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mardi, 11 mars 2008

Hommage à Jordis von Lohausen

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Hommage au Général Baron Jordis von Lohausen (1907-2002)

Le Général Jordis von Lohausen, qui fut mon pre­mier impulseur, n'est plus. Il vient de dé­cé­der à l'âge de 95 ans. Je me souviendrai tou­jours de lui, que j'avais rencontré lors d'un col­loque dans le merveilleux château de Sababurg en Hesse du Nord, dans le Pays des Contes de Grimm, en bordure de la célèbre "Märchen­stras­se". Nos préoccupations étaient les mê­mes malgré les nombreuses années de vie et d'ex­périences qui nous séparaient irré­média­ble­ment. En lisant ses derniers ouvrages, pu­bliés par Wolfgang Dvorak-Stocker, j'étais é­mer­veillé par l'unité de sentiments qui de­meu­rait entre nous. Personne n'est éternel, la "Gran­­de Faucheuse" nous attend tous, mais, pour des hommes de la trempe et de la gen­tillesse de von Lohausen, elle arrive toujours trop tôt. Qu'il sache cependant que nous con­ti­nuerons à œuvrer dans son sens, que le grain qu'il a semé en nos jeunes têtes continuera à ger­mer, en dépit des oppositions de tous or­dres. Jordis von Lohausen a raisonné en ter­mes de pérennité. Il nous a demandé de tou­jours juger en termes d'histoire et de géo­graphie, en tenant compte du temps et de l'es­pace. Il s'est ainsi hissé au rang de vrai maître, qui ne raisonne pas dans le vide. Nous reste­rons ses disciples et, armés de cette méthode, nous aurons toujours raison, même si nous n'em­portons pas tout de suite la victoire sur les sots et les pervers (RS).

Au début du mois de septembre 2002, le Gé­né­­ral Baron Jordis von Lohausen, géopolito­lo­gue de premier plan, est décédé à Graz en Sty­rie, où il résidait. Malgré son très grand âge, le Général était toujours actif, rédigeait des artic­les et publiait des livres, que l'on peut consi­dé­rer comme autant d'incitations originales à une ré­flexion de fonds sur le destin historique et géo­­graphique des peuples.

Né en 1907 dans le foyer d'un officier de cava­lerie de l'Armée Impériale & Royale austro-hon­groise, Jordis von Lohausen amorce à son tour une carrière d'officier en 1926, dans les rangs de l'armée de métier de la nouvelle ré­pu­blique autrichienne. En 1938, avec l'An­schluß, alors qu'il a le grade de Capitaine, son u­nité est intégrée dans la Wehrmacht grande-al­le­mande. Pendant la seconde guerre mon­dia­le, il participe aux campagnes de Pologne, de Fran­ce et de Libye. En 1942, avec le grade de Com­mandant (Major), il devient le chef d'un ré­­gi­ment qui s'en va combattre en Russie. En­tre deux engagements sur le Front de l'Est, il pas­se six mois en mission diplomatique auprès de l'ambassade d'Allemagne à Rome.

Journaliste radiophonique et attaché militaire

En 1947, Jordis von Lohausen entame une car­riè­re de journaliste radiophonique: il est tour à tour collaborateur libre d'une station autri­chien­ne, qui s'appelle "Alpenland", et de la ra­dio de Brème en RFA. Il crée des émissions cul­turelles, en présentant notamment les splen­­­deurs des villes d'art italiennes. En 1955, quand les occupants alliés quittent l'Autriche et qu'une nouvelle armée voit le jour, il entre à son service auprès du Ministère de la Défense Fédérale, ce qui l'amènera à devenir attaché mi­litaire autrichien dans les ambassades de Lon­­dres et de Paris. Quand il quitte défini­tive­ment la carrière diplomatique, il se met à écri­re livres et articles de géopolitique. A l'âge de 72 ans, en 1979, il publie ainsi son ouvrage prin­cipal "Mut zur Macht. Denken in Konti­nen­ten", qui sera ultérieurement traduit en plu­sieurs langues. Ce livre, malheureusement é­pui­­sé en langue allemande aujourd'hui (ndlr: les éditions parisiennes "Le Labyrinthe" ont en­core un stock de la traduction française, intitu­lée "Les empires et la puissance"; disponible en écrivant à : elements@labyrinthe.fr ; 19,67 Eu­­ro), mais deux autres titres, plus récents, pa­rus dans les années 90, restent disponibles chez l'éditeur styrien Leopold Stocker à Graz.

Immédiatement après la seconde guerre mon­diale, Jordis von Lohausen avait rédigé un ma­nus­crit qui ne paraîtra chez Leopold Stcoker qu'en 1998, sous le titre "Reiten für Rußland – Ge­spräche im Sattel" ("Chevaucher pour la Rus­sie - Conversations en selle"). L'auteur se re­mémore ses propres expériences et ses con­ver­sations avec de jeunes officiers  —pour la plu­­part des étudiants—  pendant la grande mar­­che en avant des troupes allemandes, hon­groises et roumaines en Ukraine et en Russie (entre Don et Kouban), alors qu'inéluctable­ment  s'annonçait la catastrophe de Stalingrad. Ces jeunes gens évoquent les motifs réels de la guerre et sont unanimes à cultiver l'espoir (de plus en plus ténu) que l'Allemagne reviendra ra­pidement aux idéaux de la jeunesse de l'en­tre-deux-guerres en proclamant le droit à l'au­to-dé­termination des peuples oppressés par le Krem­lin soviétisé, ce qui ne pourra que favo­ri­ser les desseins du Reich. Le Commandeur du Ré­giment, qui n'est pas un autre homme que l'a­uteur lui-même, donne à ses jeunes ca­ma­ra­des l'exemple de la monarchie austro-hon­groi­se, qui, selon lui, était un Empire (Reich) réussi qui se hissait au-dessus des peuples sans les met­tre au pas ni éradiquer leurs spécificités. La guerre en cours n'aura de sens, pour le Com­man­deur, que si elle rapproche Russes et Al­le­mands, qui devront alors mettre leurs ef­forts en commun pour bâtir un Reich, sur le mo­dèle austro-hongrois, mais de dimensions beau­coup plus vastes, de la Mer du Nord jus­qu'à l'Océan Pacifique.

Les conversations de ces hommes, intellectuels et soldats, ont été véritablement ciselées pour le lecteur par un virtuose de la parole, qui a su faire donner tous ses talents dans les stations de radio où il a œuvré de 1947 à 1955. Mais el­les n'abordent pas que cette unité de destin vir­tuelle entre Russes et Allemands: elles po­sent des questions, qui restent essentielles, sur l'ê­tre fondamental des peuples, sur le sens de l'his­toire, sur l'avenir des cultures et des civil­i­sa­tions dans un monde qui se meut sans cesse vers une unité artificielle, monotone, mono­chro­me et monolithique. Par la simplicité et la lim­pidité des phrases forgées par Lohausen, ce li­vre éclaire chaque lecteur en profondeur et lui fait prendre conscience des lignes de force à l'œu­vre en ce monde.

Les facteurs refoulés : histoire, espace, peuples et langues

Tous les livres et articles de Lohausen se pen­chent sur ces facteurs refoulés aujourd'hui que sont l'histoire, l'espace, les peuples et les lan­gues. Aujourd'hui, sous les effets pervers des idéo­logies dominantes et des simplismes mé­dia­tiques, nous considérons les processus his­to­­riques comme dépendants des intérêts des ca­stes dominantes ou comme le résultat de la volonté de chefs isolés, comme dépendants du développement de l'économie ou de la techni­que ou comme les effets des luttes entre diffé­rents groupes sociaux pour obtenir puissance ou influence. Cependant, l'histoire découle iné­vi­ta­blement de facteurs plus profonds comme les diverses mentalités et formes de vie des peu­ples, qui ont toujours été très importantes pour donner l'impulsion première et fonda­men­tale au développement des territoires; de mê­me, l'histoire se développe différemment si un territoire possède des frontières naturelles com­me des chaînes de montagne ou des fleu­ves ou, au contraire, s'il a des frontières ou­ver­tes et difficilement défendables, ce qui con­traint le peuple qui l'occupe à subir les atta­ques de ses voisins ou à passer à l'attaque pour éviter de telles agressions (ndlr: dans "Mut zur Macht" ou, en français, dans "Les em­pires et la puissance", Jordis von Lohausen cite les exemples de la Prusse de Frédéric II au 18ième siècle et de l'Etat d'Israël pendant la Guer­re des Six Jours de juin 1967).

Dans un autre ouvrage récent, intitulé "Denken in Völker - Die Kraft von Sprache und Raum in der Kultur- und Weltgeschichte" ("Penser en ter­mes de peuples - La puissance de la langue et de l'espace dans l'histoire des civilisations et du monde"), Jordis von Lohausen étudie systé­matiquement ces facteurs profonds et sous-ja­cents. Il nous dévoile les conditionnements ca­chés de l'histoire, s'interroge sur le sens de ter­mes comme "Reich", "Etat", sur des qua­li­fi­ca­tifs comme "impérial", "national" ou "régio­nal". Il démontre que l'équation opérée par la Ré­volution française entre "Etat" et "Nation" a provoqué, au 20ième siècle, dans l'espace cen­tre-européen, des guerres abominables et dé­va­statrices, des expulsions calamiteuses et des génocides. En fin d'ouvrage, il tente de deviner le destin futur, en termes de géopolitique, de l'Allemagne, de la Russie et des Etats-Unis.

Un avenir dans la dignité

Les travaux de Jordis von Lohausen demeu­re­ront capitaux pour tous ceux qui veulent vrai­ment œuvrer pour le bien de leur peuple et qui ne se proclament pas "nationalistes" sans don­ner de contenu réel et concret à leur option de ba­se. Jordis von Lohausen a travaillé pour ceux qui voient l'enjeu, qui savent que seul le main­tien des langues, des cultures et des peuples per­mettra un avenir des hommes dans la di­gni­té. C'est en partant de telles prémisses qu'il analyse l'avenir de la Russie, des peuples des Bal­kans et du Proche-Orient, de même que les rapports entre l'Europe et les Etats-Unis ainsi que l'avenir géopolitique de l'Allemagne.

Wolfgang DVORAK-STOCKER.

(hommage rendu dans le journal  "Zur Zeit", Vienne, n°39/2002).

 

 

 

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