dimanche, 20 novembre 2016
Petit monarque et catacombes de Olivier Maulin
Petit monarque et catacombes de Olivier Maulin |
Critique de Pascal Magne
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Olivier Maulin, né en 1969, est écrivain. Il a été sacré "Prince des poètes" en novembre 2009. Il a publié récemment En attendant le roi du monde (L’Esprit des Péninsules, 2006), Les évangiles du lac (L'Esprit des Péninsules, 2008), Derrière l'horizon (L'Esprit des Péninsules, 2009).
Olivier Maulin, Petit monarque et catacombes, Paris, Balland, L'Esprit des péninsules, octobre 2009, 286 pages.
Présentation de l'éditeur.
Palais de l'Elysée, 1992. Le président Mitterrand est malade, le régime usé. Rodolphe Stockmeyer, jeune dilettante, y effectue son service militaire, entouré d'une galerie de personnages hauts en couleur. Tandis qu'éminences grises et autres chargés de mission se débattent dans les affres de la basse politique, les couloirs du palais bruissent bientôt d'une surprenante nouvelle, celle du retour imminent du roi... Après En attendant le roi du monde et Les Evangiles du lac, Petit Monarque et Catacombes mêle avec brio humour féroce, satire politique et nostalgie d'un monde antérieur à la grande catastrophe, celle du désenchantement généralisé.
La critique de Pascal Magne. - Le choc du mois, n°35, novembre 2009.
Maulin l'enchanteur. En attendant le roi du monde, son premier roman, avait réuni dans un même élan enthousiaste les critiques littéraires Jean-Claude Lebrun de L’Humanité et Christian Authier du Figaro Magazine, avant de remporter le prix Ouest France/Étonnants Voyageurs, en 2006. Autre exploit qui n’est pas près de se reproduire : Olivier Maulin avait réussi le prodige de réconcilier Points de vue et la revue Éléments ! Chapeau bas pour quelqu’un dont le manuscrit fut tout d’abord oublié dans un tiroir par Éric Naulleau, le patron des éditions L’Ésprit des Péninsules, l’alter ego d’Eric Zemmour dans l’émission « On n’est pas couché ». Il fallut une lettre d’insultes maulinesque en diable pour réveiller l’homme de lettres de sa torpeur, qui s’exécuta ensuite de bonnes grâces après avoir reconnu le talent du bonhomme. La publiera-t-on un jour cette lettre ? Il y a prescription.
À l’heure de clore (définitivement ?) sa trilogie avec la parution le mois dernier de Petit monarque et catacombes, toujours aux éditions L’esprit des Péninsules, et de partir vers d’autres horizons littéraires, notamment le roman policier, Olivier Maulin a eu la gentillesse de bien vouloir nous livrer quelques clés pour que les lecteurs du Choc du mois ne tombent pas tous de leur chaise en le lisant pour la première fois. Avis de tempête aux lecteurs distraits : la lecture de Maulin l’enchanteur est fortement déconseillée aux pisse-vinaigre et autres fesse-mathieu, qui se piquent de littérature. Scandales, cris d’orfraies et hululements moralisateurs assurés dès la troisième page… Faut reconnaître, c’est du brutal!
Maulin, c’est la puissance de feu d’une grosse farce poétique avec des personnages échappés de Voyage au bout de la nuit, et les flingues de concours d’un A.D.G. ou d’un Michel Audiard. Avec en prime, le goût des solstices païens, des bacchanales romaines et des banquets grecs à faire rougir les zombies de la gay-pride et tous les « mutins de Panurge » du Marais et de San Francisco réunis. La quarantaine venue, notre satiriste a fait sienne la remarque de l’écrivain colombien Nicolas Gomez Davila, auteur du trop peu connu Le Réactionnaire authentique : « Dans la société qui s’esquisse, même la collaboration enthousiaste du sodomite et de la lesbienne ne nous sauvera pas de l’ennui ». Comme dirait Suzy Fuchs : « Tu sais, il faut que tu comprennes une chose, c’est qu’on n’est pas des hippies pourris qui pensent que les esprits sont tous gentils. Nous, on sait qu’ils peuvent être terribles. Pigé ? » À l’instar de Lucien, le héros qui inspire ce triptyque anarchiste et royaliste, Maulin prône dans ses romans l’harmonie dans la débauche. C’est un symposiarque qui veut bien utiliser ses vices dans ses romans pour accéder à un état qui les transcende. « Il faut mettre du rite partout, sinon on est foutus », ne cesse d’affirmer ses personnages dans ses romans.
Comme ses illustres devanciers, Olivier Maulin n’a pas le cœur sec ni le cul serré quand il écrit. Il a la plume drôle, voire acide, et un talent de dialoguiste indéniable, que lui reconnaissent même ses détracteurs les plus acharnés. Ses héros ressemblent à s’y méprendre aux clochards célestes et aux perdants magnifiques, chers à l’ami Blondin. Ils ont d’ailleurs l’insulte abondante et le coup-de-poing facile devant la connerie contemporaine, surtout quand ils ont ingurgité quelques ballons de gentiane et pintes de bière. Mais pas que… Certains de ses personnages les plus exaltés ne répugnent pas aussi à passer à l’action directe contre les marchands du temple, aux coups d’État qui finissent mal et aux restaurations royales fantasmées. Il faut dire que Maulin est ouvert à tous les fanatismes pour la résurrection du Grand Pan. Chez cet Alsacien particulièrement attachant, l’ogre rabelaisien a décidé une fois pour toutes d’écraser le cartésien. Sa famille littéraire a des racines profondes qui plongent au cœur de l’Europe buissonnière : de l’anarcho-communiste tchèque Jaroslav Hasek, écrivant le burlesque Brave Soldat Chvéïk, à l’anarcho-païen finlandais Arto Paasilinna, inoubliable auteur du Lièvre de Vatanen. Comme eux, Maulin redoute par-dessus tout le désenchantement généralisé de la société occidentale. Son remède ? « Le retour du sacré et de l’oint royal ».
Maulin n’a jamais caché son inclination pour l’imaginaire et la langue médiévale. Qui est-il au juste? « Un chrétien paillard médiéval à la Léon Bloy, aimant le guignol et le grand style », nous a-t-il avoué après avoir vidé une bouteille d’un honnête picrate. Sous le sceau de la confidence, il a même parlé de la décadence de l’Europe, qu’il date du xve siècle, « à peu près l’époque où le peuple a cessé de danser dans les cimetières », amorçant selon lui une longue descente « vers l’ennui mortel et la civilisation bourgeoise ». Pourquoi pas, après tout… La littérature contemporaine ne l’inspire guère. Dans un récent entretien accordé à la revue Éléments, il avait même lâché, comme soulagé, qu’il n’en lisait plus pour se consacrer à présent exclusivement à la lecture de vieux ouvrages de fabrication de cloches d’églises, de livres pratiques sur l’élevage de porc et de vieux traités d’équitation à l’usage de la cavalerie française. Dont acte. Que dire de ses romans ? Il ne voit que cette phrase, de Davila toujours : « Le pur réactionnaire n’est pas un nostalgique qui rêve de passés abolis, mais le traqueur des ombres sacrées sur les collines éternelles ».
« C’est elle qui avait eu cette idée foireuse. Elle était d’origine portugaise et comme les choses n’allaient pas brillamment à Paris, elle avait pensé “rentrer au pays”. Cette conne m’avait transformé en immigré ». Le ton est donné. Avec son premier roman, En attendant le roi du monde, Maulin explorait les dédales de la tradition lusitanienne. En toile de fond ? Dom Sébastien, le roi caché qui restaurera le destin du Portugal pour établir le cinquième empire. Mais avant de se mettre en quête d’un roi qu’ils n’avaient d’ailleurs jamais eu l’idée de chercher auparavant, Romain et Ana vont échouer dans une pension de famille miteuse de Lisbonne. Rencontrer Dulce, une pétulante nymphomane, et Cécile qui aboie quand on la baise. Faire la connaissance de Pépé, un ancien colon d’Angola cloué sur son fauteuil roulant qui tape des fados à faire pleurer des bars entiers. Puis tomber sur Lucien, un grutier qui se prend pour un chaman, et parle en direct et sans intermédiaire avec le baron Roman Fédorovitch von Ungern-Sternberg. Lui, il voyage dans le monde des esprits dès qu’il fait l’amour. Le lecteur ne s’étonnera donc pas de croiser des anges pourchassés par une meute de cavaliers bouriates ni George Bush manquer de s’étrangler en avalant un bretzel. En le lisant, les puceaux pourront toujours apprendre quelques positions originales dans la partouze finale.
Prévenons les prudes derechef de jeter un voile pudique sur les pages décrivant la rencontre avec les esprits de la forêt dans le deuxième opus, Les Évangiles du Lac. Paru en 2008, ce roman d’initiation burlesque suit les pérégrinations d’un publicitaire trentenaire parisien, lassé par la vie de bureau, qui fait l’apprentissage du recours aux forêts le temps d’un week-end à Kruth, une petite bourgade des Vosges alsaciennes. Il y a aussi l’abbé Nonno, un curé de choc, en rangers, qui pensent que « c’est cuit depuis ce laïcard de Philippe le Bel », Suzy la païenne qui jette des crapauds dans les bûchers de la Saint-Jean en criant : « Tournez, tournez, cabus. Devenez aussi gros que mon cul », Fifty-Fifty « sept générations sur les rails dont trois dans le contrôle », disciple de Fourrier et mystiques du rail, un Grec, un écureuil et un simple d’esprit. Troisième et dernier tome, Petit monarque et catacombes nous plonge dans la mitterrandie finissante. Nous sommes en 1992. Rodolphe Stockmeyer, appelé deuxième classe, fils de vigneron, effectue son service militaire comme loufiat au vestibule d’honneur, au Palais de l’Élysée. La planque est bonne: il observe le président Mitterrand traîner son cancer dans un château à la dérive, en éclusant quelques bouteilles de Romanée Conti. Reste le point d’orgue, une scène qu’on lit et relit, une fois, deux fois en riant, dix fois en rêvant qu’elle se produise un jour :
« – Agence France Presse, bonjour, a dit une voix.
– Bonjour Monsieur, a répondu Pierrot. Je vous appelle pour vous communiquer une information de la plus haute importance.
– Je vous écoute.
– Alors voilà. Ce matin très tôt, il y a eu un coup d’État à l’Élysée…
Quelques secondes de silence du côté de l’AFP…
– Un coup d’État à l’Élysée ?
– C’est ça.
– Ne quittez pas.
Au bout du fil, des bruits de combiné et des murmures étouffés pendant une minute…
– Un coup d’État, donc… Vous pouvez m’en dire plus.
– Bien sûr. Avec la complicité de la garde républicaine, un petit commando dont j’ai l’honneur de faire partie a rétabli le roi sur le trône de France, à l’aube, sans tirer un seul coup de feu ni verser une goutte de sang.
– Bonne nouvelle, a dit le type. C’est une super info, les gars. Et comment il s’appelle votre roi ? Louis XXVI ?
– Bois-Bois Ier.
– Bois-Bois… Ier ? »
14:49 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : olivier maulin, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, livre | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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