Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 19 février 2019

La réponse aux Gilets jaunes? L’impératif d’une même règle pour tous

CHANTAL DELSOL.jpg

La réponse aux Gilets jaunes? L’impératif d’une même règle pour tous

par Chantal Delsol*

Ex: http://www.zeit-fragen.ch/fr

La concorde ne sera rétablie que si les mêmes principes s’appliquent à tous les Français en matière de travail, de retraite et d’avantages sociaux, argumente le professeur de philosophie politique.

 

On a l’impression de ne pas bien comprendre au juste ce que veulent les Gilets jaunes, ni pourquoi le mouvement continue alors que le gouvernement a déjà concédé beaucoup et fait des efforts en termes de concertation. Pourtant, un mouvement de cette ampleur, aussi durable et aussi profond (appuyé par une majorité de la population), ne doit rien au hasard ni au caprice. Il vient de loin, et Emmanuel Macron hérite probablement aussi des négligences de ses prédécesseurs. Il est alarmant, parce que c’est un drame social révélant des fractures de longue date, bien installées dans le paysage, et mortifères.

On peut s’étonner de voir les occupants des ronds-points réclamer la justice sociale, le partage, davantage d’égalité entre les plus riches et les plus pauvres. La France est sans doute le pays du monde où il y a le plus de redistribution. Plus de la moitié de la population (ce qui est énorme) n’y paye pas d’impôts sur le revenu. Tous les habitants, citoyens ou non, y bénéficient de l’école gratuite, de la santé gratuite et de toutes sortes d’autres services qu’il serait trop long d’énumérer. Beaucoup de citoyens du monde rêveraient d’être français. Alors on pense au paradoxe de Tocqueville:1 plus votre société est égalitaire, plus vous ressentez la moindre inégalité comme insupportable.
Il faut pourtant aller plus loin. L’inégalité qui engendre la révolte n’est pas seulement celle du porte-monnaie, mais celle des statuts, des avantages, des sécurités, des préséances. Disons-le: des privilèges. On dirait bien que la société des réseaux sociaux a révélé l’ampleur des corporatismes. C’est là que s’incarne le mépris de classe. C’est là que surgissent le malaise et les revendications.


Car la France n’est pas seulement un pays monarchiste, où le présidentialisme ne cesse de s’accroître au détriment du gouvernement et des assemblées, et où le président vient d’arracher aux collectivités locales la dernière autonomie qui leur restait: la possibilité de lever un impôt, en l’occurrence la taxe d’habitation. La France est de surcroît un pays dans lequel un quart des habitants bénéficient de régimes corporatistes, obtenus au fil des 75 ans qui nous séparent de la guerre et grâce notamment aux Trente Glorieuses. Les avantages de ces systèmes sont parfois exorbitants, toujours intéressants, en tout cas intouchables et dissimulés. Le premier avantage, et non le moindre, étant l’emploi garanti.
Les bénéficiaires des corporations travaillent souvent moins, voire beaucoup moins que les autres, ne risquent pas le licenciement et bénéficient de protections de tous ordres. Le sommet de ce système étant la classe mandarinale, qui, ayant réussi un concours vers l’âge de 25 ans, reçoit de l’Etat un salaire à vie avec tous les avantages attenants, même hors périodes de travail. Depuis le tournant du XXe au XXIe siècle, cette classe est devenue une caste – les chiffres montrent depuis cette période que contrairement à ce qui se passait auparavant, il faut désormais être fils de mandarin pour avoir vraiment des chances de le devenir soi-même. La révolte des Gilets jaunes face au salaire de Mme Jouanno2 était la partie émergée d’un iceberg.


L’autre caractéristique de ces corporatismes, c’est le secret: ils sont entourés de silences et de ténèbres. Il est probable qu’une sorte de honte saisit Bercy à l’idée de dévoiler le coût énorme de ces emplois à vie, tous avantages additionnés. C’est si peu démocratique. C’est si digne d’une oligarchie bananière. Le secret évidemment encourage toutes les fausses informations: chaque avantage qu’on révèle en suppose mille autres qu’on ignore et mille autres qu’on invente – ce qui alimente les «fake news», c’est moins la sottise populaire que l’opacité des privilèges. Les Gilets jaunes savent, en tout cas, qu’au moment où l’Etat est surendetté et ruiné, un groupe de chanceux, dont on peut discuter l’ampleur, vit confortablement sans crainte du chômage ni du lendemain, peut demander un emprunt à la banque ou aller chez le dentiste sans état d’âme.


C’est sans doute d’un mouvement salutaire qu’Emmanuel Macron s’était saisi [au printemps 2018] de la question du statut des cheminots, lequel représente l’un des exemples du corporatisme français. L’idée était bonne, mais il aurait fallu commencer par le haut! L’autorité ne peut pas décider de priver le système de certains avantages indus, sans commencer par s’en priver elle-même. C’est le b.a.-ba du commandement. Faute de quoi, on court à l’échec. Et dans le cas précis, s’étend encore la guerre des classes.
Certaines mesures ont été prises dans ce sens, traduisant bien la volonté du pouvoir en place. J’ai constaté personnellement, à ma grande satisfaction, que dans les premiers mois après l’élection présidentielle, il avait été donné ordre de supprimer l’abonnement SNCF gratuit à vie (en première classe, naturellement) pour les parlementaires honoraires – exemple d’un avantage injustifié et injuste qui ne doit pas être indolore à la nation. Encore un effort, Monsieur le Président!


Les samedis à la figure révolutionnaire auxquels nous assistons depuis deux mois racontent la fureur d’une population qui voit lever d’énormes impôts pour financer des corporatismes. Alors que les impôts devraient servir, comme dans tous les pays alentour, à financer les services publics, ici devenus indigents à force de surendettement. La revendication de démocratie n’est pas seulement liée au Référendum d’initiative citoyenne, mais à la suppression des privilèges.


C’est probablement en partie pour cette raison que l’élite française est si réservée devant cette révolte – et en privé, si méprisante. Elle commence à comprendre que c’est elle-même qui est mise en cause, non dans son autorité, mais dans ses passe-droits. Tu trembles, carcasse! Aux premiers jours du conflit, et pour l’enterrer dans l’œuf, elle avait commencé à proposer quelques allocations supplémentaires: on se rappelle un responsable politique annonçant que dans certaines écoles on servirait un petit déjeuner aux enfants… pathétique! Les occupants des ronds-points sont des gens qui travaillent et ne veulent pas mendier. Ils demandent juste que l’argent des impôts soit utilisé au bon endroit.


Notre élite, depuis qu’elle a abandonné le marxisme, ne porte plus le peuple aux nues et même ne le défend plus guère. Elle ne voit plus en lui une foule d’opprimés portant l’avenir du monde, mais une population de «petits Blancs», de poujadistes revanchards et frustes, plus proches de l’électorat Le Pen que du glorieux prolétariat d’antan. D’où sa réserve.
Il est aujourd’hui savoureux de voir les médias les plus à gauche prendre le parti de l’Ordre. Les clivages idéologiques périmés ont été remplacés par des antagonismes de classe. Le malheur est que si les premiers portent au moins des convictions, les seconds sont carrément répugnants. Il nous faudrait au plus tôt une nuit du 4-Août.3 Ce serait la vraie réponse aux Gilets jaunes.    •

*    Chantal Delsol, née en 1947 à Paris, est historienne, philosophe et écrivaine française. Docteur ès lettres (1982), elle est actuellement professeur
 de philosophie à l’Université Marne-la-Vallée. En 1993, elle fonde l’Institut Hannah Arendt et en 2007, elle est élue membre de l’Académie des Sciences morales et politiques fondée en 1795. Depuis les années 1980, elle a publié de nombreux essais et quatre romans, dont certains sont disponibles en langue allemande.

Source: © Chantal Delsol/Le Figaro du 15/1/19

Notes de la rédaction:

1    Alexis de Tocqueville (1805–1859), philosophe, historien et politicien français, a mis au jour divers paradoxes sociaux dans son ouvrage de 1830 intitulé «De la démocratie en Amérique».
2    Chantal Jouanno, née en 1969, est une politicienne française. Après une maîtrise d’administration économique et sociale et un diplôme de Sciences Po, elle entre à l’Ecole nationale d’administration (ENA) en 1997. Par la suite, fut collaboratrice de Nicolas Sarkozy, secrétaire d’Etat, ministre des Sports et sénatrice. En mars 2018, Emmanuel Macron la nomme présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP). Dans cette position, elle est chargée par l’exécutif de coordonner le «grand débat national» voulu pour répondre au mouvement des Gilets jaunes. Quelques jours avant le début de ce grand débat, elle se retire de son pilotage à la suite des critiques avancées envers son salaire de 15 000 euros par mois.
3    La «nuit du 4 août 1789» est la séance de l’Assemblée nationale constituante à Versailles. Suite aux révoltes dans les campagnes, à la prise de la Bastille le 14 juillet 1989 et aux pressions exercées par la population, le Parlement décida de l’abolition des privilèges des ecclésiastiques, des nobles, des corporations, des villes et des provinces par divers décrets.

argentelites.jpg

Largesses étatiques pour les élites

jpv. Quatre hommes coûtent à la France dix millions par an. L’un d’entre eux a reçu de l’Etat plus de 85 millions d’euros au titre de sa retraite, selon les chiffres calculés par l’ancien député socialiste René Dosière. Il a également évalué que ce dernier nous coûte en plus 2,5 millions d’euros par an. Eh oui, Valéry Giscard d’Estaing, à la retraite depuis 38 ans, coûte à la France 6849 euros par jour! Les trois autres sont aussi des anciens présidents de la République – Jacques Chirac avec 1,5 millions, Nicoals Sarkozy avec 2,2 millions d’euros et François Hollande. Ce dernier, jeune retraité, touche depuis mai 2017 5184 euros par mois comme ancien locataire de l’Elysée plus 6208  euros comme ancien député, 3473 euros comme ancien conseiller référendaire de la Cour des comptes et 403 euros au titre de diverses fonctions secondaires. Mais ce n’est pas fini, car la générosité de Marianne étant apparemment sans limite, le trésorier du Conseil constitutionnel va lui verser, à vie, un chèque de 12 000 euros bruts. Soit au total, 27 000 euros par mois. La retraite nette annuelle de M. Hollande: 324 000 euros. Quelques autres broutilles comme la protection policière, un secrétariat avec plusieurs collaborateurs, une voiture avec chauffeur etc. sont également financés par l’Etat.
Ces chiffres donnés par l’IFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques) ne sont, hélas, pas contestables et montrent combien, en fin de compte, la politique rapporte gros. On peut donc comprendre la colère populaire face aux invraisemblables privilèges qui ne se limitent pas aux «plus hauts fonctionnaires» mais à une «caste» de milliers de hauts fonctionnaires (dont certains sont rémunérés 300 000 euros par an), de députés, de sénateurs, de présidents de commission, etc.

Source: Extraits de l’article «Scandales des rémunérations: et si les anciens Présidents montraient l’exemple?» par Floris de Bonneville, publié sur www.bvoltaire.fr  le 13/1/19.

Le féminisme US par-delà le rien et le mâle

Womens_March_2017_32297889992-e1516609963974.jpg

Le féminisme US par-delà le rien et le mâle

Les Carnets de Nicolas Bonnal

Les médias expliquent qu’on demande, qu’on exige une présidente féministe en Amérique… Ah, ces élues du congrès en blanc, comme elles les auront émus, ces médias…

Je n’étonnerai personne en écrivant que 90% des antisystèmes sont des hommes, et que lorsqu’on trouve des femmes dans les rangs antisystèmes, c’est essentiellement par islamophobie. Ceci concédé, notre monde aux affaires repose sur les valeurs féminines : « pleurnicherie humanitaire » (Muray), hystérie belliciste, autoritarisme tortueux (Merkel, Clinton…). Sans oublier la haine du sexe et de la reproduction, qui sont devenues des valeurs féministes. Dans l’Espagne féministe-socialiste de Sanchez, le sexe doit se faire avec notaire.

Le Deep State et l’empire nous préparent un après-Trump (je laisse de côté le gros poisson décevant) qui sera pire que la candidate hilarante. On pense à la Cortez-machin et à ses clones ; on aura alors un bolchévisme écologiste et belliciste à la sauce féministe et antiraciste aux affaires. L’Amérique pourra-t-elle le supporter ? On espère que non et qu’elle s’écroulera avec son gnosticisme politique – sauf si elle nous emporte dans sa chute. Toujours est-il que cette montée planétaire et quelque peu comique du féminisme aboutira de toute manière à l’extinction de l’occident et sans doute du monde. On s’en moque d’ailleurs car on ne regrettera pas ce qui est devenu si méprisable. La multiplication des hommes-enfants politiques de type Macron, Sanchez, Obama, Rivera et autres (des « macroncitos » comme on dit en Espagne) montrent ce triomphe de la cause féministe qui repose sur une alliance avec les lobbies ultras des minorités sexuelles.

Nous allons nous citer dans cette affaire :

« Autoritaire et humanitaire, Angela Merkel incarne le péril féministe ; voyez L’Express qui évoqua dans une manchette débile ces femmes qui sauvent le monde. En réalité si nous avions eu Hillary Clinton au pouvoir, nous aurions déjà la guerre mondiale. Merkel incarne l’esprit de la nursery décrit en 1921 par Chesterton lors de son voyage en Amérique. Pour Chesterton la féministe (la fasciste ou la bolchéviste au féminin) considère le citoyen comme un enfant, pas comme un citoyen :

“And as there can be no laws or liberties in a nursery, the extension of feminism means that there shall be no more laws or liberties in a state than there are in a nursery.”

C’est ainsi du reste que fonctionne la démocratie en Europe bruxelloise : comme dans une nursery, avec des peuples infantiles et bien soumis, sauf la minorité machiste-populiste-raciste qui horrifie  raisonnablement les medias bien-pensants. Le féminisme devient le noyau du totalitarisme postmoderne. On retrouve comme toujours Tocqueville et son pouvoir prévoyant, tutélaire et doux, qui cherche à nous fixer dans l’enfance.

J’ajoutais alors :

« Les froides fonctionnaires sans enfant remplissent nûment leur tâche ingrate, oubliant au passage que l’homme a été créé égal à la femme, l’électeur à son élu.

Evoquons les harpies bellicistes… Sur ce sujet Philippe Grasset remarquait « la tendance  d’Obama à s’entourer de créatures essentiellement féminines, les Harpies diverses, Nuland, Rice, Flournoy, Clinton, Power, les personnages les plus extrémistes de toutes les administrations depuis des décennies, sinon les plus extrémistes de toute l’histoire de la diplomatie US. »

Emmanuel Todd avait dénoncé la dérive féministe de la diplomatie américaine. Il analysait les agendas du féminisme ombrageux dans son presque impeccable Après l’empire :

« L'Amérique, dont le féminisme est devenu, au cours des années, de plus en plus dogmatique, de plus en plus agressif, et dont la tolérance à la diversité effective du monde baisse sans cesse, était d'une certaine manière programmée pour entrer en conflit avec le monde arabe, ou plus généralement avec la partie du monde musulman dont les structures familiales ressemblent à celles du monde arabe, ce que l'on peut nommer le monde arabo-musulman. »

Todd ajoutait :

« Il y a quelque chose d'inquiétant à voir une telle dimension devenir un facteur structurant des relations internationales. Ce conflit culturel a pris depuis le 11 septembre un côté bouffon et à nouveau théâtral, du genre comédie de boulevard mondialisée. D'un côté, l'Amérique, pays des femmes castratrices, dont le précédent président avait dû passer devant une commission pour prouver qu'il n'avait pas couché avec une stagiaire ; de l'autre, Ben Laden, un terroriste polygame avec ses innombrables demi-frères et demi-sœurs. Nous sommes ici dans la caricature d'un monde qui disparaît. Le monde musulman n'a pas besoin des conseils de l'Amérique pour évoluer sur le plan des mœurs. »

metoo.jpg

L’anthropologue et démographe voyait aussi la dégénérescence gagner le monde scientifique anglo-saxon/occidental à cause de cette idéologisation féministe ; comme on sait toutes les sciences sont compromises en occident PC maintenant, aussi bien les humaines que les dures ou la génétique, ce qui confirme la Chine et la Russie dans leur suprématie technologique et militaire.

Emmanuel Todd donc :

« Le conflit entre le monde anglo-saxon et le monde arabo-musulman est profond. Et il y a pire que les prises de position féministes de Mmes Bush et Blair concernant les femmes afghanes. L'anthropologie sociale ou culturelle anglo-saxonne laisse apparaître quelques signes de dégénérescence (…) Si une science se met à distribuer des bons et des mauvais points, comment attendre de la sérénité de la part des gouvernements et des armées ? »

Si la suite est facile à prévoir (guerre mondiale contre les machos russes-chinois-iraniens, extinction démographique, migrations pleurnichardes, et explosion de la dépense/dette sociale), ce qui précédait ce désastre est à rappeler – et on le retrouvera une fois de plus chez Tocqueville. On relira son ami Gustave de Beaumont avec profit aussi (1). 

Notre génie écrivait, beaucoup plus perspicace que Marx ou Engels dans cette affaire :

« Aux États-Unis, les doctrines du protestantisme viennent se combiner avec une Constitution très libre et un état social très démocratique ; et nulle part la jeune fille n’est plus promptement ni plus complètement livrée à elle-même. »

La femme américaine est plus affranchie que l’homme :

« Longtemps avant que la jeune Américaine ait atteint l’âge nubile, on commence à l’affranchir peu à peu de la tutelle maternelle ; elle n’est point encore entièrement sortie de l’enfance, que déjà elle pense par elle-même, parle librement et agit seule ; devant elle est exposé sans cesse le grand tableau du monde ; loin de chercher à lui en dérober la vue, on le découvre chaque jour de plus en plus à ses regards, et on lui apprend à le considérer d’un œil ferme et tranquille. Ainsi, les vices et les périls que la société présente ne tardent pas à lui être révélés ; elle les voit clairement, les juge sans illusion et les affronte sans crainte ; car elle est pleine de confiance dans ses forces, et sa confiance semble partagée par tous ceux qui l’environnent. »

La conséquence :

« Il ne faut donc presque jamais s’attendre à rencontrer chez la jeune fille d’Amérique cette candeur virginale au milieu des naissants désirs, non plus que ces grâces naïves et ingénues qui accompagnent d’ordinaire chez l’Européenne le passage de l’enfance à la jeunesse. Il est rare que l’Américaine, quel que soit son âge, montre une timidité et une ignorance puériles. Comme la jeune fille d’Europe, elle veut plaire, mais elle sait précisément à quel prix. »

Et cette constatation redoutable :

« Si elle ne se livre pas au mal, du moins elle le connaît ; elle a des mœurs pures plutôt qu’un esprit chaste. »

Ce mixte « d’esprit peu chaste » et de « mœurs très pures » est devenu le fondement de notre société orwellienne et fanatique de la censure. On cherche la petite bête immonde et on châtie. C’est finalement une police politique et même sexuelle qui envahit notre quotidien vitrifié : en France on poursuit les hommes qu’on aurait entendu siffler des filles… En Andalousie, le mari doit avoir un suivi psychiatrique dans le cadre de la loi de la violence de genre… il va de soi que l’homme qui accepte ce type de couvre-feu anti-masculin n’est plus tout à fait un homme. Mais après des siècles de progrès et de libération…

Restons sur Tocqueville ; bien avant toutes ces blanches sages du congrès américain, la jeune fille US effraie notre juriste voyageur (et abominable macho) : « J’ai souvent été surpris et presque effrayé en voyant la dextérité singulière et l’heureuse audace avec lesquelles ces jeunes filles d’Amérique savaient conduire leurs pensées et leurs paroles au milieu des écueils d’une conversation enjouée ; un philosophe aurait bronché cent fois sur l’étroit chemin qu’elles parcouraient sans accidents et sans peine… »

Le monde postmoderne repose sur le ressentiment, celui des ex-esclaves, des ex-colonisés, des ex-femmes, des ex-persécutés, des ex-animaux…, et il ne s’en remettra pas, puisqu’à la destruction intérieure des pays doit s’ajouter la grande guerre sainte extérieure. Il faut épurer/refonder ce monde, et dites-vous qu’elles (et ils) iront jusqu’au bout.

bst.jpgNota : si l’américaine est née comme ça, gnostique en fait –cf. les filles du Dr March ou la péroreuse Beecher-Stowe, l’européenne a dû être transformée, travaillée. Un Nietzsche remonté écrivait dans par-delà le bien… et le mâle : « Sans doute, il existe, parmi les ânes savants du sexe masculin, assez d’imbéciles, amis et corrupteurs des femmes, qui conseillent à ces dernières de dépouiller la femme et d’imiter toutes les bêtises dont souffre aujourd’hui en Europe « l’homme », la « virilité » européenne, — qui aimerait avilir la femme jusqu’à la « culture générale », ou même jusqu’à la lecture des journaux et jusqu’à la politique. On veut même, de ci de là, changer les femmes en libres penseurs et en gens de lettres. »

Et Nietzsche d’ajouter justement dans son splendide texte : « tout cela est la révélation, sinon d’une déchéance de l’instinct féminin, d’une mutilation de la femme. »

Et on ne parlera pas de la mutilation/déchéance des hommes !

Note

(1) Gustave de Beaumont écrit sur cette femme américaine isolée, abstraite et gnostique : « Sa vie est intellectuelle. Ce jeune homme et cette jeune fille si dissemblables s'unissent un jour par le mariage. Le premier, suivant le cours de ses habitudes, passe son temps à la banque ou dans son magasin ; la seconde, qui tombe dans l'isolement le jour où elle prend un époux, compare la vie réelle qui lui est échue à l'existence qu'elle avait rêvée. Comme rien dans ce monde nouveau qui s'offre à elle ne parle à son cœur, elle se nourrit de chimères, et lit des romans. Ayant peu de bonheur, elle est très religieuse, et lit des sermons. »

Sources

Alexis de Tocqueville, De la démocratie, II, troisième partie, chapitre 9 (classiques.uqac.ca)

Gustave de Beaumont – Marie, ou de l’esclavage (classiques.uqac.ca)

Nietzsche – Par-delà le bien et le mal, § 239

Gilbert Keith Chesterton – What I saw in America (Gutenberg.org)

Nicolas Bonnal – Machiavel et les armes de migration massive ; Nietzsche et la guerre des sexes ; les grands westerns américains, une approche traditionnelle et rebelle (Amazon.fr)

Emmanuel Todd – Après l’empire (Gallimard)

11:38 Publié dans Sociologie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sociologie, féminisme, états-unis | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

D'une conférence à l'autre, la guerre américaine en Europe

Pencede-conference-Moyen-47.jpg

D'une conférence à l'autre, la guerre américaine en Europe

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Lors de la récente conférence de Varsovie organisée par Washington avec les bons services de la Pologne,  les Américains avaient tenté de former un front uni pour « Promouvoir la Paix et la sécurité au Moyen Orient ».

En fait il s'agissait de définir les modalités d'une véritable guerre contre l'Iran, que Donald Trump s'est promis de détruire. La conférence fut un échec. A part Israël et les monarchies arabes du pétro-dollar, aucun des Etats Européens ne s'y firent représenter, sauf par des fonctionnaires sans pouvoir, non plus que Federica Mogherini qui dirige le service diplomatique de l'UE.

L'objectif en était de démontrer que l'Iran veut mettre en place un « corridor d'influence » entre l'Irak, la Syrie et le Liban, que le vice-président américain Mike Pence a décrit comme un « corridor de soutien au terrorisme ». Il s'agissait dans un premier temps d'exiger des Européens qu'ils se retirent de l'accord de 2015 avec l'Iran entérinant le fait que celle-ci avait renoncé à l'arme nucléaire, ce qu'ils refusent de faire. Mais il s'agissait aussi d'obliger les Européens à imposer à Téhéran un blocus complet, ce qui aurait été un véritable acte de guerre.

Les Européens s'y refusent, malgré les « sanctions » américaines visant leurs entreprises opérant en Iran. On notera qu'en fait de terrorisme, c'est l'Iran qui en est pour le moment la victime, puisqu'un attentat non revendiqué à la bombe avait fait pendant la conférence de Varsovie 27 morts parmi des militaires iraniens appartenant à la Garde Révolutionnaire iranienne.

55e Conférence de Munich sur la Sécurité

Mais Washington malgré cet échec diplomatique ne renonce pas. Lors de la 55e Conférence de Munich sur la Sécurité, qui a toujours été conçue par les Etats-Unis comme une préparation à la guerre contre Moscou et qui s'est ouverte le 15 février, le Munich Security Report 2019, désormais disponible, largement inspiré par le Pentagone, n'a rien de rassurant. Il présente comme inévitable une guerre entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine, qui nécessairement dégénérait en conflit nucléaire. Il n'aborde en rien la question de savoir comment éviter cette guerre, mais comment s'y préparer et les mesures à prendre pour en limiter les dégâts.

Le président allemand de la conférence, Wolfgang Ischinger, est un diplomate, ancien ambassadeur d'Allemagne à Washington. Il a toujours été très proche des Etats-Unis. Il vient de déclarer en introduction qu'un nouvelle ère de compétition entre Grandes Puissances, Etats-Unis, Chine et Russie s'était désormais ouverte . Elle était accompagnée d'un vide dans le leadership mondial au niveau de ce qui a été nommé l'ordre libéral international. La suite de ses propos recommande une augmentation de la puissance destinée à intimider les Etats menaçants. Chacun a compris qu'il s'agissait de la puissance militaire.

L'Allemagne, la Grande Bretagne et la France ont décidé récemment d'augmenter leur puissance militaire. Elles n'ont pas précisé la menace contre laquelle elles veulent réagir. Depuis longtemps, Washington souhaite que ces armes prennent le relais des siennes en Europe. Il n'est pas certain que les populations européennes soient prêtes à accepter les destructions et les morts qui résulteraient d'un conflit sur le Continent avec la Russie et la Chine, fut-il non-nucléaire. Manifestement la nouvelle Conférence de Munich sur la Sécurité vise à préparer les esprits européens à l'acceptation d'un tel conflit.

PS. Concernant l'<Allemagne et l'Otan, voir
http://www.spacewar.com/reports/Germany_to_let_NATO_use_i...

Les médias et la vérité, le grand mensonge...

pinocchio.jpg

Les médias et la vérité, le grand mensonge...

par Vivien Hoch

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Vivien Hoch, cueilli sur Polémia et consacré au rapport ambigu des médias à la vérité. Docteur en philosophie, Vivie Hoch est entrepreneur.

La devise du New York Times énonce : « Toutes les nouvelles qui méritent d’être imprimées ». Il n’y a rien de plus faux. Chaque jour, le journaliste détermine ce qui est important, ce que nous devrions savoir. Il fait le tri entre les informations et choisit la manière de les présenter.

Les journalistes des grands journaux se targuent de maîtriser leurs préjugés et de fournir une information « experte ». « Ils se voient comme les défenseurs des valeurs occidentales progressistes, nous protégeant des nouvelles qui ne méritent pas d’être imprimées, pornographie, propagande ou publicités déguisées en informations. Tels des conservateurs de musée, les rédacteurs du NYT organisent notre vision du monde », écrit Scott Galloway, professeur à la New York University, qui a été au comité de direction du New York Times [1]. « Lorsqu’ils sélectionnent les informations qui feront la une, ils établissent le programme des journaux radio et télévisés, la vision dominante de l’actualité partagée par la planète ».

Eugénisme médiatique

Cette emprise des grands médias sur l’agenda démocratique, ce dépistage des événements avant qu’ils ne naissent comme information, tout cela constitue un eugénisme médiatique. Ne naissent que les informations sélectionnées ; les autres sont écartées, supprimées, passées sous silence. C’est une ontologie de la radiographie : tout événement est transformé en fonction de l’éclairage – ou de l’obscurité – qu’on lui donne. On ne peut pas comprendre le contexte général de Fake news, sans parler des Ghost news (nouvelles fantômes), ces événements ou ces propositions (partis politiques, mobilisations, associations) délaissés par les médias nationaux, passées sous les lumières médiatiques, devenues par-là fantomatiques. Il y a pire que d’être roulé dans la boue par les médias : il y a le fait de ne même pas avoir d’existence à leurs yeux, ce qui bloque toute possibilité de participer au débat démocratique.

Au fond, comme l’écrit Umberto Eco, la télévision « parle de moins en moins du monde extérieur. Elle parle d’elle-même et du contact qu’elle est en train d’établir avec son public. » [2]. Elle tente de survivre au pouvoir d’un téléspectateur qui est devenu actif, en devant plus agressive, en parlant plus d’elle-même. Cela se traduit dans les débats TV qui commentent l’actualité : les journalistes invitent des… journalistes pour discuter des thèmes choisis par des… journalistes. Nulle part n’intervient le monde extérieur. Nulle part un micro est tendu en-dehors de la sphère médiatique. L’un des signes de la radicalisation des médias est cet enfermement sur soi-même, cet entre-soi, qui contredisent l’essence même du média – être un médiateur.

Cet enfermement médiatique remet en question profondément le fonctionnement démocratique. Le débat se déroule sur le terrain médiatique, qui est le lieu de confrontation des paroles et des vécus. Les médias vivent cette mission avec une contradiction intérieure, une double injonction. D’une part le journaliste veut rendre compte des faits le plus loyalement possible, d’autre part il se doit de respecter les versions des uns et des autres, parfois multiples et contradictoires, d’un même fait.Dans cette contradiction, le pouvoir médiatique a tranché : il est le garant de la véracité des débats parce qu’il est l’ « expert des faits ». Pour cela, il lutte contre les fausses informations : il fait de la « vérification de faits« (fact-checking). Ce qui résiste au fact-checking des médias et des experts médiatiques est qualifié de « faits alternatifs » (alternative facts). Il est vrai que le politique ne s’embarrasse pas toujours du souci la vérité,et lui préfère souvent l’efficacité et la communication : c’est le règne de la post-vérité (post-truth).

Post-vérité, faits alternatifs et fact-checking sont les nouvelles topiques du monde médiatique. Leur signification profonde et la raison pour laquelle ils sont utilisés abondamment doivent être connus et maîtrisés. Revenons rapidement sur leur signification.

La post-vérité, la vérité du monde

La notion de vérité est au cœur de notre démocratie. Elle est le terrain de manipulation de toutes les dictatures et de tous les totalitarismes, qui prétendent la posséder et l’imposer. Cette disputatio démocratique entérine le règne de la « post-vérité ». Elle est aujourd’hui toujours au cœur de la guerre sémantique que se livrent une partie du peuple et le conglomérat de médias, d’intellectuels et autres ayants-droits qui pensent pour lui.  C’est surtout depuis l’apparition de Donald Trump et de ses militants que les journalistes ont commencé à parler du concept de post-vérité dans le débat politique. La post-vérité, tous les méchants la pratiquent – Donald Trump, les « populistes », les réactionnaires, les conservateurs. Le règne de la post-vérité, c’est l’apparition de personnalités qui manipulent l’opposition en exagérant les faits, en les travestissant ou encore en les imposants. C’est aussi cette masse immense de flux d’information sur les réseaux sociaux, qui échappe au contrôle des institutions et des médias classiques.

En 2016, le dictionnaire d’Oxford a désigné l’expression post-truth comme mot de l’année [3]. Elle est définit comme « relative aux circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence sur la formation de l’opinion publique que l’appel aux émotions et aux croyances personnelles ». La définition est intéressante, car elle suppose qu’une objectivité des faits est possible, et que cette objectivité a une relation spécifique avec l’opinion publique. Evidemment, le constat d’une contestation contemporaine de l’existence d’une vérité absolue, soit le relativisme généralisé, n’est pas nouveau. Les « circonstances » qui font que la vérité est devenue négligeable, volatile, malléable, c’est notre culture toute entière. La post-vérité est une caractéristique de notre époque toute entière. La post-vérité est la vérité de notre monde. La Doxa, l’opinion fluide et contingente, soumise aux aléas a gagné sa bataille plurimillénaire contre le philosophe.

En liant la post-vérité à la manipulation, les théoriciens du monde moderne ne sont pas si modernes. C’est une manière finalement assez classique de comprendre le politique depuis Machiavel [4]. Mais il est intéressant de noter que la post-vérité est associée à la manipulation de l’opinion via les émotions.Ainsi peut-on lire dans les médias que l’insécurité n’est que « ressentie », suggérant implicitement qu’objectivement elle n’existe pas. On comprend pourquoi la répression judiciaire s’abat sur les –phobies – techniquement des peurs, donc des sentiments, des états émotionnels. Ces derniers deviennent des faits objectifs susceptibles  d’être condamnées. Le monde du sentiment devient judiciarisable, donc contrôlable. La post-vérité est en cela une condition de possibilité du biopouvoir, qui désigne l’ensemble des techniques qui étendent leur contrôle sur la vie et les corps humains.

Les faits alternatifs (alternative fact) : la coexistence des contraires

Si on creuse l’idiosyncrasie mise en place pour décrire le règne de la post-vérité, on rencontre l’expression de « faits alternatifs ». La post-vérité, c’est l’utilisation systématique des « faits alternatifs » à des buts politiques. Le fait alternatif est plus que la possibilité de l’erreur ou la volonté de mentir : c’est la substitution coercitive d’une version des faits sur une autre. Une interprétation chasse l’autre, une version étouffe les autres versions, la coexistence des interprétations est impossible. Un fait alternatif n’est pas une erreur, c’est la possibilité ouverte qu’un fait soit autrement qu’il n’est réellement. Le concept de “faits alternatifs” veut dire non pas qu’il y a diverses interprétations, ou plusieurs versions des faits, mais désigne l’existence de faits et en même temps l’existence de la possibilité qu’il y ait d’autres faits à ceux-ci. Comme si la réalité possédait plusieurs facettes, qui coexistent au même moment, et qui sont parfois contradictoires. En 2017, la conseillère du président Trump, Kellyanne Conway, faisait référence à Nietzsche devant la presse pour justifier que les faits que voient les journalistes ne sont peut-être pas les faits que voient les gens. Selon le philosophe allemand, le réel est un jeu de forces contradictoires et mouvantes créant une multiplicité, et non une belle harmonie de «faits» identifiés et triés par « ceux qui savent ». Tout comme Nietzsche, le trumpisme détruit le piédestal de ceux qui imposent leur version des faits ; il introduit des alternatives là où on ne nous présentait que l’unilatéral et le commun.

Le fact-checking : la pharmacopée du mensonge

Chaque commentaire politique se présente avec une dimension heuristique, c’est-à-dire de recherche de la vérité. L’expert décrète la vérité des choses et des paroles. « Ceci est vrai ou faux / ce qu’il dit est un mensonge ou une vérité ». Les journalistes ont ainsi créé des cellules de riposte pour « vérifier les faits » ; autrement dit, pour dire si ce qui est dit coïncide avec leur propre version des faits, leur propre interprétation des textes et des chiffres. Ainsi les journalistes ne sont plus les rapporteurs des faits et des paroles, leur éditeurs, leurs commentateurs, mais ils sont devenus leurs juges. Les fonctionnaires du fact-checking irriguent une gigantesque pharmacopée virtuelle contre les prétendus « Fake News ».

Selon eux, les populistes sont ainsi désignés parce qu’ils travestissent les faits afin de mentir sciemment. De nombreuses personnes accusent à leur tour les médias d’être malhonnêtes et de présenter les choses faussement. Dans cette violente dialectique, il n’y a pas de part au droit à l’interprétation. Aucune partie ne semble vouloir admettre la simple existence d’une “version des faits”. Ces parties se retrouvent souvent au tribunal, jugées à l’aune de lois souvent liberticides, qui consacrent la judiciarisation du débat public.

Les Ghost-news ou le pouvoir d’invisiblisation

Dans son histoire politique de la vérité, Michel Foucault montre « que la vérité n’est pas libre par nature, ni l’erreur serve, mais que sa production est tout entière traversée par des rapports de pouvoir » [5]. C’est le pouvoir, au sens large, qui impose sa version des faits avec toute la coercition dont il dispose : celle de la force en dernier lieu, pour le pouvoir politique, mais aussi celle de la masse, pour les médias importants, celle de l’expertise « irréfutable », pour les experts. C’est la fameuse formule de Thomas Hobbes, dans le Leviathan : « Auctoritas, non veritas facit legem – c’est l’autorité et non la vérité qui fait la loi » [6]. Alors que la force est l’autorité du politique, l’irréfutabilité est celle de l’expert, celle des médias est la visibilisation.

Quand les médias tournent en boucle sur un sujet, salissant un tel ou tel, adorant tel ou tel, la puissance est phénoménale. Quand les médias, à l’inverse, passent volontairement sous silence un événement, une initiative ou une démarche, il est quasiment mort-né.Les médias ont le pouvoir de rendre visible un événement, mais aussi de l’invisibiliser. C’est la Ghost-news.

Quelle vérité ?

On pourrait se demander quel est le concept de vérité qui fait les frais de ce dépassement (post-vérité), de la fausseté (Fake news) et du checking (factchecking). Pour le comprendre, il faut revenir à la définition pluriséculaire de la vérité – « Veritas est adaequatio rei et intellectus » – qui relève, à l’origine, de la théologie. Saint Thomas d’Aquin, dans la question 1 de son magistral De Veritate, interprète cette définition comme l’adéquation de l’intelligence divine avec les choses. Pour la créature, c’est un peu plus compliqué : ce que nous formulons des choses ne sont pas les choses. Il y a une inadéquation fondamentale, et c’est à cause de cette insuffisance gnoséologique que la vérité pleine et entière n’est pas accessible – sinon par la vie théologale – et suppose donc une perpétuelle auto-interprétation : c’est-à-dire une histoire.

L’expert et son totalitarisme interprétatif

Le problème de la vérité médiatique ne tient pas tant à l’adéquation du discours politique avec les faits, qu’à la manière dont le discours politique s’énonce et aux conditions dans lesquelles il est reçu. Les faits, lorsqu’ils sont humains – c’est-à-dire économiques, sociaux, éthiques, religieux – sont irréductibles à toute adéquation et à toute objectivité. On explique un événement physique, on comprend un événement humain. L’expertise réduit le fait humain à une explication causaliste. Sur le plateau de TV, l’expert, avec ses chiffres et son panache,pose son interprétation dans le marbre de la vérité médiatique. Il est indiscutable. Mais il ne rend pas compte de la profondeur du réel et des complexités humaines.La vérité de l’expert cache en fait un totalitarisme sémantique, qui empêche toute opinion concurrente de se manifester.

***

Le média prétend donc restituer des faits objectifs sous le règne de la post-vérité, où il n’y a ni faits, ni objectivité. Il prétend confronter les interprétations, alors qu’il est un biopouvoir, où il domine et contrôle. Il prétend adresser un message à  un consommateur passif et captif, alors que, déjà, les consommateurs sont actifs et libres. Les individus hypermodernes ne poursuivent plus un bien commun univoque, un récit général. Il n’y a plus de grand récit collectif, et les compteurs – les médias institutionnels – sont en retard de plusieurs pages.

Les grandes utopies qu’ils nous comptaient ne trouvent plus d’emprise sur le réel, parce qu’elles n’existent plus. Chacun poursuit désormais sa micro-utopie, et est en droit de médiatiser son vécu. L’uberisation de la prise de parole politique a définitivement éclaté les canaux habituels. Il suffit d’un smartphone pour ouvrir une chaine Youtube politique, qui a potentiellement des millions de vues ; les initiatives se sont décentralisées, les prises de parole ont abondées, le sens est devenu multiple. On assiste à la fois à l’émergence massive d’une vague d’auto-entreprenariat médiatique, où chacun s’exprime directement, et à la radicalisation des contestations du pouvoir.S’accrocher aux récits collectifs racontés par les médias institutionnels, c’est trainer les pattes derrière l’autoroute de l’histoire.

Il nous manque peut-être une rigueur personnelle qui permettrait de nous libérer de ces grands récits médiatiques. Qui nous transformerait définitivement, non plus spectateur, mais en acteur du monde.

Vivien Hoch (Polémia, 11 février 2019)

Notes:

[1] Scott Galloway, Le règne des quatre, trad. Fr. Edito, 17 mai 2018, p. 172

[2] Umberto Eco, « TV : la transparence perdue », La Guerre du faux, Poche, 1985, p. 197

[3] https://en.oxforddictionaries.com/word-of-the-year/word-o...

[4] Machiavel, Le Prince, chap. XVIII « Il faut que le prince ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon le vent et les accidents de la fortune le commandent ».

[5]  Michel Foucault, La Volonté de savoir, Gallimard, 1976, p. 81

[6] Thomas Hobbes, Léviathan, trad. G. Mairet, chap. XXVI, « Des lois civiles », Paris, Gallimard (coll. « Folio Essais »), 2000 : « Dans une cité constituée, l’interprétation des lois de nature ne dépend pas des docteurs, des écrivains qui ont traité de philosophie morale, mais de l’autorité de la cité. En effet, les doctrines peuvent être vraies : mais c’est l’autorité, non la vérité, qui fait la loi. »