mardi, 22 mai 2012
Etats-Unis : Mitt Romney et le rétroviseur néoconservateur
Etats-Unis : Mitt Romney et le rétroviseur néoconservateur
Par *,
Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux (Affaires Internationales)
Ex: http://mbm.hautetfort.com/
Etats-Unis. Suite aux retraits successifs de Rick Santorum (10 avril 2012), de Newt Grinwich (3 mai) et de Ron Paul (14 mai) dans la course à l’investiture républicaine, Mitt Romney, ancien gouverneur du Massachusetts, est en passe de devenir le candidat officiel du « Parti de l’Eléphant ». Fort de son expérience d’ancien consultant en stratégie et de fondateur d’un fonds d’investissement, Mitt Romney a jusqu’alors critiqué le bilan de l’Administration Obama sur le plan économique. A l’approche des échéances électorales en novembre 2012, un éclairage mérite d’être fait sur son programme en matière de politique étrangère.
MITT ROMNEY est surtout connu pour ses qualités de manager et de financier dont il a fait preuve dans l’organisation des Jeux Olympiques d’Hiver de Salt Lake City en 2002. Engagé depuis 1994 en politique, il devient gouverneur du Massachussetts en 2002 au sein d’un bastion historique du Parti Démocrate. En 2008, il essuie un échec aux Primaires Républicaines en terminant en 3ème place derrière Mike Huckabee et John Mac Cain. En 2012, il est en position de force face à ses rivaux républicains et incarne l’unique espoir d’alternance pour son Parti, porté notamment à sa droite par les revendications des Tea Parties [1].
Mormon et francophone [2], Mitt Romney a été vivement critiqué au sein de son parti comme n’étant pas un véritable conservateur. Il est affublé du surnom de RINO [3] – ou républicain sur le papier – pour son côté « libéral » et progressiste dans le domaine des mœurs. Peu loquace sur les questions stratégiques et de défense, il a surtout attaqué le bilan de Barack Obama d’un point de vue économique et social, tout au long des primaires républicaines, en faisant valoir son expérience pratique de la vie économique américaine.
Pourtant, à mesure que la campagne des primaires républicaines progresse, il commence à prendre aussi position sur les enjeux internationaux et dévoile progressivement sa stratégie pour remettre « l’Amérique au leadership du 21ème siècle ». A l’instar des hommes providentiels auxquels il fait constamment référence - Lincoln, Eisenhower & Reagan -, il croit à la « destinée manifeste » des Etats-Unis et affirme que la puissance des Etats-Unis et la stabilité du Monde sont inextricablement liées. Il compare le Président B. Obama à Jimmy Carter et se voit en incarnation moderne de Ronald Reagan qui aurait la capacité d’instaurer la « paix par la force ». Dans la lignée des faucons néoconservateurs, il exprime une vision globalement binaire et manichéenne du Monde, qui ressasse les thèses du clash des civilisations de Samuel Huntington.
Faire du 21ème siècle « un siècle américain »
Au sein de son Livre Blanc [4], Mitt Romney identifie clairement les menaces probables : la montée en puissance de l’Asie (Chine & Russie), le fondamentalisme Islamique, les conséquences des Révolutions Arabes, le risque d’implosion des Etats faillis et la menace présentée par les « rogue States ». Pour faire du 21ème siècle « un siècle américain », il est nécessaire selon M. Romney de raffermir les liens, distendus par l’Administration Obama, avec les alliés traditionnels (ex : Israël), d’adopter une ligne plus dure face aux ennemis désignés (ex : Iran et Russie) et de redresser la puissance américaine sur les plans économique, militaire et stratégique.
Malgré quelques hésitations au début de la campagne, la « fermeté » constitue dorénavant l’alpha et l’oméga de la politique étrangère de M. Romney. Il tente ainsi de se démarquer des positions de B.Obama, qu’il dépeint comme irresponsable dans sa décision de se retirer d’Afghanistan en 2014. Par le passé, Mitt Romney a été critiqué pour la modération de son soutien porté aux troupes en opérations extérieures. Son inconstance en matière de questions stratégiques lui a d’ailleurs valu le sobriquet de « girouette » par les journalistes américains. Par exemple, il a émis des réserves publiques sur le budget alloué à la capture de Ben Laden avant de se féliciter publiquement de son décès et d’affirmer que « même Jimmy Carter l’aurait capturé » [5].
Dans le but de couper court aux propos de ses détracteurs, Mitt Romney s’est entouré d’une équipe d’experts issue du carcan traditionnel du Parti Républicain. Pour la plupart en activité sous les présidences de G. Bush Sr et de G.W Bush, l’équipe de conseillers de Mitt Romney rassemble quelques figures emblématiques des théoriciens néoconservateurs, tel que les historiens Robert Kagan et Eliot Cohen, les diplomates de renom Richard Williamson et Mitchell Reiss ou encore des anciens responsables du renseignement comme Michael Chertoff, Michael Hayden et Coper Black [6].
Les priorités stratégiques de Mitt Romney : « a new big stick policy »
Dans sa stratégie de retrait d’Afghanistan, M. Romney s’interdit de négocier avec les Talibans [7] et promet de retirer les troupes de façon prudente, en prenant en compte les recommandations opérationnelles des commandants militaires. Le cœur de sa critique à l’encontre de B. Obama réside dans l’instrumentalisation politicienne du retrait, dont il accuse son adversaire démocrate, et de l’abandon supposé de la population afghane au joug des Talibans. Toutefois, le récent accord signé entre B. Obama et H. Karzaï, sur l’ « après 2014 » en Afghanistan, est susceptible de prouver à l’opinion publique que B. Obama entend promouvoir la stabilité à moyen terme en Afghanistan et prive en même temps Mitt Romney de son argument central.
Par ailleurs, M. Romney s’est récemment attiré les foudres du Kremlin en désignant la Russie comme « l’ennemi numéro 1 » des Etats-Unis [8]. Il dénonce la stratégie de « flexibilité » de B. Obama qui nuit aux intérêts américains, en particulier sur le dossier de la défense anti-missile ou celui du désarmement nucléaire (Traité New Start 2010). Concernant l’Iran, Mitt Romney est favorable à une intensification des sanctions économiques (5ème round) et considère comme parfaitement crédible l’option militaire en territoire iranien. En cela, il est peu ou prou aligné sur la position du gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu, qui affirme que laisser l’Iran enrichir son uranium correspond à signer l’arrêt de mort de l’Etat hébreu.
En désaccord total avec l’ouverture politique de B. Obama au monde arabe (exprimée dans le fameux discours du Caire 2009), il a promis de faire son premier déplacement en tant que Président des Etats-Unis dans la ville de Jérusalem, considérée comme capitale incontestable d’Israël. Peu attaché à la diplomatie multilatérale, il a parallèlement menacé de bloquer les fonds américains alloués aux Nations-Unies, si ces derniers venaient à reconnaître ipso facto l’Etat palestinien.
L’outil militaire est un élément central dans la vision des relations internationales de Mitt Romney. Le réarmement des Etats-Unis est, par conséquent, une priorité indiscutable [9]. Il s’oppose en cela frontalement avec la stratégie de coupures dans le budget américain opérées par l’Administration Obama.
Promue par l’Administration Obama, la réduction du budget de défense américain devrait s’élever à 487 milliards de dollars dans les 10 ans à venir. Pour Mitt Romney, ces coupes amputent les capacités militaires américaines et participent à une politique d’affaiblissement général des Etats-Unis. Le remède préconisé par Mitt Romney réside dans la constitution d’un budget irréductible de 4% du PIB alloué à la Défense et des investissements capacitaires importants dans la défense (notamment dans la Marine) afin de redresser la puissance militaire américaine.
Pour autant, la sauce ne prend pas. On comprend aisément pourquoi Mitt Romney n’insiste pas sur ces questions, à la vue des sondages récemment publiés par The Washington Post et ABC News. En matière d’affaires internationales, les citoyens américains font confiance à 53% à B. Obama contre 36% à M. Romney [10]. Le retrait des troupes d’Afghanistan devient une priorité fondamentale pour les citoyens américains et les velléités bellicistes des conseillers de Mitt Romney sont relativement mal perçues par l’électorat américain.
Conclusion
Après avoir tiré les leçons des primaires de 2008, Mitt Romney a fait montre de toute son habileté politique lors des primaires de 2012. Jugé trop libéral sur les questions sociales, il a intentionnellement durci son discours afin de récupérer les voix des électeurs les plus conservateurs.
En temps de paix, la même stratégie pourrait s’avérer payante sur les questions internationales. Dans la situation actuelle, c’est tout le contraire : après les traumatismes irakien et afghan, l’opinion publique n’est pas prête à l’engagement des forces américaines dans un autre conflit d’envergure. Alors, M. Romney, sous influence de ses conseillers néoconservateurs, ressort la rengaine chère aux Républicains de la critique acerbe de la « mollesse démocrate » comparant B. Obama à J. Carter.
Une nouvelle fois, M. Romney est dans l’obligation de se confronter au principe de réalité [11] : depuis 4 ans, B. Obama n’a pas lésiné sur l’utilisation de l’outil militaire comme le prouve, entre autres, sa décision du renfort afghan en 2009 (« the Surge ») ou l’approbation de l’opération des « Navy Seals » visant O. Ben Laden. Sans expérience de gestion de crises internationales, le prix Nobel de la Paix 2009 a passé avec brio son épreuve du feu et prouvé ses qualités de « chef de guerre », comparables à un Theodore Roosevelt et aux antipodes d’un Jimmy Carter.
En qui concerne les questions internationales, M. Romney est donc pris au piège. S’il adopte une position trop dure et trop belliciste - en somme néoconservatrice - vis-à-vis des « rogue states », il risque d’effrayer de nombreux électeurs qui ne veulent pas d’un nouvel engagement militaire. S’il n’arrive pas à se différencier suffisamment de la politique étrangère menée actuellement par B. Obama, les électeurs choisiront sans doute l’original à la copie.
Dès lors, on comprend mieux pourquoi Mitt Romney préfère concentrer la quasi intégralité du débat politique sur les questions intérieures. Joe Biden, Vice-Président des Etats-Unis, a bien compris le dilemme dans lequel se trouvait le candidat républicain en affirmant le 27 avril 2012 : « Si Mitt Romney a une vision de politique étrangère, c’est en regardant dans le rétroviseur ».
Copyright Mai 2012-Coulon/Diploweb.com
Plus
Voir sur le Diploweb.com l’article d’Amy Green, "Etats-Unis - Clash des générations. Les Baby Boomers vs. les Millennials : vers une véritable révolution dans la politique américaine ?" Voir
Voir sur le Diploweb.com l’article de Mehdi Lazar, "(re) Lire Huntington : ce que "Le choc des civilisations" nous apprend des Etats-Unis et de l’administration Bush jr", Voir
Voir le Diploweb.com l’entretien de Jean-François Fiorina avec Olivier Zajec, "Etats-Unis : quelles perspectives stratégiques ?" Voir
[1] En référence à la Boston Tea Party (1773), ils désignent un mouvement politique antiétatique qui dénonce les dépenses gouvernementales et les levées fiscales effectuées par l’Administration Obama depuis 2009.
[2] Il a effectué un séjour de 2 ans et demi en France (Nantes et Bordeaux) en tant que missionnaire mormon lors de sa jeunesse. Il garde l’image d’un pays archaïque et peu enclin au changement. « L’Amérique de Mitt Romney ». Soufian Alsabbagh. Editions Demopolis 2011 p 35.
[3] RINO : Republicans In Name Only.
[4] Livre Blanc de Mitt Romney « An American Century : A strategy to secure America’s enduring interests and ideals » (octobre 2011). mittRomney.com/sites/default/files/shared/AnAmericanCentury-WhitePaper_0.pdf
[5] edition.cnn.com/2012/04/30/politics/campaign-wrap/index.html (consulté le 01-05-2012)
[6] Liste exhaustive des conseillers disponible sur le site officiel de M.Romney : mittromney.com/blogs/mitts-view/2011/10/mitt-romney-announces-foreign-policy-and-national-security-advisory-team
[7] Cette intransigeance –digne de John Bolton (ancien ambassadeur américain aux Nations Unies)- lui a valu de se brouiller avec certains de ses conseillers, comme James Shinn, auteur de « Afghan peace talks : a primer » (Rand Corporation, 2011), qui considèrent qu’une solution politique viable au conflit afghan ne peut faire l’impasse sur la négociation avec les Talibans. nytimes.com/2012/05/13/sunday-review/is-there-a-romney-doctrine.html ?pagewanted=1#
[8] thehill.com/video/campaign/218201-Romney-calls-russia-our-no-1-geopolitical-foe (consulté le 01-05-2012)
D. Medvedev a réagi expressément en demandant à ce que « chacun utilise sa tête et consulte sa raison quand il s’exprime en public, ainsi qu’il vérifie la date : nous sommes maintenant en 2012 et pas au milieu des années 70 ».
[9] mittRomney.com/blogs/mitts-view/2011/10/fact-sheet-mitt-Romneys-strategy-ensure-american-century
[10] cbc.ca/news/world/story/2012/04/18/us-Romney-foreign-policy.html (consulté le 02-05-2012)
[11] Clip de Campagne du Parti Démocrate contre la politique étrangère de Mitt Romney « Mitt Romney Versus Reality » : youtube.com/watch ?v=VrfxymxuyxA
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