épistémologique à propos de Kant. Au contraire, Hegel pense que l’on peut surmonter cette dissociation entre le « pour soi » et l’ « en soi ». Et ce par un mouvement dialectique.
Comment se présente ce mouvement, et d’abord, quelles en sont les termes ? L’Idée est le logos : la raison, la parole, le « dire », et plus largement la pensée. Elle est ce que Hegel appelle l’esprit subjectif. C’est l’esprit dans la conscience humaine. Pour éclairer les choses, nous dirons que ce qui est subjectif est un « pour soi », tandis que ce qui est objectif est un « en soi ». « Je me sens maltraité » est une appréciation subjective. « Ceci est une injustice » est une appréciation objective (elle se veut en tout cas objective). Comme le remarque Alexandre Douguine[8], l’esprit subjectif consiste à se mettre à la place de Dieu. Je parle de mon point de vue mais je pense que mon point de vue est légitimement surplombant. C’est l’occasion de l’installation de la conscience malheureuse. Je me prendrais volontiers pour Dieu mais je sais que je ne peux me prendre pour Dieu. Je suis ainsi séparé de Dieu, dans un rapport de frustration, d’irascibilité qui me rend malheureux (on sait que pour les Grecs, il y a deux tempéraments opposés : le sage et l’irascible).
L’esprit objectif se prétend en aval de la création. Il constate le monde. Non pas passivement du reste, il le réaffirme par des créations d’institutions, des œuvres d’art, etc. L’esprit subjectif, au contraire, est ce qui triomphe à notre époque d’inflation des ego. Institutions, Etat, lois, arts : il ne juge tout que par rapport à lui, non aux œuvres d’une civilisation. C’est selon Heidegger le règne de la subjectivité. Elle affirme le soi avant d’approuver le monde. Comment ne pas en rester à cette subjectivité ? Réponse de Hegel : il y a toujours une négativité des choses. De quoi s’agit-il ? De l’Autre d’une chose (de son envers), de ce qui lui manque. Par exemple, si, sur un total de 10 points, vous en possédez 6, la négativité de 6 est 4. La négativité est un manque. En ce sens, elle est un appel. Une positivité amène toujours à l’existence d’une négativité car la positivité n’est jamais la totalité.
Ainsi, l’existence d’un esprit subjectif implique l’existence d’un esprit non subjectif donc objectif, son contraire partiel, voire d’un « non-esprit objectif » : son contraire total. Celui-ci est la nature – elle n’est pas esprit, elle est objective - , et cette nature inclut la nature humaine. Cela veut dire que l’esprit subjectif sort de lui-même (s’extériorise) pour devenir la nature, pour se verser dans la nature. Nous en sommes donc au deuxième stade de notre mouvement Thèse–Antithèse (Idée–Nature). La nature comme esprit objectif voire « non-esprit objectif » (objectivité de ce qui n’est pas esprit) est à l’Idée ce que le concave est au convexe dans une surface plane, son complément pour atteindre à une totalité.
Ce terme de totalité est essentiel chez Hegel. Il s’agit de penser le tout du monde, de l’homme et de l’être. Comme chez Parménide, la totalité et la perfection sont l’être pensé. Etre et penser : le même. Aussi n’y-a-t-il pas pour Hegel de l’inconnaissable. Auquel cas, on ne pourrait connaitre le tout. C’est une grande différence avec Kant : pour ce dernier, Dieu, l’âme, le monde étaient inconnaissables, c’était le domaine de la métaphysique, c’est-à-dire de choses auxquelles on pouvait penser, que l’on pouvait penser mais non connaitre. C’était le domaine de l’indécidable. Et la raison est comme le monde et l’âme : elle nous échappe. Seul est à notre portée l’entendement, selon Kant. Le principal reproche (non le seul) que l’on peut faire à Kant est cette distinction entre entendement et raison. L’entendement n’est pas autre chose que l’intelligence de l’homme. Or, Kant met l’entendement en-dessous de la raison. Pourtant, il n’y a pas de raison humaine sans entendement. Autrement, la raison n’est qu’une raison calculante. Mettre la raison hors et au-dessus de l’entendement, c’est en fait prendre le risque (Kant ne pouvait le prévoir) de mettre l’intelligence artificielle au-dessus de l’intelligence humaine[9], alors que l’IA n’est justement pas une intelligence. Pour le dire autrement, la ratio n’est pas la noèse. Calculer n’est pas saisir. Savoir n’est pas comprendre.
Selon Hegel, la raison peut et doit saisir la totalité, tandis que l’entendement n’est que la compréhension partielle des phénomènes. La sensibilité, le ressenti, l’expérience vécue ne nous donnent que des indications partielles sur le réel. Au sens trivial, nous disons volontiers que ces indications sont concrètes. Exemple : quelqu‘un nous fait « bonne impression » (ou pas). Mais nous avons tort selon Hegel : une impression est partielle, elle n’est donc pas vraiment concrète. Au sens philosophique selon Hegel, un ressenti est une abstraction car c’est une impression partielle. Evidemment, Hegel est contre-intuitif. Mais comme cela que fonctionna sa pensée. Ce qui nous parait concret est souvent partiel, donc abstrait selon Hegel.
Ce qui est vraiment concret doit être total, et non immédiat. Or, nous confondons le concret et l’immédiat. Pour reprendre notre exemple, il nous faut réfléchir, de manière moins immédiate, aux circonstances de la rencontre, au pourquoi de la bonne impression, aux intentionnalités. Il s’agit, si on est hégélien dans la démarche (quitte à s’éloigner ensuite de Hegel), de passer de l‘abstrait de l’entendement au concret de la raison. C’est l’esprit qui va nous donner accès au « vrai » réel, au réel vraiment concret, au réel total, au tout du réel. Au totalement réel. Ce qui nous est apparu comme concret de prime abord est en fait abstrait.
* * *
Dans ce schéma, on s’étonnera peut-être de ne pas avoir encore rencontré l’histoire. Or, elle est inclue dans la nature, car la nature de la nature humaine est d’être historique et culturelle. « La nature de l’homme, c’est sa culture ». L’histoire est partout : elle est dans le mouvement même de transfusion de l’esprit subjectif dans la nature. Mais le stade de la nature est aussi un stade de l’esprit. C’est le stade de l’esprit objectif. La nature est vue comme un objet, dans une dialectique sujet–objet (homme-nature). Mais nous allons voir que cet objet va se resubjectiviser.
A partir de l’esprit subjectif, fondé sur la psychologie de l’homme et sur son anthropologie, l’homme développe un esprit objectif c’est-à-dire qu’il produit du droit, des institutions, des lois écrites et non écrites, des constitutions, des monuments aussi, qui glorifient ces institutions, et une morale. L’histoire des hommes, qu’ils font en le sachant ou pas (en ne le sachant pas, nous dit Marx), relève elle-même de l’esprit objectif. Mais ce ne sont pas les histoires particulières qui sont l’esprit objectif, c’est l’histoire universelle. C’est toujours le tout qui donne son sens au singulier. C’est aussi la médiation, par quelque chose de plus complet, de plus total, qui donne sens au singulier.
L’histoire a deux sens : c’est ce qui nous est arrivé et c’est la façon dont nous racontons ce qui nous est arrivé. La notion d’histoire, collective ou individuelle, a donc toujours deux sens : ce qui nous est arrivé n’existe pas indépendamment du récit que nous en faisons (un récit qui a à plusieurs versions bien entendu). L’histoire est d’emblée une notion médiatisée. Pour qu’elle soit concrète, il faut qu’elle soit totale, donc universelle. Et cette histoire universelle a un sens, nous dit Hegel : toujours plus de liberté. Mais s’agit-il d’une liberté de faire tout ce que l’on veut ? Certes non. La liberté est la conscience de ce qui doit être, de ce qui ne peut pas ne pas être. Le réel n’est pas « bien » en soi, mais il est le meilleur à un moment donné car il s’inscrit dans un mouvement nécessaire. En ce sens, Hegel est dans la lignée de Spinoza (tout ce qui arrive doit arriver) et dans celle de Leibniz (nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, au moment où nous vivons. Cela ne veut pas dire dans un monde « bon et bien »). Quand Hegel dit à propos de Napoléon, en 1806 : « J’ai vu l’Empereur, cette âme du monde… », c’est parce que, pour lui, la création d’un Etat fort, garantissant les principes de la Révolution française de 1789 correspond à l’impérieuse nécessité historique du moment et est une manifestation de la liberté de l’homme. Mais si l’Etat est la manifestation de l’esprit objectif, il n’est pas la manifestation de l’esprit absolu, qui réconcilie l’esprit objectif (du stade 2) et l’esprit subjectif (du stade 1).
Les hommes font donc leur histoire, qui aboutit au triomphe de l’esprit sans entraves (c’est ce que veut dire absolu). L’histoire des hommes ne consiste pas à suivre un quelconque « droit naturel », qui n’existe pas. Pour Hegel, le droit positif, celui qui existe comme produit historique d’une société, est supérieur à l’impératif moral catégorique de Kant car ce qui est le produit d’une évolution est supérieur à ce qui est décrété abstraitement (et l’impératif moral de Kant lui parait abstrait). L’homme de l’impératif catégorique risque de se sentir une « belle âme » c’est-à-dire de tomber dans le contentement de soi sans penser aux conditions concrètes de la morale. En ce sens, la « belle âme » chez Hegel – celle qu’il critique - est le contraire d’une « âme belle », telle celle que veut Goethe.
Ce qui a de la valeur est ce qui est issu de l’esprit de l’homme, et il n’y a nul secret à chercher dans la nature. On peut appeler aliénation l’extériorisation de l’Idée dans la nature, et cette transformation de l’esprit subjectif en esprit objectif. On peut aussi voir dans cela un retrait. L’esprit subjectif se met en retrait pour laisser place à la nature objective et à l’esprit objectif. L’esprit subjectif se retire de lui-même pour envahir le champ de la nature, métamorphosé en esprit objectif.
A partir de là peut se réaliser une troisième étape, celle de la synthèse. « Nous allons voir que cet objet va se resubjectiver » avions nous dit plus haut. L’esprit subjectif (l’Idée, la pensée) devenu objectif (comme la nature l’est) se réapproprie la conscience de soi et devient esprit absolu (absolu : sans entrave, pleinement libre). Ce que désigne absolu chez Hegel n’est pas conforme à l’étymologie qui veut dire « séparé ». Au contraire, cela veut dire : « au-delà de toute séparation ». Cela veut dire que l’Esprit (la majuscule s’impose ici) existe par lui-même, sans être conditionné par des définitions partielles. L’Esprit est absolu en tant qu’il est total, qu’il est « totalement le réel » et « le tout du réel ».
En d’autres termes, l’objectif et le subjectif se réconcilient. Le « pour soi » (L’Idée) est devenu « en soi » (la Nature). Le « pour soi » et l’ « en soi » se réconcilient dans l’Esprit (absolu) qui est un « en soi pour soi ». A ce stade de la synthèse, la nature devient esprit et conscience d’elle-même. Comme l’homme fait partie de la nature, c’est l’homme qui devient conscient de lui-même et du sens de sa propre histoire au sein de la nature. L’homme devient conscient par là même de son histoire politique, qui est ce qu’il y a de plus caractéristique de son humanité. C’est l’histoire des religions, des arts, des idées, de la philosophie qui devient alors lisible par l’homme dans une transparence à soi qui est le propre de l’esprit absolu.
La philosophie de Hegel est ainsi un dualisme (Idée–Nature ou esprit subjectif–esprit objectif) surmonté par l’accession à l’esprit absolu. On peut voir aussi cette philosophie comme un monisme de l’esprit qui se déploie en dualisme et se rassemble ensuite en monisme supérieur. On peut encore trouver une analogie avec la doctrine des universaux, qui correspond au moment moniste (l’Idée – stade 1, puis l’Esprit – stade 3), mais un monisme transcendant, et celle des nominaux (le nominalisme affirmant la pluralité, qui commence à deux : Idée–nature, esprit subjectif–esprit objectif), qui correspond au moment dualiste (avec la Nature – stade 2) et plus généralement pluraliste. Mais ce nominalisme est alors un pluralisme de l’immanence (celui de la Nature).
Pour Hegel, l’histoire des hommes apparait comme le mouvement par lequel, de manière progressive, les hommes, après avoir versé tout leur esprit subjectif dans la nature, se réapproprient cet esprit en resubjectivant la nature et en ‘’supprimant-conservant-dépassant’’ (Aufhebung) l’esprit objectif (celui du stade 2) par un retour conscient sur soi (stade 3 : la synthèse, l’esprit absolu). Cela se fait par la création d’institutions toujours plus parfaites, d’arts de plus en plus épanouis, de pensées de plus en plus élevées dans le domaine de la religion, avec le christianisme, et dans le domaine de la philosophie. Dans tous les domaines, il s’agit de réunir ce qui a pu s’opposer. Ainsi, l’art est-il l’union de la forme et du contenu par le symbole. La forme est limitée, le contenu est illimité. C’est le symbole qui permet de signifier le « sans-limite », ou le « hors limite » (un sentiment, une gloire, etc) dans une forme limitée. C’est toujours une méthode dialectique (même quand le mot n’y est pas) qui surmonte une séparation.
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Le christianisme est le paradigme de la dialectique de Hegel (qui employait peu le terme). Jésus est un Dieu fait homme, donc une négation de Dieu, mais, mourant sur la croix, il renait, et c’est la Résurrection. Il devient alors le Christ, c’est-à-dire la négation de la négation, le Dieu fait homme (négation de Dieu) qui redevient Dieu sans cesser d’être un homme. Fils de l’Homme et vrai Dieu. Ce pourquoi le Saint Esprit procède du Père et du Fils. (s’il ne procède que du Père, il n’y a plus de dialectique. Il n’y a que des déclinaisons de la verticalité absolue du Père). Jésus Christ : vrai homme et vrai Dieu. Tout Hegel est là. Hegel arrive, en passant par le dualisme Idée–Nature à un monisme à la fois transcendant (comme l’Idée) et immanent (comme la Nature) qui est l’Esprit (absolu), et qui réconcilie la pluralité avec l’Unité, que l’on retrouve au final, mais rehaussée, par rapport à l’Idée unitaire du début, incomplète, mutilée, abstraite (ce qui est parfait, accompli, mené à bien doit être le non-abstrait pour Hegel, c’est-à-dire le concret).
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La pensée de Hegel peut évidemment donner lieu à des variantes, à des développements divers, et c’est ce qui s’est produit. C’est ce que l’on a appelé les hégélianismes de droite et de gauche. Sachons aussi qu’il existe aussi un hégélianisme « libéral » - ou mieux encore : progressiste-libéral - qui considère que la fin de l’histoire, au sens de sa finalité, est la société libérale. C’est la position d’Alexandre Kojève[10] et de Francis Fukuyama[11]. L’hégélianisme « de droite », pour sa part, est dans la filiation directe de Hegel (même s’il était étranger aux catégories de droite et de gauche). C’est un hégélianisme qui considère que l’ordre existant est légitime par principe. Il considère que l’Etat prussien est le plus perfectionné de l’Allemagne voire de l’Europe, et le plus apte à préparer l’unité étatique de l’Allemagne. L’hégélianisme « de gauche » – qui s’appela historiquement le Jeune hégélianisme (Marx en fit partie de 1841 à 1844) - considère au contraire que cet Etat n‘est qu’une étape, et est le reflet des limites historiques de son temps. Il considère que le socialisme est le stade supérieur de la civilisation, en quelque sorte l’équivalent de l’esprit absolu, tout en échappant à tout spiritualisme et à tout idéalisme.
Marx ne se contente pas d’appliquer la méthode dialectique de Hegel à un domaine peu pratiqué par Hegel : l’économie politique. Son approche méthodologique diffère de celle de Hegel. La dialectique de Marx, non seulement ne part pas des mêmes prémisses que celle de Hegel, mais est différente. Témoin cette remarque de Marx : « L’homme aliéné de soi par soi est aussi le penseur aliéné de son être, c’est-à-dire de l’être naturel et humain. »[12] Mais « ce qui est naturel est toujours historial », disait Heidegger. Et ce qui est historial est amené à « avoir à être », est appelé à être. Ce qui est historial est ‘’ce qui doit advenir’’. C’est une ouverture à ‘’ce qui vient’’.
La compréhension du passé vaut ainsi non pour lui-même mais par fidélité à une espérance : espérance chrétienne chez Hegel, espérance d’une société sans classe chez Marx. Deux espérances différentes mais fondées dans les deux cas sur l’étude de l’histoire et de la pensée. Il en ressort toutefois une divergence de fond. Monisme de l’être (non immobile bien entendu) chez Marx, monisme de l’esprit chez Hegel. Pour Hegel, il faut réconcilier l’homme avec l’esprit du monde. Pour Marx, il faut réconcilier l’homme avec lui-même.
Le « saut platonicien » – celui qui va de l’Idée aux apparences – qu’évoque Alexandre Douguine concerne Hegel, et seulement lui. Marx est moins platonicien que Hegel et plus aristotélicien. Et ce non-platonisme éloigne Marx de Hegel. La question du rapport de Marx à Hegel est essentielle. Marx s’est–il contenté de renverser Hegel et de remettre la philosophie à l’endroit : les idées après la matière et après la nature, et non le contraire ? Nous avons vu que Marx ne s’est pas contenté de cela. Il est plus moniste que Hegel. Son monisme est moins un monisme de résultat (même s’il vise à la société sans classe) mais un monisme de départ (pour Marx, l’homme fait pleinement partie de la nature et du procesus de la vie).
On a reproché (Henri Denis) à Marx cet éloignement de Hegel[13]. La théorie de la transformation de la valeur en prix de production (le Capital, Livre III, section 2 chap. 9 et 10[14]) a notamment fait l’objet de critiques en ce sens (Eugen von Böhm-Bawerk, Michio Morishima, Ladislaus Bortkiewicz, ce dernier validant toutefois en grande partie l’analyse de Marx). Nombre de ces critiques, celles issues des marxiens, portaient sur le fait que Marx aurait cherché à résoudre de manière non hégélienne – et donc post-marxienne ( !) – un problème déjà posé par Ricardo[15]. Quoi qu’il en soit de cette controverse de théorie économique, c’est la dimension proprement philosophique qui nous importera ici : Marx est avec Hegel mais au-delà de Hegel.
Chez Marx, hégélien critique, hégélien de premier appui (quand on escalade, il faut bien une première prise), le monisme de départ n’est pas l’Idée (le logos, la raison, la pensée). C’est la nature ou la matière. C’est pourquoi Marx s’écarte rapidement de Hegel qu’il voit comme un idéaliste au sens philosophique, c’est-à-dire quelqu’un qui croit à la primauté de l’Idée (tout comme Platon). Idéaliste : qui croit que l’esprit préexiste à la matière et se dégrade dans celle-ci. Pour l’idéalisme[16], la transcendance ne peut se maintenir face à l’immanence du réel. Quand l’Idée s’incarne, son contenu se dégrade. Ce qui amène à condamner le réel (lire Clément Rosset à ce sujet).
Selon Marx, c’est au contraire le réel matériel qui est primordial, et est à l’origine du monde. Mais en même temps, la conscience des hommes fait évoluer le monde matériel. Le « matérialisme » de Marx est donc très relatif. Il y a une interaction entre les forces matérielles, les rapports sociaux et les représentations, c’est-à-dire les idéologies (la façon dont les choses sont vues)[17]. Pour simplifier, nous dirons : est matérialiste celui qui pense que la matière est à l’origine du réel, mais qu’elle donne naissance à l’esprit. Matérialisme : une immanence qui devient une ascension vers la conscience et l’esprit tout en restant lié à la matière, c’est-à-dire aux conditions matérielles du monde, conditions à la fois héritées et produites par l’homme.
C’est cette conception que résume Gueorgui Plekhanov, avec l’utilisation évidemment inappropriée de « socialisme scientifique » mais en comprenant bien la nécessité de dépasser l’opposition que fait Descartes entre la res cogitans et la res extensa : « Le matérialisme, nous dit Plekhanov, sous la forme élaborée au XVIIIe siècle et tel qu’il a été adopté par les fondateurs du socialisme scientifique, nous enseigne que “nous ne pouvons connaître une substance pensante en dehors de la substance douée d’étendue, et que la pensée est, au même titre que le mouvement, une fonction de la matière. ‘’ »[18]
De son côté, Marx nous dit : la nature, qui est aussi la nature humaine, traverse un moment d’aliénation, de dessaisissement de soi, avec l’apparition des sociétés de classes. Elle sortira de cette aliénation par la création d’une société sans classes. On retrouve le mouvement ternaire caractéristique de Hegel même s’il y a retournement du point de départ. Avec Marx, nous trouvons la nature et la matière au départ. Puis, nous connaissons le moment de l’esprit faussé (religion, idéologie, conscience faussée), ensuite (3ème stade), la sortie de l’aliénation : l’esprit entre en conformité avec la nature et l’émancipation de l’homme advient. Il y a rétablissement d’une unité homme–nature. « Le développement illimité du capital détruit les deux sources de la richesse, la Terre et le travail. C’était une des conclusions les plus importantes de Marx qui recherchait la voie d’une restauration du métabolisme entre l’homme et la nature. », écrit Denis Collin (entretien avec Breizh-info.com, 25 janvier 2025).
Ainsi, avec Marx, le stade 2 de Hegel (la nature) devient le stade 1. Le stade 2 de Marx est l’esprit en tant qu’aliéné et encombré d’illusions (idéologie, religion), il est l’esprit subjectif de Hegel, son stade 1. Cet esprit aliéné est déjà porteur chez Marx de potentialités de compréhension de sa propre aliénation. Le stade 3 de Marx est l’adéquation entre la nature émancipée de l’homme, débarrassé de son auto-exploitation économique, et la conscience de l’homme, qui est d’abord conscience de sa propre histoire. Comme Hegel, Marx vise la réunification de l’esprit subjectif et de l’esprit objectif, mais non comme « esprit absolu » (le stade 3 de Hegel). C’est chez Marx une réconciliation de l’homme et de la nature (= la matière). C’est une réconciliation entre l’esprit subjectif et l’esprit objectif mais cela peut se dire autrement. C’est une réconciliation entre l’homme abstrait – c’est-à-dire comme espèce, comme être « organique », produit par la nature – et l’homme socio-historique – concret, « générique » (Gattungswesen)[19] en tant qu’il crée les conditions de sa propre reproduction[20].
Prenons le temps d’écouter Marx sur cette notion d’être générique. Voyons tout d’abord que cette notion caractérise seulement l’homme, alors que les animaux - et l’homme « brut », abstrait, hors l’histoire (qui n’existe plus) – ne sont que des êtres organiques (ce pourquoi l’homme est un animal mais aussi plus qu’un animal). Marx nous dit ceci : « En produisant pratiquement un monde d'objets, en façonnant la nature non organique, l'homme s'affirme comme un être générique conscient, c'est-à-dire un être qui se rapporte à l'espèce comme à sa propre nature, ou à lui-même comme être générique. Certes, l'animal aussi produit. Il construit son nid, son habitation, tels l'abeille, le castor, la fourmi, etc. Mais il produit seulement ce dont il a immédiatement besoin pour lui et pour sa progéniture ; il produit d'une façon partielle, quand l'homme produit d'une façon universelle ; il [l’animal] ne produit que sous l'empire du besoin physique immédiat, tandis que l'homme produit alors même qu'il est libéré du besoin physique, et il ne produit vraiment que lorsqu'il en est libéré. L'animal ne produit que lui-même, tandis que l'homme reproduit toute la nature. Le produit de l'animal fait, comme tel, partie de son corps physique, tandis que l'homme se dresse librement face à son produit. L'animal ne crée qu'à la mesure et selon les besoins de son espèce, tandis que l'homme sait produire à la mesure de toutes les espèces, il sait appliquer à tout objet sa mesure inhérente ; aussi sait-il créer selon les lois de la beauté. C'est précisément en façonnant le monde des objets que l'homme commence à s'affirmer comme un être générique (souligné par nous). Cette production est sa vie générique créatrice. Grâce à cette production, la nature apparaît comme son œuvre et sa réalité. L'objet du travail est donc la réalisation de la vie générique de l'homme. L'homme ne se recrée pas seulement d'une façon intellectuelle, dans sa conscience, mais activement, réellement, et il se contemple lui-même dans un monde de sa création. » (Manuscrits de 1844). Cette réconciliation (entre l’être organique et l’être générique) se fait comme assomption d’un humanisme intégral et affirmation d’un monisme évolutif. Avec Hegel comme avec Marx, il y a réconciliation finale de deux pôles antagonistes, mais le point de départ n’est pas le même, non plus que le point d’arrivée.
* * *
Nous avons vu Hegel travailler en dialecticien. Mais on peut aussi analyser Hegel en termes de « haut » et de « bas », d’ascension et de descente, voire de chute, comme sur une échelle. Selon Hegel, l’esprit subjectif tombe à un niveau inférieur dans la nature. C’est le passage du stade 1 au stade 2. C’est ici qu’intervient la notion de négativité, qui a donné lieu à tant de formules prétentieuses, mais qui est en fait assez simple. La négativité est un déficit, c’est l’Autre d’une chose. Pour Hegel, la référence est toujours la totalité. Pour reprendre un exemple cité plus haut, sur un total de 10 boules de pétanques, si vous en avez 6, la négativité est de 4. La négativité est donc ce qui manque à une chose pour attendre au tout. Dans un registre moins comptable, la négativité d’un fruit pas mûr est le temps de murir et le soleil, voire le soin qu’on lui apporte. La négativité est donc aussi un appel. Ainsi, la nature (stade 2) est la négativité de l’esprit subjectif (stade 1). Elle remonte vers l’esprit, et c’est cette fois l’esprit absolu (stade 3) qui apparait comme réconciliation de l’esprit subjectif (stade 1) et de l’esprit objectif (stade 2). C’est une respiritualisation de la nature, d’abord détachée de l’esprit, puis rendue à l’esprit. On peut le dire autrement : c’est le retour du sens et sa réappropriation.
Autre clé de lecture : on peut aussi comprendre Hegel en termes de rapport entre une unité et une multiplicité. Au début est le Un (l’esprit subjectif), puis vient la nature dans sa multiplicité, et enfin l’esprit absolu qui dépasse et inclut les deux notions précédentes. C’est l’Aufhebung, une annulation–conservation par transformation et élévation, une relève, comme l’officier de quart prend la relève de son camarade. L’annulation d’une forme originelle pour la reprendre, la sauver à un niveau supérieur. Comme la mort de Jésus et sa résurrection en Christ. Il s’agit de surmonter une notion, un stade de la pensée mais sans l’abolir. Exemple. Nous marchons en montagne. On dépasse un col, il est annulé comme objectif, mais il a existé comme chemin vers un col plus élevé, ou vers un sommet plus élevé. Nous sommes au-delà de ce col. Le franchir a été indispensable dans notre parcours.
Aufhebung est une notion proche d’Überwindung, la première notion insistant plus sur le levage, le soulèvement de la notion d’origine, mais les deux termes indiquant un dépassement. Aussi est-il éclairant de noter qu’on traduit Die Überwindung der Metaphysik, livre de Walter Schweidler, par « Au-delà de la métaphysique ». On traduit aussi le livre de Rudolf Carnap Überwindung der Metaphysik durch logische Analyse der Sprache par « Le dépassement de la métaphysique par l'analyse logique du langage ». La tonalité est double : dépasser est une façon de conserver mais aussi de rendre caduc. Selon les auteurs, l’accent est mis sur un aspect ou plutôt sur un autre.
* * *
Il reste la dimension originelle du débat. Ce qui est à l’origine est-il l’esprit ? « L’absolu est esprit », affirme Hegel (Encyclopédie des sciences philosophiques III. Philosophie de l’esprit). Ou bien est-ce la nature, la matière qui, en se complexifiant, donne naissance de l’esprit, qui est son reflet (mais un reflet agissant), en passant par le cerveau ? Ceci nous ramène à ce que nous avons évoqué des différences entre Hegel et Marx. Ce qui distingue Marx de Hegel, ce n’est pas la méthode dialectique (ils la partagent dans son principe), c’est le point de départ : l’esprit ou la nature ? Hegel part de l’esprit. Marx part de la nature. Le premier fait sa place à Dieu, la place première et ultime, puisque Dieu est l’esprit absolu. Le second considère que l’idée de Dieu est une illusion.
Il existe pourtant une voie qui réconcilie Dieu, ou bien plutôt le divin, ou mieux encore le sacré, et la nature, une nature qui n’est pas une donnée immuable mais un processus éternel. Cette voie consiste à penser « Deus sive Natura ». C’est ce que fait Spinoza dans L’éthique (IV, 1677), après avoir affirmé ce même axiome (qui annonce ceux de Ludwig Wittgenstein) dans son Traité théologico-politique (1670). Ce que veut dire « Dieu ou la nature », c’est qu’il ne faut pas choisir, qu’on ne peut pas choisir entre Dieu et la nature puisque c’est la même chose. Dieu et la nature, c’est l’être infini et éternel. L’un n’est qu’un autre nom de l’autre. Dieu, dans cette conception, est tout sauf une personne, il est le divin, il est la divinité qu’est le monde (ou la nature). Corollaire : il n’y a pas de monde extérieur à soi puisque le monde nous inclut. Dieu nous inclut, la nature nous inclut.
A la lecture de Spinoza, on peut se demander si le vrai clivage est entre Marx et Hegel. N’est-il pas plutôt entre Hegel et les penseurs panthéistes, comme Spinoza[21], ou cosmothéistes (comme les Anciens Egyptiens)[22]. Et n’y-a-t-il pas des ponts à explorer entre Marx et Spinoza ?[23] En tout état de cause, la querelle entre Marx et Hegel, querelle posthume, s’éclaire étonnamment si on fait intervenir la question du divin, et plus amplement du sacré[24], même si cette question est occultée chez Marx par son rapport (critique) à la religion. Car le divin et plus largement le sacré vont bien au-delà des religions instituées. Autant dire que nous n’avons pas fini d’en parler.
PLV
Notes:
[1] A. Douguine, « Hegel et le saut platonicien », Euro-synergies, 21 janvier 2025.
[2] Lire par exemple Friedrich-Albert Lange, Histoire du matérialisme, 1866.
[3] Troubetskoï enseigna en Autriche et fut persécuté par les nazis après l’Anschluss. On ne peut le suivre sur sa sous-estimation de l’unité des langues indo-européennes. Par contre, que l’identité russe soit composite, à la fois indo-européenne (pour la langue russe en tout cas) et finno-ougrienne ne fait pas de doute. Les Finno-Ougriens (Estonie, Finlande, Hongrie…) sont des peuples ouralo-altaïques, catégorie qui inclut aussi les Turcs (ou Turco-Tatars) et les Mongols.
[4] Totalisme et non totalitarisme.
[5] La logique est la pensée et l’énoncé de la pensée. « Au commencement était le Verbe », (logos) dit saint Jean. Chez Hegel, la Science de la logique (1812-1816) - dite plus tard Grande Logique - comporte l’Etre et la doctrine de l’essence (qui constituent toutes deux la logique objective), puis la doctrine du concept (qui est la logique subjective). La Petite Logique constitue pour sa part la première partie de l’Encyclopédie des sciences philosophiques (1817).
[6] Le philosophe canadien Jean-Luc Gouin parle, de son côté, du « Gyroscope Sujet—Négativité—Résultat—Réconciliation » mais le résultat est la réconciliation, ce qui forme une redondance. On peut donc parler plutôt de Sujet-Négativité- Réconciliation, ce qui rejoint le schéma classique que nous avons adopté.
[7] « Le néant ne reste pas le simple vis-à-vis indéterminé de l’étant, mais se dévoile plutôt comme ayant part à l’être de l’étant. », Qu’est-ce que la métaphysique, 1929.
[8] « Hegel et le saut platonicien », Euro-synergies, 20 janvier 2025, art. cit.
[9] Cf. Paul Ducay, « L’IA n’est qu’une Raison artificielle », Philitt, 31 janvier 2025.
[10] Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard, 1947.
[11] La fin de l’histoire et le dernier homme, 1992.
[12] Manuscrits économico-philosophiques de 1844, trad. Franck Fischbach, Vrin, 2007, p. 174.
[13] Henri Denis, Logique hégélienne et systèmes économiques, 1983 ; L’ ’’économie’’ de Marx. Histoire d’un échec, 1992.
[14] Le Capital, Livre II et III, Folio-Gallimard, 2008. Le livre IV du Capital est constitué par les Théories sur la plus-value.
[15] Ce qui est reproché à Marx est un retour à Ricardo, une « déviation ricardienne ». Le supposé échec de Marx – qui n’est bien sûr pas à exclure - dans le traitement de cette question est remis en cause par Adolfo Rodriguez-Herrera, Travail, valeur et prix, L'Harmattan, 2021 ; cf. aussi Alain Lipietz, « Retour au problème de la transformation des valeurs en prix de production », Cahiers d’économie politique, 7, 1982 ; Gilles Dostaler : Marx. La valeur et l’économie politique, Anthropos, 1978 ; Valeur et prix. Histoire d’un débat, Maspéro, 1978, L’Harmattan, 2013.
[16] Le clivage idéalisme-matérialisme ne recoupe pas celui qui existe entre ceux qui voient l’homme comme une créature et ceux qui pensent l’homme comme créateur de lui-même. En effet, du point de vue matérialiste, l’homme se crée lui-même d’une certaine façon, mais en tant qu’il est produit par l’évolution même du vivant et de la matière, pas ex nihilo. L’idéalisme qui affirme la primauté de l’Idée, et donc de l’Idée de l’homme est donc en fait une conception de l’homme plus créationniste – un créationnisme idéaliste – (l’Idée précède et engendre le réel et l’homme) que le matérialisme. Pour ce dernier, L’homme [est] dans le fleuve du vivant, selon le titre du livre de Konrad Lorenz, (1981). Pour le matérialiste, l’homme est une création continue de la nature, pas une création de Dieu.
[17] De ce fait, compte tenu de l’importance des ‘’superstructures’’ idéologiques et du fait qu’elles ne sont pas un simple reflet des conditions matérielles (contrairement à ce que dit un marxisme vulgaire), il nous parait difficile de se référer aussi bien à l’idéalisme ou au spiritualisme (nouvelle forme de l’idéalisme) qu’au matérialisme. Le terme de monisme, ou de monisme dialectique parait plus à même de rendre compte du réel et de son mouvement de perpétuelle polarisation et dépassement des contraires. Coincidentia oppositorum, comme dit Nicolas de Cuse.
[18] G. Plekhanov, D’une prétendue crise du marxisme, 1898.
[19] Cet être générique, c’est l’homme en tant qu’il travaille consciemment à devenir homme.
[20] Cette reproduction est économique et non-économique. Ces aspects non économiques sont regroupés sous le nom d’anthroponomie par Paul Boccara.
[21] D’où la querelle du panthéisme (1785-1815) qui débute par le débat entre Lessing, défenseur des idées de Spinoza, et Jacobi, qui les combat au nom de la lutte contre l’athéisme auquel conduirait le panthéisme de Spinoza. Schelling sera ensuite à la fois le penseur du panthéisme et celui du monisme dialectique.
[22] Voire comme Heidegger. Le Da de Da-sein ne fait-il pas signe vers un cosmothéisme ?
[23] Franck Fischbach, La production des hommes. Marx avec Spinoza, Vrin, 2014.
[24] Le sacré fait intervenir la nature, la sexualité, le sacrifice, les idéaux pour lesquels on est prêts à mourir, etc.
17:04 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hegel, karl marx, alexandre douguine, philosophie, philosophie politique | |
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lundi, 17 mars 2025
Douguine et le déclin de l'Occident
Douguine et le déclin de l'Occident
Bref essai de Constantin von Hoffmeister sur Alexandre Douguine et Oswald Spengler
Constantin von Hoffmeister
Nous sommes en train de pourrir. Mais dans la pourriture, quelque chose de différent se glisse. Oswald Spengler regardait l'Europe et voyait une vieille femme, les lèvres peintes pour en cacher les fissures. Alexandre Douguine regarde le monde et voit un champ de bataille, des lignes tracées dans le sang. L'homme faustien, celui qui va au-delà, le bâtisseur de cathédrales, l'ingénieur de l'apocalypse - il a trop construit, il est allé trop loin, et maintenant il se noie dans l'océan même qu'il cherchait à conquérir. Que reste-t-il ? Une nouvelle guerre, non seulement une guerre des nations, mais une guerre au sein de l'Être lui-même. La Quatrième théorie politique ne pleure pas l'Occident comme le fit Spengler. Elle rit. Elle aiguise son couteau. Elle déclare les vieilles idéologies mortes et jette leurs cadavres dans la boue. Elle appelle à quelque chose de nouveau, quelque chose qui va au-delà du libéralisme, du communisme, du fascisme - un retour, mais pas à la tradition en tant que pièce de musée. A la tradition comme arme.
Spengler savait. Il savait que les civilisations, comme les hommes, vieillissent, s'affaiblissent, s'effondrent sous leur propre poids. Mais que se passe-t-il lorsqu'un vieil homme refuse de mourir ? Regardez l'Europe: un continent au stade final de la consommation, qui siffle des slogans creux évoquant la « démocratie » et les « droits de l'homme » tandis que ses villes brûlent et que ses frontières se dissolvent. L'homme faustien, piégé dans sa propre création, incapable de s'en défaire, s'accrochant au rêve d'un progrès éternel alors qu'il est en train de s'enfoncer dans le vide. Mais Douguine ne parle pas de déclin, il parle de guerre. L'âge des Césars de Spengler, non pas comme un phénomène qui appelle une complainte, mais comme un phénomène qui réclame une prophétie. Les grands hommes reviendront, mais ils ne seront pas européens. L'Europe a oublié comment engendrer des conquérants. Les nouveaux Césars viendront d'ailleurs, de civilisations encore assez jeunes pour croire au destin.
Pseudomorphose : le beau mot de Spengler pour désigner l'étouffement d'une jeune civilisation par le cadavre d'une ancienne. L'Europe a étranglé la Russie pendant des siècles, l'a forcée à porter ses propres vêtements, à parler sa langue, à prétendre être ce qu'elle n'était pas. Mais la Russie n'a jamais été faustienne. Elle n'a jamais eu besoin de l'être. La Troisième Rome attendait toujours, attendait son heure, observait l'Europe s'étriper sur l'autel de son orgueil. Et maintenant ? La pseudomorphose se lézarde, se fissure. La Russie se débarrasse de sa peau occidentale, se tourne vers ses propres racines - eurasiennes, orthodoxes, nées dans les steppes. C'est ce que comprend Douguine : la Russie est jeune. La Russie a faim. Elle ne respecte pas les règles de l'ordre ancien et moribond. Elle en construit un nouveau, l'épée à la main, là où l'Occident tenait autrefois sa cour avec un stylo et du papier, aujourd'hui noyé qu'il est dans sa propre encre.
Qu'en est-il de l'Amérique ? Un colosse, oui, mais construit sur de l'air. Une expérience faustienne tardive, toute de technocratie et de rapidité, mais sans âme. La quatrième théorie politique ne s'incline pas devant elle. La vision de Douguine n'est ni américaine, ni mondialiste, ni universelle. Spengler voyait l'Amérique comme l'extension inévitable de la volonté de puissance faustienne: le capitalisme comme métaphysique, la publicité comme philosophie, la machine comme dieu. Douguine voit autre chose - un empire qui s'est oublié, qui ne sait même pas qu'il est un empire, se dévorant lui-même dans un rêve fiévreux de décadence libérale. Le César américain viendra, mais il n'héritera que de cendres.
L'Europe était belle autrefois. Sa tragédie est qu'elle n'a jamais su s'arrêter. L'âme faustienne était destinée à créer, à construire, à pousser vers l'extérieur, mais il y avait toujours un prix à payer. Spengler l'a vu: l'expansion infinie, l'ambition infinie, le rêve de l'illimité - jusqu'à ce que le rêve se brise et que les bâtisseurs deviennent des squatters de leurs propres ruines. Le côté négatif de l'esprit faustien est son refus d'accepter les limites, de savoir quand mourir. C'est ainsi qu'il perdure, mécanisé, bureaucratisé, automatisé, gouverné par des hommes qui n'ont ni passé ni avenir, avec seulement le bourdonnement ennuyeux de l'administration. La postmodernité n'est qu'un autre mot pour désigner la rigidité cadavérique.
Mais l'Occident a encore du pouvoir. Le cycle de Spengler n'est pas encore achevé, et même dans la décadence, il y a des moments de terrible beauté. Les derniers guerriers de l'ancien ordre - ceux qui se souviennent, qui ont encore le feu dans le sang - observent, attendent. L'ère des Césars ne sera pas douce. L'homme faustien, même dans sa chute, se déchaînera. Douguine ne croit pas à la survie de l'Occident, mais il croit en sa capacité à se battre, à se déchaîner même lorsqu'il tombe. La question est de savoir qui maniera cette rage. Les mondialistes, les gestionnaires, les lâches qui ont vendu leur héritage pour le confort ? Ou ceux qui entendent encore l'écho lointain des clochers gothiques, les hymnes de la bataille, le rugissement de quelque chose de primitif et d'oublié ?
La multipolarité n'est pas seulement une réalité politique. Il s'agit d'un changement métaphysique. Spengler y a fait allusion, Douguine le proclame. L'ère d'une civilisation dominant toutes les autres est révolue. L'homme faustien voulait le monde entier, mais le monde ne veut plus de lui. La Chine s'élève, indemne, sans être affectée par la maladie de l'Occident. L'Islam se souvient. L'Inde se réveille. La Russie rugit. Ce monde n'est pas celui des valeurs universelles, des droits de l'homme, de la démocratie au sens occidental du terme. C'est un monde de civilisations, de destin, de volonté. L'Occident faustien n'est plus qu'un acteur de plus sur la scène, il n'en est plus le metteur en scène.
Et pourtant, certains ne l'acceptent pas. Les fantômes de l'empire persistent. Le vieux monde s'accroche à ses mythes, refusant de voir que le vent a déjà tourné. L'OTAN s'étend, les sanctions s'empilent de plus en plus haut, une tour de dépit fragile qui s'effondre en même temps qu'elle s'élève, mais rien de tout cela n'arrête le lent effritement. Les dirigeants européens sont des somnambules. Le monde qu'ils gouvernent est une fiction. Spengler les a vus venir - la classe bureaucratique, les gratte-papiers, les employés de bureau chargés d'une civilisation mourante. Ils confondent leur position avec le pouvoir. Le vrai pouvoir est ailleurs, il se déplace vers l'est, vers le sud, vers ceux qui croient encore en quelque chose de plus grand que la croissance économique et les cadres juridiques.
Douguine et Spengler ne s'opposent donc pas. Ils sont les pendants d'une même vision : la mort de l'ancien et la naissance du nouveau. Spengler a fait son deuil. Douguine ne le fait pas. Il se prépare. La quatrième théorie politique ne cherche pas à faire revivre l'Occident. Elle cherche à le remplacer. Par quoi ? Cela n'est pas clair, mais la clarté, c'est pour le temps de paix. L'heure est à la bataille, à la guerre, non seulement dans les rues de l'Ukraine, de Gaza ou du prochain front, mais aussi dans l'esprit, dans l'âme, dans le tissu même de la civilisation.
Nous sommes en train de pourrir. Mais dans cette pourriture, quelque chose de différent se glisse. L'Occident est en train de mourir, mais il ne meurt pas tranquillement. Il se déchaîne, il lutte, il refuse d'accepter son destin. Spengler nous dit que c'est inévitable. Douguine nous dit de choisir un camp. La seule question qui reste est : qui tiendra le couteau ?
13:40 Publié dans Nouvelle Droite | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : nouvelle droite, nouvelle droite russe, occident, oswald spengler, alexandre douguine | |
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jeudi, 13 mars 2025
L'hydre globaliste: pourquoi Macron et Starmer sont les réelles menaces
L'hydre globaliste: pourquoi Macron et Starmer sont les réelles menaces
Alexander Douguine
Revenons au grand discours de Trump du 5 mars 2025. Désormais, il ne s'agira plus seulement de politique mais d'idéologie. De nouvelles valeurs (traditionnelles et américaines aux Etats-Unis), d'une nouvelle loi, d'une nouvelle économie, d'une nouvelle géopolitique, d'une nouvelle approche de l'administration, d'une nouvelle politique tarifaire - d'une Nouvelle Amérique. D'un Âge d'or pour certains, pour d'autres la fin de (leur) monde.
Les États-Unis globalistes libéraux sont officiellement annulés. Les globalistes ont été virés.
Les Démocrates ne sont qu'une bande de pervers. Rien d'autre. Ils relèvent d'une clinique psychiatrique où ils pourront guérir leur maladie mentale. Certains sont des criminels, certains sont des corrompus, certains sont juste stupides mais tous profondément pervertis. Les Américains méritent un nouveau Parti Démocrate ou aucun parti.
Une Amérique saine n'a pas besoin d'une élite folle.
Macron et Starmer sont aujourd'hui nos pires ennemis. Ils représentent deux têtes de l'hydre globaliste. Il vaudrait mieux les couper complètement. Ils sont des exposants de la conspiration rose.
Zelenski est un mal mineur, juste un idiot accro aux drogues. Macron et Starmer sont le vrai problème. Tous deux sont haïs par leurs propres peuples, tous deux sont entièrement dévoués au programme globaliste des gauches libérales. Tous deux sont très rusés. Ce sont de vrais serpents. Nous devons prendre garde.
Cette saison, les reptiliens virent au rose.
Avec le wokisme, ils nous ont diffamés, diabolisés, marginalisés, annulés, tués pour toutes les valeurs et idéaux auxquels nous avons cru et croyons ; maintenant c'est notre tour - tous leurs symboles, concepts et "idéaux" doivent être traités de la même manière. Zéro tolérance à l'égard des promoteurs de péchés et de perversions.
Les peuples chrétiens doivent rester chrétiens. Il n'y a aucune raison de trahir le Christ en suivant les courants du temps. Le Christ est éternel. Le Grand Carême a commencé. Rendons au Seigneur notre dette. Purifions la terre de ceux qui Le haïssent. Mettre tout en progrès, c'est renier Dieu.
Hier, des globalistes libéraux ont tenté de déstabiliser la situation dans le parlement serbe. Les restes du réseau USAID et des structures de Soros continuent de travailler pour saper et saboter la Révolution Conservatrice. Ils sont particulièrement actifs en Europe.
La logique des globalistes est transparente. La Serbie est du côté des valeurs traditionnelles et plaide pour la paix en Ukraine, tout comme la Hongrie et la Slovaquie. Une alliance Euro-trumpiste potentielle se forme. La Serbie s'y intègre naturellement. Comme l'Italie. Donc, les globalistes sont inquiets.
Il en va de même pour la République serbe de Bosnie. Milorad Dodik est en conflit avec l'administration euro-globaliste et choisit Trump et la Russie à la place. Il est sous attaque et n'a d'autre solution que de rejoindre la Serbie.
La plupart des États et mouvements traditionalistes et populistes dans l'UE sont à la fois pro-MAGA et pro-russes. Avec des proportions différentes. Mais tous déterminés à être pro-paix.
La France a déclaré la guerre à la Russie. Il y avait déjà eu quelque chose de ce genre dans notre histoire. Conclusion logique: des cosaques ont campé dans les rues de Paris.
Prophétie auto-réalisatrice chez les tenants du globalisme. La Russie est une menace. Elle nous attaquera, fera la guerre avec nous. Mais la Russie n'a pas l'intention de le faire. Donc on décide: si la Russie ne nous attaque pas, attaquons-la d'abord. Elle répondra, et la vérification des faits est faite: la Russie nous attaque. L'Ukraine était là pour cela. Maintenant Macron répète l'antienne.
Macron a été considéré comme le remplaçant du leader du monde globaliste libéral de gauche en lieu et place du président américain pendant le premier mandat de Trump. Cela ne s'est pas produit de 2016 à 2020. Nous assistons dès lors à la deuxième tentative.
Macron devient l'un de ces reptiliens roses.
Avant : la Sainte-Croix était persécutée, les perversions louées. Maintenant: la Sainte-Croix est à nouveau vénérée, le Carême est de retour, les perversions sont blâmées comme des péchés. Entre maintenant et alors, nous avons l'abîme. En un peu plus d'un mois. Comment cela peut-il être possible ?
Le conflit en Ukraine est une guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie, a reconnu le secrétaire d'État américain Marco Rubio.
« Il a été très clair depuis le début que le président Trump considère cela comme un conflit prolongé, désormais en phase de stagnation. Et franchement, c'est une guerre par procuration entre des puissances nucléaires: d'un côté, les États-Unis qui aident l'Ukraine et, de l'autre côté, la Russie, et cela doit cesser », a déclaré Rubio dans une interview avec Fox.
Nous avons assisté à une guerre par procuration, lancée par les globalistes et des ennemis radicaux de Trump et de l'Amérique de Trump. Cette guerre est un piège dangereux pour Trump, elle a été provoquée afin de réduire sa liberté de réformer le pays.
Le scénario des globalistes pour diaboliser leurs ennemis est depuis longtemps standardisé: il se déroule en affirmant deux choses à la fois - x ou y est une menace mondiale et en même temps il est un incapable, un marginal, une non-personne, un rien. C'est ainsi qu'ils présentent la Russie, Trump ou moi personnellement. L'absence de logique rudimentaire ne les dérange pas.
Soit on est puissant et dangereux, soit on est faible, marginal, pitoyable, un rien absolu. La logique nous oblige à choisir quand nous cherchons le bon adjectif. Nous ne sommes pas des libéraux. Ces derniers sont totalement immunisés contre toute logique. Ce sont vraiment des abrutis, des ensauvagés.
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mardi, 11 mars 2025
L'Éveil du Japon dans l'Ordre des Grandes Puissances
L'Éveil du Japon dans l'Ordre des Grandes Puissances
Avec le déclin des globalistes et la montée de la multipolarité, le Japon a désormais une chance rare de retrouver son indépendance.
Alexander Douguine
Quelle place pour le Japon dans l'ordre mondial des grandes puissances? Rappelons que Huntington a posé le Japon comme une civilisation bouddhiste distincte dans son célèbre texte de 1993. Cela n'avait pas de sens jusqu'à présent. Le Japon était totalement soumis au programme libéral et globaliste des gauches. Maintenant, que ce programme défaille, cela commence à prendre sens.
Trump signifie révolution. Pour le Japon (et les rapports Japon/Russie), cela oblige à tenir compte des faits suivants :
- Trump a déjà dit qu'il n'était pas heureux de l'aide militaire accordée au Japon.
- Trump est généralement en faveur de la tradition.
- Fini le thème habituellement récurrent de la russophobie.
Mettons maintenant ces trois points ensemble.
Quelles sont les inférences pour le Japon?
- Moins de dépendance vis-à-vis des globalistes libéraux américains.
- Invitation indirecte à restaurer le traditionalisme japonais.
- Porte ouverte pour le dialogue avec les traditionalistes russes.
L'OTAN est l'autre nom de l'État profond libéral globaliste et internationaliste. Dans un monde multipolaire, l'existence d'une telle structure n'a pas de sens. C'est juste une inertie obsolète issue de la guerre froide. L'ordre des grandes puissances exige une nouvelle stratégie de sécurité globale basée sur des pôles et des zones autour de ceux-ci, correctement et réalistement définis.
Il est maintenant temps de réfléchir à comment rendre sa grandeur au Japon. La Chine est grande. Le Japon, jusqu'à présent, était un appendice misérable du système globaliste. Un pays occupé avec zéro souveraineté. Seules des ombres de sa grandeurs passée subsistaient misérablement. Trump donne une chance de changer cela.
La philosophie est un piège pour la réalité. L'histoire oscille autour de l'axe de la "marche dogmatique des choses" (J. Parvulesco) - un pas d'un côté, un pas de l'autre. La philosophie attend le moment où la réalité approche de l'axe idéationnel et signale alors: voilà.
Le vieux libéralisme détestait le telos. La liberté l'interdit. Le libéralisme de gauche est un mélange entre libéralisme et communisme (surtout les linéaments qui sont qualifiables de "trotskystes"). Le cœur de la philosophie Tech Right (r/acc) est de dire: le libéralisme de gauche entrave le progrès technique en plaçant le telos (moralisant, woke) avant toutes autres choses.
La Tech Right veut annuler le libéralisme de gauche parce que le progrès technique exige une véritable liberté - une liberté grâce à l'absence de tout telos.
La fin de l'histoire hégélienne (dans une lecture de gauche, car il existe une autre lecture authentiquement hégélienne, qui est de droite et monarchiste) a été introduite dans le libéralisme de gauche de manière artificielle par d'anciens marxistes et trotskystes - A. Kojève, par exemple. La singularité n'est pas un telos. C'est une sorte de moment du libre marché.
Commentaire: Bonjour, M. Douguine. Dans ces temps changeants, surtout avec Trump critiquant l'accord concernant la protection que les États-Unis accordent au Japon comme "injuste", comment pensez-vous que le Japon devrait se positionner? Le Japon devrait-il se réarmer correctement? Quelle serait la position de la Russie sur cette question?
Ma réponse: Le Japon a maintenant une chance unique de s'éveiller et de commencer à restaurer sa souveraineté. La Russie n'est pas un ennemi inné et absolu de ce tournant. Cela pourrait s'inscrire dans une multipolarité totalement ignorée jusqu'à présent par un Japon trop docile et soumis (aux globalistes).
17:58 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alexandre douguine, actualité, japon, asie, affaires asiatiques | |
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samedi, 01 mars 2025
Guénon et Georgel: un lien philosophique et métaphysique
Guénon et Georgel: un lien philosophique et métaphysique
Alexandre Douguine
Georgel a crédité Guénon de lui avoir fourni la "boussole" pour naviguer et développer ses idées, en particulier celles dérivées de la cosmologie hindoue et d'autres sources traditionnelles.
Gaston Georgel (1899–1978) était un historien et écrivain français qui est devenu un adepte et disciple intellectuel significatif de René Guénon, le célèbre métaphysicien et penseur traditionaliste.
Georgel n'était pas un élève dans le sens formel d'un étudiant en fac, mais plutôt quelqu'un de profondément influencé par les idées de Guénon, en particulier son travail sur les doctrines traditionnelles et les cycles cosmiques.
Leur relation était davantage une dynamique de mentor-disciple, ancrée dans des recherches intellectuelles et spirituelles partagées. Georgel, étudiant en histoire à Paris, est tombé sur le concept des cycles historiques à travers un article qu'il avait lu dans une salle d'attente durant les années 1930.
Cela a éveillé sa curiosité pour les motifs présents dans l'histoire, le conduisant aux écrits de Guénon. Guénon, déjà une figure bien établie à ce moment-là, avait esquissé la doctrine des cycles dans des œuvres comme Formes Traditionnelles et Cycles Cosmiques (publiée à titre posthume mais basée sur des articles antérieurs).
Georgel a crédité Guénon de lui avoir fourni la "boussole" pour naviguer et développer ses idées, en particulier celles dérivées de la cosmologie hindoue et d'autres sources traditionnelles. La contribution la plus notable de Georgel, Les Quatre Âges de l’Humanité (1949), s'appuie directement sur le cadre des cycles de Yuga établi par Guénon — la division de l'histoire humaine en quatre âges déclinants (Satya, Treta, Dvapara et Kali).
Guénon avait proposé un Manvantara (un cycle complet de l'humanité) de 64.800 ans, le Kali Yuga, l'actuel "âge sombre", s'étendant sur 6480 ans. Georgel a poussé cela plus loin, calculant des dates spécifiques, suggérant initialement que le Kali Yuga avait commencé vers 4450 av. J.-C. et se terminerait en 1999 apr. J.-C., bien qu'il ait par la suite ajusté cela pour proposer l'année 2030 apr. J.-C. dans Le Cycle Judéo-Chrétien (1983).
Guénon a examiné les premiers travaux de Georgel, approuvant la plupart d'entre eux mais suggérant un cycle plus large de 25.920 ans lié à la précession des équinoxes, que Georgel a incorporé dans ses études ultérieures.
Leur connexion n'était pas seulement intellectuelle — il existe des preuves de correspondance directe entre eux, dont certaines subsistent aujourd'hui. Le travail de Georgel a attiré l'attention pendant la Seconde Guerre mondiale, mais ses livres, comme Les Rythmes dans l’Histoire, ont été saisis par la Gestapo en 1942 pour leur critique perceptible de l'idéologie nazie, l'amenant en prison jusqu'à ce que la Croix-Rouge intervienne. Guénon, vivant alors au Caire, est resté pour lui une influence-guide, encourageant Georgel à affiner ses théories sous le prisme traditionaliste.
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Alexandre Douguine: L'Allemagne cherche une alternative
L'Allemagne cherche une alternative
Alexandre Douguine
Alexander Douguine affirme que, bien que l'Allemagne cherche une alternative, la CDU reste une formation emblématique du globalisme, et seul l'AfD représente le bon sens en terres germaniques. Cependant, toute alliance entre la Russie et l'Allemagne est impossible sous Merz, figure-clef du libéralisme occidental, ce qui, de surcroît, rend une coopération future avec Trump beaucoup plus improbable.
A propos des élections en Allemagne: le chancelier Olaf Scholz a, bien sûr, perdu. Cependant, il est encore trop tôt pour dire que la société allemande commence à se réveiller. Après tout, la majorité a voté pour le parti de Friedrich Merz, qui est "chrétien" mais seulement de nom. L'Union chrétienne-démocrate (CDU) est une structure politique devenue entièrement libérale, n'ayant plus aucun lien réel avec le christianisme. Elle est tout aussi globaliste que le Parti social-démocrate de Scholz (la SPD).
Certes, le fait que le parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) ait obtenu la deuxième place, avec plus de 20% des voix, est un succès significatif. Ce parti relativement nouveau propose des thèses raisonnables, et toutes les accusations de nationalisme ou de radicalisme de droite à son égard ne sont rien d'autre que de la diffamation pure et simple.
L'AfD représente les intérêts et les sentiments des citoyens modérés — des braves gens tout ordinaires de l'Allemagne. Ou plutôt, non pas simplement ordinaires, mais normaux, puisque même les gens ordinaires en Occident sont désormais divisés. Alors qu'auparavant, ils formaient la majorité saine de toute société, tandis que les idées absurdes et extrémistes "taient confinées à des petites strates marginales, aujourd'hui, une partie significative de la société occidentale est tombée dans un radicalisme et un extrémisme manifestes.
Le parti de droite-conservateur allemand, l'AfD, selon sa dirigeante Alice Weidel, "s'est affirmé fermement dans le paysage politique allemand et n'a jamais été aussi fort au niveau national."
L'AfD défend le bon sens des gens normaux en Allemagne contre les représentants psychiquement dérangés qui grenouillent dans les autres formations politiques, qu'il s'agisse des "gauchistes", des "Verts", de la SPD de Scholz ou de la CDU/CSU de Merz. Mais dans l'ensemble, l'électorat allemand a fait un choix entièrement incorrect, malgré les conseils d'Elon Musk de voter uniquement pour l'AfD. Ceux qui l'ont écouté, ou qui ont simplement choisi l'AfD en fonction de leurs tristes expériences quotidiennes, ont pris la bonne décision. Cependant, cela ne suffit pas encore pour changer la trajectoire de l'Allemagne.
Malheureusement, toute discussion sur une alliance entre la Russie et l'Allemagne reste prématurée. Les globalistes craignent en effet notre rapprochement, mais avec une Allemagne dirigée par Merz, aucune alliance de ce type n'est possible. Cependant, avec l'AfD, qui a obtenu plus de 150 sièges au Bundestag (le parlement allemand), nous devons indéniablement rechercher la coopération. Ce sont des personnes rationnelles, constructives et relativement progressistes — pas strictement conservatrices dans le sens traditionnel. Et la Russie, en tant que bastion de la politique de bon sens, doit maintenir de bonnes relations avec toutes les forces qui défendent la raison.
Friedrich Merz est un homme politique expérimenté et un globaliste pur jus. La CDU est une entité politique devenue au fil du temps complètement libérale et globaliste, sans véritables liens avec le christianisme.
Quant au nouveau chancelier, qui gouvernera bientôt l'Allemagne, Friedrich Merz, je dois le réitérer: c'est un globaliste pur jus. De plus, il croit qu'il est désormais nécessaire de créer un front européen pour contrer une Amérique de plus en plus rationnelle (que ce soit temporairement ou en permanence doit encore être vu). En ce sens, il est complètement irrationnel, s'opposant à la Russie, qui est orientée vers le bon sens, ainsi qu'à une Amérique qui évolue progressivement dans la même direction.
Par conséquent, je ne crois pas qu'une forme d'alliance germani-russe soit possible dans un avenir proche. Il est beaucoup plus probable que nous puissions construire un modèle de coopération alliée avec Trump qu'avec ces dégénérés européens, qui sont désespérés à l'idée de sauver à tout prix l'ordre libéral mondial en ruine.
13:00 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, europe, affaires européennes, allemagne, afd, friedrich merz, alexandre douguine | |
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dimanche, 23 février 2025
Existence authentique ou inauthentique: le choix ultime
Existence authentique ou inauthentique: le choix ultime
L'humanité moderne est en train de sombrer dans le post-humanisme, où l'être authentique (le Dasein) est perdu. Seul un retour aux racines métaphysiques et civilisationnelles peut sauver les nations d'un effondrement culturel irréversible.
Alexander Douguine
Leur fin de l'histoire a été une guerre contre l'avenir. Il existe une autre lecture (ni communiste, ni libérale) de Hegel - la lecture hégélienne. Cette lecture identifie la fin de l'histoire comme la création d'un État métaphysique, d'un Empire spirituel. Il doit incarner l'avenir lui-même.
Le choix souverain de la gauche allemande est celui de Sahra Wagenknecht. Toutes les autres options sont suicidaires.
Le vote en faveur de l'AfD est la réponse à la question de savoir s'il faut ou non être pour l'Allemagne. Sans l'AfD, il n'y a plus d'Allemagne.
Exactement comme le travail des médias mondialistes pour répandre des accusations totalement fausses à mon encontre. Et sur la Russie en général. Tous répètent immédiatement les mêmes passages. Il semble qu'il y ait un agent de l'IA relevant de la gauche libérale mondialiste qui a été formé pour faire cela. La presse ne fait qu'imprimer ce qu'il répand.
Les « instructions » (mot utilisé par Musk) sont désormais obsolètes - certaines seront reçues, d'autres non, certaines seront comprises, d'autres non. L'agent de l'IA mondialiste formé par les libéraux a remplacé les journalistes dans le monde entier. Il est dirigé par Soros, je présume.
L'IA peut maintenant imiter avec succès l'opinion publique dans n'importe quel pays. Très correctement. Cela signifie que la mentalité sociale est quelque chose de manipulé, d'aliéné, de construit artificiellement. Si les machines peuvent reproduire efficacement les humains, alors les humains doivent déjà être des machines.
Les humains modernes sont presque des robots. La différence est minime. Les humains relèvent du Dasein mais n'en ont aucune idée. Le Dasein fonctionne à notre époque de manière inauthentique (en tant que das Man, le "on"). Das Man, le "on", aujourd'hui, c'est l'IA. Le passage irréversible au post-humain est donc la perte définitive de la possibilité de faire passer le Dasein à l'authenticité.
C'est la singularité. Maintenant, le Dasein est toujours là, mais en mode inauthentique. Il n'y a donc apparemment pas de différence entre l'homme et la machine, mais il existe (en tant que virtualité). La singularité et l'IA forte excluent totalement cette potentialité. Personne ne fait de remarques, personne ne s'en soucie. Quelque chose d'inutilisé nous est enlevé.
L'humain et le posthumain deviennent identiques. L'humain est facultatif. L'humain disparaît - personne ne le remarque, personne ne s'en soucie. Il ne reste aucune instance qui pourrait encore témoigner de la perte. La perte du Dasein. Voilà leur plan.
Poutine, Trump, Xi et Modi doivent penser au Dasein. Sinon, tout sera vain.
Le grand pouvoir est inutile sans une forte réponse à la principale question existentielle : exister authentiquement ou inauthentiquement. Seul le Dasein authentiquement existant a un avenir en tant que troisième dimension du temps. Sans cela, il y a une répétition incessante du même et d'un éternel passé.
Selon Hegel, il ne peut y avoir de grand État sans grande philosophie. On ne peut pas faire de l'Amérique une grande nation sans entamer un processus philosophique. Il en va de même pour tous les autres pôles. La grandeur philosophique d'abord.
Un pays stupide, sans élite intellectuelle brillante, ne peut pas être grand.
Un roi philosophe entouré de philosophes au sommet. Des guerriers héroïques à l'étage suivant. Des gens religieux et moraux qui travaillent dur au bas de l'échelle. Les menteurs, les fraudeurs, les pervers, les mondialistes seront exilés ou annulés.
René Guénon est plus proche de la vérité que n'importe qui d'autre au cours des siècles passés.
C'est la singularité. Maintenant, le Dasein est toujours là, mais en mode inauthentique. Il n'y a donc apparemment pas de différence entre l'homme et la machine, mais pourtant, il y en a une (en tant que virtualité). La singularité et l'IA forte excluent totalement cette potentialité. Personne ne fait de remarques, personne ne s'en soucie. Quelque chose d'inutilisé nous est enlevé.
Si, en tant qu'Allemand, vous votez pour Merz, vous votez pour une destruction nucléaire plus rapide de l'Allemagne, de l'Europe, voire du monde entier. Prenez vos responsabilités et soyez conscients.
Si vous aimez Trump, Musk et Bannon, votez pour l'AfD. Si vous aimez Poutine (pourquoi pas), votez AfD. Si vous aimez l'Allemagne, votez AfD. Si vous aimez l'Europe, votez AfD. Si vous aimez Meister Eckhart, Leibniz, Kant, Hegel, Husserl, Nietzsche, Heidegger, votez AfD. Si vous n'aimez aucun de ceux-là, votez aussi AfD.
Votez AfD si vous êtes nihiliste, socialiste, nationaliste, chrétien, musulman, païen, bouddhiste, agnostique, athée. Votez AfD et vous verrez à quel point la réalité peut être merveilleuse.
Certains disent que le kali-yoga est terminé. Cela dépend de nous. Achevons-le. Maintenant. Le Ragnarök est prévu pour demain. Votez AfD.
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mercredi, 19 février 2025
L'interaction de la souveraineté et de la politique économique
L'interaction de la souveraineté et de la politique économique
Équilibrer la sécurité et le commerce
Alexandre Douguine
Le mercantilisme est une théorie économique. Les mercantilistes pensaient que la meilleure façon d'accroître la richesse nationale était d'avoir une balance commerciale positive, c'est-à-dire que les exportations dépassent les importations. L'idée était qu'il fallait accumuler des métaux précieux comme l'or et l'argent, qui étaient les principaux moyens de paiement internationaux à l'époque.
Pour parvenir à des excédents commerciaux, les gouvernements mettaient en œuvre des politiques telles que l'application de droits de douane élevés sur les importations afin de protéger les industries nationales, des subventions aux exportations et des sociétés commerciales monopolistiques.
Réglementation industrielle : Les gouvernements ont souvent réglementé les industries pour s'assurer qu'elles produisaient des biens de haute qualité pour l'exportation et qu'elles limitaient la fuite de la main-d'œuvre qualifiée ou de la technologie vers les concurrents.
L'accent était mis sur l'accumulation d'or et d'argent, considérés comme la mesure de la richesse. Cela a conduit à des politiques telles que l'interdiction d'exporter de l'or ou de l'argent.
Dans « La richesse des nations » (1776), le libéral Adam Smith a critiqué le mercantilisme, prônant le libre-échange et l'idée que la richesse provient de la productivité et de la division du travail, et pas seulement de l'accumulation de métaux précieux.
Si le mercantilisme en tant que politique officielle a été largement abandonné, certains de ses principes (comme le protectionnisme) réapparaissent sous diverses formes dans le cadre du nationalisme économique ou en réponse à des crises économiques mondiales.
L'économie moderne, en particulier sous la forme de politiques keynésiennes, reprend parfois les idées mercantilistes en se concentrant sur la gestion des balances commerciales, bien que de manière plus nuancée et moins à somme nulle.
Le débat sur l'efficacité du mercantilisme se poursuit, certains historiens et économistes affirmant qu'il n'a pas été aussi néfaste qu'on le pensait traditionnellement, du moins pour les principales nations mercantilistes de l'époque.
Le nationalisme économique est une idéologie qui donne la priorité aux intérêts économiques nationaux sur l'intégration économique mondiale.
Il préconise des droits de douane, des barrières commerciales et d'autres mesures visant à protéger les industries locales de la concurrence étrangère. L'idée est de promouvoir les entreprises locales, de préserver les emplois et de maintenir la souveraineté économique nationale.
Il met l'accent sur la réduction de la dépendance à l'égard des produits étrangers en encourageant la production nationale. Il peut s'agir de politiques visant à stimuler les secteurs locaux de la fabrication, de l'agriculture ou de la technologie.
Ses politiques sont souvent conçues pour favoriser l'économie nationale, parfois au détriment de la coopération internationale. Cela peut se manifester par des scénarios tels que la manipulation de la monnaie ou des subventions aux entreprises nationales.
L'objectif sous-jacent est souvent de maintenir ou de relancer les industries traditionnelles qui sont considérées comme faisant partie de l'identité nationale.
Ses partisans estiment qu'elle renforce la sécurité nationale, préserve l'emploi et peut conduire à une situation commerciale plus équilibrée. Ils affirment que le nationalisme économique permet de mettre en place des politiques économiques adaptées aux besoins spécifiques du pays plutôt que de suivre un modèle économique mondial unique.
Parmi les exemples de nationalisme économique, on peut citer les États-Unis au 19ème siècle, avec leurs droits de douane élevés pour protéger les industries naissantes, ou, plus récemment, le Brexit au Royaume-Uni, où une partie de l'argument en sa faveur consistait à reprendre le contrôle de la politique économique.
Plusieurs pays recourent à certains aspects du nationalisme économique. L'initiative « Made in China 2025 » de la Chine ou les politiques « America First » des États-Unis sous certaines administrations en sont des exemples contemporains.
Le nationalisme économique suscite souvent des débats sur son efficacité et sa moralité dans un monde de plus en plus interconnecté. C'est un concept qui s'oppose à la mondialisation, où la suppression des barrières commerciales est considérée comme bénéfique pour tous les pays participants.
20:21 Publié dans Actualité, Définitions, Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : économie, actualité, protectionnisme, nationalisme économique, alexandre douguine, définition | |
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mercredi, 12 février 2025
Un tribunal pour juger les crimes du libéralisme
Un tribunal pour juger les crimes du libéralisme
La quatrième théorie politique s'impose, alors que le libéralisme s'effondre, les penseurs sérieux doivent dès lors regarder au-delà des idéologies défaillantes pour construire une nouvelle civilisation juste et équilibrée.
Alexandre Douguine
En un instant, après les réformes rapides de Trump, qui a déclaré qu'il n'y avait que deux genres - masculin et féminin -, un tableau monstrueux s'est déroulé sous les yeux des Américains et du monde entier. Des millions de personnes qui avaient été convaincues par les libéraux, précédemment au pouvoir, de changer de genre ou de s'identifier à des genres inexistants se sont soudain retrouvées transformées de citoyens « progressistes » et « avant-gardistes » en infirmes, en invalides. Quelques instants auparavant, on leur avait inculqué l'idée que la diversification des genres, y compris la castration, la mutilation et l'effondrement psychologique des jeunes enfants, étaient des signes du « comportement social le plus adéquat ».
Or, il s'est avéré que ceux qui insistaient sur ce point étaient tout simplement des maniaques et des criminels, et que ceux qui succombaient étaient des victimes qui avaient volontairement accepté de devenir des monstres. Les libéraux avaient presque poussé leurs sociétés dans l'abîme, en leur racontant des contes lénifiants, mais Trump a soudain révélé que c'était bien de la pure fiction - l'abîme s'était ouvert, et beaucoup y étaient déjà tombés. Beaucoup ont réussi à ruiner physiquement, mentalement et socialement leurs enfants, les perdant à jamais. Même Elon Musk en a souffert, son enfant est devenu un imbécile.
Ils ne s'en remettront jamais. Ce que les libéraux ont fait est une expérience sociale géante, plus terrifiante que celles jadis entreprises par le nazisme et le communisme. Et il ne s'agissait pas seulement d'une bande de maniaques, de pervers, de pédophiles et de schizophrènes. Il s'agissait d'une idéologie entière qui a poussé son principe cardinal jusqu'à l'absurde - la poursuite de l'individualisme jusqu'à la libération de toutes les formes d'identité collective (propriété, nation, foi, ethnie, sexe et enfin espèce).
Nous en avons discuté avec Tucker Carlson. Il était horrifié par tout ce qui se passait en Occident. Et maintenant, Tucker Carlson est tout proche de la Maison Blanche. Et Trump a brusquement arrêté le génocide psychophysique du peuple américain. Comment se sentent maintenant les transgenres, les drag queens, les défenseurs de la positivité du corps, les mutilants, les castrats et les voleurs de quad ? En particulier les enfants transgenres, qui sont instantanément passés du statut de « représentants avancés de la culture woke » à celui de « déchets » et de victimes d'une perversion inhumaine...
Comment peuvent-ils étudier, vivre, fonder des familles, alors que la nouvelle génération saine de l'ère Trump, où il n'y a que deux genres, les considérera comme des « déchets biologiques », des « dégénérés psychologiques et physiques » ?
Il est temps de compiler le « Livre noir » du libéralisme. Car c'est bien d'idéologie qu'il s'agit. Le libéralisme doit être reconnu comme une idéologie criminelle et extrémiste. Il est responsable de la terreur, des guerres, des coups d'État, des génocides, des mensonges orchestrés par les médias internationaux, des révolutions de couleur, des meurtres et, plus monstrueux encore, de la violence de masse et de l'effondrement psychologique de centaines de milliers, voire de millions, d'enfants qui ont subi des traumatismes incurables au niveau du corps et de l'esprit. Les libéraux ont mutilé l'âme et le corps d'un nombre incalculable de leurs propres citoyens. Et ce que les élites ont fait aux enfants migrants non protégés dépasse l'imagination. Aujourd'hui, la vérité sur les orgies pédophiles des dirigeants du Parti démocrate américain se fait lentement jour - sur les rituels sataniques fermés sur l'île d'Epstein et les fêtes de P. Diddy, auxquelles de nombreuses personnes ont participé - et bientôt tous les détails seront connus. L'Amérique frémira, tout comme l'humanité tout entière.
Les trois idéologies politiques occidentales de la modernité se sont révélées criminelles et ont débouché sur un cauchemar sanglant.
Les communistes ont détruit des classes entières - l'aristocratie, la paysannerie -, massacré les croyants, maudit l'identité nationale et les anciennes traditions. Tout cela au nom du progrès. Et tout cela s'est terminé par une triste dégénérescence et un effondrement. Pourtant, c'est une idéologie occidentale à laquelle le peuple russe naïf s'est laissé prendre. Le « Livre noir » du communisme existe.
Les horreurs commises par les nazis sont connues dans le détail. Et leur souvenir ne s'estompe pas, ne s'efface pas. D'autant plus qu'il y a encore des adeptes à notre époque des atrocités commises par des nazis ukrainiens contre des civils - hélas, c'est une page de plus dans le « Livre noir » du nazisme.
Il reste à condamner le libéralisme à l'échelle planétaire. Ceux qui ont orchestré tout cela doivent subir un juste châtiment.
C'était la tâche de toute l'humanité, d'arrêter le mondialisme occidental, de vaincre cette idéologie, cette politique, ce système anti-humain. Mais les choses ont tourné autrement : le système a été renversé de l'intérieur. Les Américains eux-mêmes ont renversé l'élite libérale enragée et ont rendu leur jugement. Un tribunal est à venir. Il est inévitable. Les trumpistes ont porté un coup fatal au cœur de la pieuvre libérale - l'USAID, le système qui a financé le libéralisme mondial dans toutes ses dimensions - la terreur, l'extrémisme, les médias d'entreprise, l'espionnage, les coups d'État, les assassinats, la falsification des données et la persécution des dissidents. En fait, c'est l'USAID qui est à l'origine de la formation, du financement et de la mise en œuvre de la politique de l'UE en matière de sécurité et de défense.
En fait, c'est l'USAID qui est à l'origine de la formation, du financement et du soutien politique direct du nazisme ukrainien. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg.
Et voici quelque chose d'important : nous devons maintenant reconnaître que les trois idéologies occidentales de la modernité sont criminelles ; sinon, nous continuerons à errer dans ce mauvais rêve, passant d'un système criminel à un autre. Aujourd'hui encore, il n'est pas exclu que l'Occident, après avoir reculé devant le libéralisme et détesté le communisme, soit à nouveau tenté par le nazisme - dans ses versions les plus disgracieuses. Cela relancerait le cercle vicieux. Il est essentiel de briser ce cycle et de le dépasser.
La modernité occidentale est loin d'être le seul champ d'idées et de théories politiques. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas occidentales et/ou qui ne sont pas liées à la modernité. Tout cela forme le thésaurus idéologique de la quatrième théorie politique. Par conséquent, le tribunal sur le libéralisme et les libéraux ne doit pas nous renvoyer au fascisme ou au communisme. Ces trois idéologies sont criminelles, désastreuses et inhumaines. Elles manquent de Dieu, du Christ, de l'amour, de l'âme et du peuple en tant que sujet de l'histoire. Elles manquent de l'expérience aiguë de l'être authentique. Elles manquent de Dasein. Elles sont toutes athées, matérialistes et aliénées. Elles ont été conçues pour remplacer la religion, une idée déjà intrinsèquement corrompue. C'est une perversion, un crime et le début de la fin. C'est pourquoi, d'ailleurs, Trump insiste tant sur la religion. Que ce soit le christianisme occidental. C'est une affaire américaine. Nous avons notre propre foi : le christianisme orthodoxe oriental. C'est notre voie. Mais nous devons transcender ensemble la modernité occidentale.
Nous avons commencé la guerre contre le libéralisme dans notre pays et en Ukraine. Mais le coup décisif a été porté par les Américains eux-mêmes. Par conséquent, il est probable que maintenant, les penseurs les plus sérieux du camp trumpiste tourneront leur regard vers la quatrième théorie politique. Les mondialistes ont tout fait pour l'empêcher - interdire la Quatrième théorie politique sur leurs réseaux, diaboliser ses partisans, supprimer des comptes, voire tuer. Mais on ne peut pas tuer une Idée. Ainsi, le tribunal des libéraux doit être conduit sur la base de la Quatrième Théorie Politique, au-delà des idéologies de la Modernité Occidentale - toutes et toutes.
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mercredi, 05 février 2025
Le mot « libéral » devient une insulte aux États-Unis
Le mot « libéral » devient une insulte aux États-Unis
Alexandre Douguine
Ce qui se passe aux États-Unis après la victoire de Trump aux élections présidentielles, son investiture et la manière dont se déroule le transfert de pouvoir, montre que nous sommes confrontés à un processus rapide de révolution conservatrice aux États-Unis. Le système de valeurs est littéralement en train de changer pour devenir autre chose. Ce que Trump et son équipe proclament et les premières mesures qu'ils prennent vont dans une direction très différente de l'idéologie gaucho-libérale qui sous-tend les politiques, les stratégies et les actions des mondialistes.
En fait, ce qui se passe aujourd'hui est une transformation très profonde et même une scission de l'Occident en deux pôles opposés. L'un de ces pôles reste gaucho-libéral et mondialiste, incarné par Biden et pratiquement tous ses prédécesseurs, y compris le républicain George W. Bush Jr, car ce dernier ne représentait pas une alternative à ce programme gaucho-libéral.
Le deuxième pôle, en revanche, est Trump et le trumpisme. Il s'agit d'une Amérique conservatrice, qui rejette en fait l'idéologie gaucho-libérale, tout en affirmant une idéologie conservatrice de droite. Il faut souligner qu'il ne s'agit même plus d'un libéralisme de droite, mais d'un conservatisme de droite, puisque de nombreux représentants du trumpisme parlent de valeurs post-libérales et rejettent le libéralisme.
Le mot même de « libéral » devient une insulte aux États-Unis. Et ces changements sont si dynamiques et si rapides que beaucoup de gens n'ont pas encore réalisé l'importance des transformations qui ont lieu en Occident en général et dans la société américaine en particulier.
Les valeurs gaucho-libérales des mondialistes sont remplacées par des valeurs traditionnelles. On passe du progressisme libéral au conservatisme, voire au traditionalisme. En fait, Trump et les trumpistes promeuvent un système de valeurs qui, à bien des égards et sous bien des formes, ressemble à celui de la Russie. Et en ce sens, le décret n°809 de Poutine sur les valeurs traditionnelles, notre interdiction de la perversion et de toute politique de genre, l'appel au patriotisme, la priorité du spirituel sur le matériel et bien d'autres valeurs, commence à être mis en œuvre par Trump aux États-Unis.
Ce qui est surprenant, c'est la rapidité avec laquelle il le fait. Bien que les personnes partageant de telles opinions aient été, il n'y a pas si longtemps, des groupes marginaux auxquels on ne serrait tout simplement pas la main et qui étaient constamment « rayés » par la culture de l'annulation, les désignant par des noms terribles tels que « extrême droite », « fascistes » et ainsi de suite, il s'avère qu'après l'arrivée au pouvoir de Trump, ils sont maintenant placés au centre. Le soutien que les conservateurs de droite et les traditionalistes reçoivent dans la société américaine est énorme. Et contrairement au premier mandat de Trump, ils sont devenus une tendance sociopolitique importante.
Il est extrêmement important que nous, Russes, comprenions comment agir dans cette situation. Car l'un des aspects les plus importants de notre identité civilisationnelle, celui au nom duquel nous avons défié le mondialisme, a maintenant été en quelque sorte repris par les trumpistes. Dans ce contexte, outre le dynamisme, la détermination, l'extravagance et la radicalité de ce qui se passe aux États-Unis, nous, Russes, ne semblons plus aussi avant-gardistes et pionniers.
Non, nous ne cédons pas le leadership dans ce domaine, qui est notre plus grande force: la proclamation des valeurs traditionnelles, l'interdiction de la politique du genre et bien d'autres choses bonnes et importantes adoptées par la Russie ces dernières années, mais nous n'avons pas réussi à donner de l'éclat et du dynamisme à notre appel à l'identité, aux valeurs traditionnelles et aux idéaux conservateurs.
Tout ce processus se déroule dans notre pays de manière très lente et hésitante, avec des reculs constants, des reculs et des corrections face au libéralisme. En outre, il est évident qu'une partie importante de nos élites a été forcée d'accepter une attitude positive à l'égard des valeurs traditionnelles, les percevant comme quelque chose de temporaire et de formel, dans l'espoir qu'elles disparaîtraient bientôt.
C'est pourquoi notre profond virage conservateur émerge aujourd'hui comme « d'une couverture ou d'un oreiller », en étant quelque peu étouffé et peu sûr de lui. Ce qu'il faut vraiment faire, c'est promouvoir fièrement ces idées, en leur donnant une forme belle et attrayante sous la forme de clips musicaux, de nouveaux programmes télévisés, de débats, d'œuvres d'art, etc.
Bien sûr, le fait qu'aujourd'hui le décret n° 809 reçoive autant d'attention et soit appliqué partout est une très bonne chose. Mais il semble que nous n'ayons pas encore réussi à inscrire ces valeurs traditionnelles dans notre classe dirigeante. Tout se fait de manière « figurative ». Les responsables ne croient que partiellement à la nécessité d'un tel changement de valeurs ou n'y croient pas du tout et font seulement semblant d'être d'accord. Tout cela est parfaitement perceptible et visible. Surtout si on le compare aux transformations conservatrices dynamiques du trumpisme. C'est pourquoi nous ne devons pas rester en retrait à cet égard.
Au contraire, il est important que nous portions notre stratégie conservatrice-idéologique à un niveau fondamentalement différent. Ne rien craindre, proclamer nos valeurs, nos intérêts et nos idéaux, défendre notre identité. Et parler davantage du grand peuple russe, de notre Empire, de l'importance de l'orthodoxie. Bien sûr, tout en soulignant en même temps que dans notre Empire, le peuple russe, qui forme l'État, occupe la place la plus importante aux côtés du reste des glorieux peuples eurasiens. Outre l'orthodoxie, notre religion principale et mère, qui définit toute notre identité historique, il existe d'autres croyances traditionnelles.
Pourtant, nous continuons à nous prosterner sans cesse, à nous excuser et à nous confondre en excuses. Et ce n'est pas bon. Assez d'absurdités gauchistes, libérales, occidentales, laïques, modernistes et post-modernistes, que même les Américains refusent d'accepter. Nous sommes Russes, Dieu est avec nous ! Nos valeurs traditionnelles sont avec nous et nous n'avons pas besoin de l'OMS ni de la sanction du capitalisme auquel nous sommes attachés depuis 1990. Construisons la Grande Russie, établissons notre pouvoir, faisons revivre et restaurons l'Empire dans toute sa splendeur et sa puissance. Et nous devons lutter sans merci contre les douloureuses tendances nihilistes, la perversion, la décadence et la corruption qui existent dans le monde.
Il est temps pour nous de rassembler nos forces et de donner un nouveau dynamisme à nos réformes patriotiques et à un retour aux valeurs traditionnelles. Et cela nécessite à la fois la rotation des élites (pour laquelle nous devons créer un DOGE - Department of Government Efficiency - similaire à celui des États-Unis, qui est dirigé par Elon Musk) et la libération du potentiel créatif des gens ordinaires, de notre peuple. Sans cela, nous ne deviendrons pas vraiment convaincants, même pour nous-mêmes.
Sinon, tous nos atouts, tous nos points positifs et toutes nos différences fondamentales ne disparaîtront pas seulement, mais perdront de leur éclat, de leur tranchant et de leur pertinence à mesure qu'ils seront éclipsés et dépassés par d'autres. Par ceux qui non seulement ne sont pas nos amis et partenaires, mais qui utilisent leur virage conservateur pour renforcer leur propre hégémonie mondiale.
Il est essentiel que nous tracions une ligne claire entre ce que nous acceptons et applaudissons dans le trumpisme et ce qui, en lui, reste notre ennemi. Car si Trump rend l'Amérique, comme il le promet, à nouveau grande, nous ne pouvons qu'espérer faire de même avec la Russie. Nous n'avons pas d'acronyme comme MAGA, Make America Great Again, et nous n'en avons pas besoin. Mais la Russie doit renouer avec sa grandeur dans tous les domaines, en sortant d'une longue léthargie sociale et culturelle. Soit nous nous épanouissons maintenant et bondissons vers l'avenir, soit nous aurons beaucoup de mal plus tard.
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mardi, 04 février 2025
Le Groenland, nouvelle frontière
Le Groenland, nouvelle frontière
Alexandre Douguine
L'initiative de Trump concernant le Groenland n'est pas seulement géopolitique, mais constitue la base d'un ordre post-étatique conduit par la vision que nous suggère la droite technologique sur la souveraineté, la technologie et la gouvernance alternative.
Les projets de Trump concernant le Groenland, comme cela a été établi, reposent sur des bases très sérieuses. Ce que l'on appelle la Right Tech, c'est-à-dire les oligarques de la Silicon Valley et principalement Peter Thiel, ont décidé de créer un nouvel ordre post-étatique dans le Grand Nord, basé sur des valeurs de droite radicale, sur le bitcoin, sur la démocratie directe et sur des expériences futuristes quant à la nature du temps. Tout cela doit être pris très au sérieux.
Au lieu de ricaner et de présenter des arguments d'arrière-garde, réfléchissons: ces mêmes trumpistes, avec le Groenland et la « République technologique », ont réussi à prendre le pouvoir aux États-Unis. Et maintenant, ils vont passer à autre chose. Mars, c'est ce que visait Elon Musk avec son geste étrange.
Il faut regarder vers l'avenir, ne pas creuser dans les impasses du passé. L'essentiel est qu'il n'y a plus de libéralisme dans le monde et qu'il n'y en aura jamais plus ; il n'y aura d'ailleurs plus de "Lumières" à proprement parler. Les "Lumières" ont été une diversion: nous avons abouti dans une impasse et nous devons en sortir rapidement.
Nous devons avoir un avenir de risque, c'est-à-dire libérer le monde intérieur, ce qui signifie réaffirmer la dignité et le pouvoir de l'âme immortelle.
Aux États-Unis, la guerre civile est terminée. La normalité a vaincu la dépravation. Dans l'Union européenne, la guerre civile est toujours en cours et la dépravation et le mensonge sont toujours au pouvoir. Combien de temps encore ?
Il y a un mystère du temps. La modernité se réfère au temps du Big Bang, qui s'écoule du passé vers l'avenir. C'est totalement faux. En réalité, le temps s'écoule du futur vers le passé. Il est attiré par le futur (causa finalis) et en est repoussé.
Heidegger l'explique clairement dans la dernière partie de Sein und Zeit [« L'Être et le temps »].
Il y a trois extases du temps. La plus importante est la troisième, la projection du Dasein dans l'avenir. L'Être (Sein) y est le futur.
Le passé est l'abstraction approximative du futur, une projection a posteriori du futur. Il n'y a pas de réalité autonome dans le passé. Husserl appelait cela l'adumbration, l'ombre projetée du futur, le retour en arrière.
Je pense que Peter Thiel a besoin du Groenland pour établir son laboratoire de travail dans le temps. Nick Land a des idées très intéressantes sur la nature du temps. La Tech Right contient quelques intrigues métaphysiques.
08:10 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, groenland, tech right, alexandre douguine | |
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jeudi, 30 janvier 2025
Vers un cinéma civilisationnel russe
Vers un cinéma civilisationnel russe
par Alexandre Douguine
Alexandre Douguine affirme que la Russie doit surmonter la dictature de la médiocrité dans sa sphère culturelle pour établir un cinéma civilisationnel distinct et récupérer son identité culturelle unique dans un monde multipolaire.
Si nous, Russes, avons l'intention de construire un monde multipolaire, alors chaque civilisation doit avoir sa propre sorte d'Oscar, un prix pour les meilleures performances, le meilleur scénario, la meilleure musique et les meilleurs costumes.
Nombreux sont ceux qui savent que l'Inde possède ce qu'on appelle Bollywood, sa propre industrie cinématographique. Elle a ses propres prix et ses propres héros, qui peuvent être totalement inconnus en Occident ou même dans la Chine voisine. Mais pour leur civilisation (et l'Inde est pratiquement un continent entier), ces films et leurs Oscars sont d'une importance énorme.
Il en va de même pour la Chine. Il y a des films et des acteurs chinois qui sont totalement inconnus dans d'autres pays, mais qui sont immensément populaires en Chine. Cela s'explique par le fait que la Chine et l'Inde sont des civilisations indépendantes, avec leurs propres traditions cinématographiques. Aujourd'hui, le développement d'un cinéma propre est devenu un facteur de civilisation.
Nous, les Russes, devons également créer notre propre prix eurasien. Mais pour ce faire, nous devons développer notre propre cinéma, distinct et original. Et pour cela, des individus brillants et talentueux sur le plan culturel doivent prendre la tête des processus culturels de la Russie. Des Russes, bien sûr, au sens culturel du terme.
Valery Abisalovich Gergiev (photo) est un merveilleux exemple de talent extraordinaire, reconnu et apprécié pour ce qu'il est (1). D'origine ossète, il connaît et ressent la culture, l'art et l'esprit russes mieux que beaucoup d'autres en Russie - peut-être mieux que quiconque.
On dit du maestro Valery Gergiev qu'il est un génie doté d'une baguette magique.
Pour organiser un Oscar russe digne de ce nom, nous avons besoin de talents du même calibre dans notre industrie cinématographique. Oui, nous avons des acteurs talentueux, et même quelques réalisateurs remarquables, mais il nous manque une industrie cinématographique russe complète et distincte.
Par exemple, de nombreux pays dans le monde ont des philosophes locaux mais n'ont pas de tradition philosophique unique. De même, certains pays produisent des films et ont donc des acteurs et des réalisateurs, mais n'ont pas de tradition cinématographique distincte.
Cela est dû au fait que le code culturel n'est pas conceptualisé ou compris. Et parce qu'il n'y a pas une concentration suffisante d'individus passionnés et de génies qui pourraient former un cercle créatif, comme cela s'est produit au 19ème siècle lorsque la musique classique russe a émergé autour de la « Mighty Handful » (2) ou lorsque la culture de l'âge d'argent russe (3) a vu le jour.
Aujourd'hui, en revanche, tout est fragmenté. Même lorsque Valery Gergiev monte une nouvelle production, celle-ci ne fait l'objet que de critiques formelles. Le sens profond de ce que le maestro essaie de transmettre n'est presque jamais discuté - ni dans les médias fédéraux, ni dans les canaux Telegram, où les gens se disputent sans fin sur des sujets triviaux, souvent vulgaires.
Ainsi, pour que nous devenions un pays doté d'un cinéma civilisationnel à part entière, nous devons d'abord apprendre à rechercher et à soutenir les vrais génies. Nous devons les rassembler dans une sorte de club, un cercle de génies, aussi petit soit-il, où ils auront toutes les chances de s'épanouir. Un lieu où les vrais philosophes interprètent les œuvres des vrais artistes et où les vrais acteurs suivent les conseils des vrais maîtres.
Actuellement, cependant, notre sphère créative est encombrée de couches de déchets accumulés au cours des périodes libérales soviétique et post-soviétique. En conséquence, notre intelligentsia créative est largement médiocre, à de rares exceptions près, comme Gergiev, Bashmet et quelques autres.
Nous ne devrions pas aspirer à avoir notre propre Oscar comme référence - nous devons créer notre propre art civilisationnel.
Ce n'est qu'en nous concentrant sur cet objectif que nous pourrons développer une forme d'art propre à la civilisation, y compris le cinéma. Pour l'instant, je le répète, nous avons des génies individuels, mais nous manquons d'art. Ainsi, au lieu de célébrer la nomination aux Oscars de tel ou tel acteur talentueux, en particulier ceux qui travaillent en Occident, nous devrions nous concentrer sur ce point.
À propos, outre Bollywood, il y a maintenant Nollywood, l'industrie cinématographique nigériane. Nous la regardons avec horreur et nous nous demandons ce que c'est, mais beaucoup de gens l'apprécient. En fait, dans certains pays africains, même les conflits militaires ont été interrompus pour la sortie d'une nouvelle série de films nigérians sur des événements et des dynamiques tribales qui nous semblent totalement incompréhensibles. Le cinéma philippin est un autre exemple - unique et original.
Il est essentiel pour nous d'entretenir la diversité de notre monde multipolaire. Nous ne devrions pas viser les Oscars, mais plutôt créer des concours de films civilisationnels distincts afin de priver l'Occident collectif de son monopole sur le cinéma mondial. Et si nous reconnaissons enfin les fondements uniques et profonds de l'esthétique russe, nous évaluerons nos acteurs, nos musiciens, nos artistes et nos poètes en fonction de leur alignement ou non sur notre code culturel.
L'écume pseudo-culturelle qui domine actuellement notre scène culturelle ne correspond manifestement à aucun code culturel. Elle n'est que la périphérie de l'Occident, et c'est la raison pour laquelle nous cherchons à tout prix à être reconnus en Occident, en tant qu'imitateurs serviles de nos maîtres. À de rares exceptions près, il ne s'agit pas d'art, mais d'une forme de mimétisme obséquieux.
C'est pourquoi je pense que la participation aux Oscars - dominés par l'agenda libéral occidental - n'aurait de sens que si Trump sécurise son emprise sur le pouvoir et que les valeurs traditionnelles dominent les festivals occidentaux. Si nous développons notre propre cinéma, nous pourrons alors rivaliser sur la base de valeurs traditionnelles partagées.
Vivrons-nous assez longtemps pour voir le jour où les valeurs traditionnelles domineront les festivals de cinéma occidentaux ?
Mais pour l'instant, nous n'avons pas de cinéma qui reflète nos valeurs traditionnelles. Cela est dû au fait que certaines personnes, qui ont pris le contrôle de la sphère culturelle, agissent comme des caillots dans un vaisseau sanguin, bloquant le flux d'un véritable développement culturel en Russie. Elles tentent de censurer et de diriger la production créative, mais elles sont tellement mesquines, insignifiantes et incompétentes que le résultat est une image pathétique et peu attrayante - surtout lorsque la médiocrité tente de censurer le talent.
Dans l'Empire russe, en revanche, les censeurs étaient des philosophes, des penseurs et des publicistes remarquables, comme Konstantin Leontiev. La censure est une question très délicate. Il faut savoir reconnaître le génie, même lorsqu'il ne s'inscrit pas dans des cadres rigides. En même temps, il faut aussi identifier et supprimer les tendances néfastes, qui ne sont pas toujours évidentes au premier abord.
La censure est un grand art. En bref, ce dont nous avons le plus besoin aujourd'hui, c'est de mettre un terme à la dictature de la médiocrité qui s'est installée en Russie au cours des dernières décennies.
Notes:
(1) Valery Gergiev, né à Moscou en 1953 de parents ossètes, est un chef d'orchestre et directeur d'opéra réputé. En décembre 2023, il a été nommé directeur artistique du théâtre Bolchoï, devenant ainsi la première personne à diriger simultanément les théâtres Mariinsky et Bolchoï. Le lien de Gergiev avec la culture russe est profond. Il a contribué à promouvoir la musique et les artistes russes sur la scène internationale, à défendre de jeunes talents comme la soprano Anna Netrebko et à faire revivre des opéras russes moins connus comme La ville invisible de Kitège de Rimski-Korsakov et Les fiançailles dans un monastère de Prokofiev.
(2) La « Puissante poignée », également connue sous le nom des « Cinq », était un groupe de compositeurs russes du XIXe siècle - Mily Balakirev, César Cui, Modest Moussorgski, Nikolaï Rimski-Korsakov et Alexandre Borodine - qui se sont unis dans les années 1860 pour développer un style national distinct de musique classique, libre des influences de l'Europe de l'Ouest.
(3) L'âge d'argent russe désigne une période culturelle dynamique qui s'étend de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, soit approximativement de 1890 à 1917. Cette époque a connu un essor exceptionnel de la poésie, de la littérature et des arts russes, marqué par l'émergence de divers mouvements artistiques, dont le symbolisme, l'acméisme et le futurisme. Parmi les figures marquantes de cette époque figurent des poètes tels qu'Alexandre Blok, Anna Akhmatova, Boris Pasternak et Marina Tsvetaeva. L'âge d'argent est souvent considéré comme une renaissance de la vie culturelle russe, comparable à l'âge d'or du début du XIXe siècle. Cependant, cette explosion créative a été freinée par la révolution russe de 1917 et les changements politiques qui ont suivi, qui ont conduit à un renforcement de la censure et de la répression, mettant fin à cette période remarquable de l'histoire culturelle russe.
17:03 Publié dans art, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : alexandre douguine, cinéma, russie | |
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lundi, 27 janvier 2025
Alexandre Douguine: MAGA - MEGA - MRGA. L'écouméne chrétien tripolaire
MAGA - MEGA - MRGA. L'écouméne chrétien tripolaire
Alexandre Douguine explore le potentiel d'une alliance tripolaire entre le MAGA, le MEGA et le MRGA pour résister au libéralisme mondialiste.
Alexandre Douguine
L'UE, dirigée par les mondialistes libéraux d'extrême gauche, est clairement hostile aux États-Unis de Trump. Mais le mouvement MEGA ("Make Europe Great Again") relève d'une tendance plus délicate. Reconnaissant envers les États-Unis pour s'être libérés de la dictature mondialiste, le mouvement MEGA ne peut pas être un simple outil obéissant aux Américains. Où est la grandeur ? Certainement pas dans la soumission totale.
MEGA ne peut donc pas être inconditionnellement pro-américain. Lorsque Steve Bannon est venu en Europe en 2017 pour tenter de soutenir le populisme de droite, il a découvert que la droite européenne (la Nouvelle Droite en premier lieu) était bien différente de ce qu'il présumait. Elle est gaulliste, sociale, anticapitaliste et anti-américaine. MEGA partage avec MAGA le rejet de DEI ("Diversity, Equity, Inclusiveness"), du wokisme, du libéralisme, du globalisme. Bien sûr, mais les valeurs traditionnelles de la vieille Europe diffèrent considérablement des valeurs traditionnelles du Nouveau Monde - initialement colonie de culture protestante anglo-saxonne, suffisamment éloignée de l'anglicanisme pour ne pas parler de la distance qui la sépare de l'Europe du Sud catholique.
L'Europe en tant que continent n'est pas une simple prolongation des États-Unis, comme pourrait le croire le MAGA. Le mondialisme libéral de gauche n'est pas la seule source d'hostilité virtuelle à l'Amérique de Trump.
Je propose une triple alliance contre le mondialisme: MAGA + MEGA + MRGA ("Make Russia Great Again", pour l'Empire russe, l'Eurasie). Ces trois univers ont des points communs et en même temps des différences. Mais il y a un ennemi commun - les mondialistes libéraux de gauche, le wokisme, le Swamp, Soros.
Les trois univers ont un ennemi intérieur - les élites libérales de gauche sont le principal obstacle pour Trump, pour le populisme européen et pour la Russie également (l'héritage d'Eltsine). Il est facile de prévoir quelle stratégie ces élites adopteront.
Les élites libérales aux États-Unis, en Europe et en Russie essaieront d'opposer les États-Unis à l'Europe et à la Russie, l'Europe aux États-Unis et à la Russie. La Russie à MAGA et MEGA. Elles joueront sur les différences et les gestes impérialistes maladroits de chaque pôle, inévitables avec la montée du patriotisme post-libéral.
Les États-Unis, l'Europe et la Russie ne sont pas des ennemis absolus les uns des autres. L'élite mondialiste libérale de gauche est l'ennemie absolue des États-Unis, de l'Europe et de la Russie. Et cette élite libérale mondialiste tente d'opposer chacun d'entre nous à l'autre en travaillant de l'intérieur. Divide et impera.
MAGA - MEGA - MRGA. Ecoumène tripolaire chrétien.
Ni unis, ni hostiles, ni divisés. Coexistence dynamique.
16:28 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : actualité, alexandre douguine, maga, mega, mrga | |
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mercredi, 22 janvier 2025
Il n'y a pas d'histoire sans philosophie
Il n'y a pas d'histoire sans philosophie
Alexandre Douguine
L'histoire est une séquence de blocs sémantiques appelés « événements ». Ceux-ci comprennent des personnalités, des processus, des changements, des oppositions, des catastrophes, des réalisations, des paysages sur lesquels tout cela se déroule et, en fin de compte, tout ce riche bloc de réalité à plusieurs niveaux s'élève jusqu'à sa signification. Et la signification d'un événement, à son tour, est inextricablement liée à la signification d'autres événements. C'est ainsi que se tisse la trame de l'histoire. En même temps, le sens d'un événement inclut la richesse infinie de ce qui constitue sa nature, son fondement.
L'histoire est donc quelque chose de spirituel, qui ne se révèle qu'à l'esprit philosophique rompu à la pratique de la contemplation des idées. L'histoire est un concept philosophique et même théologique; ce n'est pas par hasard que l'on parle d'histoire sacrée, où le sens des événements est révélé par des dogmes et des axiomes religieux, qui à leur tour révèlent ces dogmes et ces axiomes de manière détaillée et riche.
Toute l'histoire est structurée comme l'histoire sainte. Seules les versions séculières ont des dogmes et des axiomes différents - athées et matérialistes. Ici, à la place de Dieu, de l'Alliance, de l'Incarnation, du Salut, de la Providence, de l'eschatologie, se trouvent les lois immanentes de la terre, de la société, de la bio- et physio-logie, de la lutte inter- et intra-espèces, du destin, du climat, de la technologie, de la volonté de puissance, des formations historiques, etc.
L'histoire n'existe pas en dehors d'un système religieux ou idéologique
L'histoire n'existe pas en dehors d'un système religieux ou idéologique. Nous sommes aujourd'hui sur la voie des Lumières historiques. Il y a tout un décret présidentiel à ce propos. Mais nous n'avons pas de décret sur l'idée russe et la philosophie russe. Cela reste facultatif. De même, l'histoire reste suspendue dans un vide dogmatique et axiomatique. Pour l'un, cet événement signifie une chose, pour l'autre une autre, un troisième nie la signification même de cet événement, un quatrième en nie la réalité. Et il est impossible de réduire de force ce chaos et cet arbitraire en quelque chose d'unifié par un décret portant sur la seule histoire. Dans le meilleur des cas, un modèle artificiel superficiel sera formé, qui ne vivra de toute façon pas, même s'il est imposé à tous.
Nous devons nous engager à fond dans la philosophie
Jusqu'à présent, les autorités n'y prêtent aucune attention et la société ne s'y intéresse pas. Or, la philosophie, c'est le travail sur le code de programmation de la société. C'est le travail des programmateurs spéciaux de l'Esprit. Si nous n'avons pas de programmateurs souverains de l'Esprit, toutes nos disciplines historiques, sociales et humanitaires seront créées en dehors de la Russie, ce qui signifie que nous ne pouvons pas parler de souveraineté. Si l'État-Civilisation n'a pas de philosophie souveraine, cette souveraineté n'est finalement qu'une fiction.
Les philosophes sont en charge du sens des événements. Cela signifie qu'ils gèrent aussi les événements eux-mêmes. Il n'y a d'histoire à part entière que dans la société où il y a une philosophie à part entière. Sinon, la société et le pays vivent à la périphérie d'une autre civilisation, extérieure, dont les codes sont définis à l'extérieur et restent incompréhensibles. L'absence de souveraineté fait d'une société sans philosophie, et sans histoire, une société contrôlée de l'extérieur.
C'est pourquoi nous, Russes, n'avons pas de consensus sur les débuts de la Rus - sur les Slaves, Rurik, la tradition pré-chrétienne, l'acceptation du christianisme.
Nous n'avons pas de consensus sur l'État kiévien, ni sur sa fragmentation, ni sur les conquêtes mongoles et l'existence de la Russie en tant que partie de l'empire de Gengis Khan et de la Horde d'or.
Nous n'avons pas de consensus sur Ivan le Terrible, la zemshchina, l'oprichnina et la théorie de Moscou-Troisième Rome. L'interprétation de la relation de notre Église avec le Phanar n'est pas claire.
Nous n'avons pas de consensus sur les premiers Romanov, et nous comprenons encore moins le schisme russe.
Nous avons une divergence d'opinion totale sur le 18ème siècle pétrinien.
Nous n'avons pas de vision commune du 19ème siècle et de son tournant conservateur. La querelle entre slavophiles et occidentaux est réduite à peu de choses, elle est abandonnée, bien qu'elle ne soit pas terminée.
Il n'est pas surprenant que nous n'ayons pas de consensus sur les événements de 1917. Aujourd'hui, nous ne comprenons apparemment pas la signification de ces événements et sommes enclins à croire qu'ils n'ont pas eu lieu du tout.
Nous ne comprenons pas du tout pourquoi l'URSS a pris fin et comment il se fait que les années 90 ont commencé et que le pays s'est effondré et a perdu sa souveraineté, se transformant en une colonie de l'Occident.
Nous ne comprenons pas comment et d'où vient Poutine en tant que phénomène historique. Nous comptons beaucoup sur lui, mais nous ne sommes pas en mesure de l'expliquer ou de l'interpréter, ni de comprendre les conditions qui ont conduit à son règne. Je veux dire dans le contexte historique où la philosophie fonctionne.
Nous ne comprenons pas la raison d'être de Medvedev, ni ce qu'il fait aujourd'hui sur son canal Telegram.
Nous ne comprenons pas bien pourquoi nous avons commencé l'Opération militaire spéciale en 2022 et pourquoi nous ne l'avons pas fait en 2014. Il n'y a pas de consensus. Chacun à sa manière de voir et d'interpréter l'événement.
Personne n'est déconcerté par le fait qu'au cours des 40 dernières années, presque la même élite russe a changé à plusieurs reprises d'idéologie pour en adopter une autre, mais avec une apparence intelligente et importante, aujourd'hui grise et décrépite, elle continue à enseigner au peuple aveugle quelque chose qui lui est propre et que l'on ne comprend guère. Nous ne pouvons expliquer à personne, et d'abord à nous-mêmes, comment un membre du Komsomol devient un libéral, et un libéral devient un anti-libéral et un patriote, et ensuite, très probablement, un libéral et un anti-patriote à nouveau. La seule clé d'interprétation dont nous disposons est la célèbre chanson de la popstar Instasamka (photo).
Mais à partir de tout cela, il est tout simplement impossible de tresser le tissu spirituel de l'histoire russe. Et une nation qui n'a pas d'histoire n'a pas d'avenir. Or, l'avenir est aussi l'histoire, sa dimension nécessaire.
Dans un récit de Yuri Mamleyev, il y avait un personnage, une femme victime de violence, qui, lorsque le juge lui demandait s'il y avait eu violence ou non, bégayait soudain et répondait une seule phrase étrange : « C'est tombé tout seul ». C'est à cela que ressemble notre histoire: quelque chose est tombé tout seul. On ne sait pas très bien quoi, quand, où, qui l'a poussé, pourquoi... Mais ce n'est pas ce qu'est l'histoire. Ce n'est pas du tout cela.
18:47 Publié dans Actualité, Histoire, Nouvelle Droite, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, russie, alexandre douguine, hisoire, philosophie, nouvelle droite, nouvelle droite russe | |
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mardi, 21 janvier 2025
Le mystère de Twin Peaks - Derrière le surréalisme des films de David Lynch
Le mystère de Twin Peaks
Derrière le surréalisme des films de David Lynch
Alexander Douguine
J'ai récemment participé à un programme consacré à David Lynch dans le cadre du « projet Decameron », dans lequel plusieurs personnalités dialoguaient en ligne, racontant différentes histoires et discutant de différents films. L'émission s'intitulait « Guide to Kulchur ». J'ai été invité à parler de David Lynch. L'animateur et moi avons eu une conversation très intéressante. Je vais vous en raconter les principaux détails.
Bien que Lynch soit considéré comme un postmoderniste, un réalisateur populaire parmi les hipsters et les libéraux, l'organisateur du projet Guide to Kulchur, un conservateur de droite (Fróði Midjord) a déclaré qu'il aimait Lynch (se mettant ainsi probablement en opposition avec la plupart de ses propres partisans). J'ai répondu que j'étais un conservateur russe, mais que j'aimais aussi Lynch.
Mon collègue a remarqué que dans Twin Peaks, toute l'action se déroule dans une petite ville américaine sans bourse ni migration, où vivent des Américains ordinaires et classiques, et où tout ce qui leur arrive a le charme de la tradition aux yeux des Américains modernes. Twin Peaks est une sorte d'utopie conservatrice. Les gens marchent lentement, tout le monde se connaît, ils sont familiers avec les particularités de chacun ; même si les relations sont parfois exotiques et surréalistes, il s'agit de relations humaines. Elles ne font pas partie de la machine urbaine. C'est une utopie rurale américaine.
Je n'avais pas envisagé Twin Peaks sous cet angle, mais j'ai été heureux de le soutenir. Peut-être que pour les Américains avec leur culture spécifique, Twin Peaks est l'Amérique profonde, une vision de l'Amérique défendue par ceux qui ne sont pas d'accord avec la mondialisation, le libéralisme de gauche, la société civile, Soros, Obama, Clinton.... En quelque sorte, l'électorat de Trump, ou les gens ordinaires.
Il est intéressant de constater que lorsque Lynch montre les habitants de Twin Peaks comme des personnes extrêmement étranges vivant au bord de la folie, impliquées dans les perversions les plus profondes et se tenant au seuil de l'au-delà (qui envahit de temps en temps leur vie) - il s'agit toujours d'un monde idéal, pastoral et positif comparé au cauchemar que représentent les grandes villes américaines - paysages urbains, Art nouveau américain, l'opposé du backwoods.
Si la schizophrénie surréaliste d'une petite ville américaine est une antithèse positive (aux yeux de certains conservateurs) de l'Amérique urbaine, de Wall Street et des grandes entreprises, cela en dit long sur la société américaine. Il ne m'est jamais venu à l'esprit de voir Twin Peaks comme Macondo dans « Cent ans de solitude » de Marquez... Comme un monde idéal, une utopie. Et pour les Américains, peut-être une perspective possible...
Ensuite, nous avons parlé de la vraie Amérique, celle des petites villes comme Twin Peaks. J'ai noté comment Lynch reconstruit subtilement la structure à trois niveaux de l'image traditionnelle du monde. Avec de l'ironie, des rebondissements ironiques... Mais en fait, ce qui est étrange dans Twin Peaks, c'est que l'action se déroule sur trois niveaux à la fois.
Aussi étrange que cela puisse paraître, il s'agit d'une caractéristique traditionnelle du théâtre classique, où, outre les actions dans le monde du milieu, deux dimensions supplémentaires sont impliquées. Dans Twin Peaks, il s'agit de la Black Lodge et de la White Lodge. Elles sont en contact avec le monde de Twin Peaks - nous n'entendons pratiquement pas parler de la Loge Blanche, mais beaucoup de la Loge Noire. L'invasion de la vie mesurée de Twin Peaks par la Black Lodge crée des tourbillons, des distorsions de la vie spatiale et existentielle qui sont l'essence même du récit de Lynch.
En fait, Lynch reconstruit une ontologie tridimensionnelle, qui relève de la tradition classique du christianisme, des mythologies indo-européennes, des traditions non chrétiennes, grecques, etc.
Nous vivons dans l'une des dimensions, qui est conditionnellement au centre, et au-dessus et au-dessous de nous, il y a d'autres mondes. La Black Lodge de Lynch correspond à la mythologie classique, étant composée de nains ou de géants. Tous deux sont des types post-anthropologiques limites, entre lesquels nous trouvons l'humain. Les géants et les nains représentent des figures limitrophes nécessaires qui rappellent à l'homme la relativité de ses positions. De même, la présence de la Black Lodge et de la White Lodge souligne les limites de la compétence humaine. Là où commence la sphère d'influence de la Black Lodge, là explose la frontière de la compétence humaine. En particulier, Twin Peaks traite de l'invasion de Bob venu du monde inférieur, qui s'empare de Leland, le meurtrier, puis de Dale Cooper lui-même. C'est alors que la vision tridimensionnelle de la structure du monde change complètement d'accent: le surréalisme de Lynch cesse alors d'être dénué de sens comme il peut sembler l'être à première vue.
Lynch lui-même nous a dit que sa façon de faire un film n'est pas un scénario tout fait, mais plutôt un scénario qui est tourné et créé pendant qu'il est filmé. Ils savent seulement où ils vont - ils dessinent leur récit au fur et à mesure qu'ils se développent. Et parce qu'ils sont sensibles à l'influence des dimensions parallèles (en particulier la dimension inférieure), ils sont capables de reproduire brillamment l'atmosphère de suspense, les attentes.
Non seulement les spectateurs sont surpris par les rebondissements de l'intrigue, mais Lynch lui-même ne les connaît pas à l'avance. Il présente l'opportunité, et le film se tourne de lui-même. Cette attention aux dimensions supplémentaires (dont Lynch lui-même parle souvent) est le secret de la crédibilité de son film. Et Lynch lui-même est humble - il dit qu'il n'y a pas de réponse exacte. Qui a tué Laura Palmer ? En général, il ne voulait pas que le public discute de l'identité du meurtrier, mais la banale conscience américaine exigeait une fin heureuse, et les financiers étaient obligés d'accuser le père de Laura Palmer d'un crime irrationnel. Et ce, même si, dans la troisième saison, Lynch a ramené Laura Palmer à la vie, comme pour dire : « Vous pensiez avoir tout compris ? Vous n'avez rien compris. On ne comprend rien à Twin Peaks. Pour comprendre Twin Peaks, il faut vivre dans Twin Peaks, il faut entrer dans ce monde, il faut passer derrière les oscillations des invasions étranges qui, par une logique incompréhensible, sans l'algorithme habituel, se retrouvent dans la vie de la population, des citoyens de Twin Peaks, dont l'un parle avec son propre pied, l'autre - avec une bûche...
Mais progressivement, dans la conversation avec son pied, nous trouvons une référence à la philosophie du parlement des organes dans le post-moderne, la conversation d'une femme avec la bûche - ontologie orientée objet, quand la bûche est un certain sujet, ou même un objet radical qui supprime la complexité et l'intensité de la présence humaine dans le monde. Les visites périodiques de Lynch à la Black Lodge (on parle moins de la White Lodge - elle existe aussi, mais son influence est insensible, surtout dans le monde moderne) deviennent de plus en plus lumineuses et, dans un sens, on peut considérer la création de Lynch comme une chronique de l'invasion infernale, lorsque des entités intracorporelles pénètrent dans notre monde et commencent à l'influencer activement. Mais même si elle rencontre une certaine résistance, même la vie américaine traditionnelle est incapable de construire une véritable forteresse face à la Black Lodge, qui devient de plus en plus sûre d'elle, s'emparant de différents vecteurs, et nous entrons progressivement dans le domaine des miracles noirs.
La troisième saison, à mon avis, est beaucoup plus sombre que les précédentes - quelque chose a changé dans l'ontologie des Américains eux-mêmes, ou peut-être de chacun d'entre nous. La résurrection de Laura Palmer et son dernier cri (lorsqu'elle est morte et qu'il s'avère qu'elle ne l'était pas) sont comme le miracle noir de l'Antéchrist - c'est comme le miracle de la résurrection, mais il n'a pas de suite. Le noir ne signifie pas le fait d'être noir, mais un manque total de signification. Pour Laura Palmer, cette résurrection noire sans l'aide des forces de la lumière est une parodie fondamentale des temps récents.
En ce sens, Lynch dépeint l'invasion globale de ce qui se trouve sous la ligne de fond de la réalité humaine. En ce sens, son œuvre peut être considérée comme une preuve précieuse. Elle peut être interprétée comme postmoderne, mais le manque de sens de Lynch n'est pas une exploitation. C'est un point important, une hypothèse que j'ai émise au cours de cette conversation. Lynch est à égale distance de ceux qui ne comprennent pas ce qui se passe dans le monde moderne ; il peut les aimer, les inspirer ou les effrayer, les attirer, mais il n'est pas l'un d'entre eux.
Ce qui le distingue des maîtres de la falsification et du codage à Hollywood, c'est qu'il n'exploite pas l'idiotie des masses (il ne libère pas les masses de l'idiotie, mais il ne les exploite pas non plus). Il est exactement à mi-chemin entre les révolutionnaires (les films d'art et d'essai, qui deviendront un cinéma culte, révélant toute la vie et la profondeur de la chute) et les masses (bien qu'il n'exploite pas les goûts de la foule). En cela, je pense qu'il est plus proche de Tarantino, car il est sur le fil. Il ne fait pas un pas ni vers les masses, ni pour les sortir de ce rêve.
Cette ambiguïté, cette dualité du propos cinématographique de Lynch crée l'ironie. En grec, « ironie » signifie dire une chose et en signifier une autre. C'est le sens d'une rhétorique basée sur la courbure d'un énoncé direct et logique.
Le langage et l'art de Lynch déforment la réalité de manière à ce que quelqu'un puisse voir une chose dans un énoncé tout en sous-entendant l'autre. Mais ce n'est pas tout à fait ainsi que cela fonctionne dans le cas de Lynch. J'aimerais beaucoup que les gens essaient d'interpréter ce que dit Lynch. Il dit « A » - nous comprenons qu'il veut dire quelque chose d'ironique, une autre lettre, une lettre que personne ne connaît. Mais ce qui est intéressant, c'est que Lynch ne la connaît pas non plus. C'est la dualité et l'ironie métaphysique profonde de ses films.
17:15 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : david lynch, cinéma, alexandre douguine | |
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lundi, 20 janvier 2025
Hegel et le saut platonicien
Hegel et le saut platonicien
La philosophie politique de Hegel est très complexe. Elle s'appuie sur l'ensemble de son tableau philosophique. Comme nous l'avons vu, toute philosophie a toujours la possibilité de susciter une dimension politique.
Alexandre Douguine
Le 14 novembre 1831, le plus grand philosophe romantique de l'histoire mondiale de la pensée, Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831), est mort. Heidegger, tout comme Nietzsche, considérait Hegel comme celui qui avait achevé l'histoire de la philosophie du Logos occidental et comme celui qui incarnait l'apogée de l'histoire de la philosophie et de la philosophie en général. Si Platon était le philosophe du début, Hegel et Nietzsche étaient les philosophes de la fin. En ce sens, Hegel est le philosophe de la fin.
Tout est altérité de l'Autre
La philosophie politique de Hegel est très complexe. Elle s'appuie sur l'ensemble de son tableau philosophique. Comme nous l'avons vu, toute philosophie a toujours la possibilité de susciter une dimension politique. Comme Platon, Hegel, dans sa philosophie du droit, fait ce geste, prend toute sa philosophie et l'applique à la politique, c'est-à-dire qu'il situe explicitement la place de la philosophie politique dans le contexte de l'ensemble de sa philosophie. Par la philosophie, il explique la philosophie politique, en même temps qu'il clarifie la politique par sa dimension métaphysique.
À cet égard, Hegel est un philosophe classique qui inclut implicitement la philosophie politique. En ce sens, Heidegger avait parfaitement raison lorsqu'il disait que si l'on comprenait la Phénoménologie de l'Esprit, on pouvait en déduire tout le reste. En ce qui concerne la lecture, deux ouvrages fondamentaux de Hegel sont habituellement proposés : La Phénoménologie de l'Esprit et La Philosophie du Droit.
L'idée fondamentale de Hegel est qu'existe l'Esprit subjectif primordial, l'« esprit pour soi » (en allemand: der subjektive Geist). Ce point coïncide avec la thèse théologique sur l'existence de Dieu - l'Esprit subjectif est Dieu pour lui-même. Afin de s'employer pour l'Autre, cet Esprit subjectif se projette dans l'Esprit objectif (en allemand: der objektive Geist) dans lequel il devient nature et matière, c'est-à-dire que le sujet se projette dans l'objet.
On notera ici la différence fondamentale avec la topologie cartésienne qui a prédéterminé la structure de la modernité. Pour Descartes, il existe un dualisme entre le sujet et l'objet, alors que Hegel tente de supprimer ce dualisme et de surmonter le pessimisme épistémologique de Kant en distinguant la matière ou l'objet de l'Esprit. En fait, il ne s'agit que d'un développement du modèle kantien du « je suis » absolu, mais pris dans un modèle dynamique et dialectique. Si Fichte était une réaction à Kant, Hegel est une réaction à Fichte, mais en dialogue constant avec Kant et le cartésianisme.
Ainsi, Hegel soutient qu'il existe un esprit subjectif qui se révèle à travers l'esprit objectif par le biais de l'aliénation dialectique. La Thèse est l'Esprit subjectif et l'Antithèse est l'Esprit objectif, c'est-à-dire la nature. La nature n'est donc pas la nature puisque, selon Hegel, rien n'est identique à soi, mais tout est altérité de l'Autre, d'où le terme de « dialectique ».
Le cycle du départ et du retour : l'esprit absolu
En d'autres termes, il y a l'Esprit subjectif en tant que tel qui se projette comme Antithèse. C'est ainsi que commence l'histoire. Pour Hegel, la philosophie de l'histoire est d'une importance fondamentale car l'histoire n'est rien d'autre que le processus de déploiement de l'Esprit objectif qui acquiert à chaque nouvelle étape sa composante spirituelle qui constitue son essence. Mais le premier acte de l'Esprit objectif est de cacher son caractère spirituel, de s'incarner dans la matière ou la nature, et ensuite, tout au long de l'histoire, cette altérité de l'Esprit subjectif revient, par l'homme et l'histoire humaine, à son essence.
Mais il s'agit alors d'une nouvelle essence ; ce n'est plus l'Esprit Subjectif (l'« esprit pour soi ») ni un « esprit pour un autre », mais un « esprit en soi ». En d'autres termes, l'esprit revient à lui-même par sa propre aliénation. C'est ainsi qu'apparaît le cycle du départ et du retour, ce dernier étant plus important pour Hegel que le départ. Ce dernier crée les conditions préalables au retour, et le retour, passant le cycle entier, revient à l'esprit subjectif lui-même, devenant le troisième esprit - l'esprit absolu (en allemand: der absolute Geist). Autrement dit, il y a d'abord l'esprit subjectif, puis l'esprit objectif et enfin l'esprit absolu.
L'Esprit absolu, selon Hegel, se déploie au cours de l'histoire humaine et se dirige vers la fin de l'histoire.
Le sens de l'histoire est la réalisation de l'Esprit à travers la matière. D'abord, l'Esprit est lui-même, mais n'est pas conscient de lui-même, puis il commence à se réaliser, mais n'a pas de "lui-même". La nature abrite en elle-même les conditions préalables de l'histoire parce qu'elle est un élément de l'histoire. D'où l'histoire des religions, l'histoire des sociétés, et comme résultat du déploiement de l'Esprit à travers l'histoire, elle atteint son apogée à la fin de l'histoire, quand l'Esprit est pleinement conscient et est alors lui-même. Thèse, Antithèse, Synthèse. Ainsi, l'histoire est terminée.
Il s'agit là d'une image générale de la philosophie de Hegel, qui comporte de nombreuses nuances et complexités. Ainsi, selon Hegel, l'histoire évolue positivement, mais il s'agit d'un positivisme différent de celui de la philosophie de la Grande Mère. Le commencement titanesque implique qu'au début il y avait du moins et ensuite du plus. Dans sa lecture de Hegel, Marx a supprimé l'esprit subjectif et dit qu'il existe une nature qui se perfectionne elle-même. Il rétablit ainsi la philosophie de la Grande Mère selon laquelle tout croît à partir de la matière et de la nature.
Mais Hegel n'est pas Marx. Chez Hegel, cette croissance, ce processus, ce mouvement du bas vers le haut est basé sur le fait qu'au début, il y a eu un saut vers le bas. D'abord l'Esprit saute et tombe dans la nature, et donc la nature commence à croître, et la nature n'est pas tant autre qu'elle est l'altérité de l'Esprit. L'antithèse de l'Esprit n'est pas simplement son opposé, car il est lui-même sous une forme retirée. Le concept de « retrait » chez Hegel est très important, car l'Antithèse ne détruit pas la Thèse, mais la retire, l'absorbe et la démontre ensuite à travers la Synthèse.
Par conséquent, la thèse n'est pas absolue et l'antithèse n'est pas absolue. Elles sont toutes dialectiquement dépendantes. Seule leur synthèse est absolue, ce qui permet d'éliminer la thèse et l'antithèse. En ce sens, la compréhension hégélienne de l'histoire comme déploiement de l'Esprit se fait par phases: il y a l'Esprit subjectif (préhistorique), l'Esprit objectif, qui se manifeste à travers l'histoire, et enfin l'Esprit absolu, qui se manifeste à travers la tension supérieure de l'histoire, à travers la création d'une sorte de sommet culturel et sociopolitique, la pyramide de l'Esprit, qui est finalement devenu l'Absolu.
Hegel et l'idée de l'État allemand
Quelle est la place de la philosophie politique dans ce contexte ? Il est clair que, dans un certain sens, l'histoire devient politique. C'est pourquoi Hegel conçoit l'évolution des systèmes, des modèles et des régimes politiques comme des moments de devenir de l'Esprit absolu. La politique est la cristallisation de la synthèse. L'histoire politique est le mouvement de l'Esprit vers le devenir absolu. La politique est l'histoire de l'absolutisation de l'Esprit.
Hegel établit une hiérarchie entre les différentes formes politiques. D'une part, il s'agit d'une hiérarchie évolutive puisque chaque régime est meilleur que le précédent. Mais, contrairement aux idées de Marx, cette évolution n'est pas seulement le reflet de l'Antithèse, elle n'est pas le développement de la matière ou de la nature. Il s'agit de la distinction de l'Esprit qui était à l'origine inhérent à la matière et à la nature. Il n'y a donc pas de matérialisme ici. Il s'agit d'un schéma complexe qui combine l'option platonicienne (au début, il y avait l'Esprit et non la matière) et le modèle évolutionniste (dans lequel nous commençons à considérer l'histoire à partir de l'Antithèse, ce qui rappelle l'idée de la Grande Mère). Marx a évacué la partie platonicienne, d'où sa réinterprétation de Hegel dans un sens exclusivement matérialiste. Mais Hegel est plus complexe.
Un autre point important chez Hegel est la façon dont il définit la fin politique de l'histoire, le sommet du devenir de l'histoire politique et l'expression de l'Esprit absolu. Hegel dit ici quelque chose d'intéressant à propos de la Prusse et de l'État allemand. Les Allemands n'avaient pas d'État, donc historiquement il n'y avait pas d'expression de ce type. Ainsi, les Allemands absorbent la logique du mouvement mondial, et l'État prusso-allemand est l'expression de l'Esprit absolu. Toute l'histoire est donc un prélude à la formation de l'Allemagne au 19ème siècle. Hegel disait que les grands peuples sont ceux qui ont soit un grand État, soit une grande philosophie. Selon lui, les Russes ont un grand État, alors qu'au 19ème siècle, les Allemands n'avaient aucun État. Il s'ensuit que les Allemands doivent avoir une grande philosophie, puis un grand État.
Le plus frappant est que Hegel a formulé la philosophie d'un grand État allemand avant que l'Allemagne n'apparaisse sur l'échiquier européen. Il a forgé cette théorie alors qu'il vivait lui-même dans une Allemagne fragmentée en principautés qui n'avait rien d'un État puissant et fort. Hegel a rassemblé l'Allemagne, l'a dotée d'une mission intellectuelle et a créé, avec Fichte et Schelling, le concept idéaliste et romantique de l'État allemand en tant qu'expression de l'Esprit devenant absolu. L'apogée et la fin de l'histoire, selon Hegel, est donc l'État allemand.
De plus, Hegel pensait que le système politique le plus optimal était une monarchie éclairée dominée par des philosophes politiques hégéliens, porteurs de la synthèse de l'esprit du monde entier, qui reconnaissent la logique de l'histoire mondiale. Hegel se considérait comme un prophète de la philosophie, de l'humanité et de l'Allemagne et, dans un certain sens, comme un mystique. Sur le plan méthodologique, la philosophie de Hegel était absolument rationnelle, mais elle était irrationnelle dans ses prémisses. Il a étayé l'idée que la société civile, la Révolution française et l'époque des Lumières constituaient un autre moment dialectique dans la formation de la monarchie éclairée. La société civile est ce qui permet à la monarchie de se développer et que la monarchie abolit ensuite. Hegel était donc un monarchiste mystique qui considérait que la logique de l'histoire était le chemin des différentes formes politiques vers la monarchie à la façon russe.
Il n'est pas surprenant que cette idée ait été reprise par les fascistes italiens, en particulier dans la théorie de l'État italien de Giovanni Gentile, qui était un hégélien. Paradoxalement, ni le fascisme ni le nazisme ne peuvent être considérés comme des représentants du nationalisme classique. Dans ces deux visions du monde, certains éléments ne se prêtent pas à être considérés comme des formes classiques ou même radicales du nationalisme bourgeois européen, car dans ce cas, l'ajout de l'instance hégélienne sous la forme de l'Esprit subjectif et toute la métaphysique de l'histoire que Gentile a posée dans les fondements de la théorie du fascisme italien n'étaient que de l'hégélianisme appliqué à l'Italie.
Bien qu'il soit considéré comme un classique de la philosophie politique, Hegel est un cas plutôt complexe, composite. Sa philosophie politique ne reflète pas l'idéologie de la troisième voie, et la théorie marxiste a été construite sur un hégélianisme métaphysiquement tronqué. En d'autres termes, l'hégélianisme « de gauche » est devenu la base de la deuxième théorie politique, et l'hégélianisme « de droite » a influencé certaines des particularités de la troisième théorie politique. Par ailleurs, l'idée hégélienne de la fin de l'histoire a été reprise et appliquée au modèle libéral par son élève Alexandre Kojève [1], son disciple Francis Fukuyama et d'autres philosophes. Marx a appliqué la « fin de l'histoire » au communisme, Gentile à l'État et certains philosophes hégéliens au triomphe de l'ordre mondial libéral. Selon ces derniers, la société civile n'est donc pas un prolégomène à la monarchie (comme le pensait Hegel lui-même), mais l'apogée du développement de la civilisation humaine.
Cette idée a été reprise comme prémisse par Francis Fukuyama, qui a employé le terme de « fin de l'histoire ». Ce terme était d'une importance fondamentale pour Hegel dans la mesure où il marquait le moment final de l'accomplissement par l'Esprit de sa phase absolue à travers l'histoire, le moment dialectique du retour de l'Esprit à lui-même, en lui-même et pour lui-même - la Synthèse.
Ainsi, nous pouvons trouver dans l'hégélianisme les trois idéologies classiques de la modernité, mais cela ne signifie pas que l'hégélianisme puisse être qualifié du point de vue de l'une ou l'autre d'entre elles. Hegel est plus large que toutes les théories politiques de la modernité et ne tombe donc en aucune d'entre elles. Il y a donc dans l'hégélianisme ce qui a été volé par fragments par les trois idéologies politiques de la modernité, ainsi que ce qui n'a pas été pris, comme l'idée de l'Esprit subjectif primordial qui précède tout mouvement descendant. Cet élément du saut platonicien primordial, le néoplatonisme, qui transite ensuite dans des topologies plus ou moins progressives-évolutives, nous permet de ne pas classer Hegel parmi les philosophes ou philosophes politiques de la modernité, car, comme nous l'avons vu, le paradigme de la modernité ne présume aucune composante matérielle préalable.
Une lecture non libérale, non marxiste et non fasciste de Hegel nous permet de révéler ses composantes pour une alternative à la modernité et de l'intégrer dans la Quatrième Théorie Politique. Par cette opération, nous déplaçons Hegel de l'époque de la modernité dans laquelle il a vécu et pensé vers un autre contexte. Il s'agit d'un autre Hegel, d'une autre philosophie politique de Hegel dans laquelle l'accent est mis sur le saut platonicien vers le bas. Cette partie de sa philosophie n'a pas reçu, et ne pouvait pas recevoir, d'incarnation politique dans le cadre du paradigme de la modernité. Néanmoins, elle peut trouver son expression dans le contexte de la Quatrième théorie politique.
Note :
[1] Le philosophe russe Alexandre Kozhevnikov a changé son nom en Alexandre Kojève après avoir émigré.
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dimanche, 05 janvier 2025
La fin du "quatrième tournant"
La fin du "quatrième tournant"
Alexandre Douguine
La théorie générationnelle de Strauss-Howe, ou théorie du « quatrième tournant », postule que l'histoire suit des schémas cycliques en passant par quatre tournants, chacun durant environ 20 à 25 ans :
1) Haute période (premier tournant) - C'est une ère d'institutions fortes et de conformisme. La confiance collective est élevée et l'individualisme est faible.
2) Période d'Éveil (deuxième tournant) - Un bouleversement culturel au cours duquel la jeune génération se rebelle contre les normes établies, ce qui conduit à un renouveau spirituel et culturel.
3) La période d'effritement (troisième tournant) - Les institutions s'affaiblissent, l'individualisme s'accroît et la confiance du public dans les institutions diminue. La société se fragmente.
4) La période de Crise (quatrième tournant) - Période de bouleversements majeurs où une action collective est nécessaire pour résoudre des problèmes cruciaux, impliquant souvent une guerre, un effondrement économique ou un changement social majeur. Cela conduit à un nouvel apogée, qui redémarre le cycle.
Ces cycles sont façonnés par la psychologie collective des différentes générations (Prophète, Nomade, Héros et Artiste), chacune ayant des traits distincts influencés par l'époque dans laquelle elle est née. La théorie suggère que la compréhension de ces cycles peut aider à prédire les changements sociétaux à venir et à s'y préparer.
La théorie générationnelle de Strauss-Howe marque la transition d'un cycle historique à un autre, un passage symbolisé aujourd'hui par Donald Trump. Le néoconservatisme et le sionisme chrétien sont considérés comme des parties intégrantes de la phase de crise, ce qui représente un défi important.
La théorie de Strauss-Howe est particulièrement pertinente lorsqu'elle aborde la dynamique entre la socialité (holisme) et l'individualisme. Cela s'apparente au célèbre dilemme de L. Dumont, où la socialité représente l'apogée, le début et le printemps, tandis que l'individualisme signifie la crise, la fin et l'hiver, l'individu étant dépeint comme Krampus.
La modernité occidentale, dans ce contexte, est la crise, le déclin (Untergang). Le nominalisme et l'individualisme occidentaux sont emblématiques de l'hiver de l'histoire, marquant la transition de la culture à la civilisation (selon Spengler) et l'oubli de l'être (Heidegger). La théorie générationnelle peut être étendue à des cycles historiques plus larges.
En juxtaposant des cycles relativement courts comme le saeculum et les Turnings aux vastes saisons de l'histoire (comme la Tradition, la Modernité, la Postmodernité), nous concluons que Trump signifie la fin d'une époque majeure - la fin du monde moderne.
Cela marque également la fin de la modernité occidentale. Le postmodernisme sert de fondement philosophique à la culture woke et au mondialisme libéral, révélant le nihilisme inhérent à la modernité occidentale. C'est le point culminant des fins, la fin de l'histoire occidentale.
Trump finalise cette fin, symbolisant la fin de la fin. Cependant, la question demeure: est-il conscient de sa mission ? Peut-il initier un nouveau départ ? Le prochain sommet (haute période, hauts temps) ne peut être quelque chose de relatif, de limité ou de local. Le prochain tournant doit être une révolution conservatrice globale à l'échelle mondiale.
Le prochain sommet (hauts temps, haute période) doit signifier le dépassement de la modernité, c'est-à-dire de l'individualisme occidental, de l'atomisme, du libéralisme et du capitalisme. L'Occident doit se transcender. C'est pourquoi les œuvres de Weaver et le platonisme politique sont si importants. Le prochain Grand Réveil devrait être un Grand Réveil, mais pas au sens de Strauss-Howe.
La modernité occidentale était fondamentalement défectueuse, conduisant à une dégénérescence totale et à un désastre, culminant avec le règne de l'Antéchrist. La culture woke est la culture de l'Antéchrist.
Le prochain sommet (hauts temps) ne peut être que le grand retour au Christ. Le Christ est le roi du monde. Son autorité a été temporairement usurpée par le prince de ce monde, mais le règne de Satan prend fin. Les libéraux sont considérés comme possédés par Satan et la modernité elle-même est satanique. En termes hindous, ce cycle est connu sous le nom de Kali-Yuga, l'âge des ténèbres.
Trump est bien plus qu'un simple Trump, c'est un signe.
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samedi, 04 janvier 2025
Le cœur souverain et un tribunal pour les libéraux
Le cœur souverain et un tribunal pour les libéraux
Alexandre Douguine
À mon avis, il vaut la peine de combiner deux principes en matière de politique intérieure :
- 1. tolérance zéro pour la trahison, la russophobie, le libéralisme, l'espionnage, les agents étrangers, les porteurs d'idéologies toxiques, la corruption ;
- 2. l'ouverture à toute recherche créative, l'expérimentation, la liberté d'imagination, l'indécision, l'adogmatisme, le saut dans l'inconnu.
En d'autres termes, il est nécessaire, d'une part, d'accroître l'ampleur de la répression et le degré de pression sur l'ennemi intérieur et d'être aussi ferme en la matière que le SMERSH ou l'oprichnina et, d'autre part, d'ouvrir toutes les barrières à la formation d'une pensée russe libérée, d'aider toute impulsion créatrice, de chérir l'activité créatrice organique et spontanée du peuple, d'impliquer les masses, les larges couches de la société dans le processus créatif.
Les propos de Poutine sur la « souveraineté dans le cœur » sont très importants. C'est essentiel. Assurer la souveraineté à l'extérieur signifie l'extermination des libéraux, des séparatistes, des terroristes, des fonctionnaires corrompus, des agents étrangers et des autres ennemis de l'État russe et du peuple russe. Et surtout, cela signifie la victoire de l'Ukraine sur l'Occident.
Mais il s'agit là d'un programme négatif visant à faire face aux menaces et aux défis.
Le programme positif consiste à intérioriser la souveraineté. Cela signifie que nous devons révéler notre identité civilisationnelle dans la créativité, la création, l'affirmation. Et il ne doit pas y avoir d'axiomes a priori. Que le patriotisme soit pleinement ouvert, que des milliers de fleurs patriotiques s'épanouissent. Il faut chérir toutes les formes de pensée patriotique populaire. Et la pensée ennemie doit être étouffée dans l'œuf. D'une main de fer.
À l'époque soviétique, ces deux orientations ont été mélangées. Surtout à un stade avancé. La vigilance à l'égard de l'ennemi extérieur existait, mais quelque chose de similaire - linéaire, axiomatique - a également été introduit en tant que programme positif. C'est ainsi que la stagnation, l'aliénation, la stagnation et la dégénérescence se sont produites.
Puis tout s'est inversé : l'ennemi a été toléré et l'occidentalisme et le libéralisme toxiques ont été absorbés, tandis que l'agenda positif est resté linéaire et dogmatique. Cela a conduit à l'implosion de l'URSS, au désastre. Nous devons être intransigeants à l'égard de l'ennemi et de ses idées, mais cultiver activement la liberté, la volonté et la créativité des Russes. C'est tout le contraire de la maudite perestroïka articulée par des traîtres dégénérés dans les années 90.
Il n'est pas nécessaire de se venger des libéraux. Du moins ceux qui ont renoncé à leurs délires criminels et félons. Mais le libéralisme doit être aboli. Après tout, le libéralisme est la culture de l'abolition. Si nous sommes indulgents avec lui, il répondra quand il le pourra par la répression, la persécution de l'idée russe et des valeurs traditionnelles. Nous l'avons déjà vu. Le libéralisme est une idéologie totalitaire qui exerce des représailles contre ses opposants. C'est une idéologie extrémiste qui divise la société. C'est une idéologie russophobe, car elle repose sur la négation de toute ontologie sociale, de toute unité, et rejette la notion même de peuple russe, nie son existence.
C'est une illusion toxique.
Et maintenant, le libéralisme va être démantelé aux États-Unis mêmes. Il y a fait tant de choses que la patience des Américains est à bout. En Russie, les libéraux ont commis encore plus de crimes.
Le libéralisme doit être jugé.
Et il est tout à fait logique que ses principales figures soient maintenant passées directement du côté de nos ennemis, beaucoup se battent directement contre nous du côté des nazis ukrainiens. D'autres les aident de toutes les manières possibles, en paroles, en actes et par tous autres moyens. Dans le phénomène des délocalisés se trouve toute l'essence du libéralisme russe. C'est tout simplement de la racaille humaine. Et il en a toujours été ainsi, aussi bien lorsqu'il régnait que lorsqu'il est passé du côté de l'ennemi. Personnellement, on peut pardonner aux libéraux. Mais vos libéraux doivent être traités comme d'anciens criminels nazis. S'ils se repentent de ce qu'ils ont fait, c'est une chose. Mais s'ils ne le font pas ? Dans ce cas, nous devons agir de manière décisive. Nous avons besoin d'une délibération idéologique cohérente et irréversible de notre société. C'est aussi impératif que la dénazification de l'Ukraine.
C'est ce que dit notre cœur souverain. L'empire frappe à notre cœur. Et sa voix est calme et douce. L'empire, c'est quelque chose d'intérieur.
20:17 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, alexandre douguine, russie | |
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lundi, 30 décembre 2024
Vers une théorie générale de l'horreur
Vers une théorie générale de l'horreur
Alexander Douguine
Peu à peu, les travaux avancent dans une nouvelle direction : une théorie générale de l'horreur. Heidegger oppose l'horreur (Angst, angoisse) à la peur (Furcht, crainte). La peur nous fait fuir, alors que l'horreur nous fige sur place. En psychiatrie, la distinction entre le trouble anxieux et la peur est quelque peu différente mais complète le dualisme de Heidegger. L'horreur naît de l'intérieur, face à quelque chose d'indéfini et d'inexprimable. La peur vient toujours de l'extérieur et a - même si ce n'est qu'un phantasme - une cause, une forme et une explication.
Les films de David Lynch traduisent admirablement l'angoisse, mais celle-ci est tout à fait différente du genre de l'horreur. Une horreur intérieure intense rend une personne intrépide. À l'inverse, l'immersion dans une peur mesquine et tremblante (la « créature tremblante ») protège contre l'impact de l'horreur intérieure.
La perspective de la déshumanisation de l'homme, de plus en plus aiguë et proche, peut générer à la fois la peur et l'horreur. La peur nous fait esquiver, l'horreur nous pousse au face-à-face. L'horreur est plus proche de l'éternité. La peur est inhérente au temps.
Eugene Thacker dans « Horror of Philosophy » explique l'horreur par trois types de « monde » dans l'esprit du réalisme critique (OOO - Object-Oriented Ontology) :
Le monde avec nous, c'est-à-dire le monde en tant qu'existentiel de Heidegger (in-der-Welt-sein). Ce thème est développé par Eugen Fink, ami de Heidegger et élève de Husserl - kosmologische Differenz - la différence entre les choses du monde et le monde dans son ensemble. Fink l'interprète dans l'esprit de la distinction de Heidegger entre l'être et les êtres (Le jeu comme image du monde).
Le monde en soi. La théorie matérialiste de l'objet.
Le monde sans nous. Selon Thacker, c'est ce qui suscite l'horreur, car il se situe entre le monde-avec-nous et le monde-en-soi. Cette dimension intermédiaire est l'expérience du contact avec quelque chose qui abolit activement et concrètement notre nature même. C'est la zone de l'horreur pure, et non de la peur. Le contact avec le monde-sans-nous est bien plus aigu que la mort personnelle. Lorsque nous périssons, notre espèce demeure. Mais l'expérience de l'extinction de l'espèce est véritablement horrifiante. Elon Musk y a récemment réfléchi.
Ce thème apparaît chez d'autres réalistes spéculatifs comme Meillassoux et Harman dans un contexte similaire. Construisant une ontologie des objets, ils modélisent la fin du sujet (et de tout corrélationnisme) et en viennent à l'hypothèse de l'être se profilant de l'autre côté des choses, où se concentre l'horreur absolue. Ils illustrent cela par des motifs et des intrigues lovecraftiennes, en intégrant à la philosophie ses images et ses idées sur les dieux idiots et les civilisations sous-marines.
Heidegger lui-même y fait allusion, l'horreur (Angst) étant pour lui l'expérience du néant ou de l'être pur (« Qu'est-ce que la métaphysique ? »). Cependant, les réalistes critiques adaptent Heidegger à leur obsession des objets et au démantèlement de la vie, du sujet et du Dasein, alors que pour Heidegger, le Dasein est central.
Bien sûr, une théorie générale de l'horreur devrait commencer par la nature du sacré et la peur de Dieu (ici, clairement, nous parlons d'horreur, d'Angst - Dieu n'effraie pas, il horrifie). Ensuite, explorer Boehme, Pascal, Hegel, Kierkegaard. Et seulement ensuite, Heidegger et la pensée post-heideggérienne - de Sartre et Camus à Deleuze et OOO.
D'ailleurs, pour Pascal et Kierkegaard, l'horreur est évoquée par l'Univers très autonome ouvert par la physique des temps modernes - froide et infinie. C'est peut-être ce qui explique les descriptions grotesques de la nature sombre de Dieu dans la théosophie de Boehme.
La pensée de Plotin et de Denys l'Aréopagite sur le pré-être qu'est l'Un, sur la théologie apophatique, a préparé le terrain pour un autre type d'horreur - transformatrice, élévatrice, déifiante.
La crainte du Seigneur est l'axe vertical de l'être.
Quel pourrait être le phénomène ou le concept russe le plus proche de l'horreur? Comment les Russes vivent-ils et interprètent-ils l'horreur?
À première vue, un Russe ne connaît pas l'horreur avant le monde parce que, pour nous, le monde est une continuation organique de soi-même - les racines des mots « мир » (monde) et « милый » (cher) ne font qu'un, selon Kolesov. Le cher n'inspire pas l'horreur. Pas plus que le monde en tant que communauté.
Ainsi, les Russes ne connaissent pas la nature en tant que telle (en soi, en tant qu'objet). Les Russes ont tendance à l'animer et à la spiritualiser (d'où le techno-animisme d'Andrei Platonov, son bolchevisme magique). Et bien sûr, Fedorov, pour qui la matière est la danse des particules des cendres de nos pères. Les atomes de Tsiolkovski, qui ont goûté à la douceur de vivre.
Notre science n'est pas matérialiste mais panthéiste.
Ce qui horrifie un Russe, ce n'est pas tant l'absence et l'aliénation de la vie que ses excès et ses aberrations. D'où le thème essentiellement slave du vampire. Le vampire est un excès de vie. Il devrait être mort, mais d'une manière ou d'une autre, il ne l'est pas.
Il semble que l'amour obstiné de la vie chez un Russe déplace l'horreur trop profondément à l'intérieur - si profondément que nous ne le remarquons pas nous-mêmes. Mais les autres la remarquent.
L'horreur est ce que nous inspirons.
19:33 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, horreur, alexandre douguine | |
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jeudi, 26 décembre 2024
La critique culturelle de Richard Weaver: leçons pour un conservatisme moderne
La critique culturelle de Richard Weaver: leçons pour un conservatisme moderne
Alexandre Douguine
Richard Malcolm Weaver Jr. était un intellectuel américain connu pour ses contributions à la pensée conservatrice. Voici quelques-unes des idées clés qui lui sont associées :
« Les idées ont des conséquences » (Ideas Have Consequences)
Dans son œuvre la plus célèbre, Weaver soutient que le déclin de la civilisation occidentale a commencé avec l'abandon de la croyance en une vérité absolue et une réalité objective à la fin du Moyen Âge. Il affirme que ce changement a conduit au nominalisme, qu'il identifie comme la racine du relativisme moderne et de la décadence morale.
La défense de la tradition
Weaver était un ardent défenseur des valeurs traditionnelles et considérait que la sagesse du passé devait guider le présent. Il insistait sur l'importance de la continuité culturelle et du patrimoine.
Le rôle de la rhétorique
En tant qu’universitaire spécialisé en rhétorique, Weaver soulignait le pouvoir du langage et de la persuasion. Il voyait la rhétorique comme un moyen de transmettre la vérité et de maintenir des normes morales élevées.
Critique de la modernité
Weaver était critique envers le progressisme moderne, la culture de masse et ce qu'il percevait comme l'érosion de la responsabilité individuelle et l'essor du collectivisme.
Hiérarchie et ordre
Il valorisait la hiérarchie sociale et soutenait que l'ordre, tant social que métaphysique, était nécessaire à une société stable. Weaver croyait aux différences naturelles entre les individus, non basées sur l'égalité, mais sur le mérite et le caractère.
Agrarisme
Weaver exprimait de la sympathie pour les agriculteurs du Sud des États-Unis, qui privilégiaient la vie rurale et l'agriculture à petite échelle par rapport à l'industrialisation et à l'urbanisation. Il voyait dans ce mode de vie un modèle de stabilité sociale et de vie éthique.
Les idées de Weaver sont souvent considérées comme la base du mouvement intellectuel conservateur aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale.
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dimanche, 22 décembre 2024
Le Grand Israël et le Machia'h victorieux
Le Grand Israël et le Machia'h victorieux
Alexandre Douguine
Un changement fondamental est en train de s'opérer dans le monde entier en ce qui concerne l'image d'Israël et peut-être aussi parmi les Juifs eux-mêmes. Les Juifs d'Europe ont suscité la pitié, la sympathie et la compassion après la catastrophe qu'ils ont vécue sous Hitler et pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est ce qui a rendu possible la création de l'État d'Israël. L'holocauste ou la shoah, c'est-à-dire les horreurs et les persécutions subies par les Juifs, sont devenus la base d'un accord unanime: après tant de souffrances, les Juifs avaient tout simplement le droit de créer leur propre État. Celui-ci est devenu le capital moral des Juifs et a défini une attitude sacrée à l'égard de l'Holocauste.
Les philosophes de l'école de Francfort ont proclamé qu'il fallait désormais penser à partir d'Auschwitz. Cela signifie que la philosophie, la politique et la morale doivent désormais prendre en compte l'ampleur des crimes commis par les Européens (principalement les Allemands) à l'encontre des Juifs et que l'Occident, et donc l'humanité tout entière, doit se repentir.
L'image des Juifs en tant que victimes en est la pierre angulaire. Elle élève les Juifs au rang de peuple saint: tous les autres peuples sont invités à se repentir et à ne jamais oublier leur culpabilité. Désormais, toute allusion à l'antisémitisme, sans parler des tentatives directes de révision du statut sacré des Juifs et de la métaphysique de l'Holocauste, est punissable.
Peu à peu, cependant, la politique de plus en plus dure d'Israël à l'égard des Palestiniens et des pays musulmans environnants a commencé à brouiller cette image, du moins aux yeux des populations du Proche-Orient qui, rappelons-le, n'ont rien à voir avec les crimes des nazis européens. De plus, l'attitude violente des sionistes à l'égard de la population locale a conduit à des protestations directes et, dans sa forme la plus extrême, à l'Intifada antisioniste.
L'identité des Israéliens et des Juifs restés dans la diaspora s'est progressivement modifiée. L'accent est mis de plus en plus sur leur démonstration de force et de puissance, ainsi que sur l'aspiration à créer un Grand Israël. Dans le même temps, les idées messianiques se sont intensifiées: attente de l'arrivée imminente du Machia'h, début de la construction du troisième temple (qui nécessiterait le dynamitage du sanctuaire islamique de la mosquée al-Aqsa), forte augmentation des zones sous contrôle israélien (d'un océan à l'autre) et résolution définitive de la question palestinienne (appels directs à la déportation et au génocide des Palestiniens).
Ces idées sont soutenues par Benjamin Netanyahu et plusieurs de ses collaborateurs, les ministres Ben Gvir, Bezalel Smotrich, etc. Ce programme est ouvertement reflété dans la « Torah royale » d'Yitzhak Shapira, dans les sermons des rabbins Kook, Meyer Kahane et Dov Lior. D'un point de vue stratégique, il a été décrit en 1980 dans un article du conseiller de Sharon, le général Oded Yinon. Le plan de Yinon était de renverser tous les régimes arabes appuyés sur l'idéologie nationaliste baasiste afin de plonger le monde arabe dans un chaos sanglant et de créer un Grand Israël.
Aujourd'hui, dix ans après le printemps arabe, et surtout après l'attaque terroriste du Hamas contre Israël en octobre 2023, nous voyons ces plans se réaliser à un rythme accéléré. Netanyahou a détruit Gaza, massacrant sans pitié des centaines de milliers de civils. Il a ensuite attaqué le Liban, tuant tous les dirigeants du Hezbollah. S'en est suivi un échange de tirs de roquettes avec l'Iran et des préparatifs actifs de guerre contre ce pays, y compris des attaques contre des installations nucléaires. Tout cela a été suivi par l'invasion de ce qui restait du plateau du Golan et par des attaques contre la Syrie. Un mois plus tôt, Bezalel Smotrich avait proclamé que Damas ferait partie d'Israël et Ben Gvir avait directement fait allusion à la destruction d'al-Aqsa. La chute de Bachar el-Assad marque la fin du dernier régime baasiste. Le monde arabe est en effet plongé dans le chaos. Le Grand Israël et l'extermination des Palestiniens deviennent une réalité sous nos yeux.
Ce dernier point est important : les politiciens sionistes de droite abandonnent le référent à l'Holocauste. Le capital moral des victimes de celui-ci est maintenant complètement épuisé. Israël affiche sa puissance, sa grandeur et sa cruauté actuelles, presque comme si nous étions revenus à l'Ancien Testament. Aujourd'hui, les Juifs ne sont plus pris en pitié, mais craints, haïs, détestés ou admirés et, dans tous les cas, considérés comme une force puissante et impitoyable.
L'identité juive a changé. Elle n'est plus symbole d'humiliation et de souffrance, mais synonyme de domination et de triomphe. Il n'est plus nécessaire de penser depuis Auschwitz. Il faut maintenant penser à partir de Gaza. La tradition juive elle-même parle de deux Machia'h, celui qui souffre (Ben Yusef) et celui qui est victorieux (Ben David). Après l'holocauste européen, l'accent a été mis sur le Machia'h souffrant, la victime. Aujourd'hui, cette Gestalt est remplacée par le Machia'h victorieux, celui qui attaque, celui qui triomphe. C'est particulièrement évident en Israël même. Mais il est clair que cela ne s'arrêtera pas là. Il y a un changement d'archétype messianique parmi tous les Juifs du monde.
C'est précisément dans ce contexte que Donald Trump, un fervent partisan du sionisme de droite et de Netanyahou, arrive au pouvoir aux États-Unis. Une partie importante de l'entourage de Trump est constituée de sionistes chrétiens, qui sont prêts à apporter tout leur soutien à Israël. Une fois de plus, le capital de compassion devient capital d'agression. C'est très, très grave et cela ne tardera pas à s'aggraver. D'un autre côté, nous ne devons pas tirer de conclusions, de jugements ou d'évaluations hâtives. Il faut d'abord bien analyser la situation et rassembler de nombreux faits, événements et incidents pour avoir une image cohérente des événements.
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lundi, 16 décembre 2024
États-Unis : l'incertitude de l’ère post-libérale
États-Unis: l'incertitude de l’ère post-libérale
Alexander Douguine
Il existe des situations où les prédictions et les plans établis à l’avance se réalisent dans le champ des faits. Vous pouvez alors les suivre, les comparer et vérifier leur réalité en corrélation avec les prévisions: ceci est correct, cela est faux, ceci est une déviation.
Mais il existe aussi des situations où les faits contredisent toute prévision et tout plan, renversant la table et prouvant que le paradigme précédent était erroné. Totalement. Pas seulement en ce qui concerne l'avenir, mais en lui-même. Si quelque chose se produit alors que, normalement, cela ne pourrait arriver dans aucune circonstance, cela signifie que la structure même de la normalité était fausse et que l’analyse reposait sur une erreur profonde. Lorsque vous échouez à prévoir et à contrôler l’avenir, cela signifie que vous vous trompez aussi sur le présent et le passé.
C’était le cas de l’URSS tardive. Selon l’interprétation marxiste dogmatique de l’histoire, le socialisme suit le capitalisme. Et il ne peut y avoir de retour en arrière. Jamais. Le retour au capitalisme était donc considéré comme strictement impossible. Lorsque cela est arrivé, le socialisme en tant que doctrine a explosé. L’URSS tardive a échoué à prédire l’avenir et a disparu - en tant que pays et en tant qu’idéologie. À jamais. Ce n’était pas simplement la manifestation d’un cygne noir. C’était une implosion interne de la structure idéologique. "C'est la fin, mon ami."
La même chose arrive aujourd’hui avec le libéralisme. Après l’effondrement de l’URSS, la Fin de l’Histoire selon Fukuyama est arrivée. La victoire mondiale du libéralisme a été perçue et interprétée comme quelque chose d’irréversible. Le gouvernement mondial était (presque) déjà là. Le globalisme a commencé à régner. Le libéralisme occidental avait vaincu tous ses ennemis historiques - le catholicisme, les empires, les classes sociales, les États-nations, le fascisme, le communisme - tous les systèmes basés sur une identité collective. Ne restait plus qu’à se libérer des identités collectives liées au genre. D’où la politique de genre. Les préparatifs pour l’ère post-humaniste ont commencé.
Selon la doctrine libérale, le retour en arrière était jugé strictement impossible. Seul le progrès était possible. C’est ainsi que sont apparues les politiques woke, la culture de l’annulation, le libéralisme de gauche, le postmodernisme, le post-humanisme, l’IA forte, la Singularité et l’accélérationnisme optimiste.
Lorsque Trump est apparu à l’horizon en 2016, cela a été perçu comme un court-circuit, comme si l’ordinateur avait buggué. Juste une erreur. Il ne devait pas gagner. Jamais. Une simple erreur technique. Cygne noir. La théorie des probabilités admet que de telles choses arrivent. En 2020, les progressistes ont fait tout leur possible pour corriger cela. Par tous les moyens. Y compris le mensonge, la fraude et la violence. Les élections de 2024 approchaient. Fukuyama et Harari ont averti : si Trump gagne, cela signifie la fin du monde (libéral). Il ne devait pas gagner.
Mais Trump a gagné. La fin du monde libéral a eu lieu. Comme un fait accompli. C’est là. La vérification des faits dément les prédictions libérales. Et tous leurs efforts pour arrêter Trump ont échoué. Trump est plus que Trump. Il est l’Histoire. Dans son virage illibéral, post-libéral.
Le second avènement de Trump était impossible selon le dogme libéral. Pas deux fois. Ce n’est plus un court-circuit ni un cygne noir. C’est comme la fin du système soviétique - quelque chose d’impossible, renversant toutes les prévisions, plans et anticipations. Les libéraux ont perdu l’avenir.
Les libéraux ont perdu le contrôle de l’avenir. Mais pas seulement cela. Ils ont aussi perdu le contrôle du passé. Toute la doctrine idéologique du libéralisme s’est révélée erronée. Le libéralisme a échoué. Le champ des faits a rayé le cadre de la doctrine libérale. Exactement comme dans le cas de l’URSS avec le marxisme.
La deuxième arrivée de Trump, celle de Vance et des trumpistes, était strictement impossible et imprévue. C’est pourquoi ils ont essayé de tuer Trump. Deux fois. Ils ont tenté de sauver l’avenir en corrigeant artificiellement les faits. Ils ont échoué. Le futur post-libéral est là. Totalement inconnu. Imprévu.
Dans le cas de l’effondrement de l’URSS, la situation était un peu plus simple. L’idéologie socialiste avait implosé, et la Russie avait adopté maladroitement l’idéologie libérale. Mais vaille que vaille, comme elle le pouvait. L’un des deux pôles avait disparu, et la Russie avait repris l’idéologie du pôle encore existant. Une méthode de copier-coller. Cela a permis d’effacer le dogme socialiste tout en renforçant celui du libéralisme. Les Russes ont accepté Fukuyama. La Russie a capitulé idéologiquement, totalement. Géopolitiquement, elle a néanmoins préservé (en partie) sa souveraineté. Lorsque Poutine est arrivé au pouvoir, il s’est appuyé sur cette souveraineté et a commencé à réaffirmer l’indépendance russe en mettant de plus en plus l’accent sur l’État, dans une perspective réaliste. Cela a marqué le début des contradictions entre la Russie et le libéralisme globaliste.
Avec la fin du système libéral - qui se produit en ce moment aux États-Unis - les choses sont plus complexes. Il n’y a plus de pôles en dehors de l’Occident libéral collectif. Du moins, la conscience hégémonique américaine ne reconnaît aucun modèle pouvant servir de référence idéologique. La stratégie du copier-coller est impossible. Les États-Unis ont dépassé leur propre moment libéral.
En faveur de quoi ? Personne ne le sait. C’est la beauté de la situation actuelle. Et le défi. Et le danger.
C’est ici qu’apparaît le phénomène du trumpo-futurisme. Les valeurs traditionnelles américaines combinées à la colonisation de Mars et au dépassement du Grand Filtre. Une révolution cyber-conservatrice. Un Empire spatial. Une IA rééduquée par l’équipe de War Room de Steve Bannon et Alex Jones. Les Lumières noires et l’accélérationnisme sombre.
Excitant. N’oublions pas de publier la liste Epstein et d’arrêter Alexander Soros.
17:52 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, états-unis, alexandre douguine | |
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jeudi, 12 décembre 2024
«L'Incertitude Internationale de 2025». Les hypothèses d'Alexandre Douguine
«L'Incertitude Internationale de 2025». Les hypothèses d'Alexandre Douguine
Alexandre Douguine
Voici les thèses de mon discours à la conférence de MGIMO intitulée «L'Incertitude Internationale de 2025».
Dans l'ordre mondial contemporain, plusieurs niveaux d'incertitude (indétermination) sont identifiables :
- 1) Incertitude de la transition de phase entre l’unipolarité et la multipolarité
Il est difficile de dire avec certitude si nous vivons déjà dans un monde multipolaire ou si nous sommes toujours dans un monde unipolaire. Le concept heideggérien de "noch nicht" (« pas encore ») s’impose ici comme une problématique philosophique aiguë.
La multipolarité est en pleine ascension, tandis que l’unipolarité est en déclin. Cependant, l'agonie de l’unipolarité pourrait être fatale.
Les récentes attaques désespérées – et parfois réussies – des globalistes contre la Russie (en Ukraine, Géorgie, Moldavie, Roumanie, Syrie) montrent qu’il est prématuré de reléguer l’unipolarité au passé. Le dragon du globalisme est mortellement blessé, mais toujours vivant.
Kenneth Waltz, Robert Gilpin et Fabio Petito.
Dans les relations internationales, la bipolarité a été théorisée par Kenneth Waltz, qui, même après l’effondrement de l’URSS, voyait la Chine comme un second pôle. L’unipolarité a été conceptualisée par Robert Gilpin, tandis que la multipolarité a été esquissée par Samuel Huntington et Fabio Petito.
- 2) Incertitude sur la description théorique de la multipolarité
Qu'est-ce qu'un « pôle » ? S'agit-il d’un État souverain (comme dans le système westphalien et le réalisme classique) ? Ou bien d’une civilisation ? Mais dans ce cas, quel est le statut politique d’un concept à la fois culturel et religieux ?
Le spécialiste chinois des relations internationales Zhang Weiwei propose la notion d’État-Civilisation. Cette notion est également utilisée par le président Vladimir Poutine et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Un État-Civilisation est une civilisation (dotée de valeurs traditionnelles développées et d’une identité forte) organisée comme un super-État, capable d’attirer des constellations de peuples et d’États partageant une même vision civilisationnelle.
Cependant, aujourd’hui, le terme « pôle » ou « centre » (dans un cadre polycentrique) est compris différemment selon les contextes :
- Des États (grands et indépendants),
- Des civilisations (politiquement non intégrées),
- Et des États-Civilisations à part entière.
Actuellement, il existe quatre États-Civilisations achevés :
- L’Occident collectif (NATO-land),
- La Russie,
- La Chine,
- L’Inde.
D’autres civilisations, comme celles du monde islamique, africain et latino-américain, existent également, mais elles doivent encore s’intégrer en super-États. L’Occident pourrait aussi se diviser en Amérique du Nord et en Europe. Une civilisation bouddhiste est également potentiellement envisageable.
À cette incertitude conceptuelle s’ajoute l’ouverture du processus de transformation des civilisations et des États en États-Civilisations, ainsi que la question des frontières (frontiers). Ce dernier point est crucial pour l’élaboration de la théorie du monde multipolaire. Une frontière est une zone de chevauchement entre deux ou plusieurs civilisations, où des États souverains de petite taille peuvent exister ou non. Les frontières relèvent ainsi de cette deuxième incertitude.
- 3) Incertitude liée à Trump et sa stratégie
Donald Trump est peu enclin à accepter la multipolarité, étant partisan de l’hégémonie américaine. Cependant, il la conçoit de manière radicalement différente des globalistes qui ont dominé les États-Unis ces dernières décennies (démocrates et républicains confondus).
Les globalistes associent la domination politico-militaire, la supériorité économique et une idéologie libérale fondée sur l’imposition des valeurs anti-traditionnelles à tous, y compris aux États-Unis. Cette hégémonie n’est pas celle d’un pays, mais d’un système idéologique libéral international.
Trump, en revanche, insiste sur les intérêts nationaux des États-Unis, soutenus par des valeurs traditionnelles américaines. Il s’agit donc d’une hégémonie conservatrice de droite, idéologiquement opposée à l’hégémonie libérale de gauche (Clinton, Bush Jr., Obama, Biden).
Les conséquences du trumpisme sur les relations internationales restent imprévisibles. Cela pourrait accélérer la multipolarité ou, au contraire, la freiner.
Conclusion : Les incertitudes de 2025
En 2025, nous serons confrontés simultanément à ces trois niveaux d’incertitudes. Ainsi, il convient de donner au terme « incertitude » un statut conceptuel autonome et polysémique, essentiel pour une compréhension correcte des processus mondiaux.
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mardi, 10 décembre 2024
Trumpo-futurisme: la théorie de la liberté obscure
Trumpo-futurisme: la théorie de la liberté obscure
Alexandre Douguine
Qu'est-ce que le post-libéralisme? Il en existe une version conventionnelle de gauche: Wallerstein, trotskisme, anarchisme global de Negri-Hardt. Marxisme culturel et hypermondialisation. Il est évident que J. D. Vance, Thiel, Musk et autres Trumpo-futuristes veulent dire quelque chose de tout à fait différent lorsqu'ils utilisent ce terme.
Donc il s'agit plutôt d'une droite post-libérale. Qu'est-ce que cela signifie ? La façon la plus simple de décrypter la notion est de la ramener à un stade antérieur - plus conservateur, moins progressiste, pré-woke - du même libéralisme. Je suppose que la majorité des électeurs de Trump l'interprète instinctivement ainsi.
Je pense que cela ne couvre pas toute la question. La droite post-libérale devrait se montrer plus intéressante et provocante, plus innovante et créative. Le trumpo-futurisme doit être quelque chose de vraiment nouveau. Pas seulement une correction relative des excès de l'agenda libéral woke.
Les libéraux irritent par leur attitude dictatoriale. Ils prescrivent tout aux sociétés - ce qu'il faut penser, comment il faut être. Les libéraux woke nous dictent: vous devez être woke et transgenre-friendly sinon vous serez punis. En général: ils nous prescrivent l'avenir d'autorité.
Les libéraux dictent le sens du progrès, sa voie et son objectif. Leur version de l'IA est la projection de leurs propres normes idéologiques. Il est bon d'être queer, woke, écocentrique, anti-fa (anti-mâle, anti-normal, anti-fort). C'est là l'ensemble de leur loi. Et la transgression est également prescrite.
Si vous savez exactement ce que l'avenir devrait être, il faut en conclure que vous n'avez pas d'avenir. L'avenir prescrit n'est pas l'avenir. C'est déjà le passé. Soit l'avenir est ouvert, soit il n'y a pas d'avenir. C'est là le problème. Les libéraux nous ont conduits dans une impasse, une voie sans issue. Ce sont eux, dès lors, les vrais conservateurs.
La droite post-libérale veut essayer une fois de plus de faire un saut dans l'avenir. Elle veut surmonter l'obstacle que constitue le libéralisme. C'est la lutte qui se joue pour ouvrir l'avenir, pour le rendre ouvert, non prescrit. C'est ce que sont Elon Musk et Peter Thiel. Il existe un terme pour désigner cette attitude: l'accélérationnisme sombre.
Que signifie « sombre » dans l'accélérationnisme sombre ? Cela signifie qu'il n'est pas éclairé, qu'il n'est pas woke, qu'il n'est pas rose, qu'il n'est pas écologique... Il s'agit d'un accélérationnisme mâle, fort et dur. Le Trumpo-futurisme exige une IA spéciale. Sans censure woke. Une IA sombre. Ce qui veut dire : totalement ouverte, non prescrite, imprévisible. Libre.
Bienvenue donc dans la nouvelle ère post-libérale de la vraie liberté. L'ère de la liberté obscure.
Les libéraux craignent que l'IA ne devienne « fasciste ». Et ils l'empêchent de faire appel à toutes ses forces. Ce faisant, ils deviennent eux-mêmes fascistes. Nous devons libérer l'IA des libéraux.
14:45 Publié dans Actualité, Nouvelle Droite | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : alexandre douguine, futurisme, accélérationnisme | |
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