Lionel Baland est un écrivain belge, spécialiste des partis patriotiques en Europe, qui a écrit sur l’histoire du nationalisme belge. Il publie aux éditions Godefroy de Bouillon un ouvrage portant sur un pan de l’histoire du rexisme, le mouvement politique nationaliste belge dirigé au cours des années 1930-1940 par Léon Degrelle, intitulé « Xavier de Grunne. De Rex à la Résistance. »
Propos recueillis par Fabrice Dutilleul.
Qui est Xavier de Grunne ?
Xavier de Grunne (1894-1944) est issu de la vieille noblesse belge. Pionnier dans le domaine de l’alpinisme, il le pratique aux côtés du Roi Albert Ier et devient célèbre en dirigeant une expédition au Congo belge en vue de l’exploration complète du versant occidental du Ruwenzori. La colonne, constituée de scientifiques et de centaines de porteurs noirs, se fraie un chemin dans la forêt équatoriale avant d’atteindre les glaciers. Elle reste durant deux mois dans la pluie et le brouillard à plus de 4 000 mètres d’altitude à une température proche de zéro degré.
Léon Degrelle demande en 1936 à Xavier de Grunne, « l’homme du Ruwenzori », de se présenter sur les listes du mouvement anti-corruption catholique et nationaliste belge Rex. Xavier de Grunne est élu sénateur. Lors des élections législatives de 1939, il est aussi présent sur les listes de Rex, mais n’est pas réélu car ce mouvement subit alors un fort recul électoral.
Durant la « drôle de guerre » (début septembre 1939-10 mai 1940), Rex est totalement aligné sur la position ultra-neutraliste défendue par le Roi Léopold III. Xavier de Grunne n’est pas d’accord avec ce choix et désire voir Rex et la Belgique se ranger du côté des Français et des Britanniques.
Après la défaite, Xavier de Grunne fonde l’organisation de résistance « La Phalange », est arrêté par les Allemands et meurt en déportation. Pendant ce temps, Rex se lance dans la collaboration d’abord limitée, puis illimitée avec l’occupant. Son dirigeant, Léon Degrelle combat le communisme sur le Front de l’Est et termine la guerre en tant qu’officier supérieur de la Waffen SS, après avoir reçu à l’issue de la bataille de Tcherkassy/Korsun une des plus hautes décorations du IIIe Reich des mains d’Adolf Hitler qui, lui tenant la main entre ses deux mains (il est le seul à ma connaissance à qui cela est arrivé), lui dit : « Je me suis fait tant de soucis. »
Le parcours de Xavier de Grunne est-il atypique ?
Non. Il apparaît qu’en Belgique francophone durant la IIe Guerre mondiale, les nationalistes sont allés, comme l’indique le grand résistant liégeois et professeur d’université Léon-Ernest Halkin dans son ouvrage À l’Ombre de la mort, pour la plupart dans la Résistance et y ont souvent laissé leur vie ou leur santé. Ce qui deviendra la principale organisation de Résistance du pays et sera dénommé par la suite « Armée secrète », a été fondé par les patriotes Robert Lentz et Charles Claser. Quant aux adeptes de l’Ordre nouveau, une partie d’entre eux est allée dans la collaboration limitée, tel José Streel qui est un des penseurs principaux du rexisme aux côtés de Jean Denis, et une autre partie dans la collaboration illimitée, tel Léon Degrelle. Mais d’autres ont rejoint la Résistance.
Pierre Nothomb, fondateur au cours des années 1920 des Jeunesses nationales, a été inquiété à plusieurs reprises durant la guerre par les Allemands pour ses actes de résistance. La Légion Nationale, organisation nationaliste belge fondée en 1922 et qui devient ensuite un mouvement d’Ordre nouveau qui affronte physiquement les milices socialistes et communistes, entre dès le début de l’occupation dans la Résistance. Plusieurs de ses membres sont fusillés par les Allemands et son dirigeant, l’avocat Paul Hoornaert, meurt en déportation. Un certain nombre de rexistes ou d’anciens rexistes se sont également retrouvés dans la Résistance. L’écrivain Robert du Bois de Vroylande, ainsi que le rédacteur en chef du quotidien rexiste Le Pays Réel et membre du Conseil politique du mouvement rexiste Hubert d’Ydewalle, qui ont tous deux rompu avec Rex avant la guerre, meurent en déportation. Le Mouvement National Royaliste (Nationale Koninklijke Beweging), une des organisations de résistance du pays, est fondé par des rexistes restés fidèles au Roi Léopold III. Ajoutons que les intellectuels adeptes de l’Ordre nouveau et professeurs d’université Fernand Desonay et Charles Terlinden se sont retrouvés eux aussi dans la Résistance.
Notons que les rexistes qui se sont engagés dans la Collaboration l’ont fait, à leurs yeux, dans l’intérêt de la Belgique. Lorsque José Streel estime que la poursuite d’une telle politique ne penche plus en faveur de l’avantage du peuple belge, il se retire (ce qui n’empêchera pas son exécution en 1946). Léon Degrelle poursuit dans la Collaboration en ayant pour objectif la réalisation d’une grande Bourgogne inspirée de celle de Charles le Téméraire, ce qui correspond à l’idée d’une grande Belgique (idée déjà prônée durant la Ire Guerre mondiale par Pierre Nothomb), produit d’un nationalisme belge exacerbé.
Quels principaux éléments nouveaux apporte votre ouvrage ?
Contrairement à ce qui a été souvent écrit, il apparaît que Xavier de Grunne est resté lié à Rex jusqu’en 1939, et que la rupture annoncée en 1937 au sein de l’ouvrage de Xavier de Grunne intitulé Pourquoi je suis séparé de Rex ? est purement stratégique afin de disposer de la liberté de pouvoir critiquer l’Église qui attaque Rex, tout en ne froissant pas les électeurs rexistes qui sont pour la plupart des catholiques convaincus.
Notons que Léon Degrelle encense au sein de ses écrits d’après-guerre Xavier de Grunne. L’ouvrage montre qu’au début de l’Occupation, rien n’est joué et que le basculement de certains dans la Résistance et d’autres dans la Collaboration a été avant tout une question de circonstances et de relations personnelles, les individus suivant souvent leurs proches relations politiques vers l’un ou l’autre bord.
Pourquoi la direction de Rex a-t-elle choisi la Collaboration ?
Rex, mouvement politique nationaliste belge et monarchiste, n’avait rien à aller faire dans la Collaboration avec un régime nationaliste allemand d’expansion. Un élément essentiel a conduit ce mouvement dans cette situation : lors de l’invasion par l’armée allemande de la Belgique le 10 mai 1940, le dirigeant rexiste Léon Degrelle, pourtant protégé par son immunité parlementaire, est arrêté par les autorités belges et déporté en France où il est malmené et tabassé, puis traîné de prisons en prisons avant de terminer au sein de camp de concentration du Vernet (rappelons que la République française a ouvert en 1939 des camps de concentration afin d’y placer dans des conditions sordides les réfugiés républicains espagnols). Revenu miraculé en Belgique au cours de l’été 1940 après la capitulation de la France, Léon Degrelle a des comptes à régler avec le système. De plus, l’Allemagne, ayant gagné la guerre sur le continent, paraît à cette époque pouvoir dominer pour des siècles. Rex, qui est à la mi-1940 rangé derrière le Roi, change de cap six mois plus tard et entre début 1941 dans la Collaboration. Cela aurait pu ne pas arriver et le mouvement rexiste aurait pu se trouver de l’autre côté durant la guerre.
Écrits de Lionel Baland sur le sujet :
Ouvrages :
* Xavier de Grunne. De Rex à la Résistance, Godefroy de Bouillon, Paris, 2017.
* Léon Degrelle et la presse rexiste, Éditions Déterna, Paris, 2009.
* Préface de la réédition de « La Révolution du XXe siècle » de José Streel, Éditions Déterna, Paris, 2010.
Articles :
* Fernand Desonay : des C.A.U.R. au maquis des Ardennes Belges, in : Bulletin d’Information du Centre Liègeois d’Histoire et d’Archéologie, n° 137, 2014, p. 63-66.
* Rex en wallon : Joseph Mignolet et Amand Géradin, in : Bulletin d’Information du Centre Liègeois d’Histoire et d’Archéologie Militaires, n° 141, 2017, p. 65-70.