mercredi, 20 février 2008
G. Miglio: une Europe impériale et fédéraliste
Pour une Europe Impériale et fédéraliste, appuyée sur ses peuples
Entretien avec le Prof. Gianfranco MIGLIO
«L'Europe future renouera avec la formidable structure que fut le Saint Empire Romain de la Nation Germanique; elle ne sera pas une Europe des Etats-Nations comme le voulait De Gaulle ni une Europe d'Etats centralisés, comme actuellement. Les Américains s'en sont aperçus comme le prouve le récent discours de Clinton à Aix-la-Chapelle». Gianfranco Miglio n'est pas l'homme à se laisser aller à des vaticinations ou, pire, à des prophéties dictées par les passions et l'enthousiasme. Ses mots sur les mutations en cours dans les structures territoriales et politiques d'Europe revêtent dès lors une grande importance, car ils viennent d'un savant érudit qui, pendant des décennies, a perfectionné et développé des modèles constitutionnels et politiques qui ont été pris en considération en Italie du Nord mais aussi dans toute l'Europe.
Après un isolement studieux de quelques mois, le Professeur Miglio nous revient aujourd'hui tout ragaillardi et sa verve batailleuse anime chacun de ses paroles. Les temps changent, nous dit-il, et la vieille Europe semble se réveiller après les sombres décennies de la Guerre Froide, où l'équilibre (balance of power) se faisait entre les deux super-puissances qui, à Yalta, avaient hérité des destinées du monde.
Aujourd'hui, seuls les Etats-Unis demeurent en piste et c'est de là-bas que nous viennent des messages sans équivoque qui en disent long sur les idées et les préoccupations du gouvernement américain en ce qui concerne notre continent. «L'idée est neuve et ancienne tout à la fois et elle se répand dans les secteurs les plus influents de la diplomatie européenne: cette idée, c'est celle du Saint Empire Romain de la Nation Germanique, explique Miglio, une idée impériale européenne qui ne doit effrayer personne. Car elle est prête à ouvrir un chapitre nouveau et très intéressant dans l'histoire millénaire de notre continent».
Q.: Professeur Miglio, le Président américain Bill Clinton vient de prendre acte de l'importance de la dévolution en Europe et des identités des vieilles nations européennes, qui ont été englobées au cours de l'histoire dans les Etats nationaux issus des idées du XVIIIième siècle: la Lombardie, le Piémont, la Vénétie, la Catalogne, la Silésie, etc. Vous attendiez-vous à cela?
GM: A mon avis, Clinton et ses hommes ont une vision de l'Europe qui est également dépassée, parce les déclarations du Président américain ne m'enthousiasment nullement. Quoi qu'il en soit, c'est un fait avéré maintenant, que les hommes politiques américains se rendent compte que l'Europe est à la veille d'un changement profond et que les institutions parlementaires qui ont fait l'efficacité de l'UE sont inexorablement sur le déclin. Dès lors, la possibilité est ouverte désormais de mener une opération de type fédéral, actualisable par une refonte géopolitique générale interne. Les grandes régions, celles que l'on appelle les macro-régions d'Europe, pourront, dans ce processus, se repositionner en dehors des Etats nationaux décadents et dépassés, qui les avaient avalées jadis.
Q.: Pour ce qui concerne plus spécifiquement notre aire géographique, nous pourrons assister à la renaissance de la Mitteleuropa?
GM: L'idée de Mitteleuropa est d'une brûlante actualité. Mais cette fois Berlin ne la conteste pas. Au contraire! La capitale allemande est devenue le nouveau laboratoire politique du continent, où se construit une nouvelle civilisation. Dans la culture allemande, une idée nouvelle est en train de germer. Prenons par exemple le Ministre des Affaires étrangères d'Allemagne, Joschka Fischer. C'est un ancien militant écologiste qui s'est converti à la Realpolitik, en abandonnant la démagogie de son ancien parti. Fischer a du génie, à mon avis, et il oppose désormais sa vision de l'Europe à celle des Français.
Q.: Mais qu'en pensent les Français?
GM: Ils s'accrochent encore et toujours aux conceptions de De Gaulle, c'est-à-dire à une vision de l'Europe formée d'Etats nationaux, de patries (ndt: au sens petit-nationalitaire du terme). Ce sont là des conceptions entièrement obsolètes, inadaptés à la tâche qui nous attend. Les Etats nationaux actuels sont désormais en déliquescence à tous les niveaux. Pour parler comme Nietzsche, accélérons sa disparition! Fischer et les Allemands, au contraire, proposent une nouvelle mouture du Saint Empire Romain de la Nation Germanique. Pendant toute ma vie, j'ai étudié en long et en large le fonctionnement de cette structure continentale pondéreuse, au Moyen Age comme aux temps modernes.
Q.: Fonctionnait-elle mieux que les structures actuelles?
GM: Certainement mieux que l'Europe actuelle. L'Empire était une structure multinationale qui servait aux Reichsstädten, aux Cités de l'Empire, à régler les conflits qui surgissent aux niveaux locaux. Mais pour le reste les communautés urbaines ou locales avaient la liberté de s'auto-gouverner, à promulguer leurs propres lois. L'autorité impériale les laissait en paix, au contraire de ce que fait Bruxelles aujourd'hui.
Q.: De ce fait, vous avez un jugement favorable sur ce que vient de dire Umberto Bossi à propos du Saint Empire?
GM: Oui. Mais Bossi devrait se montrer plus calme quand il parle de l'Allemagne. Le “Quatrième Reich”, qu'il semble craindre, ne pourra pas exister dans une Europe conçue sur le mode impérial. Les Allemands ne veulent pas tout germaniser. Ils semblent menaçants dans la mesure où ils utilisent ouvertement les bases de leur grande tradition culturelle européenne, mais Bossi est trop intelligent pour ne pas comprendre que le symbole du Saint Empire servira à relancer une fédération de peuples européens libres et souverains.
Q.: Dans la structure impériale européenne, basée sur les cultures et sur les identités des peuples, les populations du Mezzogiorno italien ont-elles leur place? Comme l'a écrit le philologue vénétien Gualtiero Ciola, nous, Padaniens, sommes les héritiers des Celtes et des Lombards, peuples présents dans toute l'Europe continentale. Qu'en est-il alors des peuples de l'espace méditerranéen?
GM: Votre observation est juste. La partie de l'Europe qui est baignée par la Méditerranée a des traditions et des cultures différentes de celles qui animent le continent et dont fait partie la Padanie. La Padanie est une terre de la Mitteleuropa et devra nécessairement tourner ses regards vers les peuples de cette Mitteleuropa. Mais sans oublier les liens commercieux et les liens de bons voisinage avec les Européens de la Méditerranée. Du reste, nous ne devons pas oublier que la première guerre mondiale a éclaté quand le Kaiser allemand Guillaume II a manifesté son intention de construire une grande voie de chemin de fer à travers tout notre continent pour arriver à Bagdad. Il y a eu toujours des échanges intenses entre la Mitteleuropa et les Balkans, comme il faudra maintenir, dès aujourd'hui, des rapports profonds entre l'Europe continentale et l'Europe méditerranéenne.
Q.: Quels seront alors nos rapports avec l'Est, avec la Russie qui subit un ressac important?
GM: Je pense que les futurs rapports entre l'Europe et la Russie seront profitables aux deux parties. Surtout pour contrebalancer l'hyper-puissance américaine.
Q.: Suivez-vous toujours les initiatives politiques de la Lega Nord?
GM: Je les suis avec le plus extrême intérêt. Pour moi, les idées “liguistes” sont centrales aujourd'hui. L'idée d'une Europe des régions et des peuples peut recevoir un appui fondamental par une action politique au sein du Carroccio, partant du niveau régional. Bossi doit continuer à brandir bien haut la bannière de la dévolution et de la “question septentrionale”. Je crois que, finalement, le processus de la fédéralisation s'est mis en marche et la Padanie, dans ce jeu, jouera sa part. Elle sera actrice et protagoniste dans ce prochain grand changement.
(propos recueillis par Gianluca SAVOINI et parus dans La Padania, le 15 juin 2000; http://www.lapadania.com).
00:40 Publié dans Affaires européennes, Entretiens, Géopolitique, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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