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lundi, 21 octobre 2019

Chisinau Forum III: Gilles-Emmanuel Jacquet – Discours (VIDEO)

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Chisinau Forum III:

Gilles-Emmanuel Jacquet – Discours (VIDEO)

 

Gilles-Emmanuel Jacquet, politologue, diplomate, journaliste, Suisse

En 1997 Zbigniew Brzezinski exposa dans son ouvrage «The Grand Chessboard » (« Le Grand Échiquier ») cette vision stratégique qui correspond à la politique étrangère des États-Unis d’Amérique : afin d’établir une hégémonie globale les USA doivent contrôler l’Eurasie, en particulier sa périphérie (le « rimland » de Nicholas J. Spykman) et contenir les puissances continentales du « heartland » telles que la France, l’Allemagne et la Russie mais aussi plus récemment la Chine et l’Inde.

Après la dissolution de l’URSS et la fin du système bipolaire de la Guerre Froide, les USA cherchèrent à établir à l’échelle globale un système unipolaire dont ils seraient les garants et dont les valeurs occidentales libérales apporteraient aux peuples du monde la paix, la démocratie, les droits de l’Homme et la prospérité. Les attentats du 11 septembre 2001 contredirent ces espoirs mais le gouvernement de G.W. Bush et les penseurs néo-conservateurs américains ne remirent pas en question leur vision du monde. Le multilatéralisme, le droit international et l’ONU furent ignorés et en 2003 les USA attaquèrent l’Irak qui n’avait développé aucune arme de destruction massive à ce moment-là et n’avait aucun lien avec les attentats du 11 septembre ou Al-Qaïda. L’Irak fut dévasté par un conflit qui n’est pas terminé et la situation au Moyen Orient s’aggrava. La recherche d’une solution au conflit israélo-palestinien ainsi qu’au statut du Golan syrien occupé par Israël fut peu à peu abandonnée. Le Printemps Arabe de 2011 fut l’occasion pour les États-Unis, ses alliés du Golfe (Qatar, Arabie Saoudite ou Émirats Arabes Unis), la Turquie et Israël de déstabiliser certains pays comme la Syrie ou la Libye dont les régimes hérités du nationalisme représentaient des obstacles à leurs projets régionaux. La politique étrangère menée par les USA et ses alliés au Moyen Orient ou en Afghanistan durant la Guerre Froide puis lors du Printemps Arabe ainsi que le soutien à des partis ou des groupes armés islamistes ont également joué un rôle dans le développement du terrorisme islamiste à l’échelle régionale et mondiale. 

 

Alors que l’Iran avait cherché à de nombreuses reprises au cours des années 2000 à nouer de nouvelles relations diplomatiques et commerciales avec l’Europe et même les USA, ces derniers ont décidé de retourner à une logique de confrontation avec Téhéran. Malgré ce qu’avait déclaré le Président Donald Trump lors de son voyage en Arabie Saoudite, l’Iran ne représente aucune menace pour les pays occidentaux ou l’Europe du point de vue du terrorisme. L’Iran a été également victime du terrorisme islamiste sunnite, en particulier d’ISIS, et coopère avec de nombreux pays dans la lutte anti-terroriste. Dans la crise iranienne, les USA ne suivent pas leur intérêt national qui leur commanderait plutôt de poursuivre le dialogue et l’ouverture mais les préoccupations de l’Arabie Saoudite ou d’Israël qui ne souhaitent pas voir Téhéran jouer un rôle de puissance régionale. 

En Europe, l’expansion de l’OTAN et des USA au cours des années 1990 et 2000, a ravivé et aggravé d’anciens conflits dans les Balkans ou dans le Caucase comme ce fut le cas avec le conflit de 2008 en Géorgie et en Ossétie du Sud. Le conflit qui touche l’Ukraine orientale depuis 2014 est un des symptômes de la faiblesse politique et géopolitique de l’Union Européenne ainsi que de sa dépendance stratégique envers les USA à travers l’OTAN. Un peu moins de vingt ans après le conflit en ex-Yougoslavie et une quinzaine d’années après celui du Kosovo, l’Union Européenne échoua à empêcher un nouveau conflit d’éclater sur le continent européen et permit aux USA et à l’OTAN de renforcer leur influence aux frontières de la Russie. 

Cette politique visant à établir un système international unipolaire sous hégémonie des USA a mené à de nombreux conflits au cours des trente dernières années et a porté atteinte au droit international ainsi qu’au fonctionnement et à la crédibilité de nombreuses organisations internationales comme l’ONU. Washington et l’OTAN ont également recréé une nouvelle Guerre Froide en Europe en utilisant d’anciennes rivalités nationales ou problématiques ethnolinguistiques (Ukraine) et en instrumentalisant la mémoire des crimes du communisme (Ukraine, Pologne) afin de créer un fossé toujours plus grand entre la Russie d’un côté et ses voisins ainsi que l’Europe occidentale, de l’autre. 

 

Avec la renaissance de la puissance chinoise et la mise en place de la nouvelle Route de la Soie, l’axe du monde s’est déplacé vers l’Asie et la région de l’Océan Pacifique. En restant dans l’OTAN et en ne développant pas de partenariat privilégié avec la Russie, les pays de l’UE risquent dans le long terme de ne pas être assez puissants afin de contrebalancer la puissance chinoise en Eurasie. Alors que les penseurs néo-conservateurs américains et les atlantistes en Europe continuent de défendre la vision d’un système mondial unipolaire placé sous la domination prétendument bienveillante des États-Unis, l’émergence des BRICS est le signe que le monde est devenu réellement multipolaire et qu’il est temps pour certaines puissances occidentales de respecter des principes fondamentaux du droit international qu’elles avaient subverti par le biais de l’instrumentalisation des droits de l’Homme. 

Le respect du droit international, de la souveraineté des États et de la Charte des Nations Unies va de pair avec la vision d’un monde multipolaire, d’un système international reconnaissant la pluralité et la liberté des nations, dans lequel chaque État jouit réellement des mêmes droits tout en restant maître de son destin. L’ONU fournit un forum adéquat mais certaines puissances, en particulier occidentales, ont subverti certains de ses principes et son fonctionnement. Afin de refléter réellement et équitablement l’évolution du monde vers un système multipolaire le Conseil de Sécurité des Nations Unies doit être réformé mais aucun consensus n’est apparu à cause de contentieux historiques et politiques entre certains pays (comme la Chine et le Japon ou l’Inde et le Pakistan). Enfin, le respect du chapitre VII de la Charte des Nations Unies et l’application des articles 46 et 47 sur la mise en place d’un Comité d’état-major devant assister le Conseil de Sécurité pourrait empêcher l’OTAN de violer le droit international et la Charte des Nations Unies ou d’outrepasser ses instructions, comme cela s’était produit lors des conflits au Kosovo et en Libye.

2500 ans de stratégie d'influence

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2500 ans de stratégie d'influence

par François-Bernard Huyghe

Ex: http://www.huyghe.fr

Influence ? de l’inévitable Art de la guerre de Sun Tzu (fin du VI° siècle avant JC) au premier traité de stratégie occidental connu (Enée le Tacticien qui conseille d’utiliser des agents d’influence pour prendre des villes ennemies au IV° siècle av. J.C.), l’idée de l’employer à des fins militaires est tout sauf neuve.

st2.jpgInfluence ? Aujourd’hui, la notion est dans l'air du temps : opérations d'influence, communication d'influence, e-influence ou stratégie d'influence...
Qu'y a-t-il de commun entre une méthode destinée à pacifier une vallée afghane et la conquête de nouveaux marchés ? Entre le discours d'un sophiste, l'écho d'une opinion amplifiée par le Net et la vision planétaire du "soft power" US ?
D'abord ce que l'influence n'est pas : ni contrainte, ni contrat. Ce dont elle dispense : le bâton, et la carotte. La relation d'influence procure un pouvoir, mais où, en principe, n'entre pas la dimension de la force ou de la menace, ni même la simple autorité. Pas davantage l'échange des biens et le calcul des intérêts. Encore qu'il existe des phénomènes comme le charisme où se mêlent prestige et séduction, et qu'un rapport contractuel suppose souvent son jeu d'influence au moment de la négociation.
Mais l'influence se manifeste généralement par le fait que l'influencé a, au final, adopté une attitude qui n'aurait pas été la sienne auparavant sans que les avantages ou les inconvénients qu'il en retirerait aient objectivement changé. Simplement, il a envisagé autrement la situation et n'a eu le sentiment d'avoir cédé à aucune force, ni gagné de contrepartie : le changement lui a semblé spontané ; il est comme venu de l'intérieur (quand on dit que l'on a agi sous influence, c'est généralement un piteux aveu pour s'exonérer d'une faute).

Si l'influence est la capacité d'obtenir indirectement d'autrui un comportement ou une attitude favorable à ses desseins et en n'utilisant que des signes au sens large (des mots, des apparences, des images que l'on émet, peut-être des musiques...), le succès du terme s'explique. Qui ne désirerait faire avancer ses intérêts (c'est de cela qu'il s'agit au fond) en amenant l'autre à adopter son point de vue, voire ses convictions ? Surtout à si faible prix ? Qui ne voudrait désarmer l'hostilité sans avoir à combattre ? Multiplier ses soutiens ou être, tout simplement, populaire ou imité ? Profiter des courants sociaux ou culturels, voire les anticiper et les provoquer ?

D'autant qu'il existe sur le marché des idées (voire sur le marché tout court) des méthodes qui proposent suivant le cas de convaincre son auditoire, de déradicaliser les islamistes, de mieux vendre des aspirateurs, de développer son "hub-influence" par les réseaux sociaux voire de changer la politique internationale...

Le succès récent d'un mot nous renvoie aux sources de notre culture. La rhétorique antique n'est pas la simple production de beaux discours ; c'est l'art de gagner la conviction des citoyens. À Athènes, elle est partout dans la Cité : justice (techniques de l'avocat), politique démocratique (art d'emporter le suffrage de l'Assemblée) et philosophie (amener les hommes de la doxa, l'opinion reçue par la plupart, à l'aletheia, la vérité philosophique). Cette façon de faire opiner l'opinion s'apparente à un art martial, mais pratiqué avec des mots : l'argument fort prédomine l'argument faible et l'orateur gagne des têtes comme on gagne des duels.

La persuasion - par qui un sujet adhère à une affirmation de fait, à une idée ou à un jugement présentés d'une certaine façon - ne résume pas toutes les dimensions de l'influence.

En témoignent, par exemple, la conversion religieuse, avec les Jésuites, corps à la fois quasi militaire et professionnel de la propagation spirituelle, ou la diffusion des idées des Lumières, contagion idéologique initiée par des "sociétés de pensée", exemples de la dimension "inclusive" de l'influence. Elle suppose de faire un Nous : intégrer le convaincu dans une nouvelle communauté de croyants. L'influence ne consiste pas seulement dans le "transfert" de l'affirmation X de la tête de A à la tête de B, mais une relation à bien plus long terme.

st3.jpgAu fil du temps, l'influence se pense dans divers contextes :
- esthétique : la reprise de modèles littéraires ou artistiques (telle la diffusion du romantisme en Europe)
- sociologique : les lois de l'imitation selon G. Tarde, la psychosociologie qui traite des interactions entre individu et groupes comme les effets de conformisme, l'influence et les effets de croyance des médias ou encore l'action des minorités actives, ceux qui justement font parfois changer les normes dominantes par l'influence, les changements ou confirmation d'attitude, croyance et valeurs
- politique avec la question des groupes dits d'intérêt ou d'influence dont la vocation est précisément de peser plus que leur poids électoral par l'influence sur les détenteurs de l'autorité
- géopolitique, domaine où les stratégies d'influence contraient ou prolongent les rapports de puissance
- économique, notamment lorsque l'intelligence économique place les tactiques de lobbying et autres actions d'influence et contre-influence à égalité avec l'acquisition et la protection de l'information stratégique.

Progressivement, la pratique de l'influence a fini par intégrer des méthodes que nous pourrions appeler
-de l'image (telles des politiques de prestige qui suscitent l'imitation),
-du code et qui consistent à "formater" ou plutôt à préformer les attitudes mentales de ceux que l'on influence (p.e. en lui apprenant une langue, une technique intellectuelle et des catégories mentales)
-ou encore de mobilisation de réseaux humains ou numériques.

Car l'influence est un sport d'équipe. Sauf cas limites qui rappellent singulièrement la situation de l'orateur grec (par exemple celle de la plaidoirie d'un avocat), l'influence ne se pratique pas seul : elle suppose des moyens matériels, des dispositifs et des communautés humaines prêtes à propager leurs convictions, ou constituant un terrain réceptif capable d'amplifier l'influence initiale (on songe ici aux "réseaux sociaux" numériques qui peuvent parfois donner un incroyable écho à un message initial qui a simplement rencontré le moment juste et bonnes prédispositions).

L'influence, pour le dire autrement suppose les quatre M : le message efficace, le média adapté, la médiation de groupes pour la transmettre, l'adaptation au milieu (dont la compréhension des codes et valeurs de l'influencé)..

Cette capacité d'agir sur l'autre en lui faisant changer son évaluation de la réalité est potentiellement présente dans les rapports humains ; sa recherche délibérée inspire force techniques intellectuelles et matérielles. Notre époque est particulièrement riche en néologismes comme opérations psychologiques, management de la perception, communication publique, storytelling, e-influence... Comme la guerre, l'influence obéit à des principes immémoriaux simples mais c'est un art tout d'exécution. Ce qui importe c'est moins le nom d'une technique que le rapport entre l'objectif recherché et l'organisation qui y recourt. Qui et comment nous influençons traduit notre identité et nos finalités.

Le succès de l'influence est de plus en plus déterminée par les techniques de communication qu'elle mobilise.

Ce n'est pas la même chose que de produire des livres et journaux pour une population alphabétisée (et sur un territoire où l'on contrôle ce qui peut s'exprimer), de se doter d'une télévision internationale d'information qui aura un quasi monopole des images disponibles dans les rédactions TV du monde ou encore de tenter de contrebalancer des images d'atrocités que vous imputent vos adversaires et qui circulent sur Facebook.
Et lorsque c'est l'État qui veut exercer l'influence pour prolonger sa puissance, motiver des alliés potentiels et retirer des partisans à la puissance rivale, il doit bien tenir compte de cette évolution technique.

st4.jpgAinsi, suivant les époques, il peut :
- adopter la stratégie de la forteresse et empêcher les médias étrangers (suspects de propagande) de toucher sa population, en contrôlant ses frontières
- mener une campagne internationale dénonçant les atrocités ennemies et proclamant la justesse de sa cause selon une méthode déjà utilisée en 14-18
- pratiquer une "diplomatie publique" dans une situation de type guerre froide, notamment par des médias émettant vers le territoire de l'adversaire, pour contrer le discours idéologique.
- compter sur le "soft power" de ses industries culturelles pour séduire la planète
- s'efforcer de diriger des "flux d'attention" sur Internet vers des sources favorables à sa cause pour contrer l'effet ravageur de la "propagande d'atrocité" d'un ennemi irrégulier.

Ramenées à l'échelon du militaire sur le terrain - militaire qui, après tout, en démocratie, est censée lutter pour les objectifs que lui assigne le politique - le succès de l'influence est une question vitale. Surtout lorsque l'usage de la force ostensible peut être contre-productif et en termes de recrutement au profit du camp opposé, et en termes de dégâts sur sa propre opinion publique.

L'opération n'est certainement pas aisée, y compris dans la mesure où elle exige du militaire un discours politique sur les buts de la guerre - qu'il dise qui il combat et au nom de quoi il le combat - sans se réfugier derrière la légitimité de l'autorité qui le commande. Il faut également énoncer quelles visions du monde s'opposent, donc entrer dans un processus d'affrontement idéologique.

Mais cela est certainement indispensable puisqu'il ne s'agit plus -plus seulement, plus classiquement - de faire céder la volonté adverse par la force. Désarmer l'intention hostile, diminuer le nombre des ennemis de demain quitte parfois à moins en tuer aujourd'hui, décourager de recourir aux armes, si possible amener celui qui l'a déjà fait à y renoncer, diminuer l'impact de l'image de sa propre force... : ce ne sont pas des tâches faciles. Il se pourrait même que certaines soient contradictoires. Par exemple, comment révéler l'atrocité de ce que fait l'ennemi - donc sa nocivité - sans désavouer la rhétorique de la pacification qui est sur le point de réussir ? Comment mobiliser les siens, parfois avec un discours martial ou emphatique, et ne pas choquer ceux qui pourraient s'identifier à la cause adverse ? Agir à la fois sur le plan de la combativité et de la légitimité demande un singulier sens de l'équilibre.

Il ne suffit ni de lire le bon manuel, ni d'élaborer le bon message, ni de se doter d'assez de vecteurs pour toucher la population cible. Et souvent l'énoncé, ce que l'on dit, est contredit par l'énonciation, comment on le dit (y compris en uniforme étranger et en terre étrangère).

Il nous semble, en conclusion, qu'il y a en deux facteurs qui échappent au discours de bienveillance (nous sommes là pour vous aider) et de justice triomphante (nous allons écraser notre ennemi qui est aussi celui du genre humain) et qu'il faudra intégrer dans ses calculs de séduction ou d'apaisement.

La valeur symbolique du territoire d'abord. Qu'il s'agisse du territoire réel, celui où la présence de l'étranger, même animé des meilleure intentions, est toujours problématique, ou du territoire mythique dont se réclament les jiahdistes (la terre d'Islam que les Occidentaux auraient violée, justifiant ainsi la guerre sainte).

Le second facteur est tout simplement la colère accumulée. Selon l'expression du philosophe Sloterdijk, l'Histoire traduit souvent l'existence de "banques de la colère" où s'accumulent le sentiments de vengeance inassouvie et de torts non compensés, les affects négatifs, les rages et les humiliations.

Désamorcer les pièges de la territorialité et du ressentiment, un défi qui touche au plus profond de l'éthos du guerrier.

09:55 Publié dans Militaria | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guerre, art de la guerre, sun tzu, stratégie, chine, chine antique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Marche républicaine à l’Universel : l’ultralibéralisme, poison républicain

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Marche républicaine à l’Universel : l’ultralibéralisme, poison républicain

par Antonin Campana

Ex: http://www.autochtonisme.com

 

Nous croyons à tort que l’ultralibéralisme, c’est-à-dire la société ouverte par la déréglementation des marchés et du travail, la concurrence libre et non faussée, la circulation sans entraves des marchandises, des hommes et des capitaux… est d’apparition récente. Pourtant, l’ultralibéralisme est inscrit dans le projet républicain dès le début de la révolution dite « française ». Quoi d’étonnant, quand on sait que cette révolution fut conduite par une bourgeoisie d’affaires qui avait pour seul objectif de défendre ses intérêts, dussent-ils aller à l’encontre de ceux du peuple ?

Le processus de mondialisation ultralibéral ne s’est pas déclenché par hasard, par accident ou en raison de l’évolution des techniques ou de l’économie. Ce processus a d’abord été fantasmé avant d’être expérimenté il y a déjà plus de deux siècles. Grâce au coup d’Etat de 1789, la bourgeoisie d’affaires a pu légalement se doter de tous les outils nécessaires au déclenchement de cette expérimentation. L’objectif était d’installer une économie sans frontières et sans règles, une économie fondée sur l’exploitation d’une masse humaine atomisée par une petite minorité organisée et concentrant tous les pouvoirs.

Pour les républicains, la liberté de faire commerce fait partie des droits de l’homme car « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4 de la Déclaration des droits de l’Homme, rédigée par eux). De plus, la protection de la propriété est un devoir sacré. L’individu doit pouvoir en disposer librement. Dans son projet de Constitution présenté à la Convention le 15 février 1793, Condorcet (le concepteur d’un système métrique qui se voulait lui aussi universel) énonce :

  • Que la « Propriété » fait partie des droits civils, naturels et politiques des Hommes (article 1)
  • Que  « Le droit de propriété consiste en ce que tout homme est le maître de disposer à son gré de ses biens, de ses capitaux, de ses revenus et de son industrie » (article18)
  • Que « Nul genre de travail, de commerce, de culture, ne peut lui être interdit ; il peut fabriquer, vendre et transporter toute espèce de production. (article 19)
  • Que « Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre luimême » (article 20)
  • Que « Nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement » (article 21)
  • Qu’Il y a « oppression » lorsqu'une Loi viole le droit de propriété qu'elle doit garantir, droit faisant partie (art. 1) des « droits naturels, civils et politiques » (article 32)

De tout cela il ressort que le financier, l’industriel ou l’oligarque peut jouir comme il l’entend des capitaux ou des moyens de production qu’il s’est appropriés : il peut donc délocaliser ses industries, fermer ses usines, transférer à l’étranger des capitaux. Il peut aussi, disposant à son gré de cette industrie, substituer des travailleurs étrangers aux travailleurs français. Toute volonté de restreindre le droit d’un individu à délocaliser ou fermer des usines, toute volonté d’instaurer une limite au mouvement des capitaux, toute volonté de réglementer le fonctionnement des moyens de production est assimilable à une « oppression ».

La société que propose ici Condorcet est une société complètement déréglementée : chacun doit pouvoir exercer le métier, le commerce ou l’activité de son choix, quand il le souhaite et comme il le souhaite (« Nul genre de travail, de commerce, de culture, ne peut lui être interdit ; il peut fabriquer, vendre et transporter toute espèce de production »). Cela veut dire, ramené à notre époque, qu’il n’y a plus besoin de licence pour conduire un taxi, d’avoir un diplôme particulier pour vendre des  médicaments ou d’obtenir une autorisation pour commercer le dimanche. La proposition de Condorcet ne fait que traduire les dispositions de la loi du 2-17 mars 1791 (décret d’Allarde) qui en son article 7 énonce : « A compter du 1er avril prochain, il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon… ».

En matière de déréglementation et de dérégulation, l’ultralibéralisme de la période révolutionnaire est bien plus radical que celui d’aujourd’hui. Ainsi, le décret d’Allarde (1791) avait autorisé n’importe quel citoyen à exercer n’importe quel métier. Certains, sans aucune connaissance particulière en médecine ou pharmacie, se sont autorisés à se dire médecin ou pharmacien. Du coup, les formations et diplômes correspondants n’ont plus eu aucune raison d’être. Une loi du 18 août 1792 a donc supprimé la Faculté de médecine. L’année suivante, un décret du 15 septembre 1793 établissait  " la dissolution et la fermeture des Facultés et organisations enseignantes". En quelques semaines, des institutions existant depuis plusieurs siècles ont totalement disparu du territoire : Ecoles de Médecine mais aussi Collège de Chirurgie, Collège de Pharmacie, Académie de Chirurgie, société Royale de Médecine, sociétés scientifiques… Les conséquences furent immédiates. Des milliers de charlatans sans formation exercèrent désormais librement la médecine et la pharmacie. De nombreux patients le payèrent de leur vie. Le scandale était tel que le pouvoir républicain fut obligé de réviser les principes ultralibéraux proclamés. Le rapport de Barras au Directoire (16 janvier 1798) nous laisse clairement entrevoir l’ampleur du problème :

«  Le public est victime d’une foule d’individus peu instruits qui, de leur autorité, se sont érigés en maîtres de l’art, qui distribuent des remèdes au hasard, et compromettent l’existence de plusieurs milliers de citoyens… O citoyens représentants, la patrie fait entendre ses cris maternels et le Directoire en est l’organe ! C’est bien pour une telle matière qu’il y a urgence : le retard d’un jour est peut-être un arrêt de mort pour plusieurs citoyens !… Qu’une loi positive astreigne à de longues études, à l’examen d’un jury sévère, celui qui prétend à l’une des professions de l’art de guérir; que la science et l’habitude soient honorées, mais que l’impéritie et l’ignorance soient contenues; que des peines publiques effraient la cupidité et répriment des crimes qui ont quelque ressemblance avec l’assassinat ! ».

Pour endiguer la catastrophe sanitaire, les révolutionnaires avaient rétabli en 1794 des écoles de santé. Cependant, ces écoles étaient consacrées aux seuls militaires et ne remettaient pas en cause la « liberté de faire tel négoce ou d’exercer telle profession ». Il faudra attendre la loi du 10 mars 1803 pour que l’exercice de la médecine soit soumis à une formation et à la réussite à des examens officiels ! Belle réussite !

Il va de soi que ces déréglementations auraient été impossibles dans le cadre de l’ordre social traditionnel. Cet ordre protégeait l’exercice des métiers et régulait de telle sorte le marché du travail qu’il était impossible de le « libéraliser ». Par « libéraliser », il faut comprendre : « laisser le renard libre dans le poulailler libre ». Il reviendra à la Révolution d’introduire le renard dans le poulailler, non sans s’être assuré auparavant que les poules étaient dans l’incapacité de se rassembler face au prédateur. Au nom de la liberté du travail, on va ainsi interdire les corporations, maîtrises, jurandes par le décret d’Allarde (mars 1791). La loi Le Chapelier (14 juin 1791) fera un délit du rassemblement des ouvriers et des paysans en vue de défendre leurs intérêts. On appellera cela le « délit de coalition ». Toute coalition ouvrière sera punie d’emprisonnement. La grève est interdite. Les coalitions patronales, quant à elles, seront autorisées à condition qu’elles n’aient pas pour objectif de faire baisser les salaires.  Comme le voulait Condorcet, tout individu pourra vendre son service et son temps… aux conditions fixées par son employeur. Certes, il ne pourra se vendre lui-même, mais, comme aux Etats-Unis ou la conditions des ouvriers blancs du Nord industriel sera aussi misérable que celle des esclaves noirs du Sud agricole, la condition ouvrière en France sera assimilable à un esclavage de fait.

A la libéralisation du travail et à l’esseulement de l’ouvrier exploité s’ajoute l’ouverture complète du marché. Le décret de l’Assemblée du 30 et 31 octobre 1790 supprime les douanes intérieures. Les douanes extérieures seront bientôt repoussées jusqu’aux frontières des pays conquis, avec un tarif national douanier unique s’appliquant aussi bien en France, qu’en Italie, Espagne, Suisse, Belgique, Pays Bas ou Allemagne. Mais ces frontières européennes elles-mêmes ne doivent-elles pas être abolies ? Car la République est « universelle, une et indivisible » proclame le député du Cantal Jean-Baptiste Milhaud en 1792. Autrement dit, le « morcellement politique » et les « corporations nationales » doivent être supprimés au nom de « l’indivisibilité du monde » ajoute le député Anacharsis Cloots (1792). Il faut abattre les frontières et installer une « gouvernance globale » ou plutôt, dans le langage du XVIIIe siècle : un « sénat du genre humain », une « législature cosmopolite » (Cloots) ou un « Congrès du Monde entier » (Chénier, 1792).

La République universelle projetée par les révolutionnaires se confond avec le marché unique planétaire. Ecoutons Cloots, qui annonce l’immigration  de peuplement, la monnaie unique, le marché libre, globalisé et homogène ainsi  que l’âge d’or du négoce et des manufactures : « les peuples sauront franchir les barrières pour s’embrasser fraternellement. C’est alors que les vicissitudes du change monétaire, du commerce maritime et continental ne troubleront plus la valeur des marchandises. La nourriture, le vêtement, la santé, la tranquillité, ne dépendront plus de spéculations et de l’agiotage des corporations étrangères. La circulation des subsistances et des médicaments ne trouvera aucun obstacle nulle part (…) Le bon prix  se soutiendra partout par les nombreux canaux d’un commerce permanent et invariable, par la concordance des poids et mesures (…) Les négociants ne craindront plus les flétrissures de l’infâme banqueroute. L’agriculture et les manufactures, jamais troublées par la guerre, ne se ressentiront point de l’inclémence locale des saisons…. ». (Discours à la barre de l’Assemblée nationale au nom des Imprimeurs, 9 sept. 1792)

Pour finir, Anacharsis Cloots promet d’étendre au reste de l’Europe et à toute la terre le « commerce sans entraves, sans bornes et sans limites » qui unit, dit-il, la France et les provinces conquises en Espagne, en Italie et en Allemagne. Et il termine par ces mots : « L’Univers formera un seul Etat, l’Etat des Individus-Unis (…), la République-Universelle ».

En conclusion, il est tout à fait clair que le processus de mondialisation, la fin des Etats nations, la dérégulation, la déréglementation, la loi absolue du marché, l’effacement des frontières, la libre circulation des hommes et des marchandises, la volonté d’esseuler l’individu face à l’employeur… ont été pensés, voulus et construits, brique à brique, par une république qui se voulait universelle. Nous vivons aujourd’hui l’aboutissement d’une grande marche globaliste commencée en 1789. Notons que cette marche a été cependant ralentie par des luttes autochtones. Des rapports de force favorables ont parfois obligé le régime à reculer : ainsi du retour des professions réglementées, de l’abrogation du délit de coalition, de la loi sur la création des syndicats ou de la loi sur les associations. Cependant, nous voyons bien que, globalement, ce sont les conceptions de la bourgeoisie d’affaires de 1789 qui déterminent  aujourd’hui la nature du marché et son organisation. Le marché est libre, sans entrave et sans bornes comme le voulait Cloots. Les syndicats ne sont plus que des auxiliaires du pouvoir. L’offensive pour déréglementer à nouveau les professions, notamment celles du droit, de la médecine et de la pharmacie, a recommencé. Le code du travail, code protecteur s’il en est, conquis de haute lutte, est progressivement démantelé. Le contrat collectif de travail, conquis de haute lutte lui-aussi, s’efface devant un contrat individuel à la carte. Quant aux frontières, symboliques, elles  n’empêchent ni la libre circulation des hommes, ni celle des capitaux, ni celle des marchandises.

On reconnaît l’arbre à ses fruits, dit-on. Avec de telles racines républicaines, l’ultralibéralisme ne pouvait produire que des fruits empoisonnés.

Antonin Campana

Actualités européennes : le refus de l’intégration balkanique

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Actualités européennes : le refus de l’intégration balkanique

par Eugène Guyenne

Ex: http://thomasferrier.hautetfort.com

Récemment, Emmanuel Macron, avec Mark Rutte (Premier Ministre néerlandais) et le premier ministre danois, s'est posé en étendard de la continuité de l’entrisme atlantiste dans l’Union Européenne, et ce en rejetant l’entrée des pays balkaniques, avec la Macédoine du Nord et l’Albanie à l’ordre du jour, provoquant de nombreuses déceptions dans ces deux pays.

Tant chez la chancelière allemande Angela Merkel, que chez le président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker, ce dernier dénonçant même “une lourde erreur historique” et que “pour être crédible, elle [l’Union européenne] doit respecter ses engagements”, que chez le président du Conseil européen Donald Tusk mentionnant qu’une « écrasante majorité des États membres étaient favorables » à l’ouverture des négociations avec les deux candidats, qui requiert l’unanimité des États membres, tous ont manifesté leur mécontentement.

Alors que le dossier balkanique, comme le Brexit, est encore repoussé aux calendes grecques (au printemps 2020 lors du prochain sommet UE-Balkans organisé à Zagreb, où la Croatie sera la prochaine directrice pendant 6 mois), Zoran Zaev (Premier ministre de Macédoine du Nord) a proposé qu’aient lieu des élections anticipées, dont les dates seront dévoilées le 20 octobre 2019, en réaction à cette décision de rejet de Bruxelles.

Et encore une fois, s’il fallait en douter, l’Union Européenne prouve qu'elle est une « Europe des États », par nature stérile avec toujours le même manichéisme occidental où les « projets européens » sont perpétuellement repoussés à plus tard.

En attendant peut-être un changement, grâce au Parti des Européens (LPE).

Eugène Guyenne (Le Parti des Européens)