lundi, 26 février 2007
Inde: amie ou alliée des Etats-Unis?
L’Inde : amie des Etats-Unis, non alliée
Il suffit de jeter un coup d’œil sur la composition des forces armées indiennes pour comprendre quelle voie le pays suivait pendant la Guerre Froide. Les rapports avec les Etats-Unis n’étaient pas au beau fixe et les Indiens s’approvisionnaient en armements dans les arsenaux soviétiques. De ces bonnes relations d’antan avec l’Union Soviétique, il reste quelques solides reliefs. Ou bien doit-on dire que ces liens se renforcent à nouveau avec la Russie de Poutine ? Ce n’est pas un hasard, en effet, si le Président Poutine était récemment l’invité d’honneur lors de la fête de la Fédération indienne à la fin du mois de janvier. Après l’implosion de l’URSS, de nouvelles priorités s’étaient imposées aux deux pays. La Russie devait sortir d’une dépression profonde ; l’Inde menait à bien une série de réformes économiques nécessaires. Aujourd’hui, au bout de quinze années, les résultats de ces deux opérations politiques sont devenus visibles et les deux pays se retrouvent et se rapprochent. Un bon mot indien dit que « Putin » (selon la graphie anglaise) signifie « P » pour « planes/avions », « U » pour « uranium », « T » pour « tanks », « I » pour « infrastructure » et « N » pour « nucléaire ».
Les Etats-Unis aussi s’intéressent tout particulièrement à la « plus grande démocratie du monde ». Et ici l’adjectif « grand » signifie « très grand ». On ne fait plus guère attention, chez nous, à la Chine, tant abondent les dépêches qui annoncent la marche en avant de l’ancien Empire du Milieu ; pourtant, des voix autorisées annoncent que dans quelque 25 ans, l’Inde aura dépassé la Chine sur le plan démographique.
Messianisme
Il y a un peu moins d’un an, le Président américain Bush a dit, lors d’une visite qu’il rendait à New Delhi, que « l’Inde avait une mission historique dans le soutien à apporter à la démocratie dans le monde ». Assertion typique d’un Américain dont l’idéalisme naïf trouble quelque peu le regard qu’il porte sur la réalité du monde. Il ne s’agit évidemment pas de dire que les Indiens ne sont pas conscients de l’importance de la démocratie sur cette planète. Après les Etats-Unis, l’Inde est le principal « sponsor » du « Fonds pour la démocratie », une initiative lancée par l’ONU et soutenant dans le monde entier les projets qui apportent leur pierre à la généralisation de l’idéal démocratique. Cependant, le regard que les Indiens portent sur la démocratie est un peu moins messianique que celui des Américains. Le ministre indien des affaires étrangères a été très clair à ce propos : « Nous devons aborder les gouvernements étrangers tels qu’ils existent réellement », a-t-il déclaré. Ensuite, autre déclaration : « Nous n’avons pas l’ambition d’exporter notre propre idéologie. Chaque pays doit générer sa propre version de la démocratie ».
Une série de pays que les Américains considèrent comme des menaces pour la démocratie sont justement des pays avec lesquels l’Inde entretient de bons rapports : l’Iran, la Syrie, Cuba ou le Myanmar (l’ancienne Birmanie). Pour n’en citer que quelques-uns… Le ministre indien des affaires étrangères, Mukherjee, n’a vu aucun inconvénient à rendre visite à la junte qui dirige le Myanmar. De cette visite dépendait également un contrat fort lucratif. Et, très symboliquement, au Myanmar, dès le départ de Mukherjee, on préparait activement la prochaine visite officielle : celle d’un délégué du Congrès Populaire chinois.
Une « Grande-Bretagne » ou une « France » asiatique ?
Sur le plan de la Realpolitik, l’Inde revêt une indéniable importance stratégique pour les Etats-Unis. Mais les Américains aimeraient bien jouer l’Inde contre la Chine. La mayonnaise ne prend toutefois pas. L’ouverture de l’économie indienne aux investisseurs étrangers (et principalement américains) ne s’opère pas assez vite selon Washington. En fait, les Américains souhaitent que l’Inde joue un rôle diplomatique plus important en Asie, un continent en pleine effervescence, avec des foyers réels ou potentiels de conflit comme l’Iran, l’Afghanistan, la Corée du Nord… L’idéal, pour les Américains, serait que l’Inde devienne une sorte de « Grande-Bretagne » asiatique, un allié fidèle qui s’alignerait sur la ligne tracée par Washington dans la lutte contre le terrorisme, pour promouvoir la démocratie et le libre marché. Pur « wishful thinking », purs vœux pieux.
Certes, il existe quelques solides accords entre les deux pays. Depuis 2005, les deux puissances s’accordent à dire qu’elles sont des « partenaires stratégiques ». Elles ont signé un accord intéressant à analyser sur le nucléaire, qui a rendu certains observateurs euphoriques. Un an et demi plus tard, le réalisme est à nouveau à l’ordre du jour. La grande ambition de la diplomatie indienne est dès lors la suivante : garder les bons liens qui existent avec les Etats-Unis sans que cela ne se fasse au détriment de la politique étrangère indépendante de l’Inde. L’Inde deviendra-t-elle alors une sorte de France asiatique, c’est-à-dire une alliée qui, de temps à autre, optera pour une politique diamétralement opposée et suivra sa propre voie ? Dans les années à venir l’Inde sera sans doute une puissance qui se situera à mi-chemin entre la position de la « Grande-Bretagne » asiatique et celle de la « France » asiatique. Ou comme le formulait récemment un diplomate indien : « L’Inde ne sera jamais une alliée des Etats-Unis, mais seulement une amie. Nous coopérerons en tous domaines où cela sera possible et pour le reste, non ». Une nuance de taille qui porte véritablement sur l’essentiel.
M.
(article paru dans « ‘t Pallieterke », 14 février 2007).
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