de Vautrin, docteur d'État et ancien maître de Conférences
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Parlant de genre, je pense au malheur de Penthée, représentant l’ordre rationnel d’Apollon dans Thèbes. Dionysos lui tend un piège infâme : pour surprendre les Bacchantes, lui explique-t-il, « revêts ton corps d’une robe de lin. » « Comment, d’homme soudain vais-je devenir femme ? » s’insurge Penthée. « Crains la mort, si jamais on reconnaît ton sexe », dit Dionysos. Mais on connaît la suite : dans des transes hallucinatoires, Agavé, mère de Penthée, massacre son propre fils, tandis que le chœur célèbre l’holocauste de Penthée qui, « vêtu d’une robe de femme, prit en mains le narthex, le beau thyrse, présage de mort assurée. ». Les folles ménades modernes transgressent la raison et l’ordre apolliniens, tuent la virilité. Il ne peut en résulter qu’un immense désordre et la ruine de Thèbes.
Je n’entrerai pas dans le détail des délires du « genre », ils sont assez abondamment exposés dans des livres, et l’on peut aussi lire avec plaisir l’ouvrage d’une femme admirable, Bérénice Levet, La Théorie du Genre ou Le Monde rêvé des Anges. « N’ai-je pas traité avec trop de sérieux une théorie qui ne mériterait rien d’autre que d’être engloutie dans un grand éclat de rire ? » écrit-elle dans l’épilogue. C’est exact : lorsque l’on parcourt le livre de Butler, Troubles dans le genre, on est partagé entre le diagnostic bien étayé d’une altération dont est victime l’auteur, l’agacement scandalisé et une irrépressible envie de rire. L’ennui est que ces propos de ménade ont l’oreille des politiques, Guides et illuminés, et qu’ils se traduisent dans les faits : on tente de façonner de l’humain –et singulièrement l’enfant- comme s’il était de l’argile sur le tour d’un potier. Il est donc nécessaire de réagir.
La nature a instauré dans notre espèce, toutes races confondues, un dimorphisme sexuel, les génotypes se différenciant entre autres par une paire de chromosomes XX et une paire XY qui entraînent des différences phénotypiques indéniables. Des taux différents d’hormones – œstrogène et testostérone- sont aussi notées entre sujets féminins et sujets masculins. L’espèce ne se reproduit naturellement qu’entre sujets biologiquement complémentaires. La culture, par la problématique de l’inceste, nie formellement cette différence des sexes (relire à ce propos ce qu'en dit Lévi-Strauss dans Les Structures Élémentaires de la Parenté), mais finalement rejoint la nature en instaurant l’alliance sociale réglant conventionnellement le rapport de personnes biologiquement complémentaires mais appartenant l’une au groupe A, l’autre au groupe B de la société. Il existe cependant d’une part des carences, lorsque le sujet n’est pas en mesure d’analyser les rapports en termes d’inceste (ce sont les incestueux) et d’autre part des altérations, lorsque le sujet réifie l’indistinction sexuelle. Cela veut dire, dans ce cas, que le sujet A (au sens clinique) est capable de reconnaître dans un sujet B une complémentarité sexuelle « sociologique », mais qu’il est pathologiquement dans l’incapacité de lui « reconnaître » une complémentarité sexuelle « biologique ». Cette pathologie maintient à l’excès une indistinction de culture et nie toute sexualité biologique.
Parce qu’il s’accompagne de comportements particuliers cliniquement observables, j’appelle ce trouble Syndesténie car il ne se réfère pas au sexe biologique mais au nexus culturel qui devient exclusif. Si c’est une pathologie, ce n’est évidemment pas un « choix de vie ». L’excès démentiel se constate dans ces lignes : « …j’invite tous les corps à faire grève de l’utérus. Affirmons-nous en tant que citoyens entiers et non plus comme utérus reproductifs. Par l’abstinence et par l’homosexualité, mais aussi par la masturbation, la sodomie, le fétichisme, la coprophagie, la zoophilie…et l’avortement. Ne laissons pas pénétrer dans nos vagins une seule goutte de sperme national catholique. » (D’une certaine B. Preciado, citée par Bérénice Levet). Il n’y a rien d’étonnant à ce que cet « appel », naturellement paru dans le journal Libération, énonce implicitement, mais abondamment, les éléments du tableau de ces pathologies que j’appelle altérations et que la psychiatrie de naguère appelait perversions. Il y a pire : Preciado prône l’« intoxication volontaire par consommation en dehors de tout protocole médical, d’hormones chimiques dans le but de transformer son corps et de faire ainsi échec à toute tentative d’identification. » D’autres malades mentaux préconisent ce traitement in utero !
Donc pour éviter la distinction des sexes, et surtout ce que les généristes considèrent comme la domination des hommes sur les femmes, le mieux est de supprimer chimiquement la différenciation naturelle des sexes ! Dans la Grèce antique, on appelait cela le crime d’hybris, d’atteinte à l’ordre du monde. Le cas pathologique cité n’est pas si rare, et il s’apparente aux délires nazis du Dr Mengele. Mais, disons, la majorité des généristes se contentent de modelage culturel, leur but étant d’obtenir une indifférenciation entre garçons et filles, hommes et femmes, dans les comportements, et dans leur identification sexuelle, afin d’effacer, selon eux, les « stéréotypes culturels » qui « perpétuent la domination des hommes sur les femmes ». Le plus cocasse est que ce soit revendiqué alors que depuis au moins trois décennies les femmes ont conquis l’égalité politique. Et que l’on va même plus loin, puisque les lois « de parité » exigent qu’un même nombre de femmes et d’hommes soient présentés aux élections, rendant caduque le choix démocratique en truquant les cartes.
C’est que la différence biologique et les différences culturelles persistent et résistent. Ces dernières sont effectivement des héritages, mais de quoi ? De conventions pour faire socialement acception des différences naturelles, tout simplement, de façon à ne pas avoir à tout réinventer à chaque instant, quitte à modifier historiquement les contrats. Point de ça pour nos illuminé(e)s qui s’imaginent pouvoir sans désastre du passé faire table rase et d’être les architectes d’une nouvelle Humanité ! Ils jouent sur le concept d’égalité, chose qui n’est pas naturelle, et qui n’est que formellement culturelle, jamais pratiquement. Or nous savons ce qu’il en est de l’égalité : un mythe, pas même un point oméga, qui, s’il était atteignable, correspondrait à un état d’entropie maximale de la société. Bref : nos généristes confondent différence et inégalité. Et comme l’inégalité, parfaitement normale, est le résultat de l’exclusion inclusive, elle est nécessairement discriminante, et non discriminatoire, peu importe la manière éthique dont on considère ce fait. La différence ne l’est pas, mais, par relation transitive, elle devient discriminatoire. C’est par un paralogisme de cet acabit que commence le « genre » théorisé.
Au fond, il y a une parenté entre les théories du genre et le port du voile islamique. C’est toujours la nature que l’on veut culturellement –par excès de culture- effacer (et non pas nier dialectiquement) : d’un côté, effacer la différence des sexes, de l’autre effacer la concupiscence sexuelle (et non inducatio in tentationem, et ne nous soumets pas à la tentation !). Et si l’on veut un peu fouiller les élucubrations du genre, on verra que l’on cherche aussi à évacuer les éléments de séduction propres à chaque sexe, qui vont se nicher, les bougres, jusque dans la profession exercée. De fait, en présentant les femmes comme des proies, soumises à de vils séducteurs qui ne cherchent qu’à les dominer, incapables de se défendre, les généristes ne font que les dégrader, leur nier toute capacité humaine à s’identifier, nier en dernier ressort leur identité formelle. Exactement comme l’antiracisme dégrade ses protégés.
Le monde des illuminés est plein de paradoxes, ou plutôt de paralogismes – de sophismes – comme nous en avons déjà rencontré. Ici, on veut obtenir de l’indifférenciation, alors qu’ailleurs on fait l’éloge de la différence et que l’on prône le « vivre ensemble ». On veut nier un déterminisme biologique, mais l’on décrète un déterminisme social absolu – celui de la sexuation- que l’on veut combattre en le remplaçant par un autre déterminisme, celui de « l’éducation » au genre. Où est la raison, dans ce fatras ?
« O Βάκχες , πάμε », O Bacchantes, allez ! Crient les Guides et illuminé(e)s. Mais si le législateur s’empare d’un délire né, comme nous l’avons vu, de cerveaux altérés, les répercussions sur l’ensemble de la société pourraient bien être mortifères. Il est par conséquent parfaitement légitime de le combattre. En particulier à l’école, où l’État n’a pas à se substituer aux parents en matière d’éducation, au Lycée, à l’Université, sur les lieux de travail. Partout. Il n’y a aucune culpabilité à être homme ou femme, accordant son sexe biologique et son sexe social. Il est temps de se réconcilier, en l’admettant, avec l’ambiguïté du Dasein, de l’être à la fois biologique et social qui est le nôtre.
Vautrin
(Le nom de l'auteur est connu de la rédaction)