vendredi, 23 novembre 2012
Quand la Chine divise pour régner
“M.”/ “ ’t Pallieterke”:
Quand la Chine divise pour régner
Tant l’Europe que les Etats-Unis et la Chine sont confrontés aujourd’hui à des problèmes de prise de décision politique. Comment agencer cette prise de décision pour faire face aux problèmes de l’heure? Comment la couler en un récit compréhensible pour les électeurs ou les citoyens? La Chine, en tout état de cause, est le pays qui nous suggère les méthodes et le récit les plus intéressants. Il y a passation du pouvoir au moment où sévit une crise économique. Le fait est que les Chinois ne sont nullement désemparés: en témoigne la façon dont ils essaient d’augmenter leurs liens commerciaux avec les pays européens.
Obama a certes été envoyé pour la seconde fois à la Maison Blanche mais d’autres élections récentes ont suscité un “Congrès divisé” comme on dit dans les médias. Ce fait rend toute prise de décision difficile à Washington. Mais les choses sont-elles plus sereines, plus aisées, en Europe? La prise de décision, du moins au niveau européen, se voit considérablement freinée par la nécessité d’un consensus entre tous les participants à la table de négociations. Certaines décisions sont imposées au 27, quasiment à l’arraché, mais elles suscitent alors bien des frustrations.
En Chine, nous observons un tout autre tableau. Au cours des dernières années écoulées, le parti communiste chinois a pu se maintenir dans un pays pourtant en pleine mutation. Un nouvel encadrement politique semble vouloir s’imposer, c’est bien connu, mais on ne sait pas trop comment mettre cette volonté de changement en oeuvre. Pour l’analyste George Friedman du fameux institut texan “Stratfor”, nous sommes face à une réalité commune en Europe, en Chine et aux Etats-Unis, les trois pôles étant confrontés à un problème de prise de décision politique. Cependant, malgré le “Congrès divisé” à Washington, les Américains, sur l’autre rive de l’Atlantique, sont finalement mieux lotis que les Européens.
La situation économique en Europe ne cesse de péricliter. Selon toute vraisemblance, l’UE terminera l’année 2012 avec une croissance économique négative de 0,3%. Dans l’eurozone, ce sera même 0,4%. La Chine aussi fait face à un mauvais bilan économique. En soi, les chiffres de la Chine font saliver tous les Européens d’envie; pourtant, pour les normes chinoises, ce mauvais bilan constitue un solide ressac. Et c’est juste en ce moment crucial que le pays change d’équipe dirigeante. C’est une procédure connue, en principe gérable, mais elle n’est jamais survenue dans un tel contexte économique. Aux Etats-Unis, on constate certes une croissance économique modeste. Mais, pour l’Europe, comme les Etats-Unis connaissent quelques difficultés d’ordre politique, ces faibles succès économiques américains ne provoquent pas de grands dommages psychologiques: les Européens n’ont pas leurs nuits agitées de cauchemars. Les Européens conçoivent l’Etat différemment que les Américains. En Europe, la notion d’Etat prend une place plus importance dans la société. Tout dysfonctionnement de la machine Etat est perçu autrement en Europe qu’aux Etats-Unis.
Une période de crise
Examinons maintenant la situation chinoise, la plus intéressante des trois. A peine vingt-quatre heures après les élections américaines s’est ouvert le 18ème Congrès national du PC chinois, où 2270 délégués élisent les 370 membres du Comité central qui, à leur tour, choisissent une vingtaine de membres du Politbureau, après quoi neuf personnalités (et peut-être moins) seront désignées pour faire partie d’un comité exécutif (qui exercera le véritable pouvoir). Toutes les décisions importantes sont ainsi prises à l’avance (et là, des balises à la démocratie totale sont installées...), comme Lénine et Mao l’ont voulu. A la différence des Etats-Unis, où l’on attendait avec impatience pour savoir qui allait emporter le poste de président, on savait déjà en Chine que Xi Jinping serait le nouvel homme fort de la République populaire.
On sait aussi à Beijing que la nouvelle direction sera confrontée à une longue période de crise, qui s’étendra sur plusieurs années. Ce qui est moins évident, c’est l’ampleur des problèmes.
Pour autant que nous puissions disposer de chiffres fiables, la communication est très sélective. Personne ne conteste que les défis sont gigantesques. La population urbaine s’est accrue au cours de ces dernières années pour atteindre le chiffre hallucinant de 480 millions d’âmes. Par conséquent, la moitié de la population chinoise habite désormais dans des villes, souvent tentaculaires. Les zones rurales approchent ce qu’il est convenu d’appeler le “Point Lewis” (du nom de l’économiste William Arthur Lewis), c’est-à-dire le moment où le travail bon marché et abondant issu des seules campagnes cesse d’être disponible. Même avec leur machine politique hyperperformante, les Chinois auront de réelles difficultés à maîtriser ce problème.
Une nouvelle Europe
Les temps difficiles ne doivent induire aucune politie à demeurer inactive, à conserver ses vieilles routines. Et les Chinois ne font aucun sur-place. On en veut pour preuve la façon dont les Chinois approchent l’Europe depuis quelque temps. Cette tentative d’approche de la part de la Chine doit nous intéresser au plus haut point, vu que bon nombre d’économistes estiment aujourd’hui que la Chine est plus importante que les Etats-Unis pour l’avenir de l’Europe. Depuis un certain temps déjà, la Chine est le principal partenaire commercial du bloc européen. Mais au sein de ce bloc, il y a des différences et des divergences bien visibles, écueils auquel Beijing veut apporter une solution. Il y a quelques semaines, un colloque important s’est tenu dans la capitale chinoise, auquel participaient seize pays d’Europe centrale et orientale. Les autres pays membres de l’UE n’avaient pas été invités. Cette initiative est emblématique de la manière dont les Chinois établissent des “contacts” avec l’Europe. Ils s’adressent à des Etats individuellement et négligent totalement les institutions de l’UE. Ce n’est évidemment pas du goût de la Commission européenne, mais celle-ci demeure impuissante face au fait accompli que créent en permanence les Chinois. Dans une déclaration, prononcée sur le ton de la prudence, Lady Ashton, responsable de la politique extérieure de l’UE, a fait clairement comprendre que l’Europe devait être considérée comme une seule et unique plateforme, mais ses propos n’ont guère été pris en compte à Beijing, ... comme d’habitude...
La stratégie chinoise est bien pensée, avertissent les analystes de la politique internationale. Le rapport de force qui s’établit entre la Chine et un seul pays européen est bien entendu très différent d’un rapport de forces où la Chine serait confrontée à une Union de 27 Etats. La stratégie des entreprises chinoises et leur volonté de s’implanter cadrent bel et bien dans une vaste stratégie visant à servir les intérêts de la Chine. Exemple: la Chine achète de plus en plus d’éléments dans le port d’Athènes, Le Pirée. Exactement comme, il y a quelques années, l’ex-ministre américain Rumsfeld faisait la différence entre la “vieille Europe” et la “nouvelle Europe” (c’est-à-dire l’Europe centrale et orientale), les Chinois opèrent aujourd’hui la même distinction.
“M.”/ ‘ Pallieterke, Anvers, 14 novembre 2012.
00:05 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, diplomatie, politique internationale, chine, asie, affaires asiatiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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