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samedi, 15 février 2020

Jean-François Fiorina s’entretient avec Olivier Zajec

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Jean-François Fiorina s’entretient avec Olivier Zajec

Ex: http://notes-geopolitiques.com

Constamment mise à jour et rééditée, l’Introduction à l’analyse géopolitique d’Olivier Zajec (Le Rocher, 2018), publiée pour la première fois en 2013, est en passe de devenir un classique, et son auteur l’une des figures universitaires marquantes de sa génération.

Très impliqué dans la réflexion stratégique, c’est aussi un pédagogue qui excelle dans l’art de sensibiliser le grand public aux questions complexes, comme l’illustre son superbe album de 2017, Frontières (Chronique Editions).

Il n’en était que plus indiqué pour nous parler de son parcours, de sa vision de la géopolitique, et des évolutions que connaît cette discipline, instrument indispensable, résume-t-il, pour « saisir l’alterité » et comprendre les transformations du monde.

Comment en êtes-vous venu à la géopolitique, puis avez-vous choisi d’orienter votre enseignement vers cette discipline ?

Je suis venu à la géopolitique par l’histoire (maîtrise puis agrégation), avant de choisir la science politique comme enseignant-chercheur, à l’issue de ma thèse.

Plus j’enseigne la géopolitique et les Relations internationales, que ce soit à mes étudiants de master à Lyon 3, ou aux officiers dans les écoles de guerre, en France comme à l’étranger, et plus le socle historique m’apparaît comme indispensable.

En règle générale, les géopoliticiens qui ne se préoccupent que d’économie ou de science politique – pour ne rien dire de ceux qui ont un agenda purement idéologique – ont tendance à privilégier les dynamiques par rapport aux inerties, même inconsciemment.

La géopolitique est l’art de pondérer ces deux forces, en tenant compte des conditionnements culturels et spatiaux.

L’histoire, qui donne l’intuition de la longue durée, de ce qui est « lent à couler, à se transformer », comme l’écrivait Braudel, est donc l’une des ancres référentielles majeures de la géopolitique.

Il n’y a pas d’analyse socio-spatiale utile sans prise en compte de la longue durée.

Pour comprendre notre monde, où s’entremêlent sans cesse passé et présent, mémoires et espoirs, coopération et compétition, peut-être vaut-il mieux lire René Grousset que Robert Kaplan.

Vous avez consacré votre thèse à Nicholas Spykman. Sa pensée ou à tout le moins sa méthode d’analyse sont-elles toujours utiles aujourd’hui ?

63318573_14150726.jpgSpykman est un personnage assez fascinant. De nombreux auteurs de géographie politique le classent parmi les géopoliticiens « matérialistes », uniquement préoccupés de quantification des facteurs de force, en particulier militaires, et obnubilés par les déterminismes liés à la localisation des acteurs étatiques.

Tous les manuels répètent ce topos. C’est malheureusement une perspective complètement faussée, qui montre à quel point l’historiographie des concepts et théories géopolitiques est parfois mal connue en France, malgré les travaux récents de Martin Motte, de Pascal Vénier, de Florian Louis, de Philippe Boulanger et d’autres auteurs.

L’originalité de Spykman réside en premier lieu dans sa formation sociologique, laquelle prend racine dans la thèse de doctorat qu’il consacre à la sociologie de Georg Simmel en 1923, et qui fut lue avec profit dans l’entre-deux guerres par de nombreux sociologues, philosophes et spécialistes de relations internationales, parmi lesquels le jeune Aron, comme je l’ai montré dans une biographie publiée en 2016.

Cette culture sociologique, fondée sur une intégration fonctionnelle des interactions, des distances et du conflit, contribue à faire de Spykman un cas singulier chez les politistes et les « géopoliticiens » de l’entre-deux guerres : « Je suis, répétera-t-il souvent, un théoricien social, l’un de ceux qui adaptent un peu de leur théorie sociale dans le domaine des relations internationales… »

Spykman, en raison de son éducation au regard sociologique, sera de fait l’un des rares pionniers des Relations internationales à penser le mot relations au même titre que le mot international.

C’est extrêmement moderne, presque constructiviste, et cela se passe à la fin des années 1920 !

La géopolitique de ce globe-trotter polyglotte est en réalité une géo-sociologie, une modélisation socio-spatiale qui fait la différence entre l’aspect quantitatif de la force, et l’aspect qualitatif de la puissance.

Son concept de « rimland », par exemple, privilégie l’équilibre à l’opposition. Contrairement à ce que répètent les manuels à ce propos, c’est Mackinder, beaucoup plus que Spykman, qui inspire le containment de la Guerre froide.

Spykman est mort prématurément en 1943. En quoi est-il utile dans le monde multipolaire qui est déjà le nôtre ?

D’abord, par sa méthode. Pour lui, la géostructure demeure bien la plus permanente des réalités de la politique internationale.

Mais il est également le premier, des décennies avant la Critical Geopolitics, à faire reposer sa théorie des Relations internationales sur un socle « social ». C’est d’une géopolitique interstitielle et contextualisée de ce type dont nous avons aujourd’hui besoin, me semble-t-il. La géopolitique n’est pas une « science » déterministe.

C’est une méthode d’approche des conditionnements de la scène internationale.

Elle nous suggère des modèles, plutôt que de nous imposer des lois. C’est cette approche dont Spykman a été le pionnier négligé.

Redécouvrir la géopolitique à travers son regard est extrêmement enrichissant.

Par quels autres auteurs, anciens ou actuels, avez-vous été marqué ?

Bien entendu, en matière de géopolitique, il faut connaître et redécouvrir les « classiques » : Ratzel, Mackinder, Mahan, Haushofer, pour s’apercevoir tout à la fois de la richesse de leur pensée (les Allemands, Ratzel surtout, ont été caricaturés) mais également… de leurs limites. Mahan n’est pas très profond, il a beaucoup emprunté.

Mackinder a un regard qui embrasse les continents et brasse les époques, mais son anglo-centrisme outré lui fait exagérer la dichotomie terre-mer d’une manière excessive.

Les auteurs les plus intéressants, anciens ou nouveaux, sont pour moi ceux qui se situent généralement aux marges de la géopolitique.

Par exemple le sociologue Robert Park et son concept de Human Ecology, l’approche d’économie géographique de l’économiste Paul Krugman, ou le travail pionnier et extrêmement pénétrant réalisé sur les frontières par le géographe Michel Foucher.

Pour la synthèse entre géopolitique et stratégie, Coutau-Bégarie doit être lu et relu, car nul n’est plus clair et synthétique.

Le terme « géopolitique » est aujourd’hui très utilisé, souvent de manière extensive, et parfois abusive. Tout ne se résume pas à la géopolitique. A contrario, certains auteurs considèrent aujourd’hui que la mondialisation, parce qu’elle ôte de l’influence aux Etats, donc relativise l’importance politique du territoire, rend la géopolitique, sinon obsolète, en tout cas moins légitime. Comment vous situez-vous dans ce débat ? Et d’une manière générale, dans quelle(s) direction(s) la géopolitique évolue-t-elle aujourd’hui ?

71skiYG2LXL.jpgL’interdépendance économique est certes une réalité. Elle l’était aussi à la veille de 1914.

Son extension ne vaut nullement garantie d’un futur pacifique. Ainsi que le rappelait Hassner dans une optique tout aronienne, « l’universalité ne saurait faire fi de la pluralité, le cosmopolitique de l’interétatique, donc de la rivalité et du conflit ».

La géopolitique a un bel avenir devant elle, contrairement à certaines théories performatives à obsolescence programmée qui promettent, semble-t-il, de disparaître avec les cohortes les plus idéologisées de la génération du baby-boom.

Les années 1990-2000 ont été marquées par une illusion intellectuelle, parfois fortement polarisée idéologiquement.

Après avoir diagnostiqué la fin de la géographie (O’Brien), de l’histoire (Fukuyama), ou des frontières (Ohmae), les analystes transnationalistes ou libéraux-institutionnalistes semblent aujourd’hui sur la défensive.

Sans sous-estimer la force des phénomènes globaux de convergence normative, il nous faut effectivement constater que, dans la société internationale contemporaine, les dynamiques de différenciation politiques semblent bien progresser au rythme même des dynamiques d’uniformisation technologiques.

Je fais souvent la comparaison avec le processus de mise à feu thermonucléaire, fondé sur la fission-fusion : nous voyons en effet à l’oeuvre dans la géopolitique mondiale une concomitance de la fusion globale (économique, financière et technologique) et des fissions locales (culturelles et identitaires).

La première s’accélère, les autres se multiplient. Mal régulé, ce mélange peut libérer des forces explosives d’une intensité accrue.

Le plus urgent, pour préserver la paix, est sans doute de considérer avec attention les mutations dynamiques de la structure internationale actuelle, en estimant à leur juste poids les agendas politiques et culturels des acteurs qui la polarisent.

Certains auteurs voudraient que le monde à venir ne soient fait que de lieux et d’espaces interconnectés d’où les appartenances auraient quasi-disparu.

C’est une dangereuse illusion, qui sous-estime la centralité renouvelée du politique dans notre monde réticulé où la connexion, je le répète souvent aux étudiants, n’est pas forcément le lien.

Entre le local et le global, il y aura toujours des territoires politiquement appropriés, représentés et défendus par des États.

Ces derniers utiliseront le droit et la technologie comme des instruments et non des fins en soi, de manière à augmenter leur influence et densifier leur puissance, au nom de leur autonomie stratégique et de leur liberté d’action.

C’est la raison pour laquelle la géopolitique est aussi intéressante : interprétative et non explicative, elle permet de tempérer nos projections, en modélisant les conditionnements qui agiront sur les matrices de coopération, de compétition et d’opposition de cette nouvelle scène internationale.

En ce sens, les analyses que l’on pourrait appeler « statophobes » voilent la réalité des relations internationales.

Il y a, me semble-t-il, un immense désir d’État dans le monde. Mais des États réformés. Représentatifs. Respectueux de leurs peuples. Que veulent d’ailleurs ces derniers ?

Une connexion au niveau global qui ne détériore pas le respect de leur identité au niveau local.

L’État, à la charnière du global et du local, est donc consubstantiel à la mondialisation, parce que dans un monde accéléré, on attend de lui qu’il assure la paix et la sécurité sur un territoire, en produisant du commun plutôt que de se soumettre aux seules lois du marché.

Sur ce point de la place des États dans la mondialisation, vous avez parfaitement raison de dire que tout ne se résume pas à la géopolitique. Il faut aussi, entre autres, se tourner vers la théorie des relations internationales.

Comme le rappelle ainsi avec raison Michael Williams, reprenant en cela des avertissements similaires du constructiviste Alexander Wendt, « Il est important de noter que l’État demeure une limite – non la limite de la communauté politique. Reconnaître la centralité continue des acteurs étatiques n’empêche en aucune manière le développement – et l’étude analytique – d’autres formes d’ordres, d’institutions, de solidarités transversales et de transformations par-delà les frontières ».

affolement-monde-beandeau.pngDans son récent essai, L’affolement du monde, Thomas Gomart dit que nous vivons un moment « machiavélien », au sens où l’analyse des rapports de force, qui était passée au second plan à l’ère des grandes conférences sur le désarmement, reprend une importance fondamentale dès lors que les trois principales puissances, Etats-Unis, Russie et Chine, réarment comme jamais. Après avoir contribué à stabiliser le monde, ce que le général Gallois appelait « le pouvoir égalisateur de l’atome » est-il en train de devenir obsolète ?

L’analyse de Thomas Gomart est fondamentalement juste. Il faut également lire les développements qu’il a récemment consacrés à la notion d’intérêt national.

En étant sur une ligne pour l’essentiel complémentaire, j’aurais simplement tendance à dire que le moment que nous vivons est sans doute autant « clausewitzien » que « machiavélien ».

Machiavel raisonne en termes de rapports de force transactionnels. Il faut le compléter avec les aspects interactionnels de la théorie réaliste de la guerre clausewitzienne. Celle-ci ne peut pas être restreinte à la stratégie dite « classique ».

Relire Clausewitz, c’est comprendre l’importance de distinguer, pour reprendre son expression, les genres de guerres dans lesquels s’engagent ou auxquelles se préparent les États, et les relations stratégiques qui en découlent au niveau international.

Ceux qui ont négligé Clausewitz pendant la parenthèse idéaliste des années 1990-2000 ont eu tendance à oublier que De la Guerre était un ouvrage de théorie sociale, fondée non pas sur les seuls rapports de force, mais sur la dialectique des intérêts et des volontés.

Et précisément, la dissuasion nucléaire est une dialectique, avant d’être un rapport de force. Les Français l’ont parfaitement compris avec leur concept de stricte suffisance.

La dissuasion reste plus que jamais pertinente et stabilisatrice dans le monde qui vient. Simplement, elle ne peut pas résoudre tous les problèmes.

Sous la voûte nucléaire qui nous garantit des guerres absolues, un considérable espace de conflits potentiels – y compris de guerres majeures – demeure, qu’il faut anticiper et auxquels il faut se préparer en renforçant l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe.

Que peut apporter une culture géopolitique aux futurs managers qui auront à évoluer dans une économie mondialisée ?

Le sens des permanences, qui seul donne l’intelligence des transformations. Et je ne vois pas d’aptitude professionnelle qui soit plus précieuse aujourd’hui.

Que faudrait-il enseigner concrètement aux étudiants en matière de géopolitique ?

Je constate depuis une dizaine d’années, à l’occasion des cours et des conférences que je donne en stratégie, géopolitique ou relations internationales, que le niveau de culture historique, artistique, religieuse et surtout littéraire décroît de manière dramatique. Ce n’est pas un lamento régressif.

C’est un fait brut, massif, inquiétant. Or, il ne peut y avoir de compréhension, d’interprétation, de saisie de ce qui porte l’autre, de ses traumatismes historiques, de ce qui l’attache à un territoire, sans prise en compte de sa matrice spirituelle, de ses modes de représentation du bien et du mal, du beau et du laid, du juste et de l’injuste.

On ne saisit pas la spécificité iranienne sans connaître sa poésie millénaire. Balzac permet toujours de comprendre ce pays déconcertant qu’est la France. Kennan – l’un de mes auteurs préférés – conseillait au Département d’Etat de lire Tchekhov plutôt que les briefs de la CIA pour mieux comprendre les Russes.

Sans les humanités, nous analysons à vide.

9782707178329.jpgDu point de vue des apprentissages, la « géopolitique » n’y fera rien, ni l’économie, ni la « communication ».

Le rejet de la culture générale dans les écoles qui forment les élites françaises est une stupidité sans nom. L’économie, le marketing, sont importants. Mais c’est la culture, pas l’économie, qui nous empêche de nous jeter les uns sur les autres.

La culture n’est pas un produit de nos déterminismes sociaux, elle n’est pas un outil de reproduction de ces derniers, c’est au contraire ce qui permet de leur échapper. Elle est tout ce qui peut parfois paraître inutile de prime abord.

Mais c’est cette culture générale qui donne son prix à une analyse géopolitique, à une dissertation d’économie, à un policy paper de think-tank, parce qu’elle permet de lever le nez des chiffres ou des oracles liés aux taux de croissance, au débit internet, ou au nombre de porte-avions.

Je conseillerais aux étudiants en géopolitique de ne pas utiliser exclusivement les méthodologies instrumentales et quantifiées qu’on leur présente parfois comme plus efficaces, et d’investir aussi dans les outils d’analyse qui permettent d’approfondir l’inquantifiable des vies humaines.

Simone Weil avait saisi cette dimension lorsqu’elle écrivait que « La perte du passé, collective ou individuelle, est la grande tragédie humaine, et nous avons jeté le nôtre comme un enfant déchire une rose. C’est avant tout pour éviter cette perte, concluait-elle, que les peuples résistent désespérément à la conquête. »

Lire cette phrase, la retenir, la méditer, permet de mieux comprendre la raison pour laquelle un petit pays peut résister à un grand pendant si longtemps.

La géopolitique, méthode d’approche multidisciplinaire des Relations internationales, permet de mieux saisir l’altérité.

À condition de l’ouvrir à l’histoire et à la littérature : celles-ci nous fournissent les clés d’un passé qui, en transmettant ce qui fut, nous murmure parfois ce qui sera.

Comment a été reçu votre dernier livre ?

Frontières, paru en 2017, a été bien reçu. Je suis très fier que l’Armée de terre l’ait distingué par le prix « L’Épée ».

Mieux nous comprendrons la nécessité fonctionnelle et indépassable des frontières, moins il y aura de murs dans le monde.

Faire de la géopolitique, c’est également, me semble-t-il, comprendre ce type de paradoxes.

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Pour en savoir plus sur Olivier Zajec:

Olivier Zajec, 43 ans, est maître de conférences en science politique à la faculté de droit de l’université Jean Moulin – Lyon III (EA 4586), où il a fondé et dirige l’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD).

Agrégé et docteur en Histoire des relations internationales (Paris-IV Sorbonne), diplômé de l’École Spéciale Militaire de Saint Cyr et de Sciences-Po Paris, il est membre du Conseil scientifique et chef du cours de géopolitique de l’École de Guerre (Paris) depuis 2015.

Conférencier à l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (IHEDN), à Paris Sorbonne Université Abou Dhabi (PSUAD) et au Centre des Hautes Études Militaires (CHEM), il est chargé de recherches à l’Institut de Stratégie Comparée (ISC, Paris) et directeur adjoint de la revue Stratégique.

En même temps, il collabore régulièrement à diverses publications de défense et de relations internationales : Le Monde diplomatique, Défense et sécurité internationale (DSI), Res Militaris, Conflits, La Revue de Défense nationale.

Il prépare actuellement un ouvrage consacré aux fonctions politiques de la guerre dans les relations internationales.

Olivier Zajec est l’auteur de nombreux articles et de divers ouvrages, dont :

La Mesure de la Force. Traité de stratégie de l’École de Guerre, (avec Martin Motte, Jérôme de Lespinois et Georges-Henri Soutou), Paris, Tallandier, avril 2018 (voir CLES, HS 81, janvier 2019, notre entretien avec Martin Motte) ;

Frontières. Des confins d’autrefois aux murs d’aujourd’hui, Paris, Éditions Chronique, septembre 2017 (Prix « L’Épée » 2018) ;

French Military Operations, dans Hugo Meijer and Marco Wyss (dir.), The Handbook on European Armed Forces, Oxford University Press ;

La formation des élites militaires : un enjeu de politique publique, Stratégique, n° 116, août 2017 ;

Introduction à l’analyse géopolitique. Histoire, outils, méthodes, quatrième édition revue et augmentée, Paris, Éditions du Rocher, septembre 2018 ;

La formation des élites militaires : un enjeu de politique publique, Stratégique, n° 116, août 2017 ;

Hyperconnectivité et souveraineté : les nouveaux paradoxes opérationnels de la puissance aérienne, Défense et sécurité internationale, septembre 2017 ;

Security studies et pensée stratégique française : de la vision globale à la myopie contextuelle, Res Militaris. Revue européenne d’études militaires, hors-série France : opérations récentes, enjeux futurs, décembre 2016 ;

Nicholas J. Spykman, l’invention de la géopolitique américaine, Paris, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, mars 2016 (Prix Albert Thibaudet 2016) ;

Carl von Clausewitz en son temps : die Natur des Mannes, lecture critique de Bruno Colson, Clausewitz, Paris, Perrin, 2016, Stratégique, n° 114, décembre 2016.

Photonis, firme stratégique française, sera rachetée par un concurrent américain

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Photonis, firme stratégique française, sera rachetée par un concurrent américain

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Michel Cabirol est rédacteur en chef Industries et services à La Tribune du monde de la défense, du spatial et de l'aéronautique. Il vient de publier cet article inquiétant que nous reproduisons ici.
 

Photonis bientôt rachetée par un groupe américain

Par Michel Cabirol 

Vendue par le fonds français Ardian, la PME Photonis va très certainement être rachetée par un groupe américain. L'incapacité de la France à protéger ses pépites "offre aux autres puissances la possibilité de nous affaiblir", a rappelé vendredi à l'Ecole de Guerre Emmanuel Macron.

Vendue par le fonds français Ardian, la PME Photonis va-t-elle être passée par pertes et profits par la France et sa base industrielle et technologique de défense (BITD) ? Sauf intervention de l'Etat de dernière minute, le leader mondial dans la conception, le développement et la fabrication de composants destinés à détecter de faibles niveaux de lumière ou de rayonnement, dans les domaines de l'industrie, des sciences, du médical et de la vision nocturne, va finir, faute d'offre française, dans l'escarcelle d'un groupe américain, notamment Teledyne, qui apparaît comme le grand favori. La transaction est évaluée à plus de 400 millions d'euros (soit environ dix fois l'Ebitda).

Ce serait un grave échec pour la France si cette pépite, suivie par le service des affaires industrielles et de l'intelligence économique de la DGA (Direction générale de l'armement), passait sous drapeau américain. Un échec collectif, de Matignon aux ministères des Armées et de l'Economie en passant par la banque publique Bpifrance, étrangement absente sur un tel dossier, ainsi que par les armées incapables de monter au créneau pour défendre ses intérêts opérationnels. Un échec d'autant plus retentissant que le discours de vendredi à l'Ecole de Guerre d'Emmanuel Macron a été clair sur la souveraineté :

"Nous avons fini par penser, dans les années 90 et 2000, que l'Europe était devenue un gros marché, confortable, théâtre d'influence et de prédation à tout-va (...) Funeste erreur ! Nous devons pour ces infrastructures critiques, retrouver, au niveau européen, une vraie politique de souveraineté !", a expliqué vendredi le Chef de l'Etat.

Matignon fait de la gonflette

Edouard Philippe a tenté de rassurer à très bon compte les 17 députés qui s'inquiétaient fin novembre dans un courrier adressé au Premier ministre du sort de Latécoère et Photonis mis en vente. Dans une lettre datée du 8 janvier 2020, dont La Tribune a pris connaissance, il leur annonce "un projet de décret en Conseil d'Etat (qui) a été élaboré afin de renforcer le dispositif de contrôle" des acquisitions de sociétés stratégiques françaises par des groupes étrangers. Mais il n'entrera en vigueur que le 1er juillet. Une date qui a probablement fonctionné comme un chiffon rouge pour d'éventuels repreneurs étrangers et accéléré leur réflexion.

La mise en vigueur du décret arrive bien trop tard pour Latécoère, déjà racheté par le fonds américain Searchlight, et très certainement pour Photonis, en passe d'être avalé par un des trois groupes américains intéressés par cette pépite, qui a décroché en 2019 des contrats de fourniture d'équipements de vision nocturne pour l'armée allemande et suisse (tubes intensificateurs d'image 4G). En clair, la BITD française est complètement démunie face à une nouvelle "prédation". Latécoère et Photonis, sous la "protection" des 17 députés, seront passés sous contrôle étranger avant même l'entrée en vigueur du mécanisme censé les protéger.

Bercy et Brienne incapables de trouver une solution française

Mais que font Bercy et Brienne alertés depuis juin dernier de la vente de Photonis? Le ministère des Armées, qui s'est fortement mobilisé, est très embarrassé par le dossier. Il a poussé sans succès une solution avec Safran et Thales, sollicités pour reprendre Photonis. Puis, le ministère a remué tout le tissu industriel pour trouver une solution française mais... sans plus de succès. Selon nos informations, il existe encore un très léger espoir avec une ébauche de solution française : Safran est prêt à prendre une participation minoritaire aux côtés d'un ou plusieurs partenaires majoritaires.

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C'est là où la banque publique Bpifrance pourrait jouer un rôle de protection de la BITD française à condition qu'elle s'intéresse enfin à ce dossier. Elle a jusqu'ici fait la sourde oreille. Dommage que Bercy n'ait pas insisté pour mettre Bpifrance dans le projet. Pour sa part, le fonds d'investissement français PAI Partners pourrait être partant comme il l'avait été pour la reprise de Souriau en 2019. Enfin, l'Agence de l'innovation de défense (AID) planche sur la constitution d'un fond d'investissement, dont l'ambition est de lever 500 millions d'euros environ. Mais le temps d'y arriver, ce sera bien évidemment trop tard pour sauver le soldat Photonis. Ce fonds, même s'il est beaucoup plus ambitieux que Definvest, pourrait difficilement racheter tout seul Photonis au regard du montant de la transaction. On est donc loin, très loin des propos tenus vendredi par le président à l'Ecole de Guerre :

"La bonne utilisation de ces outils de souveraineté commune nécessite, d'abord et avant tout, bien évidemment des investissements, une politique industrielle, des standards de souveraineté, beaucoup plus forte et ambitieuse mais aussi la construction d'une culture stratégique partagée, car notre incapacité à penser ensemble nos intérêts souverains et à agir ensemble de façon convaincante met chaque jour en cause notre crédibilité en tant qu'Européens. Elle offre aux autres puissances la possibilité de nous diviser, de nous affaiblir".

Une nationalisation ?

Faut-il nationaliser la PME bordelaise, qui contribue à la performance des équipements de défense, et notamment ceux des forces spéciales ? Pourquoi pas en attendant de trouver une solution pérenne. Car depuis 20 ans, Photonis, qui participe au projet de laser mégajoule, fait l'objet d'une surveillance par l'Etat, a officiellement expliqué début janvier le ministère des Armées en réponse à une question du député Les Républicains Patrice Verchère. Ainsi, depuis plus de vingt ans, Photonis a fait l'objet de cessions régulières entre différents fonds d'investissement : Barclays PE, AXA PE, Astorg, et dernièrement Ardian (ex-AXA PE) en 2011.

"Chacune de ces cessions a constitué un risque de prise de contrôle par un acteur étranger et a donc fait l'objet d'une surveillance par l'État, a expliqué le ministère des Armées. Des conditions liées aux autorisations de cession ont ainsi pu être imposées au cas par cas (à titre d'exemple : pérennité des activités, préservation des capacités industrielles, obligation de notifier à l'Etat toute délocalisation en ou hors de France, etc.)".

Dans le cadre de la cession actuelle de Photonis, le ministère des armées "accordera une vigilance toute particulière à ces conditions d'autorisation de cession". Dans l'hypothèse où un acteur étranger souhaiterait prendre le contrôle de Photonis, "une telle opération ferait l'objet d'une demande d'autorisation préalable auprès du ministère de l'économie et des finances. Le dossier serait instruit avec l'ensemble des administrations en charge de la protection des activités de cette société afin de déterminer les conditions de cette autorisation, dont l'Etat contrôlerait ensuite le respect à l'issue de la cession". Mais Photonis, dont le siège social est à Mérignac, serait bradé au profit d'un groupe américain.

 

Bachelard penseur de l’écologie ?

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Bachelard penseur de l’écologie ?

par Frédéric Andreu

« Bachelard penseur de l’Écologie ? » n’est pas une problématique qui s’impose à l’esprit à la première lecture de l’œuvre du philosophe. En effet, dans cette œuvre foisonnante, le terme «écologie» semble anachronique ; quant à la notion de «nature», elle n’est jamais conceptualisée mais passe par le prisme d’un environnement natif magnifié. Bachelard évoque souvent sa « Champagne native » : «Je suis né dans un coin de la Champagne vallonnée, de ruisseaux et de rivières, dans le Vallage», image qui répond à l’ «appel des sources et des fontaines». La « nature », cher Bachelard, s’envisage incontestablement sur fond de nostalgie narrative.

Autre difficulté : l'écologie contemporaine, quant à elle, s’inscrit moins sur fond de nostalgie des origines que comme critique radicale du système capitaliste, un système qui entraînerait un innéluctable "réchauffement climatique" et autres «effet de serre».

Nous verrons en quoi la rêverie bachelardienne peut s'avérer utile à dépasser les testaments idéologiques de notre temps, a refuser d’entrer dans le jeu dialectique entre "partisans de la nature" et "partisan du progrès". A mon sens, cette problématique ne peut pas être élucidé  sans prendre en compte l’imaginaire contemporain de la nature. Nous n'hésiterons donc pas à emprunter "les avenues du rêve" auxquelles Bachelard nous invite. Si tels ou tels musiques, poèmes, événements rencontrés au cours de notre méditation nous y engagent, pourquoi ne pas les suivre ?

Mais commençons par rappeler le sens de quelques mots-clés contenu dans la question. Le mot "écologie", d'origine grecque, a étymologiquement partie liée avec la maison ("éco"). La maison est le circonscrit, le limité, la dualité ouvert/fermé matérialisé par les fenêtres qui s’ouvrent et se ferment, autant de notions incompatible avec l'"hybris" contemporain, tant redouté par les Anciens Grecs. C’est l’orgueil humain qui conduit l'abolition des limites, des bornes, entraînant la destruction de la diversité, sceau même du vivant. Les partisans écologistes s’inscrivent-ils dans cette conception traditionnelle ? tournent-ils le dos à l’ «hybris», ou bien partagent-ils avec les progressistes, une conception « ouverte » de la nature ? En d'autres termes, le «citoyen de la planète» se veut-il traditionnel ou progressiste, messianiste ?

41q5KnlZUYL._SX327_BO1,204,203,200_.jpgSoulignons également que l’époque antique est celle où les dieux étaient les garants de l'harmonie du cosmos. Ils interviennent par ailleurs dans les rêves des hommes pour leur délivrer des messages. A plusieurs reprises, Athéna intervient dans les songes d’Ulysse pour le guider.

Que l'on prenne « Eco » au sens restreint d'"habitat" ou au sens large de "nature", Bachelard a donc toute légitimité. Pourquoi ?

L’auteur de ‘la Psychanalyse du feu’ a toujours gardé un contact charnel avec sa nature, puisqu'il a vécu dans la campagne de l'Aude, né dans une maison située "en lisière de la ville". Il nous rappelle qu’une maison doit avoir une cave "où l'on descend les escaliers avec un chandelier" et un grenier où «l'enfant boudeur peut monter les escaliers pour se réfugier». Si l’on transpose cette anecdote à la nature, on comprends que la cave et la grenier renvoie aux dimensions de la rêverie diurne, voire nocturne, quant les testaments idéologiques de notre temps équivaudrait plutôt à des appartements de HLM.

Voici tout l'art de Bachelard, refuser les raccourcis, les captations conceptuelles de la pensée abstraite, non pour les nier mais pour les ouvrir, les dilater a des dimensions plus grandes, plus oniriques.

Dans le même esprit, Bachelard critiqua en son temps la Psychanalyse dans une époque où elle se voulait souveraine sur les savoirs. A plusieurs reprises, il dit qu’elle aurait « dépoétiser les symboles ».

Refusant les génuflexions devant les idéologies totalisantes de son temps, Bachelard aurait-il accepter les nôtres ?

Rêvons avec Bachelard...

A la lecture de Bachelard, l’Homme ordinaire est un roi détrôné qui a oublié son royaume. Les rêveurs le savent bien eux, qui, au petit matin, pendant les instants dorés qui entrent dans l’état de veille se consument comme une comète dans l’atmosphère, portent encore la couronne étoilée du rêve.

Son double onirique retourne à l’oubli, le laissant orphelin, seul sur terre.

Nous sommes des rois sans couronne et nous habitons le pire des royaumes, celui qui se croit isolé, univers et universel, dans le plus absurde des théâtres où une planète se croirait isolée dans l'univers. Ayant substitué son imaginaire cosmo-centré autour de la figure du roi par un universalisme abstrait, la France est particulièrement touchée par ce sortilège. Seul existe l’individu-roi dans son royaume « technique » ; le règne qui nous entoure est devenu une sorte de méga-machine complexe, il est bien le résultat d’un messianisme, mais terrestre ; le monde de la technoscience est, lui, a côté de ce monde. D’années en années, la campagne préindustrielle recule au profit d’une périphérie Bouygues universelle. Quelques siècles d’idéologies matérialistes sont parvenu à faire de Pinocchio une marionnette de bois, incapable de se souvenir d'autre chose, au volant de son automobile, que du Code de la Route. Le conte dit que la Fée Bleue (la rêverie cosmique), celle qui donne la clé des songes, apparaîtra dans l’atelier de Gepetto.  

Le feu passe au rouge, tu t'arrêtes ; le feu passe au vert, tu avances.  Voici ta condition de marionnette. C'est tout ce qu'il nous reste du feu originel. Imaginaire normatif et atrophié.

La domestication du feu fut une avancée fulgurante de l’humanité, à côté de laquelle l’avion supersonique n’est qu’un jouet de bac-à-sable. Il paraît même que l'Homme a dérobé le feu aux dieux. Mais a-t-on pris conscience que le feu n'est pas de ce monde ? Voyons comme le feu (un vrai feu de camps) est à la fois difficile à allumer et difficile à atteindre comme s’il ne rentrait que difficilement dans les lois de ce monde. Le flamme monte verticalement comme si elle cherchait à fuir ce monde et retrouver sa patrie originelle.

41Wi1XGvOVL._SX302_BO1,204,203,200_.jpgOr, le feu et le rêve appartiennent au même monde. Ils partagent les mêmes propriétés peu à l’aise avec celles de ce monde. Le rêve est comme le feu, immatériel, fluctuant, instable, prompte à retourner dans son monde nocturne.  

Mais, alors que l'invention du briquet-à-galène s'est depuis longtemps banalisée, nous n'avons rien inventé d’équivalent pour le rêve, le "briquet-à-rêve" n’existe pas, à moins d'admettre qu'un poème de poche pourrait jouer cette fonction.

La banalisation du feu domestique, la perte du signifiant originel avec notamment la plaque électrique, n’est pas le moindre signe du matérialisme moderne. Il nous faut réapprendre à allumer un vrai «feu de camps», fendre le bois, frotter le silex, afin de redevenir spirituel c’est-à-dire retrouver l’Enfant Eternel. Pour cela, le bushkraft est une voie salutaire. La rêverie stimulée par le feu de camps m’emporte vers d’autres rivages. Elle me dit que la flamme est à la fois ici et ailleurs, simultanément. Un ailleurs non spatio-temporel, mystérieux, spirituel, onirique ; un feu sur la terre est aussi un feu dans une autre dimension du réel, dans un «ciel» imaginaire. C’est pourquoi le feu nous relie à l’ailleurs. Nous communions au spectacle des flammes ondulantes moins pour nous réchauffer que pour communier avec le monde des rêves.

De même, abandonné à la rêverie, nous sommes en deux endroits simultanés, le rêve fait de nous un bi-national. Il nous intime l’idée que, bien que de « citoyenneté terrestre », notre véritable patrie est ailleurs. Notre "patrie" est celle des dieux, l’azur immaculé de l’Enfant Eternel.

Nous avons été envoyés ici en mission exploratrice et nous avons oubliés de rentrer chez nous. La religion chrétienne est la religion insolite du « retour » allégorisée dans la personne de Jésus-Christ. Devant le gouverneur romain Pons Pilate, qui avait le pouvoir de la mettre à mort, Jésus dit «mon royaume n’est pas de ce monde». Beaucoup de Chrétiens inversent cette révélation sismique en son contraire : ils veulent faire de ce monde un royaume.

Devant cette tentation, le rêve marque un arrêt-sur-image, une piccure de rappel du véritable univers onirique et pré-onirique. Soudain, l'identification étroite du moi et de ce monde s'évanouïe. Le rêve est une ressouvenance lente, allégorisée, de l'Autre Monde.  

lblob.aspx.jpgPoussée par force nostalgie, l’humanité est parvenue à se hisser dans l’espace. L’homme a marché sur la lune, escale retour d’un aller métaphorique vers la planète terre, vers le plan matériel, dont la mémoire s’est perdue. Vu sous cet angle, la conquête de l’Espace n'est qu’une manifestation de la nostagie profonde qui habite l’homme.

Elle donne l’impression d’un voyage-retour. Or, ce voyage-retour peut se faire sans quitter cette terre, dans sa rêverie du jour, étape de l’état d’homo mechanicus vers l’état d’Homo Legendicum.

Gaston Bachelard fut le Newton de la science du rêve ; il nous manque un Einstein de cette même science qui rendra fusées et roquettes totalement désuètes. Ce génie découvrira peut-être l’«atome-germe», l’agent actif surnaturel caché dans les images, les univers et les mondes pliés de l’imaginaire. Il faut « s’évertuer à trouver, derrière les images qui se montrent, celles qui se cachent, aller à la racine même de la force imaginante » nous exhorte Bachelard. Pour se faire, ni le microscope, ni le sonar ultramoderne ne seront d’un grand secours, ou du moins, le seront-ils pour confirmer les rêveries intimes du rêveur éveillé ayant rencontré en lui l'Enfant Eternel.

On découvrira alors que nos existences ne sont que les oripeaux d’anciennes croyances, de fausses identifications. Tel Ulysse de retour à Ithaque, l’Éveillé livrera un combat aux usurpateurs, les prétendants aux trône, ces fausses identifications de lui-même. Il renouera ainsi avec Pénélope, allégorie de cet atome autonome doué d’un puissance qui n’est pas de ce monde. Et si Ithaque était le cœur de l’Homme enfin investi du vrai germe-divin et si Pénélope était le germe divin, Ulysse la reddition du moi.  

Alors, comme l’écrit Victor Ségalen, ce bon voyageur «parviendra sans mérites ni peines, non pas au marais des joies immortelles, mais aux remous pleins d’ivresses du grand fleuve Diversité».

« Seul un dieu peut nous sauver » ou le barbare salvateur

En recherchant, tel un sourcier, les sources actuelles de l’imaginaire écologique, je vécu dans l'appréhension qu'une sorte de crochet conceptuel en vienne à déchirer brutalement la grande voile méditative de ma rêverie. Je ne voulais pas que la fleur vitale de l'âme se rétracte subitement en elle-même à cause d'une événement extérieure mineur. Son parfum est celle-même de la vie véritable qui est à la fois d'ici et d'ailleurs. Notre mémoire traumatique est polluée de semblables angoisses.

Je trouvais refuge dans le hors espace-temps de Conan le Barbare, un peu comme on se blotti prêt d'un feu en hiver. Diffusée tel un rempart, la musique recouvrait toute ma ville tel un vortex. Un morceau plus que les autres, à la grande beauté aurorale, enchanta mon âme. Je cherchais dans le dictionnaire le sens exact de son titre : "Orphans of Doom/Awakning» , et ce que je trouvais me subjugua au plus haut point. "Doom" veut dire à la fois «ruine» et «destin tragique», quant à Awakening, c'est "L'éveil oui, l'éveil, comment sortir de ce sortilège infernal. Le drame cosmique faite musique. Je me reportais à la scène correspondante du film : on y voyait Thulsa Doom, le Guru de la secte du Serpent, haranguant une foule d'adeptes anesthésiés et serviles. Subitement, le guru est décapité d'un coup d'épée par celui qui a gardé le secret de l'acier, Conan. Les "orphans" (orphelins du champs astral du guru) jettent un après l'autre leurs bâtons enflammés dans une fontaine. Cette fin rituelle me fit penser à la disparition des étoiles, au petit matin. Cette musique d’une étrange beauté métaphorise à merveille celle de la reddition du moi. Les adeptes s'en retournent chez eux comprenant que c'est la fin d'un monde. L’imaginaire individuel et collectif se retrouve tout-à-coup libéré de fascination nocturne du guru.

Pourquoi Conan, le libérateur, est-il un "barbare" ? Sans doute afin de surligner sa nature différente, étrangère à celle du monde. Moins au pays lui-même qu'à la nature même de ce monde. De même, Ulysse arrive en étranger à Ithaque, habillé en mendiant hirsute alors qu'il se présenta au palais d'Ithaque, prêt à en découdre avec les prétendants au trône.

La superbe musique de Basil Poledouris m'avait conduit ce matin vers des rivages du rêve où des fréquences de douceurs qui bercent quelque chose comme un souvenir d'enfance, comme si un drap onirique m'entraînait vers un repos profond. Ma rêverie matinale miroitait de mille images enchantées et douces, maternantes, bienveillantes.

Mais, au lieu de glisser dans la pente du sommeil, une idée me vint à l'esprit avec la vitesse d'un éclair. J'en étais venu à l'idée que derrière Conan le Barbare, le personnage de film, se cache une figure métaphorique centrale. On trouve bien sûr les héros tueur de dragon, Siegfried ou Saint Georges, mais Conan a une particularité. Il est revanchard. Son ennemi est un homme qui a le pouvoir de transformation. Il peut en effet se transformer en serpent. Il est un enchanteur car il symbolise l'enchantement coupé de sa source quant Conan représente la source elle-même.

Un des plus haut mystère qui touche à la littérature et au langage est de savoir pourquoi les mythes anciens métaphorisent le combat symbolique vers la lumière, l'entrée et la sortie du labyrinthe ? Un saut de géant s'est produit le jour où je compris que les mythes comportent une telle structure uniquement parce qu'ils portent eux-même les impulsions de l'imaginaire et que l'imaginaire est lui-même une ondulation divine, algorithmique, auto-structurante. C'est là un point capital, les légendes "racontées au coin du feu" proviennent d'un rayonnement qui n'est pas de ce monde. Pas étonnant qu'elles contiennent sous forme métaphorique, le fameux Plan de Retour. C'est en tout cas la seule explication rationnelle possible.

L'univers qui nous entoure peut parfois faire penser à une "ruine". Le HLM étant la ruine caractérisée. Incomplétude, brisement de l'origine, processus déshumanisant, le HLM est l'habitat de l'insecte mécanique. L'homme moderne est l'équivalent des ruines, désenchanté, mécanisé, interchangeable. Les ruines nourrissent aussi l'imaginaire du retour.

Face à ce déclin algorithmique, le combat le plus haut, le plus noble est le réenchantement qui seul peut être conduire par un "barbare radical", l'étranger provenant d'un autre monde, l'étranger en nous-même que Bachelard appelle l'"Enfant Eternel". Le prix du réenchantement, c'est le choc frontal entre les spectres d'une réalité desséchée et la puissance du rêve. Une version de ce combat s'est récemment illustré avec le magistral Cameraman Gods de Neil Gaiman. On y voit une lutte à mort entre les "nouveaux dieux" du système de la consommation et des médias de l'Amérique et les dieux anciens, oubliés et jusque-là réduits à la portion congrue.

9782714308764-475x500-1.jpgA travers ces exemples, on est saisi par l'idée qu'un immense et implacable dispositif concerté a visé, depuis des temps immémoriaux (serait-ce même la pente de l'Histoire ?), a assécher l'imaginaire des peuples par un imaginaire de substitution. Ce dispositif est apparu historiquement avec le pouvoir centralisateur de l'Empire Romain, les Conciles, et devenu totalement incontrôlable par la suite, comme une machine planétaire devenue folle. Il poursuit aujourd'hui sa course folle avec la réplique de l'Empire qu'est l'Empire Américain, le Soft Power, le Nouvel Ordre Mondial qui contrôle à la fois le capitalisme avec sa technoscience destructrice de l'environnement et l'imaginaire de l'écologie et des médias.

Ce roman magistral montre que le combat pertinent et salvateur se situe moins entre la technoscience et l'écologie qu'entre deux imaginaires, l'ancien et le nouveau.

Les grands esprits de notre temps ont bien compris ce subterfuge. Bachelard exhortait a trouvé le germe-racine de l'imaginaire. Dans un entretien au Spiegel de 1956, Heidegger prononce une phrase énigmatique qui n’est pas sans évoquer la geste mythique de Conan le Barbare : "Seul un dieu peut nous sauver".

Quoi de commun entre la marionnette de bois et le petit garçon qui court et qui va à l'école? aucun. Une transformation totale les sépare.
Le "barbare" n’est-il pas, aussi, notre double onirique ?

« L’appel des sources » contre l’idéologie écologiste

A travers les exemples cités, on comprends que notre époque a sans doute moins besoin d’une pythie adolescente (Greta Gunberg) qu’un « dieu » au sens mystérieux donné par par Heidegger ou un « barbare» décliné dans la Science Fiction, notamment l’Héroic Fantasy. Ils répondent parfaitement à cet «appel des sources» cher à Bachelard.

On notera que l’imaginaire de la Fantasy n’est pas toujours celle d’une lutte à mort entre technologie et nature vierge, mais produit parfois des univers où la plus haute technologie cohabite avec la nature la plus luxuriante, univers « archéo-futuriste » où les hommes généralement cohabitent avec les dieux.

La croisade écologiste relayée par les mass-médias s‘inscrit tout comme la destruction de la nature sous l’horizon du progrès. Elle nous projette dans les mêmes espoirs et ornières que la psychanalyse au temps de Bachelard.

Gaston Bachelard s’en prend à la psychanalyse qui nous aurait  « écarté de la méditation de l’image primitive», « dépoétisé le rapport au monde» et aurait « intellectualiser les symboles». Gageons qu’il en dirait de même, aussi bien de la science désenchantée que de l’écologie militante !    

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Oswald Spengler and the Morphology of Cultures

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Oswald Spengler and the Morphology of Cultures

Arthur Chandler

Ex: http://www.arthurchandler.com

(originally printed in Humanities, 1978)

Morphology: “the study of the form and structure of organisms and their specific structural features” (Wikipedia)

Prelude

Under the gloom of the funeral day, adult hands persuade the child to the pews. The minister intones the solemn ceremony, while grown-up faces weep, or press their sadness between steady eyes and firm lips. The child feels the strange oppressiveness of the atmosphere, but as yet cannot fathom the reason. 

Then the final processional: grim men and women file by the casket. The father’s hands reach down and lift the child high: and there, hovering like a captive angel in his father’s grip, the child first sees the shell of his grandfather’s soul. He stares down at the face he knew last week: the same face, but now shrunken into something remote and unfamiliar. It’s not like grandfather sleeping: something is gone.

“The child suddenly grasps the lifeless corpse for what it is: something that has become wholly matter, wholly space; and at the same moment it feels itself an individual being in an alien and extended world. Here, in the decisive moments of existence, when the child first becomes man and realizes his immense loneliness in the universal, the world-fear reveals itself for the first time as the human fear in the presence of death.”

Later, back in the subdued warmth of his own home, the child gazes out the window. People walk, cats prowl, birds dart. All live — but not grandfather. He will never walk the earth again. Never.

The day completes its cycle. Distinctions blur in the landscape. Stars wink into sight — tiny brightnesses in a vast dark. People lie down to sleep. Some people, like grandfather, will never see the morning: this the child now knows with certitude. 

The tears well up and shatter down his cheeks. He cries not only for the loss of what grandfather was for him: he cries for the inescapable loneliness that the sureness of grandfather’s death now means.

In these moments, the soul of the culture, like the soul of the child, is born. 

First Act: The Birth of the Soul of the Culture

“Primeval man is a ranging animal, a being whose waking consciousness restlessly feels its way through life, under no servitude of place or home, keen and anxious in its senses, ever alert to drive off some element of hostile Nature. A deep transformation sets in at first with agriculture — for that is something artificial, with which the hunter and shepherd have no touch. He who digs and plows is seeking not to plunder, but to alter nature. To plant implies, not to take something, but to produce something. Man roots in the earth that he tends, the soul of man discovers a soul in the countryside, and a new earth-boundness of being, a new feeling, pronounces itself. Hostile Nature becomes the friend, earth becomes Mother Earth. Between sowing and begetting, harvest and death, the child and the grain, a profound affinity is set up.”

People in landscape — this is the one fundamental, the basic unity of life and place that accompanies the birth of every culture. And from the shared unity of experience of the landscape comes the Culture: that totality of traditions and institutions that marks the expansion of a people’s existence into an organic unity greater than the sum of the individual lives that compose it.

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The local earth and air surround them. The new-born are delivered into a regional Nature that envelops them with its special shape of hills, demands of the soil, felt rhythm of the seasons, and sublime procession of the heavens at night. The old are finally delivered into the earth, or scattered to the winds — back to the mother-landscape. All life between infancy and death becomes a participation in the greater life of the Culture itself. 

In every culture, attitudes toward the surrounding world coalesce, and shape themselves, in their highest mode of expression, as religion. In the springtime of a society, the myth of a people expresses for them what the world is and means, why it is fashioned thus, and what they must do in obedience to the Ordering Principle. It is here, in the forms and assumptions of each religion, where cultural axioms reside.

Most of the countless human societies that come into being never become civilizations. With a very few Cultures, however, a new form of growth cycle begins. The first herald of this beginning is the birth of the soul of a town. “This is a mass-soul of a wholly new kind, which suddenly buds off from the general spirituality of its Culture. As soon as it awakes, it forms for itself a visible body. Out of the rustic group of farms and cottages, each of which has its own history, arises a totality. And the whole lives, breathes, grows, and acquires a face and an inner form and history.” When this budding culture metamorphoses into a civilization, the fateful and fated cycle has begun. Thenceforward the style-history of the Culture ever more resides in the town, the city, and finally in the gigantic megalopolis.

The Prime Symbol

As the town grows in the passage of time, the grand religious myths of its beginnings take on a style — those recognizable traits that separate each culture from all others — and mark the limits and possibilities of its soul. “Style itself is the rhythm of the process of self-implementing.” And it is the style that tells us that a building is Roman and not Renaissance, that a proof of a theorem belongs to Desargues and not Euclid, that a bas-relief is Assyrian and not Sumerian.

As an individual, everyone enacts a personal style of gesture, inflection, habit. The overall rhythm is given to us by the Culture, but its inflections are our own. Just so, people build and paint and create mathematics. Every architect, every artist, every mathematician shows forth in their work a style: unique personal inflections on the overarching rhythms of tradition. The unity of that cultural rhythm, the basic bond that integrates all branches of a culture into a pervasive whole, is its Prime Symbol. This symbol exists in every phase of a culture’s life, no matter how apparently grand or modest. But in its highest modes of creativity — in art, thought, political action and above all in religion, that the Prime Symbol is expressed with greatest purity and force.

“All that is, symbolizes.” In the great cultures — those entities that are destined to unfold into civilizations — world-fear and world-longing find expression in their Prime Symbols, which set the limits and define the possiblities of their growth and the secret of their inner principle of decay.

For Faustian Civilization — the outcome of the Culture of Western Europe and its siblings — the matrix of all reality, the core of its Prime Symbol, is infinite space.

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The Gothic Cathedral’s spires and arches yearn upward for the infinite, just as its space-commanding giant of sound, the bellows organ, storms heaven with its counterpoint of expanding volume. In Faustian painting, the ever-present and unifying device of perspective commands the eye to follow out to the vanishing point at infinity. In the realm of mathematics — where cultures show their beliefs about reality in purest form — Western mathematicians posit an infinitely extensive and infinitesimally divisible grid of space-points which radiate out to infinity in three dimension — and later, in an infinite number of directions.

For the classical culture of Greece, the Prime Symbol was radically different — and so, too, was the form-ideal is sought to express in its arts and thought. For the people of classical civilization, the near and present bodily form of things made up the basis, the ἀρχή, of existence. Greek painting contains no ordered distances, only bodies. Euclidean geometry always gives us the mathematics of surface and volume, never point-systems of variables in a matrix of infinite, Cartesian space. Even the music of Greece, with its supposed harmonic connection with Western music, is in fact based on a sound-appreciation of a radically different sort. For the classical mind, harmony consists of the relationship of two sounded notes. To the Western sensibility, music consists of the ever-changing relationship among moving intervals — mobile spaces between note clusters — that provides the sense of sonic dynamism.

The Western/Faustian mind perceives the universe as infinite space: the Classical/Apollonian as well-ordered aggregates of bodily forms beneath a corporeal vault of the heavens. A third civilization — the Near-Eastern/Magian — conceives of the universe as a cavern. Here, the primordial light-versus-dark struggle pervades the cavern dome of the heavens even as it dominates the eternal wars among the human race. The Magian world is thus a cosmos of opposing substances: God versus the devil, the righteous versus the infidel. “Even death, for the author of the John Gospel, as for the strict Moslem, is not the end of life, but a Something, a death force that contends with the life-force for the possession of man.”

By setting the high cultural achievements of the Magian world alongside those of the Apollonian and Faustian, we perceive the radical dissimilarity among them. The classical temple is an architectural body of ordered elements, optically graspable in a single glance, designed as a completely exterior experience for the eye. The Western cathedral is an expression of an inward yearning for the light from infinity. The Near-Eastern mosque is a cavern from which the symbolic duality of light and dark contend in the enclosing dome.

In Classical mathematics, proportions among magnitudes comprise the entirety of number-thought. In the West, it is the relationships among varying functions operating in infinite space that make up the concept of number. In Arabian mathematics, is the “alchemical” transmutation of undefined qualities that pervades the essence of mathematics. “And as Euclidean geometry is to Attic statuary (the same expression-form in a different medium) and the analysis of space to polyphonic music, so is algebra to the Magian art of the gold mosaic and the arabesque.”

Infinite space, the cavern cosmos, the sum of the forms of bodies — these are the essential cultural axioms of three of the great civilizations that have actualized their Prime Symbols. To the historical imagination searching for the morphology of other cultures, other Prime Symbols can be discovered:

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For the Egyptian, reality was “a resolute march down the path once entered.” The pyramids, seen in this light, are not buildings in the Western sense but pathways enclosed by mighty masonry.

“For the Chinese, the world-around is approached as a hither-and-thither wandering that nevertheless goes to the goal.” It is The Way: and in a culture where the path through Nature becomes the highest and deepest form of sensibility, landscape gardening becomes a high art, comparable in its richness and philosophical depth to the Gothic Notre Dame, the Magian Blue Mosque, and the Parthenon.

For the soul of India, the world is illusion, an existential zero, and its goal, the ever-circling phantom show of creation and destruction, to be escaped by attaining Nirvana. Here, the Prime Symbol is Zero — an idea which, in the realm of numbers, meant something entirely different to traditional Indian mathematicians than to their Faustian counterparts, for whom the 0 has always entailed deep paradoxes.

Interlude

The Child attains maturity. In the course of life, the growing youth encounters heroes and villains, profound thinkers and shallow phrased-spinners, firm friends and sly enemies. From all these people, real and fictional, we learn — but they do not influence us. We choose what we will take, and what we will ignore. Tough we expand and deepen our outlook throughout life, it is a deepening and expansion of our own nature. All outside forces are converted by our minds and bodies to our own uses. Those forces do not influence us: we pick and choose among them.  

We see a painting, hear a symphony, read a sonnet. In doing so, we “experience something in ourselves, but cannot give any account of the relation between this experience and what the creators lived in themselves. We see a form, but we do not know what in the other’s soul begat that form: we can only have some belief about the matter, and we believe by putting in our own soul. However definitely and distinctly a religion may express itself in words, they are words, and we put our own sense into them. However impressive the artist’s notes to colors, he sees and hears in them only ourselves, and if we cannot do so, the work is for us meaningless.”

Just so, the relationships between Cultures: connotations are not transferrable.

The Integrity of the Prime Symbol

Once a culture’s own Prime Symbol is established and expressed, its essence is unalterable. Individual works, or whole expression-forms such as Attic drama or Arabian alchemy, can be studied by Western dramatists or scientists. But outside their culture of origin, such works are lifeless. They have no power within themselves to move people of another origin. The choice to use this or that element must be made; and at that point, the user, not the work, dictates the nature to which the plot or formula will be put.

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Furthermore, most alien works are never “borrowed” at all. “In all conventional history, it is only the relations that are accepted that we observe. But what of those that were not accepted? Why, for example, do we fail to find in Classical expression-forms — supposedly “influenced” by Egypt — the pyramid, pylon, obelisk, hieroglyphic? What of the stock of Byzantium and of the Moorish East was not accepted by Gothic art and thought in Spain and Sicily?”

“Consider how every living Culture is continuously bathed in innumerable potential influences. But out of these, only some few are admitted as such — the great majority are not. Is the choice, then, concerned with the works, or with those creators who choose or ignore them?”

In the end, nothing reaches maturity except through the fulfillment of its own nature. Each Culture transvalues all its borrowings and makes them its own. Denotations may be taken, but connotations are inevitably transformed. The Prime Symbol, the Culture’s basic attitude toward its environment, translates all influences, expands, grows deeper and richer thereby, but remains in its essence inviolable.

Finale

Children become men and women, marry, and beget their own children. In them and through them, the parents seem to be reborn, surrounding their offspring with affection, knowledge and moral lessons condensed from life. But for all the parents’ efforts, children still go their own ways, absorbing, rejecting, and recreating themselves with all that their environment offers them. The child is the father and mother of the adult.

And so the child grows old, following the unalterable decay endemic to all creatures born and moving through time. Early creativity stiffens into pattern and habit. The fire in the blood cools, leaving noble the lukewarm pleasures of the philosophic mind, or a death-driven flight into a second religiousness.

But even in the winter years, there are tasks to perform. Twilight and winter leave bare the shape of things: the darkening mountain, the leafless tree, the multicolored past stripped to its essential components and toned down by the blank certitude of impending death. Still the world-fear and world-longing are at work, even in the deficient veins of the old; and if accident and senility can be avoided, the prime feelings of meaning in the world may yet produce final, austere monuments as departing symbols of a mature mind drawing to a close.

And then, the only end of age.

The Last Task

Some civilizations, like the Egyptian and the Indian, prolong their final years into centuries. In extended crepuscule of long-lived civilizations, the main creative works had long since been accomplished, and only a diminished echo of earlier greatness lingered in art and thought.

In some instances, late megalopolitans yearn and clamor for barbarian vigor, and turn aside from their own spiritual sources in an attempt to rediscover  meaning in borrowed forms. This second religiousness sprouts like mushroom clusters on the great sitting tree of the civilization ion. And though the death of the Culture may be postponed, the decline may not, and must proceed on its destined course to the end.

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For Western/Faustian culture, ripe autumn — the period known as the Enlightenment — has concluded. Already with the advent of Romanticism, the yellow softness of decay appears in the arts, and even in science and mathematics. “Impressionism is atheism in colors,” and n-dimensional geometry liberates Western mathematics from the obligation of perfecting the analogy between number and reality. Even the Prime Symbol of infinite space comes under challenge from thinkers who argue for a finite but unbounded universe.

In the sciences, arts, mathematics — in all of the highest orders of Faustian enterprise — the sureness of feel, the universal acceptance of the Prime Symbol of infinite space, has been lost. In all areas, a pervasive skepticism replaces certitude — a skepticism which is, in all cases, the mark of later stages of the Culture’s advance into Civilization. But in the West, this skepticism takes on an especially historical form. Faustian skepticism does not mean, as it did the Apollonian mind, a denial of the possibility of knowledge, nor, as it did for the Magians, a world-weary acceptance of Kismet. Faustian doubt takes the form of acknowledging that different conditions produce different results, that there is no truth that holds true everywhere and in all circumstances. In this connection, it is an occurrence of high cultural significance that Newton’s Laws have given way to Einstein’s theories.

With the loss of the sure feel of tradition, each of us stands at the center of our own conceptual universe and propounds our own unique theory of coherence. For each of us, this theory grows from the roots of Truth as we see it, and puts into practice the principles of action that anyone who aspires to first rank must have. But next to us in the city-scape grows another human-plant, sinking different roots and bearing different fruit. The whole of our era in Faustian civilization is a rich, varied complexity of such exotic growths, each one vying, unsuccessfully, to cover the land, to establish a new Prime Symbol.

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Only in the world of technics is the high level of traditional Faustian world-view maintained, and where the Prime Symbol is pursued with something like the intensity of earlier centuries. In the realm of technics, Faustian longing aspires towards its final achievement: the application of power-knowledge for the conquest of astronomical space. “Not this or that bit of the world, as when Prometheus stole fire, but the world itself, complete with its secrets of force, is dragged away as spoil to be built into our culture.”

Religious faith comes at the beginning, practical results at the end. The faith that first sustained Western Culture comes to be superseded by causal, scientific myths which are, nevertheless, still predicated through and through upon the religious foundations at the origin of belief. It is the expansion, refinement, and universal application of technics for the mastery of endless space that constitutes the last and greatest task of Faustian Culture.

“And so the drama of a high Culture — that wondrous world of deities, arts, thoughts, battles, cities — closes with the return of the pristine facts of the blood eternal that is one and the same as the ever-circling cosmic flow. Time triumphs over space, and it is Time whose inexorable movement embeds the ephemeral incident of the Culture, on this planet, in the incident of Man — a form wherein the incident life flows on for a time, while behind it all the streaming horizons of geological stellar histories pile up in the light-world of our eyes.”

In the end, Faustian Culture, like all that lives, must pass away. “Even our machine technics, which seems so imperishable, a contribution to the history of civilization, will end with the Faustian civilization and one day will lie in fragments, forgotten — our railways and steamships as dead as the Roman roads and the Chinese wall, our giant cities and skyscrapers in ruins like old Memphis and Babylon.”

To hope, in fond and vain delusion, for renewed life, or for technics itself to save us from the decline is worse than folly. “Optimism is cowardice.” To recognize the inevitable, and yet perform what our heritage demands of us — this is the highest form of creativity left to us in the final season of our life-course. To face the world-fear of extinction, if not with the confidence of spring then with the determination of age — that is the last task of Faustian technics.

“We are born into this time and must bravely follow the path to the destined end. Our duty is to hold on to the lost position, without hope, without rescue, like that Roman soldier whose bones were found in front of a door in Pompeii, who, during the eruption of Vesuvius, died at his post because they forgot to relieve him. That is greatness. That is what it means to be a thoroughbred. The honorable end is the one thing that cannot be taken from a man.”

All quotations in this essay are from Oswald Spengler’s Decline of the West and Man and Technics, translated by Charles Francis Atkinson.

Backstory to “Oswald Spengler and the Morphology of Cultures”

When  I joined the interdisciplinary humanities program at my university, I at once recognized that I needed a unifying structure to unify the various works of literature, the fine arts, philosophy and history that I would be teaching — and, eventually, writing about. I had long been interested in all those fields, plus mathematics, film and photography — but had never thought about them or their interrelationships in any systematic way.

Over a lunch one day, a friend and colleague, David Renaker, suggested that I should look into Spengler’s Decline of the West for just such a unifying overview. I had heard of the book, but assumed it was just another one of the many apocalyptic pronouncements that had been popular in recent decades. But on the strength of David’s recommendation, I bought the book and started reading.

spengler-oswald-decline-west-modern_1_dd1f48fb07de64e38692927a923d4e6b.jpgThe Decline of the West, I discovered, as neither a traditional history book or a dirge predicting the end of civilization as we know it. Instead, Spengler opened up vast and profound vistas of world cultures, often with startling insights like this:

"Who amongst [present-day historians] realizes that between the Differential Calculus and the dynastic principle of politics in the age of Louis XIV, between the Classical city-state and the Euclidean geometry, between the space perspective of Western oil painting and the conquest of space by railroad, telephone and long-range weapon, between contrapuntal music and credit economics, there are deep uniformities?" (Spengler, Decline of the West, Volume I, page 7)

The special attraction of the book for me was Spengler’s unusual willingness to see mathematics, not as a system of universal truth, but as yet another creation of each culture, just as much bound to its cultural “Prime Symbol” as its works of literature, art, and religion.

Later, Spengler’s thought served as my inspiration for an essay I wrote for the Western Humanities Review (link here). And though, in the passage of time, I’ve become skeptical of some of his wide-ranging assertions, I still admire the power of his mind and his heroic determination to find unity in the infinite diversity of human history.