L’homme d’aujourd’hui, l’homme de chez nous, qui assiste au bouleversement économique de l’Europe, n’a pas encore compris la nécessité de réviser son vocabulaire. Il n’a pas encore changé d’habitat spirituel.

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Reconnaître à la vie le seul droit de nous apporter le bien-être, demeure le fait des âmes sans noblesse. Considérer celle-ci sous l’angle de la « conscience malheureuse » n’est pas digne non plus de la pensée humaine.

Le malheur et la joie ne vont jamais l’un sans l’autre. L’homme doit tirer profit de ses expériences joyeuses autant que des épreuves moins clémentes.

Ne cherchons pas à atteindre le bonheur en ce monde ou dans l’autre. La seule joie est dans la lutte. Replions-nous quelquefois sur nous-même, interrogeons-nous le plus souvent possible, mais que ce soit pour mieux pouvoir bondir.

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Elevons-nous au-dessus des misères quotidiennes. On nous promet un monde meilleur, une Europe nouvelle. Participons de tout notre être à ce renouveau. Et pour ce faire, vivons tout d’abord cette renaissance pour nous-même. Ne nous apitoyons pas sur le sort’ qui nous échoit. Sachons être contents de nous. Sachons adhérer. Ne boudons pas à la tâche. Le monde de demain a besoin de nous, de chacun d’entre nous.

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Plaçons un peu plus haut nos ambitions de chaque jour. Soyons des héros dans nos travaux les plus obscurs. Plus que jamais ici, chez nous, dans notre pays, nous avons une mission sociale à remplir.

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Commençons par redonner aux mots leur sens initial. Plus de place désormais pour la moindre équivoque. Nous ne fûmes que trop longtemps victimes des raffinements de langage. Je ne parle point ici de syntaxe, comme telle, mais de cette syntaxe tout au service de l’abêtissement de l’homme; celle qui appelle un chien un chat et une victoire une défaite.

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Redevenons simples et dignes du nom que nous portons. Abandonnons les livres pour revenir aux hommes. Abandonnons la pensée pure et bénissons nos mains, car, suivant la belle expression de Denis de Rougemont, il urge qu’à nouveau nous pensions avec elles.

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Comprenons la destinée des peuples héroïques et comprenons aussi que c’est l’« héroïsme » qui nous manqua le plus. Non pas celui qui consiste à tout sacrifier au devoir, car celui-là, notre peuple le possède à un degré extrême, mais l’autre, celui qui n’est à l’aise que dans l’ascension éternelle vers l’inaccessible, l’autre, qui combat non seulement pour sa patrie et pour son honneur, mais aussi pour soi-même et pour la joie de vivre.

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Encore une fois, méfions-nous du verbe. Ne nous dressons pas en moralistes, conientons-nous d’être moraux. Donnons un caractère sacré à notre vie et cela jusque dans ses moindres manifestations. Que tout concoure à foire en sorte que nous nous dépassions. Mais tout d’abord, atteignons à nous-même. Et s’il faut que nous soyons seuls, que ce soit, selon la pensée de Novalis, avec tout ce que nous aimons.

L’humilité vraie ne consiste pas à se résigner devant la destinée, mais seulement à ne pas dépasser dans l’orgueil la mesure de ses propres moyens. Mille rôles sont possibles dans la dignité humaine. Que l’ambitieux connaisse ses possibilités et qu’il mette tout en œuvre pour atteindre au sommet de lui-même.

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Hors la volonté d’accomplir, pas de salut.

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Le sort n’accable jamais personne. Nous n’avons que faire des thérapeutes. Seul l’exemple d’hommes vivants, qui ne se plaignent pas et qui point ne nous plaignent, doit nous suffire.

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Vouloir grandir dans le seul bonheur, c’est tomber bientôt dans l’abîme des banalités quotidiennes. Il faut dire « oui » au malheur : il ne va jamais sans joie.

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N’as-tu pas trop souvent remis en question tout ce que l’on t’enseigna dans la vie?

As-tu quelquefois mis en doute les « impératifs » des philosophes et des moralistes ?

Et, dans un ordre plus concret, as-tu contrôlé les sources de ceux qui, depuis trop longtemps, façonnèrent ton opinion sur les choses et sur les hommes?

Et tout ceci n’est qu’un commencement. Car, à quoi serviraient l’organisation et l’entente entre les hommes, à quoi serviraient le travail dans l’honneur, si, quelque jour, de nouveaux prophètes et de nouveaux héros ne devaient point naître. La lutte, sans cesse, doit entrer dans sa phase nouvelle, afin que nous approchions de l’homme lui-même et d’un monde où les lois et les valeurs seront qualitatives. Mais point cependant d’un monde qui serait un aboutissement définitif. car aboutir c’est renoncer et renoncer c’est mourir.

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En cette veille de l’an, où nous au vivons encore, je souhaite que nous méditations cette phrase, par laquelle Nietzsche ouvre son « Saint-Janvier », elle nous aidera, peut-être à préparer notre épreuve du feu :
« Je vis encore, je pense encore : il faut encore que je vive, car il faut encore que je pense»

(Meditation de janvier)