lundi, 21 octobre 2019
2500 ans de stratégie d'influence
2500 ans de stratégie d'influence
par François-Bernard Huyghe
Ex: http://www.huyghe.fr
Influence ? de l’inévitable Art de la guerre de Sun Tzu (fin du VI° siècle avant JC) au premier traité de stratégie occidental connu (Enée le Tacticien qui conseille d’utiliser des agents d’influence pour prendre des villes ennemies au IV° siècle av. J.C.), l’idée de l’employer à des fins militaires est tout sauf neuve.
Influence ? Aujourd’hui, la notion est dans l'air du temps : opérations d'influence, communication d'influence, e-influence ou stratégie d'influence...
Qu'y a-t-il de commun entre une méthode destinée à pacifier une vallée afghane et la conquête de nouveaux marchés ? Entre le discours d'un sophiste, l'écho d'une opinion amplifiée par le Net et la vision planétaire du "soft power" US ?
D'abord ce que l'influence n'est pas : ni contrainte, ni contrat. Ce dont elle dispense : le bâton, et la carotte. La relation d'influence procure un pouvoir, mais où, en principe, n'entre pas la dimension de la force ou de la menace, ni même la simple autorité. Pas davantage l'échange des biens et le calcul des intérêts. Encore qu'il existe des phénomènes comme le charisme où se mêlent prestige et séduction, et qu'un rapport contractuel suppose souvent son jeu d'influence au moment de la négociation.
Mais l'influence se manifeste généralement par le fait que l'influencé a, au final, adopté une attitude qui n'aurait pas été la sienne auparavant sans que les avantages ou les inconvénients qu'il en retirerait aient objectivement changé. Simplement, il a envisagé autrement la situation et n'a eu le sentiment d'avoir cédé à aucune force, ni gagné de contrepartie : le changement lui a semblé spontané ; il est comme venu de l'intérieur (quand on dit que l'on a agi sous influence, c'est généralement un piteux aveu pour s'exonérer d'une faute).
Influence ? Aujourd’hui, la notion est dans l'air du temps : opérations d'influence, communication d'influence, e-influence ou stratégie d'influence...
Qu'y a-t-il de commun entre une méthode destinée à pacifier une vallée afghane et la conquête de nouveaux marchés ? Entre le discours d'un sophiste, l'écho d'une opinion amplifiée par le Net et la vision planétaire du "soft power" US ?
D'abord ce que l'influence n'est pas : ni contrainte, ni contrat. Ce dont elle dispense : le bâton, et la carotte. La relation d'influence procure un pouvoir, mais où, en principe, n'entre pas la dimension de la force ou de la menace, ni même la simple autorité. Pas davantage l'échange des biens et le calcul des intérêts. Encore qu'il existe des phénomènes comme le charisme où se mêlent prestige et séduction, et qu'un rapport contractuel suppose souvent son jeu d'influence au moment de la négociation.
Mais l'influence se manifeste généralement par le fait que l'influencé a, au final, adopté une attitude qui n'aurait pas été la sienne auparavant sans que les avantages ou les inconvénients qu'il en retirerait aient objectivement changé. Simplement, il a envisagé autrement la situation et n'a eu le sentiment d'avoir cédé à aucune force, ni gagné de contrepartie : le changement lui a semblé spontané ; il est comme venu de l'intérieur (quand on dit que l'on a agi sous influence, c'est généralement un piteux aveu pour s'exonérer d'une faute).
Si l'influence est la capacité d'obtenir indirectement d'autrui un comportement ou une attitude favorable à ses desseins et en n'utilisant que des signes au sens large (des mots, des apparences, des images que l'on émet, peut-être des musiques...), le succès du terme s'explique. Qui ne désirerait faire avancer ses intérêts (c'est de cela qu'il s'agit au fond) en amenant l'autre à adopter son point de vue, voire ses convictions ? Surtout à si faible prix ? Qui ne voudrait désarmer l'hostilité sans avoir à combattre ? Multiplier ses soutiens ou être, tout simplement, populaire ou imité ? Profiter des courants sociaux ou culturels, voire les anticiper et les provoquer ?
D'autant qu'il existe sur le marché des idées (voire sur le marché tout court) des méthodes qui proposent suivant le cas de convaincre son auditoire, de déradicaliser les islamistes, de mieux vendre des aspirateurs, de développer son "hub-influence" par les réseaux sociaux voire de changer la politique internationale...
Le succès récent d'un mot nous renvoie aux sources de notre culture. La rhétorique antique n'est pas la simple production de beaux discours ; c'est l'art de gagner la conviction des citoyens. À Athènes, elle est partout dans la Cité : justice (techniques de l'avocat), politique démocratique (art d'emporter le suffrage de l'Assemblée) et philosophie (amener les hommes de la doxa, l'opinion reçue par la plupart, à l'aletheia, la vérité philosophique). Cette façon de faire opiner l'opinion s'apparente à un art martial, mais pratiqué avec des mots : l'argument fort prédomine l'argument faible et l'orateur gagne des têtes comme on gagne des duels.
La persuasion - par qui un sujet adhère à une affirmation de fait, à une idée ou à un jugement présentés d'une certaine façon - ne résume pas toutes les dimensions de l'influence.
En témoignent, par exemple, la conversion religieuse, avec les Jésuites, corps à la fois quasi militaire et professionnel de la propagation spirituelle, ou la diffusion des idées des Lumières, contagion idéologique initiée par des "sociétés de pensée", exemples de la dimension "inclusive" de l'influence. Elle suppose de faire un Nous : intégrer le convaincu dans une nouvelle communauté de croyants. L'influence ne consiste pas seulement dans le "transfert" de l'affirmation X de la tête de A à la tête de B, mais une relation à bien plus long terme.
Au fil du temps, l'influence se pense dans divers contextes :
- esthétique : la reprise de modèles littéraires ou artistiques (telle la diffusion du romantisme en Europe)
- sociologique : les lois de l'imitation selon G. Tarde, la psychosociologie qui traite des interactions entre individu et groupes comme les effets de conformisme, l'influence et les effets de croyance des médias ou encore l'action des minorités actives, ceux qui justement font parfois changer les normes dominantes par l'influence, les changements ou confirmation d'attitude, croyance et valeurs
- politique avec la question des groupes dits d'intérêt ou d'influence dont la vocation est précisément de peser plus que leur poids électoral par l'influence sur les détenteurs de l'autorité
- géopolitique, domaine où les stratégies d'influence contraient ou prolongent les rapports de puissance
- économique, notamment lorsque l'intelligence économique place les tactiques de lobbying et autres actions d'influence et contre-influence à égalité avec l'acquisition et la protection de l'information stratégique.
Progressivement, la pratique de l'influence a fini par intégrer des méthodes que nous pourrions appeler
-de l'image (telles des politiques de prestige qui suscitent l'imitation),
-du code et qui consistent à "formater" ou plutôt à préformer les attitudes mentales de ceux que l'on influence (p.e. en lui apprenant une langue, une technique intellectuelle et des catégories mentales)
-ou encore de mobilisation de réseaux humains ou numériques.
Car l'influence est un sport d'équipe. Sauf cas limites qui rappellent singulièrement la situation de l'orateur grec (par exemple celle de la plaidoirie d'un avocat), l'influence ne se pratique pas seul : elle suppose des moyens matériels, des dispositifs et des communautés humaines prêtes à propager leurs convictions, ou constituant un terrain réceptif capable d'amplifier l'influence initiale (on songe ici aux "réseaux sociaux" numériques qui peuvent parfois donner un incroyable écho à un message initial qui a simplement rencontré le moment juste et bonnes prédispositions).
L'influence, pour le dire autrement suppose les quatre M : le message efficace, le média adapté, la médiation de groupes pour la transmettre, l'adaptation au milieu (dont la compréhension des codes et valeurs de l'influencé)..
Cette capacité d'agir sur l'autre en lui faisant changer son évaluation de la réalité est potentiellement présente dans les rapports humains ; sa recherche délibérée inspire force techniques intellectuelles et matérielles. Notre époque est particulièrement riche en néologismes comme opérations psychologiques, management de la perception, communication publique, storytelling, e-influence... Comme la guerre, l'influence obéit à des principes immémoriaux simples mais c'est un art tout d'exécution. Ce qui importe c'est moins le nom d'une technique que le rapport entre l'objectif recherché et l'organisation qui y recourt. Qui et comment nous influençons traduit notre identité et nos finalités.
Le succès de l'influence est de plus en plus déterminée par les techniques de communication qu'elle mobilise.
Ce n'est pas la même chose que de produire des livres et journaux pour une population alphabétisée (et sur un territoire où l'on contrôle ce qui peut s'exprimer), de se doter d'une télévision internationale d'information qui aura un quasi monopole des images disponibles dans les rédactions TV du monde ou encore de tenter de contrebalancer des images d'atrocités que vous imputent vos adversaires et qui circulent sur Facebook.
Et lorsque c'est l'État qui veut exercer l'influence pour prolonger sa puissance, motiver des alliés potentiels et retirer des partisans à la puissance rivale, il doit bien tenir compte de cette évolution technique.
Ainsi, suivant les époques, il peut :
- adopter la stratégie de la forteresse et empêcher les médias étrangers (suspects de propagande) de toucher sa population, en contrôlant ses frontières
- mener une campagne internationale dénonçant les atrocités ennemies et proclamant la justesse de sa cause selon une méthode déjà utilisée en 14-18
- pratiquer une "diplomatie publique" dans une situation de type guerre froide, notamment par des médias émettant vers le territoire de l'adversaire, pour contrer le discours idéologique.
- compter sur le "soft power" de ses industries culturelles pour séduire la planète
- s'efforcer de diriger des "flux d'attention" sur Internet vers des sources favorables à sa cause pour contrer l'effet ravageur de la "propagande d'atrocité" d'un ennemi irrégulier.
Ramenées à l'échelon du militaire sur le terrain - militaire qui, après tout, en démocratie, est censée lutter pour les objectifs que lui assigne le politique - le succès de l'influence est une question vitale. Surtout lorsque l'usage de la force ostensible peut être contre-productif et en termes de recrutement au profit du camp opposé, et en termes de dégâts sur sa propre opinion publique.
L'opération n'est certainement pas aisée, y compris dans la mesure où elle exige du militaire un discours politique sur les buts de la guerre - qu'il dise qui il combat et au nom de quoi il le combat - sans se réfugier derrière la légitimité de l'autorité qui le commande. Il faut également énoncer quelles visions du monde s'opposent, donc entrer dans un processus d'affrontement idéologique.
Mais cela est certainement indispensable puisqu'il ne s'agit plus -plus seulement, plus classiquement - de faire céder la volonté adverse par la force. Désarmer l'intention hostile, diminuer le nombre des ennemis de demain quitte parfois à moins en tuer aujourd'hui, décourager de recourir aux armes, si possible amener celui qui l'a déjà fait à y renoncer, diminuer l'impact de l'image de sa propre force... : ce ne sont pas des tâches faciles. Il se pourrait même que certaines soient contradictoires. Par exemple, comment révéler l'atrocité de ce que fait l'ennemi - donc sa nocivité - sans désavouer la rhétorique de la pacification qui est sur le point de réussir ? Comment mobiliser les siens, parfois avec un discours martial ou emphatique, et ne pas choquer ceux qui pourraient s'identifier à la cause adverse ? Agir à la fois sur le plan de la combativité et de la légitimité demande un singulier sens de l'équilibre.
Il ne suffit ni de lire le bon manuel, ni d'élaborer le bon message, ni de se doter d'assez de vecteurs pour toucher la population cible. Et souvent l'énoncé, ce que l'on dit, est contredit par l'énonciation, comment on le dit (y compris en uniforme étranger et en terre étrangère).
Il nous semble, en conclusion, qu'il y a en deux facteurs qui échappent au discours de bienveillance (nous sommes là pour vous aider) et de justice triomphante (nous allons écraser notre ennemi qui est aussi celui du genre humain) et qu'il faudra intégrer dans ses calculs de séduction ou d'apaisement.
La valeur symbolique du territoire d'abord. Qu'il s'agisse du territoire réel, celui où la présence de l'étranger, même animé des meilleure intentions, est toujours problématique, ou du territoire mythique dont se réclament les jiahdistes (la terre d'Islam que les Occidentaux auraient violée, justifiant ainsi la guerre sainte).
Le second facteur est tout simplement la colère accumulée. Selon l'expression du philosophe Sloterdijk, l'Histoire traduit souvent l'existence de "banques de la colère" où s'accumulent le sentiments de vengeance inassouvie et de torts non compensés, les affects négatifs, les rages et les humiliations.
Désamorcer les pièges de la territorialité et du ressentiment, un défi qui touche au plus profond de l'éthos du guerrier.
09:55 Publié dans Militaria | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guerre, art de la guerre, sun tzu, stratégie, chine, chine antique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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