Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 04 janvier 2017

1944 : le corps expéditionnaire brésilien en Italie

feb3.jpg

Erich Körner-Lakatos :

1944 : le corps expéditionnaire brésilien en Italie

Plusieurs congrès panaméricains ont eu lieu dans les années 1939 et 1940. Les négociateurs se sont mis d’accord pour respecter le principe de la « solidarité hémisphérique », laquelle consistait en une nouvelle doctrine de Monroe, assortie de l’interdiction de toute menée belliqueuse dans une zone de 300 miles autour du Nouveau Monde. Toute attaque perpétrée par un Etat non américain contre un pays de l’hémisphère occidental serait considérée comme une attaque contre l’ensemble des Etats signataires.

feb.jpgDans la nuit du 22 août 1942, les torpilles d’un sous-marin allemand envoient au fond de la mer cinq vapeurs brésiliens patrouillant le long des côtes. Il y a 610 morts. Quelques heures après ce terrible incident, le Brésil déclare la guerre à l’Allemagne et à l’Italie. Le parallèle avec la première guerre mondiale saute aux yeux. A cette époque-là, en 1917, le torpillage de navires civils, dont le navire amiral de la flotte commerciale brésilienne, le Paranà, par des sous-marins de Guillaume II, fut aussi considéré comme un casus belli par le Brésil.

En déclarant la guerre aux puissances de l’Axe Rome-Berlin, le plus grand Etat d’Amérique latine met un terme à sa politique de neutralité. Dans le fond, le Président brésilien Getùlio Vargas préfèrerait garder son pays hors du conflit. Depuis des mois, cet excellent tacticien évite de faire le jeu des Etats-Unis et fait monter les enchères pour monnayer sa participation à la guerre.

Au Brésil, à l’époque, il y a beaucoup de sympathisants de l’Axe : le chef de l’état-major général, Goes Monteiro et une bonne part du corps des officiers refusent toute participation à la guerre mondiale. Le ministre de la guerre Enrico Gaspar Dutra rejette la proposition américaine de construire des bases sur le territoire brésilien. Dutra parle un langage sans ambigüités : « Si Washington débarque des troupes sans en avoir reçu l’autorisation préalable, les militaires brésiliens ouvriront le feu ».

Vargas, habile tacticien, donne à réfléchir à ses généraux : si le Brésil participe au conflit, des capitaux américains couleront à flot dans le pays, permettant notamment de construire le gigantesque complexe sidérurgique de Volta Redonda dans l’Etat de Rio de Janeiro, ce qui constituera un atout majeur pour le développement futur du Brésil. Grâce à la construction de ce complexe, il sera possible d’exploiter les immenses réserves de minerais de l’intérieur du pays. L’économie brésilienne recevra là un formidable coup de fouet et les 93.000 hommes des forces armées feront l’expérience du combat sur le théâtre des opérations en Europe.

Cette expérience acquise sera de toute première importance face au rival du Brésil, l’Argentine, où un gouvernement militaire intransigeant et favorable à l’Axe maintient le pays dans la neutralité. En effet, il a fallu attendre les toutes dernières semaines de la guerre en Europe pour convaincre enfin Buenos Aires d’envoyer une déclaration de guerre toute formelle à l’Allemagne. Ce sera fait le 27 mars 1945. L’Argentine sera ainsi le dernier pays à avoir déclaré la guerre au Reich. D’autres pays latino-américains avaient déclaré la guerre à Berlin en février 1945, notamment le Venezuela, le 16 février. En revanche, les pays plus inféodés aux Etats-Unis en Amérique centrale et dans les Caraïbes avaient déjà formellement déclaré la guerre aux puissances de l’Axe les 11 et 12 décembre 1941 (Cuba, la République Dominicaine, le Guatemala, le Nicaragua, Haïti, le Costa Rica, le Honduras et El Salvador). Ce qui fut le plus mobilisateur dans ces déclarations de guerre fut bien sûr la possibilité de confisquer les avoirs allemands et italiens.

feb2.jpg

En entrant en guerre aux côtés des Etats-Unis, Vargas, de figurant instable, se mue automatiquement en un allié important. Même Churchill change d’opinion à son sujet : il le méprisait et le traitait de « caudillo aux petits pieds » ; en un tournemain, il devient le « combattant d’avant-garde de la solidarité panaméricaine ».

En très peu de temps, le Brésil se transforme en l’une des principales bases de ravitaillement et d’approvisionnement des alliés occidentaux. Natal, la ville située sur la pointe extrême-orientale du pays, devient l’aéroport militaire le plus vaste du monde. Le gouvernement de Rio livre des matières premières stratégiques (du fer, du manganèse, du nickel, du zinc) et des quantités impressionnantes de viande et de céréales aux belligérants occidentaux.

Ce ne sera pas tout. Vargas met également des troupes à disposition. Equipé et entraîné par les Anglo-Américains, un contingent s’embarque pour l’Italie entre juin et septembre 1944 et engage le combat aux côtés de la 5ème Armée américaine du Général Clark. La « Força Expeditionària Brasileira » (FEB) sera placée sous les ordres du Général Mascarenhas de Morais et comptera dans ses rangs 25.300 hommes d’infanterie et un escadron de chasseurs de la force aérienne.

La FEB s’est bien battue contre les troupes solidement éprouvées de la Wehrmacht, toutefois après avoir subi des pertes sensibles au début des engagements. A l’automne 1944, l’avance des troupes alliées est bloquée au nord de Florence. Les Allemands se replient et s’arcboutent sur la « Ligne Gothique » entre La Spezia et Rimini et tiennent le front jusqu’à la Pâque 1945.

Les soldats brésiliens passeront l’hiver sur leurs positions dans les Apennins. Le climat est rude pour ces soldats venus des tropiques et la FEB enregistre de nombreuses pertes dues aux gelures. Le 9 avril 1945, les Américains lancent leur contre-offensive du printemps. Les troupes brésiliennes y participent et avancent, lors de la phase finale de la campagne d’Italie, en direction d’Alessandria et de Turin. A la fin du mois d’avril 1945, la 148ème Division d’infanterie de la Wehrmacht se rend aux Brésiliens.

Les combats de la FEB se sont étendus sur huit mois et ont coûté la vie à 454 soldats. 2722 autres ont été blessés. Les morts de ce corps expéditionnaire reposent dans un cimetière militaire à Pistoia, une petite ville de Toscane. Au Brésil, un monument à Rio rappelle leur sacrifice, de même qu’un musée à Curitiba (dans l’Etat de Paranà).

Erich Körner-Lakatos.

(Article paru dans « zur Zeit », Vienne, http://www.zurzeit.at , n°36/2016).

vargas1.jpg

L’Estado Novo de Vargas

Getùlio Dornelles Vargas est arrivé au pouvoir au Brésil en 1930. Fin novembre 1935, les communistes se soulèvent à Rio. Leur rébellion est rapidement anéantie. Le Président n’est pas plus tendre avec l’extrême-droite : les activistes de l’Açao Integralista Brasileira (Action Intégraliste Brésilienne : AIB), vêtus de chemises vertes, essaient en mai 1938 de renverser le président, en prenant son palais d’assaut. Vargas n’admet pas cette rupture de la paix civile, considère que cette rébellion est un affront à sa personne et mate cruellement l’insurrection dirigée par Plinio Salgado, théoricien et animateur du « fascisme intégraliste ».

Le 10 novembre 1937, Vargas proclame, par décret, l’instauration de l’ Estado Novo (l’Etat nouveau), aux traits autoritaires et corporatistes : l’article 180 de la nouvelle constitution admet très nettement le « principe du chef ». Le modèle de Vargas est celui de la mère patrie portugaise, dirigée par Antonio de Oliveira Salazar. Il y a néanmoins une différence : Salazar tient son autorité de Dieu, sans fausse modestie. Vargas, lui, dit se contenter de tenir la sienne du peuple.  

Vargas se pose comme un nationaliste brésilien. C’est pourquoi, dès avril 1938, il interdit les activités de la NSDAP allemande à l’étranger qui connaissait un indéniable succès au sein de la minorité allemande. L’Etat nouveau entend « brasilianiser » les immigrants. Tout enseignement en une langue autre que le portugais est interdit pour les enfants de moins de 14 ans. Les autorités reçoivent l’ordre d’éviter toute concentration d’immigrants de même nationalité. Ces mesures concernent également les minorités allemandes dans le sud du pays (EKL).