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jeudi, 10 avril 2025

Quelques remarques impertinentes sur l’hydrographie de la Belgique

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Quelques remarques impertinentes sur l’hydrographie de la Belgique

par Daniel Cologne

Le long du littoral belge se succèdent deux stations balnéaires à l’étymologie des plus intéressantes. Très connue est la ville d’Ostende : oost-einde, la fin de l’Orient. Moins notoire est la petite localité de Westende : west-einde, la fin de l’Occident.

À trois degrés plus à l’Est que celui de Greenwich, le méridien d’Ostende - Westende est à rapprocher du parallèle de Southend (la fin du Sud, et donc aussi la fin du Nord) qui traverse la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.

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Ainsi se profile une importance géographique considérable pour la Mer du Nord, qui semble avoir été, durant l’époque glaciaire, une vaste toundra, ensuite recouverte par les eaux du réchauffement climatique d’il y a environ 10.000 ans.

« Et Londres n’est plus que le faubourg de Bruges,

 Perdu en mer, perdu en mer. » (Jacques Brel, Mon père disait).

La vision du littoral belge comme ligne de fracture cosmique est peut-être compatible avec le rappel de l’histoire récente et du front de l’Yser durant la guerre 1914 - 1918. Long de 78 kilomètres, l’Yser prend sa source en France et se jette dans la Mer du Nord aux environs de Nieuport, cité flamande étroitement liée au souvenir du Roi-Soldat Albert Ier.

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En réalité, le littoral flamand (67 kilomètres) est infléchi dans la direction Nord-Est/Sud-Ouest, à l’image de tout le rivage occidental de l’Europe. Cette diagonale peut aussi être observée dans le cours de l’Escaut, de la Meuse et de leurs principaux affluents. L’ensemble fluvial Escaut-Lys et l’ensemble fluvial Meuse-Sambre forment deux diagonales Nord-Est/Sud-Ouest quasi parallèles. Il y a là matière à réflexion quant à la partition possible de la Belgique reposant sur la pérennité des paysages plutôt que sur des surimpositions cycliquement récentes (bourgeoisie francophone et fonctionnaires européens, maîtres de la Région bruxelloise), sur une division horizontale exclusivement linguistique ou sur de sempiternels clichés du genre « le déclin de la Wallonie ». Comme si Mons, Liège et Charleroi se réduisaient à des charbonnages obsolètes et comme s’il n’existait pas, aujourd’hui, une archéologie industrielle intégrée dans le patrimoine et des musées de la mine qui font marcher le tourisme !

En 2001, j’ai eu l’occasion de parcourir quelques exemplaires de Nouvelles de Synergies Européennes et je reconnais en Robert Steuckers un analyste métapolitique apportant à notre famille de pensée la nécessaire mesure de l’importance de l’hydrographie. Par ailleurs, mon excellent ami Georges Feltin-Tracol s’est penché récemment sur le futur de la Belgique (1), pays qu’il connaît mieux que moi-même et dont il présente des scenarii évolutifs parfaitement plausibles. Dans les présentes réflexions, mon objectif est d’épingler la fragilité de ces scenarii en regard de certaines données de la Nature.  Un fédéralisme organique pour une Europe des Régions se doit d’être exigeant et de regarder plus loin que le bout du nez des politiciens.

Hormis la Lys et la Sambre, l’Escaut et la Meuse ont peu d’affluents dans la direction de l’Ouest. La Mehaigne et le Geer sont deux rivières d’importance secondaire. Leur source voisine celle de la Grande et de la Petite Gette. L’extrémité du bassin occidental de la Meuse est ainsi géographiquement très proche du Brabant. Celui-ci est traversé par des cours d’eau qui appartiennent au bassin oriental de l’Escaut : par exemple la Dyle, qui arrose Malines, Louvain et Wavre.

L’hydrographie de la Belgique fait fi des divisions linguistiques. Rivière généralement considérée comme « flamande », la Dyle prend sa source près de Nivelles, en plein Brabant wallon. Le Geer sillonne le Limbourg et la province de Liège. Il prend sa source aux confins de la Hesbaye brabançonne, passe près de Waremme (en Wallonie toujours) et se jette dans la Meuse limbourgeoise. Une ville flamande comme Sint-Truiden (Saint-Trond) se sent toujours principautaire, c’est-à-dire appartenant à l’ancienne principauté de Liège et à sa tradition pluriséculaire des Princes-Évêques unissant le pouvoir temporel et l’autorité spirituelle.

La Meuse et ses principaux affluents (hormis la Sambre) forment un bassin tourné vers l’Est (Vesdre, Hoyoux, Ourthe, Semois, Amblève). Il en va de même de l’Escaut. Hormis la Lys, les grands affluents et sous-affluents scaldéens sont tournés vers l’Est : Dendre, Rupel, Dyle, Démer, Grande et Petite Nèthe.

Les bassins mosan et scaldéen offrent donc une structure identique : une diagonale Nord-Est/Sud-Ouest et des affluents et sous-affluents allant prendre leur source à l’Est.

Le moment est venu de se remémorer la symbolique de l’axe Nord-Est/Sud-Ouest et son lien avec d’autres grandes dualités (qui ne sont pas des « dualismes ») : les Maisons II et VIII de l’Horoscope, l’opposition des saisons extrêmes hiver - été, le face-à-face de la lumière et de la chaleur, la différenciation platonicienne du « Cercle du Même » et du « Cercle de l’Autre », la distinction entre le brahmane et le kshatriya, le passage de l’Hyperborée à l’Atlantide, la migration de nos ancêtres depuis leur berceau originel jusqu’à la terre d’accueil, le voyage des Arctides jusqu’à la grande île du Sud et d’Occident, la découverte réciproque des « fils d’Élohim » et des « filles des hommes ».

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Une des vocations de la Flandre pourrait être l’assomption de ces dualités, non sans une certaine tension dramatique répercutée dans le paysage, lorsque le voyageur monte du littoral vers l’arrière-pays, puis vers « la Flandre intérieure », comme disent les géographes (le « plat pays » de Brel), pour voir soudain se dresser devant lui une barrière de collines : « les Ardennes flamandes », le Mont-Kemmel, le Mont-de-l’Enclus, le Mur de Grammont. Tous ces accidents du relief flandrien excèdent la barre des 100 mètres que Bruxelles n’atteint qu’en deux endroits de sa périphérie : les Trois-Tilleuls de Watermael-Boitsfort et un quartier de Forest précisément nommé « Altitude 100 ».

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Bruxelles est traversé souterrainement (depuis 1866) par la Senne, qui prend sa source près de Soignies (Wallonie), se jette dans la Dyle aux environs de Vilvorde (Flandre) et appartient au bassin oriental de l’Escaut. Affluent de la Dyle, le Démer prend sa source en Limbourg, non loin de la diagonale Meuse - Sambre. À l’Ouest de celle-ci, le paysage du Brabant Wallon et de la Hesbaye est certes vallonné, mais il faut passer du côté oriental pour atteindre les points culminants de Belgique (autour de 700 mètres).

Bruxelles et la diagonale Escaut - Lys sont les deux foyers d’un territoire scaldéen géographiquement homogène. De l’autre côté de la diagonale Meuse - Sambre se présente un autre territoire géographiquement homogène dont le paysage et le relief annoncent ceux de la Lorraine et de l’Allemagne. Les grands écrivains français visitant la jeune Belgique dans les années 1830-1840 ne s’y sont pas trompés. Gérard de Nerval a écrit Flandres et Rhin. Le Rhin est aussi un recueil de textes de Victor Hugo qui commence par l’évocation du chemin de fer Liège-Verviers et de la Vesdre coulant vers Aix-la-Chapelle.

La terre scaldéenne et le pays rhéno-mosan sont tous deux à l’Est du méridien d’Ostende-Westende, comme il sied à d’anciennes provinces d’Empire. Ce méridien coupe en revanche la France en deux et laisse la péninsule ibérique sur son côté occidental. Continuant sa route vers le Sud, il traverse l’Algérie, terre de fracture Orient-Occident. Il laisse également sur son flanc Ouest le Maroc et sa remarquable façade atlantique. Ainsi les îles britanniques, la moitié occidentale de la France, l’Espagne, le Portugal et le Maroc forment-ils un arc de cercle autour des Açores, archipel où certains voient un vestige émergé de l’Atlantide engloutie.

Je conclus ici ces quelques réflexions impertinentes sur l’hydrographie de la Belgique dont le point de départ avait aussi une portée plus générale. Je m’en voudrais cependant de terminer sans un hommage à la Hesbaye, terre natale de toute ma famille.

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En Hesbaye prennent leur source des rivières qui appartiennent au bassin scaldéen (Grande et Petite Gette) et qui participent du bassin mosan (Geer, Mehaigne).

La Hesbaye est donc une terre d’entre-deux, le pays intermédiaire par excellence. Ce n’est pas sans raison que cette contrée a fait l’objet d’une attention toute spéciale de la part des Mérovingiens, des « maires du palais » (dont Pépin de Landen, ancêtre de Charles Martel) et des Templiers (commanderies de Villers et de Haneffe). Né à Bruxelles, j’ai passé pendant quinze ans mes vacances près de Waremme, dans un village sis à proximité de la frontière linguistique. À table, on y entamait une conversation en wallon, la poursuivait en flamand et l’achevait en français. Là battait le cœur de la Belgique de grand-papa, que l’on pourra plier à toutes les nouvelles structures que l’on voudra. Elles ne résoudront rien si elles ne respectent pas les données essentielles que constituent les paysages, et les cours d’eau qui les irriguent comme les artères et les veines insufflent la vitalité au corps humain.

Daniel Cologne

Note:

1 : Georges Feltin-Tracol, « De l’avenir de la Belgique… », in L’Unité normande, n°300, octobre 2007.

21:08 Publié dans Belgicana | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : belgique, hydrographie, belgicana | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 07 mai 2024

D'un auteur francophone à un autre auteur francophone et à une langue inconnue en Europe

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D'un auteur francophone à un autre auteur francophone et à une langue inconnue en Europe

Piet

Source : Nieuwbrief Knooppunt Delta, no 189, avril 2024

Christopher Gérard est un auteur belge de langue française (il préférerait sans doute entendre " un auteur thiois de langue française ") que je suis depuis un certain temps. Non seulement parce qu'il est un parfait contemporain (il est né en 1962 comme moi), mais aussi et surtout pour ses livres et ses publications. En fait, j'ai appris à bien l'apprécier à travers sa revue Antaios, qu'il a publiée entre 1992 et 2001 - je crois que j'en ai bien conservé tous les numéros. Une revue "spéciale", car consacrée aux traditions polythéistes (en Europe et au-delà). Son ambition était de poursuivre la revue du même nom, fondée en 1959 par Mircea Eliade et Ernst Jünger.

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Il écrit ensuite plusieurs romans et essais païens (Parcours païen, puis Le Songe d'Empédocle, et Maugis, mais aussi La Source pérenne qui m'est restée en mémoire). Il écrit des critiques littéraires dans diverses revues (Service littéraire, Livr'arbitres, Eléments, etc.). Son style m'a toujours séduit, et les sujets banals sont négligés par ce Christopher Gérard.

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Le livre qui nous occupe, Les Nobles Voyageurs - Journal de lectures, est la réédition d'un livre paru voilà déjà quelques années, mais augmenté, cette fois, de critiques littéraires sur 122 auteurs. On pourrait dire qu'il s'agit d'un vade-mecum des écrivains qui ont marqué notre auteur. Beaucoup d'entre eux sont des écrivains qui ont adopté une perspective particulière - une sympathie pour le polythéisme, un message de transmission des anciennes traditions européennes, une critique particulière des religions monothéistes.

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Beaucoup d'auteurs connus sont ainsi passés en revue, beaucoup de noms familiers, et surtout des francophones (avec quelques Allemands, comme Jünger, ou des Anglais comme Scruton et Evelyn Waugh). Mais aussi beaucoup d'inconnus, et parfois des surprises. Je voudrais vous parler d'une de ces surprises.

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À la fin du livre, Gérard évoque Alain van Crugten. Ah, me suis-je dit, un auteur néerlandais, même si je ne le connais pas. Et bien non, voyez-vous, Alain van Crugten est certes né à Bruxelles en 1936, mais c'est un essayiste et traducteur francophone, notamment d'œuvres slaves. Il a été professeur de littérature comparée et d'études slaves à l'Université libre de Bruxelles.

Dans son vade-mecum, Christopher Gérard évoque une oeuvre d'Alain van Crugten, En étrange province. "Un roman remarquable à la tonalité musicale forte", dit notre auteur. Van Crugten est un excellent connaisseur de l'Europe centrale et orientale. Il y décrit une culture minoritaire en Allemagne, sur les rives de l'Etwë. Les gens qui y vivent "font partie de ces peuples sans Etat, qui parlent une langue, l'éthois, qui disparaît sous les coups triomphants de l'allemand". Selon Alain van Crugten, cette langue est probablement apparentée au tamoul et au wolof. Mais Alain van Crugten n'est pas le seul à s'être penché sur cette langue très minoritaire. Avant lui, le linguiste Tamaz Gamkrelidze et le mythologue Georges Dumézil l'ont fait et ont défendu l'origine indo-européenne de l'éthois. L'histoire se déroule près de Crostau (dans le Haut-Bautzen), c'est-à-dire dans l'est de la Saxe.

Bien entendu, j'avais déjà entendu parler de la langue sorabe (parlée à Bautzen et dans les environs) et lu des études sur elle. Le sorabe, apparenté au slovaque, au tchèque, au polonais et au cachoube, est une langue slave. Actuellement, il resterait environ 25.000 Allemands parlant le sorabe.

Mais la langue éthoise ? Je ne l'ai trouvée nulle part. Ni sur la liste des langues disparues ni sur la liste des langues parlées. Une idée?

Gérard, C., Les Nobles Voyageurs - Journal de lectures, 2023, éd. La Nouvelle Librairie, Paris, 456 p., ISBN 978 2 38608 007 4.

jeudi, 18 mai 2023

Entretien avec le groupe Feniks/Flandre : contre-mouvement et collectif métapolitique - Contre le narratif du mondialisme

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Entretien avec le groupe Feniks/Flandre : contre-mouvement et collectif métapolitique

Contre le narratif du mondialisme

Par Nick Krekelbergh

Quiconque ouvre régulièrement un journal ou parcourt l'internet a peut-être remarqué qu'une nouvelle étoile brillait depuis peu au firmament du conservatisme et du nationalisme en Flandre. Feniks est un nouveau groupe d'action et un collectif métapolitique qui s'adresse principalement aux jeunes. Il est frappant de constater que les fondements théoriques y occupent une place centrale. Mais le groupe se fait aussi régulièrement entendre par le biais de manifestations et de campagnes dans les médias sociaux. Ce faisant, le groupement ne se concentre pas tant sur les thèmes nationalistes flamands habituels, qui se résument généralement à une synthèse des luttes identitaires et institutionnelles, mais plutôt sur ce qu'il considère comme des développements sociaux plus profonds et plus fondamentaux. Pas d'actions autour de la périphérie flamande de la région bruxelloise ou contre l'islamisation, mais des soirées de formation sur lap pensée de Spengler et des manifestations contre l'introduction des pass sanitaires et de l'euro. Après plusieurs manifestations réussies, la publication d'un manifeste volumineux constitué d'"essais contre le narratif du mondialisme" est désormais à l'ordre du jour. TeKoS s'est entretenu avec Sacha Vliegen, l'un des initiateurs de Feniks.

TeKoS : Depuis quelques années, dans la rue et sur les médias sociaux (et parfois dans les médias grand public), nous avons pu faire la connaissance d'un nouveau groupe catalogué au sein de la droite conservatrice : Feniks. Pouvez-vous nous présenter brièvement Feniks ? Comment Feniks a-t-il vu le jour ? Pourquoi le besoin d'ajouter une nouvelle association au paysage nationaliste flamand ou à celui de la droite conservatrice ?

SV : Le riche paysage conservateur et nationaliste flamand actuel compte plusieurs organisations qui s'occupent principalement du domaine identitaire et, dans une moindre mesure, du domaine politico-institutionnel. Ces thèmes n'ont certainement pas perdu de leur pertinence, mais ces dernières années, d'autres thèmes ont également été mis en avant. Nous pensons à la pandémie du coronavirus, qui semble maintenant bel et bien derrière nous, au cours de laquelle les sciences se sont alliées à la pensée de l'ingénierie sociale et ont ébranlé toute la société de manière inattendue. En outre, nous assistons à la résurgence de la géopolitique, qui s'est également installée dans les préoccupations de nos contemporains depuis le printemps arabe de la décennie précédente. En raison de l'accent mis principalement sur la politique intérieure flamande et belge, ces thèmes essentiels ont souvent échappé à d'autres organisations que la nôtre. D'un point de vue structurel, Feniks établit également un lien étroit entre le contenu propement intellectuel et idéologique (nous pensons simplement aux conférences et aux entretiens en ligne, aux blogs, à la publication d'un manifeste) et les campagnes grand public. Au cours de la première année et demie de notre existence, l'accent a été mis sur les manifestations de ce que l'on appelle le "contre-mouvement", un nom collectif pour les différentes organisations qui ont vu le jour en réponse aux mesures prises lors de la pandémie.

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TeKoS : Feniks s'est révélé pour la première fois au monde extérieur lors des manifestations contre le confinement en novembre 2021. En effet, le premier événement de l'initiative Samen Voor Vrijheid, une organisation baldaquin, pluraliste, à laquelle Feniks a apporté son soutien logistique, a attiré 35.000 personnes. Pouvez-vous nous expliquer brièvement comment vous vous êtes impliqué dans cette initiative et pourquoi cette question est si importante pour Feniks ?

SV : La réaction officielle de l'Etat à l'émergence du coronavirus a eu un impact indéniable sur la société. Les réactions telles que le confinement général, les fermetures de sites où s'exprimait la convivialité sociale, et l'introduction du CST (Covid Safe Ticket) ont été imposées par une peur irrationnelle, attisée par des médias sensationnalistes, et ont aussi parfaitement montré à quel point l'élite politique est convaincue de l'existence d'une forme d'ingénierie sociale. Une technocratie a remplacé la primauté de la politique et les aspects sociaux de la vie humaine ont été négligés. Pour nous, cela reflétait à quel point une société peut être dystopique entre les mains d'une élite, pour laquelle les êtres humains sont réduits à "survivre" en tant qu'individus, mais qui ne sont plus considérés dans leurs connexions naturelles avec leurs communautés. Alors que nous venions tout juste de nous réunir pour former Feniks, nous avons uni nos forces à celles d'un certain nombre d'organisations pour descendre collectivement dans la rue pour protester contre le CST qui venait d'être introduit. Depuis lors, le nom collectif de "contre-mouvement" a émergé compte tenu des différentes perspectives émanant de toutes les associations qui se sont réunies à l'époque. Ce qui a été organiquement mis en place en très peu de temps constitue, pour le dire avec prudence, un jalon manifeste dans l'histoire récente.

TeKoS : Outre l'activisme de rue et les campagnes sur les médias sociaux, Feniks accorde également beaucoup d'attention aux fondements théoriques de son idéologie conservatrice. Cela va au-delà de la simple organisation de soirées de formation. Un manifeste est en cours d'élaboration. Il ne s'agit pas seulement d'une liste énonçant quelques points de désaccord avec d'autres instances ou organisations. Il s'agit d'une vaste collection d'essais philosophiques fondamentaux contre "le narratif du mondialisme", qui aborde divers thèmes tels que l'identité, l'économie, la migration, la géopolitique, la spiritualité, ... Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Comment ce manifeste a-t-il vu le jour ?

SV : Ce corpus doctrinal était déjà présent à l'origine juste avant la création de Feniks. Il y a tellement de thèmes différents qui se rejoignent lorsqu'il s'agit d'un système social, qu'en les réduisant à un seul thème, on s'obscurcit la vue. Par exemple, ceux qui évoquent principalement les migrations, qui sont un thème important, ne peuvent pas porter leurs regards au-delà et percevoir les causes géopolitiques. Celui qui parle d'identité doit aussi prendre en compte la phase du capitalisme dans laquelle nous sommes et l'impact qu'elle a sur notre vie quotidienne.

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TeKoS : Bon nombre d'essais couvrent le domaine de la géopolitique. Surtout aujourd'hui, avec la guerre en Ukraine en toile de fond, c'est un sujet délicat. Alexander Douguine et sa Quatrième théorie politique (y compris le modèle de la multipolarité) sont également abordés. Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe et son rôle dans le monde ?

SV : Nous craignons nous-mêmes une Europe qui se soumet servilement à ce que dictent les Etats-Unis. Notre espoir réside dans une Europe souveraine qui poursuit ses propres intérêts et les aborde de manière réaliste. Pour les États-Unis, par exemple, les migrations provoquées par le printemps arabe ou par la guerre en Ukraine n'ont pas un impact aussi important que pour l'Europe. Pourtant, l'Europe suit docilement les États-Unis. Notre espoir est de larguer les États-Unis, tant sur le plan géopolitique que culturel, en tant que première civilisation du monde. Cette primauté ne correspond plus à la réalité, ou du moins, nous vivons une phase de transition. Douguine est un philosophe extrêmement intéressant, qui tend un bon miroir à ce qui s'est passé en Occident au cours des trente dernières années (en particulier après la chute du mur): la transition de la démocratie libérale à la société postmoderne. Cela ne veut pas dire que nous sommes entièrement d'accord avec Douguine. Douguine nous décrit ce qui se passe au sein de la civilisation russe (ou du moins d'une partie de celle-ci). La société multipolaire est de fait devenue une réalité après le 24 février 2022. Cependant, elle apparaissait déjà en gestation évidente après la guerre en Syrie (ou contre la Syrie). La civilisation occidentale a atteint ses limites. Par exemple, nous partageons avec Douguine, mais pas seulement avec lui (pensez à Samuel Huntington), l'idée que la civilisation occidentale ne continuera pas à se développer universellement. Nous pensons qu'il existe différentes civilisations qui partageront le pouvoir au niveau international, politiquement, militairement, économiquement et culturellement. La manière irréfléchie dont l'OTAN et l'UE ont cherché à s'étendre s'est traduite par une réponse militaire misérable. C'est ce qui nous différencie de Douguine, par exemple: nous envisageons la situation d'un point de vue européen et souhaitons avant tout que les armes se taisent le plus rapidement possible. Cela peut encore être possible si nous osons, en tant qu'Europe, fixer une limite à la volonté d'expansion de l'OTAN et de l'UE en échange de la souveraineté nationale des pays d'Europe de l'Est limitrophes de la Russie. Les hommes politiques européens suivent cependant la voie opposée.

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TeKoS : Chez Feniks, ce sont surtout les jeunes qui sont actifs, semble-t-il. Les jeunes générations sont parfois blâmées pour la volatilité, le manque d'engagement et de concentration par les générations plus âgées. Est-il facile de les mobiliser sur un projet aussi substantiel que Feniks ? Cela nécessite-t-il une stratégie de mobilisation et de communication adaptée ?

SV : C'est en effet un défi, en contradiction avec l'esprit du temps. C'est délibérément que nous ne visons pas les masses en soi. Les actions à l'extérieur servent à montrer les positions spécifiques que nous défendons ou auxquelles nous sommes opposés, la formation réelle est principalement une question interne, parfois individuelle, et ne s'adresse donc pas à tout le monde. La prise en compte de sujets substantiels est souvent très demandée aujourd'hui, dans un monde où l'on est constamment stimulé par de courts clips de trente secondes ou des messages publicitaires. Il y a donc des conférences en ligne, qui sont aussi parfois mises en ligne pour le grand public, ainsi qu'un canal de formation interne via Telegram (une application de médias sociaux) et des formations individuelles. Ces dernières me rappellent le regretté Francis Van den Eynde qui, à l'époque, prenait personnellement le temps de philosopher avec de jeunes étudiants, parfois pendant plusieurs heures de suite lors d'un après-midi.

TeKoS : Il y a aussi beaucoup de citations philosophiques et idéologiques partagées sur les médias sociaux. Heidegger, Spengler et Nietschze, par exemple, sont souvent cités. Si vous pouviez citer trois penseurs qui ont eu une influence fondamentale sur Feniks, quels seraient-ils ?

SV : Trois, c'est difficile parce que ce serait encore trop limité. Oswald Spengler, Heidegger, De Benoist, Douguine, Johan Gotfried von Herder et Diego Fusaro, si nous pouvons aller jusqu'à six, cela fait deux fois trois. Ils peuvent probablement tous être qualifiés de "penseurs controversés" mais leurs idées sont étroitement liées. Par conséquent, aucun d'entre eux n'est décisif dans tous les domaines. Il y a donc suffisamment de thèmes pour continuer à donner des conférences et des interviews pendant plusieurs années encore.

TeKoS : Le "marxisme culturel" n'existe pas en réalité, comme l'affirme le manifeste de Feniks, ou du moins il n'est pas ce grand moteur des évolutions sociales que certains penseurs, blogueurs et journalistes conservateurs ont cru y reconnaître il y a quelques années. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ? Qu'est-ce que c'est ? Et quel a été le rôle de l'école de Francfort et de la génération de Mai 68 dans cette évolution ?

SV : La théorie critique, par exemple, joue un rôle très important dans notre réflexion. Alors que de nombreux faiseurs d'opinion conservateurs se concentrent sur le contexte marxiste, ils oublient souvent que les Frankfurter eux-mêmes qualifiaient Karl Marx et ses idées de réactionnaires. En outre, le terme "marxisme culturel" crée une confusion avec le socialisme ou le communisme tel que nous les connaissions à l'époque soviétique. Les communistes soviétiques et les soi-disant marxistes culturels n'en seraient peut-être pas très heureux. Nous n'allons pas nier l'infusion de Marx et de la théorie freudienne dans les idées de l'école de Francfort, ni l'impact essentiellement négatif de ce corpus sur la civilisation occidentale, avec les aberrations de la culture woke et de la cancel culture. Il est important de reconnaître également, d'un point de vue métapolitique, que ces "marxistes culturels" se sont concentrés sur le sujet individuel, de manière encore plus radicale que les libéraux classiques. Nous pouvons donc - et nous l'expliquons plus en détail dans notre manifeste - considérer le "marxisme culturel" comme un enfant du libéralisme. L'ancienne gauche radicale a donc complètement vendu son âme au capitalisme. La phrase de Clay Routledge, reprise dans Tekos 188, résume bien la situation : "Nous vivons à l'ère du woke capitalism, où les entreprises prétendent se préoccuper de justice sociale pour vendre des produits à des gens qui prétendent détester le capitalisme".

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Le n°189 de TeKoS, où est paru la version originale du présent entretien avec Sacha Vliegen.

TeKoS : Feniks accorde également de l'attention aux penseurs de gauche (Sahra Wagenknecht, Hannah Arendt, Diego Fusaro) dans son manifeste, et explique même que la Frankfurter Schule n'était pas sans mérite. Les collaborations concrètes avec des organisations dissidentes, plus à gauche, ne sont pas non plus rejetées. La droite commence-t-elle à sortir tranquillement de sa "stérilité anticommuniste", comme le rappelle Alain de Benoist dans les notes deson journal, récemment publiées ?

SV : Personnellement, je ne considère pas Hannah Arendt comme un penseur de gauche, mais dans tous les cas, l'intégration d'autres perspectives est essentielle si vous voulez poursuivre une théorie globale et être un véritable groupe anti-système. Prenez l'immigration, par exemple. La force motrice qui la sous-tend est d'origine capitaliste. Par conséquent, quiconque critique l'immigration doit également critiquer le capitalisme et vice versa. Quelqu'un comme Diego Fusaro, par exemple, le reconnaît et s'inscrit donc moins dans un cadre purement gauchiste tel que nous le verrions en 2023. La plupart des personnes appartenant à la gauche politique pourraient considérer Fusaro comme étant d'extrême droite en raison de ses opinions sur la souveraineté nationale uniquement. Même les premiers Frankfurter ont formulé des critiques intéressantes sur le capitalisme et la massification de l'homme (par exemple, l'influence de l'industrie du divertissement). Dommage que la gauche ait oublié ces critiques.

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TeKoS : "Nouvelle droite" est un terme qui revient sans cesse dans les médias, où il est utilisé par toutes sortes de journalistes, de "spécialistes" et d'universitaires pour désigner à peu près tout ce qui évolue dans le sillage du Mouvement flamand contemporain et de la droite conservatrice. Considérez-vous Feniks comme une émanation de la "Nouvelle Droite" et quelle influence la Nouvelle Droite, en tant qu'école de pensée historique, a-t-elle eue sur vous ?

SV : L'influence est indéniablement très forte. Francis Van den Eynde (auteur et éditeur de TeKoS pendant de nombreuses années, ndlr) a été mon père spirituel et politique pendant mes années d'études, et ma contribution personnelle au manifeste lui est d'ailleurs dédiée. Pour nous, Robert Steuckers est également un compagnon et une encyclopédie ambulante, et ses travaux sur l'Europe et la géopolitique sont également importants dans notre manifeste. La Nouvelle Droite ne peut pas tout englober: comme nous l'avons déjà dit, il y a plusieurs penseurs qui ont apporté des contributions importantes qui ne s'inscrivent pas tout à fait dans le cadre de la Nouvelle Droite.

TeKoS : Un thème sur lequel Feniks est remarquablement silencieux, même dans son manifeste, est celui de la Flandre, de l'indépendance flamande et des Pays-Bas. C'est plutôt atypique pour un mouvement de droite conservatrice du sud des Pays-Bas. Est-ce une décision délibérée de se concentrer sur d'autres thèmes ?

SV : Laissons de côté la question institutionnelle pour l'instant. Il s'agit également d'un thème juridique très important qui s'inscrit moins dans un cadre philosophique. Néanmoins, il y a eu une nette tendance dans ce sens ces dernières années, malheureusement peut-être. Par ailleurs, dans l'Union européenne actuelle, il sera très difficile, voire impossible, de créer de nouveaux États souverains. Cela est douloureusement clair depuis l'affaire de la Catalogne. Nous devrons donc nous détacher politiquement et institutionnellement de l'enchevêtrement de l'UE avant de pouvoir parler d'une Flandre ou de Pays-Bas "indépendants".

TeKoS : Activisme de rue, médias sociaux, multimédia, théorisation et formation. Votre champ de vision est large, les moyens sont vastes et les objectifs semblent ambitieux. Comment envisagez-vous l'année à venir et comment Feniks entend-il continuer à marquer de son empreinte le paysage métapolitique et la société civile ?

SV : L'ambition ne manque pas. Le 5 février a déjà eu lieu une manifestation sur le thème "Towards €xit", qui désigne une attitude critique à l'égard de l'Union européenne. Le pouvoir politico-institutionnel se niche largement dans les institutions européennes, bien davantage qu'au niveau national. C'était un premier pas en termes d'actions. En outre, notre manifeste sera bientôt publié et nous le présenterons lors d'un congrès. D'ailleurs, nous organiserons une première fête de la mi-hiver cet automne, et nous espérons pouvoir continuer à le faire chaque année. En ce qui concerne les conférences, nous avons déjà interviewé au début de l'année David Engels sur l'avenir de l'Europe et Robert Steuckers sur les conflits actuels en Europe. À plus long terme, la formation d'une nouvelle génération est un projet en cours, que nous avons l'intention de poursuivre dans l'esprit de feu Francis Van den Eynde.

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Le Manifeste de Feniks porte le sous-titre "Essais contre le narratif du mondialisme" et peut être lu comme une analyse du système mondial avec des contributions fondamentales et réfléchies sur des sujets tels que l'identité, l'immigration, l'idéologie, l'économie, la géopolitique et la culture, à la fois dans leurs dimensions actuelles et historiques. Les lecteurs qui souhaitent acheter un exemplaire en prévente peuvent contacter info.feniksvlaanderen@gmail.com.

jeudi, 11 mai 2023

René Baert: esthétique et éthique

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René Baert : esthétique et éthique

C’est la réédition d’une rare pépite des éditions nationales-socialistes belges de La Roue solaire que nous annonce également le Cercle. L’épreuve du feu, à la recherche d’une éthique fut publié en mars 1944 par René Baert, critique littéraire et artistique du Pays réel, aux éditions qu’il cofonda, un an plus tôt.

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A sa sortie, ce livre fut présenté élogieusement dans la presse d’Ordre Nouveau, notamment par Le Nouveau Journal dont Robert Poulet fut le rédacteur en chef : « C’est à [la révolution nationale et sociale] que se consacre René Baert dans son livre L’épreuve du feu, qui porte en sous-titre : à la recherche d’une éthique.

Il s’agit d’une suite de courts essais dont le lien et l’unité sont évidents. Livre un peu aride, sans doute, –mais la facilité n’est plus de mise en ces temps de fer, et puisque, justement, c’est contre l’esprit de facilité qu’il faut d’abord lutter. Livre d’utile mise au point. L’essentiel de notre combat sur le plan de la pensée et de l’éthique, se trouve condensé dans de brefs chapitres qui s’intitulent notamment : La mesure du monde, Liberté chérie, Apprendre à servir, Le salut est en soi, Mystique de l’action, L’homme totalitaire, Le sens révolutionnaire.

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On n’entreprendra pas ici de résumer un message qui se trouve déjà fortement condensé dans ces pages, et dont la signification essentielle tient peut-être dans ces quelques lignes :

“Le révolutionnaire est celui qui lutte pour que nous ne connaissions plus jamais un temps comme celui que nous avons connu avant cette guerre… Ah ! combien à ce temps exécrable préférons-nous celui que nous vivons aujourd’hui ! Ce n’est pas que nous soyons heureux d’avoir fait les frais d’une aventure qui ne nous concernait pas, ce n’est pas que nous bénissions l’épreuve qui nous condamne à étaler toutes nos misères aux yeux d’autrui, –mais ce qui nous enchante, c’est d’être entrés de plain-pied dans la lutte, c’est de participer dans la faible mesure de nos moyens au gigantesque travail de l’avènement de l’Europe… Le sens révolutionnaire de notre époque extraordinaire se traduit précisément dans l’immense besoin de quelques-uns de sauver leur patrie malgré elle… La tâche, plus que jamais, doit appartenir aux révolutionnaires. C’est toujours à la minorité combattante qu’appartient l’initiative de la lutte. Mais qu’on n’oublie pas que seuls pourront y participer ceux qui n’auront pas préféré leurs petites aises au risque qui fait l’homme.”

Cette tâche, elle est politique et sociale, mais elle est aussi spirituelle, éthique. Aussi bien est-ce à la recherche d’une éthique révolutionnaire que s’applique l’auteur de L’épreuve du feu. Il ne le fait pas sans se référer à de hauts maîtres, tels que Nietzsche ou, plus près de nous, l’Allemand Ernst Jünger (dont René Baert analyse lucidement l’œuvre et l’enseignement dans un chapitre intitulé Le travailleur), les Français Drieu la Rochelle ou Montherlant (entre lesquels il établit un remarquable parallèle). » (Le Nouveau Journal, 6 avril 1944).

René Baert, réfugié en Allemagne en 1945 où il tentait de se préserver des générosités assassines de la Libération, est arrêté et fusillé sans autre forme de procès par des militaires belges. On ne dispose que de peu d’éléments biographiques sur lui bien qu’il existe un site modeste qui lui est consacré (cliquez ici: https://renebaert.wordpress.com/biographie/).

L’épreuve du feu, de René Baert, est ressorti aux éditions du Lore et est disponible directement chez l'éditeur: http://www.ladiffusiondulore.fr/index.php?id_product=1031&controller=product

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mercredi, 03 mai 2023

Manifeste du Groupe Feniks (Flandre): Pourquoi ai-je contribué à ce travail?

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Le manifeste du groupe Feniks en Flandre sera bientôt disponible!

Pourquoi ai-je contribué à ce travail?

Sacha Vliegen

Pour la plupart des gens, et c'est ma propre expérience qui le dit, l'opposition de "droite" est synonyme de populisme à bon marché sans trop manifester de substance. Se plaindre quotidiennement de l'immigration sans avoir une véritable vision alternative du monde. Personnellement, c'est la dernière raison pour laquelle j'arrive à être "à droite" dans la plupart des domaines.

Deuxièmement, ce travail est aussi une critique solide mais constructive de la droite. L'identitaire met trop l'accent sur un récit anti-migrants. La transmission de l'identité mérite une attention plus profonde que la simple aversion pour les migrants eux-mêmes. Il est nécessaire d'aborder des contextes plus larges, même si ce ne sont pas nécessairement les thèmes par lesquels on marque des points aux élections (c'est la raison pour laquelle la politique des partis n'ose pas anticiper en ces domaines).

La géopolitique et la philosophie, ainsi qu'un anticapitalisme économique, doivent également et principalement innerver une lutte politique nationale.

J'espère sincèrement que ce livre en choquera plus d'un et qu'il incitera les gens à réfléchir davantage à tous ces thèmes.

* * *

Notre premier manifeste est maintenant disponible en pré-vente!

Le livre compte 272 pages et est écrit de manière didactique, ne vous laissez donc pas décourager par la complexité apparente des disciplines qui y sont traitées.. Le prix du livre est de 30 euros, mais il n'est que de 25 euros en prévente. 

Vous pouvez le commander en cliquant sur le lien suivant : https://feniksvlaanderen.be/product/104855

samedi, 17 septembre 2022

Pour la Wallonie et l’Ordre Nouveau : Pierre Hubermont

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Pour la Wallonie et l’Ordre Nouveau: Pierre Hubermont

par Christophe Dolbeau

Source: Christophe Dolbeau, Les Parias, Ed. Akribeia (commandes: https://www.akribeia.fr/collaboration-vichy/2163-les-parias.html).

Le 10 mai 1940, les troupes allemandes pénètrent en Belgique et déferlent sur les Ardennes. L’assaut est irrésistible : la Wehrmacht entre à Bruxelles le 17 mai et le roi Léopold III capitule onze jours plus tard. Réalisée en moins de trois semaines, cette invasion n’est pas ressentie de la même façon par tous les sujets du royaume. Force est de dire que si une majorité de patriotes en est indubitablement catastrophée, une forte minorité s’en accommode plutôt bien. Aux premiers rangs de cette minorité figurent bien sûr les nationalistes et séparatistes flamands, tous les pro-fascistes du pays, mais aussi de larges couches du prolétariat. Dans son manifeste du 28 juin 1940, Henri De Man (1), le chef du Parti Ouvrier Belge, se montre d’ailleurs très clair : « Pour les classes laborieuses et pour le socialisme », écrit-il, « cet effrondrement d’un monde décrépit, loin d’être un désastre, est une délivrance ». Ce constat, nombre de gens de gauche et d’extrême-gauche le partagent et c’est donc sans grands scrupules qu’ils vont rapidement adhérer à la politique de collaboration. On sait le rôle capital que jouera en France la gauche collaborationniste (2) et l’on se souvient de gens comme Marcel Capron (3), Georges Yvetot (4), André Thérive (5) ou Pierre Hamp (6). Eh bien, il en sera de même en Belgique où plusieurs « célébrités » de gauche vont résolument s’engager en faveur de l’ordre nouveau. On connaît généralement bien les noms d’Henri De Man et Edgar Delvo (1905-1999), les responsables de l’Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels (UTMI), mais beaucoup moins celui de Pierre Hubermont, journaliste et écrivain wallon qui paiera fort cher son soutien à l’Europe Nouvelle.

Écrivain prolétarien

515RPXV80ML._SX195_.jpgDe son vrai nom Joseph Jumeau, c’est le 25 avril 1903 que Pierre Hubermont vient au monde à Wihéries, à l’orée du bassin borain. Fils de Nicolas Jumeau et de Maria-Bernardine Abrassart, il possède un frère aîné, François, et aura bientôt une sœur prénommée Adolphine (Addy). Le grand-père, Charles, était mineur de fond et membre de la Ière Internationale, et quant au père, Nicolas, il est également mineur ; fondateur et animateur de la section locale de la fédération des syndicats du Borinage, c’est un socialiste convaincu qui sera conseiller municipal (1908) et finira même par être bourgmestre (1921). L’enfance de Joseph est assez grise pour ne pas dire carrément morose : il a dix ans à peine lorsque sa mère, atteinte d’une sorte de folie mystique, est internée, ce qui traumatise profondément le jeune garçon. Sage et studieux, il fréquente l’école moyenne (collège) de Quiévrain et suit peu après des cours de sténo-dactylo, en vue de faire une petite carrière de col blanc, sans doute dans les bureaux des charbonages. Peut-être un peu déçu et contrarié par cette perspective qui rompt avec la tradition familiale, Nicolas oblige alors son fils à effectuer quelques travaux manuels. L’adolescent sera donc successivement manœuvre maçon, sur le chantier de construction de la Maison du Peuple, puis porteur d’eau, foreur de puits artésien, chargeur de briques et enfin aide-opérateur de cinéma. Ces activités ne lui ôtent pas l’envie d’écrire et de raconter, inclination qui le pousse à adresser quelques petits textes, dont un conte, à L’Avenir du Borinage, organe officiel du Parti Ouvrier. Au journal, quelqu’un a dû deviner le potentiel du jeune homme puisqu’en août 1920, tout juste âgé de 17 ans, il est embauché comme rédacteur. Au contact quotidien de cette presse militante et des professionnels de l’écriture, sa vocation va vite se confirmer. En 1923, il signe son tout premier ouvrage, Synthèse poétique d’un rêve, un modeste recueil de vers libres auquel Les Nouvelles littéraires de Maurice Martin du Gard font l’honneur de consacrer un écho élogieux. C’est un signal encourageant mais encore timide. En fait, le véritable élan va lui venir de sa rencontre, en 1927, avec Augustin Habaru (1898-1944), un jeune journaliste communiste, collaborateur du Drapeau rouge et bras droit d’Henri Barbusse, qui l’entraîne vers la littérature prolétarienne, un domaine avant-gardiste et révolutionnaire.

Cette même année 1927, Joseph Jumeau, alias Pierre Hubermont, publie un court roman, Notre mère la houille, dans les pages de La Nation belge, suivi quelques mois plus tard, mais cette fois dans les colonnes de L’Humanité, de La terre assassinée. L’engagement pro-communiste du jeune écrivain ne fait désormais plus aucun doute. Sa technique d’écriture s’améliore et sa renommée s’affirme. Bien conscient de posséder un style original et soucieux de créer, face à la littérature bourgeoise, une vigoureuse littérature du prolétariat, parlant « le franc et rude langage du peuple » (7), il s’associe à plusieurs auteurs de sa génération et lance avec eux la revue Tentatives dont la grande référence sera le Manifeste de l’équipe belge des écrivains prolétariens de langue française. Né en avril 1928 autour de Charles Plisnier et Marc Bernard, tous deux futurs prix Goncourt, Augustin Habaru, Francis André, Benjamin Goriely (8), Albert Ayguesparse (9) et lui-même, ce magazine de littérature et de culture prolétarienne va durer un an, avant de se transformer en Prospections. Jugeant dès lors que la publication a trop tendance à s’embourgeoiser et à faire montre de complaisance envers le surréalisme, le dadaïsme et autres modes non-prolétaires, il quitte le groupe et s’en va explorer d’autres territoires. En fait, à cette époque, il vient de faire paraître Les Cordonniers, un petit texte d’une trentaine de pages, et se rapproche d’Henry Poulaille (1896-1980) qui milite en faveur d’une littérature faite par le peuple et pour le peuple. Plus radicaux que les populistes (André Thérive, Eugène Dabit), ils n’admettent dans leurs rangs, à la revue Nouvel Âge, que des auteurs vraiment prolétaires (10). Du 6 au 15 novembre 1930, Hubermont est à Kharkov, en URSS, où il participe à une mémorable Conférence internationale des écrivains prolétariens et révolutionnaires. Plus que pour les débats théoriques (qui verront la condamnation de ses amis de la revue Monde), il est surtout venu discuter d’un projet d’adaptation cinématographique de l’une de ses nouvelles, Au fond de la veine 6. Au final, l’affaire ne se fera pas car les Soviétiques voudraient modifier la personnalité de l’un de ses personnages (un délégué socialiste qu’ils tiennent pour un traître à la classe ouvrière), ce que l’écrivain refuse catégoriquement. Il n’a aucunement l’intention d’abandonner la littérature pour faire de la propagande…

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L’année 1930 voit également la sortie de Treize hommes dans la mine, un court roman qui va lui valoir un renom international. Inspiré par la terrible catastrophe minière de Courrières (11) et par l’incident de Marcinelle (12), ce livre paraît à Paris, chez Georges Valois (13), mais il sera bientôt traduit en néerlandais, en anglais et en russe. L’écho du récit d’Hubermont est d’autant plus fort qu’un incident survient, au début du mois de mai 1931, à Hornu-Wasmes où six mineurs se retrouvent coincés par un éboulement au fond du puits n° 8, à plus de 900 mètres sous terre. Adapté par une radio américaine (1931), ce texte donne également naissance à Germinal, une pièce radiophonique qui sera diffusée, en mai 1934, par l’INR (14). Il suscite enfin l’intérêt  du musicien français André Jolivet (1905-1974) qui compose, pour baryton et piano, une Prière des treize hommes dans la mine (1931) que l’on interprète encore de nos jours. Remarqué par tout ce qui compte dans le milieu de la littérature prolétarienne, Treize hommes dans la mine vaut à Hubermont une vraie notoriété. Il sort désormais de la marginalité. En 1932, il adhère au manifeste du « groupe des écrivains prolétariens » de Poulaille, signe une nouvelle, Première descente, dans l’hebdomadaire anversois Tout (15 janvier) et publie Hardi ! Montarchain, un ouvrage qui attire à nouveau l’attention du public et de la critique. Dans ce roman, il met en effet en scène quelques personnages caricaturaux, notamment deux sœurs jumelles, institutrices à Ciply, qui se reconnaissent et portent aussitôt plainte contre l’auteur. Défendu par nombre de publications, dont le Figaro, Pierre Hubermont sera jugé à Mons, en 1934, et condamné pour diffamation envers les sœurs Liénard, ce qui assure un regain de publicité à son livre… « Pierre Hubermont », écrit Jacques Cordier (15), « est bien connu chez nous par tous ceux qui s’intéressent à la vie des lettres belges d’expression française ». On le dépeint, ajoute-t-il, comme « sensible, doux et cependant enthousiaste et énergique lorsqu’il s’agit de réclamer non point la pitié ou la charité, mais la justice pour ceux qu’il aime … les frustrés, les simples, les travailleurs dont il a bien connu l’existence lourde d’angoisse et de peine ».

Entré au journal Le Peuple, organe central du Parti Ouvrier, Pierre Hubermont, auteur consacré (certains affirment même qu’il aurait reçu, en 1936, le Prix du Hainaut), fait désormais partie des grandes plumes de la gauche belge. Proche d’Émile Vandervelde (1866-1938), le fondateur de l’Internationale ouvrière socialiste, il demeure néanmoins très indépendant et n’hésite pas, le cas échéant, à s’écarter de la ligne officielle, ce qui ne va pas sans créer parfois des problèmes. C’est ainsi qu’un désaccord avec Arthur Wauters (16) entraînera son départ du Peuple. Ces péripéties n’entravent toutefois pas la poursuite de sa carrière littéraire. En 1934, il publie, aux Œuvres libres (n° 151, février 1934) Du côté des anges, livre qui sera bientôt réédité chez Rieder, sous le nouveau titre de Marie des pauvres. Il s’agit d’un roman très intéressant qui traite du mysticisme, de la sainteté illusoire et de la folie ; on pense bien sûr à la maladie de la mère de l’auteur. Dans la revue Esprit (17) Edmond Humeau résume le livre en ces termes : « Journal d’une petite fille qui, dans la misère, s’est prise d’envie pour sainte Thérèse, voudrait être Ermelinde de Brabant et lentement cède à la folie (…) L’histoire se passe dans le Borinage (…) Il y a l’atmosphère du pays noir, ses luttes et la désespérante misère que les hommes corrigent en s’abrutissant et les femmes en se résignant ». Toujours très libre, Pierre Hubermont multiplie les contacts les plus divers : déjà en relation avec André Thérive et Georges Duhamel, qui ont relu Treize hommes dans la mine (18), il assiste, en juin 1935, au Premier congrès international des écrivains pour la défense de la culture, et fréquente également, à partir de 1936, le Groupe du Lundi dont il est l’une des figures de proue, avec Robert Poulet (1893-1989) et Franz Hellens (1881-1972). Très éclectique, ce cénacle, où l’on croise Michel de Ghelderode, Marie Gevers, le poète Georges Marlow, Gaston Pulings et Paul Werrie (19), publie, le 1er mars 1937, un manifeste à la gloire de la « France littéraire » à laquelle il rattache les lettres belges francophones. Journaliste en vue, Hubermont assure une chronique littéraire dans Le Rouge et le Noir, tout en poursuivant son œuvre romanesque. En 1938, il fait paraître L’Arbre creux, roman peut-être moins percutant et moins engagé que les précédents mais qui lui vaut tout de même une critique plutôt favorable, notamment de la part de Robert Poulet et du libertaire breton Armand Robin.

Vedette de la Collaboration

Lorsque la situation internationale commence vraiment à se détériorer, quelques intellectuels diffusent un manifeste qui prône la neutralité belge et la défense des valeurs de l’esprit. Sollicité, en septembre 1939, d’adhérer au texte, Hubermont ne donne pas suite. Promu par Robert Poulet, Mil Zankin (Gabriel Figeys) et Gaston Derijcke (Claude Elsen), le manifeste n’obtiendra le ralliement que de treize signataires. Bientôt appelé sous les drapeaux, l’écrivain se retrouve ensuite aux premières loges, en mai 1940, lors de la triste « campagne des dix-huit jours » et c’est en direct qu’il assiste à la déroute de l’armée belge. Rendu à la vie civile le 1er août, il est alors contacté par Paul Colin (1895-1943) qui lui offre de se joindre à l’équipe du Nouveau Journal qu’il s’apprête à lancer. Théoriquement, le quotidien a reçu le discret assentiment du roi Léopold, ce qui garantit la parfaite probité de l’entreprise. Pierre Hubermont répond donc favorablement et rejoint la rédaction du journal dont le premier numéro sort le mardi 1er octobre 1940. Dans la nouvelle publication, l’écrivain intègre le service qui traite des questions sociales, sous la houlette de Paul Herten (1894-1944). Il ne s’agit donc pas, en soi, d’une prestation bien compromettante, mais c’est en s’associant à une publication aussi franchement collaborationniste que Pierre Hubermont franchit le Rubicon. Pour mieux comprendre sa démarche, peut-être faut-il garder à l’esprit que, disciple de Sorel, l’homme n’a rien d’un modéré ni d’un attentiste, et qu’il subit alors la forte influence d’Henri De Man, dont nous avons rappelé plus haut les propos sans ambages. Fils du prolétariat hainuyer, Hubermont est loin d’être foncièrement hostile aux Allemands et à cet égard, il est à l’unisson de nombre de militants de gauche. « Pour ces militants », note une historienne, « l’allégeance allait au pays qui avait le système social le plus avantageux pour la classe ouvrière, en l’occurrence l’Allemagne, mère-patrie de la social-démocratie ». L’ordre social nazi, ajoute-t-elle assez justement, était tout à fait susceptible de séduire les ouvriers du Pays noir « dont l’idéologie était sociale-démocrate à la mode allemande et dont le type de vie était très proche de ceux de la Ruhr ou de la Sarre ». Et elle souligne enfin que « mines et sidérurgie forgent une solidarité implicite qui va au-delà de tous les autres clivages » (20).

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Quoi qu’il en soit, Pierre Hubermont entre dès lors de plein pied dans la Collaboration. Caractère indocile (21), il ne restera cependant que quelques mois au Nouveau Journal où il supporte mal la férule de Paul Colin et l’acidité proverbiale de Robert Poulet, le rédacteur en chef. C’est surtout à partir de 1941 que s’accentue son engagement, l’écrivain se ralliant désormais très ouvertement à l’ordre nouveau et à l’Europe nouvelle. En Allemagne, quelques auteurs prolétariens ont fait des choix similaires (22) et en Belgique même, plusieurs collègues d’Hubermont cèderont, à des degrés divers, à la même tentation (23). « Il partait », écrira sa sœur Addy (24), « de l’idée que la Belgique avait toujours été le champ de bataille des puissances européennes rivales et que la fin des guerres européennes, que l’unification de l’Europe, ferait ipso facto la prospérité de la Belgique ». « Une cause », ajoute-t-elle, à laquelle mon frère restait fanatiquement attaché, en dehors des questions d’humanisme, était celle de l’Europe. Il était d’ailleurs européen dans la mesure où il était humaniste, considérant l’Europe comme la patrie de l’humanisme ». Il voit le futur Reich européen comme la renaissance du vieux Saint-Empire romain germanique. Dans cette perspective, le romancier multiplie les gestes symboliques. René Simar, un professeur de Duffel, ayant fondé une Communauté Culturelle Wallonne (CCW) qui se propose « de recréer l’âme et la culture wallonnes, d’en affirmer et d’en exalter l’originalité », Hubermont y adhère et en devient le secrétaire général. Il en sera bientôt le président, poste auquel il succèdera au peintre et statuaire Georges Wasterlain (1889-1963), lui aussi fils de mineur. Dans ce cadre, Hubermont insiste tout particulièrement sur l’existence et la vitalité d’une culture germanique mosellane, très proche de la culture rhénane… Forte d’un bon millier de membres, répartis en treize « chambres », cette CCW est un groupe extrêmement dynamique qui organise cours de langue, expositions, concerts, récitals et conférences. Soutenue par quelques personnalités connues et quelques experts (comme le germaniste liégeois Adolphe Léon Corin), la CCW diffuse plusieurs publications de bonne facture telles que le mensuel Wallonie (25) et les hebdomadaires Chez Nous et Terre Wallonne (26). Elle anime aussi des journées culturelles wallonnes (en mars 1942 à Liège, en septembre 1942 à Charleroi, en juin 1943 à Dinant) qui témoignent d’un assez bon niveau, évitent l’écueil de la propagande primaire et obtiennent, en conséquence, un écho certain. À l’initiative de Pierre Hubermont, la CCW envoie par ailleurs des enfants en colonies de vacances en Autriche, et organise au moins deux tournées d’artistes wallons dans le Reich. Regroupant une dizaine de personnes, un premier voyage se déroule entre le 23 septembre et le 5 octobre 1941. Il sera suivi d’une grande exposition (35 artistes) ou Wallonische Kunst der Gegenwart qui se produit à Düsseldorf (février-mars 1942), Wuppertal (26 avril-24 mai 1942) et Aix-la-Chapelle (août 1942). Ces événements permettent à des gens comme les sculpteurs Georges Wasterlain et Raymond Scuvée (prix de Rome), ou les peintres Henri Matthy et Pierre Duquène de vendre quelques œuvres et de se faire connaître en Allemagne.

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Sculptures de Georges Wasterlain.

Si la direction de la CCW constitue l’une des activités majeures de Pierre Hubermont, ce dernier n’en abandonne pas pour autant le journalisme. Lorsqu’il quitte le Nouveau Journal, c’est en effet pour entrer (novembre 1941) à La Légia, le nouveau quotidien de Liège, où il va dorénavant occuper le poste délicat de directeur politique. Succédant à La Meuse, dont elle récupère les installations, La Légia a commencé de paraître le 25 mai 1940 et a vite adopté une ligne clairement germanophile (ce qui ne l’empêche pas d’avoir une diffusion très honnête de 75.000 à 90.000 exemplaires). Afin d’éviter tout malentendu, précisons tout de suite que le titre ne fait aucunement référence à une quelconque légion (fût-elle « Wallonie »), mais bien à un petit cours d’eau local qui porte ce nom. Sous l’influence d’Hubermont, le ton du journal se durcit sensiblement. « Dans ses éditoriaux », écrit Raoul Folcrey (27), « Hubermont jette les bases idéologiques d’une collaboration germano-wallonne : défense de l’originalité wallonne, rappel du passé millénaire commun entre Wallons et Allemands, critique de la politique française visant, depuis Richelieu, à annexer la rive gauche du Rhin, défense de l’UTMI [Union des travailleurs manuels et intellectuels] et de ses spécificités syndicales ». Outre ces contributions à La Légia, l’écrivain anime une émission (Chronique de la vie wallonne) sur les ondes de Radio-Bruxelles, et collabore à diverses publications, comme l’hebdomadaire satirique Voilà et bien sûr Wallonie dont il est l’un des fondateurs. Dans cette revue, il n’est pas rare qu’il fustige « le cosmopolitisme d’inspiration juive qui s’infiltrait partout par la littérature ». Oublieux de son amour passé pour les lettres françaises, il lui arrive aussi de dénoncer la NRF et « le snobisme francophile ». Hormis ces thèmes opportunistes et un peu de circonstance, il reste bien évidemment très attaché à « un art pour le peuple et jailli du peuple » et demeure fidèle à ses idéaux socialistes (28). Ce qu’il appelle de ses vœux, c’est un État populaire belge qui permette aux cultures wallonne et flamande de s’épanouir dans le respect mutuel, et qui impose une certaine écologie, face au grand capital qui exploite les faibles et détruit les sites naturels. Et s’il soutient l’Allemagne, c’est parce que, selon lui, celle-ci réalise la vraie démocratie, qui part de la base et s’exprime au travers des organismes sociaux.

L’orientation politique de Pierre Hubermont est pleinement confirmée par son adhésion à la Société Européenne des Écrivains ou Europäische Schriftsteller-Vereinigung (ESV) qui voit le jour à Weimar, le 24 octobre 1941 (29). Placée sous l’égide du Dr Gœbbels et destinée à regrouper les écrivains favorables à l’Axe, cette association possède bien entendu une Section Wallonne et Belge de Langue Française (SWBLF) dont Hubermont sera le porte-parole et Guillaume Samsoen de Gérard le secrétaire. Le groupe connaît un certain succès et attire quelques personnalités comme le journaliste Pierre Daye, le dynamique abbé Norbert Wallez (30), Marie Gevers, Francis André, Marcel Dehaye, et le poète patoisant Joseph Mignolet (31). En 1943, le groupe prend le nom de Fédération des Artistes Wallons et Belges d’Expession Française (FAWBEF), mais Hubermont en demeure la cheville ouvrière. Son appartenance à cette société le conduit (ainsi que les écrivains flamands Ferdinand Vercnocke et Filip de Pillecyn) à se rendre, fin avril 1943 et à l’invitation des Allemands, sur le site du charnier de Katyn afin d’y assister à l’exhumation des victimes du NKVD. Lors de ce funèbre déplacement, il fera la connaissance de l’ancien Premier ministre polonais Léon Kozlowski (1892-1944). À leur retour de Biélorussie, les trois Belges donneront une conférence de presse à Bruxelles et Hubermont fera paraître un bref compte-rendu de huit pages (J’étais à Katyn ! Témoignage oculaire)-(32).

Maudit et impénitent

En fin compte, l’aventure collaborationniste de Pierre Hubermont s’interrompt brutalement le 23 septembre 1944, date à laquelle il est appréhendé par les libérateurs du royaume et incarcéré à la prison de Saint-Gilles. Tenu pour un traître d’envergure, avec la circonstance aggravante d’être ou d’avoir été de gauche, son avenir semble dès lors fort sombre. Transféré à Liège, il comparaît le 17 avril 1945 devant le Conseil de guerre local qui dresse à son encontre un réquisitoire implacable. Convaincu de l’innocence du grand allié soviétique, l’un des auditeurs militaires ira même jusqu’à lui reprocher « l’infâme reportage » (sic) qu’il a commis au sujet du massacre de Katyn… Hubermont est défendu par Pierre Nothomb (33) qui parvient, non sans adresse, à atténuer la responsabilité de l’accusé, en jouant notamment sur la démence précoce de sa mère et sur le fait que le futur romancier a tenté de se pendre lorsqu’elle fut internée. En tout état de cause, dextérité du plaideur ou scrupules des juges, Pierre Hubermont évite finalement le poteau d’exécution et écope d’un emprisonnement à perpétuité. Cette condamnation paraît aujourd’hui bien lourde mais au regard des pratiques judiciaires de l’époque (34), il s’agit d’un verdict plutôt clément. D’ailleurs, la peine sera bientôt commuée en 16 ans de détention et Pierre Hubermont sera libéré le 20 novembre 1950.

Lorsqu’il sort de prison, l’écrivain, à l’instar de la plupart des « inciviques », n’est qu’un pestiféré dont nul ne veut plus entendre parler. Il peut bien se remettre à écrire, il ne trouvera plus jamais d’éditeur. On sait par exemple qu’il achève, en décembre 1976, un ouvrage sur Katyn (Khatyn, ce n’est pas Katyn), mais ce dernier ne sera jamais publié ; le tapuscrit dort encore dans un placard des archives nationales (CegeSoma). La détention n’a cependant pas brisé l’ancien militant révolutionnaire. Il participe de temps à autres aux colloques sur la littérature prolétarienne qu’organise le jésuite Paul Feller (vétéran de la 2e DB), et on le retrouve, au moment de la grande grève de l’hiver 1960-1961, dans les parages du Mouvement populaire wallon (MPW). Sous le pseudonyme de René Lapierre, il contribue alors, discrètement, à Combat, le journal du mouvement, où il tient une rubrique intitulée « Vérité de granit ». En tout cas, très favorable à André Renard (photo, ci-dessous), le chef du MPW, il ne lui ménage pas son soutien. « André Renard », écrit-il (35) ainsi, dans La Révolution prolétarienne, « est apparu comme ayant l’étoffe d’un homme d’État prolétarien et européen (…) Ce gars, qui a une puissante personnalité, se dégage (à la faveur d’une grève prématurément engagée à l’encontre de son avis raisonnable et raisonné), se dégage du carcan de la lourde bureaucratie syndicale (…) Grâce à lui, une politique réactionnaire est ébranlée et un socialisme mal en point reprend pied dans un pays où il se mourait d’un excès d’engraissement dormitoire » (36). Comme on le voit, à l’approche de la soixantaine, l’écrivain prolétarien n’a rien renié de ses convictions de jeunesse.

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Ces quelques manifestations de présence demeurent toutefois très marginales. Définitivement exclu des lettres belges en 1944, Pierre Hubermont n’obtiendra jamais aucun pardon. Il ne sortira plus de l’anonymat, et c’est dans l’oubli total et l’indifférence générale qu’il s’éteindra, le 18 septembre 1989, à Jette, dans la périphérie bruxelloise.

Notes:

(1) note 12, p. … (P.Daye)

(2) Par le biais notamment du Rassemblement national populaire (RNP), du Parti populaire français (PPF), du Parti ouvrier et paysan français (POPF) ou de la Ligue de pensée française.

(3) Ouvrier tourneur, Marcel Capron (1896-1982) fut maire communiste d’Alfortville puis député communiste de Sceaux. Secrétaire général du POPF, il sera condamné à deux ans de prison et à la dégradation nationale en 1944, mais sera amnistié en 1953.

(4) Ouvrier typographe, Georges Yvetot (1868-1942) fut un célèbre militant anarchiste et syndicaliste révolutionnaire. En 1942, il présidait le Comité ouvrier de secours immédiat (Cosi).

(5) Journaliste, professeur et écrivain, André Thérive (1891-1967) fut le célèbre critique littéraire du journal Le Temps et le fondateur de l’école dite « populiste ». Brièvement emprisonné à la Libération, il collaborera régulièrement à Rivarol, aux Ecrits de Paris, à Paroles françaises et Carrefour.

(6) Ancien pâtissier, chef de gare et inspecteur du travail, l’écrivain Pierre Hamp (1876-1962) fut un ami de Charles Péguy. Socialiste et pacifiste, il a consacré de nombreux livres à la condition ouvrière.

(7) Voy. Manifeste de l’équipe belge des écrivains prolétariens de langue française (février 1929), cité par Jacques Cordier dans « Pierre Hubermont, un homme dans la mire (1903-1989) », in Pierre Hubermont, Treize hommes dans la mine, Bruxelles, Labor, 1993, p. 137.

(8) D’origine juive russe, Benjamin Goriely (1898-1986) a traduit de nombreux textes de littérature russe et consacré plusieurs études au monde soviétique ainsi qu’au nazisme. Il collabora au Drapeau rouge mais aussi à la revue Esprit et à l’Encyclopédie de la Pléiade.

(9) Instituteur et poète, Albert Ayguesparse (1900-1996) sera membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises en Belgique.

(10) Pour être vraiment un « écrivain prolétarien », il fallait impérativement être né de parents ouvriers ou paysans, être autodidacte, et témoigner dans ses écrits des conditions de vie de sa classe sociale d’origine.

(11) Le 10 mars 1906 et suite à un coup de grisou, 1099 mineurs trouvèrent la mort à Courrières. Le 30 mars, treize hommes remontèrent vivants, suivis le 4 avril par un ultime rescapé.

(12) En 1928 et lors d’un éboulement accidentel, quarante hommes furent coincés durant plusieurs heures dans une galerie de mine à Marcinelle.

(13) Disciple de Georges Sorel, Georges Valois (1878-1945) fut le fondateur du Faisceau (1925) et du Parti républicain syndicaliste. Voy. Yves Guchet, Georges Valois, Paris, L’Harmattan, 2001 ; Jean-Claude Valla, Georges Valois : de l’anarcho-syndicalisme au fascisme, Paris, Dualpha, 2017.

(14) Institut National de Radiodiffusion (INR) ou radio d’État belge, fondée en 1930.

(15) Jacques Cordier, op. cit., p. 151.

(16) Arthur Wauters (1890-1960) fut directeur politique du journal Le Peuple, puis député, sénateur, plusieurs fois ministre et ambassadeur (Varsovie, Moscou).

(17) Voy. Esprit de février 1935, p. 848.

(18) Voy. Bernard Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945) », Cahiers d’histoire de la IIe Guerre mondiale, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10 (Bruxelles, octobre 1986), p. 176.

(19) Ibid, p. 173.

(20) Voy. Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La Libération et l’Épuration en Belgique », Le Crapouillot, n°120 (Paris, juillet-août 1994), p. 63.

(21) C’est pour cela sans doute que Jacques Willequet le décrit sèchement comme « un caractériel qui frisait le dérèglement cérébral et qui passa son existence à se brouiller avec tout le monde » – voy. J. Willequet, La Belgique sous la botte, Paris, Editions universitaires, 1986, p. 172.

(22) Par exemple Max Barthel (1893-1975), Karl Bröger (1886-1944), August Winnig (1878-1956) et Hans Zöberlein (1895-1964).

(23) Notamment René Baert (1903-1945), Constant Malva (1903-1969), Marcel Parfondry (1904-1968) et Fernand Jouan.

(24) Voy. A. Jumeau, Bon sang ne peut mentir, Bruxelles, 1949 – cité par Raoul Folcrey, « La Gauche et la Collaboration en Belgique: De Man, les syndicats et le Front du Travail », Vouloir-Archives EROE (en ligne) ou Le Crapouillot, n° 110 (Paris, septembre-octobre 1992), p. 20-22 [version abrégée du même article].

(25) Collaborent à Wallonie Jean Denis, Gaston Derijcke, Francis André, l’abbé Wallez, Gabriel Figeys, Marie Gevers, Marcel Parfondry et Marcel Dehaye.

(26) À Terre Wallonne (qui s’est d’abord intitulé Notre Terre Wallonne), on trouve les signatures de Gilles Anthelme (Francis Soulié), Fernand Jouan, André Combaire et Jules van Erck.

(27) Voy. supra Raoul Folcrey, Vouloir-Archives EROE (en ligne).

(28) « Ce gauchiste », écrit J. Willequet (op.cit, p. 172), « n’eut jamais que deux passions : la Wallonie et le sort de la classe ouvrière ».

(29) Voy. C. Dolbeau, « Weimar 1941-1942 : la Société Européenne des Écrivains », Tabou, vol. 25 (Saint-Genis-Laval, 2019), pp. 160-183.

(30) Directeur du quotidien Le Vingtième Siècle, l’abbé Norbert Wallez (1882-1952) était un admirateur de Mussolini. Correspondant régulier de Charles Maurras et Léon Daudet, il embauchera Hergé et Léon Degrelle dans son journal. Emprisonné en 1944, il sera condamné (1947 et 1948) à cinq ans d’emprisonnement pour collaboration.

(31) Voy. Bernard Delcord, op. cit., p. 181-182.

(32) Ferdinand Vercnocke fait de même et publie Ik was in Katyn.

(33) Sur ce personnage, voir Lionel Baland, Pierre Nothomb, Collection “Qui suis-je“, Puiseaux, Pardès, 2019.

(34) Si Robert Poulet, condamné à mort, finit par s’en sortir vivant, tel n’est pas le cas des journalistes René Baert, José Streel, Paul Herten et Jules Lhost qui sont passés par les armes.

(35) sous le nom de Pierre Hubermont.

(36) Voy. La Révolution prolétarienne (« mensuel syndicaliste révolutionnaire »), n° 465/164, octobre 1961, p. 11.

Bibliographie:

La Révolution prolétarienne, n° 465/164 (Paris, octobre 1961).

– B. Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945), Cahiers d’histoire de la IIe Guerre mondiale, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10 (Bruxelles, octobre 1986).

– J. Willequet, La Belgique sous la botte, Paris, Editions universitaires, 1986.

– R. Folcrey, « La Gauche et la Collaboration en Belgique : De Man, les syndicats et le Front du Travail », Le Crapouillot, n° 110 (Paris, septembre-octobre 1992) – repris sur le site Internet de Vouloir-Archives EROE. 

– P. Hubermont, Treize hommes dans la mine, Bruxelles, Labor, 1993.

– Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La Libération et l’Épuration en Belgique », Le Crapouillot, n° 120 (Paris, juillet-août 1994).

jeudi, 07 juillet 2022

"Il n'y a pas de cohésion morale sans dignité sociale" selon Henri De Man

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"Il n'y a pas de cohésion morale sans dignité sociale" selon Henri De Man

SOURCE : https://www.bloccostudentesco.org/2022/07/04/bs-a-cose-fatte-henri-de-man/

La vie d'Henri de Man semble être une existence faite pour remettre en question les dogmes et les idées reçues. Une parabole certes hors du commun, mais qui raconte mieux que d'autres l'histoire du court siècle qu'a été le début du 20e siècle. Une histoire humaine et politique qui revit à travers A cose fatte (traduction italienne récente d'Après-Coup), une autobiographie intellectuelle publiée en 1941, alors que de Man avait cinquante-cinq ans, et republiée en italien cette année-ci par Altaforte Edizioni avec un précieux essai introductif de Corrado Soldato.

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Henri de Man était l'un des principaux animateurs du mouvement ouvrier belge. Il a adhéré au Parti ouvrier belge (POB/BWP) dès son plus jeune âge et a ensuite procédé à une révision progressive du socialisme et du marxisme. De cette révision sont nées des œuvres intellectuelles de grande valeur, comme les essais tels Au-delà du marxisme et L'idée socialiste, mais surtout l'élaboration du Plan ouvrier et du soi-disant planisme, c'est-à-dire une sorte de socialisme national qui, pour les adversaires de de Man, n'était rien d'autre qu'"un fascisme à peine déguisé". Avec la Seconde Guerre mondiale et l'invasion de la Belgique par les nazis, de Man choisit de collaborer avec les Allemands, suivant également l'exemple du roi Léopold III.

À première vue, le parcours de de Man peut sembler paradoxal, voire relever carrément de la trahison. Cependant, son cas n'est pas isolé, il suffit de penser à Marcel Déat et Jacques Doriot, ou même plus tôt à Sorel ou à Mussolini lui-même. Avec fierté, de Man pouvait affirmer qu'il se souciait "autant du socialisme en 1941 qu'en 1902", l'année où il était entré dans la belle Jeune garde socialiste d'Anvers.

p3SO50zs6_-xlLtK1ekeywRwqwU.jpgPour de Man, repenser le socialisme et dépasser le marxisme est avant tout une façon de sauver le socialisme lui-même, de l'adapter à son temps et de rompre avec les dogmes et l'immobilisme d'un mouvement ouvrier qui semblait s'être essoufflé. Le tournant fondamental est la Première Guerre mondiale : "Pour moi plus que pour quiconque, août 1914 a signifié un effondrement total. Ma foi marxiste, ma foi internationaliste, ma foi antimilitariste, ont été mises au pilori par les événements".

La Grande Guerre a signifié la fin de la Seconde Internationale, les valeurs de la nation avaient pris le pas sur celles de la lutte des classes. Déjà au début du siècle, de Man avait développé une préoccupation pour le nationalisme: "Comme à cette époque [1905] j'étais déjà persuadé que les progrès du socialisme et le réveil des nationalités allaient de pair, je voyais avec angoisse les fissures qui apparaissaient dans l'édifice marxiste et la difficulté croissante du marxisme à faire correspondre la théorie aux faits". Bien que de Man ait eu la lucidité d'anticiper ces questions, la Première Guerre mondiale a représenté un point de rupture inéluctable. De Man lui-même a participé au conflit en tant qu'officier d'artillerie, faisant ainsi partie de la "génération du front", comme il le rappellera plus tard à Mussolini dans une correspondance entre les deux hommes.

La guerre n'a pas seulement vaincu le marxisme d'un point de vue politique. Au contraire, elle représentait le déchaînement de la vie à son paroxysme qui mettait en évidence à quel point le marxisme était une doctrine abstraite désormais vide de sens. Le choix de rompre avec le marxisme a donc acquis une dimension plus profonde et - comme l'explique de Man lui-même - "était dû au fait que je m'attaquais non pas à l'une ou l'autre des branches desséchées de la doctrine, mais aux racines mêmes du marxisme, c'est-à-dire à ses fondements philosophiques : le déterminisme économique et le rationalisme scientiste".

h-3000-de-man_henri_cavalier-seul-quarante-cinq-annees-de-socialisme-europeen_1948_edition-originale_autographe_3_76733.jpgCe fossé se creuse avec la crise économique des années 30, à laquelle les dirigeants du POB/BWP ne sont absolument pas préparés. A l'idée de la lutte des classes entre le capital et le prolétariat, de Man substitue celle de la lutte entre un mur d'argent et un front du travail: "A la place de la lutte des classes entre capitalistes et ouvriers, le front commun de toutes les classes sociales productives contre les puissances parasites de l'argent". Par mur de l'argent, il faut entendre "le monopole privé du crédit, qui subordonne l'activité économique à la recherche du profit privé, au lieu de rechercher la satisfaction des besoins collectifs". Ce à quoi de Man tente de répondre par la "nationalisation du crédit, comme principal instrument d'une économie orientée vers l'augmentation du pouvoir d'achat des masses populaires, afin de garantir à tous un travail utile et rémunérateur et d'accroître le bien-être général".

Tout ceci conduit de Man à envisager une économie mixte avec un dirigisme étatique fort qui puisse récompenser les forces productives de la nation. Pour ce faire, de Man créera un document politique appelé le Plan de travail, qui est probablement l'une des plus grandes réalisations politiques de de Man. Il n'échappe pas aux adversaires de de Man qu'une mise en œuvre efficace du plan nécessiterait un renforcement de l'État: "Ce que vous nous proposez n'est rien d'autre que du fascisme sous un mince déguisement. Vous rendez l'État tout-puissant, et vous ne pouvez pas mettre en œuvre votre programme, sauf en établissant une dictature". C'est quelque chose que de Man réalise également dans son expérience du gouvernement, lorsque l'idée de la faiblesse de l'ancien système parlementaire et bourgeois se renforce en lui.

Le réduire à son élaboration culturelle et politique serait lui faire injustice. Le texte de De Man n'est pas un texte de doctrine sèche, bien que sa contribution intellectuelle soit prépondérante. C'est l'histoire d'une foi ardente, vécue avec plénitude. Du militantisme fiévreux aux batailles parlementaires, de la distribution de tracts dans des villages reculés aux postes de professeurs dans des universités prestigieuses, des tranchées de la Première Guerre mondiale aux communautés de parias du monde entier. Le témoignage de De Man est des plus intéressants, parfois paradoxal, souvent surprenant, qui commence par le dégoût d'un enfant face à un monde en décomposition: "En vérité, j'ai commencé par opposer le prosaïsme du présent à un passé meilleur, avant de me soucier de l'avenir ; et j'ai ressenti la force rebelle de la tradition avant de connaître la force subversive de la révolution.

lundi, 13 juin 2022

La correspondance entre Mussolini et De Man et les livres "rouges" dans l'Italie fasciste

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La correspondance entre Mussolini et De Man et les livres "rouges" dans l'Italie fasciste

Italo Corradi

Source: https://www.ilprimatonazionale.it/cultura/il-carteggio-tra-mussolini-e-de-man-e-i-libri-rossi-nellitalia-fascista-235352/

R300273048.jpgLe 21 juillet 1930, Benito Mussolini, depuis Rome, adresse une missive à l'auteur d'un essai sur le marxisme, dont la lecture avait suscité l'intérêt du Duce. Le destinataire est l'intellectuel belge Henri de Man, qui répondra par retour de courrier le 23 août, depuis Francfort, où il enseigne à l'université. Le livre en question, un ouvrage destiné à avoir une influence considérable dans l'histoire du révisionnisme portant sur les théories marxistes, était paru en allemand en 1926 sous le titre Zur Psychologie der Sozialismus, pour être ensuite publié en français sous le titre Au delà du Marxisme. Mussolini, cependant, n'avait pas lu l'original allemand, ni les traductions françaises de l'essai, mais le premier volume de l'édition italienne de 1929 ; en fait, cette année-là, le livre avait également été publié en Italie par l'éditeur Laterza, avec un titre - Il superamento del marxismo - basé sur le titre français.

Un lecteur "illustre et compétent"

Écrivant à De Man, Mussolini loue sa révision éthique et idéaliste de la doctrine de Marx, qui est "définitive dans la mesure où elle suit les événements de 1914-1919 qui ont démoli ce qui restait de "scientifique" dans le marxisme". Ponctuel comme il l'était, le Duce avait cependant quelques reproches à faire au Belge, notamment lorsque celui-ci - se référant à un jugement de Trotsky - semblait interpréter la révolution fasciste comme visant à "mener une caste militaire ou féodale au pouvoir". En fait, la référence au militarisme et au féodalisme a dû piquer au vif Mussolini, s'il a pris soin de préciser que "la révolution fasciste n'a pas amené, n'a pas l'intention d'amener et n'amènera jamais au pouvoir une caste militaire ou féodale", étayant ainsi cette précision par des références à la législation sociale et corporative avancée du régime.

De Man, qui, selon le Duce, n'était pas trop "à jour" (sic) sur le fascisme, se déclare satisfait, dans sa réponse à Mussolini, de l'intérêt suscité par "un lecteur aussi illustre et compétent". Il a ensuite clarifié sa pensée. D'une part, lorsqu'il écrit " caste militaire et féodale ", il fait allusion à " la politique russe au Proche et en Extrême-Orient " ; d'autre part, tout en gardant certaines réserves à l'égard du fascisme, pour lesquelles il renvoie au deuxième volume de son essai (où il lit que le fascisme, comme le bolchevisme, pratique une " politique de puissance qui [... ] exploite les motivations inférieures des masses"), il ajoutait qu'il n'avait aucun scrupule à "rendre justice à certains aspects organisationnels de l'œuvre fasciste", dont il suivait le cours avec "un intérêt passionné".

Censure imprudente ?

L'échange de lettres entre Mussolini et le théoricien belge du socialisme est reproduit dans l'annexe de l'édition italienne de l'autobiographie de De Man - A cose fatte. Mémoires d'un "national-socialiste" - bientôt publié par Altaforte Edizioni. Le "duo" épistolaire, en plus de révéler que le chef du gouvernement italien - entre un engagement officiel et un autre - a trouvé le temps de se mettre à jour sur le débat philosophico-politique en cours, offre l'occasion de réfléchir sur le thème de la circulation, dans l'Italie de la Lictoria, de livres à orientation socialiste, qu'ils soient révisionnistes ou "orthodoxes". En effet, si l'on considère les antécédents marxistes de De Man, les jugements pas toujours flatteurs exprimés sur le fascisme dans son essai, le militantisme de l'auteur au sein du Parti ouvrier belge (la section belge de l'Internationale socialiste) et le fait que l'ouvrage ait vu le jour en Italie sept ans après l'arrivée au pouvoir de Mussolini, on peut se demander comment le texte a pu non seulement gagner les louanges (bien que partielles) du Duce, mais surtout, échapper à ce qui, selon la vulgate, était les contrôles vigilants de la censure de la dictature.

Qu'il ne s'agisse pas d'une publication semi-clandestine est exclu par le nom prestigieux de l'éditeur - Laterza - qui en a édité la version italienne. Était-ce peut-être l'ouvrage qui a atterri sur le bureau de Mussolini pour qu'il en prenne connaissance a posteriori et, le cas échéant, ordonne son retrait des librairies ? Mais si tel était le cas, pourquoi le Duce aurait-il pris la peine d'écrire à l'auteur, prenant même la peine d'écrire son texte à la plume ? En bref, l'épisode, aussi marginal soit-il, ne correspond pas entièrement au récit habituel d'un fascisme qui empêchait la circulation de textes politiquement hétérodoxes. Mais comme le Ventennio (les vingt ans du fascisme), contrairement à l'absolu schellingien de Hegel, n'était pas la nuit où toutes les vaches sont noires, quelques précisions s'imposent.

L'éditeur Laterza entre De Man et Benedetto Croce

Au tournant des années vingt et trente, et plus pleinement dans la seconde moitié de cette décennie, le régime, selon la vulgate susmentionnée, a accéléré sa politique de fascisation du pays, et de la culture en particulier. La publication de l'essai de De Man était-elle alors le chant du cygne de la libre diffusion des textes socialistes en Italie ? Il n'en est rien, du moins à la lumière de certains faits. Commençons par Laterza, qui jouissait à l'époque d'un bon degré d'autonomie.

41hBuDqnXGL._SX316_BO1,204,203,200_.jpgEn 1932, la maison de Bari avait par exemple publié, avec des réimpressions au moins jusqu'en 1938, un classique de l'historiographie libérale, la Storia d'Europa nel secolo decimonono de Benedetto Croce, où ne manquent pas les jugements qui ont probablement déplu au régime, comme celui sur le "culte de la nationalité" qui menaçait de dégénérer en "lugubre luxure raciale". Quant à De Man, les relations entre ce dernier et Laterza ne se limiteront pas à la publication de Superamento del marxismo (un titre, rapporte le Belge dans ses mémoires, choisi à la suggestion de Croce). En 1931, l'éditeur a en effet imprimé un autre essai de Laterza - La gioia nel lavoro (La joie du travail) - résultat d'une enquête sur la condition ouvrière menée à Francfort.

Du Manifeste à Trotzki : les livres "rouges" sous le fascisme

Le cas De Man mis à part, pendant le Ventennio, la publication de textes socialistes, et même marxistes, était tout sauf une exception. Laterza, par exemple, a imprimé La concezione materialistica della storia (La conception matérialiste de l'histoire) d'Antonio Labriola en 1938, tandis qu'entre 1936 et 1939, la Storia della rivoluzione russa (Histoire de la révolution russe) de Trotzki a été publiée respectivement par Treves et Garzanti. En outre, deux éditions du Manifeste du Communisme de Marx et Engels avaient déjà paru en 1934 : l'une à l'initiative de Felice Battaglia de Gentile, dans une série de documents qui voyait le fascisme comme l'aboutissement d'un mouvement d'affirmation des droits de l'homme culminant avec la Charte du Travail ; l'autre éditée par Robert Michels, un érudit avec les "papiers en règle" pour récupérer Marx et le marxisme en fonction de la polémique anti-bourgeoise qui avait déjà marqué le fascisme sansepolcriste.

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Sans parler des revues à thème corporatif éditées par Giuseppe Bottai, dans lesquelles le "fasciste critique" faisait publier des pages de Marx et même de Staline. Quant à Giovanni Gentile, le penseur actualiste commente les Thèses de Marx sur Feuerbach en 1937, tandis que l'entrée Treccani consacrée au "père" du socialisme scientifique est confiée à l'éminent économiste Augusto Graziani. De plus, à l'époque, la libre consultation des "écrits" marxistes n'était pas du tout entravée. Comme le reconnaît Giorgio Amendola dans sa Storia del Partito Comunista italiano, l'intérêt pour le communisme, surtout dans les cercles de jeunes, a conduit à une recherche des livres de Marx et Engels, de Plechanov et de Lénine, "qui sont arrivés en Italie sans trop de difficultés dans les éditions étrangères" et qui étaient présents dans les bibliothèques universitaires, dont beaucoup ont acheté les volumes du Marx-Engels Gesamtausgabe, qui comprenait la correspondance complète entre Marx et Engels et une grande partie des écrits de jeunesse jusqu'alors inédits du philosophe de Trèves.

Livres imprimés et livres au bûcher

D'après ce qui a été dit, l'image d'une industrie italienne de l'édition compacte et "en blouse noire" dépeinte par une certaine historiographie d'après-guerre semble donc inadéquate, surtout si l'on compare la politique d'édition fasciste à celle de l'Allemagne hitlérienne. Un épisode mérite d'être mentionné à cet égard, non pas - qu'il soit clair - pour accréditer le stéréotype d'un fascisme "bon enfant" auquel la sinistre intolérance de son "cousin" allemand serait étrangère, mais pour confirmer le fait que le régime de Mussolini avait une approche plus ouverte de la non-fiction "non conforme" que d'autres expériences historiques qui lui sont idéologiquement apparentées.

Revenons donc à De Man qui, soit dit en passant, dans la seconde moitié des années 30, aurait prôné en Belgique un "socialisme national" peu éloigné du fascisme et se serait rangé, dès 1940, dans les rangs de la "collaboration" avec le Reich. Eh bien, si en Italie, entre 1929 et 1931, Laterza a publié librement ses œuvres, peu après, dans l'Allemagne devenue nazie, les premières Bücherverbrennungen seront allumées. Et c'est à l'un de ces bûchers, en mai 1933, que sera brûlé, parmi d'autres livres, le dernier ouvrage du Belge - Die Sozialistische Idee - que De Man considérait comme le point d'arrivée de son chemin d'émancipation du socialisme par rapport au marxisme.

Italo Corradi

jeudi, 24 mars 2022

Le Congo des Congolais : un désastre en devenir

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Le Congo des Congolais : un désastre en devenir

Marco Valle

Source: https://it.insideover.com/storia/il-congo-dei-congolesi-un-disastro-annunciato.html

Quelques mois avant l'indépendance, les autorités coloniales semblaient encore convaincues de la solidité de leur pouvoir au Congo (belge). C'était de la folie, et pourtant, en août 1959, un rapport officiel affirmait que "l'autonomie (et non pas l'indépendance ; nda) sera le résultat d'un développement contrôlé et progressif, à long terme". Dix mois plus tard, le Congo belge, en tant que tel, a disparu de la carte.

Que s'est-il passé ? Beaucoup de choses. Après la Seconde Guerre mondiale, dans l'indifférence des autorités endormies, un petit groupe de jeunes intellectuels congolais, pour la plupart formés dans les missions catholiques, a commencé à s'organiser, à s'unir. A faire de l'agitation. Des segments de plus en plus importants des classes urbaines africaines ont commencé à se rassembler (et à se diviser) autour de l'ancien séminariste Joseph Kasa Vubu - de l'ethnie Bakongoko - et de son groupe Abako, ou à suivre le cercle Conscience africaine de l'abbé Joseph Malula et de Joseph Ileo.

En 1956, Malula et Ileo publient un Manifeste dans lequel, répondant à l'hypothèse de van Bilsen, ils exposent une synthèse entre être européen et être africain au sein d'une future grande communauté belgo-congolaise. Kasa Vubu rejette catégoriquement les propositions gradualistes de ses rivaux et rédige son propre document, beaucoup plus radical, qui envisage la création rapide d'un Congo indépendant mais, surtout, fédéral, respectueux des groupes ethniques et pluraliste. Il s'agissait d'un débat important auquel Bruxelles n'a pas prêté attention. Pourquoi pas ? Giovanni Giovannini, un témoin de l'époque, répond brutalement : "Pourquoi le devrait-il ? Quels étaient les partisans de ces chefs de petites associations tribales : tous ces gens qui, de plus, dépendaient pour leur nourriture quotidienne du salaire de l'administration et qui pouvaient, par conséquent, être facilement rappelés à l'ordre par le chef du bureau, sans même avoir recours aux gendarmes?". En bref, les Belges se sont appuyés sur les tensions tribales, la fragmentation sociale, l'arriération des masses et, surtout, ont sous-estimé les anciens élèves des missions catholiques. Une erreur : les prêtres sont de bons enseignants.

Les résultats du 8 décembre 1957 se sont avérés surprenants. Pour citer à nouveau Giovannini, "contrairement aux prédictions des colons, 84,7% des électeurs de Léopoldville se sont rendus aux urnes. Les Abako ont remporté la majorité absolue : 78,2% des voix, 133 des 170 sièges du conseil mis à la disposition des Noirs. Ainsi, ce ne sont pas seulement les bakongoko qui ont voté pour Abako, mais aussi les bangalas, les balubas et autres des innombrables groupes ethniques ; c'était une prise de position en faveur du "contre-manifeste" d'Abako. Le nationalisme africain contre le colonialisme belge".

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Mais Kasa Vubu (photo, ci-dessus) n'était pas le seul champion de l'indépendance. Avec le soutien décisif des partis belges, le Mouvement National Congolais prend forme en octobre 1958, dirigé par le catholique Ileo et le socialiste Cyrille Adula ; dans les intentions des promoteurs, le MNC devait être la réponse modernisatrice, centraliste et gradualiste à la faction ethnique, fédéraliste et extrémiste de Kasa Vubu. Afin d'équilibrer les courants internes, les deux dirigeants décident de coopter un sympathisant congolais du parti libéral au sein de la direction et choisissent le directeur adjoint apparemment modéré de la brasserie Polar, Patrice Lumumba (photo, ci-dessous). Personnage excentrique, confus et notoirement malhonnête, mais doté d'un charisme et d'un culot considérable, Lumumba prend rapidement la tête du parti et opère un changement politique radical. En l'espace de quelques mois, le "bon Patrice" est devenu le leader des indépendants, mais les Belges - obtusément convaincus qu'ils le contrôlent - ont continué à lui accorder toutes les facilités et à le favoriser contre Abako.

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La situation a atteint son paroxysme le 4 janvier 1959. L'interdiction d'un rassemblement de Kasa Vubu a déclenché l'ire d'une foule qui a pris d'assaut les palais du pouvoir, les maisons et les magasins des Européens, les hôpitaux et les églises. Après trois jours de folie et 49 morts, le soulèvement est réprimé mais l'impact psychologique, tant pour les Blancs que pour les indigènes, est énorme. Tant au Congo qu'en Belgique, l'incertitude, le malaise et l'urgence étaient omniprésents : les facteurs centraux qui allaient influencer chaque étape politique de la crise, jusqu'à l'acte final.

Le 13 janvier, Baudouin stupéfie une nouvelle fois le monde politique par un message dans lequel il reconnaît le principe d'une indépendance accordée "sans retard fatal ni imprudence téméraire". Une démarche téméraire qui visait à relancer le projet d'un trône africain pour Léopold III - relançant la solution des "deux monarchies" - mais désormais irréaliste, hors du temps.

À son tour, le gouvernement, dirigé par Gaston Eyskens, tente de reprendre l'initiative et d'imposer une feuille de route pour une indépendance limitée. Mais le Congo est désormais hors de contrôle et, alors que les incidents se multiplient et que la désobéissance civile s'amplifie, le découragement prend le dessus et paralyse l'administration coloniale. Fin 59, les Belges se retrouvent dos au mur : la seule solution possible pour sortir de l'impasse et retrouver la suprématie est la force. Une hypothèse fortement demandée, comme mentionné ci-dessus, par le souverain mais inacceptable pour les politiciens. Faisant appel à un article de la Constitution de 1893 qui empêchait l'utilisation des troupes métropolitaines dans la colonie - un rappel de la méfiance de longue date du gouvernement à l'égard des entreprises de Léopold II - le gouvernement, en accord avec l'opposition socialiste, exclut toute option militaire. L'ombre de la guerre d'Algérie plane sur la Belgique.

C'était encore une autre erreur. Une intervention limitée mais efficace de l'armée nationale aurait bloqué les dérives maximalistes et contraint les dirigeants africains à modérer leur ton et leurs prétentions. Ayant éclipsé l'hypothèse armée, le pouvoir politique et financier n'a d'autre choix que de négocier avec les Congolais ; le 20 janvier 1960, il convoque à Bruxelles une "table ronde" avec les représentants des différents "partis" africains : radicaux, modérés, unitaires, fédéralistes. Un cirque, mais "malgré de nombreuses divisions, les délégués congolais ont réussi à présenter un front uni et à obtenir l'indépendance le 1er juillet. La réaction apparemment surprenante du gouvernement s'explique par la crainte d'une sécession des colons blancs et, plus généralement, par le souci de garder le contrôle des richesses du pays, même au prix d'une indépendance accordée à la hâte. Une constitution provisoire, rédigée par des juristes belges, tente de concilier les aspirations des partisans de l'unité avec celles des "fédéralistes".

Les élections de mai 1960 donnent la victoire au MNC, mais il ne remporte qu'un tiers des sièges. Lumumba accepte d'élire le fédéraliste Kasa Vubu à la présidence de la république, mais à condition qu'il devienne premier ministre et se réserve le droit d'imposer un pouvoir présidentiel fort une fois l'indépendance acquise. Un traité d'amitié belgo-congolais est signé le 29 juin et le Congo est proclamé indépendant le jour suivant.

mercredi, 16 mars 2022

Maurice Maeterlinck « l’arpenteur de l’invisible »

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Maurice Maeterlinck « l’arpenteur de l’invisible »

par Daniel COLOGNE

Au milieu du XIXe siècle, la bourgeoisie flamande est majoritairement francophone et conservatrice. Elle envoie ses enfants dans les meilleures écoles catholiques et les destine à la carrière juridique. C’est dans ce type de milieu que naît à Gand, le 29 août 1862, Maurice Polydore Marie Bernard Maeterlinck.

Maeterlinck fréquente le collège gantois Sainte-Barbe. Il y côtoie Charles Van Lerberghe, « le poète au crayon d’or », auquel Raymond Trousson, mon professeur préféré de l’Université de Bruxelles, a consacré un volumineux ouvrage, et Grégoire Le Roy, dont j’ai cité quelques vers dans mon article sur Jacques Brel (in Culture Normande, n° 59). Cette génération d’écrivains belges de langue française, qui est aussi la génération de Maurice Barrès (également né en 1862), est l’une des plus brillantes de la francophonie périphérique. On y note la présence d’Eugène Demolder (1862 – 1919), ancien juge de paix dont l’œuvre est à redécouvrir, avec sa Flandre rêvée où sont transposés des évènements bibliques. Maeterlinck entreprend des études de droit, mais exerce très peu le métier d’avocat en raison d’une notoriété littéraire rapide qui lui permet de vivre de sa plume avant d’avoir atteint la trentaine.

9782070322459-fr-300.jpgLa revue La Jeune Belgique publie dès 1885 ses premiers poèmes rassemblés en 1889 dans le recueil Serres chaudes. La même année, La Princesse Maleine génère un éloge dithyrambique d’Octave Mirbeau et une flatteuse comparaison avec Shakespeare. C’est le point de départ d’un succès qui se maintient tout au long d’un parcours de dramaturge et d’essayiste couronné en 1911 par l’attribution du prix Nobel de littérature.

Maeterlinck demeure à ce jour le seul Belge à avoir obtenu cette distinction, à laquelle s’ajoutent le Grand Cordon de l’Ordre de Léopold (1920) et l’ennoblissement par Albert Ier (1932). Le comte Maeterlinck s’éteint à Nice le 6 mai 1949, à son domicile de la villa Orlamonde. Il laisse une œuvre riche d’une quarantaine de titres, dont quinze font l’objet d’une adaptation musicale. Pelléas et Mélisande (1892) inspire entre 1897 et 1903 cinq grands compositeurs : William Wallace, Gabriel Fauré, Claude Debussy, Arnold Schoenberg et Jean Sibelius.

Son œuvre de traducteur dévoile la filiation philosophico-littéraire dans laquelle se situe Maeterlinck. Sa traduction de Macbeth semble justifier le rapprochement louangeur de Mirbeau dans son article du Figaro évoqué plus haut. Celle de Ruysbroeck l’Admirable confirme à quel point la spiritualité de Maeterlinck est au diapason du mysticisme médiéval flamand. Mais c’est la transposition de deux œuvres de Novalis qui éclaire le mieux sa vision du monde aux antipodes du cartésianisme. Aux « idées claires et distinctes » du rationalisme français, Maeterlinck oppose en les privilégiant « les puissances supérieures, les influences inintelligibles, les principes infinis » dont il est persuadé « que l’univers est plein » et qui « agissent sur notre destinée ». Ainsi Paul Gorceix a-t-il pu qualifier Maeterlinck d’« arpenteur de l’invisible » dans une étude récente parue chez l’éditeur bruxellois Le Cri (2005). Le même analyste n’a cessé de rechercher, dans les articles de Textyles et de la Revue de littérature comparée, « l’image de la germanité » chez Maeterlinck, « Belge flamand de langue française ».

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Faire de Maeterlinck un héritier du romantisme allemand ne contredit qu’en apparence sa passion pour un sport violent (la boxe), une discipline de combat (l’escrime), la randonnée à vélo, les engins motorisés inaugurant le culte moderne de la vitesse. Maeterlinck est un personnage à multiples facettes dont la plus étonnante est sa minutieuse observation de la Nature à travers le monde des abeilles, des termites et des fourmis, sans oublier son remarquable essai sur L’Intelligence des fleurs (1907). Encore réédité en 2009, La Vie des abeilles ouvre en 1901 le cycle de la « grande féerie » du vivant non humain qui s’étale sur trois décennies. Ces « œuvres d’histoires naturelles » éveillent l’admiration de Jean Rostand. « L’esprit de la ruche » est la puissance mystérieuse qui en ordonne les activités aussi nombreuses que diverses et dont la reine est l’« organe représentatif », comme l’écrit un de ses biographes.

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Un spécialiste de Maeterlinck (ce que je ne suis nullement) évoquerait Bulles Blues (1948), récit autobiographique conçu pendant la seconde Guerre mondiale et la période d’exil aux États-Unis, les notes de voyage ramenées d’Égypte et publiées en 1928 (première parution en anglais dès 1925), la préface aux discours politiques de Salazar (1935). Je ne puis que citer un ouvrage comme Douze Chansons (1896), préfacé pour l’édition de 1923 par Antonin Artaud, pour qui Maeterlinck « est apparu dans la littérature au moment qu’il devait venir » pour y introduire « la richesse multiple de la subconscience ». À ce jugement imprégné de psychanalyse, je préfère celui de Rainer Maria Rilke, qui nous ramène salutairement au théâtre, tant il est vrai que Maeterlinck se définit avant tout comme une « poète dramatique ». Selon Rilke, « la scène, chez Maeterlinck, ne tient jamais dans le champ d’une lorgnette ». Elle présente une largesse et « une étrange fraternité » qui émerge de « la mêlée des personnages et de leurs anxieuses rencontres ».

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La liaison de près d’un quart de siècle de Maurice Maeterlinck et de Georgette Leblanc, cantatrice et femme de spectacle, s’inscrit dans une sorte de fatalité pareille à celle qui gouverne le destin des protagonistes de ses pièces. Née à Rouen en 1869, Georgette est la sœur cadette de Maurice Leblanc, créateur d’Arsène Lupin. Maurice et Georgette se rencontrent à Bruxelles, au cours d’une soirée organisée par le grand avocat Edmond Picard (1836 – 1924). Georgette interprète alors Carmen de Bizet au théâtre de la Monnaie et Picard, proche de la soixantaine (nous sommes en 1895), connaît une grande notoriété de protecteur des arts et des lettres, de défenseur d’écrivains qui offensent la bourgeoisie bien-pensante et de fondateur de revues (par exemple, L’Art moderne, plutôt orientée vers l’engagement social en littérature, concurrente de La Jeune Belgique citée plus haut et d’obédience plus parnassienne).

Maurice et Georgette voyagent beaucoup, de l’île de Walcheren à la Vendée en passant par les Vosges. Le couple ne se stabilise que de manière très relative, car il s’accoutume à changer d’habitat selon les variations saisonnières. On le trouve ainsi à Paris, au 67 de la rue Raynouard, dans une des anciennes maisons d’Honoré de Balzac, mais aussi sur la Côte d’Azur niçoise, où Maeterlinck fait bâtir la somptueuse demeure du boulevard Carnot. Il y finira ses jours, l’année même du treizième centenaire de l’abbaye Saint-Wandrille. À ce haut-lieu de la spiritualité, ainsi qu’avec l’ancien presbytère de Gruchet-Saint-Siméon, découvert par Georgette Leblanc lors d’un voyage à bicyclette, nous pénétrons en Normandie, capitale de la géographie littéraire du couple, région « souple comme un parc anglais, mais un parc naturel et sans limites ». « La Normandie, ajoute Maeterlinck, est un des rares points du globe où la campagne se montre complètement saine, d’un vert sans défaillance. »

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À Saint-Wandrille, entre 1907 et 1918, Georgette Leblanc et Maurice Maeterlinck tentent une expérience de théâtre total unissant les pièces Pelléas et Mélisande, à l’origine du triomphe jamais démenti de l’écrivain gantois, et Macbeth, décidément source récurrente de son inspiration. Cette expérience scénique illustre l’opiniâtreté avec laquelle la sœur de Maurice Leblanc assume sa vocation d’artiste de représentation. Elle joue Sapho de Gounod, fait une conférence à l’université populaire du XVe arrondissement de Paris, lors d’une soirée inaugurale rehaussée par un discours liminaire d’Anatole France. Le 17 juin 1899, chez Ollendorff (l’éditeur de son frère), elle chante des adaptations des poésies de Baudelaire. Le 15 décembre 1897, au théâtre de la Bodinière, rue Saint-Lazare, son récital illustre une conférence de Georges Vanor sur Schubert et Schumann. Stéphane Mallarmé et Jules Renard sont dans la salle. Ils lui réservent un accueil enthousiaste, au contraire de Jean Lorrain, pas convaincu par la capacité vocale de Georgette et toujours aussi expert en bons mots, qui écrit dans sa chronique du lendemain que Georgette Leblanc a « l’aphonie des grandeurs ».

Georgette Leblanc a la secrète ambition d’écrire et de nombreux extraits de sa correspondance avec Maeterlinck, dans les périodes où les deux amants sont séparés par leurs activités théâtrales et musicales respectives, sont intégralement repris dans La Sagesse et la Destinée (1898), essai pour lequel le créateur d’Arsène Lupin va jusqu’à suggérer une signature commune. « Je t’ai un peu volée », avoue Maurice Maeterlinck à sa muse normande.

immmthages.jpgUne chose est sûre : des essais comme Le Trésor des Humbles (1896) et La Sagesse et la Destinée se ressentent de l’influence de Georgette sous la forme d’un optimisme plus affirmé, d’une moindre soumission aux forces obscures du fatum. «N’acceptons jamais passivement notre destin; luttons sans cesse pour en faire ce que nous voulons qu’il soit; et si nous essuyons des défaites, travaillons activement à ce qu’elles nous rendent plus forts et surtout meilleurs. » Maeterlinck fait ici écho au volontarisme nietzschéen (« ce qui ne nous tue nous rend plus forts »), tandis que dans le premier des deux textes qui suivent de très près la rencontre avec Georgette, il se lance dans une apologie du silence face à l’hypertrophie de la parole et à la rhétorique de « Sire le Mot ». Il écrit donc dans Le Trésor des Humbles : « Les Âmes se pèsent dans le silence comme l’or et l’argent se pèsent dans l’eau pure, et les paroles que nous prononçons n’ont de sens que dans le silence où elles baignent. »

 

9791030901719b.jpgOn ne peut contourner le très récent ouvrage de Michel Arouimi (1) où sont opérés plusieurs rapprochements inattendus entre Maeterlinck et des écrivains comme Kafka, Rimbaud et Melville. L’auteur explore les essais de Maeterlinck qui sont « les plus imprégnés de mystique » et qui « ont été les victimes de l’holocauste pratiqué par notre culture, si hostile aux voix qui se réclament de l’Esprit au lieu de s’attacher au réel brut, devenu roi de ce monde ». Plusieurs chapitres de l’essai sur La Mort (1913) « recensent les hypothèses sur différents types de communication avec les morts et sur la vie post mortem, objet d’expériences recensées dans une abondante littérature, dont Maeterlinck respecte le sérieux apparent, sans lui donner vraiment son adhésion ».

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Maeterlinck se montre ainsi moins sévère que René Guénon lorsqu’il examine des courants comme le théosophisme ou le spiritisme. Le penseur installé en terre musulmane en 1930 dénonce dans le théosophisme une « pseudo-religion » et dans le spiritisme une « erreur » alors que Maeterlinck les analyse comme des hypothèses, au même titre que la réincarnation, dans la perspective d’un « préétabli des destins humains » assez proche de la prédestination pascalienne. « N’entrons-nous pas dans la vie chargés d’un long passé, d’une lourde expérience ? », écrit Maeterlinck dans L’Ombre des Ailes (1936). Cette idée proche de la notion hindoue de karma n’est pas incompatible avec la croyance en une divinité transcendante toutefois différente du Dieu des chrétiens ou du Jéhovah vétéro-testamentaire. « J’aime mieux me tenir à un infini dont l’incompréhensible est sans limite que de me restreindre à un Dieu dont l’incompréhensible est bornée de toutes parts. » Quant à Jéhovah, « il n’est que l’ombre déformée » de la Déité qui se laisse entrevoir « derrière lui et au-dessus de lui ».

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Le grand mérite du livre de Michel Arouimi est de déplacer le projecteur vers le Maeterlinck philosophe plutôt que d’éclairer prioritairement, comme on a coutume de le faire, le Maeterlinck passionné par les « insectes sociaux » et le Maeterlinck dramaturge, dont les « innovations » préfigurent toutefois « le dépouillement de la scène contemporaine ». La plume de Maeterlinck a des « sinuosités proustiennes » et sa constante préoccupation « d’une forme adaptée à son propos » le rapproche d’Henri Bosco. Quant à cette « sorte d’hérédité » attestée par « l’empreinte de nos ancêtres dans nos moindres cellules », elle renvoie évidemment à Barrès et explique « le désintérêt de notre époque pour la pensée de Maeterlinck, les hommes d’aujourd’hui étant persuadés de la vacuité de notre être à la naissance, avant de présenter les traits que ne lui donnerait que l’éducation ». Il faut imaginer l’auteur de L’Oiseau bleu au volant de sa Dion-Bouton pour saisir combien la personnalité de Maeterlinck se présente sous de multiples aspects. D’aucuns lui attribuent même une certaine ambiguïté, notamment dans ses rapports avec Grégoire Le Roy (2), son ancien condisciple chez les Jésuites gantois.

À l’époque où je rédigeais le présent article, durant l’automne 2017, j’ai eu le privilège de rencontrer l’arrière-petite-fille de Le Roy. Nous avons parlé de l’une ou l’autre lettre envoyée par Maeterlinck à son ex-compagnon de collège où, sous le couvert de quelques conseils amicaux, il donne l’impression de vouloir brider l’inspiration de Le Roy et garder la plus haute marche du podium des trois anciens élèves de Sainte-Barbe. Le décès précoce de Van Lerberghe, à l’âge de 46 ans, laisse Le Roy et Maeterlinck en concurrence directe à partir de 1907. Il est pour Maeterlinck d’autant plus facile de reléguer Le Roy dans l’ombre que ce dernier manque totalement de confiance en soi.

Reconnaissons néanmoins que l’œuvre de Le Roy, nonobstant quelques magnifiques poèmes où affleurent la hantise du Temps et la nostalgie du romantisme, se révèle assez disparate en face des différents blocs du corpus maeterlinckien : cycle de la Nature et des « insectes sociaux », essais philosophiques, théâtre symboliste largement adapté par les plus grands compositeurs de l’époque.

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Reste le problème historique de L’Annonciatrice, une pièce de Le Roy dont le texte a été longtemps déclaré perdu et qui pourrait être chronologiquement antérieur à L’Intruse de Maeterlinck. Le Roy pourrait revendiquer le statut de pionnier dans la dramaturgie symboliste belge et, en tout cas, le texte de sa pièce est conservé dans les archives de la famille. Un auteur anglais l’a d’ailleurs publié en 2005, en même temps que Mon cœur pleure d’autrefois et la Chanson d’un soir, dans le cadre d’une édition critique. La Chanson d’un soir et la Chanson du pauvre de Le Roy font écho aux Douze Chansons de Maeterlinck , à la Chanson d’Ève de Van Lerberghe et à la Chanson de la rue Saint-Paul de l’Anversois Max Elskamp. Il y a là tout un champ de recherche autour d’une poésie assumant la musicalité verlainienne et s’exprimant dans ce que Pol Vandromme appelle la « sourdine de la rêverie mélancolique ».

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Que Maeterlinck présente certains travers « humains, trop humains » n’enlève rien à l’ampleur de son œuvre. Sa tendance à se replier sur lui-même, notamment durant la période de Gruchet-Saint-Siméon, inspire à Georgette Leblanc un trait d’humour lorsqu’elle désigne l’ancien presbytère normand comme « l’Éden boudique » de son Maurice bien-aimé et pourtant fidèle. Maeterlinck lui-même note avec une désinvolte ironie, au lendemain d’un voyage en voiture contrarié par de nombreux problèmes techniques, qu’il pourrait en tirer la matière d’une encyclopédie des tracas de l’automobile.

Dramaturge prolixe, savant attiré par la flore et certains aspects du règne animal, philosophe s’interrogeant sur la destinée humaine sans tomber dans le piège de l’intransigeance commune aux croyants fanatiques et aux athées convaincus, Maurice Maeterlinck est un des écrivains les plus complets de son siècle : cette période de 1850 – 1950 où l’affrontement de la tradition de la tradition et de la modernité a été porté à son plus haut degré d’incandescence.

Daniel Cologne

Notes

1 : Michel Arouimi, Maeterlinck ou Naître par la mort, Paris, Orizons, coll.                   « Profils d’un classique », 2017.

2 : Grégoire Le Roy (1862 – 1941), bibliothécaire de formation, artiste – peintre, écrivain éclectique (poésie, théâtre, nouvelles, critique d’art), conservateur du musée Wiertz (Antoine Wiertz, 1806 – 1865, peintre romantique belge, auteur d’une étrange prophétie sur le destin supranational de Bruxelles).

mercredi, 23 février 2022

Le Congo des banques belges : beaucoup d'argent, peu de colons

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Le Congo des banques belges: beaucoup d'argent, peu de colons

Source: https://it.insideover.com/storia/

Entre les deux guerres, curieusement (du moins en apparence), la prospérité inattendue du nouvel "empire belge" et les importantes répercussions sur l'économie nationale - en 1936, rien qu'à Anvers, quelque 125.000 personnes travaillaient, directement ou indirectement, dans l'industrie du diamant - laissent l'opinion publique nationale assez indifférente. Insensibles à la propagande des milieux colonialistes ou aux suggestions des médias - on pense au grand succès de Tintin au Congo d'Hergé - la plupart des sujets flamands et wallons du roi Albert restent sceptiques quant au sort de la lointaine possession. Pour la majorité des Belges - tout à fait satisfaits de leur bien-être et uniquement intéressés par les querelles linguistiques et/ou l'affrontement entre les pouvoirs catholique et séculier - le Congo était "une affaire de dynastie, de banques, de trusts" et le rêve de quelques excentriques, donc un problème secondaire, un luxe superflu. Parfois une nuisance.

Ce n'est certainement pas le lieu pour une analyse des nombreuses fragilités et contradictions du royaume, mais nous pensons que l'expérience coloniale est paradigmatique de la complexité de la société belge. Au moment de la terrible crise de 1960, la froideur profonde pour toute hypothèse vaguement "aventureuse" ou impérialiste, l'éloignement et la distance vis-à-vis de la "grande politique", dont la Belgique profonde faisait montre, ont permis au gouvernement de Bruxelles - sans trop de crainte ni de remords - de faire des choix aussi hâtifs que dévastateurs.

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Dans son reportage sur la tragédie africaine, Giovanni Giovannini (Congo nel cuore delle tenebre, Mursia 1966) soulignait, avec étonnement, la faiblesse de la présence blanche sur le territoire au moment de l'indépendance : à peine un pour cent de la population totale du pays, une "colonie pour millionnaires". Bien que loin de toute nostalgie fasciste, le journaliste était imprégné, comme toute sa génération, de visions post-Risorgimento et nationales et considérait ces chiffres inconcevables "pour des gens qui, comme nous les Italiens, ont toujours justifié leurs entreprises coloniales par la recherche de terres, où déverser l'excès de leur population, et qui ont gaspillé l'or, la sueur et le sang pour transformer les sables du désert en vignobles".

Bien que dans les années 1960, les lignes du gouvernement colonial aient pu paraître farfelues à un Italien, elles avaient leur propre logique. Préoccupées par la convoitise des grandes puissances, conscientes de la fragilité du dominion et attentives à la stabilité interne, les autorités bruxelloises ont sciemment empêché la formation d'une minorité blanche importante et cohérente, qui aurait pu se montrer capable de s'imposer à la métropole et de diriger - selon les schémas d'apartheid des dominions anglo-saxons ou, pire encore, sous le signe de la multiethnicité lusitanienne - une majorité noire toujours privée de droits politiques. Convaincus d'exorciser ainsi les conflits raciaux et de bloquer toute poussée centrifuge ou autonomiste des "Blancs d'Afrique", les pouvoirs centraux entravent toute hypothèse de migration européenne, limitant les entrées et décourageant toute installation. Au Congo, contrairement à l'Afrique du Sud, à la Rhodésie, à l'Afrique française, portugaise et italienne, il n'y a pas de place pour les pauvres hères turbulents, pour les petits blancs en quête de terre et d'avenir.

Comme Giovannini l'a toujours rappelé, la politique anti-peuplement est mise en œuvre d'une manière irréprochable : "Une première sélection est effectuée sur ceux qui ont l'intention de s'installer dans la colonie en exigeant d'aux qu'ils déposent une caution relativement importante; en outre, ils doivent faire preuve d'un niveau de vie honorable ; ainsi, sont considérés comme indésirables non seulement ceux qui, par manque d'instruction, ne peuvent pas lire ou écrire couramment une langue européenne, mais aussi ceux qui n'ont pas de moyens d'existence suffisants ; et aussi ceux qui ont fait l'objet de poursuites judiciaires ou de condamnations. Le candidat colon doit donc présenter un minimum de garanties prouvées par un certificat médical, un certificat judiciaire, une caution de cinquante mille francs pour le chef de famille et pour chaque enfant de plus de 18 ans et de vingt-cinq mille francs pour l'épouse et pour chaque enfant de 14 à 18 ans".

Le résultat fut, comme l'analyse Guy Vanthemsche, une présence blanche minimale, presque sans importance: "Pendant la période de l'EIC (= Etat Indépendant du Congo), le nombre de Belges au Congo était extrêmement faible, 1500 personnes tout au plus. Après l'annexion, la population a augmenté et a atteint 17.000 habitants en 1930. Après la Seconde Guerre mondiale, la présence s'est accrue: 24.000 en 1947 et 89.000 en 1959. En 1910, la Belgique comptait 7,4 millions d'habitants et 9,1 millions en 1961″.

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Le tableau social de la petite communauté belge à la veille de l'indépendance est d'ailleurs intéressant : près de la moitié de la population était composée d'employés de sociétés privées (les grands trusts miniers et les sociétés apparentées), 20% de fonctionnaires coloniaux (en majorité wallons), 15% de missionnaires (en majorité flamands), et seulement les 20% restants étaient des résidents permanents. Dans ce dernier segment, le moins aimé par l'administration, il faut inclure les indépendants, les commerçants, les artisans et les planteurs. En bref, les colons par choix ne s'élevaient même pas à 24.000. Quasiment rien.

La fermeture progressive - face à la croissance limitée de la composante belge - des accès et des permis pour les autres Européens a encore compliqué le tableau (et affaibli la composante blanche déjà insignifiante). En 1957, il ne restait plus au Congo que 5000 Portugais, 3639 Italiens (surtout du Piémont et des Abruzzes), 2800 Grecs (surtout des Israélites rhodiens) et quelques centaines de Français et de Britanniques. En bref, le Congo n'était délibérément pas un pays pour les Blancs.

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lundi, 21 février 2022

L'histoire secrète du triangle États-Unis-Belgique-Congo qui a conduit à la première bombe atomique

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L'histoire secrète du triangle États-Unis-Belgique-Congo qui a conduit à la première bombe atomique

Source: https://it.insideover.com/storia/

Avec le début de la Seconde Guerre mondiale, le Congo est devenu une arme politique et économique essentielle pour le gouvernement belge en exil à Londres : en 1940, l'alignement, obtorto collo, du gouverneur Pierre Ryckmans sur les ministres fugitifs - de manière ambiguë, le nouveau souverain Léopold III, certain de la victoire de l'Axe, était resté chez lui -, permit l'inclusion des immenses ressources coloniales (caoutchouc, cuivre, tungstène, étain, zinc, huile de palme) dans l'économie de guerre anglo-américaine et permit à la faible entité belge d'assumer un semblant de légitimité face aux alliés envahissants. Pas seulement ça.

C'est le Congo belge qui a fourni, outre les matières premières indispensables, l'uranium nécessaire au projet atomique américain "Manhattan" et à la destruction d'Hiroshima et de Nagasaki. Une histoire complexe, dont une partie est encore enfouie dans les archives américaines, belges et britanniques.

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Tout a commencé en 1915, lorsque le plus grand gisement d'uranium du monde a été découvert à Shinkolobwe, dans la région du Katanga. À l'époque, personne n'y a prêté attention, car le minéral n'intéressait que l'industrie de la céramique, qui produisait de la peinture luminescente et rien de plus. Puis l'inattendu s'est produit. En décembre 1938, deux scientifiques allemands, Otto Hahn et Fritz Strassmann, ont découvert qu'une réaction en chaîne pouvait être déclenchée par un atome d'uranium. Il s'agissait de la fission nucléaire, un processus qui pouvait produire de l'énergie mais aussi une arme terrible: la bombe atomique.

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C'était un terrible secret qui n'était partagé que par un très petit nombre. Parmi eux se trouvait Edgar Sengier, le directeur de l'Union Minière. Comme le raconte David Van Reybrouck dans son livre Congo (Feltrinelli, 2014), " à la veille du conflit, il a fait expédier 1250 tonnes d'uranium, soit la production de trois années, du Katanga à New York, puis a inondé la mine. Lorsque le projet Manhattan a débuté en 1942, les chercheurs américains travaillant sur la bombe atomique se sont mis en quête d'uranium de haute qualité. Le minerai canadien qu'ils utilisaient était en fait très faible. À leur grande surprise, il s'est avéré qu'une énorme réserve était stockée dans les Archer Daniels Midland Warehouses, un entrepôt situé dans le port de New York. Cela a donné lieu à de très vives négociations avec la Belgique, qui a tiré de l'opération 2,5 milliards de dollars en espèces. C'est une excellente affaire qui a permis le formidable redressement économique du royaume à la fin du conflit.

La vente du minerai stratégique aux États-Unis et la réactivation de Shinkolobwe ont été couvertes par le plus grand secret. La mine a été rayée de la carte et les États-Unis ont lancé une opération de renseignement dans la région pour détourner les soupçons et diffuser de fausses informations sur l'exploitation minière. Tout au long de la guerre froide et des nombreuses vicissitudes du Congo indépendant, Shinkolobwe est resté actif (sous un contrôle américain discret mais strict) et a été officiellement fermé en 2004, après l'effondrement d'un passage souterrain dans lequel huit personnes ont trouvé la mort. Mais les excavations illégales se poursuivent autour des anciennes installations, dans des conditions précaires et sans protection contre les radiations, alimentant la contrebande d'uranium.

Retour en 1945. Malgré les accords secrets entre les deux gouvernements, les relations belgo-américaines changent progressivement : une fois les matériaux et les concessions acquis, Washington lésine sur l'aide promise pour la création d'une industrie nucléaire belge et commence, de plus en plus ouvertement, à critiquer la présence coloniale du petit allié européen.

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Répétant le schéma de 1919, les dirigeants belges - pressés par les Américains et contestés de plus en plus violemment par les Nations unies nouvellement créées - lancent un ambitieux "plan décennal pour le développement économique du Congo". Un projet de modernisation qui, selon Bruxelles, était censé apaiser les courants anticolonialistes de l'administration américaine, faire taire les protestations de l'ONU - synergique avec la galaxie tiers-mondiste et le bloc soviétique (mais toujours fonctionnelle aux intérêts américains) - et permettre une intégration "douce" et lente, très lente, de la région dans une hypothétique et futuriste "communauté belgo-congolaise". Une illusion cruelle.

dimanche, 16 janvier 2022

Grégoire Le Roy. Un écrivain belge à redécouvrir

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Grégoire Le Roy. Un écrivain belge à redécouvrir

par Daniel COLOGNE

Grégoire Le Roy « connaît depuis bien longtemps le triste sort du poète oublié ». Ainsi s’exprime l’universitaire anglais Richard Bales, grand spécialiste de Marcel Proust. Depuis quelques années, cet éminent professeur des universités d’Exeter et de Belfast incite à la redécouverte de ce peintre et écrivain gantois condisciple de Maurice Maeterlinck et de Charles Van Lerberghe au prestigieux collège Sainte-Barbe de Gand (1).

Le Roy est présenté comme « the all-but-forgotten poet (and painter) » et, comparativement à la réussite de ses deux compagnons jésuitiques (« a creative literary life »), son parcours littéraire est qualifié de not totally successful (2). Il fait pourtant partie d’un groupe d’écrivains belges célèbres qui ont en commun une correspondance échangée avec le non moins renommé peintre ostendais James Ensor : Émile Verhaeren, Georges Eekhoud, Camille Lemonnier, Maurice des Ombiaux (3).

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Né en 1862 à Gand, bibliothécaire de formation, il occupe ce poste à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles avant de devenir conservateur du musée Wiertz (4). La Chanson du Pauvre est le seul recueil de vers de Le Roy évoqué dans l’émission télévisuelle « En toutes lettres ». C’est une production de la télévision belge datant des années 1990 et faisant la part belle à Van Lerberghe et Maeterlinck.

Au fil des décennies, dans les textes de Grégoire Le Roy, l’inspiration populaire cède la place à la réflexion philosophique. Dans Au Cimetière, poème encore rédigé avec une certaine liberté de rythme, il y a l’ébauche d’une interrogation sur le Temps et son pouvoir destructeur. La réponse demeure ambiguë. La distinction entre le Temps et l’Éternité n’est pas nette, mais très suggestive, s’avère l’évocation du lieu « où tout geste insulte au repos » et « où nos pas font surgir d’inquiétants échos ».

Le Temps est un des plus beaux textes de Le Roy, qui compose ici en alexandrins de douze pieds. Pour que l’être humain « s’interroge, il faut que, sur sa route, il ait croisé le Temps ». Le Temps est symbolisé, comme dans Les Vieux de Jacques Brel, par une pendule au « bruit indiscret », par : 

« Une horloge de bois avec son vieux cadran,

Qui du premier jour de l’an jusqu’à la fin décembre,

Vous crispera de son tic-tac désespérant ».

Le poète ajoute :

« La douleur seulement décompte les instants. »

Souffrances, larmes et regrets sont nécessaires à l’homme « pour savoir tout le prix d’un souvenir ».

Grégoireleroy7.jpgDans la pensée du poète se succèdent les deux facettes du romantisme : la conquête de l’espace par le progrès industriel (Victor Hugo s’extasiant au spectacle des premiers chemins de fer) et le sentiment de la précarité de la condition humaine qui fait s’écrier à Lamartine (1790 – 1869) : « Ô Temps, suspends ton vol ! (Le Lac) »

À la seconde de ce deux facettes, Grégoire Le Roy accorde sa préférence. Le retour à la première lui apparaît dangereux et, pour lui, il ne saurait s’agir d’une résurgence du romantisme. Celui-ci générait « des poèmes sublimes » exaltant un « triste et merveilleux amour », alors que le « monde nouveau » est fait « d’âpre volonté » se consumant dans les « ardeurs » et les « flammes ». Telle est la charge symbolique du poème intitulé Les Voix qui débute comme suit, en alexandrins :

« Comme la voix de Pan, un soir des temps antiques,

J’entends, autour de moi, ceux qui vont proclamant

Qu’il est mort à jamais le monde romantique

Que l’homme avait créé si douloureusement. »

Très intéressante est la référence à la divinité mythologique de l’élan vital. À trois années près, Grégoire Le Roy est l’exact contemporain du philosophe Henri Bergson (1859 – 1941) dont il prend en quelque sorte le contre-pied, car loin de positiver le temps en le définissant comme « création incessante d’imprévisible nouveauté », il en souligne le pouvoir destructeur et la puissance d’anéantissement.

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Cultiver « le souci des choses éternelles (Les Voix, vers 14) » est indispensable pour guérir du mal de vivre. Le mysticisme esquissé dans Au Cimetière devient ici plus cohérent. Une certaine religiosité d’inspiration lamartinienne s’affirme en même temps que la facture classique du vers à douze pieds, que privilégie le poète du Lac.

Le chroniqueur d’une revue libérale rapporte une confidence de 1932 où Le Roy lui dévoile son amitié avec Émile Verhaeren (1855 – 1916) : « Verhaeren est souvent venu chez moi, surtout au début de la guerre. Il me semble me rappeler qu’un jour, je l’ai vu tailler son nom dans un arbre. » C’était près de l’entrée par la « charmante petite grille en fer forgé qui retenait toujours l’attention du flâneur épris d’art (5) ».

s-l400glr.jpgLe Roy réside alors à Molenbeek, de 1902 à 1919, à peu près à l’endroit où se dressera plus tard le chalet d’un club sportif que j’ai fréquenté dans ma jeunesse. C’est à Ixelles, dans la « ville haute », qu’il décède en 1941, en laissant des œuvres dont les titres sont marqués du sceau de la mélancolie : Les Chemins dans l’ombre (1920), La Nuit sans étoiles (1940).

Le Roy est aussi l’auteur de L’Annonciatrice, une pièce de théâtre dont le texte passait pour perdu et que Richard Bales a pu retrouver en compulsant les archives familiales auxquelles les descendants de Le Roy lui ont donné accès (6). D’après une lettre adressée par Auguste Vermeylen, essayiste et romancier bruxellois d’expression flamande, à Emanuel De Bom, bibliothécaire honoraire de la ville d’Anvers, les deux premiers actes de L’Annonciatrice étaient écrits bien avant L’Intruse de Maeterlinck et Les Flaireurs de Van Lerberghe, drames abordant aussi le thème de la mort.

Le Roy est donc le premier dramaturge symboliste belge dans l’ordre chronologique. Son effacement au profit de Maeterlinck et Van Lerberghe résulte d’un relatif désintérêt de la critique, en dépit des numéros spéciaux que lui ont consacrés les revues Le Thyrse (de son vivant, en 1899) et Épîtres (après son décès, en 1951). Richard Bales met en lumière les dons artistiques de Grégoire Le Roy qui illustre lui-même son recueil poétique Le Rouet et la Besace (1912). Il possède en outre « une voix de baryton exceptionnellement mélodieuse », se produit en concert, fréquente assidûment le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles et fait « entrer dans sa poésie des sujets musicaux particulièrement riches (7) ».

« De la musique avant toute chose » : tel est le mot d’ordre de Paul Verlaine, qui sert de modèle à Le Roy, tandis que Van Lerberghe et Maeterlinck subissent plutôt l’influence de Stéphane Mallarmé. Le Roy affirme son rejet du « mallarmisme » dans une lettre du printemps 1906. « Sur les fenêtres de mon cœur, deux mains pâles se sont collées. Et à moi maintes pièces alambiquées que je ne supporte plus (8). » En revanche, il compose ses vers à la manière de Verlaine dès 1886 dans Cantilène, texte écrit à Paris et repris l’année suivante dans le recueil La Chanson d’un soir (1887). Richard Bales nous en donne un éloquent extrait :

« Qu’est-il pire sur terre

Que de souffrir d’amour ?

Quelle peine aussi chère

Pourtant que cet amour ?

Elle est douce, elle est lente

Et calme et consolante

À notre âme dolente

Où s’attriste l’amour. »

On retrouve à la fois dans le registre verlainien la musicalité hexasyllabique du vers et le thème post-romantique de la déléctation dans la souffrance sentimentale.

lachansondupauvr00lerouoft_0009.jpgLe recueil Mon cœur pleure d’autrefois (1889) est qualifié d’« archimauvais (9) » par Van Lerberghe qui dénie à Le Roy la vocation de poète. Le Roy serait un peintre « égaré dans les lettres (10). Le groupe d’écrivains issus de Sainte-Barbe n’est donc pas aussi soudé qu’on le présentait dans l’émission « En toutes lettres ». Les « confrontations » l’emportent parfois sur les « interférences », notamment à propos de L’Annonciatrice. Van Lerberghe paraît « offensé par une trop proche ressemblance avec le thème de son propre drame (11) ». Pourquoi Maeterlinck conseille-t-il à Le Roy de resserrer sa pièce en un acte alors que, sur la base des deux premiers actes, Auguste Vermeylen envisage une traduction en néerlandais et une représentation prometteuse à Anvers ?

Selon Richard Bales, l’oubli dans lequel est tombée l’œuvre de Le Roy pourrait s’expliquer, d’une part, par la difficulté de mener de front une carrière littéraire et une vie professionnelle chargée, d’abord à Anvers, puis à Bruxelles, d’autre part, par une certaine inaptitude de l’auteur à renouveler son inspiration. « Le Roy se contentera de retravailler les mêmes thèmes fin de siècle et ce longuement après l’extinction de la mode (12). » « Le Roy poursuivrait une carrière désormais figée dans un passé qui n’était plus de mode (13). »

S’il faut poursuivre la recherche sur Le Roy, c’est d’abord dans la mesure où son œuvre témoigne d’un courant « décadentiste » également illustré, en Belgique, par Georges Rodenbach l’Aîné (1855 – 1898), qui consacre d’ailleurs, en 1885, dans La Jeune Belgique, le premier article traitant de Le Roy et de ses deux anciens condisciples. Mais il convient de scruter aussi dans l’œuvre de Le Roy les éventuels relents d’une certaine puissance inspiratrice qu’il serait étonnant de ne pas déceler chez un mélomane « wagnérien », de surcroît très lié à l’autre grand aîné Émile Verhaeren (1855 – 1916). Ce n’est pas par hasard que l’universitaire anglais qui s’intéresse à Le Roy soit aussi un spécialiste de Proust. Il est évident que la nostalgie, la délicatesse, la hantise de la durée et de sa dimension destructive sont des thèmes qui relient Le Roy à l’auteur d’À la recherche du temps perdu. Par ailleurs, le travaux de Le Roy sur Ensor et De Bruycker sont à incorporer dans le vaste corpus des œuvres de critique d’art d’un grand nombre d’écrivains belges : Verhaeren, Demolder, Pierron, Eekhoud, Lemonnier, pour lesquels, dans une autre partie du livre édité par Peter Lang, on va jusqu’à évoquer une « prédestination » dont les racines sont à chercher dans les siècles de Rubens, Brueghel, les frères Van Eyck, Van der Weyden, Bouts et Vandergoes.

Richard Bales reproduit trois extraits des pièces des trois écrivains gantois qui évoquent des signes prémonitoires de la Mort.

« La Fille : Je n’attends personne.

La Mère écoutant : Oui, oui, il y a quelque chose qui frôle, comme ça, là, sous la porte, sûr, il y a quelque chose qui traîne. Qu’est-ce qu’il y a, ma fille ?

La Fille : C’est un oiseau de nuit, petite mère (extrait des Flaireurs de Van Lerberghe). »

*

« La Fille : Il doit y avoir quelqu’un dans le jardin; les rossignols se sont tus tout à coup.

L’Aïeul : Je n’entends pas marcher cependant.

La Fille : Il faut que quelqu’un passe près de l’étang, car les cygnes ont peur.

Une autre fille : Tous les poissons de l’étang plongent subitement (extrait de L’Intruse de Maeterlinck). »

*

« Jérôme : En est-il tombé du malheur, sur cette maison.

Brigitte : Du malheur et de la douleur !

Jérôme : Comme la neige et la grêle qui tomberont bientôt.

Brigitte : Quelle différence avec autrefois ! Cette maison où c’était un bonheur de vivre, où tout malgré la vieillesse était joyeux, aimant comme des jeunes filles, où l’on entendait toujours la voix de Mademoiselle Claire au piano dans le jardin, que sais-je ! (extrait de L’Annonciatrice de Le Roy). »

*

Richard Bales note à juste titre qu’une parenté littéraire est à observer entre Le Roy et Verhaeren, ce qui n’est absolument pas le cas chez Van Lerberghe et Maeterlinck. La remarque n’est pas seulement valable pour des raisons stylistiques. Chez Van Lerberghe, l’image de « l’oiseau de nuit » et le frôlement sous la porte apparaissent comme des signes précurseurs assez pauvres, comparativement au silence des rossignols, à la frayeur des cygnes et à l’immersion des poissons évoqués par Maeterlinck (14) pour préfigurer l’issue finale dramatique. Les répliques de Maeterlinck sont aussi claires que celles de Le Roy, mais celui-ci se distingue par un recours thématique aux forces du rude climat du Nord (la « grêle », la « neige »), comme chez Verhaeren, « Le vent cornant novembre », et chez Jacques Brel :

« Et des chemins de pluie

Pour unique bonsoir. »

Chez Verhaeren, le déchaînement des intempéries accompagne souvent une atmosphère d’angoisse liée à une impression d’isolement.

« Au carrefour des trois cents routes

La vent des peurs et des déroutes. »

 

« Oh ! La maison perdue au fond du vieil hiver

Dans les brumes de Flandre et les vents de la mer. »

 

Le Roy écrit ces répliques de L’Annonciatrice dans le registre de Verhaeren en y ajoutant, comme touche personnelle, le regret d’un passé en filigrane duquel on décèle une sorte d’âge d’or d’éternelle jeunesse, comme dans les mythologies antiques. Pour souligner encore davantage la parenté Le Roy – Verhaeren, rappelons que si l’auteur des Villes tentaculaires manifeste sa foi dans les progrès de la science, il n’est pas insensible au charme quelque peu désuet des vieilles cités flamandes à beffrois, béguinages et pigeons crénelés. Il sait aussi ce que sont le « malheur » et la « douleur » s’effondrant sur lui durant sa période dépressive dont il sort via sa rencontre avec l’artiste liégeoise Marthe Massin. Enfin, pour en revenir à Le Roy, le souvenir d’un jardin égayé par une voix féminine et le son d’un piano convie à la suggestion d’un rapprochement avec la scène de la « fête étrange » dans Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier (1886 – 1914).

On en revient alors à l’ambiance décadente post-romantique. Le livre sur la Belgique entre deux siècles est le tome douze d’une collection intitulée « Le Romantisme et après ». Grégoire Le Roy appartient à cette « queue de comète du romantisme » dont a parlé Pierre Gillieth à propos de Maurice Barrès (1862 – 1923), exact contemporain de Le Roy.

Nombreuses sont donc les pistes conduisant à une nécessaire redécouverte de l’œuvre de Grégoire Le Roy par les romanistes passionnés de belgitude littéraire et de survivances romantiques (15).

Daniel COLOGNE

Notes

1 : Richard Bales, « Grégoire Le roy et ses amis gantois. Interférences et confrontations », pp. 167 – 174, in Collectif, La Belgique entre deux siècles. Laboratoire de la modernité (1880 – 1914), Peter Lang, Berne, 2007. Peter Lang est un grand éditeur européen multilingue. L’ouvrage ici recensé est bilingue français – anglais.

2 : La Belgique entre deux siècles, op. cit., pp. 14 – 15.

3 : Idem, p. 116, note 21.

4 : Né à Dinant, Antoine Wiertz (1806 – 1865) est un peintre romantique dont la plupart des tableaux sont de dimensions impressionnantes et représentent des scènes mythologiques ou bibliques (La Chute des Anges rebelles). Détesté par Baudelaire, mais admiré par Hugo, Wiertz a aussi peint des petits portraits des personnages hugoliens (Esmeralda, Quasimodo). Il est l’auteur d’une étrange prophétie sur le destin supranational de Bruxelles.

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5 : in Le Bluet du 12 octobre 1950.

6 : Richard Bales a édité les textes de L’Annonciatrice, de Mon cœur pleure d’autrefois et de La Chanson d’un soir en 2005 aux Presses universitaires d’Exeter.

7 : Richard Bales, art. cit., p. 162.

8 : Idem, p. 172.

9 : Id., p. 163.

10 : Id., p. 165.

11 : Id., p. 168.

12 : Id., p. 171.

13 : Id., p. 174.

14 : Il faut rappeler ici l’intérêt de Maeterlinck pour la Nature en général et le règne animal en particulier (non limité aux insectes sociaux, abeilles, fourmis, termites).

15 : Entre la rédaction et la mise en ligne du présent article, nous avons le regret d’apprendre le décès du professeur Richard Bales.

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Réédition d'un classique de Daniel Cologne:

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Éléments pour un nouveau nationalisme

20,85 TTC

En 1977, Daniel Cologne publie dans le cadre du Cercle Culture et Liberté Éléments pour un nouveau nationalisme. Malgré le contexte de Guerre froide et la pesanteur du condominium planétaire américano-soviétique, il pose un regard métapolitique clairvoyant et avance des propositions fort actuelles près de cinquante ans après leur émission. Devenue mythique et introuvable, cette brochure méritait une réédition.

Ce retour s’accompagne d’articles au ton visionnaire parus en leur temps dans Défense de l’Occident de Maurice Bardèche ainsi que dans la revue traditionaliste radicale–intégrale francophone Totalité.

Souvent en marge de la « Nouvelle Droite », Daniel Cologne aborde avec d’autres textes plus ou moins récents des thèmes spirituels, historiques et géopolitiques. De la crise du covid-19 aux origines des Hyperboréens, du Mont-Athos à la place du national-socialisme dans la modernité, de l’étymon spirituel fasciste aux écrits de Raymond Abellio, il œuvre en faveur de la civilisation européenne de langue française. Il explique aussi pourquoi les peuples natifs de l’œcumène européen doivent maintenant préparer leur destin po-laire et tendre vers un avenir hespérial.

Pour commander: https://synthese-editions.com/produit/elements-pour-un-nouveau-nationalisme/

samedi, 11 septembre 2021

EGO NON - FAQ: influences, Nietzsche, clivage droite/gauche, philosophie, etc.

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EGO NON - FAQ: influences, Nietzsche, clivage droite/gauche, philosophie, etc.

 
Vidéo un spéciale dans laquelle je réponds à plus d’une trentaine de vos questions de la façon la plus honnête et développée possible. Les questions sont distinguées en trois thèmes : ma chaîne youtube en elle-même ainsi que mes projets pour elle, des questions plus générales d’ordre philosophique, politique et même littéraire ainsi que des questions un peu plus personnelles.
 

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Présentation du livre « L’autre Tiers-mondisme » de Philippe Baillet par Daniel Conversano : https://www.youtube.com/watch?v=i7nTK...
 

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samedi, 31 juillet 2021

Constant Permeke, expressionniste flamand

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Constant Permeke, expressionniste flamand

Jan Huijbrechts

Le 31 juillet 1886 - il y a exactement 135 ans aujourd'hui - un robuste rejeton de sexe masculin voit le jour à Anvers et reçoit le nom de Constant Permeke. Ce fils du non moins méritant peintre paysagiste Henri Permeke allait devenir l'un des plus importants, sinon le plus important, artiste de l'expressionnisme flamand. 

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Permeke est souvent décrit comme le peintre du dur labeur sur les maigres terres agricoles ou au bordde la mer agitée. Ses ouvriers agricoles et ses pêcheurs monumentaux - comme tirés de l'argile - dont les mains rugueuses dépassent de loin la taille de leur tête, ont provoqué un choc dans le paysage artistique flamand. Des figures massives, noueuses, aux traits forts et fortement simplifiés, peintes dans des couleurs terreuses et lumineuses qui semblent ne plus avoir grand-chose d'humain... Il fallait s'y habituer à l'époque...

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Il n'était pas seulement un peintre, mais aussi un dessinateur doué qui parvenait à capter une essence avec un simple fusain et aussi un sculpteur puissant qui s'inspirait indéniablement de l'art ethnique. Deux aspects de son travail qui sont malheureusement trop souvent restés sous-exposés.

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Pour beaucoup de gens, et même aujourd'hui, son travail est trop brutal, sans art. J'admets aussi volontiers qu'en tant que jeune homme ayant fréquenté une école d'art, je n'ai pas vraiment été charmé par son œuvre sombre et sobre. Petit à petit, cependant, j'ai appris à l'apprécier.  Pour moi, Permeke est avant tout un artiste animé d'un instinct créatif incroyablement fort, qui permet à ses tableaux de jaillir naturellement de son pinceau, pour ainsi dire. Un artiste qui a su tirer le meilleur parti de sa palette typique et sombre, avec laquelle il a radicalement tourné le dos aux couleurs ensoleillées de l'impressionnisme.

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Mais il n'était que trop conscient du danger que représentait précisément cette utilisation sobre et terreuse de la couleur. En particulier, que la stabilité ou la clarté des formes pouvaient se noyer dans ses peintures. C'est pourquoi il a entouré ses figures de contours extrêmement nets, dessinés avec une telle emphase qu'ils apparaissent comme des lignes de force, et grâce auxquels ses meilleures œuvres, en plus de leur sombritude, acquièrent quelque chose d'une fermeté d'acier et d'une puissance expressive. La rigidité du compatriote ou du capitaine flamand de l'époque...

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Permeke avait consciemment et avec beaucoup d'enthousiasme rompu avec la tradition de la représentation fidèle et relevait sans cesse le défi d'aller chercher l'essence, le noyau de son sujet, de donner une expression aux choses les plus élémentaires. Qu'il s'agisse de grandes toiles ou de petites esquisses presque intimes, son travail ne laisse personne indifférent... Un artiste ne peut souhaiter davantage... Ou bien le peut-il ?

Source: https://www.facebook.com/jan.huijbrechts.9

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lundi, 14 juin 2021

Les relations entre Joris Van Severen et Pierre Nothomb

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Les relations entre Joris Van Severen et Pierre Nothomb

Par Lionel Baland
 
Ex: https://eurolibertes.com/histoire/les-relations-entre-joris-van-severen-et-pierre-nothomb/

jvsjb24.jpgLe numéro 24 (année 2020) de la publication annuelle en néerlandais du Centre d’étude Joris Van Severen (1) consacre un article aux relations entretenues par Pierre Nothomb (1887-1966), fer de lance du nationalisme belge, et Joris Van Severen (1894-1940), au départ nationaliste flamand mais qui a évolué de l’idée d’une union entre les Pays Bas et la Flandre vers celle du regroupement, au sein d’un nouvel État, des Pays Bas, de l’ensemble de la Belgique, du Luxembourg et de la Flandre française, sous la direction du Roi Léopold III.

L’auteur de cette production intellectuelle, Ruud Bruijns, habitant à Lelystad, le chef-lieu de la province néerlandaise de Flevoland, base ses recherches sur les archives de Pierre Nothomb déposées au CEGESOMA (2), (3),  (4) à Bruxelles en Belgique.

L’étude porte sur le fait de savoir qui a influencé l’autre, Nothomb ou Van Severen ? Il apparaît désormais que chacun des deux a eu plus besoin de l’autre pour ses actions politiques respectives, que ce qui était jusqu’à présent établi : Nothomb désirait des contacts néerlandophones et Van Severen voulait utiliser les relations de Nothomb avec les autorités.

Bruijns met en avant que Joris Van Severen était conscient du fait que, depuis l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale début septembre 1939, il devait éviter de se trouver dans le viseur des autorités belges, comme il l’avait été en 1933-1934. Cela peut expliquer pourquoi à l’automne 1939 Van Severen a agi de manière si prudente et si proche de la politique de neutralité officielle belge.

Le Verdinaso devient fréquentable

Alors que l’idée, prônée par Pierre Nothomb, de réalisation d’une Grande Belgique n’est pas prise au sérieux par l’establishment belge, Nothomb est utilisé par les nationalistes flamands en tant que caricature de l’hypernationalisme belge.

Le Verdinaso, le mouvement dirigé par Joris Van Severen, est, quant à lui, brouillé, dès sa création en 1931, avec les autorités belges et est ouvertement séparatiste, tout en érigeant une milice afin de réaliser son programme révolutionnaire visant au renversement du système politique et administratif belge.

Cette situation conduit le Verdinaso à rencontrer des problèmes. Ainsi, les autorités mettent en place des mesures visant à interdire les milices privées et les uniformes en ciblant ouvertement la milice du Verdinaso. Joris Van Severen lance alors, en 1934, sa nouvelle direction de marche (Nieuwe Marsrichting), mais cela prend encore des années avant que l’image radicale des débuts du mouvement ne soit atténuée.

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Le 1er février 1937, le Conseil des ministres belge lève l’interdiction de vente dans les gares de l’organe de presse Hier Dinaso !. Lors du sixième congrès du Verdinaso, le 29 août 1937 à Anvers, la perspective d’une union entre les Pays Bas, la Belgique et le Luxembourg est pour la première fois mise en avant : les drapeaux belges et néerlandais sont hissés et Joris Van Severen parle en français aux Wallons (et Luxembourgeois).

Le pays thiois n’est plus mis en avant, mais désormais l’empire thiois est prôné, réunissant la Belgique, les Pays Bas et leurs colonies respectives. Lorsque le Roi Léopold III visite Tielt le 7 novembre 1937, la section locale du Verdinaso se trouve devant son local sur la façade duquel est fixé un panneau portant les mots : « Majesté, le Verdinaso vous salue plein d’espoir ».

Ces éléments signifient une réconciliation entre le Verdinaso et l’ordre établi et ainsi une fréquentabilité grandissante du Verdinaso.

Au sein des cercles nationalistes belges francophones, le Verdinaso est perçu en tant que force anti-séparatiste défendant l’unité du pays et visant à la réunification des Pays Bas, de la Belgique et du Luxembourg. Cette dernière idée constitue en 1939 le principal thème mis en avant par le Verdinaso. Le 25 février 1939, Joris Van Severen parle, au sein du théâtre de la ville d’Ypres (Ieper), du Benelux. En mars 1939 sort un organe de presse portant le nom Pays Bas Belgique. Organe mensuel du Verdinaso, titre plaidant pour l’unité belgo-néerlandaise.

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Le 28 mars 1939, Joris Van Severen tient à Bruxelles un discours en français au sein duquel il considère que la Révolution belge de 1830 est un incident et réclame la réunification des Pays Bas, de la Belgique et du Luxembourg. En juillet 1939, la constitution de l’association Belgique-Pays-Bas-Luxembourg, préparée depuis plusieurs mois, est officiellement annoncée.

C’est le prélude au congrès prévu le 10 septembre 1939, organisé par un jeune impliqué dans l’association Belgique-Pays-Bas-Luxembourg sous la devise « Belgique, Pays Bas et Luxembourg ». Le 30 août 1939, Joris Van Severen décide de déclarer à la presse que le congrès est ajourné en attendant la prise de position des autorités.

IIe Guerre mondiale

L’éclatement de la IIe Guerre mondiale lors de l’invasion de la Pologne par l’armée allemande le 1er septembre 1939 et la déclaration de la neutralité belge qui suit rétrécit encore plus les marges de manœuvre. Le 2 septembre, Joris Van Severen déclare dans l’organe de presse Hier Dinaso ! : « … que le Verdinaso place toutes ses forces au service de la défense de la patrie et dans le maintien de l’indépendance de la Belgique et de sa stricte neutralité, sous la haute direction du Roi Léopold III ».

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Le 2 novembre 1939, Pierre Nothomb lance un appel en faveur de la Ligue de l’indépendance nationale dans lequel il estime que la Belgique, les Pays Bas et le Luxembourg doivent former un phare de la civilisation dans l’œil de la tempête. Le 10 novembre, le Conseil des ministres en arrive à la conclusion que dans le cas où seuls les Pays Bas seraient attaqués, la Belgique n’interviendrait pas mais les alliés (France et Grande-Bretagne) devraient être appelés à la rescousse et la Belgique abandonnerait ainsi sa neutralité. À l’automne 1939, il n’est donc pas question d’un rapprochement entre les Pays Bas et la Belgique.

Action commune de Nothomb et Van Severen

D’après le biographe de Joris Van Severen, Arthur de Bruyne, Pierre Nothomb cherche à entrer en contact avec Van Severen. Le 29 décembre 1939, Pierre Nothomb prend contact avec Joris Van Severen à propos du texte néerlandophone de la Ligue de l’Indépendance nationale qui est paru dans Hier Dinaso !

Malgré l’approche nationale belge exprimée au sein du manifeste de la Ligue nationale de l’Indépendance, Pierre Nothomb est fin 1939 clairement sous l’influence de Van Severen, comme l’indique une lettre du 29 décembre 1939 : « Je me suis rendu compte de tout ce que notre collaboration pouvait apporter à la grandeur des Pays Bas. »

Pierre Nothomb, qui au début des années 1920 est considéré comme un chauviniste belge en raison de son plan d’annexion de territoires néerlandais, est visiblement devenu compréhensif envers les opinions de Van Severen à propos des Pays Bas. En d’autres mots, Van Severen ne s’est pas déplacé en direction du belgicisme, comme il est souvent supposé, mais a gagné des belgicistes à son combat pour la réunification des Pays Bas.

Nothomb ne désire pas seulement une traduction de son manifeste en néerlandais, mais veut également un accès au carnet d’adresses de Van Severen. La liste de Nothomb consiste avant tout en noms francophones de l’establishment belge. Il demande pour cette raison à Van Severen un nombre de noms de personnes importantes en Flandre. Dans d’une lettre du 3 janvier 1940, il apparaît que Van Severen est d’accord mais exige une place de premier ordre sur la liste des signataires, directement après les noms des premiers d’entre eux ou même à côté de celui de Pierre Nothomb.

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Plus de deux semaines plus tard, Van Severen envoie le texte en néerlandais à Nothomb en précisant qu’en plus du nom de Van Severen, il demande que soit indiqué qu’il est le dirigeant du Verdinaso.

Dernière étape pour le tandem Nothomb-Van Severen

Au début du mois de mars 1940, le manifeste néerlandophone sort et Van Severen commande 50 exemplaires à Nothomb. Ce manifeste n’est pas seulement soutenu par Van Severen, mais aussi par le Verdinaso en tant qu’organisation.

Le 10 mai 1940, les troupes allemandes envahissent les Pays Bas, la Belgique et le Luxembourg. Joris Van Severen est arrêté par les autorités belges car il est considéré par celles-ci comme un danger, alors que Van Severen ne s’attend pas à cela et pense encore, après son arrestation, être bientôt de retour à la maison. Pierre Nothomb intervient auprès des autorités en faveur de la libération de Van Severen et écrit au domicile de Van Severen, Ce dernier n’est pas relâché, mais transféré vers la France où il est assassiné, le 20 mai 1940, à Abbeville par des soldats français.

Source :

BRUIJNS Ruud, « Joris van Severen en Pierre Nothomb », in Jaarboek Joris Van Severen 24, Ieper, 2020, p. 71 à 94.

Notes :

(1) http://www.jorisvanseveren.org

(2) Le CegeSoma, quatrième direction opérationnelle des Archives de l’État, est le centre d’expertise belge de l’histoire des conflits du XXe siècle.

(3) https://www.cegesoma.be/fr/le-cegesoma

(4) https://www.cegesoma.be/fr/archives-de-pierre-nothomb

jeudi, 11 mars 2021

Un seigneur nous a quittés: Francis Van den Eynde

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Un seigneur nous a quittés: Francis Van den Eynde

par Marceline Galirel

https://www.breizh-info.com/

Francis Van den Eynde, Flamand  né en 1946, vient d’entamer son dernier voyage. Que ce voyage, cher Francis, soit à nouveau, pour toi  une source d’inspiration, car les voyages, ce Flamand et cet Européen  convaincu, il les aimait.

Qu’aimait-il  en fait ?

Cet homme  curieux de tout aimait  découvrir les peuples, leurs histoires, leurs cultures. Mais avant tout ses passions furent, outre sa famille et ses amis, la Flandre, l’Irlande et l’Europe. L’Europe, pas celle de Maastricht, mais l’Europe aux cent drapeaux.

Travailleur acharné, féru d’histoire, les désastres de la Première Guerre mondiale l’avaient marqué. Aussi, à l’occasion d’un séjour dans sa famille à Gand, Francis m’avait conduit de cimetière en nécropole, où sont enterrés plus de 40.000 soldats  belges, mais aussi des soldats anglais, allemands, français, australiens…

Est-ce carnage qui avait développé son âme profondément européenne ? Francis, disait «  rêver d’une sorte d’empire confédéral européen, qui se serait étendu depuis l’Oural jusqu’à la côte atlantique, de l’Irlande et du Cap Nord jusqu’à Gibraltar. Un projet commun à toutes les communautés ethniques de notre continent, qui travaillent ensemble dans le respect le plus total de leur particularité et de leur diversité. Nous avons malheureusement dû constater que l’Union européenne ne répondait pas du tout à nos espoirs ». Le respect des cultures, de leurs diversités, de l’enracinement, a guidé son parcours militant.

Flamand d’abord, Francis rêvait d’une Flandre  indépendante. Il aura consacré  à cette idée toute sa vie militante.

Dès 1960, il milite au sein de Were Di et Voorpost, un mouvement nationaliste flamand ; puis il rejoint le Vlaams Blok en 1979. Sa première véritable percée électorale dans toute la Flandre se situe en 1989 où il remporte son premier siège au parlement européen ; ce poste le confirme dans ses idées d’une grande Europe des peuples et d’un rejet de l’oligarchie prétentieuse technocratique européenne. Il est élu député fédéral à la Chambre en 1991 à 2010. Il occupe même pendant trois ans la vice-présidence de la Chambre.

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Tout en  étant élu, il  continuait avec ses talents d’orateur à animer, avec brio, d’innombrables réunions et conférences, ponctuées de ses innombrables anecdotes historiques, en particulier.

Militant, Francis l’était assurément, mais d’abord il fut un seigneur.

Généreux, courageux, volontaire, homme de concorde au sein de ses troupes, fier de ses origines ouvrières qu’il ne reniait pas.  Hédoniste enfin : il aimait la vie simple. Impossible d’oublier une soirée dans un pub flamand, terminée par des chants européens (Francis disait que la chanson était un bon moyen d’apprendre les langues étrangères !) et arrosée de pintes de bières des abbayes.

Francis, tu nous manqueras. Ce soir nous chanterons et nous boirons à ta santé, ainsi qu’à celle de ta chère épouse, de tes enfants et de tes petits-enfants, auxquels nous pensons aujourd’hui.

Marceline Galirel

Crédit photo : DR
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jeudi, 11 février 2021

Maugis de Christopher Gérard - Plus vrai que le vrai

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Maugis de Christopher Gérard

Plus vrai que le vrai

Ex: https://le-carnet-et-les-instants.net

9782363713384.jpgChristopher GÉRARD, Maugis, Pierre-Guillaume de Roux, 2020, 256 p. 18 €, ISBN : 978-2-36371-338-4

Tout commence par une guerre très semblable à celle qui nous hante encore : cet interminable conflit qui a traversé presque tout le 20e siècle, coupant l’Histoire en deux parties inégales, et qui continue à alimenter les idéologies totalitaires, les fantasmes et les remords. Mais cette guerre de 1914-1945 est abordée ici sous l’angle de l’épopée, où s’affrontent les belligérants à l’onomastique inconnue, et où les principaux compagnons d’armes du héros sont évoqués comme des personnages homériques, y compris dans leurs qualificatifs flamboyants.

La modernité paradoxale du livre tient à son décalage. À travers cette utopie des XVII provinces, du Royaume de France à l’âge des armes lourdes et de l’Occupation du sol par les Teutons, dans un contexte qui mêle l’Histoire à la fable, on découvre avec une netteté qui ne fait que croître au fil des pages une image contrastée et terriblement fidèle de notre monde déchiré, entre chaos et renouvellement.

Cette similitude inversée donne à la scène d’ouverture du récit de Christopher Gérard, sobre et cruelle, le coup de cymbale de la nécessité.


Lire aussi : la fiche de Christopher Gérard sur Objectif plumes


Le ravissement naît de l’étrange hiatus, parfaitement voulu, entre la singularité des situations et un univers suffisamment proche du nôtre pour marquer sa distance : dans cet intervalle s’exprime la philosophie naturelle de Maugis.

Une certaine tradition fantastique, faite de réalisme et d’irréalité, et assumée, vient ainsi recouper un autre fil d’Ariane, l’Histoire utopique, telle que la mémoire romanesque pourrait le reconstituer, après la bataille, grâce au don des analogies.

Ainsi les aventures pythagoriciennes du héros nous mènent bien plus loin qu’on n’imagine dans la découverte d’un secret perdu : la vie.

Maugis est le nom initiatique que François d’Aygremont a reçu à Delphes au terme d’un an d’instruction et d’une gradation des rituels. Par ce nom, ou à travers lui, François est fait mage et guerrier à la fois. Il se lance à la recherche d’une lumière qui se dérobe, mais dont l’existence est attestée par une très ancienne et très véridique tradition.

L’Ardenne, Oxford, Delphes, Bruxelles, Paris, Aran en Irlande, Rome, Bénarès et le Nord magnétique se mêlent dans une trame serrée dont la quête de la liberté, à mener sur soi-même, est la clé.

Enthousiaste et curieux, artiste et soldat, François d’Aygremont après avoir reçu à Delphes son initiation, est désormais susceptible de tous les savoirs, et mûr pour tous les combats.

« Émerveillé, Maugis fit un tour complet sur lui-même ». Cette phrase toute simple pourrait s’appliquer au lecteur, à la fois désorienté et admiratif, face à l’univers qui se déploie autour de lui, au fur et à mesure qu’il avance dans ce domaine inconnu et dangereux.

Malgré un enchaînement de lieux et de circonstances qui happent le héros, l’impression la plus frappante pour le lecteur est la ligne claire qui traverse le récit de bout en bout, la force de pénétration narrative ininterrompue qui unit tous les événements et leur donne leur musique. Comme une balle bien placée qui atteint son but noir sur blanc.

christopher-gerard-cape.jpgDans ce monde de guerre (et même les périodes de paix sont les intervalles entre deux combats), les décors ont une présence rayonnante parce qu’ils sont mêlés à l’activité des hommes sans être complices de la hideur de la mort. L’idéal antique se glisse dans le temps parallèle de l’actualité.

« Il est entendu qu’un livre actuel s’honore de dériver d’un livre ancien » (J.L.Borgès, Fictions). On ne pourrait pas mettre un nom fixe sur le livre imaginaire dont Maugis serait issu, mais on en distingue bien les contours. Quelque part entre les Poneys sauvages de Michel Déon et les Chevaleries de Montherlant, se situe la source.

« L’an 1919, cinq jeunes gens français sentirent le besoin de former entre eux une société un peu codifiée et un peu âpre. » Ce début de Solstice de juin fournit au roman dont nous parlons ici, comme dans une cantate, le chant alterné du souvenir. Cela n’enlève rien à la singularité d’un livre nouveau, pas plus que le contexte implicite d’une société secrète n’enlève son sens à la solitude essentielle de Maugis.

Quelque chose du grand souffle du compagnonnage tragique circule, à travers le temps et l’espace, dans ce roman minutieux et violent. Non parce que la destruction et la mort y règnent en demiurges implacables, mais parce que tout conspire à transformer un drame collectif en un seul destin, qui est héraldique.

C’est la raison implicite pour laquelle le rôle, c’est-à-dire l’épaisseur romanesque, des personnages féminins, est contenu, comme un feu sous la brume. Sans doute le sujet ne s’y prête pas. L’ensemble du livre s’apparente à une chambrée où des moines-soldats, entre deux circonstances éternelles, rêvent des femmes un peu comme de personnages de légende. Le monde appartient aux femmes, mais les principaux personnages sont sortis du monde et ne peuvent y rentrer que par une porte dérobée : le mystère.

Dans cette aventure d’un autre temps, et donc parfaitement adaptée au nôtre, la vie est une suite de secrets, de combats, d’initiations et d’amours impossibles à quoi on reconnaît, si on a soi-même vécu dans le siècle, que le modèle est tiré du présent le plus authentique et qu’un roman réussi est une vérification de l’expérience par l’éternité.

Le charme puissant de cette utopie du réel naît sans doute de la minutie avec laquelle les moindres variations de la feuille de température de l’expérience sont reconstituées. « La poésie n’est faite que de beaux détails », disait Voltaire. Il faut simplement préciser que dans Maugis, les détails sont d’autant plus vrais qu’ils sont imaginaires : non parce qu’ils n’existent pas dans le monde sensible, mais parce qu’ils renvoient à un univers fantasmatique plutôt qu’au fac-similé des faits matériels : ils font concurrence à la topographie, comme Balzac faisait concurrence à l’état-civil.

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Que subsiste-t-il d’une vie, sinon le sillage de l’Esprit, c’est-à-dire de la volonté appliquée à sa vision ? Le reste, quelques objets à la valeur fictive, des vêtements défraîchis, des livres dont personne ne veut plus, des amitiés effacées, des exploits sans témoins, des amours sans preuves, est aboli au lendemain de la mort. L’intelligence, l’amour, l’héroïsme y passent comme le reste, faute d’une œuvre qui parle encore aux vivants, et disent la geste d’une aventure en passe de devenir un mythe.

Il faut lire Maugis avant que l’éclat des choses divines qui hante la nuit des hommes ne se dissipe tout à fait.

Luc Dellisse.

jeudi, 04 février 2021

Naar Engeland gedeporteerd. Vlaamse geïnterneerden op het eiland Man 1940-1945 door Carlos H. Vlaemynck

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Bespreking van: Naar Engeland gedeporteerd. Vlaamse geïnterneerden op het eiland Man 1940-1945 door Carlos H. Vlaemynck

Björn Roose

11 november komt er weer aan en daarmee de jaarlijkse herdenkingen. Die zullen ook respectievelijk 100 jaar na het einde van de Eerste Wereldoorlog en bijna 75 jaar na het einde van de Tweede ongetwijfeld behalve over oorlog en vrede ook over de good guys en de bad guys gaan. Niet meer dan passend dus om in deze tijd van het jaar een boekje te lezen dat nóg maar eens aantoont dat de officiële good guys dat verre van altijd waren (en zijn).

Naar Engeland gedeporteerd - Vlaamse geïnterneerden op het eiland Man - 1940-1945 is zo'n boekje. Carlos H. Vlaemynck schreef het neer "uit de mond" (zoals dat dan heet) van Ieperling Luc Desramault en ik ga er van uit dat het in 1984 bij De Nederlandsche Boekhandel (DNB, sinds 1986 bekend onder de naam Uitgeverij Pelckmans) verschenen werk ook nu nog verbazing kan wekken bij de lezers. Ikzelf kende de basis van het verhaal, maar niet de "details", en dit boek gaat in zowel op die basis als op die "details".

Wat die basis betreft, die doet Vlaemynck al meteen in zijn inleiding uit de doeken:

"Toen België op 10 mei 1940 voor de tweede maal in nog geen kwarteeuw door Duitse troepen overrompeld werd, besloot de regering alle verdachte personen, zowel vreemdelingen als landgenoten, bij wijze van voorzorgsmaatregel in hechtenis te nemen. Van uur tot uur zonden de nationale radiozenders oproepen uit waarin de bevolking aangespoord werd hulp te verlenen bij het onschadelijk maken van vijandelijke parachutisten, spionnen en saboteurs. Weldra maakte er zich een ware spionnen-psychose van de bevolking meester. Deze psychose werd in de hand gewerkt door de sterke verhalen van de honderdduizenden vluchtelingen. Overal dacht men leden van de 'Vijfde Colonne' te zien en het aantal preventieve arrestaties steeg onrustbarend. Duizenden mensen, onder wie vooral leden van het V.N.V., het Verdinaso, Rex en de K.P. kwamen aldus in de gevangenis terecht. De meesten onder hen waren onschuldig. Zij kregen echter de kans niet hun onschuld te bewijzen omdat hun aanhouding slechts een zogenaamde 'voorlopige administratieve veiligheidsmaatregel' was, hetgeen iedere vorm van rechtsbijstand uitsloot. Nadat de Franse en Britse troepen op de 19de mei het Nederlandse en het Belgische leger te hulp waren gesneld, gingen de militaire autoriteiten van beide mogendheden eveneens tot aanhoudingen op Belgisch grondgebied over. Zij deden dit onder voorwendsel de aanvoerlijnen van hun strijdkrachten in het opmarsgebied veilig te stellen. Vooral de Fransen lieten zich bij dit wederrechtelijke optreden - België was immers een bondgenoot en geen bezet gebied - niet onbetuigd. Met het oog op de te verrichten arrestaties hadden zij zelfs maanden vooraf door geheime agenten in het neutrale België 'verdachtenlijsten' laten opstellen. Ten gevolge van het bijzonder snel oprukken van de Duitse troepen werd een aanzienlijk aantal politieke gevangenen in uiterst verwarde omstandigheden naar Frankrijk gedeporteerd. Voor velen onder hen betekende deze wegvoering het begin van een wekenlange lijdensweg. [Voor onder andere Joris Van Severen betekende het zelfs het einde, noot van mij] Een kleine groep verdachten kwam evenwel in Engeland terecht."

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Bij die "kleine groep verdachten" het hoofdpersonage van dit boekje, Luc Desramault, destijds gouwleider (regionaal leider) van het Algemeen Vlaamsch Nationaal Jeugdverbond, voor wie deze deportatie vijf jaar zou duren. Liever dan hier het hele verhaal dunnetjes over te doen, houd ik het bij een aantal veelbetekenende citaten:

"Onze bewaking [bij de eerste stop, de gevangenis van Ieper, noot van mij] bestond deels uit politieagenten en deels uit leden van een soort plaatselijke burgerwacht." [terwijl in "klassieke" geschiedenisboeken altijd volgehouden wordt dat burgers pas andere burgers gingen gevangenhouden tijdens de repressie-annex-straatterreur, noot van mij]

"In de bus [waarmee de stouterds afgevoerd werden richting Oostende om van daar richting Engeland gedeporteerd te worden, noot van mij] kregen wij het gezelschap van een zestal Joodse vrouwen die drie kinderen bij zich hadden. Voorts waren er nog enkele communisten bij uit Moeskroen, Wervik en Menen alsook enkele vreemdelingen." [Geef toe, een gezelschap dat, als de Vlaams-nationalistische "verdachten" nationaal-socialisten zouden geweest zijn, toch wel zéér explosief was samengesteld, noot van mij.]

"Op onze bus zat er een jonge jodin die door de natuur met heel wat charmes begunstigd was. Zij bracht het zover dat een van de gendarmen erg verlangend werd om even met haar alleen te zijn ... Toen beiden na geruime tijd terugkwamen, bleek de jodin in het bezit te zijn van enkele koekjes en karamels die wij van haar konden kopen om onze kwellende honger te stillen. Zij bracht het zover dat wij zelfs een weinig water kregen om onze brandende keel te verfrissen." [Het gemengde gezelschap had dus duidelijk ook geen hekel aan mekaar, noot van mij.]

"Niettegenstaande wij slechts verdachten waren, werden wij onderworpen aan het reglement dat van toepassing was op de veroordeelden [in de Londense gevangenis Pentonville, noot van mij] (...) Onze ondervragers hadden een burgerpak aan en waren telkens met vieren. Merkwaardig genoegen kregen wij nooit hun gelaat te zien. Zij droegen steeds een zwarte satijnen kap voorzien van twee doorkijkspleten en een mondopening over het hoofd. Het maakte aanvankelijk een vrij lugubere indruk en liet ons het ergste vermoeden. (...) De ondervragingen duurden twee dagen telkens zonder onderbreking van 8 tot 12 uur en van 13 tot 17 uur. Zij gingen gepaard met heel veel intimidatie. Herhaaldelijk kregen wij te horen dat indien wij de waarheid niet zouden zeggen, zij er die wel uit zouden krijgen! Herhaalde malen verklaarden zij onomwonden dat zij ons zouden afmaken, hetgeen bij ons de bedenking ontlokte dat indien zij toch reeds van plan waren ons te liquideren het dan in feite geen zin meer had om ons te ondervragen. Het kruisverhoor bestond meestal uit vragen die zij door elkaar stelden in de hoop ons op tegenstrijdige antwoorden te kunnen vangen. Dit leverde evenwel niets op aangezien wij niets te verbergen hadden. Wij waren weliswaar allemaal op de een of andere wijze in de Vlaamse beweging actief geweest, maar dit had met de oorlog nooit iets te maken gehad." [Deze mensen waren dus zonder welke officiële beschuldiging dan ook opgepakt, gedeporteerd en gevangen gezet en nu hoopte de belgische staat er op dat ze zelf bewijzen zouden leveren van collaboratie terwijl ze zelfs ... de oorlog niet van dichtbij hadden gezien, noot van mij.]

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"Toen wij in Hutchinson [Hutchinson Camp, een Brits concentratiekamp op het eiland Man, noot van mij] aankwamen, zaten er naar schatting wel vijfduizend joden in het kamp en hoop en al een vijftigtal niet-joden, onder wie Leo Hoste en ik." [Weer dat eigenaardige idee om potentiële "nationaal-socialisten" op te sluiten samen met joden, noot van mij.]

"Het is via dit communicatiesysteem [in de gevangenis van Leeds, de volgende halte van Desramault, noot van mij] dat wij tot de ontdekking kwamen dat er in de gevangenis heel veel Ierse politieke gevangenen zaten. Zij waren leden van de I.R.A. Wij hadden deze drie mysterieuze letters reeds herhaaldelijk als graffiti op de muren van de gevangenis zien prijken, maar de inhoudelijke betekenis van dit letterwoord was toen nog maar een vaag begrip voor ons. Geleidelijk aan leerden wij deze Ierse nationalisten en hun strijd voor de volledige hereniging van hun eiland in één onafhankelijke republiek beter kennen." [Ofte flater nummer zoveel van de Engelsen, noot van mij.]

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"Hoezeer de Londense politiemannen zich [dit keer in Camp X, een ander concentratiekamp op het eiland Man, noot van mij] ook inspanden om het kampleven draaglijker te maken, toch kreeg de drang naar de vrijheid sommigen van ons zo erg te pakken dat er ontvluchtingspogingen werden ondernomen. Een van de merkwaardigste pogingen werd op touw gezet door drie geïnterneerde Nederlanders. Een was officier bij de Koninklijke Nederlandse Marine, de tweede was stuurman bij de Nederlandse Koopvaardij en de derde was piloot bij de K.L.M.. Alle drie werden, terecht of ten onrechte, dat heb ik nooit geweten, verdacht van lidmaatschap bij de N.S.B. Zij hadden hun tocht zorgvuldig gepland en voorbereid. Aldus hadden zij wekenlang in de fabriek waar zij overdag werkten kleine hoeveelheden benzine gehamsterd. Op een mooie morgen kaapten zij ongezien een motorbootje, brachten de benzine aan boord en startten de motor. Met een brede zwaai staken zij van wal en stevenden op volle kracht de Ierse Zee in zuidwestelijke richting op met de kennelijke bedoeling de kust van de neutrale Ierse Republiek te kunnen bereiken. Aanvankelijk scheen hun poging te zullen slagen maar plots kwamen zij echter in een opstekende storm terecht. Aangezien de Ierse Zee een soort van binnenzee is, zijn de golfslagen er kort maar krachtig. Zij kregen water in de boot en de motor begon te sputteren. Weldra viel hij geheel stil en wat zij ook probeerden om hem weer op gang te krijgen, niets mocht baten. Voortgestuwd door de storm dreven zij af naar de Schotse kust. Een Brits legervliegtuig had reeds de drenkelingen opgemerkt en toen hun vaartuig in de branding aan diggelen sloeg en zij uitgeput aan land strompelden, werden zij er opgewacht door militairen die hen oprecht feliciteerden met de gedurfde stunt! Later moesten zij voor een krijgsgerecht verschijnen en werden er tot één maand gevangenisstraf veroordeeld wegens diefstal van benzine en het ontvreemden van een boot. De Britse eigenaar van het vaartuigje weigerde schadevergoeding te vragen. Als sportieve Engelsman vond hij het al erg genoeg dat hun poging mislukt was!" [En dat zijn nu de dingen die een mens veel te weinig leest in "oorlogsverhalen", het respect dat "vijanden" voor mekaar kunnen opbrengen in de juiste omstandigheden, noot van mij]

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"Aldus gingen langzaam maar zeker de oorlogsjaren voorbij. Een paar malen kregen wij bezoek van leden van het Belgische Rode Kruis. Vóór onze aankomst in 'Camp X' hadden wij ze nog nooit gezien. Met veel tegenzin spraken zij Nederlands en het eerste wat zij deden, was ons verwijten maken. Volgens hen waren wij slechte Belgen, omdat wij in een interneringskamp zaten. Het was onze plicht dienst te nemen bij het Belgisch Leger en te gaan strijden tegen de Duitsers. Daarop hebben wij hen ons standpunt uiteengezet. Wij zegden dat wij bereid waren de Belgische strijdkrachten in Groot-Brittannië te vervoegen op voorwaarde dat wij eerst volledig in het openbaar gerehabiliteerd zouden worden. Daar konden zij niet voor instaan, zegden zij, wij moesten dat met de Engelsen regelen. En wanneer wij dan met de Engelsen daarover van gedachten wisselden, verwezen zij ons naar de Belgische regering te Londen. Het gevolg was dat de zaken bleven zoals zij waren en dat de afgevaardigden van het Belgische Rode Kruis ons kamp niet meer bezocht hebben." [Kafka, iemand ?, noot van mij]

En dan, dan moest de kers op de taart nog komen:

"Toen de afreisdatum aanbrak, pakten wij onze koffers en kregen wij onze identiteitskaarten terug. Voorts gaven de Britten ons een vrijgeleidebrief waarop stond dat wij in België overal mochten heengaan waar wij maar wensten. Op 20 mei 1945, Pinksterzondag, stapten wij voor het eerst in ruim vijf jaar als vrije burgers aan boord van een Brits legervliegtuig. (...) Bij de uitgang van de luchthaven [die van Evere, noot van mij] werden wij tegengehouden door enkele mannen in burger. Zij wensten onze persoonsbewijzen te zien. Geen onheil vermoedend toonden wij ze onze vrijgeleidebrieven. Daarop zegden zij dat er voor ons vervoer voorzien was om ons naar Brussel te brengen. (...) Toen men ons daar ter hoogte van het Cantersteen liet uitstappen, werden wij spoedig omringd door een vijandig gezinde menigte die, naar wij later vernomen hebben, daar uit Duitsland gerepatrieerde collaborateurs stond op te wachten. Wij werden er uitgemaakt voor 'sales boches' (smerige moffen) en kregen harde klappen te incasseren. (...) Onder veel gejouw en getier van de omstaanders werden wij [na een ondervraging in Cantersteen, noot van mij] terug in de camion geduwd die ons na een korte rit in het 'Klein Kasteeltje' afleverde. Wij vlogen er bij de aldaar reeds opgesloten incivieken en brachten daar een tiental dagen door. Het eten was er bar slecht en bestond hoofdzakelijk uit gedeshydrateerde rode kool en wortelen. Weldra zat iedereen met diarree geplaagd. Daarna werden wij overgebracht naar de gevangenis van Sint-Gillis (...) Vanuit Sint-Gillis werd ik dan overgeplaatst naar de inmiddels tijdens de oorlog wederopgebouwde gevangenis van Ieper. (...) Het duurde tot in september 1945 vooraleer ik de militaire auditeur te zien kreeg. Hij wist mij alleen maar te vertellen dat er tegen mijn gedrag tijdens de oorlog niets viel in te brengen en dat er derhalve geen reden was om mij te vervolgen. (...) Aangezien ik onschuldig was, gaf de krijgsauditeur bevel mij op staande voet [na zo'n vijf jaar volkomen onterechte vrijheidsberoving dus, noot van mij] in vrijheid te stellen. Hij gaf mij echter de raad mij voor mijn eigen veiligheid voorlopig niet in de buurt van Ieper te vestigen. Ik heb zijn raad opgevolgd en heb eerst een drietal maanden in Vilvoorde bij een zuster van mijn vader gewoond. (...) Daarna heb ik nog zogezegd mijn domicilie gehad bij mijn broer in Komen. Het is daar dat ik dan op 28 februari 1946 een officieel attest van buitenvervolgingstelling heb bekomen."

Om dit waanzinnige verhaal te beëindigen geef ik nog graag mee dat in die officiële buitenvervolgingstelling nog steeds geen reden stond aangegeven waarom Luc Desramault vijf jaar van zijn leven beroofd is door de Belgische staat, maar wel dat die buitenvervolgingstelling "slechts van voorloopigen aard" was en "het hernemen van het onderzoek niet [verhindert] ingeval er zich nieuwe bezwaren voordoen".

Allemaal het overdenken waard als de wereld van de oorlogsjaren weer eens door iemand opgedeeld wordt in zwart en wit ...

mercredi, 06 janvier 2021

Robert Steuckers: entretien au journal slovène "Demokracija"

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Robert Steuckers: entretien au journal slovène "Demokracija"

Sur la révolution conservatrice, la géopolitique et l'état de la Belgique

Propos recueillis par Andrej Sekulovic

Vous avez écrit deux volumes d’articles et d’essais sur le mouvement allemand de l’entre-deux-guerres que l’on a appelé la « Révolution conservatrice ». Pourriez-vous nous brosser un bref survol de ce mouvement et de ses principaux penseurs et dites-nous de quelles façons ce mouvement a influencé la « nouvelle droite » et vous-mêmes ?

Même si je brossais un « bref survol », comme vous dites, de la révolution conservatrice ou du mouvement folciste (= völkisch), j’aurais besoin d’une bonne centaine de page. Au moins. Cela excéderait le cadre de notre entretien. Mais pour faire bref, il faut tout de même rappeler que Theodor W. Adorno, l’une des figures de proue les plus emblématiques de l’Ecole de Francfort, laquelle est considérée, à juste titre, comme le contraire philosophique absolu de la « révolution conservatrice », a admis, un jour, que les critiques incisives, formulées par les meilleurs auteurs de cette « révolution conservatrice » à l’encontre des systèmes politiques wilhelminiens et weimariens et à l’encontre des philosophies implicites qui les sous-tendaient, étaient souvent plus pertinentes, plus profondes, que les critiques de la gauche, dans l’orbite de laquelle Adorno entendait inscrire son combat. Adorno ajoutait qu’il fallait impérativement se demander pourquoi ces critiques étaient plus percutantes que tout l’attirail para-marxiste des gauches, saupoudré ou non d’élucubrations psychanalytiques ou de spéculations zozo-sexuelles.

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Georg Simmel.

La « révolution conservatrice », en règle générale, car il ne faut pas omettre de penser l’extrême hétérogénéité de cet impressionnant ensemble d’auteurs, repose sur un sentiment aigu du déclin de notre civilisation, devenue trop matérialiste, trop procédurière, trop affectée par des routines devenues incapacitantes au fil du temps : cette idée se retrouve chez un sociologue/philosophe un peu oublié dans la mouvance néo-droitiste actuelle, Georg Simmel. Celui-ci insistait sur l’ossification inéluctable des « procédures » et des « procédés » nés dans la foulée de l’industrialisation généralisée de l’Europe à partir de la seconde moitié du 19ème siècle. Ces procédures et procédés avaient tous eu des départs fulgurants et prometteurs, constituaient l’annonce d’une modernité heureuse et rationnelle en advenance, mais avaient fini par s’enliser dans des routines qui empêchaient l’éclosion de nouvelles forces régénératrices. Les productions juridiques, institutionnelles et administratives de l’idéologie libérale progressiste finissaient donc par produire des encrôutements délétères, qui bloquaient tout progrès, toute décision, toute résolution des problèmes accumulés et engendraient, volens nolens, une régression généralisée, posant par là même un sérieux problème de légitimité (démocratique ou non).

Les sociétés, d’abord la wilhelminienne ou l’austro-hongroise avant 1914, ensuite la République de Weimar après le Traité de Versailles de 1919, en étaient arrivées à vivre sous une croûte étouffante de règles et de rigidités, de lourdeurs conceptuelles économicistes et déculturantes, de faux principes politiques et d’engouements faussement moralisateurs, croûte in fine parfaitement bloquante, qui empêchait de résoudre les terribles problèmes de l’heure, l’inflation galopante et l’obligation de nourrir la France par les réparations pharamineuses exigées à Versailles. Ces idées de Simmel, sur les blocages de la société dite « rationnelle », ont précisément influencé l’Ecole de Francfort, à partir de sa fondation en 1926. Consolidée par la vision noire et tragique de Spengler, penseur du déclin de l’Europe et de l’Occident tout entier, les « révolutionnaires conservateurs » vont cesser de croire à toutes les idéologies du progrès et à concevoir leurs actions (politiques ou métapolitiques) comme « kathékoniques » (prenant pour modèle le Kathekon de l’Apocalypse qui combat sans cesse pour retarder la chute finale). Les tenants de l’Ecole de Francfort vont, eux, chercher à sauver le progrès et à imaginer des formes de combat métapolitiques et politiques alternatives, basées sur d’autres agents révolutionnaires que les masses ouvrières. Leurs dernières émules enclencheront le processus de déliquescence à la fin des années 1960, processus que nous voyons se parachever aujourd’hui avec les folies festivistes et gendéristes que refusent aujourd’hui de traduire en pratiques sociales obligatoires les gouvernements polonais et hongrois. La modernité progressiste a donc eu deux chances historiques qu’elle a galvaudées : la première avant 1914 ; la seconde en deux temps, après 1945 et surtout après les révoltes des années 1967-68, annonçant l’ère du festivisme, que l’on espérait vecteur d’un bonheur inusable et éternel. Nous déchantons aujourd’hui, d’autant plus que ces fadaises idéologiques se sont couplées à une monstruosité socio-économique, le néolibéralisme, tout aussi antipolitique que les obsessions, sexuelles et autres, d’un Cohn-Bendit. Nous voyons aujourd’hui à l’œuvre la collusion catastrophique de ces fadaises et de cette monstruosité.

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L’idée spenglérienne de déclin sera accentuée par la défaite militaire allemande de 1918, par les conditions humiliantes du Traité de Versailles de juin 1919 et par l’incapacité des gouvernements successifs de la République de Weimar d’assurer l’ordre dans les rues, de protéger le peuple contre les effets des crises économiques et financières, etc. Parallèlement à la sinistrose que généraient, dans la société allemande, l’idée de déclin, de plus en plus répandue, et l’effondrement de la monnaie dû en grande partie à l’obligation de payer des réparations à la France, les groupes où oeuvrait notamment Arthur Moeller van den Bruck acquièrent l’idée que la défaite n’était pas seulement le résultat des actions lancées par les armées alliées occidentales contre l’armée impériale allemande mais aussi à l’inadéquation des institutions wilhelminiennes, une inadéquation que répètent les démocrates libéraux de la République de Weimar, quoiqu’au nom d’autres inepties idéologiques. Dans ses articles, Moeller van den Bruck va alors vulgariser ses idées en maniant les catégories de « jeune » (jung) et de « vieux/vieille » (alt). Est « jeune », ce qui recèle encore en soi des potentialités, de la fécondité créatrice sur le plan politique. Est « vieux » ce qui demeure passif sous la croûte des institutions figées, de ce qui répète des « ritournelles » infécondes. Transposée aujourd’hui, cette distinction, utilisée jadis par Moeller van den Bruck dans ses polémiques, décrèterait « vieux » le fatras libéral et soixante-huitard, qui conduit à l’impasse et à la crise permanente (comme sous la République de Weimar), et « jeune », tout ce qui se coagulerait dans un « pôle de rétivité » hostile à cet insupportable fatras.

carl_schmitt.jpgCarl Schmitt, dans le contexte de la République de Weimar plutôt que dans, celui, plus idéologique et polémique, de la révolution conservatrice, forge deux concepts à retenir : celui de la « décision » (Entscheidung), de la capacité et de la volonté de décider la politique à suivre (et même la guerre à mener) ; la « décision », avec la désignation de l’ennemi, sont dès lors les fondements même du politique, de l’essence du politique. La politique dans l’optique de Schmitt n’est constituée que par la gestion quotidienne et les débats sans grand relief des assemblées plus ou moins représentatives, en temps normaux. Quand il y a « état d’exception » ou « état d’urgence », quand la Cité est menacée, il faut décider, vite, sans débat, sans perte de temps. Ensuite, après avoir été sévèrement critiqué par des instances nationales-socialistes et s’être retiré de certains postes auxquels il avait été nommé, Schmitt a théorisé sa notion de « Grand Espace » (Grossraum), parallèlement à celles que formulaient à la même époque les diverses écoles de géopolitique actives en Allemagne, dont celle de Karl Haushofer. L’Europe, autour de son centre allemand, autour du territoire qui fut jadis celui du Saint-Empire Romain de la Nation Germanique, devait s’unir, gérer de concert son très grand appendice colonial africain et en interdire l’accès à toute puissance extérieure à ce double espace européen et africain. Pour Schmitt, c’était la notion de « Interventionsverbot raumfremder Mächte », visant à interdire toute intervention de puissances extérieures à l’espace européen dans l’espace européen et dans les espaces adjacents contrôlés par les Européens. Le modèle historique du raisonnement de Carl Schmitt, modèle en quelque sorte a contrario, était la proclamation en 1823 du Président américain Monroe qui posait comme axiome de la politique étrangère nord-américaine l’interdiction systématique de toute intervention européenne dans le Nouveau Monde, suite à l’éviction de l’Espagne hors de son empire ibéro-américain. Ne restaient présents en Amérique que les Russes en Alaska et en Californie (jusqu’en 1842) et les Britanniques au Canada. L’européisme grand-spatial de Schmitt complétait la vision triadique (Allemagne + Union Soviétique + Chine) des nationaux-révolutionnaires et nationaux-bolcheviques allemands. J’ai souligné, dans le principal essai du deuxième volume que j’ai consacré à la « révolution conservatrice », l’importance de cette volonté nationale-révolutionnaire de créer une vaste synergie germano-soviéto-chinoise dans les années 20 du siècle passé, jusqu’en 1933, année où les nationaux-socialistes s’installent dans tous les rouages du pouvoir. Le principal exposant de cette triade, eurasiste avant la lettre et avant la réanimation de ce concept par Alexandre Douguine en Russie actuelle, fut Richard Scheringer, dont la revue Aufbruch, disponible en facsimile, nous révèle des options géopolitiques et géostratégiques intéressantes qui ont, tout compte fait, un impact sur l’actualité. Les nationaux-révolutionnaires allemands entendaient prendre le pouvoir en Allemagne suite aux crises récurrentes que connaissait la République de Weimar ; pour eux, ces crises annonçaient une fin inévitable et catastrophique, générant un chaos passager auquel les anciens soldats de la Grande Guerre allaient mettre un terme, en renvoyant les politiciens falots dans leurs foyers ou… en règlant définitivement leur compte...

479.jpgLe Général H.  von Seeckt.

Les communistes, qu’ils percevaient au départ comme leurs alliés, étaient au pouvoir en URSS. Le parti dominant en Chine était le Kuo Min Tang de Tchang Kai Tchek, visant l’établissement d’un pouvoir militaire moderniste. Le Kuo Min Tang recevait l’appui de militaires allemands, dont le célèbre Général von Seeckt et le futur gouverneur militaire de la Belgique occupée von Falkenhausen. La Reichswehr résiduaire s’entraînait en URSS. Scheringer et aussi les frères Jünger, Hielscher et Niekisch souhaitaient la constitution de cette grande Triade eurasienne, capable d’attirer dans son orbite la Turquie kémaliste, l’Iran du premier Shah de la dynastie Pahlavi et les nationalistes indiens en révolte contre le colonialisme britannique. Aujourd’hui, l’inféodation de l’Allemagne (et du reste de l’Europe) dans l’américanosphère est un échec, ne peut plus conduire qu’à l’enlisement de notre continent et de notre civilisation. Le système Merkel conduit l’Allemagne à l’implosion et au ressac économique, face auxquels les crises de Weimar seront bientôt considérées comme des vaguelettes sans grande ampleur. Mais les principaux clients de l’Allemagne, qui la maintiennent à flot de nos jours, sont la Russie de Poutine, qui lui fournit le gros de son énergie, et la Chine de Xi Jinping, qui est son principal partenaire commercial. Inéluctablement, la Triade, eurasisme potentiel, est de retour. Scheringer avait vu juste.

La « nouvelle droite », surtout dans son expression parisienne, n’a pas vraiment embrayé sur les questions géopolitiques. En fait, c’est une de ces sectes intellectuelles parisiennes, avec tout ce que cela comporte de ridicule et de déplaisant. Je ne peux plus m’identifier à ce type de cénacle. Guillaume Faye déplore d’ailleurs cette situation expressis verbis, dans son livre intitulé L’archéofuturisme, ce qui ne lui fut pas pardonné : jusqu’à sa mort, il a été poursuivi par la haine de ses anciens compagnons de combat aux réflexes plus sectaires que métapolitiques. Stefano Vaj, ami de Faye, juriste et penseur milanais, théoricien d’une nouvelle droite italienne dissidente, est du même avis : ses textes caustiques sur les réflexes sectaires et l’art d’agiter sa sébile, pour mendier de l’argent pour nourrir le gourou et satisfaire ses caprices, sont très savoureux. Dans les rangs de la secte néo-droitiste parisienne, bien rares sont ceux qui comprennent un minimum d’allemand pour saisir l’importance des théories de la « révolution conservatrice » et surtout pour comprendre le contexte, éminemment germanique, dans lequel elles ont germé. Le résultat final de cette agitation bizarre, c’est une cacophonie où tous braillent des tirades issues des œuvres traduites de « conservateurs-révolutionnaires » sans jamais rien comprendre, dans le fond, au contexte compliqué de l’Allemagne de Weimar, où les acteurs politiques passaient parfois d’un camp à l’autre, en justifiant leurs choix par des argumentations complexes, très allemandes dans le sens où, derrière elles, se profilaient souvent un héritage philosophique hégélien ou des filons politiques originaux, inexportables, nés dans la seconde moitié du 19ème siècle.

Charles_Andler.jpgFinalement, dans le contexte de la nouvelle droite française, ce seront surtout Ernst Jünger et Oswald Spengler qui seront sollicités, parce qu’ils ont été très tôt et abondamment traduits en langue française. A cette réception de Spengler et, principalement, de Jünger, il faut ajouter un impact très important du filon nietzschéen français, né avant la première guerre mondiale, sous la notable impulsion de Charles Andler (1866-1933), Strasbourgeois de naissance, auteur de trois volumes sur la réception de Nietzsche en France. Charles Andler était socialiste, membre fondateur du Parti Ouvrier Socialiste Révolutionnaire, fondé en 1889. Il avait correspondu avec Engels, définissait sa position comme « humaniste et travailliste » mais, comme la référence à Nietzsche avant 1914 était davantage socialiste que conservatrice, il se rend en Allemagne en 1904 pour rencontrer la sœur de Nietzsche et en Suisse, à Bâle, en 1907 pour prendre conseil auprès du premier grand spécialiste de la pensée nietzschéenne, Carl Albrecht Bernoulli (1868-1937), élève de l’ami de Nietzsche, Franz Camille Overbeck (1837-1905). Son triple positionnement politique, socialiste, dreyfusard et nietzschéen, suscite l’hostilité virulente de l’Action Française, principale porte-voix de la droite nationaliste à l’époque. Pourtant, Andler n’était pas un Alsacien germanophile : pendant la première guerre mondiale, il crée diverses structures visant la réintégration de l’Alsace dans la République française.

Andler, socialiste, campe toutefois une image de Nietzsche qui n’est nullement frelatée, qui est complète et synoptique. Avec méthode, avec un regard encyclopédique, il dresse la liste de toutes les sources de la pensée de Nietzsche et les commente sans jamais jargonner. Il explore bien évidemment les sources allemandes de cette pensée aphoristique et non systématique (contrairement à la mode hégélienne) mais il n’omet pas de signaler les sources françaises : Montaigne, Pascal, La Rochefoucauld, Fontenelle, Chamfort ou encore Stendhal. Bon nombre d’idées, toujours actuelles, de Nietzsche sont issues de ses lectures françaises : la volonté de démasquer les mensonges sociaux, l’idée d’un regard qui doit être nécessairement « perspectiviste » sur le réel, le naturalisme moral, le pessimisme intellectuel, la critique de l’esprit grégaire, la glorification du solitaire qui se dégage de la foule des ignorants, l’idée stendhalienne que la civilisation se mesure à l’énergie et que tout déclin d’énergie annonce une chute de civilisation, le primat du beau, etc. Mais nous sommes là en présence d’un hiatus dans l’histoire des idées en France, dès que l’on évoque la figure et l’œuvre d’Andler : les gauches françaises et allemandes ne le retiennent pas parce qu’elles ont nié, à un certain moment de leur histoire, tant en France qu’en Allemagne, sa forme de socialisme, qui était humaniste, travailliste et nietzschéenne. Il y a dans les gauches, surtout à l’heure actuelle, une dénonciation des stratégies démasquantes préconisées par Nietzsche, surtout dans La généalogie de la morale. Tout simplement parce que la gauche tient le haut du pavé dans le « paysage intellectuel français », ses intellos formant une nouvelle cléricature intolérante, hystérique, arcboutée sur ses slogans, qui craint évidemment l’émergence d’un contre-pouvoir culturel polisson, annexant à son profit les stratégies démasquantes préconisées par Nietzsche dans une partie significative de son œuvre philosophique. Ensuite, nos gauches contemporaines rejettent toute approche « perspectiviste », c’est-à-dire toute approche plurielle des phénomènes à l’œuvre dans l’histoire et sur les scènes politiques, au nom du « politiquement correct ». Toute critique de l’esprit grégaire ou toute référence à une énergie vitale est assimilée à l’ « extrême-droite », soit au mal absolu.

A droite, Andler est tout aussi délibérément oublié car son socialisme l’assimile aux gauches, ce qui est in fine une analyse à très courte vue, qui se contente d’ânonner des étiquettes, celle qu’exigent de nous tous le politiquement correct actuel et la paresse intellectuelle induite par le système politico-médiatique. Les positions dreyfusardes d’Andler ne lui sont pas pardonnées à droite du spectre politique. L’hostilité qui lui a vouée l’Action Française s’est maintenue en quelque sorte dans les cénacles de droite, qui, comme leurs adversaires de gauche, font de l’apologétique figée et ne procèdent pas à la généalogie des idées en général et de leurs propres corpus en particulier. Quant aux fractions germanophiles et/ou ethnistes/régionalistes dans le petit monde des droites françaises, elles ne comprennent pas son engagement pour réintégrer l’Alsace ethniquement et/ou linguistiquement germanophone dans le cadre d’une « Troisième République », honnie pour ses options maçonniques et bourgeoises.

md22543237156.jpgNous nous trouvons dès lors devant quelques beaux paradoxes : la « nouvelle droite », qui se revendique « nietzschéenne » par hostilité au christianisme en général et au catholicisme tiers-mondiste en vogue depuis Vatican II en particulier, ne prend pas en compte le nietzschéisme français (et allemand) original qui se situait à gauche de l’échiquier politique de la Troisième République et du Reich wilhelminien, alors que les positions prises en son temps par Andler sur l’œuvre de Nietzsche correspondent presque exactement à celles que la « nouvelle droite » entend défendre aujourd’hui, parce qu’elle a abandonné ses options premières anti-égalitaristes et favorables aux droites giscardiennes et chiraquiennes des années 1970 et 1980.

Pour revenir à votre question, quant à savoir dans quelle mesure la vaste mouvance de la « révolution conservatrice » (allemande ou autre) m’a influencé ou a influencé la « nouvelle droite » française, je dirais que mes démarches, et celles de mes condisciples au temps où nous étions à l’école secondaire, ont été entamées bien avant de connaître la « nouvelle droite » parisienne. Chez moi, elle a commencé par une lecture, très tôt, de deux livres de Nietzsche, L’Antéchrist et La Généalogie de la morale. Nous étions en 1971. Ensuite, les bougres de petits cornichons de collégiens bruxellois, que nous étions, ont tâtonné pendant quatre ans avant de découvrir la revue Nouvelle école, qui ne parlait pas encore de « révolution conservatrice », sauf au détour d’une recension par Giorgio Locchi, excellent germaniste italien, du livre d’Armin Mohler, Die konservative Révolution in Deutschland 1918-1932. Nous étions bien conscients que le « foutoir » en place dans notre pays (et ailleurs) devait être balayé, jeté au dépotoir de l’histoire comme on jette au dépotoir communal les vieux meubles gangrénés par l’insatiable voracité des xylophages. Même gamins, nous savions qu’il fallait une révolution culturelle, reposant sur le savoir classique (nous étions dans les classes latines), mais aussi sur ce qui avait été refoulé suite aux deux grandes conflagrations fratricides qui avaient ruiné l’Europe entre 1914 et 1945. Pour nous, ce refoulement était surtout celui qui avait évacué la culture germanique, qui avait été déterminante en Belgique avant 1914, quand tous voulaient penser autrement que dans les insupportables schémas de la révolution française et du « machin république », dont on nous rabat encore les oreilles aujourd’hui, au point de nous donner des envies de vomir lorsqu’un sbire de cette république mitée, qu’il soit de droite ou de gauche, ose encore parler de « valeurs républicaines », alors que tout ce qui touche à cette république n’a aucune valeur, constitue même les pires des « antivaleurs ».

51WYZjNjSuL._SX195_.jpgLa nécessité de l’ancrage classique, je la dois au professeur de latin, l’Abbé Simon Hauwaert, qui avait bien conscience que les humanités gréco-latines, auxquelles il tenait comme à la prunelle de ses yeux, devait être consolidées par un savoir mythologique et archéologique sur les mondes germaniques et celtiques. C’est ainsi que j’ai lu le celtologue Jean Markale sur les matières irlandaises, galloises et bretonnes. Pour l’initiation du collégien au monde mythologique germanique, je la dois à un petit livre que je conseille toujours vivement, dû à la plume de l’Argentin Jorge Luis Borgès, Essai sur les anciennes littératures germaniques. Ce petit savoir initial, complété par un bref cours scolaire sur les origines de la littérature néerlandaise, nous posait, dans les années 70, comme des contestataires inébranlables du désordre officiel qui s’installait en effaçant tous les legs de notre histoire et de notre culture.

Vous êtes également l’auteur d’un livre en anglais, The European Enterprise: Geopolitical Essays. Parlez-nous quelque peu de cet ouvrage et dites-nous quels événements et quels faits nous devrions prendre en considération quand nous jetons un regard sur la situation géopolitique actuelle de l’Europe et du reste du monde?

Je n’ai jamais reçu ce livre que j’ai écrit. Je ne sais pas à quoi il ressemble. Le thème de cet ouvrage, la géopolitique, est présent de longue date dans mes préoccupations : je me suis toujours intéressé à l’histoire et aux cartes depuis mon enfance. Dans la version allemande de son petit ouvrage didactique et programmatique sur la « nation européenne », Jean Thiriart évoquait la géopolitique et avait inséré quelques cartes suggestives dans les pages de ce petit volume de 192 pages. Plus tard, j’ai découvert le travail de Jordis von Lohausen, Mut zur Macht (1978), qui a donné une véritable impulsion géopolitique à mes travaux métapolitiques, non pas, de prime abord, dans le cadre d’une organisation politique ou métapolitique quelconque mais bien dans le cadre de mes études de traducteur-interprète, où nous avions, pendant les deux dernières années, un cours très important sur les relations internationales.

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De même, les cours d’anglais et d’allemand prévoyaient un volet « culturel/historique », impliquant l’étude des littératures mais aussi et surtout des « structures politiques, économiques, sociales et culturelles » (SPESC) des pays étudiés. Cette série de cours m’ont permis de comprendre l’histoire institutionnelle de l’Allemagne de Guillaume II à la République Fédérale assise sur la constitution de 1949. Pour les pays anglo-saxons, les cours étaient moins concis et moins cohérents vu qu’il s’agissait d’aborder et le Royaume-Uni et les Etats-Unis, voire d’autres pays anglophones comme le Canada ou l’Australie, dans un même cours, dans le même nombre de périodes.

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C’est dans le cadre de ce cours que je découvre les atlas historiques de Colin McEvedy qui aborde l’histoire européenne dès la protohistoire et l’envisage de manière dynamique, en la posant comme le choc permanent et/ou récurrent de matrices civilisationnelles indo-européennes avec les matrices d’autres groupes ethniques, plus ou moins homogènes aux débuts de leur émergence sur le théâtre eurasien (car McEvedy ne limite pas l’Europe ou l’aire d’expansion des matrices indo-européennes à ce qu’il est convenue de définir aujourd’hui comme notre continent ; McEvedy y englobe les deux rives de la Méditerranée et un espace steppique s’étendant jusqu’au Pamir). Les phases d’expansion et de recul de l’européanité se succèdent face à des matrices autres, notamment celle qui formera, au cours de l’histoire, le trinôme hostile regroupant les matrices hamitique/asianique, arabo-sémitique et turco-hunnico-mongole, dont les territoires initiaux sont le vaste espace nord-africain, l’espace péninsulaire arabique et l’espace steppique d’Asie centrale. La présence hamitique/asianique en Espagne à partir de 711, l’expansion arabo-sémitique après Mohamed, sous les premiers califats, la longue occupation des Balkans par l’Empire turco-ottoman sont autant de phases de recul, qui ont été compensées par des reconquistas sur une durée longue ; le ressac de l’Europe, son effondrement démographique face aux autres matrices, qui, elles, ne connaissent pas ce phénomène involutif de déclin, constituent une nouvelle et inquiétante phase de recul, accentuée par le fait qu’il n’y a plus vraiment de frontière nettement tracée, un limes ou une redoute de « graniçar » ou de « haidouks », où l’européanité pouvait s’arcbouter, l’européanité assiégée. La lutte pour la domination finale se déroule au sein même des villes d’Europe, jusqu’en Scandinavie.

Le livre en langue anglaise, et ma trilogie intitulée Europa, parue en France aux éditions Bios, abordent en long et en large ces processus de maîtrise de l’espace. A cette influence initiale de Thiriart, de von Lohausen et de McEvedy, s’ajouteront plus tard une découverte des travaux du géopolitologue allemand Karl Haushofer, grâce à de multiples impulseurs, et de la notion de « Grand Espace » (Grossraum) chez Carl Schmitt, grâce notamment à des débats avec l’avocat strasbourgeois Jean-Louis Feuerbach qui avait abordé minutieusement cet aspect de l’œuvre de Schmitt.

Tout cela implique que la survie de l’Europe en tant que civilisation particulière, différente de celle de l’Occident anglais, français et américain, passe par les nécessités suivantes :

  • Penser conjointement les dynamiques impériales présentes sur le continent européen (soit les dynamiques impériales d’Espagne (en Méditerranée notamment), d’Allemagne et d’Autriche, de Russie, dans la perspective de la restaurer pour faire face à tout environnement hostile, orchestré principalement par l’hegemon d’Outre-Atlantique. Une cohérence pluri-impériale mettrait rapidement un holà à tout défi de seconde main, c’est-à-dire à tout défi hamitique, sémitique ou turco-ottoman. Cela implique que ce qui a été défendu jadis et/ou conquis par l’un de ces empires, du moins dans l’orbite européen, doit être maintenu/consolidé et aucune tentative pour changer la donne ne peut être tolérée, ni dans les Canaries ni à Ceuta ni à Melilla ni dans les Balkans ni dans l’Egée ni en Méditerranée orientale ni dans le Caucase (où le gouvernement arménien a eu tort de se rapprocher de l’OTAN et le pouvoir azerbaïdjanais a eu tort de s’allier à la Turquie).
  • Cette position pluri-impériale doit s’étendre à l’espace iranien, à l’Inde (en tant qu’Etat-civilisation), à la Chine et au Japon, en dépit des hostilités héréditaires qui opposent ces entités les unes aux autres, au plus grand profit de l’hegemon du Nouveau Monde.

Dans le passé, on a pu observer des tendances séparatistes en Belgique, surtout émanant des droites flamandes. Ces tendances sont-elles encore à l’œuvre et comment voyez-vous les choses ? Dans la foulée, pouvez-vous nous brosser un survol de la situation politique en Belgique et nous parler des rapports actuels entre Flamands et Wallons ?

Parler des problèmes institutionnels de la Belgique implique d’élucider des mécanismes terriblement compliqués. Nos interlocuteurs étrangers décrochent très rapidement dès qu’on les esquisse. La Belgique possède plusieurs niveaux de pouvoir : le fédéral, le régional et le communautaire.

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La différence entre le régional et le communautaire déroute nos interlocuteurs étrangers. La région est un concept géographique, territorial. La communauté se fonde sur une base linguistique et traite de tout ce qui relève de la « personne » (enseignement, travail, etc.). La région et la communauté flamandes ont fusionné. La Wallonie est une région géographique, comprenant toutefois le territoire de la communauté germanophone. Ce qui en fait une entité bilingue (français/allemand). La communauté Wallonie-Bruxelles est représentée par des élus de la région wallonne et des élus francophones de la région de Bruxelles-Capitale. Je ne vais pas entrer davantage dans les détails, sinon vos lecteurs devront avaler tout un tube d’aspirines.

Les tendances séparatistes en Flandre s’expliquent surtout par la différence du comportement électoral dans les deux communautés du pays. La Flandre vote traditionnellement plus à droite que la Wallonie ou Bruxelles. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas un socialisme flamand bien profilé, notamment dans les zones industrielles autour de Gand. En Wallonie, territoire jadis densément industrialisé depuis la révolution industrielle du 19ème siècle, un socialisme militant s’est constitué qui conserve une certaine résilience politique, en dépit d’une désindustrialisation de grande ampleur, à l’œuvre depuis près d’un demi-siècle. Mais le socialisme officiel, celui du parti qui porte le nom de PS (Parti Socialiste) a changé profondément depuis sa fondation en 1885. Au départ de sa trajectoire, ce socialisme avait toute sa raison d’être et, avant 1914, était porteur d’une révolution culturelle intéressante, dont les productions littéraires, artistiques ou architecturales fascinent encore.

AVT_Hendrik-de-1885-1953Man_4227.jpgAprès 1918 et jusqu’à la débâcle belge de mai 1940, une figure intellectuelle de haut niveau a donné au socialisme belge ses lettres de noblesse en la personne de Hendrik de Man, théoricien d’un socialisme personnaliste qui a inspiré considérablement les théoriciens et activistes français que l’on regroupe, par commodité, sous l’étiquette de « non-conformistes des années 30 ». D’aucuns font de ces « non-conformistes » les équivalents des « révolutionnaires conservateurs » allemands. Après 1945, le socialisme, comme partout en Europe occidentale, a servi de cheval de Troie aux stratégies de l’OTAN, les Américains, dans les années 40 et 50, préférant miser sur les sociaux-démocrates plutôt que sur les chrétiens-démocrates ou sur les conservateurs. Plus tard, sous l’influence des « nouvelles gauches » et de l’esprit soixante-huitard, le socialisme, comme en France et ailleurs, a préféré parier sur de nouvelles strates sociales, posées  comme défavorisées ou discriminées, et a adopté les modes que feu le philosophe Philippe Muray nommait « festivistes ». Il a délaissé la classe ouvrière et, même, plus largement, l’ensemble des familles actives dans des fonctions sociales concrètes. Avec les engouements LGBT (etc.), les combats concrets pour la classe ouvrière ont été oubliés, provoquant une hémorragie électorale au bénéfice des rigolos qui se disent écologistes et surtout d’un néo-communisme plus virulent, celui du PTB (« Parti du Travail de Belgique »), qui entend, à juste titre, défendre les acquis sociaux des classes travailleuses, acquis qui avaient été exemplaires dans la Belgique d’antan. En Flandre, la classe ouvrière a généralement (mais pas complètement) préféré le nationalisme classé à droite mais aux discours plus populistes.

Depuis une quinzaine d’années, les blocs électoraux sont très différents en Flandre et en Wallonie, compliquant derechef la constitution de gouvernements fédéraux (centraux) équilibrés. Le dosage électoral n’est plus possible dans la mesure où demeure la pratique de dresser un « cordon sanitaire » autour des formations nationalistes flamandes. Ce « cordon sanitaire » s’appliquait d’abord à la formation la plus radicale (VB – Vlaams Belang).Il s’applique aussi depuis les dernières élections fédérales de 2019 à la formation plus modérée que constitue la NVA (Nieuwe Vlaamse Alliantie), alors que ce parti, largement vainqueur des élections, avait été au pouvoir (fédéral) dans la législation précédente (2014-2019). La pratique du double « cordon sanitaire » fait qu’entre 45% et 50% des électeurs flamands n’ont aucune représentation au niveau fédéral. Cette discrimination implicite, durement ressentie comme telle, accentue bien entendu les tendances séparatistes, alors qu’elle avait pour intention première de les combattre ou, du moins, de les contenir ! Voilà, en gros, ce qui explique les velléités séparatistes des droites modérées et musclées en Flandre. Si les démocrates-chrétiens avaient adopté une ligne pareille à celle d’Orban en Hongrie et si les libéraux avaient opté pour un populisme à la façon de Haider en Autriche, jamais le séparatisme n’aurait eu autant le vent en poupe. Il aurait certes gardé toute sa résilience aux niveaux culturel et métapolitique mais n’aurait pas eu une représentation aussi forte dans les assemblées régionales et fédérales.

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Sièges au Parlement Fédéral après les élections de juin 2019.

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Sièges du Parlement Flamand  après les élections de juin 2019.

Aucune instance métapolitique correctrice du discours gaucho-festiviste dominant n’existe dans le paysage politique francophone. Une telle instance pourrait corriger les tendances délétères qu’adopte un personnel politique généralement composé d’incultes et de dévoyés, incapables, par ignorance crasse, de saisir les enjeux à l’œuvre dans le monde et tous occupés à bricoler des combines juteuses, qui tissent la réputation bien établie de la corruption francophone dans le royaume (où la belle ville de Liège a été surnommée « Palerme-sur-Meuse »). L’électorat flamand ne veut plus dépendre de cette ignorance et de cette corruption, ce qui n’exclut pas, bien évidemment, que l’ignorance et la corruption existent aussi dans le paysage politique flamand. Quant à ceux que le cordon sanitaire exclut du pouvoir, ils n’ont pu bien évidemment étaler leurs travers comme ceux qui sont ancrés dans les arcanes du pouvoir depuis de longues décennies. Ma vision pessimiste est corroborée par les faits : l’effondrement de la culture classique, la prolifération des savoirs bidon due à cet effondrement empêcheront tout nouvel envol à court et moyen terme, indépendamment des étiquettes dont s’affublent les militants qui se présentent aux suffrages des électeurs. Un exemple patent et récent : après de très longs mois de négociations, un gouvernement fédéral a pu se former vaille que vaille en 2020. Les parlementaires fédéraux ont dû prêter serment dans deux langues de leur choix, en français, en néerlandais ou en allemand. Ils devaient prononcer cette phrase simple : « Je jure d’observer la constitution », « Ik zweer de grondwet na te leven », « Ich schwöre die Verfassung zu befolgen ». Dans ce ramassis de tristes sires et de tristes bonnes femmes, presqu’aucun n’a été capable de dire correctement ces phrases simples (sujet, verbe, complément !), ni dans sa langue maternelle, ni dans l’autre langue choisie. Le spectacle à la télévision et sur « youtube » était hallucinant autant qu’affligeant. Cela en dit long pour l’avenir! 

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La Belgique fait face au problème de l’islamisation et de l’immigration de masse, ce qui conduit à l’installation de sociétés parallèles, proclamant la « sharia », à un taux de criminalité élevé et même au terrorisme. Quelle est la situation actuelle en ce qui concerne l’immigration de masse et quelles sont vos vues sur la question ?

La Belgique fait face à ces problèmes comme tous les autres pays de l’Europe occidentale. L’islamisation du paysage quotidien se perçoit surtout à Bruxelles, dans certains quartiers alors que d’autres sont exempts de toute trace d’islamisation. Pour moi, personnellement, et pour mon épouse, l’indice le plus patent d’une islamisation rampante est la disparition, dans les magasins, de certains produits alimentaires traditionnels, notamment le pain au sucre (le « craquelin ») et le pain aux raisins (le « cramique ») qui a priori ne sont pourtant pas haram. Pour être sûr de trouver tous les ingrédients de notre alimentation traditionnelle, il faut faire ses emplettes en dehors de la région de Bruxelles-Capitale, en territoire flamand ou wallon. Sinon, on est condamné à bouffer les mêmes insipidités que nos nouveaux concitoyens venus de partout et de nulle part, qui, eux, se délectent aussi désormais de malbouffe très grasse arrosée de cet infâme liquide brunâtre que l’on appelle le « Coca-Cola » : la facture « santé » sera très lourde, déjà à court terme ! Pour les citoyens qui n’ont pas de voiture, la frustration est énorme et le ressentiment grossit jour après jour.

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Le problème de l’immigration, et des diasporas qui en résultent, est surtout la constitution d’économies parallèles et de criminalités diasporiques, vivant de trafics de toutes sortes, dont surtout le trafic de drogues. Les instances officielles de l’UE et aussi de l’ONU ont créé des bureaux chargés de lutter contre ces phénomènes déplaisants ; ces bureaux ont produit une littérature intéressante qui dresse correctement le bilan de la situation. Mais comme pour l’Agence Frontex, ces constats ne sont nullement suivis d’effets ! Des mots, des débats, des bavardages, mais pas de décision, pas d’action. La grande presse, dont le principal journal du royaume, Het Laatste Nieuws, avait cartographié avec précision les divers réseaux mafieux à l’œuvre en Belgique, suite à l’arrestation d’un personnage politique de la ville de Malines qui appartenait à la mafia araméenne (classée comme « turque »). Sa neutralisation avait été suivie du démantèlement d’un réseau couvrant notamment l’exploitation des simples cafés de la capitale (par blanchiment d’argent), le trafic de véhicules d’occasion et l’alliance avec les narcotrafiquants colombiens grâce à un infiltré dans les docks du port d’Anvers. L’affaire avait démontré à l’envi que l’on avait chaque fois affaire, pour chaque réseau en particulier (qu’il soit araméen, turc, marocain, albanais, nigérian ou italien) à de la polycriminalité. Rien n’est toutefois entrepris pour assainir le pays. Et rien ne le sera vu les jojos qui siègent en nos assemblées et qui sont même incapables de prononcer les petites phrases simples de leur serment !

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Les six djihadistes belges qui ont perdu leur nationalité récemment. Les autres touchaient tranquillement leurs allocations diverses pendant qu'ils étaient en Syrie: preuve qu'ils ont agi en service commandé? Pour le compte de l'OTAN?

Quant au terrorisme, il s’agit surtout d’une famille française, celle du fameux Abdeslam, co-auteur des attentats de Paris. Finalement, ce terrorisme islamique n’est qu’un tout petit fragment de la partie émergée de l’iceberg que constitue la polycriminalité en place. Ce fameux terrorisme djihadiste ne m’alarme pas outre-mesure : il est clair, vu la clémence évidente de nos tribunaux qui font tout pour nous ramener les rescapés de l’Etat islamique en Syrie, leurs compagnes et leur progéniture, que ces oiseaux de vilain augure sont allés faire leur sale guerre, là-bas au Levant, parce que les services spéciaux de l’OTAN, de l’armée américaine, des réseaux pétromonarchiques saoudiens ou qataris les ont recrutés pour abattre le régime baathiste syrien qui ne dansait pas au son de leurs flûtes ou n’imposait pas à sa population un régime de type salafiste, wahhabite ou frériste.

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Quelle est votre opinion sur les récentes élections américaines ? Quelles conséquences les retombées de cette élection auront-elles sur l’Europe et le reste du monde ? Doit-on s’attendre à de nouvelles guerres au Moyen-Orient si Biden finit par emporter le morceau ? Enfin, que pensez-vous des accusations que Trump a émises en disant que les démocrates « ont volé les élections » ?

La principale chose à retenir de cette élection, c’est que les médias, tenus par la prêtraille fanatisée du système, veulent que leurs desiderata deviennent réalité envers et contre l’avis du gros de la population. Si celle-ci rejette les dogmes et les idées farfelues de la prêtraille médiatique, elle est considérée comme une masse méprisable de « déplorables », dont les opinions et les aspirations ne doivent pas être prises en compte. Nous avons là un phénomène relativement nouveau depuis 1945 : la population avait été flattée et gâtée au nom de la « démocratie » ; ce n’est plus le cas, ce qui permet d’évoquer un déni de démocratie dans l’américanosphère. Trump dit évidemment que l’élection lui a été volée : cette accusation est plausible vu que les manipulations sont bien plus aisées à parfaire avec le vote électronique. Ceci dit, que ce soit Trump qui reste à la Maison Blanche ou Biden qui y accède, l’agenda géopolitique et globalitaire est déterminé à l’avance par des instances du Deep State ou des responsables militaires, qui gouvernent au-delà du jeu démocratique. Avec Trump, et en dépit de la crise du Covid-19, les fronts ouverts par les Bush ou par Obama sont demeurés en place même s’ils ont été un petit peu moins « chauds » qu’auparavant. D’autres se sont ouverts, au Caucase notamment. Les tensions avec la Chine se sont accrues dans le Pacifique. L’alliance de facto entre le Maroc et Israël permet aux Etats-Unis de contrôler toute la côte atlantique de l’Afrique, depuis Tanger jusqu’aux confins de la Mauritanie et du Sénégal. En décembre 2020, les forces conjuguées de la marine américaine ont publié le mémorandum « Advantage at Sea » qui répète les grandes lignes de la politique maritime et navale des Etats-Unis depuis les thèses de l’Amiral Mahan et qui ajoute, subrepticement, un nouveau front dans l’Arctique, où la Russie dispose d’atouts solides pour appuyer l’idée russe et chinoise d’une « route de la soie arctique ». Cet espace, jadis an-écouménique et dépourvu de voies de communication maritimes, devient hautement stratégique. Et deviendra dès lors, sur le flanc septentrional/boréal de l’Europe, une zone de turbulences géopolitiques. L’ère Trump n’a donc pas réellement apaisé les confrontations en cours dans le monde d’aujourd’hui.

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Merci de nous avoir accordé cet entretien. Pour le terminer, dites-nous ce que vous croyez qu’il adviendra de l’Europe dans un futur proche ?

Il y a actuellement deux Europe : celle qui est dominée par les idéologies libérales (au sens anglo-saxon du terme) et celle, hélas minoritaire, qui expriment des tendances contraires, fustigées en Europe occidentale comme « illibérales ». Les nuisances idéologiques libérales sont mortifères et plongeront les pays qui s’en réclament pour façonner leur mode de gouvernance dans un chaos indescriptibles dont nous vivons d’ores et déjà les prémisses. Les autres ont une chance de se maintenir dans le chaos et de participer à des synergies géopolitiques positives. Inutile de vous préciser que je vis dans la partie de l’Europe qui connaîtra un effondrement dramatique et vivra un abominable chaos.

Pour se procurer les livres mentionnés dans cet entretien:

La révolution conservatrice allemande, tome 1:

http://www.ladiffusiondulore.fr/documents-essais/552-la-revolution-conservatrice-allemande-biographies-de-ses-principaux-acteurs-et-textes-choisis.html?search_query=steuckers&results=10

La révolution conservatrice allemande, tome 2:

http://www.ladiffusiondulore.fr/home/690-la-revolution-conservatrice-allemande-tome-deuxieme-sa-philosophie-sa-geopolitique-et-autres-fragments.html?search_query=steuckers&results=10

Cinq livres de Robert Steuckers pour 99,00 euros:

http://www.ladiffusiondulore.fr/home/857-pack-steuckers-5-livres-a-prix-reduit-.html?search_query=steuckers&results=10

La "Trilogie" EUROPA:

https://editionsbios.fr/editions

The European Enterprise: 

https://manticore.press/product/the-european-enterprise-geopolitical-essays/

Sinergias Identitarias:

https://editorialeas.com/producto/sinergias-identitarias-2/

 

dimanche, 11 octobre 2020

Hendrik de Man, The Right, & Ethical Socialism

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Hendrik de Man, The Right, & Ethical Socialism

“Socialism” is intrinsic to the “Right.” When journalists and academics refer in one breath to “liberalism, neoliberalism, and the Right-wing,” that attests to their ignorance, not to the accuracy of any such bastardization. Even at its most basic level of understanding, it seems to have been forgotten that in Britain there were Tories and Whigs in opposition. Now, Toryism has become so detached from its origins that there is indeed no distinction between British Conservativism, in the parliamentary sense at least, and Whig-liberalism. The same can be said for much of what is called often called “Right” across the world, but especially in the Anglophone states whose philosophy has been dominated by utilitarianism.

henrikdeman-233x300.jpgThe “Right” has a rich but obscured legacy that revolts against capitalism. The “Right” is restorative, and arises when a culture-organism begins to decay. The works of Thomas Carlyle, an essay, Chartism (1840), and the book Past & Present (1843) could be the ideological basis of a true British Right, in which Carlyle condemns free trade from a conservative position. In these, he considered the supposed panacea of universal franchise and decried the debased state of the Aristocracy, which should be replaced with an “aristocracy of merit.” Carlyle stated that free trade would be a harbinger of “social revolution.” (When Karl Marx later said the same, he meant it, contrary to Carlyle, in a positive sense.) Carlyle condemned “Mammon,” materialism, and the “money nexus” of the bourgeoisie, and stated that the problems of the British were fundamentally spiritual and moral, from whence a repudiation of the money-ethos that dominated Britain should proceed. Carlyle did not write in the same stream as the British utilitarian philosophers from whom liberalism arose. He wrote in a more Occidental sense in repudiating the trade and commercial mentality that had long pervaded British thinking, politics, and foreign policy; bourgeois and Whig, as Spengler and Werner Sombart pointed out. Yockey classified Carlyle among the few British philosophers writing from an “organic” perspective of history.

Marx, so far from repudiating that mentality, was intellectually in thrall to it, as Sombart and Spengler explained, and this identity of Marxism with British utilitarian and materialist philosophy resulted in a crisis of the Left during the close of the 19th century when socialist thinkers realized the inadequacy of Marx in truly rejecting capitalism and the bourgeois spirit.

Carlyle set the tone of his condemnation of capitalist Britain with the opening paragraph of Past & Present in a far more eloquent sense than that of Marx; although the Whigs masquerading as “conservatives” then and now regard such words as rabid socialism:

The condition of England, on which many pamphlets are now in the course of publication, and many thoughts unpublished are going on in every reflective head, is justly regarded as one of the most ominous, and withal one of the strangest, ever seen in this world. England is full of wealth, of multifarious produce, supply for human want in every kind; yet England is dying of inanition. With unabated bounty the land of England blooms and grows; waving with yellow harvests; thick-studded with workshops, industrial implements, with fifteen millions of workers, understood to be the strongest, the cunningest and the willingest our Earth ever had; these men are here; the work they have done, the fruit they have realized is here, abundant, exuberant on every hand of us: and behold, some baleful fiat as of Enchantment has gone forth, saying, “Touch it not, ye workers, ye master-workers, ye master-idlers; none of you can touch it, no man of you shall be the better for it; this is enchanted fruit!” On the poor workers such fiat falls first, in its rudest shape; but on the rich masterworkers too it falls; neither can the rich master-idlers, nor any richest or highest man escape, but all are like to be brought low with it, and made “poor” enough, in the money-sense or a far fataller one. [1] [1]

P1030768.jpgPreviously, in his essay Chartism, Carlyle had appealed not to class war but to class unity among fellow Britons, high-born and low, pointing out that the ruling classes did not even realize there was a problem to be solved, much to their own danger:

How an Aristocracy, in these present times and circumstances, could, if never so well disposed, set about governing the Under Class? What they should do; endeavor or attempt to do? That is even the question of questions: — the question which they have to solve; which it is our utmost function at present to tell them, lies there for solving, and must and will be solved.

Insoluble we cannot fancy it. One select class Society has furnished with wealth, intelligence, leisure, means outward and inward for governing; another huge class, furnished by Society with none of those things, declares that it must be governed: Negative stands fronting Positive; if Negative and Positive cannot unite, — it will be worse for both! Let the faculty and earnest constant effort of England combine round this matter; let it once be recognized as a vital matter. Innumerable things our Upper Classes and Lawgivers might ‘do;’ but the preliminary of all things, we must repeat, is to know that a thing must need be done.

Alas, in regard to so very many things. Laissez-faire ought partly to endeavor to cease! But in regard to poor Sanspotatoe [Irish] peasants, Trades-Union craftsmen. Chartist cotton-spinners, the time has come when it must either cease or a worse thing straightway begin, — a thing of tinder-boxes, vitriol-bottles, second-hand pistols, a visibly insupportable thing in the eyes of all. [2] [2]

In the early 20th century, Anthony Ludovici and others attempted to return the Tory Party to its origins, and his works, like those of Carlyle, remain as timeless foundations on which the Anglophone Right can return to its actual premises. The U.S. Right has its foundation in Federalism, the Hamiltonian concept of North American as a people-nation-state — as Yockey recognized — but often insists on looking to its opposite, the Jeffersonian-style Jacobinism that was enthralled by the French Revolution and would have thwarted the American states from ever becoming a nation.

Occidental Synthesis

The German economist Friedrich List, in contrast to the British philosophers, was condemning free trade from a conservative position at around the same time as Carlyle. He espoused autarchy, which he called the “national system.” This was anathema to Marx, who saw such ideologies as antithetical to the dialectical march toward communism.

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List critiqued free trade precisely on the grounds that Marx praised it; for its materialism, class divisiveness, and national dissolution. List wrote in his magnum opus:

The system of the school suffers, as we have already shown in the preceding chapters, from three main defects: firstly, from boundless cosmopolitanism, which neither recognizes the principle of nationality, nor takes into consideration the satisfaction of its interests; secondly, from a dead materialism, which everywhere regards chiefly the mere exchangeable value of things without taking into consideration the mental and political, the present and the future interests, and the productive powers of the nation; thirdly, from a disorganizing particularism and individualism, which, ignoring the nature and character of social labor and the operation of the union of powers in their higher consequences, considers private industry only as it would develop itself under a state of free interchange with society (i.e. with the whole human race) were that race not divided into separate national societies.

Between each individual and entire humanity, however, stands THE NATION, with its special language and literature, with its peculiar origin and history, with its special manners and customs, laws and institutions, with the claims of all these for existence, independence, perfection, and continuance for the future, and with its separate territory; a society which, united by a thousand ties of mind and of interests, combines itself into one independent whole, which recognizes the law of right for and within itself, and in its united character is still opposed to other societies of a similar kind in their national liberty, and consequently can only under the existing conditions of the world maintain self-existence and independence by its own power and resources. As the individual chiefly obtains by means of the nation and in the national mental culture, power of production, security, and prosperity, so is the civilization of the human race only conceivable and possible by means of the civilization and development of the individual nations. [3] [4]

This is the actual legacy of the Right. Not Locke, Mill, Spencer, Hobbes, van Mises, Hayek, or Rand.

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But such was the paradigm shift in politics during the Cold War, with disaffected Marxists entering en masse the ranks of the Cold Warriors against the USSR, that by the time the eminent American scholar Christopher Lasch had rejected neo-Marxism he could not find “genuine conservativism” in the USA. He could only find advocates of free trade, which he considered as destructive to tradition and the organic community as the Left. [4] [5]

What Lasch perceived in the early 1970s Oswald Spengler had seen in the aftermath of World War I: that the “scientific socialism” of Marx et al did not transcend capitalism, but reflected it, because both arose within the same Zeitgeist of British materialism and industrialism. [5] [6] As Lasch saw decades later, capitalism shares with the Left a common outlook against the traditional social order, which is the organic community. Carlyle had perceived this in 1840. After World War I, Spengler spoke of “Prussian Socialism,” and Otto Strasser of “German Socialism,” based on pre-capitalist German — and wider European — ethos. To Strasser, “socialism” is synonymous with “conservativism” because it harkens back to the pre-capitalist organic community. Marxism is within the same historical stream as liberalism, Marxism being “a doctrine whose liberal factors necessarily unfit it for the upbuilding of the socialist (i.e. conservative) future, and one whose program cannot but involve it in the decline of liberalism.” As Spengler had stated, Strasser reiterated that “this was simply due to the fact that the longing for socialism began to find expression at a time when the ego idea, liberalism, that is to say, was in the ascendant.” [6] [7]

The fundamental premise of the Right is the dichotomy described by German sociology, of Gemeinschaft versus Gesellschaft; the traditional organic community, or the “modern” doctrine of society as a contract between individuals for their material benefit. Sombart came to regard Marxism as rooted in the latter along with liberalism, as its only goal is to unite individuals for selfish material gain in the name of the proletariat, as liberalism does in the name of the bourgeoisie, which he regarded as the abysmal gulf between British bourgeois philosophy (including Marx) and that of the German (including Carlyle), which he delineated as a difference between the heroic spirit and the commercial or trader’s spirit. [7] [8]

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May 1940, de Man with Queen Elizabeth.

Corradini, head of the Italian Nationalist Association, stated at its first congress in 1910, nine years prior to the founding of Mussolini’s fascio, that Italy is a “proletarian nation,” and that “socialism” so far from serving the interests of the “proletarian nations” creates with its internationalism and class struggle a civil war within the social organism. [8] [9] Nine years later, at the Nationalist convention in Rome, Corradini described syndicalism as the means by which the organic social community (Gemeinschaft) can be established; creating “real collaboration, organic, unifying, and complete.” [9] [10]

When a synthesis began to arise from the late 19th century between the elements of the Right and Left, this was a process of the Left turning Right, while elements of the Right were returning to their actual — pre-capitalist — origins. The synthesis became the major “third force” in the world competing against communism and capitalism, and drawing many of the Left’s best thinkers who had already been realizing the limitations of “scientific socialism.”

Even if we consider the terms Left and Right at their most basic level — the seating arrangements of the French Assembly — it might seem odd today, when ideological terms have become obfuscated and origins forgotten, that those on the Right represented the maintenance of tradition, representing the monarchical and Catholic regime that retained a few vestiges of the traditional epoch; those on the Left stood for a bourgeois new order of laissez-faire trade. This bourgeois revolution is a primary part of the Left’s legacy, being considered as a necessary element of the dialectical process of what Marx called the “wheel of history.” [10] [11] It should be kept in mind that Marx, according to this dialectical outlook, stated that socialism could not proceed until capitalism and the bourgeoisie had replaced the vestiges of the traditional order, causing the ruination of peasants, artisans, burghers, and aristocrats. These ideas are expressed most clearly in The Communist Manifesto.

Advocacy of a return to the pre-capitalist order was vehemently denounced by Marx as “reactionism.” [11] [12] To the Rightist this is not regressive, but restorative, as the Right states that there are fundamentals that are timeless, and one might say emanating from an axis; while the “progress” of liberalism and “scientific socialism” is destructive fallacy. [12] [13] Hence, the Right is literally a conservative revolution insofar as “revolution” implies a return to origins. It also means that the liberal-capitalist order requires a complete overturn to restore those origins.

Role of the Bourgeoisie

The French Revolution of 1789 was pivotal and its impact has only increased over the world. From the French Revolution arose both liberal capitalism and the Left. The Revolution abolished the vestiges of the Medieval guilds in France under the Chapelier Law of 1791. These forefathers of “scientific socialism” enacted the free market, standards of production markedly declined, and there was widespread dissatisfaction with such “liberty.” Such was the concern at this destruction of the guilds that the National Assembly in 1795 reiterated they would not be revived, and the prohibition became Article 355 of the Constitution, which meant that a constitutional amendment would be required to reverse the law. In Revolutionary France, the guild era was recalled as one of happiness and plenty. No longer with stability, fraternity (despite the ironic slogan of the Revolution: “Liberty, Equality, Fraternity”), and a higher purpose that the guilds had offered, worker unrest was widespread. The supposed peoples’ representatives expressed concern at mounting worker “insubordination.” There was prolonged debate on the reconstitution of the guilds under Napoleon Bonaparte, but ultimately the laissez-faire radicals won. [13] [14] What replaced the organic community, however debased it had become by that time, was “civil society,” and the “social contract” between individuals, or what the Declaration on the Rights of Man & of the Citizen referred to as the “general will,” enforceable in the name of freedom by death. Joseph de Maistre criticized the Enlightenment notion that a nation could be built on such legalistic artifices that fail to reflect the spirit of a nationality. Of written constitutions as nation-building instruments, he wrote:

There never has existed a free nation which had not, in its natural constitution, germs of liberty as old as itself; and no nation has ever successfully attempted to develop, by its fundamental written laws, other rights than those which existed in its natural constitution. . . . No assembly of men can give existence to a nation. An attempt of this kind ought even to be ranked among the most memorable acts of folly exceeding in folly what all the Bedlams of the world might produce most absurd and extravagant. [14] [15]

Again, with de Maistre, the contrast is between the society that is organic and that which is contractual. Today, “civil society” is regarded as the desirable norm for the entire world.

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Crisis of the Left

There were Leftists who regarded the Marxist and other such forms of socialism as inadequate and historical analyses based on nothing more than economic relations as insufficient. Leftist thinkers, Sombart being notable among these, began to see “scientific socialism” — as Marx called it — as an appropriation of the bourgeois capitalist spirit for the proletariat rather than as a transcendence. World War I was the catalyst for the eruption of a discontent that had been growing within the Left. The war had proved that the patria readily transcended class conflict; that as Corradini had stated, the national struggle supplants sectionalism whether of the liberal-bourgeois or “socialist” varieties.

Professor Alfredo Rocco, Italian Minister of Justice (1925-1932), the primary architect of the future corporatist state, began politically as a socialist before joining Corradini’s Nationalist Association. He saw the strengthening of the proletariat as necessary for social cohesion. In his 1920 address to the University of Padua, inaugurating the academic year, he referred to history as one of organic social cycles of birth and decay. Within this, he develops the concept of “unceasing struggle” within every “social body” “between the principle of organization represented by the state and the principle of disintegration, represented by individuals and groups, which tend to disrupt it and lead to its decline and fall.” While the concept is Spenglerian, Rocco was drawing on the Italian philosopher Giovanni Battista Vico, who preempted Spengler by about 180 years — and here we have in Vico another forgotten philosopher of the Right.

211400.jpgRocco traced the disintegrative impact of liberalism and the role of the bourgeoisie in undermining the social organism — “an amorphous and disorganized mass” in an “individualistic reaction.” The doctrine was provided by the Salon intelligentsia espousing an imaginary “natural law” and by the Encyclopaedists, “and it came to a head politically in the explosion of the French Revolution.” Faced with the reality of governing and of foreign wars, the French revolutionary regime soon had to reimpose the authority of the state, culminating in the genius of Napoleon. Following this epoch there arose again bourgeois liberalism with its atomistic “liberty.” Rocco cogently defines the liberal regime in describing the situation that arose from the tumults of the 19th century:

[ind]From that time onwards, the claims of individualism knew no bounds. The masses of individuals wanted to govern the state and govern it in accordance with their own individual interests. The state, a living organism with a continuous existence over the centuries that extends beyond successive generations and as such the guardian of the imminent historical interests of the species, was turned into a monopoly to serve the individual interests of each separate generation. [15] [16]

To restore the social organism against the atomization of liberalism, Rocco urged the integration of the syndicates, or corporations as they were known in Italy since Classical Rome, as integral organs of the social body. Rocco pointed out that liberalism in the name of individual liberty had “destroyed those ancient and venerable organizations, the guilds and corporations of arts and crafts,” which were decreed as abolished on the night of August 4th, 1789 by the French National Assembly, and in the subsequent law of August 14th — 17th 1791. In Italy, the ban was soon lifted, but the corporations did not regain their standing. “Yet professional organization or syndicalism, as it is normally known, or corporatism, to use the more traditional Italian word, is a natural and irrepressible phenomenon to be found in every age. It existed in Greece as well as in Rome, and in the Middle Ages as in modern times.” The disjunction and indeed animosity that had emerged between artisan and owner under modern capitalism could be reconciled within corporatism.

Many Leftists, just as much within the victor states as the defeated, saw the war as a “defeat of socialism.” Lanzillo, a syndicalist on the staff of Mussolini’s socialist newspaper Popolo d’Italia from 1914, wrote in his book The Defeat of Socialism that contrary to socialist expectations, the proletariat of every nation eagerly fought for their national, not international, class interests. “Socialism based its arguments on the dialectical opposition of interests within individual countries, and war showed the possibility of reconciling those interests in the will to defend by force of arms a common heritage and common ideals.” [16] [17] This echoes Sombart’s 1915 work; although Sombart insisted that the “spirit” was uniquely “German,” after the war, it became universal among those who yearned for something more than a return to the decaying pre-war order.

Hendrik de Man and Socialism 

Hendrik de Man, leader of the Belgian Workers Party, went so far as to initially cooperate with the German occupation during World War II, seeing it as a blow at the bourgeois spirit of the prior century. Despite this, de Man is still regarded as an important theorist of socialism. His “neosocialism,” also known as “planism,” [17] [19] is a significant ideological development among the Francophone Left. De Man was among the leading Socialists of Europe, having worked with Rosa Luxemburg [20], Karl Liebnecht, Karl Kautsky, and Leon Trotsky [21]. After service in World War I he visited the Soviet Union, lived in Washington, and worked as a professor of economics at the University of Frankfurt.

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Marxism, de Man stated, reduces man “to the level of a mere object among the objects of his environment, and these external historical ‘relationships’ are held to determine his volitions and to decide his objectives.” Like many socialists who rejected Marx, World War I was a seminal event for de Man. He wrote in The Psychology of Marxian Socialism:

The war, in which I participated as a Belgian volunteer, shook my Marxist faith to its foundations. It is war-time experience which entitles me to say that my book has been written with blood, though I cannot myself be certain that I have been able to transform that blood into spirit. The conflict of motives whose upshot was that I, an ardent antimilitarist and internationalist, felt it my duty to take up arms against Germany; my disillusionment at the collapse of the International; the daily demonstration of the instinctive nature of mass impulses thanks to which even socialist members of the working class had their minds poisoned with the virus of nationalist hatred; my growing estrangement from most of my sometime Marxist associates, who went over to the bolshevik camp — thanks to all these influences conjoined, I was racked with doubts and scruples whose echoes will be heard in this book. [18] [22]

After the First World War, he withdrew from politics for several years to reflect on his thoughts and life. He conceded that what was required was not merely to “revise” or “adapt” Marxism, but to liquidate it. [19] [23]

In France, Socialist Party leader Marcel Déat, whose “neosocialism” was significantly influenced by de Man, anarcho-syndicalist Georges Valois, and Communist Party eminence Jacques Doriot came to such conclusions. The “British Fascism” of Sir Oswald Mosley had its programmatic origins in his days as a Labour Minister, and the fundamentals remained. Of this post-war situation for socialists, de Man stated:

It is not surprising that socialism is in the throes of a spiritual crisis. The world war has led to so many social and political transformations that all parties and all ideological movements have had to undergo modification in one direction or another, in order to adapt themselves to the new situation. Such changes cannot be effected without internal frictions; they are always attended by growing pains; they denote a doctrinal crisis. [20] [24]

cms_visual_1073992.jpg_1535106009000_293x450.jpgMarxism remained “rooted in the philosophical theories that were dominant during the middle decades of the nineteenth century, theories which may provisionally be summarised in the catchwords determinism, causal mechanism, historicism, rationalism, and economic hedonism.” [21] [25] So far from the bourgeoisie being increasingly proletarianized due to the crisis of capitalism, as Marx had predicted in The Communist Manifesto, de Man saw that “the working class is tending to accept bourgeois standards and to adopt a bourgeois culture.” [22] [26] “In the last analysis, the reason why the bourgeoisie is the upper class to-day, is that everyone would like to be a bourgeois.” [23] [27] Today more than ever it is apparent that the historical dialectic has not unfolded in the manner Marx predicted. The “cult of the masses” was an invention of bourgeois intellectuals including Marx, who were remote from the masses; [24] [28] a “relapse into the naivety of the outworn primitive democratic adoration of the crowd.” [25] [29]

In comparing the pre-capitalist guild era of the Medieval epoch with the capitalist era of production, de Man pointed out that

The essence of the charge brought by Marxism against capitalism is that the capitalist method of production has divorced the producers from the means of production. In actual fact, capitalism has done something much more serious; it has divorced the producer from production, the worker from the work. In this way, it has engendered a distaste for work which is often increased rather than diminished by an improvement in the material circumstances of life, and cannot be cured by any mere change in property relationships.

Especially conspicuous is the contrast between the industrial worker of to-day and the Medieval artisan as a guildsman. The handicraftsman of the Middle Ages might or might not be the owner of his house, his workshop, or his booth; his position might be a good one, financially speaking, or the reverse. But at least he was master of his own work. . .

The craftsman of the Middle Ages took delight in his work; he lived in his work; for him, his work was a means of self-expression. [26] [30]

De Man dealt directly with the workers, and often through his own lack of understanding was taught many lessons on the workers’ ethos that would be regarded as “reactionism” (as Marx puts it in The Communist Manifesto) by those on the Left too imbued with the bourgeois outlook to understand. At one such point, de Man alludes to the personal attachment tradesmen have to their own old toolboxes, an ethos that goes beyond the comprehension of Marxist doctrine (and an attitude that one can still observe among tradesmen and apprentices). [27] [31] He stated that Marxist theories about working-class solidarity lacked an ethos, and were mechanistic. They sought to build something merely on the basis of modes of production. This is the “economic man,” the “hedonist” and “egoist.” [28] [32] It is the same spirit of the merchant referred to by Sombart. The desire for solidarity was born not from this bourgeois outlook, but from the instinct that had existed during the Medieval era; of Christian ethos; that of “craft fraternity” defended by the guilds. [29] [33] Socialism, said de Man, should aim to revive a social ethos that was instinctive [organic], not mechanistic. [30] [34] He alluded to two postulants that serve as an ethical basis for this “new socialism”: “1. Vital values are higher than material values; and of vital values, spiritual values are the highest. 2. The motives of community sentiment are higher than the motives of personal power and personal acquisition.” [31] [35] Again, Sombart had said the same in his wartime appeal.

51zxhJ8I5JL._SX324_BO1,204,203,200_.jpgAn additional factor in the fallacy of Marxism was that especially since the First World War the proletariat had become more national and less international. [32] [36] Machinery and modes of production might indeed be international and what is today called globalization shows that capital is an internationalizing tendency, as Marx approvingly predicted. But people are more than their modes of production. [33] [37]

De Man saw the socialist movement as intrinsically national and the proletariat as more than a globule of putty to be molded for the purposes of production, whether by liberalism or Marxism:

The French revolution, which was the supreme struggle on the continent of Europe for the realization of the political demands of the bourgeoisie, was (so thought the revolutionists) to culminate in a universal rising of the peoples against the despots, and to make the Declaration of the Rights of Man the constitution of the whole human race. The Goddess of Reason, in whose honor the revolution set up its altars, was to become the deity of all mankind. [34] [38]

National sentiment is an integral part of the emotional content of the socialism of each country. It grows in strength in proportion as the lot of the working masses of any country is more closely connected with the lot of that country itself; in proportion too as the masses have won for themselves a larger place in the community of national civilization. At bottom, this partial absorption of socialist sentiment by national sentiment need not surprise us. We have merely to recognize that it is the return of a sentiment to its source. [Emphasis added]. Socialism itself is the product of the interaction between a given moral sentiment and a given social environment. It is not only the social environment which has a national character. The other factor, likewise, the moral sentiment, has primarily, in different peoples, a peculiar tinge, derived from a peculiar national past. [35] [39]

Hence, de Man recognized that socialism and tradition (that is “the Right”) are, so far from being antithetical, intrinsic each to the other.

Hendrik de Man was condemned as a “collaborator” after World War II and settled in exile in Switzerland. Like others condemned “traitors” and “collaborators,” he had remained in his country during the occupation to try and make something positive from the situation. When the German military occupied Belgium in June 1940, de Man issued a manifesto to the Belgian Workers Party stating that “For the working classes and for socialism, this collapse of a decrepit world, far from being a disaster, is a deliverance.” He had been Minister of Public Works (1934-1935) and of Finance (1936-1938). The failure to see his “Plan” implemented is reminiscent of a similar situation faced by Sir Oswald Mosley with his “Mosley Memorandum” to the Labour Government on the unemployment problem. Like Mosley, he saw that plutocracy could only be defeated by strong government action.

o4yw5i7LVt2nWwPOCyhdQLECBbk.jpgWhile other Belgian politicians fled the country and formed a government-in-exile, de Man served as de facto Prime Minister for over a year. In 1941, he co-founded with other trade union leaders the Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels, which was intended as the basis of a corporatist state above party politics. However, German occupation prevented this from becoming a truly effective organization.

De Man soon fell out with the occupation authorities. Although remaining the primary adviser to King Leopold III and the Queen Mother, he left Belgium in 1941 after talks with the Reich failed to reach a satisfactory conclusion for Belgian sovereignty and he was banned by the occupation authorities from public speaking. He first lived in France, then Switzerland until his death in 1953.

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Notes

[1] [43] Thomas Carlyle, Past & Present (1843), Book I: “Proem,” Chapter I: “Midas.”

[2] [44] Thomas Carlyle, Chartism (1840), Chapter VII: “Not Laissez-Faire.”

[3] [45] Friedrich List, The National System of Political Economy (1841), Chapter XV: “Nationality and the Economy of the Nation.”

[4] [46] Christopher Lasch, “What’s Wrong with the Right? [47]Tikkun, No. 1, 1987.

[5] [48] Spengler in The Decline of the West, The Hour of Decision, and Prussianism and Socialism. See for the latter Spengler: Prussianism Socialism and Other Essays (London: Black House Publishing, 2018).

[6] [49] Otto Strasser, Germany Tomorrow (London: Jonathan Cape, 1940), Part III: “The Structure of German Socialism” (4) Marxism, 126.

[7] [50] Werner Sombart, Händler und Helden (Merchants and Heroes, 1915). It seems likely that Spengler was influenced by this book, and Yockey, whether directly or via Spengler. But not all Germans have the “heroic spirit,” and not all British that of the “trader.” In this dichotomy, Marx reflected the “British,” Carlyle the “German”; insofar as each state represented a rival Zeitgeist which conflicted in two world wars. It seems reasonable to conclude that the “trader” spirit, in defeating the “heroic,” was taken over from Britain by the USA after World War II.

[8] [51] Enrico Corradini, The Principles of Nationalism, Report to the First Nationalist Congress, Florence, December 3, 1910.

[9] [52] Corradini, Nationalism and the Syndicates, Rome, March 16, 1919.

[10] [53] Marx’s “wheel of history,” so far from being in the traditional sense, where a culture revolves metaphorically on an axis, in the Evolian sense, proceeds in a straight line called “progress,” until falling into the abyss.

[11] [54] Karl Marx, The Communist Manifesto (1848), “Bourgeois and Proletarians.”

[12] [55] Evola referred to the axial basis of civilization in Revolt Against the Modern World; Yeats rendered the idea poetically in “The Second Coming” (1920).

[13] [56] See Michael P. Fitzsimmons, “The Debate on Guilds under Napoleon,” The Proceedings of the Western Society for French History, Vol. 36, 2008.

[14] [57] Joseph de Maistre, Essay on the Generative Principle of Constitutions (1847), Preface.

[15] [58] Alfredo Rocco, The Syndicates & the Crisis within the State, Padua, November 15, 1920.

[ [43]16] [59] Agostino Lanzillo, The Defeat of Socialism (Rome, 1918), Preface.

[17] [60] Named after H. de Man’s “Labor Plan” of 1933 to deal with unemployment.

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[18] [61] Hendrik de Man, The Psychology of Marxian Socialism (New Brunswick, New Jersey: Transaction Books, 1988 (1928)), 12.

[19] [62] Ibid., 14.

[20] [63] Ibid., 19.

[21] [64] Ibid., 23.

[22] [65] Ibid., 25.

[23] [66] Ibid., 103.

[24] [67] Ibid., 35.

[25] [68] Ibid., 36.

[26] [69] Ibid., 65-67.

[27] [70] Ibid., 75.

[28] [71] Ibid., 127.

[29] [72] Ibid.

[30] [73] Ibid., 131.

[31] [74] Ibid., 189.

[32] [75] Ibid., 303.

[33] [76] Ibid., 313.

[34] [77] Ibid., 321. This cult of the Goddess of Reason was intended as a literal civic religion in Jacobin France to replace Catholicism.

[35] [78] Ibid., 325-326.

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[20] Rosa Luxemburg: https://www.encyclopedia.com/people/history/german-history-biographies/rosa-luxemburg

[21] Leon Trotsky: https://www.encyclopedia.com/people/history/russian-soviet-and-cis-history-biographies/leon-trotsky

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[47] What’s Wrong with the Right?: https://web.archive.org/web/20040317084407/http://thor.clark.edu/sengland/previous%20features/a_dialogue_with_christopher_lasc.htm

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vendredi, 02 octobre 2020

Analyst of Totalitarianism—Reading Simon Leys Today

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Analyst of Totalitarianism—Reading Simon Leys Today

by David Adler

Ex: https://www.quillette.com

Simon Leys was perhaps the pre-eminent Western chronicler of Mao’s Cultural Revolution, and it is worth returning to his work for its vivid first-hand accounts of life in Beijing during this period. But Leys was also interested in the process by which, under the right conditions and with the right ideology, a society can collapse into insanity and murder. His description of the Cultural Revolution showed how political hysteria and the legitimization of violence and hatred combined to ravage a nation.

These developments, however, are by no means unique to communism in general or China in particular, and Leys explored similar themes in his retelling of the harrowing true story of a ship wrecked off the coast of Australia in 1629. His book on the topic, The Wreck of the Batavia, is a short masterpiece about how the small society that the ship’s survivors tried to construct in the wake of the disaster was plunged into apocalyptic madness and murder by a psychopathic leader operating according to his own deranged totalitarian ideology. The parallels to Maoism—although Leys was too elegant a writer to belabour them—are obvious.

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Leys’s work was not centered on abstractions or historical lessons. “I am not dealing here with esoteric abstractions, but with a living reality,” he wrote in the introduction to the anthology The Hall of Uselessness. He was preoccupied with the fragility of civilization, the vulnerability of human nature to the temptations of cruelty, and the complacency of advanced societies when viewing the barbarism of others.

The Cultural Revolution

Simon Leys was born Pierre Ryckmans in 1935 into a distinguished Catholic Belgian diplomatic family (his uncle was the governor general of the Congo). His adult life was spent in greater China or studying it from Australia, where he died in 2014. During the 1960s and ’70s, he was partially blacklisted in Paris for the candor of his indictments of Maoism and scathing criticisms of French Maoists like Roland Barthes. Despite these views, Ryckmans was never entirely ostracized in Paris, where the Situationists published him, nor even in China itself. But his opinions did require him to adopt a pseudonym in print so that he could take up a post as a cultural attaché to the Belgian embassy in Beijing in 1972.

Leys’s breakthrough insight into the Cultural Revolution was that it was not a spontaneous development but arose instead from a power struggle between Mao and the Central Committee which included Deng Xiaoping. Years earlier, Mao’s “Great Leap Forward” had led to a devastating famine and an estimated 30–45 million deaths. In response, Deng and the Central Committee forced Mao into a largely ceremonial role, or in the Chinese phrase, “laid him to rest in a sidetrack.” The Cultural Revolution was Mao’s instrument of revenge. Amid the ensuing mayhem and the mass murder of his opponents by the Red Guards, Mao was able to regain power. He then ordered the Army under Lin Biao to rein in the Red Guards who were themselves often massacred. In 1971, Lin Biao also disappeared. According to official sources, he died in a plane crash in Mongolia trying to flee the country. According to Leys and informed sources, Mao ordered Lin’s assassination inside China and the crash story was a fabrication.

838_leys.jpg“Mao managed to light the fuse that would lead to that huge explosion, the Cultural Revolution,” wrote Leys. The sequence of events he described that led to that upheaval makes the process sound methodical, but the rage and violence unleashed defy rational analysis. Roving mobs of Red Guards composed of teens and children murdered with impunity. Ancient statues, temples, and buildings were destroyed. All books, films, and magazines that predated the Cultural Revolution were withdrawn, and universities and schools were closed. Professors were harassed by the “Workers-Soldiers Propaganda Teams of the Thought of Mao Tse-Tung,” and were sent to factories or the countryside. “Proletarians” replaced them when the universities tentatively reopened in 1972. This policy did not prove to be successful. Re-educated professors were allowed to return to teaching, but only under the watchful eye of the worker-soldiers propaganda teams. The content of the classes was now predominantly political theory.

The traditional university entrance exam system was eliminated. Replacing it, Leys observed in Chinese Shadows, was an admissions system that was “tightly political: a candidate who is not the son of a worker or a poor peasant has practically no chance of admission, however brilliant he may be.” There was no risk whatsoever that these poorly prepared students, once admitted, would fail. Leys spoke to a University of Peking professor who told him, “As for failing a student who happened to be an activist or the son of a poor peasant, needless to say, this kind of foolhardiness did not occur to anyone.” (It was only after Mao’s death that university admissions based on competitive exam, rather than the student’s political background and social origin, were restored by Deng.)

Under Maoism, there was no objective truth and hence no objective science. A key Maoist document “The May 16th Circular” reads, “the slogan: ‘everyone is equal before the truth’… is a bourgeois slogan… completely negating the class nature of truth.” The class struggle was of course central to Maoism but Leys termed it “the great hoax.” The violent hunt for the bourgeoisie was all-consuming but there were no authentic bourgeoisie left in China, a society which consisted only of the Party and the People. The bourgeoisie needed to be invented, given they were “practically extinct in China,” wrote Leys. The source of the supply, he noted, was the ruling classes’ “perpetual merciless power struggle: the winning group always gives the unlucky losers a ‘bourgeois-capitalist’ label and then abandons them to popular fury.” History too, was subordinate to political truths and expediency. In The Burning Forest Leys reported a trip to a history museum during which a flummoxed guide was unable to answer visitors’ questions: “The leadership has not yet had the time to decide what history was.”

The Cultural Revolution marked an intensification of ongoing trends in China rather than a clean break. This can be seen most clearly in art and literature. In 1942, Mao delivered his “Talks at the Yenan Forum on Literature and Art,” in which he declared:

There is in fact no such thing as art for art’s sake, art that stands above classes or art that is detached from or independent of politics… Party work in literature and art occupies a definite and assigned position in Party revolutionary work as a whole and is subordinated to the revolutionary tasks set by the Party.

The arts in Mao’s China closely followed these guidelines, with the edict to destroy creative “moods” alien to the proletariat, such as liberalism, individualism, pessimism, or “art for art’s sake.” Bookshops only featured the works of Chairman Mao. His calligraphy and sayings were stenciled everywhere and on everything: trains, factories, buildings, dams, and army barracks.

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It is worth mentioning contemporary American art in this context, mostly to illustrate its limitations and inadequacies. The visual arts in the US, including painting, are increasingly what is known as “post autonomous.” That is, the ideas are all imported from other fields. Art is merely another form of political engagement, with a stress on ecological and identitarian themes. The goal is to bring about radical political confrontations, not aesthetic ones. Works and people—including even museum trustees—incompatible with the constantly shifting post-autonomous agenda are purged.

But if art is now merely a vehicle for ideas from other fields, what exactly is its value? This is a question no one in the arts is asking. But Mao did. In his “talk on Arts and Letters” he stated:

Politics cannot be equated with art, nor can a general world outlook be equated with a method of artistic creation and criticism… we oppose both the tendency to produce works of art with a wrong political viewpoint and the tendency towards the “poster and slogan style” which is correct in political viewpoint but lacking in artistic power. On questions of literature and art we must carry on a struggle on two fronts.

The solution to this self-imposed dilemma was found in Madame Mao’s Revolutionary Model operas. These replaced traditional operas, the most popular art form in China, with new operas with revolutionary themes. Leys wrote:

Theatres, movies, radio, and television, were taken over every day, all day for years, by Madame Mao’s six revolutionary model operas… Nothing else was produced. They are broadcast in restaurants, railway stations, and trains and planes… [giving] this catastrophic grotesque a nightmarish ubiquity, and its multi-repetition every day, all week, months on end, throughout the year, is a saturation that brings on nausea, a screaming boredom.

9782081303287.jpgLeys didn’t turn to an analysis of Marxist theory to unlock the true character of Maoist rule because he didn’t feel this was driving it. His understanding of the dynamics of the regime came from his own observations, as well as the writings of Father Ladany, a Hungarian Jesuit and China watcher based in Hong Kong. Referencing Ladany, Leys wrote in an essay The Hall of Uselessness: “A communist regime is built on a triple foundation: dialectics, the power of the party, and secret police—but as to its ideological equipment, Marxism is merely an optional feature.” According to this analysis, the Communist Party is best understood as essentially a secret society that rules through terror and deception. The Party’s path to power was obscure, arising out of economic and social chaos of the 1940s. It used propaganda and tight organization to turn a miniscule movement into the embodiment of the nation’s will.

But Mao did formulate one theoretical innovation, which Leys took extremely seriously. “Mao explicitly denounced the concept of a universal humanity; whereas the Soviet tyrant merely practiced inhumanity, Mao gave it a theoretical foundation, expounding the notion—without parallel in the other communist countries in the world—that the proletariat alone is fully endowed with human nature.”

The end result was a deeply scarred society: “For those who knew it in the past,” Leys wrote in 1977, “Peking now appears to be a murdered town. The body is still there, the soul has gone.” The revolution disfigured the psyche as well. The constant political campaigns, revenge, and struggle sessions, eroded any notion of shared humanity. As Leys observed, “twenty years of systemic incitation to ‘class hatred’ and denunciation of basic impulses such as a compassion for suffering whoever is the victim… has brought about the general and willed lowering of the traditional virtues that gave harmony to Chinese life.”

Replacing that harmony was a New Man, with new qualities: kindness had vanished. This absence of kindness was true in Soviet Russia as well and is in some ways the defining characteristic of a totalitarian society. In Chinese Shadows Leys quoted Nadezhda Mandelstam on the impact of Stalinism: “Kindness is not, after all, an inborn quality, but it has to be cultivated, and this only happens when it is in demand… Everything we have seen in our times—the dispossession of the kulaks, class warfare, the constant ‘unmasking’ of people—all this has taught us to be anything you like, except kind.”

The Wreck of the Batavia

A 17th century shipwreck and mutiny off the coast of Australia seems at first glance like an incident remote from Mao’s China in almost every way. But it is actually a strangely related tale informed by similar totalitarian dynamics, so it is not surprising that Leys was so fascinated by the grim story of the Batavia. The story of what happened to the ship and its crew had gripped the world at the time it unfolded but was then largely forgotten until interest was rekindled by the re-discovery of the wreck in 1963. Leys’s research relied on documents from the original trial as well as the book Batavia’s Graveyard by Mike Dash.

288237_f.gifThe Batavia was a merchant ship which set sail on its maiden voyage in 1628 from the Netherlands to Java under the command of Dutch East Asia Company official, Francisco Pelsaert. The ship, for its time, was massive—it carried 330 people and was double hulled for the 15,000 mile journey. (It was, in fact, so tall that a replica could only clear Sydney Harbor Bridge at low tide.) Such a long and dangerous voyage in the largely unexplored Southern Ocean attracted only the most desperate crew, who were unable to find employment in the Dutch Navy or the Army. Pelsaert was a merchant, not a sailor. The actual skipper, a drunk named Ariaen Jacobsz, was therefore technically not in charge of the ship and the two men hated one another. Also aboard was Jeronimus Cornelisz, a failed apothecary who now worked for the Dutch East India Company. Cornelisz was a known associate of the painter Torrentius, who had recently been arrested for heresy and satanism, and the authorities were searching for any accomplices.

The atmosphere on the ship was stifling. “These ill-assorted individuals,” Leys wrote, “were bundled up in the heavy black suits that the Dutch sense of proprietary dictated they wear, even in the tropics.” Ten men succumbed to scurvy, the cause of which was not yet known. During the voyage, Cornelisz began sharing some of the ideas he had learned from Torrentius with Jacobsz such as, “Are crimes by God’s elect crimes at all?” and tried to persuade the skipper to join him in a mutiny to seize control of the ship from Pelsaert. The ship was carrying 12 treasure chests to buy spices, and Cornelisz wanted to divert to an English colony.

The mutiny didn’t take place as planned but the situation onboard the ship was tense and restive. Then, on June 3rd, 1629, the ship’s lookout saw what he thought were waves breaking over shallows. He alerted Jacobsz who told him this was impossible because he thought the ship was 600 miles to the north in open seas. But at that time there was no easy way to measure longitude. In reality, the Batavia was wildly off course, close to the West Coast of Australia, and sailing amidst an archipelago of tiny coral islands called the Houtman Abrolhos. It was there that the Batavia struck a reef.

This seemed to spell certain death for the passengers. The sea would break the ship apart and drown them all. Lifeboats had not yet been invented and few people could swim. Authority and discipline dissolved. “Mercenaries and sailors broke into stores of wine and spirits and engaged in a wild orgy,” Leys wrote. “Every taboo was swept away.” However, as the tide receded, it became possible to wade to a nearby island, and most onboard made it to safety. But 70 were too fearful to leave the wreck, and chose to stay on the ship until the very end. When it broke apart nine days later most of them drowned. But even for those who had made it to the island, chances for long-term survival were bleak.

simon-leys-856682-330-540.jpgThe Batavia carried a small open boat, and under cover of darkness, the skipper and captain set off from the island to Java over 1,800 miles away to seek help (or simply to save themselves). The survivors of the Batavia awakened to find that they had been abandoned. Cornelisz was the most senior remaining Dutch East Asia Company employee and was therefore the natural leader of the survivors. Unfortunately, he turned out to be a psychopath. Under Company rule, all decisions had to be made by committee. Cornelisz had made certain that all committee members were his fellow plotters in the planned mutiny. Now, they controlled all of the weapons from the Batavia, as well as a few rafts constructed out of its wreckage. The committee almost immediately ordered the execution of a soldier accused of stealing wine. This was the first of many murders.

Next, Cornelisz culled the population, particularly the strongest men, by shipping them to remote atolls where he believed there was no water and where he left them without a boat. One group, led by a soldier named Wiebbe Hayes sent a smoke signal indicating that they had found water, which is not something Cornelisz anticipated. And there were abundant wallabies to eat! When other survivors took to rafts to join Hayes, Cornelisz’s men dragged the rafts back to shore and beat the men, women, and children to death on the beach.

Cornelisz established a terror state and ordered arbitrary executions. He retitled himself “Captain General” and made everyone swear loyalty to him. He and the committee wore beribboned officers’ uniforms salvaged from the Batavia and drank the wine. Women were held as slaves and raped. A Dutch aristocrat named Lucretia van der Mijlen, who had been travelling as a passenger along with her maid, was spared and told to become Cornelisz’s concubine. She refused until a deputy explained that either she accede to the Captain General’s request or she would be killed or raped or both. Upon receiving this news, she complied.

Although Cornelisz’s personal psychology explains some of this violence, Leys stresses that his actions were informed by the heretical and libertine theories of Torrentius, who claimed the Devil helped him to paint. Torrentius was jailed and tortured in 1628 and his paintings were burnt. Only one of his works has survived—“Still Life with Flagon, Glass, Jug and Bridle” was rediscovered in 1913 being used to cover a barrel of raisins and now hangs in the Rijksmuseum. It remains mysterious—with no visible brushstrokes it resembles a photograph, and Torrentius may have used an unknown chemical process in its creation.

unnamedange.jpgBut Cornelisz held his own heretical beliefs which were independent of the provocations of Torrentius. Cornelisz was an Anabaptist, an often violent millenarian sect that favored adult baptism—a profoundly shocking and subversive heresy at the time—and foresaw an apocalyptic struggle for salvation as described in the Book of Revelation. (In 1553, the Anabaptists established a millenarian proto-communist city state in Münster, characterized by common property, polygamy, and terror. Although Leys didn’t mention it, Maoism and Stalinism were intellectual descendants of Anabaptism. Here the millenarian ideology was delivered in secular form with leaders prepared to precipitate an apocalypse in pursuit of utopia.)

A handful of escapees managed to flee Cornelisz’s island on rafts and warned Wiebbe Hayes and his fellow soldiers about Cornelisz’s reign of terror. Anticipating an attack, Hayes’s group built a makeshift fort out of coral, the first European structure in Australia. Two months after the original wreck, Cornelisz’s men attacked Hayes and his largely defenseless companions with muskets. Amid the final battle, a ship was spotted on the horizon. The commander Pelsaert had made it to Java and had returned to rescue the company’s treasure chests and the survivors. Hayes got to the rescue ship first.

Pelsaert could hardly believe what had occurred in his absence. Cornelisz was arrested, tortured, and tried “on the spot,” and his hands were cut off. He was sentenced to death, along with six accomplices. He remained faithful to his heresy and declined to be baptized before he was hanged. Two of his junior henchmen were spared the rope and left on the Australian mainland to fend for themselves with toys to establish friendly relations with the natives. They were never heard from again. Leys ended his account by making his own trip to the Houtman Abrolhos islands which are now a nature preserve. A local fisherman shows him a skull he found when he was digging up his kitchen floor. He now keeps it in an ice cream tub.

The book closes with a quote from Euripides, “the sea washes away the evils of man.” This isn’t completely true—it can be memorialized in books. And there are ongoing archeological excavations of mass graves from the Batavia on what is now known as Beacon Island.

Conclusion: “Never take stupidity too seriously.”

Maoism had unique traits but Leys nonetheless always saw it as a member of what he called the “great totalitarian family”—ideologies produced by patterns of thought found across human societies, from tiny shipwrecked pre-Enlightenment microcosms to vast 20th century nations. History does not repeat itself, but ideas do.

The wreck of the Batavia and the Maoist disaster visited upon China both demonstrate that it takes a confluence of factors to turn a society upside down. There is a shock that triggers an upheaval—a shipwreck, a war, a depression, a famine, or political chaos. Authorities are discredited or absent and unable to mount an effective response. There also needs to be an organized authoritarian movement operating according to transformative, even apocalyptic beliefs, that can take advantage of the void. Finally, bad luck and the psychology of the society’s leaders both play a role. 

One general conclusion from reading Leys is that although totalitarian movements are immensely dangerous, that doesn’t mean we should give the theories behind them much intellectual weight. Leys quoted the Chinese saying coined by the philosopher Jacques Maritain: “Never take stupidity too seriously.” There was no point arguing economics with a Red Guard, or theology with one of Cornelisz’s murderous thugs. These movements were about power in the service of mad millenarian aims, and they were only defeated with countervailing force. Fighting totalitarianism takes organization and a coordinated response, not theory. And it takes adults who have a moral compass.

Simon Leys is by no means obscure—much of his work is still in print, and he was the subject of a major biography by Philippe Paquet entitled Simon Leys: Navigator between Worlds. But he deserves greater recognition as an analyst of totalitarianism, not least for the way in which he built upon Czesław Miłosz’s warning: “The man of the East cannot take Americans seriously because they have never undergone the experiences that teach men how relative their judgments and thinking habits are. Their resultant lack of imagination is appalling… If something exists in one place, it will exist everywhere.” To this, Leys added (in the Los Angeles Times of all places): “The everyday order of our lives may seem to us natural and permanent, but it is in fact as fragile and illusory as the cardboard props on a theatrical stage: It can collapse in a flash and turn at once into black horror. Our condition is forever precarious; even basic human decency can shatter and vanish in an instant.”

David Adler is a writer who lives in rural Connecticut.

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jeudi, 01 octobre 2020

Maugis, ou l'autre armée des ombres

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Maugis, ou l'autre armée des ombres

Par Paul Sunderland 

« Si nous ne changeons pas ce monde promis à la destruction, nous nous engageons à ne pas nous laisser modeler par lui. Rappelez-vous bien, nous sommes au monde, mais pas de ce monde. »

Deux phrases très intéressantes tirées de Maugis nouvelle version, un roman initialement écrit il y a quelques années par Christopher Gérard. Un monde promis à la destruction, ce sont plusieurs milliards d'êtres humains destinés à passer sous le rouleau compresseur d'un déterminisme absolu, un juggernaut inéluctable, une force telle qu'on se demande à quoi il servirait d'en avoir conscience, en définitive. Serait-ce l'œuvre d'un démiurge sadique ? Cette conscience se colore de différentes manières et l'une d'elle est la tendance à l'action : on se trouve derrière le juggernaut et on lui imprime du mouvement pour accélérer les choses ou on se trouve devant et on tente de le freiner, voire de le stopper.

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Dans l'hindouisme, le domaine de l'action est réservé à la seconde caste, celle des kshatriyas, c'est-à-dire les guerriers. Ce type de développement s'étend au-delà des seules frontières physiques de l'aire culturelle hindoue : c'est bien en Occident, et plus précisément en Belgique, au sud du Canal Albert, que nous entrons dans la seconde guerre mondiale de Maugis. Après la défaite belge dûment et tragiquement attestée, un jeune officier vaincu et ses compagnons survivants mènent une guerrilla d'arrière contre l'occupant. Immédiatement, Christopher Gérard nous place dans une perspective bien spécifique : plutôt que nous montrer ou l'avers ou le revers de la pièce, il nous maintient en équilibre sur sa tranche. Il y a le conflit visible et, à travers lui, la manifestation de figures profondément enracinées dans le légendaire européen malgré la modernité. Le héros, François d'Aygremont, va vivre des expériences initiatiques de mort et de renaissance : Maugis sera son nom véritable. Précisons : Maugis l'Egaré. Lui aussi se trouve sur la tranche de la pièce et oscille dangereusement d'un côté et de l'autre de l'allégeance. Insertion dans une chaîne de transmission spirituellement pérenne, séduction exercée par le Directorat V, cellule ultra-secrète (streng geheim!) et contre-initiatique du IIIème Reich.

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Couverture de la première édition de "Maugis", avec le "Pèlerin de l'Absolu", tableau de Marc. Eemans

39-45, c'est « juste » la surface des choses. Comprenons que dans ce roman, la perspective historiciste n'est pas du tout amoindrie mais elle n'est que l'écho d'un conflit beaucoup plus obscur mettant en action des forces invisibles, tout aussi réelles et redoutables. Dans une langue parfaitement ciselée quoique sans pédanterie, Christopher Gérard parvient à réenchanter des lieux, des situations qu'une certaine coterie pseudo-intellectuelle nous force à « déconstruire » depuis déjà longtemps. Telle vénérable ville universitaire est à redécouvrir comme « ville sainte », non par sentimentalisme, mais pour des raisons opératives. Telle maison d'édition, dans ses activités ordinaires, manipule des énergies portées (hypostasiées) par des sortes de condensateurs humains dans le cadre d'une guerre pour la sauvegarde de l'Esprit. Il s'agit bien d'un récit de guerre. On m'a posé la question : ce roman peut-il être lu par quelqu'un qui ne s'y connaît pas en ésotérisme ? Selon moi, oui, parfaitement. Tout le monde n'a pas le profil pour s'intéresser à ce discipline mais tout le monde a sa chance car il ne s'agit pas ici de qualifications fondées sur l'équarrissage scolastique (la possession de tel ou tel diplôme en carton). Maugis raconte l'histoire prenante d'une lutte pour la domination et n'a rien d'un exposé filandreux.

Christopher Gérard ne pratique pas l'équarrissage, il ne déconstruit pas non plus. Il décloisonne ! Certes, chez cet auteur se revendiquant du paganisme, on pourrait s'attendre, par le biais d'une fiction, à un dynamitage en règle des religions monothéistes. Ce n'est pas si évident. François d'Aygremont/Maugis est initié aux mystères antiques mais n'en prie pas moins Marie, pour lui avatar de la Grande Déesse, comme si, au fond, ce qui donne matière à disqualification résidait non pas dans des appartenances formelles mais, çà et là, dans les attitudes de certains, quelle que soit leur « immatriculation ». C'est ainsi que la seconde phrase citée (« nous sommes au monde, mais pas de ce monde »), si elle rappelle évidemment Jean ch. 17, v. 14-18, englobe ce que l'auteur nomme « l'universalité des hommes de prière ». Un de ces hommes, d'ailleurs, est le prieur des Hospitaliers de Rome (où Maugis aux yeux couleur d'émeraude, couleur de Graal, a trouvé refuge), une retraite actualisant l'union, devant une œuvre d'art, du paganisme, du judaïsme et du christianisme.

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« Ne pas se laisser modeler par ce monde. » Cette seconde proposition sonnera peut-être aux oreilles d'un kshatriya (non révolté, bien sûr!) comme un pis-aller amer, un affaiblissement consécutif à l'échec d'une action. On peut la voir aussi comme une ascension vers la suite immédiate : être au monde mais pas de ce monde. De fait, c'est par une ascension que le protagoniste poursuit sa route à la fois dans et par-delà l'Histoire. D'une manière générale, on entre sans peine, grâce à la maîtrise de l'auteur, dans telle et telle atmosphère des lieux. Il est bon de se laisser dépayser de la sorte mais, plus que cela (après tout, l'Irlande, l'Inde ou le Thibet – avec un h – depuis chez soi, ça ne coûte pas grand-chose), on se prend à vouloir suivre aussi, page par page, ce que d'autres explorateurs ont écrit de leurs périples, ici et là, même si, d'un individu à l'autre, les motivations peuvent ne pas se ressembler. C'est un autre intérêt de Maugis: il peut se lire comme une aventure historique et ésotérique au sombre foisonnement, mais aussi ouvrir, sans prévenir (et l'auteur de ces lignes en a fait l'expérience personnelle et saisissante ; pas besoin d'en dire davantage), sur d'autres espaces, d'autres lieux.

En conclusion, Maugis, matérialisant des réseaux étranges au-delà de toute logique cartésienne, est aussi une sorte de tesseract bousculant allègrement notre conception linéaire et sagittale du temps. Dans cette optique, Christopher Gérard nous donne la possibilité, face à la très actuelle coalition des marmousets en marche, de nous tenir, tel son héros, sur les cimes, au centre de la « triple enceinte ». Le travail que mène cette autre armée des ombres est un remarquable appui-feu dans le retour à l'Unité contre l'uniformité.

lundi, 14 septembre 2020

Jean Thiriart: El gran europeo del siglo XX

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Adáraga: Jean Thiriart: El gran europeo del siglo XX

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Muy lejos de las construcciones administrativas, de las edificaciones de tecnócratas que idearon un mercado entre las naciones que quedaron al lado oeste del muro que partió Berlín en dos tras los escombros de 1945, se alza la figura de Jean Thiriart. Un belga que supo proyectar una idea-mito fundacional capaz de atravesar las décadas y desafiar el economicismo mediocre de quienes todo lo fiaban a intercambios meramente comerciales. Cuando se leen hoy, en el año 2020, sus escritos de los años 60 sabemos que el mundo ha cambiado mucho desde entonces. Que el comunismo soviético cayó con el Muro y que el capitalismo, lejos de caer también, mutó en globalismo unipolar que trata de imponerse a todas las culturas. Pero de aquellos ensayos y de su acción política, surge algo muy diferente a meros análisis coyunturales. De Thiriart emerge la bandera de una Europa soberana como hogar para más de 400 millones de hombres con una historia y una identidad griega, romana e indoeuropea común.

Detalles del producto

Tapa blanda : 67 páginas
ISBN-13 : 979-8681647089
Dimensiones del producto : 13.97 x 0.43 x 21.59 cm

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mardi, 09 juin 2020

Caroline Oh ! Caroline: une farce uchronique de Paul Van Herck

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Caroline Oh ! Caroline: une farce uchronique de Paul Van Herck 

par Georges FELTIN-TRACOL

Parues de nos jours, certaines couvertures soulèveraient sur le champ l’indignation des chochottes de la mémoire et des contempteurs de l’« appropriation culturelle ». C’est le cas pour celle-ci : un célèbre personnage historique germano-autrichien de la première moitié du XXe siècle attifé à la mode afro-amérindienne !

Paul Van Herck.jpgOutre sa couverture, Caroline Oh ! Caroline du Flamand Paul Van Herck (1938 – 1989) brave toutes les convenances historiques en proposant une satire déjantée proprement impubliable aujourd’hui. Inspiré à la fois par le style de Marcel Aymé et de la veine littéraire flamande souvent burlesque, Caroline Oh ! Caroline associe la farce, le fantastique, le psychadélisme et l’uchronie.

Guillaume « Bill » de Lancastère n’admet pas le décès de son amour fou, Caroline. Croyant à la métempsychose, il se souvient parfois d’un fragment de ses vies antérieures et recherche la réincarnation de sa bien aimée. Ses divagations personnelles ne l’empêchent pas de faire son devoir de soldat : partir en Amérique du Nord en mission secrète afin d’y recenser les puits de pétrole disponibles. Préfiguration du steam punk qui apparaîtra une décennie plus tard, le roman évoque l’emploi de véhicules à vapeur. Or, trouver du pétrole deviendra indispensable avec un nouveau modèle d’automobile tracté par « un moteur beaucoup plus léger, plus puissant, plus économique que la machine à vapeur (p. 36) ».

Guillaume de Lancastère sert dans l’armée grande-française. L’Empire français de Napoléon VIII s’étend de l’Oural à l’Irlande. Son modèle administratif centralisé couvre tout le continent de départements, d’arrondissements, de cantons et de communes. C’est l’héritage de Napoléon Ier, vainqueur surprise de Waterloo. En effet, « en 1815, au cri de “ La Fayette nous voici ! ” les Américains décidèrent d’intervenir au côté des Français à Waterloo, les Indiens et les Noirs s’unirent de façon touchante. Ce fut pour jeter à la mer, de concert, les Blancs démunis de leur armée régulière. Depuis, toute l’Amérique est rouge et noire. Les derniers Blancs ont été expulsés il y a environ une centaine d’années (p. 38) ». l’auteur n’insiste pas sur les raisons de cette surprenante action. On peut imaginer une poursuite du conflit anglo-américain commencée en 1812 – la seconde Guerre d’Indépendance – ou bien la volonté du Congrès de se venger de l’incendie de la Maison Blanche… Il en résulte l’expulsion de tous les Européens du Nouveau Monde et la fermeture du continent américain à toute influence extérieure. Les services du renseignement impérial supposent que les tribus noires et indiennes ont plongé toute l’Amérique dans la sauvagerie et l’arriération technique.

L’Empire français d’Europe n’est pas la seule puissance mondiale. Il tient compte du redoutable royaume d’Israël d’Hérode XII. Le peuple juif a profité « des troubles de 1815 pour faire main basse sur tout le Moyen-Orient […]. Et depuis il s’était emparé du Sahara et il menaçait des États comme l’Algérie et le Maroc. Pas étonnant, quand on songeait qu’Israël passait sa vie l’arme au pied (p. 165) ». Par ailleurs, l’ordre impérial napoléonien n’assure pas une pleine quiétude. Perdure ici ou là un relatif sentiment francophobe. Aux périphéries de l’Empire éclatent parfois quelques agitations à l’instigation, par exemple, de ce « Joseph Staline, fomentateur d’agaçants troubles politiques dans le département de Moscou (p. 27) ».

9200000085012694.jpgDans le cadre de sa mission secrète qui nécessite de traverser l’Atlantique par les airs grâce à l’un des tout premiers avions, on adjoint à Bill un second d’origine germanophone, prénommé Adolf, grand fan de Richard Wagner. C’est un « homme à la drôle de petite moustache et aux cheveux gris coiffés à la limande. Son regard était à la fois pénétrant et étrange (p. 46) ». Bien que regrettant la victoire franco-américaine de Waterloo, Adolf est prêt à explorer les « riches gisements au Tex-Ha, ou chez le Caliphe Hornia (p. 53) ».

Leur arrivée en Amérique provoque la stupeur : on les prend pour des dieux. Bill utilise cet atout surnaturel pour semer la zizanie entre les tribus indiennes des Wah-Shintogos et noire des Niou-Yokos. En exacerbant les rivalités, Bill estime que l’armée grande-française reprendra sans grand mal l’Amérique et ses précieux champs pétroliers. Or, la supercherie est bientôt éventée. Si Bill parvient à revenir en Europe où il est fêté en héros impérial, Adolf évite de peu d’être mangé par des cannibales. Il accepte de passer du statut de prisonnier à commandant en chef de l’armée américaine avec le grade de caporal afin de ne pas provoquer « d’infarctus à nos militaires de carrière par une promotion trop rapide (p. 126) ». Les chefs noirs et indiens lui ont offert ce poste, car ils savent aussi qu’ils n’ont « pas un seul militaire de génie, […] intelligent (Idem) ».

Indiens et Noirs ont conclu une alliance militaire secrète. Ayant caché leur avance technologique, ils s’apprêtent à envahir l’Europe napoléonienne par l’Ouest avec une formidable armada navale noire, par l’Est avec la ruée des Indiens à travers la Sibérie, et par le Sud avec l’entrée en guerre des populations africaines. Le « caporal autrichien » Adolf échafaude une stratégie rapide, violente et brutale qu’il baptise Blitzkrieg.

La conquête de l’Est se révèle facile. Londres tomba rapidement. Puis, « les Noirs débarquèrent en France, poussèrent jusqu’au Rhin, anéantissant au passage une armée démoralisée. L’armée noire traversa le fleuve à Remagen, sur un pont demeuré intact, et, dans un élan irrésistible, elle atteignit Berlin. Les Rouges venant de l’Oural portèrent un coup décisif à l’armée impériale, sur la Volga, en un lieu nommé Impérialeville. […] L’empereur Napoléon VIII se suicida (p. 171) ». La conquête achevée, « une des premières étapes de la déseuropéanisation (quel mot !) fut de rebaptiser les Blancs avec des noms nègres ou indiens (p. 174) ». Défait mais vivant, Guillaume de Lancastère s’appelle désormais veau-Idiot et vit dans une réserve près de Moscou avec sa femme et leurs deux enfants.

get-item-image.php.jpgDans ce monde rêvé par Houria Bouteldja, Rokhaya Diallo et Lilian Thuram, existent dorénavant « deux Europes, l’Europe Noire et l’Europe Rouge. Comme les Noirs venaient de l’ouest, et les Indiens de l’est, ce furent l’Europe occidentale et l’Europe orientale, sans aucune référence à la réalité géographique, car la ligne de démarcation avait de singulières sinuosités (p. 172) ». Les relations entre les deux ensembles victorieux se chargent de méfiance réciproque quand il n’est pas la proie d’attentats à répétition. L’un d’eux revient à Bill.

Arrêté, Guillaume de Lancastère se fait interroger par Adolf en personne qui se rappelle peu à peu de lui. En touchant la fibre wagnérienne de son interlocuteur, Bill parvient à le raisonner. Tous deux rencontrent un descendant de H.G. Wells qui a conçu le chronoscaphe, une machine à remonter le temps. Les trois compères retournent alors en 1815 et implorent le Congrès des États-Unis de conserver une juste neutralité. Washington n’expédie aucune force armée en Europe au secours de l’« Ogre corse ». Le Grand Empire français n’existera jamais plus. « Nous pouvons toujours en tirer une conclusion, dit Adolf : n’appelez jamais les Américains à l’aide, ils ne font que nous embarrasser (p. 221). »

Essayant de revenir à leur époque à bord du chronoscaphe, le trio se perd dans les couloirs du temps, ce qui rend Bill inconsolable de ne plus pouvoir rencontrer encore une fois sa chère Caroline. L’absurde s’ajoute à la narration pittoresque pour clore ce récit fantaisiste. Un fait est certain : vu l’ambiance intellectuelle actuelle délétère, on ne verra pas de si tôt une réédition de Caroline Oh ! Caroline de Paul Van Herck, l’espiègle uchroniste.

Georges Feltin-Tracol

• Paul Van Herck, Caroline Oh ! Caroline, préface et traduction de Michel Védéwé, Librairie des Champs-Élysées, coll. « le Masque Science-fiction », 1976, 251 p.