dimanche, 27 octobre 2024
L’Outre-mer ne répond plus
L’Outre-mer ne répond plus
par Georges Feltin-Tracol
En 1976, Jean-Claude Guillebaud publiait aux éditions du Seuil dans la collection « L’histoire immédiate » Les confettis de l’empire. Son enquête portait sur les derniers vestiges de l’ancien empire colonial français, à savoir les possessions ultra-marines bientôt dénommées DOM – TOM (départements et territoires d’Outre-mer).
Hormis l’Asie, la France est présente sur tous les autres continents sous la forme insulaire, à l’exception de la Guyane en Amérique du Sud et de la Terre-Adélie en Antarctique. Par le jeu des ZEE (zones économiques exclusives), Paris détient derrière les États-Unis d’Amérique le deuxième domaine maritime mondial. À l’encontre d’une idée reçue, ce n’est pas la Fédération de Russie qui compte le plus grand nombre de fuseaux horaires (onze continus), mais la France avec treize (discontinus) !
Ce constat contredit par conséquent la vision d’une France « tellurocratique ». Elle détient de solides atouts en matière de thalassopolitique. Pour combien de temps encore? En effet, la présence d’Emmanuel Macron bouleverse la donne en Outre-mer. Longtemps chasse gardée de la gauche socialo-communiste et des gaullistes (Michel Debré, maire d’Amboise en Indre-et-Loire est de 1963 à 1988 député de La Réunion), les territoires ultra-marins adoptent une variété de pratiques protestataires. Au moment des Gilets Jaunes en 2018 – 2019, La Réunion dans l’océan Indien et l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon dans l’Atlantique Nord deviennent des foyers virulents des revendications. Pendant la crise covididienne, la Martinique et la Guadeloupe se caractérisent par un taux élevé de refus de vaccination des personnels soignants qui perdent leur travail. L’élection présidentielle de 2022 confirme l’adhésion des populations locales aux candidats d’opposition. Au premier tour, Jean-Luc Mélenchon arrive en tête en Martinique (53,10 %), en Guadeloupe (56,16 %), en Guyane (50,59 %) ou à La Réunion (40,26 %). Au second tour, Marine Le Pen remporte 69,60 % en Guadeloupe, 60,87 % en Martinique, 59,56 % à La Réunion, 55,42 % à Saint-Martin et Saint-Barthélémy ou 59,10 % à Mayotte.
Aux législatives de 2022, les Antilles envoient plusieurs élus qui siègent ensuite au GDR (Groupe républicain et démocrate) aux côtés des communistes ou au groupe centriste charnière LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires). Ainsi la Polynésie française élit-elle trois députés indépendantistes. Les législatives anticipées de 2024 confirment cette tendance même si les indépendantistes polynésiens perdent deux sièges au profit des autonomistes et des macronistes. Les deux premiers députés du Rassemblement national proviennent de Mayotte et de La Réunion.
À la différence du gouvernement de Gabriel Attal qui avait placé l’Outre-mer sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, le gouvernement de Michel Barnier a mis les affaires ultra-marines sous la tutelle directe de Matignon. Le sénateur Les Républicains du Rhône et ancien maire d’Oullins, François-Noël Buffet, en est le titulaire. On n’aimerait pas être à sa place tant la situation de l’Outre-mer est explosive.
Fragilisée par un afflux migratoire constant venu des Comores et désormais d’Afrique orientale, Mayotte est en proie à une insécurité endémique. Le maintien de l’ordre public y est problématique. Plus de la moitié de la population est dorénavant étrangère. En outre, l’archipel mahorais connaît des pénuries d’eau potable fréquentes et sort à peine d’une épidémie de choléra. La dégradation des conditions sanitaires y est manifeste.
Toujours dans l’océan Indien, le Royaume-Uni vient de rétrocéder à l’île Maurice la souveraineté effective des îles Chagos qui gardent néanmoins une base militaire stratégique étatsunienne. L’État malgache souhaiterait que la France s’en inspire pour céder les Îles éparses situées dans le canal du Mozambique ou au large de Madagascar. Or, contrairement aux Chagos où les habitants ont été déportés, Europa, Bassas da India, Juan de Nova, Tromelin et les Glorieuses sont inhabitées. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne s’y applique pas, à moins de faire voter les espèces animales et florales locales…
Dans les Antilles, la Martinique est en proie à des violences nocturnes. À la fin du mois d’août 2024 surgit une vive agitation (incendie d’entreprises, pillage des boutiques, affrontements avec les policiers et les gendarmes) contre les effets de l’inflation et le coût élevé de la vie quotidienne. Les biens de première nécessité coûtent 40% de plus qu’en métropole sans oublier que 80% des produits parviennent par la voie maritime. Le préfet réplique par l’imposition d’un couvre-feu et l’interdiction de toutes manifestations. Par ailleurs, le Conseil d’État vient d’annuler une délibération de l’assemblée de Martinique qui entérinait l’usage administratif de la langue créole martiniquaise. Ces tensions rappellent la protestation de la Guadeloupe en 2009 contre la « Pwofitasyon » (l'exploitation outrancière). Pour quels résultats ? De nombreuses promesses et un déversement supplémentaire de subventions publiques considérables.
La situation demeure enfin inquiétante en Nouvelle-Calédonie. Le projet de loi constitutionnelle de lever le gel du corps électoral au printemps dernier plonge le « Caillou » dans une ambiance de guerre civile larvée. Les accords de Nouméa de 1998 interdisent aux citoyens français installés en Nouvelle-Calédonie après cette date de s’exprimer aux référendums d’autodétermination et aux élections provinciales. Les Kanak craignent un « grand remplacement démographique » de la part des Européens sans se faire accuser de racisme, de xénophobie et de complotisme. Tenu en pleine période covididienne le 12 décembre 2021, le troisième référendum donne 96,50% de non à l’indépendance, mais l’abstention assumée des indépendantistes monte à 56,13%. Le 7 juillet dernier, pour la première fois depuis 1988 un indépendantiste kanak, Emmanuel Tjibaou, fils de Jean-Marie Tjibaou, co-signataire des accords de Matignon en 1988, accède au Palais-Bourbon grâce aux électeurs de la seconde circonscription de la Nouvelle-Calédonie qui s’étend à l’ensemble du territoire moins le grand Nouméa et les îles Loyauté. Le 24 septembre 2024, fête de la citoyenneté calédonienne, les responsables kanak proclament la souveraineté des chefferies sur leurs territoires coutumiers. Il faut comprendre d’abord un territoire, et donc un ancrage géographique, un enracinement, ensuite, une population structurée dans un réseau de relations organisées, au-dessus duquel se trouve le grand chef coutumier et, enfin, des alliances au-delà des seules limites foncières. N’est-ce pas un exemple à travailler ?
Les violences, les pillages et les barrages édifiés sur les principaux axes routiers de l’île plongent la Nouvelle-Calédonie dans un profond marasme économique. On observe une augmentation des départs de familles européennes vers la métropole. Outre un contexte politique instable, les activités économiques de cet archipel redoutent la faillite annoncée de l’industrie du nickel, premier pourvoyeur des revenus. Ancienne ministre macronienne et présidente de la province Sud, Sonia Backès défend la fédéralisation régionale de la Nouvelle-Calédonie dans une perspective de partition. Or la partition n’est pas une solution valable. On le voit bien avec la séparation de Mayotte du reste des Comores qui attire volontiers les Comoriens paupérisés.
Département aux infrastructures déficientes, la Guyane se confronte à deux problèmes: le vandalisme écologique dû aux garimpeiros, les orpailleurs illégaux, et une arrivée massive d’étrangers clandestins venus du Surinam et du Brésil. Il est courant de rencontrer à Cayenne des immigrés syriens ou afghans. Des réseaux de passeurs transnationaux poussent les candidats au voyage à arriver au Brésil qui n’impose aucun visa. Les migrants franchissent ensuite la frontière franco-brésilienne. Leur venue attise des tensions communautaires dans un territoire déjà marqué par une forte insécurité.
Des puissances étrangères (États-Unis, Chine, Russie, Australie, Azerbaïdjan) attisent enfin le sentiment anti-français dans les derniers « confettis » de l’Hexagone. Elles encouragent au départ définitif des Français de ces portions ultra-marines. On peut bien sûr souhaiter l’indépendance de ces possessions extra-métropolitaines. Mais, sans l’approbation référendaire des peuples concernés, cela risque d’être difficile sauf si la France sombre dans des déficits abyssaux qui la rendront moins attractive pour les populations ultra-marines. Paris ne tient plus ses périphéries. La faute à une république une et indivisible qui assassine toute solution ethno-différencialiste réaliste. Il serait temps de fonder une VIe République, une république fédérale et plébiscitaire des peuples autochtones de France.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 130, mise en ligne le 22 octobre 2024 sur Radio Méridien Zéro.
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lundi, 08 janvier 2024
Venezuela - Guyane : un conflit territorial
Venezuela - Guyane : un conflit territorial
Leonid Savin
Source: https://www.geopolitika.ru/article/venesuela-gayana-territorialnyy-konflikt
Le référendum organisé le 3 décembre dans la République bolivarienne du Venezuela sur l'appartenance du territoire de l'Esequibo a montré que la majorité des citoyens de ce pays le considèrent comme une partie intégrante de leur pays et estiment nécessaire d'utiliser tous les moyens possibles pour en faire un autre État. Au cours du mois de novembre, les relations entre la Guyane, qui occupe aux deux tiers le territoire contesté d'Esequibo, et le Venezuela se sont envenimées. Les États-Unis ont également réagi, mais manifestement avec retenue, car la veille, un certain nombre de sanctions avaient été levées à l'encontre du Venezuela, à la suite de l'accord politique conclu entre les autorités et l'opposition. Cependant, les actions ultérieures des dirigeants vénézuéliens ont montré une position décisive.
Lors d'une réunion avec son gouvernement, le président Nicolas Maduro a ordonné "l'ouverture immédiate du débat à l'Assemblée nationale et l'adoption d'une loi organique visant à faire de la "Guyane Esequiba" un État vénézuélien". Il a également demandé à la compagnie pétrolière publique PDVSA de "créer l'unité PDVSA-Esequibo" et d'accorder immédiatement des licences d'exploitation pour le pétrole brut, le gaz et les minéraux dans l'Esequibo, qui est contrôlé par la Guyane mais revendiqué par Caracas.
Maduro a également ordonné la création d'une "zone de défense intégrée" située dans la ville de Tumerero, dans l'État de Bolivar (sud) et limitrophe de la zone contestée. Tumerero sera la capitale temporaire du nouvel État.
Dans cette petite ville, la délivrance de documents pour les résidents de la zone contestée d'Esequibo [i] a déjà commencé. Elle compte environ 125.000 habitants.
Le territoire contesté comprend deux petites villes, Lethem et Mabaruma, qui comptent chacune un peu plus d'un millier d'habitants. Elles ne jouent pas un rôle important dans l'économie de la Guyane.
La position du Venezuela dans le conflit bilatéral est que la voie du dialogue direct entre les parties est la seule solution dans le contexte du respect de l'Amérique latine et des Caraïbes en tant que zone de paix. D'ailleurs, la position de la Russie à cet égard coïncide: il devrait y avoir un dialogue direct entre les deux parties.
De son côté, le président de la Guyane, Mohamed Irfaan Ali (photo), a déclaré qu'il n'avait pas l'intention de céder le territoire et que, si nécessaire, il demanderait l'aide du commandement sud des États-Unis.
Le 14 décembre 2023, une réunion prévue entre les deux chefs d'État s'est tenue à Saint-Vincent pour discuter de la question. Outre les chefs d'État du Venezuela et de la Guyane, les premiers ministres de la Dominique, de la Grenade, de Sainte-Lucie, de la Barbade, des Bahamas et de Trinité-et-Tobago étaient les principaux participants. Étaient également présents Courtney Rattray, chef de cabinet de l'ONU, et Miroslav Jenča, secrétaire général adjoint de l'ONU pour l'Europe, l'Asie centrale et les Amériques [ii].
Les parties ont convenu de ne pas utiliser la force directement ou indirectement en toutes circonstances, d'adhérer au concept de paix dans les Caraïbes, d'aller de l'avant avec le dialogue et la diplomatie, mais ont également rappelé l'accord de Genève de 1966 sur la nécessité de résoudre les différends [iii].
La doctrine Monroe et les échos du colonialisme
Bien sûr, dans une position de souveraineté, aucun État ne voudrait céder son territoire à un autre, qu'il s'agisse d'un rocher sans vie au large ou de dizaines de milliers de kilomètres de territoire avec des ressources naturelles dans ses profondeurs (l'Esequibo couvre 160.000 kilomètres carrés). Cependant, le cas du Venezuela et de la Guyane est une relique typique de l'ère coloniale, causée par les politiques des États européens, principalement de la Grande-Bretagne. À cela s'ajoute l'intervention des États-Unis qui, en 1823, ont déclaré que "l'Amérique est pour les Américains", c'est-à-dire les citoyens des États-Unis et non ceux des autres pays de l'hémisphère occidental.
Après avoir acheté cette partie du territoire aux Pays-Bas en 1814, les Britanniques n'ont pas fixé la frontière avec le Venezuela voisin, mais ont spontanément établi la limite de leurs possessions. En 1841, Robert Hermann Schomburgk (illustration), géographe et ethnographe d'origine prussienne, a été chargé par la couronne britannique de cette tâche. Cependant, les frontières ont été tracées à titre préliminaire et non définitif, c'est pourquoi elles ont été appelées "ligne Schomburgk". Par ailleurs, les autres voisins de la Guyane britannique, le Brésil et le Suriname, n'avaient pas non plus de frontières mutuellement reconnues à l'époque. La question a été résolue avec le Brésil au début du 20ème siècle, mais le Suriname revendique toujours une partie de la Guyane.
Tout cela rappelle des actions similaires des Britanniques dans d'autres parties du monde : la ligne Durand entre l'Afghanistan et le Pakistan n'est toujours pas reconnue comme une frontière du côté afghan, et l'occupation de Gibraltar est qualifiée par les Espagnols eux-mêmes de dernière colonie en Europe.
L'affaire a alors été portée devant la Cour d'arbitrage de Paris, qui a tranché le litige en faveur de l'Angleterre. Le Venezuela n'était pas satisfait de cette décision. Cependant, même cette décision de 1899 n'était pas définitive et déterminait que la frontière terrestre entre le Venezuela et la Guyane devait être respectée jusqu'à ce que les parties parviennent à un nouvel accord ou qu'un organe juridique compétent en décide autrement.
Au milieu du 20ème siècle, le "Mémorandum Severo Mallet-Prevost", un juriste américain, a été rendu public, affirmant que "les juges n'étaient pas impartiaux". Les documents historiques montrent la présence manifeste de l'Espagne, puis d'un nouvel État (d'abord la Grande Colombie, puis le Venezuela) sur le territoire de l'Essequibo, et la frontière avec les possessions hollandaises, puis britanniques, longe une ligne de partage des eaux naturelle - la rivière Essequibo (la rivière a deux "s" dans son nom, alors que le territoire n'en a qu'un seul - note de l'auteur).
Mais si vous regardez la carte de la Guyane et du fleuve Essequibo, vous verrez clairement que le territoire contesté représente en fait les deux tiers de la taille du pays, de sorte que la réaction du président de la Guyane, Mohamed Irfaan Ali, aux actions du Venezuela est tout à fait prévisible.
La réaction du président de la Guyane, Mohamed Irfaan Ali, aux actions du Venezuela est donc tout à fait prévisible. Les Britanniques eux-mêmes ont reconnu l'existence d'un différend lorsqu'ils ont accordé l'indépendance et la souveraineté à la Guyane en 1966.
L'accord de Genève entre le Venezuela et la Grande-Bretagne pour le règlement des différends du 17 février 1966 utilise le terme de frontière entre le Venezuela et la Guyane britannique. Dans le langage juridique, une frontière est une limite mobile.
La Guyane, même après son indépendance, avait déjà essayé de "revendiquer" le territoire contesté pour elle-même. Par exemple, le Premier ministre et président de la Guyane, Forbes Burnham, a fait appel aux Nations unies en 1968 au sujet des revendications du Venezuela sur un territoire contesté pouvant aller jusqu'à 12 miles. En mars 2018, la Guyane a intenté un procès à la Cour internationale de justice, lui demandant de reconnaître la légalité et la validité de l'arbitrage de 1899.
Bien que le Venezuela ait agi, il n'a pas été très actif en raison des dirigeants américano-centrés au pouvoir. Et tant que les entreprises américaines produisaient du pétrole au Venezuela même, l'establishment néolibéral en avait assez.
Il convient de rappeler qu'en 1948 a été créée l'Organisation des États américains, qui reste en fait un instrument de la politique de Washington dans les pays ibéro-américains et une continuation de la doctrine Monroe. Dans ce cadre, les États-Unis ont aplani les contradictions naissantes. Et si quelque chose menaçait leurs intérêts, les escadrons de la mort et les coups d'État menés par la CIA étaient utilisés, comme ce fut le cas au Chili en 1973.
À propos, un fait intéressant : le 8 novembre 1978, dans la communauté de Johnstown, en Guyane, 918 membres de la secte "Temple des Nations", dirigée par Jim Jones, se sont suicidés en masse. Parmi les morts figurait Leo Ryan, membre du Congrès américain. On pense que la CIA était également derrière ce suicide.
L'ère du chavisme
La situation a changé sous la présidence d'Hugo Chavez. C'est sous lui que l'Esequibo, bien que symboliquement, a été associé au Venezuela - sous la forme d'une huitième étoile supplémentaire sur le drapeau de l'État (le drapeau a été modifié en 2006).
Mais des actions plus actives ont commencé à être menées par le gouvernement Maduro, alors même qu'il était sous le coup de sanctions américaines et européennes. En novembre 2019, la Cour suprême du Venezuela a créé le 1er Congrès de la Mission Esequibo, qui a pour "objectif de partager les connaissances et d'encourager le débat à un niveau académique, historique et juridique élevé sur une question pertinente pour l'État vénézuélien et ses citoyens." Lors de l'événement, qui s'est tenu dans la salle principale de la Cour supérieure de justice, le juge Moreno a déclaré qu'"en tant que plus hauts représentants du pouvoir public, nous avons l'intention de tout mettre en œuvre pour rendre à notre chère République ce qui est conforme à la justice, à l'histoire et au sentiment patriotique, c'est-à-dire notre territoire". Au cours de son discours, il a déclaré que l'Esequibo est une question sur laquelle l'État, par le biais des différentes institutions qui composent le pouvoir public national, a encouragé ces dernières années des arguments sérieux afin que tous les habitants du Venezuela et du monde comprennent qu'elle appartient au Venezuela et qu'ils sont absolument convaincus qu'elle ne sera pas négociable dans le cadre d'un accord autre que celui qui est conforme à la justice et à la tradition historique [iv].
Dès 2023, lorsque les États-Unis ont levé certaines des sanctions imposées au Venezuela, Caracas est passé à l'action en commençant à préparer un référendum.
Le 30 octobre 2023, la Guyane, invoquant l'article 41 du Statut et les articles 73 et 74 du Règlement de la Cour, a déposé auprès de la Cour internationale de justice des Nations unies à La Haye une requête en indication de mesures conservatoires. Dans sa requête, la Guyane déclare que "le 23 octobre 2023, le gouvernement du Venezuela, par l'intermédiaire de son Conseil national électoral, a publié une liste de cinq questions qu'il envisage de soumettre au peuple vénézuélien lors d'un... "Référendum consultatif" le 3 décembre 2023". Selon le demandeur, l'objet de ces questions, qui sont exposées au paragraphe 15 ci-dessous, est "d'obtenir des réponses qui appuieraient la décision du Venezuela d'abandonner la présente procédure et de recourir plutôt à des mesures unilatérales pour "résoudre" le différend avec le Guyana en annexant et en intégrant officiellement au Venezuela la totalité du territoire faisant l'objet de la présente procédure, qui comprend plus des deux tiers du Guyana."
À la fin de sa requête, la Guyane demande à la Cour d'indiquer les mesures conservatoires suivantes :
- Le Venezuela ne doit pas organiser le référendum consultatif prévu pour le 3 décembre 2023 sous sa forme actuelle ;
- En particulier, le Venezuela ne doit pas inclure la première, la troisième ou la cinquième question dans le référendum consultatif ;
- Le Venezuela n'inclura pas non plus dans le " Référendum consultatif " prévu ou dans tout autre référendum public toute question impliquant des problèmes juridiques devant être déterminés par la Cour dans son jugement sur le fond, y compris (mais sans s'y limiter) :
- la validité et l'effet contraignant de la sentence de 1899 ;
- la souveraineté sur le territoire compris entre le fleuve Essequibo et la frontière établie par la sentence de 1899 et l'accord de 1905 ; et
- la prétendue création de l'État de "Guayana Essequibo" et toute mesure connexe, y compris l'octroi de la citoyenneté vénézuélienne et de cartes d'identité nationales.
- Le Venezuela ne doit entreprendre aucune action visant à préparer ou à autoriser l'exercice de la souveraineté ou du contrôle de facto sur tout territoire attribué à la Guyane britannique dans la sentence arbitrale de 1899.
- Le Venezuela doit s'abstenir de toute action susceptible d'aggraver ou de prolonger le différend porté devant la Cour ou d'en rendre le règlement plus difficile.
Le 1er décembre 2023, la Cour internationale de justice a décidé d'adopter les mesures conservatoires suivantes :
- À l'unanimité, en attendant une décision finale en l'espèce, la République bolivarienne du Venezuela s'abstient de prendre toute mesure susceptible de modifier la situation qui prévaut actuellement dans le territoire contesté et en vertu de laquelle la République coopérative de Guyana administre et contrôle la zone ;
- À l'unanimité, les deux parties s'abstiennent de toute action susceptible d'aggraver ou de prolonger le différend porté devant la Cour ou d'en rendre le règlement plus difficile [v].
Dès la fin du référendum, lors d'une émission télévisée en direct, le président de la Guyane, M. Ali, a présenté une approche à multiples facettes impliquant un engagement diplomatique avec des alliés et des amis dans la région, y compris le ministère américain de la défense, le département d'État et la Maison Blanche. Il a évoqué l'engagement avec des organisations régionales telles que la Caricom, la CELAC et l'OEA, soulignant la "large coalition internationale mobilisée pour empêcher les actions irréfléchies du Venezuela". "Nous travaillons actuellement avec le SOCOM (United States Southern Command) et le ministère américain de la défense", a déclaré le président Ali.
Il a fait état d'une conversation avec le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, qui l'a assuré du "soutien ferme" du Brésil et de son opposition aux actions du Venezuela. "Nous ne pouvons pas permettre une situation comme celle de l'Ukraine dans l'hémisphère occidental. Nous ne pouvons pas permettre l'annexion de territoires dans cet hémisphère occidental", a-t-il déclaré [vi].
Les tentatives de comparaison avec la Crimée ou les nouveaux territoires de l'ancienne Ukraine sont bien sûr peu pertinentes, car la situation est asymétrique. Les régions de Crimée, Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporizhzhya ont organisé des référendums sur l'adhésion à la Russie. Les 125 000 Guyanais qui pourraient devenir vénézuéliens ne représentent pas un nombre important que Caracas peut facilement gérer en l'intégrant dans son cadre juridique. En matière de politique sociale, avec son expérience de divers programmes, le Venezuela l'emportera facilement sur la Guyane, compte tenu de la pauvreté relative de la majorité de sa population. La Guyane compte 795.408 habitants (chiffres de 2022), dont 30% vivent dans la capitale, Georgetown. Le Venezuela pourra donc se légitimer assez facilement aux yeux des communautés dispersées dans l'Esequibo. On sait qu'une école et un hôpital sont déjà en cours de construction dans les zones frontalières avec le Venezuela, sous la protection de l'armée vénézuélienne. La délivrance de passeports et probablement quelques aides matérielles suivront.
Intérêts économiques
La décision de mettre fin à ce différend territorial a peut-être été influencée par la croissance extrêmement convaincante de l'économie guyanaise au cours des dernières années. Il s'agit de l'une des croissances les plus rapides au monde, malgré les effets de l'après-courbette et les soi-disant perturbations de la chaîne d'approvisionnement qui ont affecté la plupart des pays. La croissance du PIB de la Guyane a été de 19,9% en 2021 et de 62,3% en 2022. En 2023, elle devrait être d'environ 37%. L'un des principaux moteurs de l'économie guyanaise est le pétrole, dont d'importants gisements ont été découverts au large des côtes en 2015, et dont la première production commencera fin 2019. Des sociétés telles que Shell, Total et Mobil sont présentes en Guyane depuis l'époque britannique. Bien que les principaux revenus tirés de la production pétrolière (les exportations du pays comprennent également le sucre, l'or, la bauxite, l'alumine, le riz, les crevettes, la mélasse, le rhum, le bois et les conteneurs d'expédition ferroviaire) en Guyane soient générés par un petit groupe d'individus et de fonctionnaires corrompus, il n'en reste pas moins que dans le cas présent, le principal bénéficiaire est le gouvernement.
Mais dans ce cas, le principal bénéficiaire est la société américaine Exxon Mobil. Ce n'est pas une coïncidence si, sous l'administration de Barack Obama, cette société a commencé à mener des opérations actives liées au pétrole des Caraïbes. Il est également révélateur que le président d'Exxon Mobil de l'époque, Rex Tillerson, soit devenu secrétaire d'État sous Donald Trump. En fait, on peut dire que si les intérêts de la Grande-Bretagne en Guyane étaient auparavant motivés par les réserves d'or, le pétrole est devenu une ressource tout aussi précieuse.
Dans ce cas, selon l'accord, la Guyane reçoit 60% des bénéfices et 40% sont prélevés par les États-Unis. Habituellement, dans ce type d'accord, l'État où la production a lieu conserve 75 %. Et selon la position vénézuélienne, la concession est située dans des eaux contestées. En même temps, il y a un petit détail : selon l'US Geological Survey, la deuxième plus grande zone pétrolifère en termes de réserves de pétrole non découvertes, le bloc Stabroek, est situé sur le plateau de l'Esequibo. Les estimations des ressources récupérables du bloc ont d'abord atteint 5 milliards de bep (barils équivalent pétrole), avant d'être portées à 11 milliards de bep.
Si l'on imagine un affrontement armé, la Guyane n'a aucune chance. Les forces armées de la Guyane (forces d'autodéfense) comptent un peu plus de quatre mille hommes. Le Venezuela compte 123.000 militaires et 8000 réservistes. De plus, il faut tenir compte de l'élan patriotique général, car même l'opposition de droite considère l'Esequibo comme faisant partie du Venezuela.
Puisqu'il s'agit de contrôler le plateau pétrolier, les forces navales joueront un rôle essentiel. Il a déjà été annoncé qu'une nouvelle base de la marine vénézuélienne serait construite près de la frontière guyanaise. Le Venezuela possède deux sous-marins, six frégates lance-missiles et six patrouilleurs équipés de missiles et de canons, quatre grands navires de débarquement et un certain nombre d'autres navires auxiliaires. En outre, l'armée de l'air vénézuélienne dispose de plus de deux douzaines de chasseurs-bombardiers Su-30MKV, ainsi que d'avions américains. La flotte d'hélicoptères comprend des modèles français et russes.
Enfin, il existe également un sous-texte politique interne. Beaucoup considèrent le référendum comme une sorte de mobilisation de l'équipe chaviste avant les élections présidentielles de 2024. Ils ont besoin non seulement de nouveaux points, mais aussi de suivre l'humeur de la population afin de répondre rapidement aux aspirations et aux critiques du peuple vénézuélien.
Notes :
i - www.jamaicaobserver.com
ii - venezuela-news.com
iii - www.telesurtv.net
iv - mppre.gob.ve
v - www.icj-cij.org
vi - guyanachronicle.com
17:31 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique internationale, amérique du sud, amérique latine, amérique ibérique, guyane, venezuela | | del.icio.us | | Digg | Facebook