Ahmadinejad « L'important, c'est le pétrole. Nous autres, Américains, sommes beaucoup plus dépendants d'un pétrole bon marché que les Français. Or l'Iran pourrait très bien prendre le contrôle du golfe Persique en fermant le détroit d'Ormuz, et détruire en quelques minutes (grâce à ses batteries de missiles) les installations pétrolières saoudiennes. Il priverait donc très facilement le marché mondial de 17 milliards de barils. Il ne le fera pas, mais cette menace constitue une force de dissuasion qui empêche les Etats-Unis d'envahir ou d'attaquer le pays. De plus, 90% des habitants du Golfe sont chiites, et pour l'heure sont sensibles à l'influence de l'Iran.


Soyons lucides : les Arabes, qu'il s'agisse des Palestiniens, des Egyptiens ou des Jordaniens, ont mené contre Israël un combat complètement inefficace. Seul le Hezbollah chiite, soutenu par l'Iran, a pu faire reculer les Israéliens. Les Arabes sont donc forcés de se tourner vers l'Iran, qui devient ainsi un empire par procuration, et qui excelle dans ce rôle. Le peuple iranien est intelligent, et sa civilisation est millénaire. Il est sans aucun doute beaucoup plus ouvert à la modernité que les Arabes. C'est un pays stratégiquement très patient qui calcule ses coups à long terme face à un ennemi américain incapable de planifier son action plus d'une semaine à l'avance. La situation pourrait se résumer ainsi : l'Iran est le pays le plus stable, le plus influent et le plus puissant du Moyen- Orient, et les Etats-Unis devront, ou bien le combattre pendant les trente années à venir, ou bien parvenir à un accord de coexistence. (...)


C'est un empire hybride, fondé à la fois sur un armement ultramoderne et sur une stratégie de guérilla et de guerre asymétrique. (...) L'Iran est parvenu à convaincre les Arabes qu'il est le seul à combattre le colonialisme. Le secret de l'Iran, c'est d'accorder à ses alliés, Hezbollah compris, du pouvoir et du respect. Ses agents ont formé Hassan Nasrallah à ne pas recevoir d'ordres, mais à compter sur ses propres forces et à s'affirmer comme leader autonome. Et Nasrallah ne reviendra pas là-dessus. (...) Ce système de délégation de pouvoir ne se fonde ni sur l'argent ni sur la contrainte, mais sur une foi partagée. Tel est le message iranien : seul l'Iran est capable de mettre fin à la domination occidentale au Proche-Orient. L'Iran représente donc, ne serait-ce que par défaut, le seul espoir crédible. (...)


Les Américains font preuve d’un aveuglement délibéré, au même titre que celui qui a conduit à la crise des subprimes. Il relève d'un optimisme sans aucun fondement, qui a également présidé à l'invasion de l'Irak, que même le New-York Times soutenait. Cet aveuglement est également le fruit d'une ignorance de toute la civilisation iranienne, qu'on réduit à la seule personne d'Ahmadinejad. A la sortie de mon livre aux Etats-Unis, on m'a pris pour un fou ! Mais je persiste à penser qu'il faut admettre de considérer l'Iran comme un interlocuteur valable, sous peine de devoir lui livrer une guerre de trente ans, ce que les Etats-Unis ne peuvent certainement pas se permettre. Il faudrait mobiliser un million d'hommes et dépenser jusqu'au dernier dollar. Et au nom de quoi, cette guerre ? De la démocratie ? Du sionisme ? Ce serait pure folie. Le golfe Persique s'embraserait, le prix du pétrole atteindrait les 400 dollars le baril, et l'économie américaine serait sous un nouveau choc. (...)


Malgré ses points faibles, l’Iran est un pays capable de mobiliser un million d'hommes : soldats de l'armée régulière (d'une remarquable efficacité), gardiens de la révolution, sans compter les milices chiites à l'extérieur qui lui permettent d'intervenir par procuration. Et beaucoup d'Iraniens, même les étudiants hostiles au régime, approuvent la politique étrangère de leur gouvernement. (...)


A Washington sévit un lobby politico-médiatique qui agite toujours le même discours. On ne fait que brandir la menace de la bombe iranienne, d'un nouvel Holocauste, avec Ahmadinejad comme épouvantail. (...) Je ne crois pas plus à la bombe iranienne que je n'ai cru aux armes de destruction massive de Saddam Hussein ! C'est toujours la même propagande. La guerre d'Irak a au moins eu le mérite de faire comprendre qu'il est impossible, ne serait-ce qu'économiquement, de créer un empire néocolonial. Elle a entraîné une diminution du pouvoir réel et du prestige des Etats-Unis dans le monde. A cet égard, la crise financière peut influer dans le bon sens la politique étrangère de mon pays. Car si les Etats-Unis vivent dans l'illusion de disposer d'un argent et d'un pouvoir illimités, cela conduit toujours à la catastrophe. »



Robert Baer, ex-agent de la CIA, auteur de "Iran : l’Irrésistible Ascension", interviewé par Le Nouvel Observateur, 18 décembre 2008