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vendredi, 12 avril 2024

Le système de l'histoire mondiale: notes sur les cycles de l'évolution historique

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Le système de l'histoire mondiale: notes sur les cycles de l'évolution historique

par GEOPOLITICUS

Source: https://geoestrategia.es/noticia/42568/geoestrategia/el-sistema-de-la-historia-mundial:-notas-sobre-los-ciclos-de-cambio-historico.html

Lorsque nous parlons de l'avancement de l'histoire ou de l'essor et du déclin des civilisations, nous pouvons adopter différentes approches pour maîtriser l'ampleur et l'immensité du sujet: nous pouvons adopter ce que nous pourrions appeler une approche linéaire, comme celle d'Arnold Toynbee, et étudier chaque unité de civilisation en détail, en explorant chaque facette de la culture de manière complexe; ou nous pouvons adopter ce que nous appelons aujourd'hui l'approche des systèmes mondiaux, qui considère chaque culture et/ou civilisation comme faisant partie d'un ensemble plus vaste, d'un système mondial de civilisation, et étudier les interactions de ces cultures et régions de civilisation, ainsi que les influences qu'elles ont eues l'une sur l'autre.

Il ne s'agit pas d'un scénario du type "l'un ou l'autre", car les deux approches se complètent et sont même nécessaires l'une à l'autre. L'une génère ce que nous pourrions appeler nos données, l'autre contribue à l'élaboration de nos théories sur l'évolution de l'histoire mondiale.

Tous les historiens, quelle que soit leur école de pensée, s'accordent à dire que ce facteur de changement est une constante cruciale tout au long de l'histoire.

Le changement est donc une constante.

Si vous y réfléchissez, toute l'histoire est, en fait, l'histoire du changement : pensez à Hérodote, largement reconnu comme le père de l'histoire (et, pour certains, comme le premier érudit de la géopolitique). Je pense que l'histoire selon Hérodote est la meilleure démonstration d'une approche large de la géopolitique, embrassant l'immensité (territoriale), par rapport à Thucydide, qui adopte une approche étroite, ou devrions-nous dire, centrée sur le théâtre régional. Encore une fois, comme l'école linéaire de l'histoire et l'approche des systèmes mondiaux, les deux sont nécessaires et se complètent.

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Les mondes d'Hérodote

Les principales enquêtes des Histoires d'Hérodote s'articulent principalement autour des changements dans la dynamique du pouvoir relatif entre les civilisations. Il examine la montée de l'Empire perse et la façon dont le pouvoir perse a été renversé par un nouveau type de pouvoir, celui des Grecs. Il étudie également la civilisation égyptienne et tente de comprendre comment une civilisation aussi ancienne et grandiose a été réduite à une situation de misère et d'asservissement. Il examine ensuite les cultures périphériques, telles que celle des Scythes, et étudie la manière dont leur société était organisée, de sorte qu'eux aussi, comme les Grecs, ont pu résister à la puissance écrasante des Perses.

Si Hérodote aborde de nombreux thèmes importants, dont certains sont d'ordre philosophique, ce qui nous intéresse également en tant que spécialistes de la géopolitique, c'est l'importance qu'il accorde au facteur crucial de l'adaptation des sociétés à la géographie dans laquelle elles vivent: pour l'Égypte, il parle de l'importance du Nil, pour les Scythes, de la géographie des steppes, puis, dans la description des batailles entre Grecs et Perses, il mentionne l'adaptation de chacun à son terrain respectif: le domaine maritime pour les Grecs péninsulaires et le vaste intérieur (tellurique) pour la puissance terrestre des Perses. Pour une analyse plus complexe de cette question, il faut toutefois se tourner vers Thucydide.

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L'historien, en tant qu'observateur, voit différentes régions du monde, comment les sociétés s'y adaptent, comment cette adaptation leur permet d'exploiter différents types de pouvoir et de ressources, et comment ces différentes régions et ces sociétés adaptées différemment interagissent les unes avec les autres.

Si la grande guerre entre les Perses et les Grecs est le thème central de l'Histoire, les interactions qui intéressent Hérodote ne se limitent pas à la guerre: il s'intéresse également aux interactions culturelles, notamment entre l'Égypte et la Grèce, mais aussi, en arrière-plan, entre les peuples des steppes, les Perses et les Mèdes. Et aussi, ce qui est intéressant, entre des régions unies à la suite de mouvements systémiques globaux, entre les Indiens qui apparaissent dans les sources historiques occidentales pour la première fois depuis la chute des premières civilisations antiques, et les peuples du monde méditerranéen en général.

Cette approche globale des systèmes dans le monde est donc essentielle pour comprendre les grandes lignes du mouvement de l'histoire à l'échelle mondiale, et ce depuis le début, lorsque l'histoire a commencé à être écrite.

Mais nous ne voulons pas minimiser la valeur de l'approche linéaire et ciblée, alors voyons maintenant comment les deux peuvent se compléter.

Les deux voies ne font qu'une

Dans mes présentations précédentes sur "l'histoire profonde" des civilisations, j'ai essayé d'explorer et de comprendre la dynamique cruciale de l'adaptation des premières civilisations aux géographies dans lesquelles elles se sont enracinées et ont développé des structures durables qui persistent à travers le temps: à titre d'exemple, nous pouvons nous référer à l'évolution des temples sumériens, en particulier en tant qu'institutions générant une organisation bureaucratique (voir ma présentation: Dieux, céréales et gouvernement: https://www.youtube.com/watch?v=pNWrsl2yCXc), et à la dynamique qui évolue progressivement, qu'il s'agisse de concurrence ou de coopération, entre les institutions du temple et l'institution de la royauté. C'est ce que l'on pourrait appeler le couple temple-palais, qui a toujours joué un rôle très important dans l'histoire de l'humanité et qui continue de le faire aujourd'hui.

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En Égypte, nous avons vu une façon de s'approprier cette dynamique temple-palais pour construire le pouvoir de l'État: en fusionnant littéralement le temple et le palais en une seule institution, celle du roi-dieu. Nous avons vu comment les rois conquérants y parvenaient grâce à un processus que nous appelons la géopolitique divine (pour la présentation, suivez ce lien: https://www.youtube.com/watch?v=henLRyPiVy4 ) de guerre au nom des dieux, présentée comme une guerre littérale entre dieux, et dans laquelle un dieu prenait progressivement l'ascendant sur un autre, soit en le détruisant, soit même en s'appropriant des dieux concurrents dans le panthéon de la religion officielle de l'État, qui peut ensuite être régularisé en commandant de grandes œuvres architecturales, comme les pyramides égyptiennes de l'Ancien Empire, transformant le pays tout entier en patrimoine du Roi-Dieu.

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Nous avons aussi vu, comme Hérodote l'a également souligné, comment la centralité du Nil, en tant qu'autoroute du sud au nord, a facilité ce processus d'intégration lorsque les puissantes dynasties du sud, issues des terres frontalières de Nubie, ont d'abord pu consolider leur pouvoir, puis, sous le règne de Narmer, l'étendre jusqu'à la Méditerranée. Dans la phase suivante de l'histoire égyptienne, nous assistons à une projection du pouvoir du nord vers le sud. Le pouvoir circulait également le long des routes commerciales. Le Nil étant la route centrale, celui qui contrôlait le Nil contrôlait toute l'Égypte. Mais les rois méridionaux de la dynastie de Narmer avaient également bâti leur pouvoir en dominant les routes commerciales qui partaient du Sahara et allaient jusqu'à la mer Rouge.

En effet, le Sahara abritait autrefois de grandes civilisations, avant l'essor de l'Égypte, mais une grande sécheresse et la désertification ont tourné la page et quitté ce chapitre de l'histoire avant qu'il n'ait pu se développer. Cela nous amène à un autre facteur crucial de l'histoire: les longs cycles du changement climatique.

Toute la civilisation humaine s'est en quelque sorte développée dans le cadre d'un tel cycle, c'est-à-dire le réchauffement de la Terre après la fin de la période glaciaire; voir la première présentation de la série "Deep History" ici: https://www.youtube.com/watch?v=XhjeDUhx8x0. Des cycles localisés dans différentes régions du monde ont également des effets cruciaux sur la trajectoire de l'histoire mondiale, comme l'assèchement du Sahara et un changement hypothétique du cycle de la mousson, c'est-à-dire des pluies saisonnières dans l'océan Indien au moment du déclin de la civilisation de la vallée de l'Indus.

lundi, 18 décembre 2023

Alexandre Douguine: Hegel et la théorie des relations internationales

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Hegel et la théorie des relations internationales

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/gegel-i-teoriya-mezhdunarodnyh-otnosheniy?fbclid=IwAR2flWtFdtkg3eRNfPNycu8lz7xAzS9ej3-OgPlYcgeRj5ouM7suZqQThCc

Le paradigme général du système hégélien

Retraçons l'influence de la philosophie de Hegel sur la théorie des relations internationales. Elle se manifeste le plus clairement dans le marxisme et le libéralisme, alors que Hegel n'a pas eu une grande influence sur le réalisme. Examinons ce sujet plus en détail.

9782080235510.jpgC'est dans la "Philosophie du droit" [1] que Hegel a le mieux exprimé son point de vue sur la politique. Ces opinions sont fondées sur l'ensemble de sa philosophie et font partie intégrante de tout le système. Néanmoins, la théorie du politique de Hegel est exposée d'une manière assez originale et, afin de révéler le bloc de ses idées sur la politique internationale, il est nécessaire de la décrire brièvement.

Tout d'abord, il convient de rappeler le paradigme général de la pensée de Hegel. Il repose sur le principe triadique formulé par Fichte : thèse - antithèse - synthèse [2]. Fichte, à son tour, l'a puisé dans la tradition néoplatonicienne. Hegel lui-même n'a pas utilisé l'expression "thèse - antithèse - synthèse", bien que la structure de sa dialectique tourne constamment autour d'un schéma triadique similaire.

Selon Hegel, au commencement de toute chose se trouve l'Idée-en-soi ou l'Esprit subjectif. C'est la thèse principale. Vient ensuite le moment de la négation. L'Esprit se nie lui-même, s'aliène et devient la Nature. L'Esprit, dans ce moment de négation, cesse d'être en-soi et devient pour-autrui. Mais la Nature et la substance ne sont pas le premier commencement. Ce n'est qu'un moment de négation. C'est pourquoi elle est négative. Étant négative, elle indique ce qu'elle nie, la suppression et en même temps l'ascension et l'élévation (Aufhebung) de ce qu'elle est [3]. Cette tension entre les deux moments dialectiques agit comme l'Esprit qui organise et fait bouger la nature. Il y a une "potentialisation" des couches de l'être extérieur, du physique-mécanique au chimique et enfin à l'organique. Ce processus de déploiement de l'esprit est l'esprit. Chez l'homme, l'esprit détermine la conscience. 

La vie organique combinée à la conscience humaine détermine le troisième moment - la négation de la négation ou la synthèse. Dans l'homme, l'Esprit entame son dernier virage et se dirige vers le point où, à travers l'homme, l'Idée peut se contempler elle-même et où l'Esprit devient l'Esprit absolu, c'est-à-dire l'Idée pour elle-même.

Tel est le tableau général du système de Hegel. Dans la "Philosophie du droit", il ne considère que l'homme et les moments de sa "potentialisation", la dialectique du mouvement à travers les différentes couches de l'esprit qui se dévoile. 

La structure de la pensée de Hegel dans la Philosophie du droit

008214471.jpgHegel commence par le droit abstrait, une approche purement juridique qui établit la personne (au sens de la jurisprudence), c'est-à-dire l'individu. Le droit coutumier règle les relations de l'individu avec les autres individus et avec les objets du monde qui l'entoure. C'est ainsi qu'est postulé le modèle cartésien de la relation entre le sujet et l'objet. Le droit, selon Hegel, possède à ce stade sa propre ontologie et prédétermine le fonctionnement de la "conscience ordinaire". Le droit en tant que tel est une pure banalité qui traite d'abstractions. Il constitue les cartes intuitives du comportement et de l'expérience de tous les jours, mais n'a aucun contenu philosophique. Les lois précèdent donc l'État et le politique en tant que tels. On le voit dans les analyses des sociétés archaïques. Mais pour Hegel, il est important de réaliser ce domaine tout d'abord au niveau des concepts. Les relations juridiques sont l'abstraction de base qui structure les relations de l'homme avec le monde qui l'entoure au niveau de l'expérience immédiate. Le droit, au sens purement juridique, est le fond de l'existence humaine, sa limite extérieure.

Hegel opère ici avec le droit romain et avec la tradition européenne d'interprétation du droit dans l'esprit de ce que Carl Schmitt appellera plus tard la "nomocratie" [4].

Le deuxième niveau, où le sujet autonome émerge pour la première fois, c'est-à-dire où le travail de l'esprit commence, est, selon Hegel, la moralité (die Sittlichkeit). Il se tourne ici vers la raison pratique de Kant. Hegel explique le passage du droit à la Sittlichkeit comme l'acquisition par l'homme du premier degré d'autoréflexion, la conquête de l'autonomie par rapport à la stricte distribution des rôles et des statuts dans le champ logiquement juridique antérieur. Le sujet moral ne coïncide pas avec une personne juridique (physique), c'est-à-dire qu'il est quelque chose de plus qu'un individu. Le système de relations avec les autres individus et les objets du monde extérieur devient plus complexe. Mais Hegel interprète cette personnalité morale comme un moment où l'on quitte les liens sociaux, rigidement fixés par la loi, pour entrer dans la zone de l'intériorité, c'est-à-dire l'immersion en soi-même, dans l'autoréflexion. C'est un geste dans l'esprit de Diogène le Cynique, le sceptique qui se détourne de la société au nom de la contemplation personnelle. 

Ce n'est qu'au niveau suivant, le troisième, que l'on entre dans le domaine du Politique, où commence le véritable travail de ce que Hegel appelle "l'Esprit" (Geist) et qui est au cœur de tout son enseignement. Ici, Hegel suit entièrement Aristote. D'où le choix du terme : Hegel appelle le troisième domaine "moralité" (die Sittlichkeit), ce qui correspond au concept d'éthique d'Aristote (ἠθική, ἦθος). Les concepts de "moralité" et d'"éthique", qui semblent souvent synonymes, sont fondamentalement dissociés par Hegel.

1_le-droit-naturel.jpgGénéralement, les hégéliens le suivent dans la même voie. La moralité est l'immersion de l'individu en lui-même, la première capacité à détacher sa présence de l'abstraction purement juridique de lui-même en tant que personne. Dans la morale, en revanche, l'individu entre dans une forme de vie pratique active qui a déjà été réfléchie et a gagné la subjectivité morale, mais cette fois résolument tournée vers la possibilité pour l'esprit supérieur de se réaliser à travers l'action morale consciente. C'est le moment de la naissance de la société. 

Nous passons au troisième niveau en suivant les étapes droit - morale - morale (société).

Ici encore, la triple division apparaît. Tout le domaine de la moralité est divisé par Hegel en trois moments : la famille, la société civile et l'État. Il s'agit là d'un prolongement exact de la pensée d'Aristote sur l'éthique et son développement. Selon Aristote, la politique fait partie de la sphère de l'éthique, car c'est elle qui décide de la question du bien, c'est-à-dire de la déontologie.

L'être dans la famille et sa négation dans la société civile

Le premier moment de la réalisation humaine est l'être-en-famille. C'est là que, pour la première fois, le sujet moral exprime sa volonté par une action concrète - en sacrifiant l'individu à la famille comme première communauté. Selon Hegel, la famille est un phénomène purement spirituel. Elle n'a pratiquement rien de corporel, elle est le caractère concret de l'être moral (Sittlichkeit). Dans la famille, l'homme s'affirme d'abord pleinement en tant qu'esprit, en tant qu'idée substantielle et concrète. La conscience et la volonté du sujet se révèlent dans la famille. 

La société est constituée de familles en tant qu'ensembles organiques, où chaque individu est en unité morale avec les autres membres. Il n'y a pas ici de relations purement juridiques (d'individu à individu ou de sujet à objet) ni de détachement du sujet moral. L'être dans la famille est un dépassement de soi et le passage d'une humanité abstraite à une humanité concrète.  

Hegel considère le moment suivant de manière dialectique, comme une sortie de la famille vers le domaine défini par la pluralité déjà existante des familles, qui forme la société civile (bürgerliche Gesellschaft). Il s'agit ici d'une aliénation de l'individu par rapport à la totalité organique de la famille et, en ce sens, elle est négative. La société civile expose l'organisme intégral de la famille à la négation. Mais à la différence du droit, avec lequel tout a commencé, la société civile se construit déjà sur la base du sujet agissant spirituel concret, qui se manifeste dans la famille. Dans l'interprétation de Hegel, la société civile est un phénomène négatif dans lequel l'esprit se retire de ses conquêtes apparentes dans la famille. Cela détermine l'attitude de Hegel à l'égard des Lumières, qui ont pris la société civile (c'est-à-dire le capitalisme - Bürger = bourgeois) comme principal point de référence. La société civile est une négation, une chute visible de l'Esprit, mais elle est nécessaire pour le prochain tournant dialectique. Ce tournant est le dépassement de la société civile dans l'État (der Staat). 

L'État comme dépassement de la société civile

La famille est la thèse, la société civile est l'antithèse. L'État (der Staat) en est la synthèse.

L'État (der Staat) est l'expression la plus parfaite de l'Esprit. Dans l'État, un membre de la société civile, qui s'est réalisé en tant que sujet moral à part entière (à partir du stade de la famille), qui a acquis une autonomie sociale (en devenant un citoyen en soi), se surmonte lui-même par un service social gratuit. De même que, dans la famille, l'individu sacrifie son être en soi au profit de l'épanouissement de l'esprit, de même, dans l'État, le citoyen se sacrifie à un niveau encore plus élevé, se dépassant au service de l'ensemble. Non seulement la famille, mais une forme synthétique encore plus élevée de l'incarnation de l'esprit.

Au stade de l'État, la société civile (bürgerliche Gesellschaft) devient le peuple (das Volk).

Heidegger, commentant la Philosophie du droit, observe avec perspicacité que le peuple (das Volk) correspond au Dasein, et que l'État (der Staat) est le Sein (au sens heideggérien) - Staat als Seyn des Volkes [5].

Selon Hegel, l'État (der Staat) est le sommet de la moralité (Sittlichkeit). Il incarne l'horizon le plus élevé du déploiement de l'Esprit. L'État est pur Esprit, il est donc raisonnable et possède une volonté. 

À son tour, la plus haute concentration de l'État est le monarque. Hegel était un monarchiste constitutionnel. Dans la figure du monarque, la dialectique de l'esprit atteint son point culminant. Tous les membres de l'État sont au service du monarque, et le monarque est au service de l'Idée.

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Enfin, dans la phase de l'Esprit correspondant à l'État, Hegel identifie également trois moments. Encore une fois, thèse - antithèse - synthèse.

L'État lui-même (der Staat), en tant qu'organisme unique, apparaît ici comme une thèse, comme une unité spirituelle dans laquelle il atteint son épanouissement le plus complet possible. Mais l'État n'est pas le seul. Il en est un parmi d'autres. Il crée un système de relations internationales. C'est encore la négation. La présence d'un autre Etat limite la souveraineté du premier. Ainsi le système de relations internationales dans l'enchaînement des moments de la révélation de l'esprit est l'expression du négatif.

Ce négatif (antithèse) est finalement supprimé par l'affirmation de l'Idée universelle, c'est-à-dire l'Empire philosophique (das Reich). C'est en lui que l'histoire s'achève. Et l'esprit, après avoir traversé toutes ses étapes, atteint sa pleine et absolue révélation. Si, au commencement, elle était Idée-en-soi, puis elle est devenue, par l'aliénation de soi dans la nature (antithèse), Idée-pour-autrui, c'est dans l'Empire du monde (das Reich) qu'elle devient Idée-pour-soi. Mais l'Idée (ἰδέα) est ce qui est vu. Lorsqu'il n'y a pas d'Autre que l'Idée elle-même, elle ne peut être vue. L'esprit en tant que tel est le processus de déploiement de l'Idée, lorsqu'elle constitue l'Autre, et qu'ensuite l'Autre contemple l'Idée. Mais cet Autre n'est pas un Autre total ; c'est l'Idée elle-même, qui ne s'exprime qu'à travers l'Esprit, qui devient, à partir du subjectif, d'abord objectif, puis absolu. L'Empire mondial (das Reich) est l'achèvement de l'histoire en tant qu'histoire de l'Esprit, c'est-à-dire quelque chose de final et d'absolu. 

Telle est l'image générale du système philosophique de Hegel. 

Application du modèle de Hegel aux idéologies politiques de la modernité européenne

À partir d'une vue d'ensemble du système de Hegel, il devient parfaitement clair comment il peut être appliqué à certaines idéologies politiques, et surtout au communisme et au libéralisme. 

Le fait que Marx ait construit son système sur la philosophie de Hegel est connu de tous et n'a pas besoin d'être prouvé. La reconstruction de l'histoire selon Marx, bien qu'elle introduise le facteur des classes dans la base de l'analyse, reprend en général complètement le scénario de Hegel. La seule chose est que dans la théorie matérialiste et de classe de Marx, qui exclut la primauté de l'Idée en soi et commence la construction de son propre système à partir du deuxième membre de la chaîne dialectique - à partir de la Nature, de l'antithèse, la "fin de l'histoire" n'est pas l'Empire mondial (das Reich), mais une société internationale sans classes - le communisme. 

Cependant, le communisme de Marx est également précédé d'une phase de capitalisme, qui doit d'abord devenir un phénomène mondial. C'est ce sur quoi ont insisté les marxistes européens qui ont nié la révolution bolchevique en Russie en tant qu'exemple de marxisme authentique, et plus tard les trotskistes qui ont rompu avec Staline et, comme les sociaux-démocrates européens, ont condamné l'URSS en tant que "perversion du marxisme". Ainsi, l'hégélianisme de gauche supposait également une certaine analogie avec l'Empire mondial (das Reich), en tant que moment précédant la révolution prolétarienne mondiale dans la construction du capitalisme mondial. 

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C'est ainsi que Hegel a été interprété par des théoriciens libéraux tels que Kojève [6] et Fukuyama [7]. Rejetant, bien sûr, la révolution marxiste et l'approche de classe, ils pensent que la "fin de l'histoire" se produira par l'unification de l'humanité dans un système supranational mondial unique. Ce serait la victoire complète du capitalisme et de l'internationalisme bourgeois. Mais contrairement aux marxistes, ils nient l'existence de classes, estimant que la classe moyenne s'étendra progressivement à l'ensemble de l'humanité et que l'égalité sera atteinte par des moyens évolutifs plutôt que révolutionnaires. Le globalisme planétaire que les marxistes affirment avant la révolution mondiale, et que les libéraux considèrent comme la "fin de l'histoire", correspond cependant précisément à la société civile de Hegel, qu'il considérait comme un moment dialectique précédant l'émergence de l'État. Ainsi, tant les libéraux que les marxistes sont déroutés et déformés qualitativement par le système de Hegel, puisqu'ils refusent de reconnaître dans l'État de Hegel une forme d'Esprit qualitativement supérieure à la société civile. Selon Hegel, les individus moraux, enracinés dans la famille et ayant réalisé le moment négatif de l'aliénation dans une société composée de nombreuses familles, doivent volontairement (ou plutôt sous l'influence de l'esprit qui travaille en eux) surmonter cette phase et par la négation de la négation, c'est-à-dire par la négation (suppression) de la société civile, passer à la monarchie constitutionnelle. Les libéraux restent au niveau du deuxième moment dialectique - au niveau de la société civile, en dépassant la famille (d'où l'abolition progressive de la famille dans le marxisme et le libéralisme), mais en ne dépassant pas le dépassé, c'est-à-dire le capitalisme et la démocratie bourgeoise. Ils restent donc dans le domaine antérieur à la compréhension hégélienne de l'État en tant que tel, c'est-à-dire en tant que moment de l'ascension de l'Esprit. Ainsi, même lorsqu'elles sont orientées sur le principe hégélien de la "fin de l'histoire", elles sautent par-dessus le moment essentiel le plus important de tout le système hégélien - l'État [8]. Hegel insiste sur le fait que la monarchie ne précède pas la société civile, mais la suit. Du moins la monarchie en question dans son système. La société civile annule historiquement la monarchie de l'ancien type, que Hegel, dans son système de déploiement de l'Esprit dans le domaine de la morale, ne mentionne pas du tout. Mais elle précède la monarchie philosophique, l'état de l'Esprit. 

Nous pouvons donc conclure que les interprétations libérales et marxistes de Hegel s'écartent considérablement de son système dans le domaine de l'État et du droit, et que leur interprétation de la "fin de l'histoire" déforme gravement la pensée de Hegel et n'inclut pas en principe l'ontologie de l'État de Hegel. Hegel lui-même tire le sens de la "fin de l'histoire" de cette ontologie de l'Etat (der Staat) en tant que moment de l'ascension de l'Esprit. Si nous comprenons la "fin de l'histoire" comme l'internationalisation de la société civile, y compris ou non le critère de classe du marxisme, nous changeons complètement la structure de la philosophie de l'histoire de Hegel, sans jamais atteindre le point où la synthèse de la sphère morale a lieu et où la monarchie philosophique (pas encore un empire mondial), l'État de l'Esprit, est créée. 

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Les hégéliens de droite, comme Giovanni Gentile, étaient beaucoup plus proches de Hegel. Ils ont placé la notion d'État précisément dans un contexte hégélien et y ont vu la suppression de la société civile. Un tel État serait post-bourgeois, post-capitaliste.

Aussi étrange que cela puisse paraître, les bolcheviks russes étaient proches de Hegel, qui a d'abord annoncé la possibilité d'une révolution prolétarienne dans un seul pays, puis, sous Staline, la construction du socialisme dans un seul pays également. De même, la théorie et la pratique de la création d'un État post-bourgeois, dans lequel la société civile est surmontée, ont émergé au sein de la gauche. Si nous considérons le système qui s'est développé sous Staline comme une "monarchie" spontanée, il s'inscrit précisément dans la logique hégélienne. 

Qu'est-ce que l'État de Hegel ?

Voici donc ce à quoi nous arrivons. Dans le système de Hegel, lorsqu'il s'agit de l'État comme aboutissement du déploiement moral de l'Esprit, il ne s'agit pas de n'importe quel État, mais d'un État dans lequel la société civile a été supprimée, dépassée. C'est entre de tels États - des monarchies post-démocratiques (constitutionnelles) - que se construit le système des relations internationales.

En fait, ces relations contiennent le moment philosophique le plus important. D'une part, la présence d'un autre État affaiblit le degré de généralisation philosophique que l'Esprit atteint dans chaque État individuel. La présence d'autres États souligne l'insuffisance et la non-finalité de cette expression. C'est pourquoi le système des relations internationales est une négation. L'Esprit dans la politique internationale reconnaît ses limites, c'est-à-dire sa forme et sa relativité. C'est la justification philosophique de la guerre - c'est l'œuvre du moment négatif. 

Mais en même temps, la politique internationale acquiert la plus haute signification philosophique, car c'est là que se déroule l'avant-dernier acte, suivi de l'accomplissement de la "fin de l'histoire", c'est-à-dire de la finalisation de l'Esprit devenant absolu. Il n'y a donc rien de plus profond et de plus significatif que les processus qui se déroulent dans les relations internationales à ce stade dialectique. Les relations internationales représentent précisément le moment de l'Esprit, et c'est à ce point décisif que se joue le sort de savoir comment et sur la base de quel État sera construit l'Empire final de l'Esprit (Reich).

Nous approchons ici de l'apothéose du domaine moral lui-même, de son sommet. Toute l'histoire, selon Hegel, est un mouvement vers ce but - vers l'Empire mondial (das Reich) du sens, et les relations internationales en sont proches. C'est le moment où l'avenir projette son ombre la plus épaisse (adumbratio chez Husserl).  

Exemples d'États quasi-hégéliens au 20ème siècle

Nous avons vu précédemment que ni une lecture communiste ni une lecture libérale de Hegel ne peuvent nous conduire à cette interprétation des relations internationales, puisqu'elles ne disposent pas d'une théorie de l'État post-démocratique. Cependant, si nous prêtons attention au vingtième siècle, nous verrons que dans la pratique de la politique mondiale, nous avons eu essentiellement affaire à de telles formations. 

L'URSS, dans la version de Staline, était un "empire post-bourgeois". Les pays de l'Axe, également post-démocratiques, étaient les plus proches de la monarchie philosophique de Hegel dans leurs justifications théoriques, et même les régimes libéraux de l'Occident - surtout l'Angleterre et les États-Unis - n'ont pas affaibli leur statut d'État, mais - bien que sous la pression de circonstances pragmatiques - ont au contraire créé des systèmes politiques forts et centralisés. Si cette observation est valable, alors nous pouvons proposer une lecture hégélienne des relations internationales au 20ème siècle. Les développements majeurs dans ce domaine acquièrent alors une dimension philosophique vivante et profonde. On peut y voir les trois idéologies politiques qui sont devenues les axes des blocs respectifs - libéral, soviétique et nationaliste. À la veille de la résolution définitive de l'Esprit dans l'Empire mondial (das Reich), les trois idéologies, s'appuyant sur leurs États hôtes, s'affrontent dans la bataille pour la "fin de l'histoire".

Le 20ème siècle et les simulacres d'État

À la fin du 20ème siècle, il est possible de résumer cet affrontement séculaire et d'interpréter les relations internationales de la manière suivante. D'abord, l'alliance de l'URSS (hégéliens de gauche) et de l'Empire bourgeois (représenté par les Anglo-Saxons - hégéliens libéraux par convention) a vaincu les pays de l'Axe (le Troisième Reich d'Hitler et l'Italie fasciste de Mussolini), c'est-à-dire les hégéliens de droite. Puis, pendant la guerre froide, les libéraux ont finalement gagné, et il est significatif que Fukuyama ait écrit son manifeste libéral-hégélien sur la "fin de l'histoire" juste après la chute du système socialiste mondial. Cela coïncide avec le moment unipolaire et, en effet, dans les années 90 du vingtième siècle, il semble que l'"Empire mondial" sera un régime libéral-démocratique établi dans la superpuissance américaine la plus puissante et sans rivale et ses satellites libéraux en Europe et en Asie. 

Introduction-a-la-lecture-de-Hegel.jpgMais c'est ici que nous sommes confrontés à la contradiction la plus grave. À première vue, la lecture libérale de Hegel, présentée dans ses grandes lignes et en détail dans les ouvrages de Kojève, l'a emporté. Ici aussi, les néoconservateurs américains, issus du trotskisme et donc profondément imprégnés d'hégélianisme, ont joué un rôle majeur. Contre la ligne stalinienne de l'"empire rouge", trop étroitement associée à leurs yeux à l'esprit et à l'identité russes, dans laquelle ils voyaient une trahison de l'internationalisme, les trotskistes américains se sont rangés du côté des libéraux mondialistes pour les aider à achever la construction de la société bourgeoise capitaliste à l'échelle planétaire, pour parvenir à l'abolition totale des nations, des races, des religions et de toutes les identités locales, et créer ainsi les conditions préalables à la réalisation d'une révolution prolétarienne mondiale strictement conforme aux préceptes de Marx, sans craindre de tomber dans le piège du national-bolchevisme stalinien, qui n'était à leurs yeux qu'"une forme de national-socialisme". La révolution mondiale était reportée à la victoire complète du capitalisme mondial.

Mais ici apparaît une considération essentielle: se situant au niveau de la société civile et n'ayant pas réalisé (contrairement aux hégéliens de droite, plus fidèles à Hegel et à son système) la signification philosophique de l'Etat comme moment d'expression de l'Esprit, les hégéliens libéraux ne pouvaient correspondre pleinement à l'Empire final et prétendre que le libéralisme mondial sous la forme du mondialisme était le couronnement de l'épanouissement de l'Esprit pour lui-même. D'autant plus que les prémisses spirituelles du système hégélien ont été formellement niées par le marxisme et n'ont pas joué un grand rôle pour les libéraux.

1_l-atheisme.jpgMais s'il y a un trou noir aux origines du système, c'est ce que la civilisation libérale a dû affronter au moment de son triomphe suprême. Et ce n'est pas un hasard si Alexandre Kojève, hégélien libéral assez conséquent, a accordé tant d'attention au thème de la mort, de la négativité et du néant chez Hegel [9]. Si l'on lit le système hégélien avec les yeux d'un athée (et Kojève a consacré son étude fondamentale à l'athéisme [10]), l'Empire final de l'Esprit (das Reich) se transformera en un triomphe sporadique du nihilisme planétaire.

C'est exactement ce qui s'est passé au tournant des époques, et qui a été marqué par le premier coup d'éclat de l'islam radical contre les États-Unis, au moment symbolique de la chute des tours jumelles du World Trade Center à New York. Du point de vue de la philosophie des relations internationales selon le modèle hégélien, le 11 septembre 2001 a été le moment clé de tout le vingtième siècle. Au lieu d'un Empire mondial victorieux, c'est l'abîme du néant qui commence à se déployer devant l'humanité. 

Il fallait donc ici franchir la ligne et tenter de repenser en termes hégéliens tout ce qui s'était passé et ce qui allait se passer désormais selon la logique fondamentale de Hegel. 

Hegel et la carte politique du premier tiers du 21ème siècle

Si nous appliquons l'interprétation authentiquement hégélienne des moments de déploiement de l'Esprit à la situation du premier quart du 21ème siècle, nous obtenons l'image suivante. Les événements du 20ème siècle, malgré leur relative similitude avec la formation de trois États philosophiques (c'est-à-dire idéologiques, fondés sur l'Idée) - le libéralisme, le stalinisme et le fascisme - n'étaient en fait pas un véritable moment des relations internationales en tant qu'antithèse de l'État à part entière et précurseur de la synthèse, mais un monde inversé (verkehrte Welt) situé non pas au-dessus de la société civile, mais en dessous d'elle. Ces trois camps n'étaient pas des États hégéliens au sens plein du terme, ce qui signifie qu'ils restaient au niveau de la société civile, même si celle-ci était déformée. D'ailleurs, la victoire même du libéralisme sous la forme des États-Unis et des Anglo-Saxons en témoigne. Ce n'est pas l'Empire qui a gagné, mais un sous-état de type bourgeois libéral-démocratique (Not-Staat, aussere Staat ou pre-state, vor-Staat [11]). Le mondialisme n'est pas le moment du triomphe de l'Idée, découverte dans le dernier moment du déploiement de l'Esprit, c'est le remaniement des Lumières, qui ont été trop hâtivement enroulées dans des formes étatiques. En d'autres termes, nous ne sommes pas au moment des relations internationales hégéliennes, qui suivent logiquement la création de l'État post-démocratique, mais avant, dans l'état qui précède l'émergence des monarchies philosophiques à part entière.

Des relations internationales qui n'ont jamais existé

C'est ici que se révèle toute l'importance de Hegel pour la théorie du monde multipolaire. 

Tout d'abord, les États idéologiques du 20ème siècle, qui se battent entre eux, doivent être reconnus non pas comme trois formes de l'Idée, mais comme des simulacres, c'est-à-dire des versions déformées qui précèdent le véritable original. Ce sont des ombres du futur (des adumbrationes selon Husserl) projetées par de véritables monarchies philosophiques dans lesquelles l'Esprit n'est pas encore incarné. La victoire du libéralisme dans les années 1990 n'a pas été l'accord final des relations internationales, car les sociétés civiles n'ont pas encore été formées en véritables nations. 

Une nation, selon Hegel, émerge lorsqu'elle dépasse la société civile, c'est-à-dire le capitalisme. Mais ni l'URSS ni les pays de l'Axe de l'Europe centrale n'ont véritablement surmonté le capitalisme. Par conséquent, la victoire des libéraux a simplement rendu universel le moment de la société civile, c'est-à-dire l'État pré-étatique, pré-philosophique et monarchique. Cela signifie qu'il ne s'agissait pas de la "fin de l'histoire", mais seulement d'une préparation de l'humanité à la phase suivante - la phase des États réels.

Le monde multipolaire est appelé à devenir une telle transition vers le prochain moment de l'ordre moral, lorsqu'un homme nouveau apparaîtra - un homme de l'État philosophique, qui n'abandonnera pas la famille, mais au contraire, enraciné dans sa structure éthique, l'étendra et l'exaltera vers le haut - dans la direction de la monarchie philosophique. Les pôles du monde multipolaire devraient être précisément de telles monarchies philosophiques s'appuyant sur le peuple, formées en surmontant la société civile atomisée et déconnectée. Par conséquent, nous n'avons pas encore dépassé les relations internationales proprement dites, en tant que deuxième moment dialectique sur la voie de l'Empire mondial (Das Reich). Il est devant nous. 

81vqjqTtvKL._AC_UF894,1000_QL80_.jpgEn outre, les États à part entière au sens hégélien du terme n'ont pas encore totalement émergé. La Chine et la Russie sont aujourd'hui les plus proches de la création d'une monarchie philosophique, et l'Inde s'oriente partiellement dans cette direction. Mais le moment clé sera la mutation dialectique nécessaire de l'Occident, lorsque là aussi, au lieu d'un pseudo-empire libéral, un véritable État émergera, et non un Not-Staat libéral, comme c'est le cas aujourd'hui. Même un libéral hégélien comme Fukuyama s'en est rendu compte, admettant que sa version de la "fin de l'histoire" a échoué et proclamant une orientation vers la "construction de l'État" [12]. Mais pour un libéral convaincu, il est difficile de comprendre la valeur philosophique du dépassement de la démocratie et du passage à l'organisation verticale de la monarchie. Par conséquent, la tentative de créer véritablement quelque chose de similaire à l'État hégélien tout en préservant le libéralisme et la société civile, bien que sous une forme modifiée, contient une contradiction irréductible. Les théoriciens et, plus encore, les praticiens de la construction d'un véritable État en Occident attendent toujours leur heure.

Et ce n'est que lorsque le monde multipolaire sera plus ou moins construit, c'est-à-dire lorsqu'un certain nombre de monarchies philosophiques post-démocratiques (constitutionnelles) et d'États hiérarchiques illibéraux à part entière émergeront dans le monde, construits conformément aux fondements du moment moral et sous l'influence directe de l'Esprit, aspirant à une expression de soi pleine et absolue, que nous passerons à la phase dialectique suivante, qui, pour la première fois, correspond véritablement à ce que Hegel entendait par "relations internationales". Ce n'est qu'à partir de cette position d'immersion dans le monde multipolaire que nous pourrons envisager l'avenir ultime dans la perspective ultime et nous faire une première idée de ce que sera le véritable Empire final de l'Esprit (das geistliche Reich), c'est-à-dire l'Idée universelle parvenue à son expression parfaite et donc la "fin de l'histoire". 

Influence du système de Hegel sur la politique allemande

Dans la doctrine de l'État de Hegel, la clé est sa relation dialectique avec la société civile. Il convient ici de tenir compte de l'époque à laquelle Hegel écrivait. La Révolution française et le Siècle des Lumières ont clairement opposé la société civile aux anciennes monarchies. Le capitalisme et l'idéologie bourgeoise progressaient activement dans tous les pays européens. C'est à cette époque que Hegel crée la Philosophie du droit, dans laquelle il justifie le statut métaphysique et dialectique de l'État. Il ne parle pas simplement de l'État, qui comprendrait les anciennes monarchies européennes, mais d'un nouvel État, qui est un concept philosophique. En cela, il rejoint Platon. Le véritable État n'est que celui qui est établi et gouverné par des philosophes. Hegel insiste sur le fait qu'un tel État philosophique n'est possible qu'après la société civile. Avant la société civile, l'État est organique et immanent ; il n'a pas la pleine conscience de soi nécessaire au domaine de la moralité. Et la société civile elle-même ne peut établir l'État qu'à l'extérieur (aussere Staat [13]), comme un "gardien de nuit" dont le sort sera terminé lorsque la société civile pourra s'en passer (idée de Locke).

Pour parvenir à l'état philosophique, une société civile rationnelle et volontaire - morale au sens de Kant et déjà morale, c'est-à-dire fondée sur la famille (tout cela est présent dans le deuxième moment de la dialectique de la morale sous une forme dépouillée) - doit se résoudre à se dépasser elle-même. Non pas au sens de Hobbes, sous l'influence des circonstances (tel est l'ancien état), mais de bonne volonté - comme indicateur de maturité morale et de perspicacité philosophique. Le nouvel État doit être un acte de renoncement de la bourgeoisie libérale à elle-même, c'est-à-dire le dépassement du capitalisme, son élimination. Une fois la société civile abolie dans l'État, il n'est plus possible d'y revenir. La bourgeoisie cède le pouvoir au monarque philosophique, en qui l'idée morale se révèle pleinement.

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Hegel écrit ses œuvres à la veille de l'émergence de l'Empire allemand sur la base de la Prusse des Hohenzollern. En effet, contrairement à l'empire austro-hongrois des Habsbourg, le Deuxième Reich allait devenir l'expression historique du nouvel État de Hegel. C'est ainsi que les hégéliens ont perçu la création de l'Empire allemand par Bismarck. Et le mérite de Hegel dans la justification métaphysique, l'affirmation philosophique de cet Empire fut d'abord reconnu par tous. L'esprit prussien, minutieusement disséqué par Spengler [14], soulignait justement ceci : dans l'Empire allemand, le principe du service militaire abolissait l'individualisme bourgeois.

Dans une telle situation, les relations internationales décidaient de tout, car, selon Hegel, après son établissement, l'État philosophique entrait dans le moment dialectique qui suit la formation de l'État - le système des relations internationales. C'est ainsi que la politique internationale a acquis son contenu philosophique. 

La Première Guerre mondiale a été le point culminant de la mise à l'épreuve par l'Allemagne de sa place dans la dialectique de l'Esprit. Le nouvel État, l'Empire allemand de Guillaume II Hohenzollern, et l'ancien État, l'Empire austro-hongrois des Habsbourg (dans lequel la société civile non seulement n'a pas été supprimée, mais s'est épanouie) se sont heurtés à l'Entente libérale, à laquelle l'Empire russe pré-bourgeois s'est joint par une incompréhension philosophique totale et contre toute logique. Le résultat est connu. 

Mais d'un point de vue philosophique, ce qui suit est important: le Deuxième Reich n'est pas devenu un État philosophique au sens plein du terme, ce qui s'est révélé lorsque, après la défaite de l'Allemagne lors de la Première Guerre mondiale, la société allemande est retombée dans le libéralisme. La République de Weimar était une société civile typique dans laquelle les vestiges du IIème Reich se sont progressivement dissous. Par conséquent, cette société civile n'a pas été véritablement dépassée et l'Empire allemand s'est avéré être un simulacre par rapport au modèle de forme hégélienne.

La deuxième tentative d'établir un État post-bourgeois sous Hitler s'est également avérée être un simulacre. Le national-socialisme - du moins le "national-socialisme spirituel" auquel Heidegger faisait référence - a été conceptualisé dans certains cercles philosophiques comme un nouvel effort pour transformer la société civile (cette fois-ci, celle de la République de Weimar) en un peuple et construire un État philosophique. 

Une fois de plus, la politique internationale est un affrontement entre le Troisième Reich, qui se veut un État philosophique, et le camp libéral auquel Staline s'est rallié. Du point de vue de la théorie marxiste, l'URSS est l'expression d'une société post-bourgeoise - mais civile ! - mais dans la pratique, le système stalinien ressemblait davantage à un modèle d'État éthique, c'est-à-dire à une version de l'hégélianisme qui supprimait le capitalisme. Les philosophes au pouvoir en URSS ont été remplacés par des bolcheviks idéologues. Cette caractéristique idéocratique du régime soviétique a été parfaitement comprise par les Eurasiens russes [15]. De nouveau, l'alliance contre nature dans les relations internationales (bourgeoisie et anti-bourgeoisie) et la défaite de l'Allemagne. 

L'Allemagne s'est alors effondrée dans la société civile et a perdu toute subjectivité, avant de se fondre dans l'Union européenne et la mondialisation.

Qu'est-ce que cela signifie du point de vue de Hegel ? Une seule chose: ni le deuxième ni le troisième Reich n'étaient des États philosophiques. Ils appartenaient au siècle des Lumières, qu'ils n'ont pas réussi à dépasser. Quel que soit le degré de dépassement de la société civile, le capitalisme les a empêchés de passer véritablement à la phase historique suivante de l'épanouissement de l'Esprit. Il ne s'agissait pas de nouveaux États dotés d'une idée directrice, mais seulement de tentatives infructueuses de fonder un tel État. La pensée de Hegel ne se réfère donc pas à une description du passé, mais à un aperçu de l'avenir. L'Occident n'a toujours pas d'État au sens hégélien du terme, comme le soulignent la généralisation du mondialisme libéral et l'abolition parallèle des États traditionnels en Europe. 

L'Occident n'a pas encore créé ce qu'il convient d'appeler un "État" au sens de la morale de Hegel. Cela signifie que les relations internationales n'ont pas encore acquis cette charge philosophique qui n'apparaît qu'à l'approche de la "fin de l'histoire", c'est-à-dire de l'Empire mondial de l'esprit (das geistliche Reich) et de l'Idée universelle. 

La multipolarité : l'avènement de l'avenir

Dans sa phase actuelle, le monde multipolaire représente les premières tentatives systémiques de surmonter la société civile, qui s'incarne aujourd'hui dans la diffusion mondiale du capitalisme et du libéralisme. Les tendances illibérales dans les pôles du monde multipolaire - en Chine, en Russie, dans le monde islamique, etc. - sont les premiers signes du mouvement vers le nouvel État, selon Hegel. Il s'agit ici d'un mouvement dialectique vers la disparition du capitalisme. En Chine, l'accent est mis plus clairement, en Russie moins. Un certain nombre d'idéologues islamiques le comprennent très bien. En d'autres termes, nous sommes à l'aube de l'émergence d'États au sens hégélien du terme. 

I22744.jpgTant que l'Occident s'identifie à la société civile et reste complètement dans le cadre des Lumières et de l'idéologie libérale, il n'y a pas lieu de parler d'État au sens hégélien. Ainsi, toutes les tentatives de Fukuyama pour justifier une nouvelle "construction de l'État" ne s'éloignent pas des théories de Locke ou de Voltaire sur le rôle des gouvernants éclairés qui doivent préparer la société à la démocratie. Selon Fukuyama, les régimes politiques modernes de l'Occident n'ont pas tout à fait rempli cette fonction, de sorte qu'une période préparatoire de gouvernement oligarchique par des élites libérales minoritaires et éclairées est nécessaire. Mais tout cela ne sert qu'à mettre en œuvre de manière encore plus efficace les normes de la société civile à l'échelle planétaire, et non à les surmonter. Cela signifie qu'un État hégélien est hors de question. 

Mais en même temps, il n'est pas exclu qu'en réponse au renforcement des pôles illibéraux face aux États non occidentaux, l'Occident lui-même se tourne un jour vers l'horizon illibéral. Jusqu'à présent, il s'agit de tendances périphériques, instantanément absorbées par la dictature du libéralisme. Cela signifie que jusqu'à présent, l'Occident n'est pas dans l'élément des relations internationales au sens hégélien, puisqu'il n'a même pas encore atteint le niveau de l'État. Mais l'urgence est de plus en plus grande et les premières manifestations en sont les poussées des courants d'extrême droite, tant en Europe qu'aux États-Unis. À la périphérie du monde occidental, cela se manifeste par le soutien de l'Occident à des mandataires racistes tels que l'Ukraine ou Israël. En principe, Israël, en tant que phénomène régional, est un modèle de ce que l'Occident pourrait devenir s'il s'engageait sur la voie du dépassement de la société civile en direction d'une certaine idéocratie illibérale. Il ne s'agit cependant pas d'un projet d'avenir, mais plutôt d'une lueur du nationalisme européen et même du racisme, qui a été autorisé par l'Occident en Israël en vertu d'une complicité morale dans les souffrances des Juifs à l'époque nazie. 

Mais ce retour à l'État au sens hégélien du terme exigera de l'Occident qu'il abandonne complètement le libéralisme, qu'il le surmonte consciemment. Jusqu'à ce que cela se produise, l'Occident en tant que civilisation restera sur la spirale précédente (au niveau du Not-Staat), ce qui, en soi, peut conduire à sa dégradation rapide face à l'édification d'un État à part entière auprès des autres pôles. 

Les relations internationales et l'apocalypse

Relions maintenant la lecture hégélienne du monde multipolaire à la manière dont la tradition chrétienne décrit l'époque immédiatement adjacente à la fin des temps (c'est-à-dire la "fin de l'histoire" de Hegel).

La fin réelle de l'histoire, qui pour Hegel est l'achèvement du cycle d'autodécouverte de l'Esprit devenant absolu, est comprise par le christianisme comme la seconde venue du Christ et la descente de la Jérusalem céleste sur terre, décrite dans l'Apocalypse de saint Jean le Théologien. C'est l'émergence d'un nouveau ciel et d'une nouvelle terre. Ce n'est qu'ainsi que pourra se réaliser la véritable unité de l'humanité, au moment de la résurrection des morts et du Jugement dernier. L'Empire de l'Esprit (das geistliche Reich) peut être compris comme le Royaume des Cieux (das himmliche Reich) ou le Royaume de Dieu (das Gottesreich). Puisque Hegel voit dans la politique et l'histoire le déploiement de l'Esprit, une telle corrélation est tout à fait appropriée et clarifie mieux la pensée et l'ensemble du système de Hegel, qui était chrétien et a certainement construit sa théorie sur une base chrétienne (même s'il ne l'a pas toujours suffisamment souligné). C'est cette lecture qui serait la plus proche de Hegel lui-même, à l'opposé des interprétations laïques, athées et matérialistes de l'hégélianisme de gauche et des libéraux. 

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Si tel est le cas, les relations internationales entre les États précédant immédiatement le phénomène de la nouvelle Jérusalem seraient aussi logiquement placées dans le contexte de l'Apocalypse. Peut-être les États de Hegel correspondraient-ils alors aux images des anges participant au drame apocalyptique, ainsi qu'aux figures des bêtes de la mer et de la terre, qui rappellent clairement le Léviathan et le Béhémoth du livre de Job. Il est significatif que Hobbes ait choisi le Léviathan comme principale métaphore pour décrire son État. Dans ses textes géopolitiques, Carl Schmitt identifie le Léviathan à la puissance maritime (Sea Power) et les Béhémoths à la puissance terrestre (Land Power) [16]. Ils sont à leur tour en corrélation avec la Grande-Bretagne et les États-Unis (Sea Power, pays de l'OTAN, atlantisme) et la Russie (Land Power, Eurasie), c'est-à-dire avec les deux pôles du monde multipolaire. 

Si la corrélation de certaines figures de l'Apocalypse avec les États du monde multipolaire repose sur une tradition stable en philosophie politique et en géopolitique, en raison de la dimension spirituelle de la théorie de Hegel, et parce que pour lui l'histoire et sa dialectique sont le déploiement des moments de l'Esprit, nous pouvons supposer que dans l'Apocalypse, le monde est en train de se transformer en un monde multipolaire, nous pouvons supposer que dans la réalité apocalyptique, non seulement la bête de la mer et la bête de la terre peuvent représenter des États, mais aussi d'autres figures - surtout les anges, qui sont décrits comme des armées, des armées qui combattent les armées adverses de démons sous l'égide de Satan. Les armées sont une fonction de l'État, et l'armée céleste ainsi que les forces de l'enfer sont également en corrélation avec les États, puisque l'armée est l'une des caractéristiques les plus frappantes de l'État en tant que tel. 

Dans ce cas, nous pouvons considérer les événements décrits dans l'Apocalypse comme une carte symbolique des relations internationales à l'époque finale précédant immédiatement la "fin de l'histoire", c'est-à-dire la fin des temps.

Cette interprétation correspond bien à la théorie de Hegel lui-même, qui n'était ni athée ni matérialiste, mais au contraire chrétien. Mais il faut noter ici l'essentiel: les pôles du monde multipolaire sont des États au sens hégélien, c'est-à-dire des entités dans lesquelles la société civile a été fondamentalement et irréversiblement vaincue, c'est-à-dire le capitalisme, le système bourgeois et l'idéologie libérale. Ce n'est qu'au cours de l'élimination du libéralisme en tant que négation de la négation de la négation que la formation des États a lieu. Cela indique que malgré tous les signes de proximité de l'Apocalypse, particulièrement évidents dans la société libérale occidentale, l'humanité a encore un autre cycle à traverser, qui, en termes d'importance et de signification, dépasse de loin tous les précédents. Et le système des relations internationales du monde multipolaire, du fait de sa proximité avec la fin de l'histoire du monde, est doté d'une signification colossale du point de vue de l'histoire de l'Esprit. En effet, les images apocalyptiques d'anges et de démons indiquent symboliquement la participation directe et ouverte des esprits (célestes et souterrains) à l'aboutissement de l'histoire du monde. 

Ainsi, le monde multipolaire n'apparaît pas comme une forme d'existence stable et sans problème, mais comme un moment extrêmement intense de l'histoire du monde, dynamique, extrêmement significatif et décisif en ce qui concerne les significations historiques finales les plus profondes.

Notes:


[1] Гегель Г.Ф.В. Философия права. М.: Азбука,2023. 

[2] Фихте И.Г. Наукоучение. М.: Издательство «Логос»; Издательская группа «Прогресс», 2000.

[3]  Мартин Хайдеггер предлагал толковать aufheben у Гегеля через три смысла, отраженных в латинчких глаголах tollere, conservare, elevare.

[4] Шмитт К. Политическая теология. М:. Канон-Пресс-Ц, 2000.

[5] Heidegger M. Seminare: Hegel – Schelling.  Frankfurt am Main: Vittorio Klostermann, 2011. S. 115.

[6] Кожев А. Из Введения в прочтение Гегеля. Конец истории//Танатография Эроса, СПб:Мифрил, 1994.

[7] Фукуяма Ф. Конец истории и последний человек. М.: ACT; Полиграфиздат, 2010.

[8] Те государства, которые не превосходят гражданское общество, а пытаются служить ему, Гегель называет «государством нужды» (Not-Staat) или «внешним государством» (aussere Staat). Heidegger M. Seminare: Hegel – Schelling.  S. 607.

[9] Кожев А. В. Идея смерти в философии Гегеля.  М.: Логос; Прогресс-Традиция, 1998.

[10] Кожев А. В. Атеизм и другие работы. М.: Праксис, 2007.

[11] Heidegger M. Seminare: Hegel – Schelling.  S. 607.

[12] Fukuyama F. State-Building: Governance and World Order in the 21st Century. NY: Cornell University Press, 2004.

[13] Heidegger M. Seminare: Hegel – Schelling.  S. 607.

[14] Шпенглер О. Пруссачество и социализм. М.: Праксис, 2002.

[15] Трубецкой Н.С. Наследие Чингисхана. М.: Аграф, 1999.

[16] Шмитт К. Земля и море/Дугин А.Г. Основы геополитики. М.: Арктогея-Центр, 2000.

 

jeudi, 14 décembre 2023

Giorgio Locchi et Dominique Venner, penseurs de l’histoire

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Giorgio Locchi et Dominique Venner, penseurs de l’histoire

Clotilde Venner

Deux chemins différents mais une conclusion commune: l’histoire est le lieu de l’imprévu et elle est faite par les hommes.

Deux pensées qui permettent de lutter contre  le « tout est foutu » que l’on entend si fréquemment dans les milieux de droite et contre lequel Dominique s’est toujours insurgé.

Mais avant de développer cette idée d’imprévu, j’aimerais revenir sur l’itinéraire de Dominique et sur sa relation avec l’histoire.

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I. Dominique Venner et l'histoire

Dominique s'est intéressé à l'histoire pour plusieurs raisons. Comme je l'explique dans mon livre (A la rencontre d'un cœur rebelle), Dominique a eu trois vies, une première où il fut un activiste politique, une seconde plus méditative que je nomme le recours aux forêts, et une troisième où il fut l'historien que nous avons connu. L'étude de l'histoire, je pense a pris toute son importance au moment de son arrêt de la politique donc au terme de sa première vie. Cet arrêt de la politique, il l'a vécue comme une petite mort. Pour surmonter cette épreuve, il s’est  retiré à la campagne, a fondé une famille, et là pendant une quinzaine d'années s’est consacré à l’écriture de livres sur l’histoire des armes, mais parallèlement il a lu, de manière méthodique et intense, des ouvrages principalement historiques. Pendant toutes ces années,  il n'a eu de cesse de se poser la question « que faire ? », « que transmettre ? ». Et c'est dans l'étude de l'histoire qu'il a trouvé des réponses. L'histoire, si on l'interroge avec une pensée active est une source inépuisable de réflexions. L'attitude qu'il avait vis à vis d’elle était celle d'un penseur et non celle d'un érudit s'attachant à des détails insignifiants. C'est donc l'étude de l'histoire qui lui a permis de comprendre la crise de civilisation et de sens que les peuples européens traversent. Et il n'a eu de cesse de vouloir par la suite à travers de nombreux ouvrages historiques apporter une réponse à cette crise de sens, je pense à deux livres notamment: Histoire et Traditions des européens et Le Samouraï d'Occident.

II. Penser avec l’histoire

En étudiant l'histoire et en méditant sur elle, Dominique en est venu à l'idée  que l'histoire était le lieu de l'imprévu permanent, c’est en cela qu’il rejoint les intuitions de Giorgio Locchi sur le fait que l’histoire est ouverte.

Ce qui est intéressant dans leurs deux itinéraires intellectuels, c’est qu’ils sont parvenus aux mêmes conclusions mais par des voies complétement différentes. Dominique avait été dans sa jeunesse un activiste qui avait fait de la prison puis devenu un historien reconnu, il n’a eu de cesse de s’interroger sur les événements qui font basculer le cours de l’histoire (Histoire du Terrorisme, Imprévu dans l’histoire). Et il était au combien conscient du rôle des minorités actives dans les bouleversements politiques (portrait de Lénine dans L’imprévu dans l’histoire). Dominique comme Locchi croyait que l’histoire était le fait des hommes et non d’une quelconque  providence.

Il me disait souvent, il est facile d'analyser les événements une fois qu'ils sont arrivés (ex la chute du mur de Berlin) mais rarement de les prévoir. Cet  notion d'imprévu historique au lieu de rendre Dominique pessimiste le rendait d'une certaine manière optimiste pas dans le sens d'un optimisme béat mais dans le sens où rien n'est jamais figé. A tout moment une situation bloquée, apparemment sans issue peut basculer. Ce qui signifie qu'il ne faut jamais désespérer car les situations mêmes les plus tragiques sont sujettes à évolution. En 1970, personne n'imaginait la chute de la puissance soviétique. En 1913, personne ne prévoyait l'embrasement européen qui aurait lieu en 1914, Dominique l'analyse très bien dans Le Siècle de 1914. Le pessimisme absolu et l'optimisme béat sont tout aussi stupides car rien n'est jamais définitif ni dans le bien ni dans le mal. La longue plainte, et le pessimisme jouissif l’exaspéraient au plus haut point. On retrouve ce travers dans certains milieux de droite. Toute sa vie, il n’a eu de cesse de combattre cet état d’esprit. Il considérait que ces postures sont souvent le paravent d’une forme de paresse et de lâcheté.

Quand je dis que Dominique était optimiste, cela ne s'oppose pas au fait qu'il était plus que conscient que l'histoire est tragique. Si je devais définir sa conception de l'histoire, je dirais qu'il était un tragique-optimiste, c'est un concept un peu oxymorique qui résume bien sa pensée. Mais vous allez me dire, comment peut-on être optimiste quand on étudie l'histoire des hommes, c'est une succession d'horreurs permanentes. Certes tout au long de l'histoire, les hommes, les peuples traversent des épreuves, des tragédies  qui menacent de les annihiler mais en même temps cette même histoire reste en permanence ouverte, elle n'est jamais figée, elle  est ce qu'en font les hommes, elle a le sens qu'on lui donne. C'est pour cela que Dominique écrit à la fin du Choc de l’histoire : "Concernant les Européens, tout montre selon moi qu’ils seront contraints d’affronter à l’avenir des défis immenses et des catastrophes redoutables qui ne sont pas seulement celle de l’immigration. Dans ces épreuves, l’occasion leur sera donnée de renaître et de se retrouver eux-mêmes".

"Je crois aux qualités spécifiques des Européens qui sont provisoirement en dormition. Je crois à leur individualité agissante, à leur inventivité et au réveil de leur énergie".

Le réveil viendra. Quand ? Je l’ignore. Mais de ce réveil, je ne doute pas".

III. L’imprévu dans l’histoire

Dominique avait lu attentivement Marx, Spengler et Evola, il y avait trouvé des idées intéressantes, mais sa pensée était très éloignée de toute forme de téléologie historique, en cela il était très proche de Giorgio Locchi. Il ne pensait pas que l’histoire ait un sens ou obéisse à des cycles, il considérait que c’étaient les hommes qui faisaient l’histoire. Il écrit ainsi dans Le Choc de l’Histoire : « Je peux critiquer en revanche les théories qui furent à la mode au temps de Marx ou de Spengler. Chacune dans leur registre, elles ont récusé la liberté des hommes à décider de leur destin. »

Pour faire mieux comprendre son propos, je reprendrai une formulation du sociologue Michel Maffesoli, les événements nous paraissent souvent imprévisibles car « nous ne savons pas écouter pousser l’herbe ». Les grands événements historiques sont le plus souvent le fruit d’une maturation souterraine invisible à un œil qui n’est pas exercé. Il y a un autre élément qui était important pour Dominique, c’était la notion de représentations. Pour lui, les êtres humains vivent et se distinguent à travers leurs représentations (religions, politiques, esthétiques). Et si on veut comprendre les grands phénomènes historiques, il faut s’attacher à l’étude des mentalités. Dans Le Siècle de 1914, il analyse avec beaucoup de finesse les grandes idéologies du XXe siècle, fascisme, libéralisme, immigrationnisme et comment elles ont influencé le cours du destin européen.

IV. Différence d’approche avec Giorgio Locchi

L’approche de Dominique est  beaucoup moins abstraite et philosophique  que celle de Giorgio Locchi. Dans de nombreux livres Dominique fait le portrait d’hommes ou de femmes exceptionnels. Ces portraits avaient plusieurs fonctions. La première, c’était de donner de la chair aux événements. Dans le livre qu’il a consacré à Jünger (Un autre destin européen), il a rédigé un long portrait de Stauffenberg. Je pense qu’à travers l’évocation de la vie de l’officier, il nous fait  comprendre de l’intérieur l’opposition d’une partie de l’aristocratie allemande à Hitler. Dans ses livres, il y a également de nombreux portraits de femmes, qui je pense ont un rôle pédagogique comme des figures « d’exempla » au sens latin du terme, dans le sens de Plutarque et de sa « Vie des hommes illustres ». A travers ses évocations, je pense à Catherine de la Guette, Madame de Lafayette dans Histoire et Traditions des européens, ainsi qu’au portrait de Pénélope et Hélène dans Le Samouraï d’Occident, il nous donne à voir ce que c’est qu’être une femme européenne.

Conclusion : Ce que peut nous apporter l’histoire

Dans notre époque obscure et décadente, je pense que nous avons besoin de modèles auxquels nous raccrocher et ces évocations de personnages historiques peuvent être une grande source d’inspiration. Ils nous disent comment nos ancêtres ont aimé, ont souffert et ont surmonté les tragédies de l’histoire.

La réflexion philosophique est nécessaire pour nous armer intellectuellement, c’est en cela que le travail de Giorgio Locchi est précieux et important mais je pense que nous avons également besoin de nous projeter en imagination dans la vie de nos ancêtres. Je dirais donc que Giorgio Locchi et Dominique Venner sont deux auteurs complémentaires sur lesquels nous appuyer pour « combattre ce qui nous nie » pour reprendre la formule de Dominique.

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Colloque Giorgio Locchi 1923-2023

Un colloque entièrement consacré à Giorgio Locchi (Rome, 15 avril 1923 - Paris, 25 octobre 1992) se déroulera ce 25 novembre en Italie à Rieti, capitale de la Province de la Sabine et cœur géographique de l’Italie, pour le centenaire de la naissance du philosophe. Celui-ci bénéficie du patronage de la ville qui entend honorer « la figure de Giorgio Locchi, intellectuel, philosophe, journaliste né à Rome mais originaire de la Sabine et plus précisément de Salisano, grand protagoniste de la pensée européenne de la seconde moitié du XXe siècle ». 

Un grand protagoniste que l’on commence tout juste d’évaluer à sa juste valeur, la véritable portée de sa réflexion n’ayant commencé à émerger qu’au cours de ces dernières années. Son principal essai, Wagner, Nietzsche et le mythe surhumaniste, récemment édité en français par l’@InstitutILIADE et @LaNouvelleLibr1, reste un jalon de la pensée philosophique, dont la portée n’a pas encore été véritablement comprise. Locchi y voit d’un œil nouveau le rapport entre Wagner et Nietzsche et identifie dans les deux grands protagonistes de la culture du XIXe siècle les initiateurs d’un nouveau courant historique, d’un "nouveau mythe", le mythe surhumaniste, destiné à livrer bataille aux idéologies égalitaires. En outre, dans un texte récemment mis en lumière, et prochainement traduit en français, Locchi voit en Martin Heidegger le principal continuateur philosophique de la voie ouverte par Wagner et Nietzsche, en donnant à nouveau des catégories tout à fait originales pour interpréter la pensée de celui qui fut de loin le philosophe le plus influent du XXe siècle. Il s’agit d’une contribution inestimable, qui donne lieu à une lutte serrée avec les interprétations académiques dominantes de la pensée heideggérienne et fournit des clés précieuses pour s’opposer à sa "récupération" par les tenants de l’idéologie égalitaire.  

Le résultat de cet impressionnant effort théorique est une pensée radicale, non nostalgique, ancrée dans les défis du présent et de l’avenir, capable d’encadrer les débats actuels dans une perspective tout à fait novatrice, ainsi que de donner de nouveaux arguments et de nouvelles stimulations à ceux qui se soucient de l’identité européenne et de la lutte contre les menaces qui, toujours plus nombreuses, la mettent en péril.  

Nul doute que ce colloque fera date dans la mesure où son fils Pierluigi y dévoilera toute un pan inédit de la réflexion et des travaux de Giorgio Locchi, portant sur la mutation anthropologique en cours, travaux destinés à être divulgués et prolongés par un Centre d’études locchiennes prochainement fondé outre-Alpes.  Interviendront lors du colloque :

☑ @AdrianoScianca, auteur entre autres du livre Ezra Pound et le sacré, le temple n’est pas à vendre (Institut Iliade - La Nouvelle Librairie, Paris, 2023- https://boutique.institut-iliade.com/product/ezra-pound-e... ), sur Locchi entre Nietzsche, Heidegger et Gentile ;

☑ Stefano Vaj, éditeur du premier recueil italien d’essais de Giorgio Locchi, Definizioni (SEB, Milan, 2006) et auteur de Scritti su Giorgio Locchi (Moira,2023) sur : Origine, mythe et liberté, au cœur du parcours de Giorgio Locchi ;

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☑ Clotilde Venner, ancienne épouse de Dominique Venner, auteur sous le pseudonyme de Pauline Lecomte avec Dominique Venner du Choc de l’histoire (Via Romana, Paris, 2011), et avec Antoine Dresse de À la rencontre d’un cœur rebelle, entretiens sur Dominique Venner, (La Nouvelle Librairie, Paris, 2023 ; https://boutiquetvl.fr/les-inclassables/clotilde-venner-a... ) sur : Giorgio Locchi, Dominique Venner : les parcours parallèles de deux penseurs de l’histoire ; 

☑ Pierluigi Locchi, responsable du développement international de l’Institut Iliade pour la longue mémoire européenne, où il est également formateur, et qui a notamment dirigé les éditions françaises de Définitions et de Wagner, Nietzsche et le mythe surhumaniste de son père Giorgio Locchi et publié la postface de Il pensiero dell’origine in Giorgio Locchi de Giovanni Damiano, sur : Regarder vers l’avenir avec Giorgio Locchi : de nouvelles clés pour penser un monde nouveau. 

Une table ronde recueillera également les témoignages de ceux qui, en Italie, ont connu personnellement le philosophe : son éditeur et ami Enzo Cipriano, Gennaro Malgieri, ancien rédacteur en chef du Secolo d’Italia et ancien député du PdL, Stefano Vaj ainsi que son fils Pierluigi. 

Samedi 25 novembre à 16h30

Palazzo Sanizi - Via Sanizi, 2, Rieti 

Pour vous procurer les livres de Giorgio Locchi, rendez-vous dans notre boutique en ligne:

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lundi, 11 décembre 2023

L'Europe, une économie sans âme et sans culture

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L'Europe, une économie sans âme et sans culture

Gennaro Malgieri

Source: https://electomagazine.it/europa-uneconomia-senza-anima-e-senza-cultura/#google_vignette

Le vide qui caractérise la discussion sur le destin de l'Europe nous invite à reprendre en main des livres "intemporels", heureusement réédités par des maisons d'édition aussi pertinentes que raffinées. Rien de tel, en ces temps d'asphyxie politique plus que climatique, que de se "plonger" dans les pages de La Genèse de l'Europe de Christopher Dawson, l'un des plus grands historiens anglais du XXe siècle, méritoirement réédité par Lindau (pp. 409, euro 34.00), où l'introduction à l'histoire de l'unité européenne du IVe au XIe siècle - véritablement cruciale dans la construction de l'identité continentale - est considérée à juste titre comme un âge de renaissance, puisque l'intégration complexe entre l'Empire romain et l'Église catholique, la tradition classique et les sociétés essentiellement "barbares" mais soumises à la romanité a favorisé la naissance d'une civilisation vivante, comme l'a magistralement décrit Gioacchino Volpe dans ses études sur le Moyen Âge et les débuts de la nation italienne, une partie de la nation européenne qui a existé malgré tout comme un esprit d'entreprise dans la construction d'un édifice sur des ruines qui n'ont pas été enlevées, mais revitalisées grâce aussi au monachisme en tant que générateur de foi et de culture.

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Christopher Dawson et Gioacchino Volpe, deux historiens à redécouvrir.

On peut discuter de la politique de Dawson, suscitée par des contingences qu'il convient d'historiciser, mais on ne peut manquer de discerner dans son analyse la recherche des fondements unitaires des nations elles-mêmes dans le cadre d'une Europe qui vivait au sein d'un "empire intérieur" qui attend toujours d'être ravivé. Ce même "empire" qui a suggéré à Paul Valéry les pages denses et passionnantes sur l'Europe disséminées dans les nombreux ouvrages consacrés au thème de la décadence de notre civilisation. Le désarroi est tel qu'une immersion dans la sagesse du grand poète et philosophe français est presque thérapeutique : "Nos civilisations savent maintenant qu'elles sont mortelles", lisais-je il y a quelques jours dans son célèbre Cahiers. Malheureusement, ceux qui ont la capacité de voir venir la tempête s'en remettent à des sourciers politiques qui, à l'aide de bâtons improbables, indiquent des atterrissages qui devraient être sûrs. Mais qu'est-ce qui est sûr quand le "travail de l'esprit", pour reprendre les mots de Valéry, ne produit plus rien pour façonner une civilisation qui se désagrège ?

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Devant les Cahiers fermés, j'ouvre un autre recueil d'informations précieuses sur notre avenir, formulées à la veille de la première grande guerre civile européenne par un jeune Valéry dont la vie intense (1871-1945) lui a permis de recueillir les fruits de ses diagnostics pour conclure qu'il avait raisonné sur l'esprit européen en formulant des pronostics que personne ne semble vouloir prendre en compte aujourd'hui. Voici donc In morte di una civiltà (Aragno editore) qui comprend le scintillant essai en deux parties - issu de deux lettres publiées dans la revue londonienne Athenaeum en 1919 - La crisi dello spirito et d'autres écrits "quasi-politiques" où l'on puise des méditations non superficielles sur l'identité d'être européen et sur ce que signifie cette attitude de "conquête" de soi, d'abord, et ensuite projeter "prométhéennement" les résultats d'une éducation - je ne sais pas si elle est "humaine, trop humaine" ou même "divine" - qui a donné un sens au monde, sans jactance et sans exagérations rhétoriques.

Et "la crise de civilisation" nous introduit dans une considération du Vieux Continent qui ne peut certainement pas être optimiste aujourd'hui, comme Massimo Carloni, éditeur du volume, nous le fait comprendre en réfléchissant sur le "drame de l'esprit" en conclusion de l'essai composite de Valéry. Il écrit : "L'Europe née avortée des cendres de la Seconde Guerre mondiale, dans ses diverses métamorphoses comme l'Europe du charbon et de l'acier, de l'énergie atomique, de la Communauté économique, puis de la Banque centrale et de la finance, est une parodie décourageante, un simulacre bureaucratique du rêve de Valéry. L'homo europaeus, synthèse de liberté et de rigueur, d'imagination et d'intelligence, dont la Grèce a fourni le modèle parfait et Léonard la célèbre représentation, est aujourd'hui misérablement réduit à l'effigie d'une pièce de monnaie. Tandis que la Méditerranée, de creuset et de carrefour des civilisations, est devenue un lugubre cimetière marin jonchés de tombes... Ces signes décourageants suffisent à mesurer la distance abyssale qui nous sépare des origines de l'esprit européen que nous avons misérablement trahi.

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Valéry l'avait-il prévu ? Je le crois. Pour conclure qu'"une économie n'est pas une société", il présupposait qu'elle devait avoir, pour ne pas risquer de périr rapidement, une culture, la conscience d'une histoire, une vision du monde et de la vie. Et au fond de lui, il espère que l'Europe redeviendra ce qu'elle a été par son esprit. "Tous les peuples qui ont débarqué sur ses rivages l'ont fait leur ; ils ont échangé des biens et des coups ; ils ont fondé des ports et des colonies où, non seulement les objets du commerce, mais les croyances, les langues, les coutumes, les acquisitions techniques, étaient des éléments de l'échange. Avant même que l'Europe actuelle ne prenne la forme que nous lui connaissons, la Méditerranée, dans son bassin oriental, avait vu naître une sorte de "proto-Europe". Et c'est là que l'Europe s'arrête aujourd'hui ? Où est-elle née du mythe, de la mer, de l'amour d'un dieu et des similitudes de peuples qui se reconnaissaient originaires d'un monde ancestral que nous aurions appelé indo-européen ? Nous ne pouvons pas y renoncer. L'heure n'est pas aux funérailles, mais aux renaissances. En y croyant, bien sûr.

Valéry écrit : "Notre Europe, qui n'était au départ qu'un marché méditerranéen, devient ainsi une immense usine ; usine au sens propre, machine à transformations, mais aussi usine intellectuelle sans équivalent. Cette usine intellectuelle reçoit de partout toutes les choses spirituelles ; elle les distribue à ses innombrables organes. Les uns saisissent les nouveautés avec espoir, avec avidité, en exagérant leur valeur ; les autres résistent, opposant à l'invasion des nouveautés la splendeur et la solidité des richesses déjà établies. Entre l'acquisition et la conservation, il faut sans cesse rétablir un équilibre mouvant, mais le sens critique s'attaque à l'une ou l'autre tendance, méconnaît les idées possédées et valorisées ; il teste et discute sans pitié les tendances de cet "ajustement" toujours en cours. Est-ce là le destin de l'Europe, oublieuse de l'équilibre raisonnable qui l'a amenée à être le sel de la terre ?

L'Europe, en somme, s'autodétruit. Du passé, on ne sait que faire. De l'avenir, on n'a pas la moindre perception. C'est comme si les Européens s'étaient construit une prison qui les oblige en quelque sorte à regarder à travers les barreaux ce qui se passe autour d'eux, le temps et l'espace s'amenuisant. Ils deviennent insignifiants, tandis que le monde construit par ceux qui les ont précédés devient babélique, en proie à des intérêts voraces, objet des appétits de nouveaux colonisateurs appartenant à d'autres univers culturels et anthropologiques. Comme par le passé, la civilisation européenne est elle aussi destinée à disparaître de la manière la plus lente et la plus sanglante : en renonçant à son existence, à sa capacité de se reproduire par des naissances, en abdiquant le rôle qu'elle devrait humainement conserver. Dans les années 1920, le livre d'un spécialiste des civilisations et de la décadence, Richard Korherr : Régression des naissances, mort des peuples, a fait sensation en Allemagne et en Italie. Korherr y montrait, en appliquant la méthode comparative, comment et dans quelle mesure la stérilité intentionnelle et programmée, motivée par l'égoïsme et par l'habitude de satisfaire des besoins immédiats fictifs, a fait tomber dans l'abîme des cultures qui avaient dominé de vastes régions de la planète et contribué à la formation de la civilisation euro-méditerranéenne.

Aujourd'hui, dans l'indifférence des peuples et de leurs classes dirigeantes, la même chose est en train de se produire, et il n'est donc pas abusif ou alarmiste d'affirmer que la désintégration de l'Europe est liée à deux facteurs principaux : le taux de natalité et la crise d'identité. Le premier et la seconde sont étroitement liés et donnent une idée du déclin sur lequel se trouvent les analystes capables de discerner entre les plis du malaise européen ce que sera l'avenir d'un continent qui, année après année, semble prendre les connotations d'une lande désolée dans laquelle peu de chercheurs tentent de s'accrocher à une certaine idée de l'Europe qui séduise, sans grand espoir, il faut bien le dire, surtout pour les jeunes générations dont l'indifférence manifeste à l'égard de leur avenir dans un contexte géopolitique et culturel en pleine mutation est le symptôme le plus douloureux d'un déclin inéluctable.

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Parmi les observateurs les plus attentifs de la mutation européenne depuis quelque temps, on trouve Giulio Meotti, dont le livre au titre évocateur Notre-Dame brucia. L'autodistruzione dell'Europa (Giubilei Regnani editori, préface de Richard Millet), s'intéresse aux raisons d'une catastrophe annoncée depuis longtemps et devant laquelle la culture européenne, la politique étatique et la parodie de l'Union ont gardé les yeux fermés.

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L'incendie qui a détruit une grande partie de la cathédrale française est une métaphore, pour Meotti, de la fin de l'Europe. On a l'impression que Notre-Dame brûle vraiment : "Le problème, observe Meotti, ne sera pas maintenant de reconstruire Notre-Dame, mais l'identité que représentait cette église". Devant la cathédrale en feu, nous pleurons l'image d'une civilisation brisée. "La déliquescence de l'Europe". C'est la conscience de l'Europe - et, si l'on veut, de l'Europe chrétienne - qui a brûlé à Paris. Et elle brûle encore, pour ceux qui savent voir la tragédie qu'elle a emblématiquement mise en lumière en nous parlant d'un monde qui n'a plus de raison d'être, dominé par des dévalorisations que la technologie exalte sans les freiner. Et surtout, elle démolit les fondements d'une civilisation. En un mot : l'Europe est malade du relativisme culturel. Le prix en est devenu douloureusement quantifiable, au point que la décomposition progressive des États-nations occidentaux est désormais possible", écrit Mme Meotti. Le multiculturalisme - construit sur fond de décadence démographique, de déchristianisation massive et de répudiation culturelle - n'est rien d'autre qu'une phase transitoire qui risque de conduire à la fragmentation de l'Occident. Avec l'effondrement de l'Église catholique et l'abandon des bergers, la "trahison des clercs", la destruction de la famille naturelle, la fin des idéologies et un politiquement correct qui fait tabula rasa de toute référence culturelle restante, la vague de populisme en Occident n'a été qu'une réaction à ce "choc civilisationnel".

Dans quelle mesure le populisme affecte-t-il l'espoir d'un retournement ? Je ne pense pas. Au contraire, d'après ce que nous comprenons, il semble vouloir exacerber le problème. Il n'a pas de recettes à opposer à la crise, pas d'horizons à montrer, pas de visions à proposer. C'est un cri. Il n'est donc pas suffisant.

mercredi, 22 novembre 2023

Entre instabilité et novlangue: la crise de l'Occident selon Quigley

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Entre instabilité et novlangue: la crise de l'Occident selon Quigley

Le problème de l'Occident, pour les savants anglo-saxons, se trouve dans l'accélération de la communication et la destruction des communautés, des corps intermédiaires, réalisée par la "commercialisation des relations humaines".

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/111776-tra-instabilita-e-neolingua-la-crisi-delloccidente-per-quigley/

9791280190710_0_536_0_75.jpgNous sortons de la lecture d'un ouvrage intéressant, La fine dell'Occidente. Trame segrete del mondo a due blocchi de Carroll Quigley, publié en version italienne par Oaks publishing (sur commande: info@oakseditrice.it, pp. 283, euro 20). Le volume est édité par Spartaco Pupo, spécialiste de la pensée conservatrice et professeur à l'université de Calabre. Le nom de l'auteur est pratiquement inconnu du grand public en Italie, et pourtant c'est grâce à ses études que "les reconstructions téléologiques et déterministes ont été définitivement dépassées pour faire place à une perspective de l'histoire globale basée sur une analyse réaliste et anti-idéologique des événements" (p. 7). Cette déclaration de Pupo accompagne directement le lecteur dans le monde idéal de l'auteur. Le volume est une anthologie d'essais, d'interviews et de conférences de Quigley, dont le contenu est d'une actualité brûlante.

61LLSFlIJrS._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgQui était-il, se demandera le lecteur ? Cet historien est né à Boston dans une famille d'origine irlandaise. Éduqué dans des institutions catholiques, il est diplômé de Harvard. Il s'installe bientôt en Europe avec une collègue, Lillian Fox, qui deviendra plus tard son épouse. C'est à Milan qu'il rédige sa thèse de doctorat, encore inédite, sur l'administration publique dans le royaume napoléonien d'Italie. Dans ces pages, Quigley soutient une thèse qui met à mal la vulgate historiographique sur le sujet: Napoléon n'a pas imposé aux pays conquis des méthodologies de développement avancées mais, au contraire, a greffé au système français des méthodes administratives et budgétaires déjà éprouvées dans le Piémont et le duché de Milan.

En 1941, il est appelé à la School of Foreign Service de l'Université de Georgetown à Washington, où il restera pendant quarante ans un conférencier estimé et passionné. En 1961, il publie le premier de ses ouvrages monumentaux, L'évolution des civilisations, dans lequel il présente son approche holistique des événements historiques. Dans une interview accordée au Washington Post, recueillie dans le volume, on peut lire: "Nous, les holistes, utilisons la pensée comme un réseau ou une matrice de choses. Les réductionnistes utilisent une éthique absolue: les choses sont bonnes ou mauvaises; les holistes utilisent une éthique situationnelle" (p. 11). Selon lui, la civilisation représente : "l'entité intelligible des changements sociaux d'une époque à l'autre" (p. 11).

31479097102.jpgDans cette perspective, l'histoire se développe par des phases "expansives" et "conflictuelles". L'organisation militaire, politique, religieuse et économique est le moteur de l'expansion qui produit des "surplus" de nature différente. D'une part, ils sont un instrument de stabilité politique; d'autre part, ils sont "consommés" par les peuples jusqu'au "gaspillage", ce qui induit le "déclin" d'un arrangement historique donné. À partir d'une telle condition, une nouvelle phase de civilisation redémarre cycliquement, comme Toynbee l'a noté, bien que d'une manière exégétique différente.

En 1966, avec le volume Tragédie et Espoir, Quiegly a dessiné sur lui-même les stries de l'"intellectuellement correct". En effet, dans ces pages, note l'éditeur, il élabore une dissection historico-politique inédite et "peu orthodoxe du monde institutionnel anglo-américain, fait de complots secrets et d'enchevêtrements complexes, mis en lumière avec une rare lucidité" (pp. 12-13).

Tragedy_and_Hope.jpgEntre le 19ème et le 20ème siècle, l'Occident a vu naître sa propre "tragédie", a jeté les bases de sa fin possible et a subordonné la politique au pouvoir financier. C'est une oligarchie d'origine britannique, d'orientation libérale et socialiste, dirigée par le Royal Institute of International Affairs, dont les ganglions ont fini par contrôler l'information de masse et le monde universitaire, qui a réalisé ce projet. À cette fin, une association secrète, The Round Table Group, a été créée, dont les membres se sentaient les défenseurs "de la beauté et de la civilisation dans le monde moderne", pour lequel ils voulaient répandre "la liberté et la lumière [...] non seulement en Asie mais même en Europe centrale" (p. 14).

Ce réseau britannique avait d'importants correspondants outre-Atlantique : les Rockefeller, les Morgan et les Lazard. Quigley n'a jamais écrit sur les prétendues activités conspiratrices de ce groupe mais, à la lumière des documents, il a dévoilé les canaux de recrutement de cette oligarchie et ses moyens d'infiltrer les potentats politiques et culturels.

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Dans un chapitre de La fine dell'Occidente, on peut lire : "le réseau secret est décrit comme une association d'impérialistes enthousiastes qui est restée en place bien après la Seconde Guerre mondiale" (p. 15). Pour cette raison, ses travaux ont été discrédités, retirés du circuit du livre et réédités par des éditeurs américains de droite. En outre, l'universitaire a collaboré avec les publications les plus connues du conservatisme américain. Le thème le plus pertinent, qui ressort des conférences, est l'idée que l'origine des conflits se trouve dans la volonté, non pas de détruire l'ennemi, mais de construire une période de paix durable. En outre, l'historien souligne que l'économie ne peut être élevée au rang de deus ex machina de l'exégèse historique, car cette position induit une sous-estimation de la "complexité" des événements. Plus précisément, il affirme que la démocratie américaine "n'a été définitivement établie que vers 1880, lorsque la répartition des armes dans la société était telle qu'aucune minorité n'était en mesure de subjuguer la majorité par la force" (pp. 20-21).

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La lecture du monde divisé en blocs proposée par l'universitaire est frappante. L'instabilité occidentale a été donnée par l'hypertrophie assumée du monde financier et de la bureaucratie mammouth. Les Occidentaux continuent, aujourd'hui encore, à subir un "lavage de cerveau" permanent par le biais de la novlangue: "la certitude de pouvoir changer la réalité en modifiant le sens des mots" (p. 22), l'aboutissement extrême du néo-gnosticisme. Le centralisme soviétique est lu par Quigley comme un résultat de l'histoire russe, centré sur l'utilisation privée et semi-divine du pouvoir. Un modèle qui ne peut être exporté à l'Ouest, comme l'auraient prétendu les théoriciens de la contestation. Le problème occidental se trouve dans l'accélération communicationnelle et dans la destruction des communautés, des corps intermédiaires, réalisée par la "commercialisation des relations humaines", capable de réduire les hommes à l'état d'atomes.

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Un mois après sa dernière conférence, le professeur est décédé subitement. C'est pourquoi certains des textes de ce volume peuvent être considérés comme son testament spirituel. La fin de l'Occident est un livre qui ramène l'attention sur un penseur qui, comme il s'avère, mérite plus de considération.

jeudi, 26 octobre 2023

Il y a 250 ans (1774) : Johann Gottfried Herder publie le traité de philosophie de l'histoire "Aussi une philosophie de l'histoire pour la formation de l'humanité"

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Il y a 250 ans (1774): Johann Gottfried Herder publie le traité de philosophie de l'histoire "Aussi une philosophie de l'histoire pour la formation de l'humanité"

Par Alexander Markovics

Un pamphlet peut-il être un moyen approprié pour philosopher sur l'histoire? Si l'on en croit le philosophe, théologien et traducteur allemand Johann Gottfried Herder (1744-1803), il ne peut y avoir de moyen plus approprié. Car il ne s'agit pas d'un sujet moins important que l'histoire de la formation de l'humanité. Comment l'homme est-il devenu ce qu'il est? Suit-il un plan de Dieu ou le progrès qui transcende tout et qui finira par ennoblir l'homme sur le plan moral et moral?

9782080710567.jpgUne critique dévastatrice des Lumières

Dans son ouvrage paru en 1744, le volubile Prussien de l'Est a osé soumettre la philosophie des Lumières à une critique dévastatrice - en tant qu'un des premiers Allemands, il faut le noter, avant ( !!!) la Révolution française de 1789, alors que les Colonnes infernales n'avaient pas encore envahi la Vendée pour le premier génocide de l'ère moderne et avant que la guillotine ne tue en masse à Paris tous les opposants à la Révolution française au nom de la Révolution, du libéralisme et des droits de l'homme et du citoyen. Avant même les crimes de la Révolution, Herder a reconnu le revers despotique des Lumières, dans le sens d'une dialectique des Lumières qui se cachait derrière les phrases d'amélioration et de bien-être pour le genre humain: le penseur allemand a reconnu l'exploitation d'autres régions du monde et d'autres peuples au nom de sa propre supériorité civilisationnelle, la destruction des particularités des peuples en Europe au nom d'une culture humaine qui uniformise tout, mais aussi la mécanisation et l'amollissement de la vie bien avant l'apparition de la société de consommation et la percée du capitalisme. S'il adopte un style très particulier pour les lecteurs d'aujourd'hui, car riche en métaphores, et si l'on sent bien le caractère pamphlétaire de l'ouvrage, Herder n'en reste pas moins juste envers son adversaire Voltaire, dont il résume les thèses philosophiques en les exagérant. C'est remarquable, car dans les principautés absolutistes du Saint Empire romain germanique, il était risqué de le faire - ce n'est pas pour rien qu'il a fait publier cet écrit sous un pseudonyme, afin de protéger sa position de surintendant et de pasteur.

9782130833758_1_75.jpgUn immense traité philosophique : de l'Égypte ancienne au siècle des Lumières

Dans le cadre d'une énorme digression philosophique - Herder nous livre un parchemin de l'Egypte ancienne à l'époque des Lumières - le bibliophile lettré remet en question l'optimisme du progrès des Lumières ainsi que leur haine de la tradition et du passé. Contrairement à la lubie des contemporains "éclairés" qui font de tous les ancêtres, qu'ils soient de la Grèce antique, de Rome ou du Moyen-Âge, des barbares inférieurs qui n'ont pas encore été éclairés par la lumière de la pensée moderne, Herder préconise de mesurer chaque époque et chaque peuple à l'aune de ses propres valeurs et circonstances, et non de celles des 17ème et 18ème siècles.

Le philosophe allemand va même plus loin: il ne voit pas d'évolution de l'homme sur de longues distances, mais constate plutôt l'une ou l'autre régression. En effet, il constate par exemple un recul de la chasteté, encore sacrée chez les Germains, et une dégradation des mœurs dans les relations entre hommes et femmes. Il considère même que l'honneur chevaleresque du guerrier a totalement disparu avec l'apparition de l'artillerie à longue portée. Johann Gottfried Herder ne perçoit pas du tout son présent comme une époque de progrès, mais comme une période de déclin. Il est tout aussi horrifié par le manque de crainte de Dieu et de religiosité de ses contemporains, qu'il perçoit avec clairvoyance comme une condition préalable à l'émergence d'une future superstition. Sa description de l'État moderne de plus en plus centralisé, qu'il perçoit comme un monstre mécanique, aliénant les hommes les uns des autres et concentrant le pouvoir de décision sur leur avenir entre un nombre de mains de plus en plus restreint, a ici un effet prophétique.

Traite-sur-l-origine-des-langues.jpgHerder : l'histoire comme succession de tradition et d'individualité - premier ethnopluraliste

Le théologien Herder s'engage sur un terrain intéressant lorsqu'il parle du sens de l'histoire. Contrairement à Voltaire, il veut, en s'appuyant sur Shakespeare, le reconnaître dans les continuités et discontinuités mutuellement complémentaires de l'histoire. Dans le sens d'une vision organique chrétienne du monde, il oppose les âges du développement humain aux âges du temps sous la forme d'une parabole arborescente. Il constate que les Romains, par exemple, n'ont pu atteindre leur apogée culturelle que parce qu'ils étaient en mesure de s'appuyer sur le savoir des Grecs, qui eux-mêmes n'avaient pas été en mesure, en raison de circonstances historiques diverses, d'établir un système de domination durable et puissant semblable à l'Empire romain. L'individualité des peuples résulterait de la manière dont ils gèrent la tradition qui leur a été donnée - en la rejetant ou en l'assimilant. L'individualité et la continuité deviennent finalement chez lui une unité paradoxale, analogue à la monade de Leibnitz, qui reflète la totalité de la réalité tout en restant une individualité. Sans le vouloir ou le savoir, les peuples font avancer le tout en développant leur propre individualité. Ce faisant, Herder - contrairement aux philosophes des Lumières - n'établit pas de hiérarchie entre les peuples ou n'affirme pas la supériorité d'un peuple sur un autre - mais souligne au contraire leurs différences et leur équivalence. Il pose ainsi les bases de l'idée d'ethnopluralisme au sein de la Nouvelle Droite, qui sera formulée plus tard par l'Allemand Henning Eichberg.

91L-Ph3UY6L._AC_UF894,1000_QL80_.jpgUne contribution importante à la critique de droite du progrès

Dans l'ensemble, Une philosophie de l'histoire de la formation de l'humanité de Johann Gottfried Herder peut être considérée comme une contribution importante au développement de la philosophie dite "de droite". Avant de se mettre en colère contre l'esprit de son temps, Herder avait déjà perçu avec clairvoyance le potentiel menaçant des Lumières et du libéralisme universel, dont le masque d'humanité, tout de sucre, cache le visage hideux d'un cosmopolitisme assassin des peuples. Il y a 250 ans, il critiquait déjà les débuts de la mondialisation et l'exploitation de régions lointaines du monde. Aujourd'hui, nous savons que celui qui détruit les moyens de subsistance d'autres peuples et impose sa propre culture les verra inévitablement frapper à sa propre porte des décennies plus tard. En même temps, Herder nous apprend à comprendre les processus complexes de l'histoire comme une alternance de tradition et d'individualité, les deux se complétant. Les peuples ne contribuent pas à l'histoire en se ressemblant, mais en conservant leur individualité. C'est précisément à l'heure de l'humiliation la plus profonde de leur peuple que nous recommandons aux Allemands - mais aussi à tous les autres Européens - la lecture de cet ouvrage.

vendredi, 24 février 2023

Entretien avec Constantin von Hoffmeister - Discussions sur l'œuvre de Spengler et les traductions récentes

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Le projet Oswald Spengler

Entretien avec Constantin von Hoffmeister

Discussions sur l'œuvre de Spengler et les traductions récentes

Source: https://spergler.substack.com/p/interview-with-constantin-von-hoffmeister?utm_source=cross-post&publication_id=1021314&post_id=104100913&isFreemail=true&utm_campaign=1305515&utm_medium=email

Je suis ravi de m'entretenir avec Constantin von Hoffmeister. Constantin a récemment produit un certain nombre de traductions des œuvres de Spengler. Il s'agit notamment d'une révision de la traduction de Charles Francis Atkinson de The Decline of the West et de deux traductions récentes Prussianism and Socialism de Spengler et de son œuvre Early Days of World History, qui n'avait jamais été traduite auparavant. Ce dernier ouvrage a suscité un vif intérêt sur Twitter, avec de nombreux fils de discussion qui ont permis d'introduire cet ouvrage dans l'anglosphère pour la première fois. Après l'avoir lu, j'ai décidé d'entrer en contact avec Constantin pour une interview. Nous avons discuté de l'œuvre de Spengler ainsi que des traductions de Constantin dans l'entretien qui suit ici. Les deux ouvrages Early Days of World History et Prussianism and Socialism peuvent être achetés auprès de Legend Books via Amazon.

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Acolyte de Spergler : Constantin, merci de vous joindre à moi sur The Oswald Spengler Project.

Constantin von Hoffmeister : C'est un plaisir d'être ici. Merci de me recevoir.

SA : Pouvez-vous parler un peu de vous aux lecteurs et leur expliquer comment vous vous êtes intéressé aux œuvres d'Oswald Spengler ?

CVH : J'ai étudié l'anglais et les sciences politiques à l'université de la Nouvelle-Orléans. J'ai vécu et travaillé dans divers pays, notamment en Inde, où j'ai écrit des articles pour des journaux indiens de langue anglaise, en Ouzbékistan, où j'ai enseigné dans une école primaire privée britannique, et en Russie, où j'ai dispensé des formations en anglais commercial aux directeurs et aux gestionnaires de diverses entreprises.

Mon exposition à différentes cultures et langues m'a donné une perspective unique et une capacité à naviguer avec aisance dans des situations interculturelles complexes. Ma fascination pour les œuvres d'Oswald Spengler a commencé lorsqu'un ami du lycée m'a offert une version abrégée de The Decline of the West. Cette expérience s'est avérée transformatrice, déclenchant une passion pour les idées de Spengler qui m'a poussé à rechercher et à dévorer toutes les éditions allemandes originales. Mon intérêt pour les œuvres de Spengler n'a cessé d'inspirer et d'éclairer ma réflexion, surtout lorsqu'il s'agit de questions concernant le destin de la civilisation occidentale.

519F83XHYGL._SX195_.jpgSA : Qu'est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans les traductions ?

CVH : En tant que perfectionniste dans l'âme, je me suis parfois trouvé insatisfait des traductions existantes de diverses œuvres, y compris celles d'Oswald Spengler et d'autres auteurs célèbres. Poussé par mon amour de la langue et mon désir de partager ces textes importants avec les lecteurs anglophones, j'ai décidé de me lancer dans la traduction.

Avec un sens aigu du détail, je me suis plongé dans le travail, déterminé à produire des traductions qui rendraient justice aux textes originaux. Mes efforts m'ont non seulement permis de satisfaire mes propres exigences, mais ont également contribué à faire connaître à un public plus large des œuvres jusqu'alors non traduites.

Je suis très fier de la qualité de mes traductions, et il est immensément gratifiant de savoir que mon travail a contribué à rendre ces œuvres importantes accessibles à une nouvelle génération de lecteurs. Pour moi, l'art de la traduction n'est pas seulement un travail, mais une passion qui me pousse à continuer à repousser les limites de ce qui est possible dans le domaine de la traduction littéraire.

SA : Charles Francis Atkinson (CFA) a longtemps été considéré comme la "référence" pour les traductions de Spengler. Grâce à votre travail avec Arktos, vous avez produit une traduction révisée de The Decline of the West. Quel genre de changements avez-vous apporté à la traduction de CFA ?

CVH : Je n'ai fait aucun changement. J'ai simplement corrigé des coquilles évidentes et d'autres erreurs, qui n'avaient apparemment jamais été corrigées depuis la première publication, il y a presque cent ans.

SA : J'ai remarqué que, dans la préface du traducteur, CFA mentionne combien la traduction de certains passages peut être difficile. Quelles sont certaines des difficultés à capturer le style de Spengler en anglais ?

CVH : Capturer le style de Spengler en anglais peut être un défi pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, Spengler était connu pour son style d'écriture dense et complexe, qui incorpore de nombreux termes techniques, néologismes ainsi que des métaphores difficiles à traduire directement en anglais. Son utilisation du vocabulaire philosophique et scientifique allemand ajoute également une couche supplémentaire de complexité à la tâche de traduction de ses œuvres. Trouver des termes et des phrases équivalents qui transmettent le même sens en anglais peut être une tâche difficile.

Deuxièmement, les écrits de Spengler emploient souvent un style hautement métaphorique et poétique, profondément ancré dans la culture et la littérature allemandes. Il est donc difficile de saisir tout le sens et les connotations de son langage dans la traduction, car nombre de ses métaphores et références culturelles sont propres à la langue et à la culture allemandes.

Troisièmement, les œuvres de Spengler intègrent souvent un style très idiosyncrasique et personnel, ce qui rend difficile pour les traducteurs de séparer la voix de l'auteur du contenu de ses idées. Cela exige une compréhension profonde des idées philosophiques et historiques de Spengler et une capacité à transmettre ces idées d'une manière qui préserve le sens et le ton voulus par l'auteur.

Dans l'ensemble, la traduction des œuvres de Spengler exige non seulement une connaissance approfondie de l'allemand et de l'anglais, mais aussi une compréhension profonde du style unique de Spengler, de sa philosophie et de son contexte culturel.

51WS5++HOLL._SX337_BO1,204,203,200_.jpgSA : Dans l'introduction, Spengler emploie la phrase de Goethe "exakte sinnliche Phantasie" pour décrire son approche de la détermination des formes historiques. La traduction de CFA rend cette expression par "flair intellectuel". Ce n'est que lorsque j'ai relu l'allemand que j'ai réalisé que Spengler citait directement les écrits scientifiques de Goethe en utilisant cette expression. Une traduction plus littérale pourrait être "imagination sensorielle exacte". Dans la préface du traducteur, Atkinson mentionne cette phrase particulière comme étant difficile à traduire. Je l'ai excusé car je me suis dit qu'il n'était pas trop familier avec les écrits philosophiques de Goethe et que, par conséquent, l'intention littérale de Goethe derrière cette phrase était un peu perdue pour Atkinson. Mais cela m'a fait me demander : la traduction de CFA a-t-elle d'autres rendus inhabituels ou même inexacts en anglais ?

CVH : Il est possible que la traduction de CFA de Spengler contienne d'autres interprétations anglaises inhabituelles ou même inexactes, car la traduction est un processus complexe et souvent subjectif. Dans toute traduction, il y a toujours le risque de perdre une partie du sens ou de la nuance d'origine, en particulier lorsqu'il s'agit d'idées complexes et de références culturelles.

Dans le cas de l'expression "exakte sinnliche Phantasie", il est clair que la traduction de CFA a choisi d'utiliser "flair intellectuel" comme une approximation de l'idée, tout en reconnaissant dans la préface du traducteur qu'une traduction plus littérale pourrait être difficile à réaliser. Même si cette traduction ne rend pas entièrement le sens de la phrase allemande originale, c'est au lecteur de décider si le rendu anglais est adéquat.

Comme pour toute traduction, il est important d'aborder la traduction de CFA des œuvres de Spengler avec un œil critique, et de consulter d'autres traductions ou le texte original allemand en cas de doute sur l'exactitude ou la pertinence d'un rendu particulier.

SA : Maintenant, je veux déplacer la conversation vers vos travaux plus récents. Vous avez récemment produit deux traductions de Spengler : Prussianism and Socialism et Early Days of World History. La publication de Early Days of World History a suscité beaucoup d'intérêt sur Twitter au cours des derniers mois. Pour ceux qui l'ignorent, Early Days of World History n'avait jamais été traduit en anglais auparavant. Votre traduction inaugure une ère nouvelle dans la recherche sur Spengler car c'est la première fois que le monde anglophone a pu se mettre sous la dent les enquêtes de Spengler sur la préhistoire. Pouvez-vous nous donner quelques informations sur le contexte de cette œuvre ? Dans quel état était-elle au moment de la mort de Spengler et comment a-t-elle été publiée à l'origine?

CVH : Early Days of World History était l'un des principaux ouvrages sur lesquels Oswald Spengler travaillait au moment de sa mort en 1936. C'est une œuvre fragmentaire, et de nombreuses sections consistent en des notes ou des phrases incomplètes. Spengler a laissé derrière lui de nombreuses notes et fragments pour le livre, mais il n'a pas eu l'occasion de les organiser et de les compléter avant sa mort. En conséquence, le texte est souvent difficile à lire et n'a pas la cohérence et la structure des autres œuvres de Spengler. Cependant, malgré sa nature fragmentaire, Early Days of World History reste une source importante des idées de Spengler sur la première période de l'histoire mondiale et de sa philosophie de l'histoire en général.

SA : Étant donné que l'œuvre a été laissée comme une série inachevée de notes, j'imagine qu'il a dû y avoir de nombreux défis associés à sa traduction. Pouvez-vous en décrire quelques-uns ?

CVH : Traduire une œuvre fragmentaire et inachevée comme Early Days of World History est un défi à plusieurs égards. Tout d'abord, le texte est lacunaire ou incomplet, ce qui peut rendre difficile la saisie du sens voulu. Deuxièmement, le manque de contexte dans certaines parties de l'œuvre rend difficile la traduction précise de certaines phrases ou passages. En outre, la nature inachevée de l'œuvre peut entraîner un manque de clarté ou de cohérence dans certaines sections, ce qui peut être difficile à transmettre dans la traduction. En outre, le style et le ton de l'écriture peuvent être non conventionnels, ce qui rend plus difficile la capture du ton et du sens voulus par l'auteur dans une autre langue. Enfin, en tant que traducteur, j'ai également dû effectuer des recherches approfondies sur les contextes historiques et culturels de l'œuvre afin d'exprimer avec précision le sens voulu pour le public cible.

images.jpgSA : En tant que traducteur, comment décidez-vous quand et où apporter des changements susceptibles d'améliorer la lisibilité de l'œuvre tout en restant fidèle à l'état du matériau source ?

CVH : Les traducteurs sont souvent confrontés à un équilibre difficile entre rester fidèle au matériau source et apporter des changements qui améliorent la lisibilité de l'œuvre. S'il est important de transmettre avec précision le sens et le style voulus par l'auteur, il arrive que le matériau source soit difficile à comprendre ou à lire dans la langue cible en raison de différences de grammaire, de syntaxe ou de contexte culturel. Dans de tels cas, il peut être nécessaire d'apporter des modifications pour améliorer la lisibilité de l'œuvre, à condition que le traducteur ne modifie pas le sens ou l'intention du texte original. En fin de compte, l'objectif de toute traduction devrait être de rendre l'œuvre accessible à un public plus large sans sacrifier l'intégrité du matériau source. Si Spengler était peu clair ou vague dans l'original, j'ai reproduit cette ambiguïté dans la traduction. Si sa formulation est maladroite dans l'original, je voulais également montrer cette maladresse dans la traduction.

SA : Quelles sont les principales idées que Spengler présente dans Early Days of World History?

CVH : Dans Early Days of World History, Spengler présente un certain nombre d'idées sur les débuts de l'histoire de la civilisation humaine. Voici quelques-unes des principales idées :

1) Le concept de "culture-amibe". Spengler suggère que les civilisations sont comme des amibes : elles sont mobiles et ne sont pas ancrées en un endroit spécifique. Il identifie trois principales cultures-amibes : l'Atlantide (l'Ouest), le Kash (le Sud-Est), et le Turan (le Nord). Atlantis, Kash, et Turan sont des cultures morphologiquement distinctes dans la religion et les arts. L'Atlantide vénère les morts et met l'accent sur le domaine ultra-tellurique avec une relation obsessionnelle aux ancêtres. Son art est centré sur les constructions en pierre avec un sentiment de complaisance inerte. Kash a une religion tropicale et contenue, où les mathématiques du cosmos dominent et la vie après la mort est une question qui laisse indifférent. Le symbole central de Kash est le temple, où les prêtres scrutent les mathématiques célestes. Le Turan valorise le pouvoir des lignées royales et l'héroïsme individuel et a un amour pour la beauté et l'ornementation.

2) La notion de cultures "primitives" : Spengler suggère qu'il existe un certain stade dans le développement des cultures humaines qui se caractérise par une pensée primitive et magique, qui se distingue de la pensée plus rationnelle et scientifique des civilisations ultérieures.

3) Le rôle du mythe et de la religion dans les premières civilisations : Spengler affirme que le mythe et la religion ont joué un rôle crucial dans le façonnement des premières civilisations et qu'ils sont intimement liés à l'identité culturelle et spirituelle d'un peuple.

imaosdoccges.jpgSA : Dans le monde anglophone, John Farrenkopf a soutenu que les idées présentées ici ainsi que celles contenues dans L'homme et la technique représentent une "métamorphose" de la philosophie de l'histoire de Spengler. Alors que Le Déclin de l'Occident met en avant une vision non linéaire de l'histoire, le dernier Spengler semble modifier quelque peu cette perspective. Comment la vision de l'histoire de ce dernier Spengler a-t-elle évolué ? Et en quoi est-elle restée la même ?

CVH : Dans Le Déclin de l'Occident, Spengler présentait une vision cyclique de l'histoire dans laquelle les cultures passent par un cycle de vie prévisible de naissance, de croissance, de maturité et de déclin. Cependant, dans ses œuvres ultérieures telles que L'homme et la technique et L'heure de la décision, Spengler semble s'écarter de cette vision cyclique de l'histoire et adopter une perspective plus linéaire.

En outre, les œuvres ultérieures de Spengler (ndt: aujourd'hui disponibles en anglais), notamment Man and Technics et Prussianism and Socialism, se concentrent davantage sur l'impact de la technologie et de la montée de la machine sur la civilisation humaine. Dans ces œuvres, Spengler soutenait que la machine n'était pas simplement un outil, mais une nouvelle forme de vie qui transformait le monde d'une manière sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Il croyait que la technologie ne changeait pas seulement les conditions matérielles de la vie, mais qu'elle transformait également la nature humaine elle-même.

Cependant, si les derniers travaux de Spengler se sont davantage concentrés sur l'impact de la technologie, ils n'ont pas complètement abandonné sa vision cyclique antérieure de l'histoire. Au lieu de cela, ils présentaient une sorte de synthèse entre les visions cyclique et linéaire de l'histoire, dans laquelle les cultures continuaient à passer par un cycle de vie de naissance, de croissance et de déclin, mais étaient également soumises à des forces externes telles que les changements technologiques qui pouvaient accélérer ou décélérer ce cycle de vie.

Dans l'ensemble, si la vision de l'histoire de Spengler a quelque peu évolué dans ses dernières œuvres, il est resté attaché à l'idée que les cultures passent par des cycles de vie prévisibles de naissance, de croissance et de déclin. Cependant, il a également reconnu l'importance des facteurs externes tels que les changements technologiques dans le façonnement du cours de l'histoire humaine.

SA : Les idées exprimées dans Early Days of World History ont-elles eu un impact direct sur les domaines de l'anthropologie, de l'archéologie et/ou de l'histoire ? Ou bien la mort prématurée de Spengler les a-t-elle laissées relativement inconnues et non étudiées ?

CVH : Il est difficile de savoir dans quelle mesure les idées de Spengler dans Early Days of World History ont eu un impact direct sur les domaines de l'anthropologie, de l'archéologie et de l'histoire. La mort prématurée de Spengler en 1936, avant l'achèvement du livre, peut avoir contribué à son obscurité relative par rapport à The Decline of the West. Cependant, certains chercheurs ont noté l'influence des idées de Spengler sur les penseurs ultérieurs dans ces domaines. Par exemple, certains ont suggéré que l'accent mis par Spengler sur l'unité de la culture et la nécessité de comprendre les cultures selon leurs propres termes a anticipé les tendances ultérieures de l'anthropologie et des études culturelles. Spengler était en fait un précurseur du relativisme culturel. En outre, l'accent mis par Spengler sur l'importance des cycles historiques et la nécessité de comprendre les phénomènes historiques dans leur contexte culturel et civilisationnel plus large a été considéré comme influent dans les études historiques et comparatives. Dans l'ensemble, bien que l'impact des idées de Spengler dans Early Days of World History puisse être difficile à mesurer, elles restent un sujet d'intérêt et de débat parmi les chercheurs en histoire, en anthropologie et en études culturelles.

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SA : En plus de Early Days of World History, il existe un autre volume posthume de l'œuvre inachevée de Spengler intitulé Urfragen (= Primordial Questions). Celui-ci n'a pas encore été traduit en anglais. Prévoyez-vous de traduire cette œuvre ? Pouvez-vous nous dire quelque chose sur Urfragen ?

CVH : Oui, c'est sur ma liste de traductions futures. Le livre se compose de notes et d'essais que Spengler a écrits au cours de sa vie, mais qu'il n'a pas organisés en une œuvre cohérente. Le titre du livre fait référence aux questions fondamentales qui, selon Spengler, sont à la base de toutes les cultures humaines, telles que le sens de la vie et de la mort, la nature de l'existence et le but de l'histoire.

Urfragen est considéré par certains comme l'aboutissement de la pensée de Spengler, car cet ouvrage reflète ses idées les plus mûres et les plus développées sur ces questions fondamentales. Cependant, comme le livre est resté inachevé au moment de la mort de Spengler, on ne sait toujours pas comment il avait l'intention de développer davantage ces idées, ni comment il les aurait finalement synthétisées en un système philosophique cohérent.

SA : Vous avez également traduit récemment le tract politique de Spengler, Prussianité et Socialisme. Pouvez-vous nous donner un aperçu de certaines des idées contenues dans ce texte ?

CVH : Le prussianisme est un phénomène culturel et politique qui a émergé en Prusse au cours du 18ème siècle, caractérisé par un sens aigu du devoir, de la discipline et de l'ordre. Il met l'accent sur l'importance de l'État et la supériorité de la culture germanique. Le socialisme, tel qu'il s'est développé en Allemagne, a également été influencé par les valeurs prussiennes. Spengler affirme que le socialisme allemand n'était pas un mouvement prolétarien, mais plutôt un mouvement des classes moyennes et supérieures désillusionnées par la démocratie libérale de la République de Weimar.

Selon Spengler, le prussianisme et le socialisme font tous deux partie d'un phénomène historique plus vaste qu'il appelle "le socialisme prussien". Ce socialisme est enraciné dans l'expérience culturelle et historique unique de la Prusse et de l'Allemagne. Spengler soutient que l'avenir de l'Allemagne dépend de la réussite de la fusion du prussianisme et du socialisme. Il plaide pour un gouvernement fort et autoritaire, capable de mettre en œuvre des politiques socialistes pour atteindre les objectifs nationaux. Selon Spengler, cela nécessite un rejet de la démocratie libérale et la priorité de l'État sur les droits individuels. Il affirme que cette synthèse mènera à une Allemagne puissante et unifiée, capable de rivaliser sur la scène mondiale.

SA : Quel genre d'impact ce texte a-t-il eu dans les cercles intellectuels et politiques de l'Allemagne de Weimar ?

CVH : Prussianité et Socialisme a eu un impact significatif sur les cercles intellectuels et politiques de l'Allemagne de Weimar. Il a été largement lu et discuté parmi les intellectuels et les politiciens, et ses idées ont influencé le développement de la pensée conservatrice et nationaliste dans le pays.

Le texte était particulièrement influent parmi les groupes conservateurs et nationalistes qui étaient désillusionnés par la démocratie libérale de la République de Weimar et recherchaient une vision alternative pour l'avenir de l'Allemagne. L'appel de Spengler en faveur d'un gouvernement fort et autoritaire capable de mettre en œuvre des politiques socialistes a trouvé un écho auprès de nombre de ces groupes, et ses idées ont contribué à façonner le développement des mouvements politiques conservateurs et nationalistes dans le pays.

En même temps, les idées de Spengler étaient également controversées et contestées. Certains intellectuels et politiciens ont critiqué sa vision du socialisme prussien comme étant autoritaire et anti-démocratique et ont affirmé qu'elle représentait une menace pour les principes de la démocratie libérale et de la liberté individuelle.

41BVDY+1q+L._SX314_BO1,204,203,200_.jpgSA : Il semble que ce texte soit l'un des nombreux produits de la révolution conservatrice dans la République de Weimar. En quoi les idées exprimées dans Prussianité et Socialisme diffèrent-elles de celles qui sont apparues plus tard avec le National Socialisme ? Je me souviens que la sœur de Friedrich Nietzsche a écrit une lettre à Spengler ne comprenant pas le désaccord de Spengler avec le national-socialisme. Elle écrit : "Notre Führer que nous honorons sincèrement n'a-t-il pas les mêmes idéaux et valeurs pour le Troisième Reich, que vous [Spengler] avez exprimés dans le Prussianité et  socialisme ?". Comment lui répondriez-vous ?

CVH : Les idées exprimées dans Prussianité et Socialisme de Spengler sont souvent associées au mouvement intellectuel plus large de la Révolution conservatrice. Ce mouvement était caractérisé par un rejet de la démocratie libérale et des valeurs des Lumières, et une adhésion à l'autoritarisme, au traditionalisme et à un fort sentiment d'identité nationale.

S'il existe certainement des similitudes entre les idées exprimées dans Prussianité et socialisme et celles qui sont apparues plus tard avec le national-socialisme, il existe également des différences importantes. La vision de Spengler d'un gouvernement fort et autoritaire mettant en œuvre des politiques socialistes n'était pas nécessairement liée à l'idéologie raciale ou au type de militarisme agressif associé au national-socialisme.

Les idées de Spengler étaient ancrées dans une compréhension culturelle et historique plus large de la place de l'Allemagne dans le monde, alors que le national-socialisme s'appuyait fortement sur des théories raciales et une vision mythifiée du passé de l'Allemagne. En outre, Spengler était critique du type de politique de masse qui caractérisait le national-socialisme et croyait en l'importance d'un leadership fort et autoritaire plutôt qu'au type de mouvement populiste qui était au cœur de la montée des nazis.

En réponse à la lettre de la sœur de Nietzsche, il est important de noter que, bien qu'il ait pu y avoir un certain chevauchement en termes de certaines valeurs et objectifs, Spengler n'était pas un partisan du national-socialisme et ne le considérait pas comme une solution viable aux problèmes de l'Allemagne. Au lieu de cela, ses idées étaient plus étroitement alignées avec le mouvement intellectuel et politique plus large de la Révolution conservatrice, dont beaucoup de partisans étaient également opposés au national-socialisme.

SA : Il semble que la vision du monde du libéralisme anglais ait dominé le globe dans les années qui ont suivi la mort de Spengler. Pensez-vous qu'il existe un avenir dans lequel un "esprit prussien" pourrait revenir ?

CVH : Les idées et les valeurs des différentes périodes historiques et cultures sont souvent en constante évolution, et leur pertinence et leur attrait peuvent changer avec le temps. Si les idées de Prussianité et  socialisme ont eu un impact significatif sur l'Allemagne de Weimar, elles ont également été confrontées aux critiques et à l'opposition d'autres mouvements intellectuels et politiques. Il est possible que ces idées refassent surface et gagnent en popularité à l'avenir, mais il est également possible qu'elles ne le fassent pas. En fin de compte, l'avenir est façonné par une interaction complexe de facteurs sociaux, politiques et culturels qu'il est difficile de prévoir avec certitude.

SA : Votre édition de Prussianité et Socialisme comprend également l'essai de Spengler "Le double visage de la Russie et les problèmes allemands à l'Est". Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cet essai et pourquoi il a été inclus dans cette édition ?

CVH : "Le double visage de la Russie et les problèmes allemands à l'Est" est un essai écrit par Spengler en 1922. Dans cet essai, Spengler examine la relation entre la Russie et l'Allemagne, ainsi que les problèmes politiques et culturels complexes qui existent entre les deux pays.

Spengler affirme que la Russie a un "double visage". D'une part, c'est une nation dotée d'un patrimoine culturel riche et unique, profondément liée à la terre et aux rythmes de la nature. D'autre part, il s'agit également d'une nation fortement autoritaire, avec une tendance à la centralisation bureaucratique et à l'ingénierie sociale.

Spengler explore également les questions historiques et géopolitiques qui ont conduit au conflit entre l'Allemagne et la Russie, notamment la compétition pour la domination de l'Europe centrale et orientale, ainsi que le choc entre les cultures des deux nations. Il soutient que l'Allemagne a historiquement été prise entre les deux pôles de la culture occidentale et orientale, et que cela a rendu difficile pour l'Allemagne de trouver une identité politique et culturelle stable.

Dans l'ensemble, "Le double visage de la Russie et les problèmes allemands à l'Est" est un document important pour comprendre la vision de Spengler sur la géopolitique et l'histoire culturelle, ainsi que ses idées sur les défis auxquels sont confrontées les nations modernes à la suite de l'effondrement des structures culturelles traditionnelles.

J'ai inclus cet essai en raison de sa pertinence dans le climat géopolitique actuel de tensions entre l'Occident et la Russie.

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SA : Quel a été, selon vous, l'héritage à long terme des œuvres politiques de Spengler ?

CVH : L'héritage à long terme des travaux politiques de Spengler est complexe et controversé. D'une part, ses idées ont été adoptées par certains mouvements politiques au début du 20ème siècle, en particulier ceux associés à la Révolution conservatrice. Ces mouvements ont cherché à redéfinir le sens du conservatisme, rejetant les valeurs libérales des Lumières et prônant un retour aux valeurs traditionnelles et à un État fort et autoritaire.

Cependant, l'œuvre de Spengler a également été critiquée pour son pessimisme, son déterminisme culturel et son rejet de la démocratie. Nombre de ses idées ont ensuite été reprises par les nazis, qui prétendaient réaliser la prophétie de Spengler sur le "déclin de l'Occident" et la montée d'un nouvel ordre autoritaire.

Malgré ces critiques, l'œuvre de Spengler continue d'être étudiée et débattue par des chercheurs dans divers domaines, notamment la philosophie, l'histoire et les sciences politiques. Certains chercheurs ont affirmé que ses idées sur les cycles culturels, l'importance de la tradition et les limites de la raison sont toujours d'actualité, notamment face à la mondialisation et à l'érosion des valeurs traditionnelles. D'autres ont affirmé que son travail est trop profondément ancré dans le contexte historique spécifique de son époque, et que ses théories sont trop déterministes et essentialistes.

SA : Pour conclure, je voudrais vous poser quelques questions sur l'influence de Spengler aujourd'hui. Il semble qu'il y ait une nouvelle génération de personnes intéressées par les œuvres de Spengler. Ces dernières années, nous avons assisté à la naissance d'organisations comme la Oswald Spengler Society. Elles commencent à organiser des conférences qui présentent des analyses spengleriennes de l'histoire, de la culture et de la politique. De plus, j'ai remarqué que l'Internet s'intéresse de plus en plus aux idées de Spengler. Il semble y avoir beaucoup d'intérêt autour de Spengler. Pourquoi y a-t-il un tel regain d'intérêt pour Spengler ?

CVH : Il y a plusieurs raisons pour lesquelles il y a eu un regain d'intérêt pour Spengler ces dernières années. L'une d'entre elles est la crise perçue de la civilisation occidentale, notamment à la suite de la crise financière de 2008 et des changements politiques, économiques et sociaux en cours au XXIe siècle. Les vues pessimistes de Spengler sur le déclin de la civilisation occidentale et la nature cyclique de l'histoire ont trouvé un écho chez certains qui voient des parallèles entre la situation actuelle et le déclin des civilisations passées.

Une autre raison du regain d'intérêt pour Spengler est son analyse de la montée de l'autoritarisme et du rôle de la technologie dans la société moderne. Les œuvres de Spengler anticipent bon nombre des développements qui ont eu lieu aux 20ème et 21ème siècles, notamment la montée des régimes totalitaires, l'impact des médias de masse et des technologies de communication, ainsi que le déclin des valeurs et des institutions traditionnelles.

Enfin, on constate également un regain d'intérêt pour le style littéraire de Spengler et la manière dont il mêle l'analyse historique à la critique culturelle et à la réflexion philosophique. Certains chercheurs considèrent Spengler comme une figure importante dans le développement du modernisme littéraire et l'utilisation de techniques littéraires dans l'écriture de non-fiction. L'accent mis par Spengler sur la relativité des valeurs culturelles et son rejet des vérités universelles et des absolus anticipent dans une certaine mesure le postmodernisme.

SA : Quelle est l'importance de lire Spengler aujourd'hui ?

CVH : Lire Spengler aujourd'hui peut être important pour plusieurs raisons. Tout d'abord, son œuvre offre une perspective unique sur l'histoire et la culture qui remet en question les vues occidentales traditionnelles. La vision cyclique de l'histoire de Spengler, par exemple, remet en question l'idée de progrès et l'inévitabilité de la domination occidentale. Cela peut aider les lecteurs à réfléchir de manière plus critique à leurs propres hypothèses et à développer une compréhension plus nuancée du monde.

SA : Après avoir passé autant de temps à lire et à traduire Spengler, votre point de vue sur sa pensée a-t-il changé d'une quelconque manière ?

CVH : Pas du tout. Cela n'a fait que cimenter mon opinion sur sa philosophie. Après toutes ces années, il reste toujours l'homme du jour !

SA : Constantin, je tiens à vous remercier de vous être joint à moi pour The Oswald Spengler Project.

CVH : Merci de me laisser participer. Je l'apprécie énormément.

Si vous souhaitez lire ces traductions par vous-même, envisagez de les acheter auprès de Legend Books via Amazon. Les ayant achetées et lues moi-même, je peux personnellement attester de leur qualité et je suis heureux de leur donner mon cachet d'approbation. Toutes deux sont solides, joliment conçues et constituent les meilleures éditions disponibles à l'achat.

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Eurosiberia

vendredi, 03 février 2023

Oswald Spengler et le cycle des renaissances

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Oswald Spengler et le cycle des renaissances

Constantin von Hoffmeister

Source: Eurosiberia / https://eurosiberia.substack.com

L'examen méticuleux des cultures par Oswald Spengler est d'ordre quasi pathologique. Il ouvre le cadavre d'une culture et le dissèque avec une telle précision qu'il trouve toujours la cause de la mort cachée au plus profond de ses entrailles complexes. Le coupable habituel est la décadence avec l'inertie et la stagnation qui l'accompagnent, communes à tous les organismes qui ont dépassé la fleur de l'âge et qui, par conséquent, dépassent la durée de leur vie.

Contrairement à ce que beaucoup de gens, sinon la plupart, croient, Spengler n'est pas un prophète de malheur. Il décrit la montée et la chute des cultures comme s'il s'agissait d'êtres vivants et respirants, qui naissent, vieillissent et finissent par mourir. La cause de la mort est presque toujours la même - la culture devient paresseuse et désintéressée. Elle ne peut que nourrir des passions pour les choses les plus basses de la vie: le sexe, la violence et le fait de regarder avec jubilation se dérouler des événements montés de toutes pièces ou des spectacles chorégraphiés. C'est ainsi que la culture devient primitive et monotone. Elle se transforme en une civilisation (alias une "société du spectacle"), qui répète mécaniquement des traditions périmées, vidées de toute vie et dépourvues de toute tendance à l'innovation.

Imaginons Spengler aux Enfers : Charon se tient raide devant lui, une rame dressée dans la main gauche et la main droite tendue, attendant ostensiblement que Spengler y dépose le prix requis. Mais hélas ! Spengler n'a pas d'argent car personne n'a pensé à mettre une pièce dans la bouche de son cadavre. Il sera maintenant forcé de marcher sans but pendant cent ans le long de la rive de l'Achéron, contemplant sans fin le concept de l'éternel retour de Nietzsche avec les ombres à sa gauche et à sa droite qui tirent constamment sur les manches de sa chemise, le suppliant de leur rappeler pourquoi, après la mort de chacune de leurs incarnations, elles se retrouvent sur la rive de l'Achéron sans argent. Spengler répond patiemment: "C'est parce que vous êtes morts dans une civilisation, et non pas dans une culture. Dans une culture, les gens sont religieux et croient, alors les proches mettent une pièce dans la bouche du parent mort. Dans une civilisation, les gens sont rationnels et ne croient pas, donc les proches ne voient pas l'intérêt de mettre une pièce dans la bouche du parent mort".

Lorsqu'une civilisation est vraiment morte, une nouvelle culture naîtra de ses cendres. La nature a horreur du vide, et selon la physique newtonienne, l'énergie n'est jamais perdue mais toujours constante. Spengler confirme ainsi le cycle sans fin des renaissances auquel les hindous croient depuis des millénaires. Tout comme l'âme d'un être vivant erre d'un vaisseau physique à un autre, les vestiges d'une civilisation peuvent être transportés dans la nouvelle culture et incorporés - comme le Zeus grec se transformant en Jupiter romain.

lundi, 26 septembre 2022

La Russie face à l'Europe, géopolitique et panslavisme (Nicolas Danilevski)

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La Russie face à l'Europe, géopolitique et panslavisme (Nicolas Danilevski)

 
La Russie est-elle une nation européenne au même titre que la France, l’Angleterre ou l’Italie au sein d’une même civilisation ou bien constitue-t-elle une civilisation à part entière, foncièrement distincte ? Il s'agit d'une question éminemment complexe, qui revient sur le devant de la scène à chaque nouveau conflit entre la Russie et l'Europe. Cette question mérite d'être examinée avec sérieux, à la fois pour comprendre la façon dont la Russie se perçoit face au monde et pour penser les frontières de l'Europe. Pour cette raison, nous examinerons dans cette vidéo les réflexions d'un auteur fondamental dans l'histoire de la pensée politique russe, à savoir Nicolas Danilevski. Connu comme l'un des pères de la pensée "panslaviste", Danilevski a légué à son pays une oeuvre importante qui inspire une bonne partie de l'élite dirigeante russe, une oeuvre qui incarne la position la plus radicalement anti-européenne de la Russie.
 
 
Pour découvrir les deux vidéos consacrées à la vie et à la pensée de Constantin Leontiev, ainsi que l'ensemble de mes vidéos privées : http://www.ego-non.com/
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Sommaire :
00:00 Introduction
11:31 Biographie
15:04 L'hostilité de l'Europe
33:35 La Russie est-elle européenne ?
45:52 Les cinq lois de Danilevski
53:58 La Russie et la fédération panslave
 
Musique :
- Tchaikovski : Serenade for Strings Op. 48
- Deutsches Kammerorchester Berlin Mateusz Molęda
- Tchaikovski : None But The Lonely Hearts
- Mieczyslaw Karlowicz : Returning Waves,Op.9(1904).

mardi, 13 septembre 2022

David Engels réfléchit sur l'œuvre de Spengler : penser à l'avenir

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David Engels réfléchit sur l'œuvre de Spengler : penser à l'avenir

Par Javier Navascués

Source: https://elcorreodeespana.com/hispanidad-y-geopolitica/558345695/David-Engels-reflexiona-sobre-su-obra-Spengler-Pensando-en-el-futuro-Por-Javier-Navascues.html

Le célèbre historien David Engels (né à Verviers, en Belgique, en 1979) est professeur en charge de recherches à l'Instytut Zachodni de Poznan (Pologne), où il se consacre à l'étude approfondie de toutes les questions liées à l'histoire intellectuelle occidentale et à l'identité européenne. Il est également président de la Société Oswald Spengler. Auteur d'un livre fondateur, intitulé Le declin, David Engels consacre également une grande partie de son ouvrage à l'esquisse d'une possible réforme des institutions européennes basée sur ce qu'il appelle "l'Hespérialisme", une combinaison profonde et rénovatrice du meilleur patriotisme européen avec le conservatisme culturel le plus élaboré. Auprès de l'éditeur espagnol Letras Inquietas, il a participé à l'ouvrage collectif Las 13 claves del Nuevo Orden Mundial.

Pourquoi Spengler a-t-il été le grand scrutateur de l'âme occidentale ?

Spengler est sans aucun doute l'un des plus grands philosophes de l'histoire de la civilisation occidentale. On peut discuter de la valeur de sa pensée métaphysique - il appartenait à l'école du vitalisme, qui se résume finalement à un dualisme très difficile à maintenir sur le plan de la logique - mais les parallèles factuels qu'il a découverts entre les grandes civilisations humaines comptent parmi les choses les plus importantes jamais écrites dans ce domaine. Personnellement, ce n'est pas tant l'analyse de l'histoire européenne que je qualifierais d'originale - dans une large mesure, ses contemporains la considéraient également comme telle - mais la découverte de son inévitable nécessité à la lumière de développements analogues dans d'autres cultures ; un double "éloignement" historique qui nous permet non seulement de voir l'Occident sous un jour entièrement nouveau, mais aussi d'aborder les civilisations non européennes dans une perspective complètement différente.

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Il faut ajouter à cela la précision presque mathématique avec laquelle Spengler a également tenté de prédire l'avenir de l'Europe sur cette base ; une tentative qui doit être largement considérée comme vérifiée 100 ans après la publication du Déclin de l'Occident, où l'on annonçait le déclin de la population, le déclin du christianisme, le socialisme à plusieurs milliards de dollars, la pollution environnementale, le populisme, les migrations de masse, la montée des peuples non-européens (notamment d'Asie et du monde musulman), le pacifisme, l'extinction des villages, la fatigue spirituelle, la désindustrialisation, le leadership allemand sur l'Union européenne et bien d'autres encore, tandis que la guerre en Ukraine pourrait marquer le dernier chapitre du césarisme. Mes propres recherches sur Spengler sont donc guidées par deux impératifs : d'une part, en tant qu'historien, pour approfondir la pensée de Spengler par analogie (et la corriger à l'occasion), et d'autre part, en tant qu'Occidental du 21ème siècle, pour contribuer à façonner de manière analytique et essayistique notre propre présent à la lumière de la morphologie culturelle de Spengler.

Parlez-nous brièvement du mythe de Faust et de son application à l'homme européen, et donc de la nature faustienne.

Pour Spengler, chaque culture se caractérise par une vision du monde unique et inimitable, profondément ancrée dans son âme culturelle, une façon spécifique et inimitable de voir et de comprendre Dieu, l'Homme et le monde. L'Égyptien voit le monde comme une longue route menant directement au royaume des morts et à l'au-delà, l'Oriental comme un espace de destinée entièrement déterminé par l'incalculable arbitraire divin, le Grec et le Romain comme une collection de corps concrets et matériels, et l'Occidental comme un espace de puissance abstraite et infinie qui invite à atteindre constamment l'horizon, à se dépasser et à traduire tout ce qui existe en pouvoirs et en fonctions. Comme le légendaire Faust, l'Occidental est insatiable, insatisfait, intempestif, toujours aussi curieux que mégalomane. Son avidité de "plus" s'exprime aussi bien dans la dimension architecturale des cathédrales et des gratte-ciel que dans la dimension musicale de la polyphonie des orgues de salle et des grands orchestres symphoniques, dans la dimension politique des croisés et des conquérants que dans la dimension scientifique des voyages spatiaux et de la fission nucléaire. On aurait donc tort de considérer l'histoire comme une sorte de développement linéaire du progrès par rapport à l'état actuel des connaissances des Européens : la haute technologie est plutôt un pur produit de l'homme occidental (qui, pour sa part, est incapable d'apprécier à leur juste valeur nombre des grandes créations des autres civilisations) et disparaîtra avec lui dans le temps prévisible de quelques générations et périra à l'exception de quelques rudiments de technologie de simple application.....

Quelles solutions proposez-vous pour éviter ce déclin ?

Soyons francs : nous ne pouvons pas empêcher le déclin ; tout au plus pouvons-nous le freiner un peu et, surtout, essayer de le façonner de manière à pouvoir défendre notre honneur et maintenir notre civilisation comme cadre de vie le plus longtemps possible malgré sa pétrification naissante ; c'est le devoir que nous avons non seulement envers nos ancêtres, qui ont construit cette civilisation au prix de grands sacrifices, mais aussi envers nos descendants, à qui nous voulons la laisser aussi indemne que possible. L'Empire romain, la dynastie chinoise des Han ou les Ramessides égyptiens sont des exemples typiques de la manière dont une telle civilisation fossilisée a pu perdurer pendant de nombreuses générations, bien que sous une forme de plus en plus affaiblie et simplifiée, et transmettre son héritage aux civilisations ultérieures.

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À cet égard, j'ai mis l'accent sur deux solutions dans mes différents ouvrages récents sur le sujet. Dans "Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe" (Ed. esp.: Madrid, EAS, 2019), j'ai montré des approches quant à la façon dont les individus peuvent rester fidèles aux idéaux de leur civilisation, même contre la résistance de toute une société, et les transmettre aux générations suivantes ; dans Renovatio Europae (Renovatio Europae. Por una renovación hesperialista de Europa; éd. esp.: Madrid, EAS, 2020) et mon dernier volume, Europa Aeterna (pas encore publié en anglais), j'ai exposé avec de nombreux co-auteurs l'idée politique de l'"hesperialisme", c'est-à-dire un patriotisme européen culturellement conservateur qui pourrait nous aider à surmonter notre crise actuelle et à initier la phase finale de notre civilisation sur la base de la connaissance des rouages de l'histoire.

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El Correo de España n'est pas responsable des opinions de ses contributeurs, qui en sont les seuls responsables.

Javier Navascués

Directeur adjoint de El Correo de España. Présentateur de radio et de télévision, conférencier et scénariste. Il a été rédacteur sportif de El Periódico de Aragón et de Canal 44. Il a collaboré à des médias tels que EWTN, Radio María, NSE et Canal Sant Josep, Adelante la Fe, dont il a été le directeur, et Agnus Dei Prod. Acteur du documentaire Cura de Ars et d'une autre œuvre contre le marxisme culturel, John Navasco. Il a réalisé des vidéos virales telles que El Master Plan et El Valle no se toca. Il tient actuellement un blog sur le prestigieux portail InfoCatólica et participe occasionnellement à Somatemps, Ahora Información, Español Digital et Radio Reconquista à Dallas, au Texas. Il collabore avec le programme Javier Cárdenas sur OKDIARIO.

 

lundi, 15 août 2022

Chateaubriand et la conclusion de notre histoire

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Chateaubriand et la conclusion de notre histoire

Nicolas Bonnal

Un des plus importants textes du monde moderne, le premier qui nous annonce comment tout va être dévoré : civilisation chrétienne occidentale et autres, peuples, sexes, cultures, religions aussi. C’est la conclusion des Mémoires d’outre-tombe. On commence avec l’unification technique du monde :

« Quand la vapeur sera perfectionnée, quand, unie au télégraphe et aux chemins de fer, elle aura fait disparaître les distances, ce ne seront plus seulement les marchandises qui voyageront, mais encore les idées rendues à l’usage de leurs ailes. Quand les barrières fiscales et commerciales auront été abolies entre les divers Etats, comme elles le sont déjà entre les provinces d’un même Etat ; quand les différents pays en relations journalières tendront à l’unité des peuples, comment ressusciterez−vous l’ancien mode de séparation ? »

On ne réagira pas. Chateaubriand voit l’excès d’intelligence venir avec un excès de mécanique et un déclin de la force et de la liberté :

« La société, d’un autre côté, n’est pas moins menacée par l’expansion de l’intelligence qu’elle ne l’est par le développement de la nature brute. Supposez les bras condamnés au repos en raison de la multiplicité et de la variété des machines, admettez qu’un mercenaire unique et général, la matière, remplace les mercenaires de la glèbe et de la domesticité : que ferez−vous du genre humain désoccupé ? Que ferez−vous des passions oisives en même temps que l’intelligence ? La vigueur du corps s’entretient par l’occupation physique ; le labeur cessant, la force disparaît ; nous deviendrions semblables à ces nations de l’Asie, proie du premier envahisseur, et qui ne se peuvent défendre contre une main qui porte le fer. Ainsi la liberté ne se conserve que par le travail, parce que le travail produit la force : retirez la malédiction prononcée contre les fils d’Adam, et ils périront dans la servitude : In sudore vultus tui, vesceris pane. »

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Le gain technique va se payer formidablement. Vient une formule superbe (l’homme moins esclave de ses sueurs que de ses pensées) :

« La malédiction divine entre donc dans le mystère de notre sort ; l’homme est moins l’esclave de ses sueurs que de ses pensées : voilà comme, après avoir fait le tour de la société, après avoir passé par les diverses civilisations, après avoir supposé des perfectionnements inconnus on se retrouve au point de départ en présence des vérités de l’Ecriture. »

Chateaubriand constate la fin de la monarchie :

« La société entière moderne, depuis que la barrière des rois français n’existe plus, quitte la monarchie. Dieu, pour hâter la dégradation du pouvoir royal, a livré les sceptres en divers pays à des rois invalides, à des petites filles au maillot ou dans les aubes de leurs noces : ce sont de pareils lions sans mâchoires, de pareilles lionnes sans ongles, de pareilles enfantelettes tétant ou fiançant, que doivent suivre des hommes faits, dans cette ère d’incrédulité. »

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Il voit le basculement immoral de l’homme moderne, grosse bête anesthésiée, ou aux indignations sélectives, qui aime tout justifier et expliquer :

« Au milieu de cela, remarquez une contradiction phénoménale: l’état matériel s’améliore, le progrès intellectuel s’accroît, et les nations au lieu de profiter s’amoindrissent : d’où vient cette contradiction ?

C’est que nous avons perdu dans l’ordre moral. En tout temps il y a eu des crimes; mais ils n’étaient point commis de sang−froid, comme ils le sont de nos jours, en raison de la perte du sentiment religieux. A cette heure ils ne révoltent plus, ils paraissent une conséquence de la marche du temps; si on les jugeait autrefois d’une manière différente, c’est qu’on n’était pas encore, ainsi qu’on l’ose affirmer, assez avancé dans la connaissance de l’homme; on les analyse actuellement; on les éprouve au creuset, afin de voir ce qu’on peut en tirer d’utile, comme la chimie trouve des ingrédients dans les voiries».

La corruption va devenir institutionnalisée :

« Les corruptions de l’esprit, bien autrement destructives que celles des sens, sont acceptées comme des résultats nécessaires ; elles n’appartiennent plus à quelques individus pervers, elles sont tombées dans le domaine public. »

On refuse une âme, on adore le néant et l’hébétement (Baudrillard use du même mot) :

« Tels hommes seraient humiliés qu’on leur prouvât qu’ils ont une âme, qu’au-delà de cette vie ils trouveront une autre vie ; ils croiraient manquer de fermeté et de force et de génie, s’ils ne s’élevaient au-dessus de la pusillanimité de nos pères ; ils adoptent le néant ou, si vous le voulez, le doute, comme un fait désagréable peut−être, mais comme une vérité qu’on ne saurait nier. Admirez l’hébétement de notre orgueil ! »

L’individu triomphera et la société périra :

« Voilà comment s’expliquent le dépérissement de la société et l’accroissement de l’individu. Si le sens moral se développait en raison du développement de l’intelligence, il y aurait contrepoids et l’humanité grandirait sans danger, mais il arrive tout le contraire : la perception du bien et du mal s’obscurcit à mesure que l’intelligence s’éclaire ; la conscience se rétrécit à mesure que les idées s’élargissent. Oui, la société périra : la liberté, qui pouvait sauver le monde, ne marchera pas, faute de s’appuyer à la religion ; l’ordre, qui pouvait maintenir la régularité, ne s’établira pas solidement, parce que l’anarchie des idées le combat… »

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Une belle intuition est celle-ci, qui concerne…la mondialisation, qui se fera au prix entre autres de la famille :

« La folie du moment est d’arriver à l’unité des peuples et de ne faire qu’un seul homme de l’espèce entière, soit ; mais en acquérant des facultés générales, toute une série de sentiments privés ne périra−t−elle pas ? Adieu les douceurs du foyer ; adieu les charmes de la famille ; parmi tous ces êtres blancs, jaunes, noirs, réputés vos compatriotes, vous ne pourriez-vous jeter au cou d’un frère. »

Puis Chateaubriand décrit notre société nulle, plate et creuse - et surtout ubiquitaire :

« Quelle serait une société universelle qui n’aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni espagnole, ni portugaise, ni italienne ? ni russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni indienne, ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu’en résulterait−il pour ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Comment s’exprimeraient des passions ressenties à la fois à la manière des différents peuples dans les différents climats ? Comment entrerait dans le langage cette confusion de besoins et d’images produits des divers soleils qui auraient éclairé une jeunesse, une virilité et une vieillesse communes ? Et quel serait ce langage ? De la fusion des sociétés résultera−t−il un idiome universel, ou bien y aura−t−il un dialecte de transaction servant à l’usage journalier, tandis que chaque nation parlerait sa propre langue, ou bien les langues diverses seraient−elles entendues de tous ? Sous quelle règle semblable, sous quelle loi unique existerait cette société ? »

Et de conclure sur cette prison planétaire :

« Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d’un globe fouillé partout ? Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète. »

Elle n’en est même  pas capable…

Et Chateaubriand insiste encore – l’air va devenir irrespirable (entre le modèle chinois et le modèle américain !) – et on n’aura décidément plus qu’une envie : ne plus être là ou ne plus être carrément :

« Les modernes sectaires...pensent qu’on pourrait nous mener à l’idéale médiocrité américaine… D'autres, plus obligeants encore, et qui admettent une sorte d'élégance de civilisation, se contenteraient de nous transformer en Chinois constitutionnels, à peu près athées, vieillards éclairés et libres, assis en robes jaunes pour des siècles dans nos semis de fleurs, passant nos jours dans un confortable acquis à la multitude, ayant tout inventé, tout trouvé, végétant en paix au milieu de nos progrès accomplis, et nous mettant seulement sur un chemin de fer, comme un ballot, afin d'aller de Canton à la grande muraille deviser d'un marais à dessécher, d'un canal à creuser, avec un autre industriel du Céleste−Empire. Dans l'une ou l'autre supposition, Américain ou Chinois, je serai heureux d'être parti avant qu'une telle félicité me soit advenue ».

Sources principales :

François-René de Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, conclusion

https://www.ebooksgratuits.com/ebooksfrance/chateaubriand_memoires_outre-tombe.pdf

Nicolas Bonnal – Chroniques sur la fin de l’histoire ; Guénon, Bernanos et les gilets jaunes (Amazon.fr)

jeudi, 14 juillet 2022

Nous vivons une rupture avec l'histoire

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Nous vivons une rupture avec l'histoire

Le monde dans lequel vous avez grandi n'existe plus

Jurbin van Hooff

Source: https://reactionair.nl/artikelen/we-leven-in-eenbreuk-met-de-geschiedenis/

Nous vivons une rupture avec l'histoire et personne ne s'en rend compte. Un processus d'aliénation est en cours dans le monde ; les gens ne sont plus liés à leur région, leur famille et leur tradition, mais sont surtout occupés par eux-mêmes. Si peu de gens s'en rendent compte, c'est parce qu'il existe une croyance sociale selon laquelle nous sommes dans un état parfait ou, pour reprendre les mots de Fukuyama, nous sommes arrivés à la fameuse "fin de l'histoire". Puisque Mark Fisher a bien décrit ce phénomène, et l'a certainement fait mieux que moi, je vais obligeamment le citer :

"La thèse de Fukuyama selon laquelle l'histoire a culminé avec le capitalisme libéral peut être largement tournée en dérision, mais elle est acceptée, voire assumée, au niveau du subconscient culturel. Il convient toutefois de rappeler que l'idée que l'histoire avait atteint un "point final", même lorsque Fukuyama l'a avancée, n'était pas simplement triomphaliste. Fukuyama a prévenu que sa ville brillante serait hantée, mais il pensait à des fantômes nietzschéens plutôt que marxistes. Certaines des pages les plus prémonitoires de Nietzsche sont celles dans lesquelles il décrit la "sursaturation d'une époque par l'histoire". Cela met une époque dans une dangereuse humeur d'ironie envers elle-même", écrivait-il dans les Contemplations de l'infini, "puis dans une humeur encore plus dangereuse de cynisme", dans laquelle la "dextérité cosmopolite", un spectatorisme détaché, remplace l'engagement et l'implication. C'est la condition du Dernier Homme de Nietzsche, qui a tout vu, mais qui est décadent et affaibli, précisément à cause de cet excès de (auto-)conscience" (1).

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Pourtant, je dois admettre que j'ai le sentiment que, ces dernières années, cette croyance sociale en une condition parfaite s'affaiblit de plus en plus. Nous voyons de plus en plus les défauts du néolibéralisme et du postmodernisme remonter à la surface, également parce que les gens réalisent de plus en plus que nous ne pouvons pas vivre dans un monde de croissance (économique) illimitée. Pourtant, nous voyons encore des politiciens s'accrocher avidement à l'idée du néolibéralisme et du postmodernisme, parce qu'ils ne connaissent pas d'autre idéologie.

La croissance économique signifie également que la consommation doit augmenter. Et cela montre aussi l'état actuel de notre société : nous sommes devenus une société de consommation. Tout tourne autour de la satisfaction du désir, mais les désirs d'une personne se trouvent également dans une fausse conscience. Les désirs d'une personne sont également guidés, surtout dans la société actuelle, par un besoin de reconnaissance de statut de la part de l'environnement. Cela signifie également qu'une personne ne peut pas déterminer de manière autonome le type de désirs qu'elle a, mais les laisse plutôt dépendre de la culture ou de la sous-culture populaire. Cette chasse aux faux désirs donne lieu à une existence sans âme, dans laquelle un sentiment de bonheur doit vous venir par la consommation et vous avez une envie constante de la nouvelle dose de dopamine (numérique).

Pourtant, il faut reconnaître que cette vie de rupture avec l'histoire n'est en aucun cas due aux seules attitudes économiques et culturelles. L'évolution de la technologie a également rendu le monde de plus en plus petit. Alors que mes grands-parents ont grandi à une époque où les gens étaient encore complètement liés et dépendants de leur région, les "Zoomers" ont grandi à une époque où le monde entier était à nos pieds via l'éther numérique. C'est là le cœur de la rupture avec l'histoire : grâce à la numérisation, entre autres, un processus d'homogénéisation globale, d'aliénation par rapport à sa propre région et d'individualisation a eu lieu.

En raison d'une aliénation vis-à-vis de la communauté, les gens se sont de plus en plus individualisés au cours des dernières décennies. L'évolution de la technologie a servi de catalyseur pour rompre les liens avec la région et la famille traditionnelle. Vous pouvez désormais vous divertir à tout moment et en tout lieu en utilisant votre téléphone portable. Dans VPRO Tegenlicht en 2003, le Néerlandais Ad Verbrugge a souligné comment cette aliénation avait déjà eu lieu avec une simple télévision dans une chambre à coucher (2). Là où vous pouviez auparavant vous amuser en regardant la télévision ensemble ou en jouant à un jeu de société, vous pouvez maintenant vous amuser individuellement en regardant la télévision ou en jouant tout seul.

Le monde s'homogénéise de plus en plus ; là où il y avait autrefois des accents régionaux, ceux-ci disparaissent. L'architecture nationale disparaît : un gratte-ciel à Dubaï pourrait tout aussi bien être à New York. Les chaînes de fast-food américaines fleurissent le long des autoroutes serbes. Ce rétrécissement du monde a pour effet de transformer "le" monde en une masse grise, provoquant une énorme érosion culturelle et consolidant la culture de consommation.

Grâce en partie à la technologie, une croyance dans l'ingénierie sociale, dans une société sans risque, peut également naître. Ces dernières années, la société a été prise en otage. En plaçant la société sous un mécanisme de contrôle, piloté par le tableau de bord corona, le citoyen a été transformé en une variable dans un modèle. Une variable qu'il faut garder sous contrôle pour ne pas voir de chiffres rouges sur le tableau de bord. Ce bourrage de la société dans des modèles et le fait de faire du citoyen une variable du modèle aboutissent à une existence sans âme où tout, en vue d'éviter les risques, doit venir au citoyen.

Le colosse de pierre appelé "ville mondiale" se trouve à la fin du cycle de vie de toute grande culture. L'homme de culture, dont la vie de l'âme a été façonnée par la terre, est pris en charge par sa propre création, la ville, possédée, transformée en sa créature, son organe exécutif et finalement sa victime. Cette masse de pierre est la ville "absolue". Son image, telle qu'elle apparaît avec sa beauté grandiose dans le monde lumineux de l'œil humain, contient le sublime symbolisme de mort du "devenir" définitif. La pierre animée des bâtiments gothiques est finalement devenue, au cours d'une histoire de style millénaire, le matériau sans âme de ce désert de pierre démoniaque. Ces dernières villes sont "tout esprit". Leurs maisons ne peuvent plus remonter - comme les villes ioniques et baroques peuvent encore le faire - jusqu'à l'ancienne ferme qui avait autrefois été le point de départ de la culture. Ce ne sont plus des maisons dans lesquelles Vesta et Janus, les pénates et les repaires ont leur place ; ce ne sont que des enclos, construits non pas avec du sang mais avec un but, non pas avec des sentiments mais avec une entreprise économique. Tant que le foyer, au sens pieux du terme, est le centre réel et significatif d'une famille, le dernier lien avec la terre n'a pas été coupé. Ce n'est que lorsque cela aussi est perdu et que la masse des locataires et des dormeurs de cette mer de maisons mène une existence errante d'un logement temporaire à un autre, comme les chasseurs et les bergers de la préhistoire, que le nomade intellectuel atteint sa pleine maturité. Cette ville est un monde, est "le" monde. Elle n'a "que dans son ensemble" la signification d'une habitation humaine. Les maisons ne sont que les atomes dont elle est composée (3).

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Le fait que nous vivions dans une rupture avec l'histoire plutôt que dans une fin de l'histoire a tout à voir avec le fait que cette époque est si dramatique. C'est un monde sans âme, éloigné de tout sens, mû par la consommation individuelle de matière grise. Elle exige une intervention radicale. Et ne soyez pas effrayé par le mot radical, qui remonte au latin "radix", qui signifie origine. Qui pourrait être contre le fait d'attaquer la maladie à sa source ?

Notes:

    (1) Mark Fisher, Réalisme capitaliste.

    (2) VPRO Tegenlicht, In The Line : Trapped in Freedom.

    (3) Oswald Spengler, Effondrement de l'Occident.

samedi, 14 mai 2022

Spengler et l'Europe faustienne

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Spengler et l'Europe faustienne (article introductif dans "El Manifiesto")

Le livre Oswald Spengler y la Europa fáustica, de Carlos X. Blanco Martín est paru naguère aux éditions Fides, sous la forme d'une relecture très originale que notre auteur asturien fait de l'œuvre de Spengler et des malentendus que beaucoup de ses interprétations ont encourus (parfois, surtout, de ses "mésinterprétations" suspectes et partisanes). Une relecture urgente et nécessaire.                          

Carlos X. Blanco Martin

Source: https://decadenciadeeuropa.blogspot.com/2016/10/spengler-y-la-europa-faustica-articulo.html                    

Dans les pages qui suivent, nous allons lire l'oeuvre d'Oswald Spengler (1880-1936). Ce philosophe allemand est, à mon humble avis, le penseur le plus important du 20e siècle. La publication de tous ses écrits, même les textes les plus éloignés de ce qu'on appelle aujourd'hui le "politiquement correct", est pleinement justifiée.

Mes déclarations au sujet de Spengler, comme je le sais pertinemment bien, a peu de soutien dans les milieux académiques. Le philosophe de Déclin de l'Occident n'est pas un favori dans les cercles universitaires. Pour ma part, je le place parmi les grands. Leibniz et Kant se distinguent au 18e siècle. Hegel et Marx ont régné en maîtres au 19e siècle. Heidegger, Ortega et Spengler dominent le 20e siècle. En effet, je me dois d'inclure ici le grand Spengler comme une figure fondamentale pour comprendre notre siècle et ceux à venir.

Qui était Spengler ? Un philosophe allemand aux connaissances encyclopédiques, auteur d'un livre de grande envergure et d'une perspective très large, Le Déclin de l'Occident, l'homme qui a fait des pas de géant dans la compréhension de l'Europe et de ses grandes réalisations dans le contexte général où il y a d'autres civilisations et cultures. Le philosophe qui était capable de prédire le cours des événements européens, presque un prophète. L'homme qui était capable de voir les civilisations et les cultures comme des êtres vivants soumis au destin [Schicksal], jamais soumis à la légalité physique-naturelle mais seulement à leur propre trajectoire biologique.

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Dans le monde académique, notamment en Espagne, on s'intéresse très peu à cette figure et à son œuvre. Les références que l'on lit sur l'auteur du Déclin de l'Occident ont tendance à être expéditives, voire à n'être que condamnatoires. Il n'est pas rare de lire des anathèmes contre Spengler de la part de professeurs dont on devrait s'attendre à ce qu'ils soient plus honnêtes et mieux informés. Il semble être un auteur maudit. Se consacrer à l'étude de l'œuvre de Spengler a mauvaise presse, et je suis personnellement conscient et victime de telles attitudes. Quiconque fait une telle chose, même s'il le fait avec une distance critique et de l'objectivité, peut s'attendre à ce qu'on lui jette le même anathème qu'on a jeté contre Spengler lui-même. Une telle situation devrait nous faire réfléchir à la crise de l'éducation en Espagne et à la crise de l'enseignement supérieur dans ce pays. Imaginons quel terrain vague deviendrait la philosophie et les sciences sociales lorsque l'étude de l'œuvre de Marx (je répète, même avec distance et objectivité critique) attirerait le soupçon de "communisme". Une telle chose nous apparaîtrait comme une folie fanatique. Pourtant, il est toujours plus "confortable" d'étudier Marx et ses épigones à l'université que Spengler. La liberté de la recherche académique exige l'étude de tous les auteurs et de tous les courants de pensée fondamentaux, une exigence incontournable pour la critique, l'amélioration et la transformation de leurs théories et pour la promotion d'une jeunesse critique et éduquée. La stupidité capitale de certains libéraux et conservateurs est patente, qui, tels des inquisiteurs, ont accusé Marx de nous conduire au goulag ou au stalinisme. Il en va de même pour la pratique consistant à condamner Nietzsche pour avoir "inspiré" l'Holocauste, applaudir le chauvinisme masculin ou être un ennemi de la "démocratie". Stupidité même en raison du caractère rétroactif de la condamnation, une condamnation qui conduirait à la guillotine des personnes déjà mortes depuis des siècles, et à la guillotine morale et à l'ostracisme pour leurs exégètes.

Spengler ne présente aucun intérêt pour l'establishment académique. Il est associé, pour les plus mal intentionnés ou les moins informés, au nazisme, et ce, de manière générale. Chez certains intellectuels et chroniqueurs de la sphère plus conservatrice, il est pris en considération, et il est cité, très brièvement, comme un "philosophe du pessimisme", comme un "théoricien de la décadence". Et peu d'autres choses, je pense. Cependant, la philosophie de Spengler est arrivée en Espagne avec les meilleures références. Pour le public hispanophone, nul autre qu'Ortega y Gasset a fait office d'introducteur à son œuvre, et c'est lui qui a favorisé la publication de La Decadencia de Occidente ; et García Morente a entrepris une belle traduction. Le livre continue d'être lu et réimprimé et se trouve dans toutes les librairies et bibliothèques à dotation minimale. D'autres de ses œuvres, bien que moins importantes, sont également traduites ou republiées. L'intérêt pour la philosophie spenglerienne dans le monde hispanophone est incontestablement fort. Mais c'est un anathème dans la bulle universitaire. On continue à le lire, mais en silence et avec prudence ; on continue à le réimprimer, mais peu d'études, de relectures critiques, d'enquêtes sur son œuvre voient le jour. Cette situation soulève de nombreux doutes et questions dans mon esprit.

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Il me semble que cette situation est conforme à la biographie de l'auteur lui-même. L'enseignement de Spengler s'est déroulé au niveau de l'école secondaire et il n'a pas bénéficié des privilèges et du confort d'une chaire universitaire pour développer ses théories. Il y a eu des obstacles à l'achèvement de sa thèse de doctorat, et son travail a été initialement rejeté. C'était un homme dont les relations avec le pouvoir étaient toujours difficiles, un exemple d'indépendance intellectuelle face aux pressions et aux séductions du pouvoir en place, incarné à l'époque par le nazisme. Un intellectuel dont les idées sont influentes et, en soi, pleines de force, peut facilement être coopté, soudoyé ou, au contraire, ostracisé. La montée en puissance d'Hitler s'inscrit plutôt dans l'adoption de cette dernière catégorie. Les biographes savent qu'il n'y avait aucune empathie ou compréhension entre le Führer et le philosophe de Blanckenburg. Les différences étaient trop insurmontables, les pertes d'amis, tués sous la brutalité d'un Pouvoir qui s'éloignait de plus en plus du projet de "socialisme prussien", trop douloureuses. Spengler, me semble-t-il, était au fond un philosophe nationaliste allemand, substantiellement anti-nazi, partisan d'une conception hiérarchique et aristocratique du socialisme, proche du projet régénéraliste et corporatiste qui visait à faire de chaque Allemand un fonctionnaire au service de l'État. Ce projet ne pouvait être mené que par "les meilleurs", dans le meilleur sens platonicien du terme : l'aristocratie, le pouvoir des meilleurs. De l'ouvrier d'usine, au scientifique ou au technologue, en passant par l'entrepreneur, l'étudiant ou l'artiste, tout le monde, absolument tout le monde doit mettre sa volonté au service d'une Patrie, d'un État (Reich) qui, à son tour, étant situé "au milieu" de l'Europe, dans son propre cœur et sa propre moelle, doit chercher à contenir sa décadence. Ce socialisme spenglérien n'a rien à voir avec le national-socialisme hitlérien, dont le vrai visage apparaît en termes de mobilisation de "masses" dirigées par des cadres ignorants et brutaux. Le national-socialisme, en tant que bolchevisme qui, par son contenu, avait usurpé les idéaux nationalistes, conservateurs et révolutionnaires de toute une génération, ne pouvait être du goût de notre philosophe. C'est plutôt le contraire, en fait.

En somme, et au prix d'une lecture approfondie du livre dont je suis l'auteur, je voudrais souligner ici quelques thèses qui me semblent absolument révolutionnaires chez Spengler, ce sont les suivantes :

a) Nous ne devons pas identifier le "christianisme" avec la civilisation européenne. La distinction entre au moins deux christianismes, d'âmes complètement différentes, l'"ancien-magique" et le faustien. Notre civilisation n'est née que du christianisme faustien, c'est-à-dire du Moyen Âge.

b) Il n'est pas légitime d'identifier la civilisation gréco-romaine et la civilisation européenne. Comprendre que le père qui lègue pour mourir est un être complètement différent du fils qui hérite et fait un libre usage de cet héritage. L'organisme antique gréco-romain, qui est mort si lentement et a généré tant de pseudomorphoses, avait une âme complètement différente de l'organisme européen. Notre organisme n'est pas seulement postérieur dans le temps et héritier partiel de ces cadavres et ruines, il n'est pas seulement un organisme culturel avec des parties matérielles très différentes et des formes nouvelles qui naîtront comme conséquence de Covadonga (722) et Poitiers (732) : le christianisme faustien. C'est un autre être, un autre destin.

c) Aucune construction métahistorique linéaire, providentialiste, téléologique ou déterministe ne doit être admise. Chaque culture a son propre destin, la trajectoire générale de cet organisme suit son propre cours et seules les constantes les plus génériques permettent des comparaisons : une naissance, un développement, un zénith, un déclin... ses parties matérielles (races, peuples, territoires) et ses parties formelles (formes politiques, militaires, artistiques, "scientifiques") n'admettent que des analogies.

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d) L'Europe a le droit de réagir à sa ruine et de contenir son déclin. Par Europe, on entend l'ensemble de ses peuples. Il existe une unité d'"âme", un territoire défini, un cours de développement distinct de celui des autres civilisations. Sans ce type de réaction défensive, l'Europe serait depuis longtemps une extension de l'Afrique ou un appendice de l'Asie. Aujourd'hui, elle prend son temps face aux nouvelles menaces (perte de souveraineté nationale, islamisation, américanisation, substitution ethno-culturelle, mondialisation, etc.)

e) Le facteur précipitant de toute décadence, avant ou après les "invasions barbares" de toutes sortes, réside dans la barbarie interne et la montée de l'Ochlocratie. Le fait qu'une couche sociale de sans-racine et de parasites tend toujours à se former dans les grandes villes, couche qui, dans des conditions de crise axiologique profonde, émerge et devient visible, est le point de départ du déclin. C'est une couche croissante qui peut s'emparer du pouvoir, en parlant au nom du "peuple" : c'est l'un des plus grands dangers. C'est de cette couche que naissent les totalitarismes les plus sanglants. C'est cette couche de la base qui a toujours ouvert les portes de tous les murs défensifs contre l'arrivée des envahisseurs.

f) L'inévitabilité du socialisme. Le socialisme est compris comme l'autogestion par un peuple de ses propres ressources (terre, production industrielle, capital, force de travail). La noblesse elle-même, l'élite militaire et économique, les cerveaux de la technologie, les forces conservatrices, etc. devraient se rendre compte de son caractère inévitable. Il ne s'agit pas de "réagir" contre elle pour l'arrêter. Le réactionnaire perd toujours : il se bat contre le Destin [Schicksal]. Il s'agit, dans cette phase inexorable, d'assumer le socialisme mais dans une phase supérieure, non unilatérale : la "classe ouvrière" ne peut et ne doit pas créer une dictature. Ce serait un socialisme construit par l'alliance des classes, au lieu de la lutte des classes.

g) L'existence non plus d'une "Technique" en général, mais d'une technique propre à chaque culture et Civilisation. L'existence, également, d'un usage différencié selon l'âme et la civilisation de chaque invention. L'Europe a cédé sa créativité à d'autres peuples. Ses armes et ses inventions sont désormais entre les mains de ceux qui peuvent, au XXIe siècle, nous asservir.

Cette liste n'est pas exhaustive. L'œuvre d'Oswald Spengler regorge d'idées et d'intuitions, de programmes entiers pour la praxis et la théorie, des programmes qui peuvent aider à la reconstruction de l'Europe et de ses nations pour tout le siècle à venir. Saluons toutes les traductions et publications de son œuvre. Il est urgent de lire ses ouvrages. Les incendies sont déjà visibles près de chez vous. On entend déjà des détonations. Déjà l'odeur du sang et de la fumée. Le continent entier tremble. Tout doit être repensé, encore et encore, radicalement et depuis le début. Ce livre vous aidera.

jeudi, 14 avril 2022

Le diagnostic du déclin occidental (vu par Spengler)

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Le diagnostic du déclin occidental (vu par Spengler)

Il y a cent ans, Spengler publiait son essai monumental "Le déclin de l'Occident". Maintenant, la maison d'édition Aragno publie le deuxième volume de l'ouvrage en traduction italienne. L'occasion de reparler des concepts mis en avant par le philosophe allemand de l'histoire.

par Gennaro Malgieri

Source: https://www.barbadillo.it/103985-la-diagnosi-del-declino-occidentale-vista-da-spengler/

Une admirable description de la décadence des formes organiques, voilà ce qu'offre la fresque d'Oswald Spengler à ses lecteurs dans les pages du deuxième volume du Déclin de l'Occident, publié en 1922, il y a cent ans. Aujourd'hui, ils réapparaissent dans toute leur dramaturgie préconçue. Les "perspectives de l'histoire universelle" dans lesquelles l'auteur s'attarde, avec des références très cultivées, cachées dans les plis du temps des civilisations, sont celles parmi lesquelles, depuis quelques millénaires, nous, héritiers du faustianisme en liquidation, errons, perdus, contemplant parfois avec complaisance notre état de paria. La plante qui a poussé, grandi et s'est développée est en train de mourir. Le morphologue a l'obligation morale de nous sauver de nos illusions. Les civilisations sont des plantes. L'homme est une plante. Son début est sa fin. Avec lui, la Kultur se termine puis renaît, mais la perspective ne nous empêche pas de vivre avec la Zivilisation notre destin extrême.

Les civilisations, comme toutes les formes de vie, appartiennent au "monde organique" et répondent donc à un principe biologique. C'est pourquoi elles sont dotées d'une âme qui les caractérise. Avoir une histoire, cultiver un destin, c'est adhérer aux dictats de l'âme. Dans la période ascendante d'une civilisation (Kultur), les valeurs spirituelles et morales prédominent, donnant un sens à l'existence des êtres qui vivent selon les préceptes de la loi naturelle; l'existence communautaire est organisée en ordres, castes et hiérarchies ; un profond sentiment religieux domine dans le cœur des peuples, imprégnant l'art, la politique, l'économie et la littérature. Lorsque la civilisation vieillit et que son âme se flétrit, elle passe au stade de la "civilisation" (Zivilisation); le principe de la qualité est remplacé par celui de la quantité ; l'artisanat est remplacé par la technologie ; l'envahissement de la massification des goûts et des coutumes écrase les différences ; la ville, évoquant la vie de la campagne et organisée à l'échelle humaine, est remplacée par la mégalopole comme forme extrême de l'indifférentisme, une termitière sans dimension humaine ; les sociétés sont nivelées, l'hédonisme et l'argent sont les seules valeurs reconnues. Ce n'est que lorsque, avec l'avènement de la civilisation", écrit Spengler, "commence la marée basse de tout le monde des formes, que les structures des simples conditions de vie apparaissent nues et dominantes : Les temps viennent où le dicton vulgaire selon lequel "la faim et le sexe" sont les vrais moments de l'existence, cesse d'être ressenti comme une impudeur, les temps où ce n'est pas devenir fort en vue d'une tâche, mais le bonheur du plus grand nombre, le bien-être et le confort, panem et circenses, qui constituent le sens de la vie et où la grande politique cède la place à la politique économique comprise comme une fin en soi".

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Des mots qui semblent avoir été écrits en ces temps troublés : ils ont été pensés il y a plus d'un siècle, lorsque Spengler a voulu créer, vers les années 1910, un grand roman historique et s'est retrouvé, transporté par le sentiment de décadence, à décrire ce qui allait inévitablement se produire. L'heure du coucher du soleil est notre heure. Celui qui nous a mis devant ce destin sévère, aussi livide que les couchers de soleil d'hiver, est notre contemporain. Ses avertissements doivent être accueillis avec le sérieux et la préoccupation qu'ils méritent. Le politiquement correct, l'organisation gluante du consensus égalitaire, la culture de l'annulation, l'homologation des coutumes, des vices et de l'absence de vertus, la construction du "dernier homme" voué au happy end et à l'existence de fellah sont autant d'éléments d'un déclin qui ne peut être endigué, tandis que la gloire effrayante du nihilisme se réjouit de nos destins rétrécis.

Le deuxième volume du Déclin - publié quatre ans après le premier, qui a secoué les consciences les plus alertes de l'époque, et réédité il y a quelques années par Nino Aragno (pp. 787, € 40,00) dans son habituel format élégant et son remarquable choix graphique - est la manière la plus solennelle, compte tenu de l'époque, de déclarer un anticonformisme absolu dépourvu de justification. Et Spengler noue l'élémentaire avec le complexe, identifiant les symptômes de la décadence dans le mode de vie de l'Occidental qui a écrit sa fin dans le mode de vie standardisé.

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Voici les plus essentiels. La monumentalité des logements et des structures esthétiques, hideuses par définition puisqu'elles sont inspirées par le critère de l'utilité et non de la beauté pour réconforter nos petites âmes corrompues pour la plupart inadaptées à comprendre la grandeur, le pouvoir vulgaire de l'argent comme moteur de la vie bovine que nous menons, l'arrogance du démos inculte qui pousse la modernité jusqu'au sentiment de divertissement de masse nauséabond et terrifiant, sont les éléments qui connotent la fin de la Civilisation, les signes éloquents de la Civilisation.

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Le "royaume" dans lequel tout cela se déroule est la ville. C'est le portrait tragique de Spengler qu'il a formulé avec une heureuse et dramatique clairvoyance au début des années 1920, lorsque la deuxième partie du Déclin prenait forme : "Le colosse de pierre appelé 'cosmopolis' se dresse à la fin du cycle de vie de chaque grande civilisation. L'homme de la civilisation, façonné psychiquement par la campagne, devient la proie de sa propre création, la ville ; il est obsédé par sa créature, devient son organe exécutif et finalement sa victime. Cette masse de pierre est la ville absolue. Son image, telle qu'elle se dessine en lignes d'une beauté grandiose dans le monde de lumière de l'œil humain, recueille le sublime symbolisme mortuaire de tout ce qui est définitivement "devenu". L'histoire millénaire du style a finalement transformé la pierre spiritualisée des bâtiments gothiques en la matière désanimée de ce désert démoniaque et saxicole (= qui vit sur le roc, sur les rochers)".

Spengler dit, et nous ne pouvons que le constater, que les maisons qui composent les villes n'ont rien des origines archaïques du style ionique ou baroque, elles ne rappellent pas l'ancienne demeure paysanne, ce ne sont pas des maisons dans lesquelles les dieux peuvent trouver une place, comme sur les petits autels des maisons helléniques et romaines. Ce sont des maisons désacralisées. Les villes sont des agrégations anonymes dans lesquelles on célèbre la frénésie orgiaque d'une vie sans but, comme l'aurait dit le plus grand poète allemand du 20ème siècle, Gottfried Benn, dans ses poèmes déchirants: "Les maisons sont les atomes dont elles sont composées". La deuxième partie du Déclin célèbre le mythe de la Zivilisation faustienne.

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Le chapitre intitulé "L'âme de la ville", qui constitue le cœur du livre, propose les tons, les couleurs et les angoisses qui seront rendus célèbres par le chef-d'œuvre de Fritz Lang, Metropolis (1927). À l'arrière-plan se trouve "notre" avenir, le monde romain, dont le faustisme trace inévitablement les contours politiques. La monumentalité et la corruption, la domination de l'argent comme force prépondérante des pouvoirs obscurs du démos, c'est-à-dire les éléments constitutifs du césarisme, se mêlent à une perception de la modernité que l'on pourrait qualifier de psychédélique. Et dans ce tourbillon d'éléments hétérogènes, au centre duquel se prépare la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale, l'œil de Spengler voit plus et mieux que ses contemporains. Ses "erreurs", a écrit Ernst Jünger, "sont plus significatives que les vérités de ses adversaires".

De la dissolution des formes organiques aux baraquements. La métaphore de la décadence est complète. Et pour la compléter, elle se déploie dans le déclin de la prolificité, dans la virilité flétrie, dans la fin de la fonction royale et maternelle des femmes, dans le repli de l'amour sur une sexualité dépourvue de séduction et d'érotisme, dans l'existence du guerrier réduit à un militarisme bureaucratique dépourvu d'héroïsme.

Spengler ne néglige aucun aspect du chemin de transformation de la vie associée jusqu'à son déclin.

La deuxième partie du Déclin est l'admirable ascension de l'intelligence dans le vertige de l'histoire de l'homme occidental. Contrairement à la première partie, le "paysage" domine la description morphologique. Et ce qui en ressort sont des joyaux de génie authentique dans la composition et la décomposition des âges jusqu'à nos jours.

Dans des pages à la fois séduisantes et choquantes, comme une tempête nocturne qui nous empêche de dormir, l'œil de Spengler poursuit le tourbillon des éléments constitutifs de la civilisation et, tout étourdi que nous soyons, réussit à nous faire comprendre l'état dans lequel nous nous trouvons. Le char de la civilisation est descendu jusqu'à nous. Les marchandises qu'il transporte sont de peu de valeur. Que se passera-t-il après le naufrage de la dernière illusion, le césarisme ? Spengler répond à cette question par la phrase qui clôt son livre prophétique, tirée des Épîtres à Lucilius de Lucius Anneus Seneca : Ducunt fata volentem, nolentem trahunt (Le destin guide ceux qui veulent être guidés et entraîne ceux qui ne le veulent pas).

On ne peut rien ajouter d'autre, sinon que face à tous les couchers de soleil de nos fragiles existences, la prière reste le dernier acte de l'esprit, tandis que l'intelligence, se tournant vers les pages de Spengler, peut saisir les signes d'un destin qui n'est qu'apparemment indéchiffrable. Ce que l'on ne comprend pas, c'est parce que l'on ne le connaît pas. Oswald Spengler paie sa dette d'homme du vingtième siècle envers l'humanité souffrante dont il fait partie en enlevant les voiles de la réalité qui dissimulent les falsifications de la modernité afin de nous relier au passé, dans la vision cyclique de l'histoire, non pas pour le restaurer, mais pour comprendre l'avenir pour ceux qui l'auront.

@barbadilloit

Gennaro Malgieri

mardi, 18 janvier 2022

Nikolaï Danilevsky et l'idée eurasienne

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Nikolaï Danilevsky et l'idée eurasienne

Shahzada Rahim

Source: https://www.geopolitica.ru/en/article/nikolay-danilevsky-and-eurasian-idea?fbclid=IwAR3ocK6RfHL3YC5VGp5SplZMpblKB3ZJnZYzXKnGxLdzOkqFAw3fZbNTw6Y

Tout au long de l'histoire de l'humanité, l'idée de structurer de grands continents a fait l'objet de controverses et de débats. Le mot "Continent", ici, ne représente pas la division naturelle et factuelle de la surface terrestre, mais plutôt un objet discursif, qui englobe l'histoire, des modèles spécifiques de société, et entend signifier l'existence d'une civilisation unique. À cet égard, le mot "continent" n'est pas un pur concept géographique, mais plutôt un phénomène méta-géographique. De plus, dans la version méta-géographique, l'idée des grands continents tels que la Grande Europe, le Grand Occident et la Grande Eurasie a été mystifiée, mythifiée et imaginée pour des raisons ontologiques, civilisationnelles et messianiques. 
 
En ce qui concerne l'idée de "Grande Eurasie", c'est la contribution intellectuelle de célèbres eurasianistes tels que Nicolas Berdiaev, Vladimir Soloviev, Nikolaï Danilevsky, Lev Gumilev et Alexander Douguine, qui ont développé l'idéologie de l'eurasianisme ou l'idée d'Eurasie. Ces intellectuels ont transposé l'idée d'Eurasie dans les sphères politique, sociale, théologique, culturelle, économique et civilisationnelle. En outre, tous ces intellectuels étaient des Russes, qui ont lancé l'idée de la "Grande Eurasie" d'un point de vue géographique. Fondamentalement, c'est toutefois le concept de "l'idée russe" avec son orientation spirituelle, inventé par le philosophe russe Nicolas Berdiaev, qui a entouré l'idéologie eurasienne en joignant l'universalisme russe au particularisme russe. Comme l'affirmait Berdiaev, "l'idée russe dans son ensemble déclare que les Russes sont des personnes appartenant à un type religieux et sont religieux dans leur constitution spirituelle".
 

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Parmi les eurasistes, c'est le philosophe et intellectuel russe du XIXe siècle, Nikolaï Danilevsky (1822-1885), qui a développé l'idée d'une Eurasie entourant les lignes culturelles et spirituelles.
 
Il a formulé ses idées géopolitiques dans son célèbre livre La Russie et l'Europe publié en 1869. En conséquence, le cours de l'histoire de l'Europe au XIXe siècle a été marqué par la concurrence inter-impériale, les révolutions de 1848 qui ont plongé le continent dans une turbulence généralisée, et les guerres visant des conquêtes territoriales. À cet égard, Nikolaï Danilevsky a développé sa critique des idéaux des Lumières occidentales et de leur menace pour la civilisation conservatrice russe et est-européenne. Par conséquent, avec sa critique sur des bases spirituelles et culturelles, Danilevsky a lancé l'idée d'une rupture que la Russie devait parfaire d'avec l'Europe occidentale dégénérée, devenant ainsi l'un des principaux slavophiles du XIXe siècle. 
 
En tant que slavophile, Danilevsky considérait la modernité occidentale comme "l'autre" (antagoniste) de la Russie, comme son principal ennemi. Pour Danilevsky, la Russie est socio-culturellement distincte de l'Europe car, du point de vue de la civilisation, la Russie est le cœur de l'Eurasie et non de l'Europe. En revanche, la Russie, en tant que noyau organique de l'Eurasie, est une civilisation distincte, indépendante de celle de l'Europe, qui offre un spectacle distinct pour toute approche politique, économique et culturelle. En outre, dans son célèbre ouvrage intitulé La Russie et l'Europe, Danilevsky a critiqué la tentative d'occidentalisation de Pierre le Grand deux siècles plus tôt, qui a transformé la société russe en une forme archéo-moderne. 
 
En tant que philosophe de l'histoire, il considérait que l'origine et le progrès de la civilisation russe étaient complètement différents de ceux de l'Europe. Pour envisager cette perspective, il a proposé de repenser l'approche universelle de l'histoire, en rejetant la vision linéaire du processus historique. Pour Danilevsky, l'histoire dite mondiale n'est pas capable de repérer et d'identifier les "types historico-culturels" locaux. Seul le célèbre historien britannique Arnold Toynbee a correctement compris la nature distinctive de l'État russe. Comme il l'a fait remarquer, "la Russie est un État de type byzantin... l'Église peut être chrétienne ou marxiste, tant qu'elle se soumet à l'instrument séculier du gouvernement - et sous la faucille et le marteau, comme sous la croix, la Russie est toujours la "Sainte Russie" et Moscou est toujours "la Troisième Rome"". 
 

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À cet égard, la description de l'État russe par Toynbee (photo) décrit la société russe comme l'antithèse complète de l'Occident. Cependant, dans la perspective de Danilevsky, la Russie, en tant que masse terrestre sans hauts reliefs et de nature géographique, se trouve au centre de l'Europe et de l'Asie, ce qui établit une relation inhérente avec l'Eurasie à travers diverses lignes historiques, géographiques et civilisationnelles. De même, l'Eurasie, en tant qu'espace sacré, épouse une civilisation distincte, multiculturelle et multiethnique, et se présente donc comme le véritable symbole de l'identité collective. C'est en raison de ce multiculturalisme pluriel et organique à travers l'immense masse continentale continue que Danilevsky a dénoncé la notion occidentale d'"humanité universelle". Pour Danilevsky, le phénomène de "l'humanité universelle" manque d'originalité et d'essence véritable, et pour remplacer cette notion abstraite, il a introduit le concept de "toute l'humanité" qui correspond à la grandeur du multiculturalisme. 
 
Au contraire, en remaniant l'impression d'identité collective au sein de l'essence eurasienne, Danilevsky a formulé cinq lois majeures concernant le développement de "types historico-culturels" et d'identités typiques.
 
La première loi traite de l'homogénéité linguistique qui délimite une communauté spécifique. La deuxième loi traite de la souveraineté politique au cours de la croissance de la communauté. De même, la troisième loi porte sur la formation d'une culture unique qui distingue une communauté spécifique des autres. De même, la quatrième loi traite de la diversité ethnique et politique au sein d'une topographie donnée. Enfin, la cinquième loi traite du développement de la civilisation avec certains attributs démographiques entourant la topographie spécifique. 
 
À la lumière de ces lois, selon Danilevsky, la Russie, sur le grand horizon de l'immense masse continentale eurasienne, annonce l'avènement d'un type culturel unique qui soutient l'hybridité ethnique et culturelle en formant une civilisation hétérogène basée sur l'identité. C'est d'ailleurs grâce à cette hybridité culturelle et ethnique que la Russie a pu établir une grande civilisation parallèle au monde romain-germanique. Enfin, lorsqu'il s'agit du discours eurasien contemporain, en particulier du point de vue russe, l'œuvre savante de Nikolaï Danilevsky occupe une place particulière dans l'histoire politique russe. 

samedi, 20 novembre 2021

La philosophie de l'histoire de Spengler

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La philosophie de l'histoire de Spengler

Rudolf Jičín

Ex: https://deliandiver.org/2007/10/spenglerova-filosofie-dejin.html

La conception spenglérienne de l'histoire en tant que développement de cultures humaines individuelles est basée sur Kant. Le monde n'est pas une chose en soi, c'est un phénomène. Si quelque chose, n'importe quoi, doit exister pour nous, il doit entrer dans notre conscience et ainsi prendre ses formes. Ce qu'elle est sur et pour elle-même est indétectable pour nous. Notre monde, ou le monde, n'est donc rien en soi, mais c'est la totalité de ce qui nous apparaît et de ce que nous apportons à ces phénomènes de l'intérieur, c'est notre connaissance. Le monde et la connaissance, si nous comprenons le terme "connaissance" de manière assez large, sont la même chose.

La connaissance se produit dans certaines formes de sensibilité et de raison a priori qui nous sont données et auxquelles nous ne pouvons échapper. Notre monde prend donc nécessairement, du point de vue de la sensibilité, la forme de l'espace et du temps en particulier, et du point de vue de la raison, la forme de la compréhension causale des phénomènes. Pour le Kant à la pensée anhistorique, ces formes sont identiques pour tous les sujets humains de tous les temps et de tous les types. Ce n'est pas le cas du philosophe de l'histoire Spengler. Les formes sensibles et rationnelles sont identiques à certains égards, mais elles diffèrent aussi toujours à certains égards. Spengler suit ici Nietzsche et Chamberlain, mais nous trouvons l'idée dans sa forme fondamentale chez Leibniz. Il n'y a pas d'identité dans la nature, seulement de la similitude. Aucun sujet (monade) ne peut être absolument identique à un autre et, par conséquent, leurs formes cognitives doivent différer. Il n'y a pas un seul type de sujet humain qui évolue vers le haut quelque part et qui est constamment "perfectionné", peut-être comme le design d'une voiture ou d'un avion, mais différents sujets de différents types de personnes qui ont émergé historiquement, créant leur monde spécifique de formes, leur cognition et leur culture. Il n'y a donc pas un seul "monde", un "monde entièrement humain", mais de nombreux mondes, c'est-à-dire des mondes bien spécifiques et différents les uns des autres, bien que toujours similaires à certains égards, des mondes de sujets différents. La connaissance n'est pas une évolution de la raison "humaine". Cette raison prétendument universelle, la raison en tant que telle, n'est qu'une projection de notre raison spécifique dans l'histoire de la connaissance.

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La division de la connaissance entre sensible et rationnel est en grande partie un schéma artificiel. Nous savons déjà, depuis Berkeley, que toute perception sensorielle s'accompagne d'une activité de la raison. Par exemple, l'identification d'un objet présuppose la participation de la mémoire et la capacité de généraliser. Goethe, auquel Spengler se réfère souvent comme source principale pour sa philosophie de l'histoire, divise différemment le monde du sujet, à savoir en "ce qui arrive" et "ce qui est arrivé". La vie est un flux d'événements. La raison interprète cet événement en le traduisant en formes généralisées de concepts et d'idées. "Ce qui s'est passé" peut alors être compris comme une connaissance dans un sens plus étroit.

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Ce qui est vrai du sujet individuel l'est aussi des sujets collectifs. Leur vie passée, leur histoire, est également un flux, ou plutôt un ensemble de nombreux flux, quelque chose qui se passe, en cours, un "happening" - mais avant, pas aujourd'hui. D'autre part, l'historiographie, la description et l'interprétation de cet événement, ne peut que témoigner de "ce qui s'est passé", c'est-à-dire qu'elle pétrifie cet "événement" antérieur, le transforme sous la forme de concepts et d'énoncés périmés, "sans événement". La présence du "happening", la présence passée, ne peut être saisie que sous forme de pensée, c'est-à-dire sous forme de "devenir". L'histoire telle qu'elle s'est passée, l'histoire "réelle", est donc différente de l'historiographie, un traité sur l'histoire. L'historiographie est toujours le point de vue d'un sujet particulier ou d'un ensemble de sujets, c'est-à-dire de personnes pensantes d'un type culturel particulier et d'une époque particulière. Elle est déterminée à la fois par la gnoséologie, car le "se produire" est toujours différent du "devenir", et par la diversité des sujets, de leurs formes cognitives et de leurs mondes. "Chaque époque a sa propre histoire du passé... Chaque époque imagine le passé selon elle-même", dit Feuerbach.

Dans le "happening", dans l'histoire, le facteur déterminant n'est donc pas la raison, mais quelque chose qui la dépasse, ce qu'on peut appeler l'essence, la nature, le caractère, l'âme d'un certain type d'homme, ou dans la manifestation de l'homme sa volonté. Ici, Schopenhauer a eu un effet sur Spengler. Dans l'histoire, comme dans la vie de l'individu, la raison joue un rôle servile ; elle n'exécute que ce qui lui est donné par l'âme, ce que la volonté veut, et cherche divers moyens de le réaliser. C'est pourquoi nous ne trouvons pas dans l'histoire un seul courant d'art, de science, de religion, de philosophie, mais leurs différents styles selon les types respectifs d'âmes humaines. Si la raison était déterminante, tous les hommes seraient essentiellement les mêmes, seraient des "rationalistes" et agiraient pour des raisons "rationnelles". Mais il y a toujours autre chose derrière la rationalité, à savoir ce qui est poursuivi rationnellement, et cela est inexplicable par la seule rationalité. Les anciens Égyptiens ont construit les pyramides de manière rationnelle, mais la raison pour laquelle ils les ont construites ne peut être comprise à partir de la seule rationalité. La chose primordiale est la volonté, le fait qu'ils aient voulu quelque chose, et cette volonté est l'expression de leur caractère spécifique, de leur nature, de leur âme.

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Si l'histoire avait été gouvernée par la raison, c'est-à-dire, en fait, la raison telle que nous l'imaginons aujourd'hui, car nous sommes incapables de comprendre par ce terme autre chose que ce que nous donne notre conception de la vie et notre nature, à savoir la raison utilitaire, alors les hommes qui nous ont précédés ont dû être les mêmes "rationalistes" que nous, mais avec moins de connaissances et peut-être une pensée moins développée. Mais alors il leur serait impossible, par exemple, de construire des maisons gothiques ou baroques avec des décorations irrationnelles et des formes complexes complètement inutiles, dysfonctionnelles et inutiles, mais ils devraient consacrer tous leurs efforts, comme nous, à des questions d'hygiène, de confort et de "goût".

L'histoire ne confirme pas notre rationalisme. Ils ne confirment pas une quelconque "évolution de l'homme", d'une sorte de singe à l'homme préhistorique, puis de l'antiquité à nous en passant par le Moyen Âge. L'homme d'un âge plus récent ne peut pas être dérivé de manière causale de l'homme d'un âge plus ancien. Si l'évolution de l'homme, de sa raison et donc aussi de sa création devait se faire, disons, à partir des anciens Égyptiens comme l'imaginent les "rationalistes" d'aujourd'hui, les Grecs auraient dû construire des pyramides encore plus hautes que les Égyptiens, et aujourd'hui nous devrions les construire à au moins 5 km de hauteur. Ce serait un développement "logique". Il ne serait pas non plus difficile de nous insérer à l'endroit approprié dans la série d'images panoptiques des anthropologues, en commençant par une sorte d'"homme-singe", qui est censé être un enfant de la fin du Tertiaire, mais qui est en fait tout à fait contemporain, un orang-outan cosmétiquement modifié, et se terminant par l'apparence tout aussi humoristique d'un "intellectuel" du trentième siècle, doté d'un énorme front super haut, d'une petite bouche, d'un minuscule menton et peut-être d'une couleur de visage universelle, apparemment un mélange de blanc, de jaune et de noir. Mais, par exemple, les types d'hommes anciens et germaniques, sans parler des Chinois et autres, ne présentent pas de différences qui permettraient de les placer dans une telle série, et les Grecs ont commencé à construire des temples antiques au lieu de pyramides, et les Allemands des cathédrales gothiques. L'art grec n'est pas une continuation de l'art des civilisations antérieures, et encore moins de la préhistoire. Et comment expliquer, par exemple, l'extinction de la pensée grecque et la montée du christianisme ? Peut-être le "progrès de la raison" ou peut-être un "changement dans les relations de production"?

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Expliquer l'histoire de l'humanité comme un enchaînement logique de causes et d'effets est inutile, car nous la soumettons toujours à un expédient, non pas objectif, car nous n'en connaissons pas, mais taillé à la mesure de nos idées présentes. De même que les images des anthropologues mentionnées ci-dessus découlent de leur idée subjective que l'homme devient de plus en plus intelligent par l'évolution, c'est-à-dire de l'idée que l'histoire de l'homme et peut-être même de l'univers poursuit comme but la création d'êtres toujours plus "intelligents", de même les idées des optimistes de la science et de la technologie découlent d'une conception subjective de la finalité du monde comme un quantum toujours croissant de découvertes, de vérités et de produits matériels. Ainsi, nous ne pourrons jamais expliquer d'où viennent les nouvelles races, les nouveaux peuples dotés d'aptitudes bien spécifiques, d'aptitudes bien particulières, jusqu'alors inédites. Peut-on les déduire de la précédente "histoire de l'humanité" comme étant les résultats de certaines causes ? D'où venaient ces Hellènes, par exemple ? Comment pouvons-nous les déduire ? D'où ? Ou, d'un autre côté, imaginons que seuls les Chinois vivent sur cette planète. Une culture et une civilisation de notre type actuel naîtraient-elles jamais dans le monde ? Y aurait-il une musique, une peinture, une technologie européennes ? Est-il concevable que les Chinois seraient parvenus à ces formes s'ils avaient eu 5000 ans de plus ? Et pourquoi, en fait, n'y sont-ils pas parvenus depuis longtemps ? Seul Spengler peut répondre à cette question : la volonté chinoise était dirigée dans une autre direction, poursuivait d'autres objectifs, posait d'autres questions. Son âme était différente.

imoswwages.jpgL'homme n'est pas un produit de son environnement, il n'est pas créé par des influences extérieures. Par conséquent, il ne peut être expliqué de manière causale. Däniken suggère que les tours des temples gothiques ressemblent à des fusées et sont donc le souvenir d'une visite d'"extraterrestres". Ce qui est intéressant, ce n'est pas tant la comparaison elle-même que la manière dont Däniken y est parvenu. Cette approche typiquement mécaniste et complètement erronée de l'explication des événements historiques n'est malheureusement pas l'apanage du "peu sérieux" Däniken d'aujourd'hui. La culture ne naît pas du fait que quelqu'un entend ou voit quelque chose quelque part, puis l'imite ou s'en souvient. La culture ne vient pas à l'homme de l'extérieur, mais découle de lui comme une expression de son moi intérieur, de son âme. Däniken a raison de dire qu'il existe une similitude de forme entre un clocher d'église et une fusée. Mais s'il y a une raison à cela, nous ne pouvons pas la chercher causalement dans une certaine continuité des idées sensorielles, mais dans la similitude des âmes et de leurs désirs. Selon Spengler, la caractéristique essentielle de l'homme d'Europe occidentale est l'aspiration à la distance, l'élan vers l'avant et vers le haut, le désir de l'infini. Et c'est ce désir qui s'exprime à la fois dans la tour gothique et dans la fusée. Dans le premier cas, il s'agit de l'expression de la nostalgie de Dieu dans les cieux, dans le second de la pénétration des espaces infinis de l'univers. Les deux sont des expressions du même type d'homme, de la même âme, seulement à des périodes différentes de son développement : dans le premier cas, au début de la culture, à l'âge du mythe et de la vraie religion ; dans le second, à la fin, dans sa période de civilisation, caractérisée par le rationalisme, la science et la technologie.

L'histoire n'est pas un mystère technique, mais un mystère métaphysique. Rien de substantiel ne peut être expliqué en répondant à la question de l'artisan qui a posé des pierres les unes sur les autres. En effet, à l'origine, il n'y avait pas ces pierres et l'idée rationaliste qu'elles pouvaient être posées les unes sur les autres jusqu'à former une pyramide, mais - de façon tout à fait platonicienne - l'idée de la pyramide, le produit mystérieux d'une âme humaine spécifique et de ses étranges désirs, et ce n'est qu'ensuite que cette idée a cherché les moyens et les méthodes pour sa réalisation. Le développement de la pensée technique ne nous apprend pas grand-chose sur l'histoire de l'homme, car cette pensée n'est pas primaire et essentielle, mais secondaire, déjà une manifestation, une réalisation de quelque chose d'autre. Il faut avant tout s'intéresser aux sentiments de l'homme qui a réalisé certaines créations techniques, et ensuite seulement aux moyens et méthodes par lesquels il les a réalisées. Ce sentiment, la vision de la vie et du monde au sens large, est le véritable mystère primaire à résoudre, et non pas quelques problèmes de leviers et de poulies, de moyens de production, de forces et de relations. L'interprétation matérialiste, quelle qu'elle soit, entre toujours en conflit avec les faits fondamentaux de l'histoire et n'explique jamais rien, car elle pose des questions de manière mécaniste. L'homme tel que nous le connaissons dans l'histoire n'est pas un simple "améliorateur". S'il l'était, l'histoire devrait être un peu différente.

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Tout comme des peuples et des cultures spécifiques émergent soudainement dans l'histoire, les personnalités font de même. Les explications causales ne peuvent pas non plus être appliquées ici. Il n'est jamais arrivé auparavant que le génie engendre le génie. Les enfants de génies sont médiocres. Il s'ensuit que les génies sont nés de médiocrités, et donc que leur émergence est inexplicable par le raisonnement génétique. Un génie n'est pas le résultat de l'empilement des gènes de ses parents. La causalité, l'enchaînement des causes et des effets matériels, n'est d'aucune utilité ici, et même si nous supposons qu'elle existe "objectivement", elle ne nous dit rien dans ce cas car elle est indétectable. Cependant, la causalité n'a rien d'objectif. Nous savons, grâce à Kant, qu'il ne s'agit que de notre façon de penser, rien qui soit extérieur à nous, quelque part dans le monde "objectif". C'est juste la méthode de notre raison pour expliquer les événements tels qu'ils nous sont donnés par nos sens.

Et toute autre explication de tout développement, en particulier de l'histoire humaine, est aussi absurde que les explications génétiques causales des caractéristiques individuelles. Il y a aussi des génies : des nations, des tribus géniales. Et leur existence, avec leurs caractéristiques spécifiques, leurs capacités, et aussi toujours avec des limitations très spécifiques, ne peut être comprise par une quelconque compilation de connexions causales. Ainsi, la causalité et toutes les sciences fondées sur elle ne conviennent qu'aux cas ordinaires, et non aux cas exceptionnels. Plus un phénomène est courant, plus il est causal ; plus il est exceptionnel, plus il défie la causalité et la logique. Mais ce sont les cas exceptionnels qui sont importants et décisifs pour l'histoire de l'humanité. Ce qui est commun, ordinaire, médiocre est en dehors de l'histoire, car le développement historique ne peut naître de rien de tel. S'il n'y avait pas d'exceptions, alors, bien sûr, l'histoire serait effectivement ce que les matérialistes obsédés par les explications causales "scientifiques" pensent qu'elle est : la simple accrétion de l'ordinaire, le développement constant des "forces de production". Mais nous savons que l'histoire n'est pas comme ça. L'histoire des individus, des nations, des cultures, de l'humanité ne peut être calculée.

indkpkkkex.jpgSi tout, ou du moins l'essentiel de l'histoire, se déroulait selon un lien de causalité, il n'y aurait pas de problème particulier à prédire scientifiquement l'avenir. Et en effet, une telle prédiction existe ! Il s'agit même d'une discipline scientifique particulière ! La superficialité et la banalité de la futurologie ne sont qu'une preuve supplémentaire de la folie des idées évolutionnistes matérialistes.

Puisqu'il n'y a pas de développement quantitatif continu de la raison ou de quoi que ce soit d'autre dans l'histoire, mais le développement de types humains individuels, et non pas un développement dirigé vers l'infini, mais - comme l'expérience biologique et historique élémentaire nous le dit - l'émergence, la montée, le développement, le déclin et l'extinction des types, il est impossible de parler du développement de l'humanité dans son ensemble. Nous entendons ici Nietzsche et d'autres prédécesseurs de Spengler : Chamberlain, Danilevsky. Toutes les hypothèses d'un tel développement ne sont que des spéculations de personnes qui font passer leurs idées sur les buts et les objectifs du développement historique pour des "lois objectives". Mais "l'humanité", ce n'est pas seulement eux. Il fut un temps où les gens poursuivaient des intérêts bien différents de l'utilité fonctionnelle de chaque chose, telle que nous y avons succombé, se préoccupaient de problèmes autres que l'élévation du "niveau de vie", et créaient à partir de leurs âmes spécifiques leurs mondes de phénomènes, leurs cultures et leurs civilisations. Mais ces personnes, comme tous les êtres vivants, ont fini par s'éteindre, et il n'y a aucune raison de penser que nous, avec nos images de vie, notre âme, notre culture et notre civilisation, ferons exception.

Spengler distingue, outre la Russie, qui est un cas particulier, huit cultures dites élevées dans l'histoire, à savoir la culture chinoise, indienne, babylonienne, égyptienne, antique, arabe, mexicaine et la culture actuelle de l'Europe occidentale, qu'il qualifie également de faustienne. Ces cultures sont des formes distinctes, causalement inséparables l'une de l'autre, qui ne se développent pas l'une de l'autre. Chaque culture, dans toutes ses manifestations de vie, possède ses propres caractéristiques, qui sont l'expression du type de personne qui la crée. Les cultures ne poussent pas les unes des autres comme les branches d'un arbre, mais chacune représente un arbre particulier, individuel, avec sa naissance, sa jeunesse, sa maturité, sa vieillesse, son déclin et sa mort. Cela correspond également à l'expérience historique. Il est impossible de prédire ou de déduire de manière causale quand une nouvelle culture apparaîtra et quelles seront ses formes, tout comme il est impossible de calculer la naissance d'un génie. On ne peut parler d'eux que lorsqu'ils sont là.

La méthode de compréhension du monde mort, selon Spengler, est la loi mathématique ; la méthode de compréhension des formes vivantes est l'analogie. Par conséquent, la compréhension de l'histoire humaine ne peut être abordée en recherchant des continuités causales de formes, mais seulement en les comparant les unes aux autres. Les formes individuelles ont été pour nous depuis le troisième millénaire avant J.-C. les grandes cultures. Si nous voulons lever un tant soit peu le voile du mystère, nous devons les comparer et rechercher leurs caractéristiques communes et générales. En effet, nous constatons que leur développement du début à la fin est similaire à bien des égards. La culture prend naissance lorsque le château, avec sa noblesse guerrière au pouvoir, et l'église, avec son clergé, s'élèvent au-dessus du paysage agricole. Dans la phase suivante, la ville apparaît comme l'antithèse du village et continue à prendre de l'importance. C'est là que se développent les arts et, plus tard, les sciences. Le citadin triomphe sur le noble, le marchand sur le guerrier, l'argent sur le sang. Avec la croissance des villes, la culture passe au stade de la civilisation. La dernière classe est mise en avant : le peuple. Avec elle, ses idéologies, notamment le matérialisme et le socialisme, s'installent. La victoire des masses signifie un nouveau déclin des valeurs, tout est déjà en voie d'extinction. Les petites villes deviennent les périphéries insignifiantes des villes géantes, les petits États les périphéries des grands États. Le monde est dominé par de moins en moins de grandes puissances. La démocratie dégénère en tyrannie, l'art s'éteint, toutes ses formes sont épuisées, et il ne reste que des efforts civilisateurs et matérialistes. La science et la technologie sont encore florissantes pendant un certain temps. Alors il n'y a plus rien à poursuivre, les idées qui animaient l'âme meurent. C'est la mort de la culture. Sur leurs ruines, au lieu des nations qui aspiraient à quelque chose, il reste une simple population qui veut vivre en privé, rien de plus, rien d'autre. Le sens du "nous" et le désir commun de faire quelque chose n'existent plus. C'est l'ère finale du féodalisme sans héritage et du césarisme. C'est un moment à Pékin, qui dure mille ans.

Dans Le Déclin de l'Occident, Spengler retrace en détail les analogies du développement de chaque culture séparément dans tous les aspects de la vie, en comparant leur art, leur science, leur économie, leur politique, leur état, leur philosophie, leur religion, leur droit. Notre culture, la culture de l'Europe occidentale, dit-il, se caractérise avant tout par l'aspiration aux distances, à l'infini, comme cela se manifeste au début dans sa religion, qui est une religion différente du christianisme originel du chaos des peuples du pourtour méditerranéen, et plus tard dans l'art, surtout dans la peinture de paysage avec ses horizons infinis, dans le portrait avec son regard sur les profondeurs incommensurables de l'âme humaine, et dans la musique comme un art à part entière, exprimant le plus complètement le sentiment de la vie de cet homme. Sa science et sa technique dynamiques, basées sur la catégorie de la puissance, de l'énergie, découlent également de ce sentiment. Notre culture commence aux alentours de l'an 1000, atteint son apogée artistique à l'époque baroque, passe au stade de la civilisation au début du 19ème siècle, et s'approche maintenant de sa fin. Par analogie avec d'autres cultures, Spengler estime la durée de cette culture à environ mille ans.

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Selon Spengler, toutes les visions optimistes, qu'elles soient marxistes à propos d'un paradis communiste, professorales à propos d'une humanité toujours cultivée qui se dirige en progrès constant vers les normes de justice et de liberté, ou technocratiques à propos de la transformation de l'homme dans la société "post-industrielle" de surabondance qui s'approche, doivent être incluses parmi les anecdotes, car elles méconnaissent l'homme et créent encore des illusions sur lui et sur l'histoire. Le monde humain et le monde de chaque communauté humaine, tout comme le monde de chaque individu, ne sont pas régis par la raison, la morale ou l'économie, mais par la volonté, qui est immuable et aveugle. L'homme ne peut pas changer ses désirs, ses passions et ses instincts. C'est donc en fonction de ces passions que sont gouvernées sa raison, sa moralité et les tendances de l'économie. Si l'âme d'une culture change en son sein, c'est parce que d'autres personnes, des membres d'autres classes, des personnes à la pensée et aux sentiments quelque peu différents, accèdent au pouvoir effectif. Mais à la fin d'une culture, il n'y a pas d'autres possibilités de transformation interne. C'est, selon Spengler, notre cas.

La prédiction de Spengler était fausse à bien des égards, et à bien des égards, elle se réalise. La science et la technologie sont loin d'être épuisées. La complexité non seulement de la pensée mais aussi de la vie se poursuit, même à un rythme toujours plus rapide. Cette tendance doit-elle vraiment se terminer un jour par un effondrement ? C'est la question qui préoccupe les intellectuels. La pensée scientifique et technique ne se pose pas la question et travaille, réfutant par l'action le pronostic pessimiste de Spengler.

Si, au contraire, nous voulons accorder à Spengler le bénéfice du doute, nous pouvons tout d'abord affirmer que le progrès matériel amène la planète entière au bord de la destruction. L'air devient irrespirable, l'eau imbuvable. Pourtant, on croit généralement que la science sauvera ce qu'elle a causé. Tout "le peuple" court frénétiquement après la prospérité matérielle ; la société ne connaît plus de problèmes sérieux autres qu'économiques. La culture vit du passé, les nouveaux arts ne sont que des expositions ou de la médiocrité, le goût prime sur le style. Le grand art ne sert qu'à donner à la foule une apparence occasionnelle de solennité et de "culture". Mais son cœur est attiré par le kitsch, il l'aime et le vit profondément. Et en musique, on ne doit même plus l'appeler ainsi ! La musique pop, ce crachat sur toutes les grandes valeurs du passé, n'est plus kitsch, mais une sorte d'art. Les passions de la foule s'affirment avec une insouciance absolue. L'automobilisme dans les grandes villes pollue l'air au point que la population est en danger d'empoisonnement lent, mais personne ne doit s'opposer à cette passion populaire la plus massive et la plus destructrice. Plus les horreurs à l'horizon sont grandes, plus les préoccupations qui occupent le peuple sont triviales. L'importance de la mode, qui change à des intervalles de plus en plus courts, a énormément augmenté. Tout le monde veut voyager constamment, tout voir, tout absorber. Une grande importance est accordée au sport, comme si le résultat d'un match était un événement historique dont dépendait le sort du monde. Pourtant, en quelques jours, tout est oublié, il y a à nouveau de nouvelles sensations. La foule est toujours informée des nouvelles. Cette néophilie annule toute notion de valeur, il n'y a plus rien de durable. Les valeurs éthiques ont disparu. Des concepts comme l'amour, l'amitié, l'honneur, la fierté, la bravoure, la loyauté ont perdu leur sens profond. Il y a une surenchère pour l'avantage personnel et le "succès". Dans une société atomisée d'individus "auto-réalisateurs", personne n'est prêt à sacrifier quoi que ce soit pour l'ensemble. Et au-dessus de tout cela plane le spectre inquiétant de la mort atomique.

La vie devient de plus en plus artificielle et organisée. Mais alors qu'auparavant, il n'y avait que des tentatives d'organiser les masses d'en haut, aujourd'hui la foule s'organise d'ailleurs elle-même. Il a besoin d'organisation autant que d'artificialité. Il joue parfois les amoureux de la nature, mais au quotidien, il observe les vitrines des magasins pour voir les nouveautés et admirer leur "beauté". L'homme ne peut être organisé et manipulé de manière arbitraire, mais uniquement dans le sens qui convient à sa nature. Il peut y avoir des manipulateurs qui pétrissent le peuple dans leurs griffes, mais ces manipulateurs ne s'accrochent au pouvoir qu'en se pliant aux passions des masses.

Si nous pensons en termes juridiques, c'est-à-dire si nous comprenons l'homme comme capable de libre choix et responsable de ses actes, nous conclurons que la responsabilité de toutes ces tendances négatives incombe à la foule et à ses représentants qui attisent ses passions matérialistes. Ces gens, organisateurs de la foule et de ses idoles, professent eux-mêmes les passions de la foule et appartiennent donc pleinement à la foule. Il y a non seulement une foule d'ouvriers, de paysans, de commerçants et d'employés, mais aussi une foule de politiciens, d'artistes et de scientifiques, et même une foule de philosophes. Quiconque professe les passions de la foule appartient à la foule, quelle que soit sa profession ou son éducation. La foule est une question d'opinion de vie. Spengler soutient que la soif d'amusement, de félicité et d'indulgence "n'est pas le goût des grands explorateurs eux-mêmes... ni des experts en problèmes techniques." C'était peut-être encore le cas au début du XXe siècle, mais aujourd'hui, il ne fait aucun doute que la grande majorité de ces personnes sont du même acabit que la foule, professant les mêmes passions et la même conception de la vie.

imaosppppges.jpgD'un côté, nous trouvons des signes de déclin, de l'autre, des progrès sans précédent dans l'histoire. Cette incohérence peut être observée dans presque tous les domaines de la vie moderne. Partout, on peut trouver des raisons d'être optimiste et, en même temps, les pronostics les plus sombres.

Il n'y a pas de "progrès" en tant que tel, mais toujours un progrès dans quelque chose, ce qui signifie en même temps une régression dans autre chose. C'est la nature même du fait que certains trouvent un avenir glorieux pour l'humanité, d'autres une catastrophe imminente. Cela dépend du point de vue de chacun.

Spengler est parfois décrit comme "l'un des précurseurs théoriques du nazisme". C'est une évaluation très simpliste. Bien que Spengler reprenne certaines idées de base de Chamberlain, sa conception de l'histoire dans Le Déclin de l'Occident n'est pas raciste. Spengler, ne considère pas les hautes cultures individuelles comme "inférieures" et "supérieures", et encore moins comme l'œuvre d'une seule race exceptionnelle. Ils sont pour lui des expressions de la vie intérieure - des images de certains types de personnes. C'est tout. Dans L'homme et la technique, il surestime apparemment l'influence des Normands dans les débuts de la culture de l'Europe occidentale. Les Russes, par contre, il les inclut comme un élément non créatif parmi les "gens de couleur", bien que son analyse de l'âme russe, déchirée depuis Pierre le Grand entre l'Europe et ses propres sentiments, soit l'une des meilleures parties du deuxième volume du Déclin de l'Occident. Dans L'homme et la technique, cependant, Spengler part du principe qu'il connaît Le déclin de l'Occident.

Spengler est un fataliste historique. Il ne croit pas que l'effondrement de la culture occidentale européenne actuelle puisse être évité ou retardé de manière significative. Cela était inacceptable pour l'idéologie nationale-socialiste. Rosenberg l'accuse de révéler, comme beaucoup d'autres avant lui, quelques "régularités" historiques. Nous ne connaissons pas de telles lois, juge Rosenberg, et nous ne prétendons pas agir en accord avec elles et avoir une quelconque "vérité", encore moins une vérité scientifique. Mais nous sommes convaincus que nous avons la volonté et l'énergie nécessaires pour réaliser une idée à laquelle nous croyons profondément. D'où le "mythe du 20e siècle".

Mais l'idéologie démocratique est également en contraste frappant avec la philosophie de l'histoire de Spengler. Selon Spengler, un monde démocratique n'est à nouveau que le monde d'un certain type de personnes d'un certain temps, tout comme, par exemple, un monde monarchiste. La démocratie, surtout de type anglo-américain, ne représente certainement pas pour lui une "référence" à laquelle "l'humanité" est arrivée à travers des milliers d'années de développement ou de "progrès", de sorte qu'elle ne l'abandonnera pas à l'avenir et que désormais, au motif qu'elle est "le meilleur système parmi les mauvais", elle se concentrera sur son amélioration continue. Une telle conception est, selon lui, à nouveau un mythe, non pas de n'importe quel "homme", mais précisément de l'homme moderne et intelligent des grandes villes de la civilisation européenne occidentale et de ses contemporains.

Comme Le déclin de l'Occident, L'homme et la technique a suscité une tempête de réactions négatives et positives. Aujourd'hui, alors que la recherche historique a mis en doute certaines des généralisations spéculatives de Spengler, mais qu'elle a en revanche accepté presque universellement son affirmation de base selon laquelle la culture de l'Europe occidentale en tant qu'entité historique spécifique émerge au dixième siècle, nous devons reconnaître que son œuvre reste un sujet de réflexion opportun. Nous ne sommes pas obligés d'être d'accord avec Spengler. Mais cela ne change rien au fait que son œuvre fournit une quantité considérable d'idées originales et stimulantes qui le placent à juste titre parmi les grands penseurs.

***

Oswald Spengler, philosophe allemand de l'histoire, né le 29 mai 1880 à Blankenburg (Harz), mort le 8 mai 1936 à Munich. Jusqu'en 1911, professeur au Gymnasium de Hambourg, puis écrivain à Munich.

Travaux :

Der Untergang des Abendlandes (1918-1922)

Preussentum und Sozialismus (1920)

Politischen Pflichten der deutschen Jugend (1924)

Neubau des deutschen Reiches (1924)

Der Mensch und die Technik (1931)

Jahre der Entscheidung (1933)

Reden und Aufsätze (1937)

Postface de Rudolf Jičín à l'édition tchèque de L'homme et la technique, Neklan Publishing House, Prague 1997, ISBN 80-901987-6-7. Dans une version éditée (complétée par une sélection de pensées d'O. Spengler), la postface est publiée sous le titre Thoughts Worth Remembering : Spengler dans le magazine Marathon n° 2/2004.

lundi, 01 novembre 2021

Au bord de l'histoire: redécouvrir le regard de William Irwin Thompson

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Au bord de l'histoire: redécouvrir le regard de William Irwin Thompson

Giovanni Sessa

Ex: https://www.centrostudilaruna.it/allorlo-della-storia.html

Le débat théorique sur l'histoire, en ce début de XXIe siècle, est toujours d'actualité. Cela s'explique si l'on tient compte du fait que nous sommes tous, à des titres divers, les enfants des philosophies de l'histoire et des drames qu'elles ont déterminés au cours du siècle dernier. Certes, dans la phase actuelle, plusieurs chercheurs, plutôt que de remettre en question le sens et la finalité de l'histoire, ont commencé à se demander s'il est possible d'aller au-delà de l'histoire. Parmi eux, l'Américain W. I. Thompson, dont la nouvelle édition de All'orlo della storia. Per una critica della tecnocrazia, avec une préface de Luca Siniscalco (pour les commandes : associazione.iduna@gmail.com, pp. 332, €24.00).

Cop.-THOMPSON-def.jpgD'un point de vue général, il convient de rappeler qu'à la fin des années 1990, la thèse de la "fin de l'histoire" de Fukuyama a dicté le paradigme des recherches sur le sujet. Heureusement, il est aujourd'hui possible de soutenir qu'il aurait été bien plus judicieux de faire référence à la fin de l'histoire, comme nous le rappelle à juste titre Siniscalco. L'exégèse de Thompson part précisément de cette hypothèse. Il semble, en effet, suivre la position qu'Ernst Jünger a présentée dans au Mur du temps, afin de reconnaître ce qui pourrait être donné au-delà de l'âge historique proprement dit. L'Américain, avec une instrumentation culturelle archéo-futuriste, tente de détecter: "dans le présent, les constantes du passé et les germes du futur [...] il identifie ainsi certaines conjonctures dont il fait l'hypothèse qu'elles pourraient devenir vraies dans le futur post-industriel et post-nihiliste" (p. V). L'expérience proposée nous oblige à rester sur la ligne du nihilisme, en attendant des rayons de lumière dans les ombres sombres du temps présent, afin d'identifier le profil d'un possible nouveau départ. Il ne s'agit donc pas d'une des nombreuses plaintes des passatistes concernant l'état actuel des choses, bien au contraire ! Un regard sur l'histoire trouve sa raison d'être dans le constat de l'inanité du présent, mais il ne nous pousse pas en arrière, vers le passé, mais suggère le projet d'une autre modernité. Une modernité qui ne se construit plus sur le paradigme du rapport de calcul.

51AG1XC56CL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_.jpgAt the Edge of History a été publié pour la première fois aux États-Unis en 1971. Thompson a reçu une éducation polyvalente et une carrière universitaire immédiate, bien qu'elle se soit terminée trop tôt. Formé aux textes de philosophie des sciences d'A. N. Whitehead, il ne dédaigne pas la pratique du yoga, l'étude de l'ésotérisme et s'intéresse profondément à la biologie et à l'écologie, ce qui l'amène à remettre en question le "canon" moderne. Il a été influencé par Sri Aurobindo et a fréquenté David Spangler, une figure importante du monde du New Age. Son anti-modernisme se manifeste par son observation du déclin du libéralisme, non seulement en tant que doctrine politique, mais aussi en tant que noyau de l'imagination de l'homme occidental. Il estime que le libéralisme ne pourra plus servir d'image directrice aux nouvelles générations. Il note également comment le progressisme a été "le mythe le plus faux de tous les mythes réels de notre histoire" (p. 126). En outre, la "fin" de l'histoire, comme l'a souligné Massimo Cacciari, n'est rien d'autre que le progrès infini de notre époque, qui a perdu la mémoire de toute substance. Un temps privé de profondeur, rempli par la consommation et la mercurialité des technologies de l'information. À cet égard, nous ne devons pas espérer le retour idyllique du bon sauvage, mais viser à "surmonter l'aveuglement scientifique dans un nouveau paradigme capable de concilier la satisfaction de la nature verticale [...] de l'homme avec le développement technologique" (p. X).

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Les certitudes néopositivistes doivent être relativisées par un sain scepticisme gnoséologique. Pour ces raisons, Thompson, après avoir fréquenté l'Institut Esalen Big Sur, d'abord hippie puis centre New Age, en a été désabusé, ayant saisi le trait typique caractérisant les phénomènes de seconde religiosité. Dans la post-modernité, rappelle Siniscalco, le choc déjà prévu par Jünger est clairement visible : le contraste entre la potestas historique du processus de civilisation et les potestates archétypales et titanesques qui émergent dans l'animus contemporain. Le retour des dieux est précédé par la réapparition, fallacieuse et sous des formes différentes de celles qui l'ont caractérisé dans le passé, du mythe. C'est le fondement des liens, les liens invisibles qui maintiennent le monde ensemble.

Dans ce contexte, notre auteur s'intéresse à la pensée de l'anthroposophe Rudolf Steiner qui, selon lui, propose une "vision non dualiste, percevant l'être humain comme [...] co-impliqué dans un univers d'essence psychophysique" (p. XVIII). Dans ces déclarations émerge, à notre avis, son ambiguïté théorique. Il suffisait d'une recension de Giovanni Gentile pour montrer combien la pensée de Steiner n'était pas du tout moniste, mais encore dualiste (cf. G. Gentile, Ritrovare Dio, Mediterranee, pp. 191-196), sans parler de la critique de l'anthroposophie d'Evola ! Quoi qu'il en soit, la réémergence du mythe dans le monde contemporain s'observe également dans la littérature fantastique, lue par l'écrivain comme une "nouvelle mythologie".

Les suggestions mythico-fantastiques pourraient également déterminer un tournant dans la science apodictique, qui pourrait retrouver ses lointaines racines hermétiques dans cette nouvelle rencontre. Heisenberg, le père de la physique quantique, était l'exemple typique d'un scientifique ouvert à Sophia, capable d'avoir une vision holistique de la réalité. Le projet de l'autre modernité a, selon Thompson, un besoin urgent de développer une logique qui n'est pas impliquée dans l'identarisme éléatique mais, si quelque chose, une hyper-logique. Il a même pensé à une nouvelle spiritualité, en accord avec la science "réformée", dont le modèle expressif se manifesterait dans une récupération de la beauté, dans un art au service de la nouvelle mythologie. La nouvelle science pourrait aussi donner naissance à une technique "différente", qui devrait renoncer à la dimension appréhensive du Gestell, du système de la techno-science positive.

Au-delà de certains traits utopiques qui ressortent des positions de Thompson, ce livre nous confronte au problème séculaire de la synthèse entre innovation et tradition. C'est un thème incontournable pour ceux qui souhaitent agir politiquement et culturellement dans la réalité contemporaine, afin d'en faire un nouveau départ. At the Edge of History est, pour cette raison, un livre à lire et à méditer.

jeudi, 10 juin 2021

L'intuition d'un livre intuitif. Un siècle après Spengler

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L'intuition d'un livre intuitif. Un siècle après Spengler

Le produit de masse de la décadence de la civilisation occidentale est déjà une sorte d'animal urbain dénaturé, qui a enterré ou tué ses archétypes.

par Carlos X. Blanco

Ex: https://www.tradicionviva.es/2021/06/08/la-intuicion-de-un-libro-intuitivo-un-siglo-despues-de-spengler/   

Der Untergang des Abendlandes est un livre intuitif à lui seul. Le véritable historien est un philosophe de l'histoire, un homme doté d'une faculté particulière, l'intuition historique, un pouvoir avec lequel il saisit, à la manière d'un artiste, les objets de sa connaissance. Ce qui est à découvrir dans l'Histoire, ses objets, ne sont pas des entités statiques, fixes et mortes, mais un flux d'êtres historiques, comme le fleuve d'Héraclite dans lequel on ne peut se baigner deux fois. Les êtres historiques ne sont pas du tout des objets rigides ou morts. L'intuition historique est, avant tout, un devenir. Le philosophe de l'histoire n'a d'autre choix que de se présenter devant le devenir. En tant que penseur, il fait partie de ce devenir, et il n'est pas libre de saisir ce qu'il doit saisir si son contexte personnel est, en fait, celui d'un philosophe de l'histoire. Dans l'avant-propos de la deuxième édition allemande, Spengler écrit : "Un penseur est un homme dont le destin consiste à représenter symboliquement son époque au moyen de ses intuitions et concepts personnels. Il ne peut pas choisir. Il pense comme il doit penser, et ce qui est vrai pour lui est finalement ce qui naît avec lui, constituant l'image de son monde " [LDO, I, p. 20]. Ein Denker est dans Mensch, dem es bestimmt war, durch das eigene Schauen und Verstehen die Zeit symbolisch darzustellen. Il n'a pas le choix. Er denkt, wie er denken muss, und wahr ist zuletzt für ihn, was als Bild seiner Welt mit ihm geboren wurde, VII].

cms_visual_1056799.jpg_1529499361000_267x450.jpgLe philosophe de l'histoire porte en lui un archétype, inné et non construit, et lorsque ces objets fluides lui sont présentés, il n'a pas le choix. Il déploie les potentialités de son archétype. Au niveau personnel et gnoséologique, il se passe la même chose que dans le cycle des cultures. L'âme de chaque culture, lorsqu'elle naît dans une parcelle primordiale, est tout entière un immense -mais non infini- rassemblement de possibilités : la biographie de cette culture est l'ensemble des manifestations déjà closes, qui se présentent à son regard et à sa compréhension. Une manifestation historique est déjà une obstruction à des possibilités qui n'ont pas eu lieu.

Et qu'est-ce que la vérité historique ? Il ne s'agit pas, à la manière de l'évolutionnisme et du matérialisme historique, d'une construction ou de la découverte de causes finales ou efficientes, de relations fonctionnelles, etc. La vérité historique spenglerienne est une vérité par découverte, mais par découverte de l'archétype qu'un type d'homme très spécifique doit réaliser. Un homme, disait Fichte, réalise la philosophie selon le genre d'homme qu'il est. Eh bien, le philosophe spenglerien, ou le véritable historien qui comprend l'objet du devenir, est un homme très proche du poète. Le poète n'est ni un raisonneur ni un bâtisseur de systèmes. Il est une lanterne qui se concentre dans les profondeurs de son âme et trouve le trésor auquel il est appelé :

"La vérité, il ne la construit pas, mais la découvre en lui-même. La vérité, c'est le penseur lui-même ; c'est sa propre essence réduite à des mots, le sens de sa personnalité vidé en une doctrine. Et la vérité est immuable pour toute sa vie, parce qu'elle est identique à sa vie" [LDO, I, 19] [Es ist das, war er nicht erfindet, sondern in sich entdeckt. Es ist er selbst noch einmal, sein Wesen in Worte gefasst, der Sinn seiner Persönlichkeit als Lehre geformt, unveränderlich für sein leben, weil es mit seinem Leben identisch ist", VII].

Il n'y a pas d'invention de la vérité historique, il y a l'intuition et la découverte de son propre archétype. Une faculté intuitive qui rend compte de la construction de l'histoire est en accord avec un livre qui a fait l'histoire : Le Déclin de l'Occident, un texte qui, selon les mots de son auteur lui-même, est "... intuitif dans toutes ses parties". Il est écrit dans un langage qui cherche à reproduire avec des images sensibles les choses et les relations, au lieu de les substituer par des séries de concepts" [LDO, I, p. 20]. Il est difficile de rédiger et de faire rédiger un texte dans une langue qui décrit les situations et les relations d'une manière claire et nette, sans qu'il soit nécessaire d'établir des comparaisons entre les textes, et c'est aux lecteurs qu'il revient de le faire, car les textes et les images sont tout aussi claires", VIII]  [Es ist anschaulich durch und durchgeschrieben in einer Sprache, welche die Gegenstände und die Beziehungen sinnlich nachzubilden sucht, statt sie durch Begriffsreihen zu ersetzen, und es wendet sich allein an Leser, welche die Wortklänge und Bilder ebenso nachzuerleben verstehen”, VIII]..

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Ce lecteur, pour vraiment comprendre ce livre, doit être un lecteur poétique. Il est obligé de percevoir la décadence très profondément. Le produit de masse de la décadence de la civilisation occidentale est déjà une sorte d'animal urbain dénaturé, qui a enterré ou tué ses archétypes. Ou bien c'est une créature transplantée d'autres cultures, le nouveau nomade, l'être sans racines. Ce type de lecteur ne verra dans la grande œuvre spenglerienne qu'une accumulation d'absurdités, de textes non rationnels, de fatras de toutes sortes de choses. Pour ce nouveau nomade sans racines, pas le livre qu'écrit Spengler. Mais dans la même présentation de l'ouvrage, Oswald Spengler s'adresse de façon individuelle à celui qui est capable d'intuitionner l'archétype même qui lui parlera de la décadence de sa civilisation, car il lui suffira d'opposer cette âme faustienne à tous les phénomènes -parfois horribles- qui se déroulent autour de lui et alors... quoi ? Alors il ne succombera pas au désespoir. Le sort qui nous est réservé ici n'est pas à regretter. Il faut aimer le destin et chevaucher le tigre. Vous devez vous préparer pour un dernier combat.

Un monde entier s'effondre, mais avant le chaos et la décadence, il reste un combat à mener. Le philosophe du socialisme prussien n'est pas - pas du tout - le philosophe pessimiste, qui prône la passivité ou la lâcheté de la résignation. Il est l'homme qui voit loin et qui est capable de prévoir, comme il y a juste un siècle, les tâches de lutte pour un monde qui va tomber. Parce qu'il doit y avoir une lutte, et que la transition vers un nouveau "monde" au sens spirituel est inéluctable, et que sans notre lutte, l'horreur ne fera que croître.

Note : les citations sont extraites de la traduction espagnole de Manuel García Morente, La Decadencia de Occidente, volume I, Austral, Madrid, 2011. La version allemande consultée est celle du Deutscher Taschenbuch Verlag, Munich, 1979, qui est elle-même basée sur celle de Beck (Munich, 1923) : 

mardi, 01 juin 2021

En attendant les barbares

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En attendant les barbares

Carlos X. Blanco

Qu'entend-on par barbare ? La barbarie est-elle une condition positive ? Comprendrait-on l'Europe sans la barbarie ? La civilisation ou la Haute Culture est-elle possible sans cette altérité fondamentale que nous appelons barbarie ? Ces questions et d'autres sont soulevées par un livre - très oublié - de Carlos Alonso del Real, Esperando a los Bárbaros. Je résumerai la thèse principale comme suit : sans idéalisations romantiques, sans exagérations pangermanistes ou tout type de culte et de glorification de la " bête blonde ", et des choses de ce style, les barbares ont rempli une fonction pas toujours destructrice et régressive dans l'Histoire de l'Occident ou dans l'Histoire universelle (dans cette dernière aussi, puisque nous pourrions voir des cas analogues concernant les barbares liés aux Hautes Cultures de la Chine, aztèque, islamique, indienne, etc. mais nous nous limiterons à l'Europe.

51kMbFyN5gL._SX319_BO1,204,203,200_.jpgTrès souvent, les barbares ont ouvert la voie à de nouveaux modes de vie et de production, détruisant des modèles dépassés et des conditions de vie décrépites et sales. Une telle fonction, que nous dirions "progressive" si nous étions en faveur d'une évolution linéaire (ce qui n'est pas le cas), est même soutenue par l'utilisation du langage. Ainsi, par exemple, lorsque nous disons que telle personne attirante ou telle chose délicieuse et en forme est "barbare". Il est vrai qu'à côté de cet usage positif, on appelle barbares ceux qui se comportent avec une cruauté inutile, irrationnelle, excessive (les nazis, l'ETA ou les staliniens "étaient des barbares"). L'ambivalence du terme cache toute la complexité et toutes les clés de la fonction historique du barbare.

Pour commencer, le professeur de préhistoire C. Alonso del Real distingue plusieurs types de barbarie, et même ainsi, chacun de ces types agit fonctionnellement de manière différente selon la dialectique que les peuples barbares établissent avec a) les hautes cultures ; b) les barbares d'un niveau culturel comparable ; c) les barbares d'un niveau inférieur ; d) les primitifs.

Deuxièmement, indépendamment de la situation de chaque peuple sur une échelle graduée qui va du primitivisme aux Hautes Cultures, en passant par une énorme variété de barbarismes, le peuple placé par rapport à toute Haute Culture peut se définir dans une lutte existentielle contre celle-ci et contre d'autres barbares de diverses manières : 1) Les barbares effectifs, qui sont ceux qui constituent une menace réelle, dangereuse et parfois mortelle pour la Haute Culture ; 2) Les barbares potentiels, dont la "raison d'être" est de résister à la conquête ou à l'assimilation de la Haute Culture.

En revanche, selon la position d'un peuple barbare, à l'intérieur ou à l'extérieur d'un limes, d'une frontière militaire ou géopolitique, on pourrait au moins distinguer (i) des barbares intraliminaires et (ii) des barbares extraliminaires. Par exemple, il est évident que l'Empire romain exerçait sa domination non seulement sur des citoyens romains mais aussi sur des masses de "barbares" intraliminaires à des degrés d'assimilation très différents. Verbi gratia : le celte et le germanique chez les Gaulois et les Hispaniques à l'époque impériale ; le berbère, l'hébreu et l'arabe dans les provinces nord-africaines et levantines de ce même État universel, etc. Parfois, la dialectique entre une barbarie intraliminaire et la barbarie extraliminaire et effective est la clé interprétative, ou le facteur causal fondamental pour comprendre pourquoi les empires déclinent et pourquoi l'Histoire avance, vers d'autres modes de vie et de production. Nous savons déjà aujourd'hui - par exemple - que l'assaut barbare contre l'Empire romain a été précédé d'une profonde germanisation et même d'une revivification des barbarismes intraliminaires. Nous savons aussi, et l'auteur que nous citons nous en donne des indices, que les nations traditionnellement considérées comme barbares ne le sont jamais à un degré zéro, et possèdent toujours de fortes composantes de Hautes Cultures qu'elles injectent ensuite dans celles-ci, comme en remboursement du prêt, en tant que Barbares effectifs, c'est-à-dire attaquants d'un Empire ou d'une Civilisation vieillie et en retraite. Quelques exemples qui pourraient être détaillés avec les innovations techniques, militaires, spirituelles et économiques :

- Le celtisme avant Rome. Cette barbarie celte ou celto-germanique, envisagée du point de vue romain, ne possédait-elle pas déjà, bien avant de devenir en partie une barbarie intraliminaire, une infinité de composantes hellénisées et même romanisées lorsqu'elle luttait contre une alternative existentielle à Rome ?

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- Les Asturiens et les Cantabres du VIIIe siècle avant le califat. Cette barbarie (ainsi vue du Califat musulman), n'était-elle pas à son tour l'héritière de Hautes Cultures, décaties, éclipsées, mais en germe pour former une barbarie potentielle, d'abord, et une barbarie effective, ensuite, avant l'Islam ? La Reconquête menée par le Royaume des Astures a été ce cas. Les Maures ont vu à Covadonga, lors de l'escarmouche ou de la bataille de 722, quelques "ânes sauvages". Ils ne savaient pas, dans la Cordoue mauresque, que la Restauration idéologique du royaume gothique, et après elle, la restauration de deux choses unies (a) la barbarie potentielle -résistante- des Cantabres et des Astures, réactivée après les terribles guerres d'Octave, (b) la restauration de la Haute Culture de la Rome chrétienne universelle, dont les Goths (et tous les peuples hispaniques en général) étaient les héritiers.

Ce n'est pas que le barbare soit simplement relatif face à une Haute Culture qui le juge comme tel. Cela pourrait signifier une rechute dans le relativisme culturel grossier qui est si répandu dans l'Académie de nos jours. Le fait est que la barbarie est le bélier de l'ancien et en même temps la graine du nouveau. Quand j'admire l'art asturien, par exemple, le style dit Ramirense, et que je vois ces petits temples ruraux de ma patrie pleins de beauté et de vitalité, je vois aussi le double visage d'une Europe qui est en train de naître. Oui : chaque naissance est une renaissance. A Oviedo et dans d'autres parties de la Principauté, je vois Rome et Tolède résister, d'une part. Je vois mes ancêtres asturiens qui résistent, eux aussi. Je contemple alors une Haute Culture romaine-germanique assaillie par la barbarie arabe et nord-africaine, et je ravive dans mon esprit une barbarie asturienne potentielle ou résistante, luttant contre une nouvelle puissance impériale venue de loin. Il ravive dans mon âme l'idée d'une nouvelle Europe chrétienne qui fait revivre les anciennes potentialités, les anciennes barbaries ainsi que les restes récupérables de la Haute Culture chrétienne et latine. Je vois dans ces pierres une âme qui naît, l'âme faustienne de l'Européen né au VIIIe siècle. Donc barbare lui, barbare dans les deux sens populaires du mot.

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10:25 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : barbares, histoire, philosophie de l'histoire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 04 août 2020

Hesperialismo. Sobre la crianza del futuro europeo (y español) autóctono

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Hesperialismo. Sobre la crianza del futuro europeo (y español) autóctono

Ex: https://www.geopolitica.ru

El hombre europeo se asoma al abismo. No está preparado para tan horrible visión. Él mismo fue cavando el abismo, que será fosa para su muerte y olvido. Los cadáveres de las civilizaciones pueblan el mundo, y sus ruinas arrugan la corteza terrestre, restos pétreos que, sin vida ni contexto, dejan de ser comprendidos. No será Europa la primera ni la última de las civilizaciones que se asomen a un abismo y den un último suspiro. Europa, o su prolongación (a veces deformada), llamada “Occidente”, es una Civilización que mira al abismo y no sabe lo que ve. El tipo humano que rigió los destinos del orbe durante cinco o seis siglos, se hinca de rodillas, se deja carcomer y cargar de cadenas. Puede ser un fin muy indigno. En el pasado, el declive de Roma o de España, civilizaciones stricto sensu, esto es, generadoras y universales, no fue tan indigno como este. Se presentó batalla al bárbaro, al pirata y al infiel hasta el último momento. Aunque la batalla final se pierde fundamentalmente por acción de la corrupción interna. Pero Europa quiere morir antes de ser invadida del todo, quiere el suicidio.

Europa muere, y no presenta batalla. Pero ¿toda ella? ¿Hay posibilidad de regeneración? La filosofía de Oswald Spengler nos da el lenguaje y la percepción adecuada para valorar esto. No es la de Spengler una “teoría” contrastada o verificable, es, antes bien, una Filosofía de la Historia. Como tal, resulta irrefutable, acientífica pero, precisamente por ello, penetrante en dirección al futuro. 

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Spengler nos propuso una vía de intuición. O se intuye el movimiento histórico, desde lejos, como el entomólogo observa las filas de hormigas que recorren el suelo, o no se comprende nada. Se debe intuir con frialdad, por más que el pathos de ser europeos y de amar lo nuestro nos embargue, y sólo así vislumbrar cuál es nuestro sino y cuáles son las opciones. Se debe intuir que no existe la “Humanidad”, que cuanto hubo y hay en la Historia es un vario paisaje, un jardín (biocenosis) de gran biodiversidad en el que abundan plantas, las culturas, no todas compatibles entre sí cuando coinciden en el espacio, y no todas comprensibles entre sí se separan en el tiempo. Se debe intuir, cuanto antes mejor, que nuestra civilización, como cualquier otra, tuvo un punto de origen y tendrá un punto final. El conocimiento exacto del momento en que nos hallamos dentro de la curva de nuestro ciclo vital es asunto harto difícil. Que la curva se ha vuelto descendente a raíz de las dos Guerras Mundiales, eso es algo que aquí no se cuestiona. Lo decisivo es saber si el declive adopta una verticalidad, una aceleración ya imparable o hay todavía ciertas fuerzas dignas de consideración que lo frenen. 

Existen reacciones y oasis de esperanza. No toda Europa es “occidente”. La gran Rusia y toda la corona de países que aún le son afines, es un espacio europeo que sigue su propio destino y atiende a otras lógicas que no son las del declive que el neoliberalismo occidental ha agudizado. Amén de la civilización rusa, pero no en armonía con ella, la rebeldía de los países del grupo de Visegrado frente a los dictados cada vez más totalitarios de la U.E. es otro bastión donde se defienden los valores de Europa, entre los cuales, y como pilar fundamental, se encuentra el cristianismo. 

Para la Europa occidental no cabe otra esperanza que mirarse en ambos espejos, el espejo ruso y el espejo de Visegrado, y cultivar eso que David Engels ha dado en llamar Hesperialismo. El Hesperialismo cuenta con el hecho de que, a diferencia de Rusa y los países centroeuropeos, las sociedades aún sanas de Europa occidental no van a contar con el Estado ni con la U.E. como herramientas para la defensa de su identidad, su patrimonio histórico-cultural, su legado religioso, sus medios (hasta ahora) dignos de vida, su estado del bienestar, la educación de sus hijos y el respeto y libertad de la mujer. Antes bien, el Hesperialismo da por sentado que los Estados occidentales y la U.E. se han vuelto instrumentos al servicio de poderes financieros y especulativos no comprometidos ni con la historia ni con el bienestar de las sociedades que ahora, despóticamente, rigen. Con lo cual se hace preciso una reorganización defensiva y resistente desde las propias familias, los individuos y las comunidades inmediatas. Esa reorganización defensiva implica, en un altísimo grado, la transmisión de todo un legado: es cuestión de educación (pero no de reformas legales de unos sistemas educativos corruptos, prevaricadores y lacerantes), o por mejor decir, es una cuestión de crianza. Se trataría de que los europeos volvieran a tener niños, muchos niños, contra viento y madera, y se les educara de forma paralela y alternativa a como los Estados y los organismos internacionales cada vez más intrusivos (ONU, UNESCO, OCDE…) pretenden. En esa educación o crianza se volvería a inculcar a los niños de cada unas de las naciones todo el aprecio por la historia de cada comunidad nacional o étnica, así como el orgullo ante los logros comunes de todas las comunidades que forman, todavía hoy, la gran nación europea. Con independencia del grado de fe religiosa, si es que alguno hay, se les daría a esos niños una exquisita formación en lo que atañe a los logros del cristianismo como religión y civilización creadora de nuestro acervo común, como enorme vaso que arrojó luz, equidad y dulzura en nuestros sistemas de derecho y en nuestras instituciones. El legado clásico del arte, la ciencia, la filosofía y el derecho, esa luz que vino de Grecia y Roma, junto con la cristiandad, que hermanó a las más varias etnicidades europeas, se volvería a transmitir de padres a hijos y en comunidades locales “resistentes”, sabedoras de que han pasado de ser hegemónicas a ser –nada más- que reductos paralelos a muchas otras comunidades de origen extra-europeo, las cuales van a ir reclamando privilegios, espacios de poder y derecho al hostigamiento de todos aquellos que un día fuimos sus anfitriones.

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El Hesperialismo no excluye una reunión y acción concertada de todas aquellas fuerzas que, de manera harto imprecisa, dan en llamarse “tradicionalistas” y a veces “conservadoras”. Antes bien, lo exige. Impreciso es –no obstante- incluir dentro del “conservadurismo” a aquellos grupos que siguen apostando por la versión más nociva del liberalismo o neoliberalismo. La versión, implícita ya en el embrión mismo del modo de producción capitalista; la versión, decimos, que sabe que el Capital no posee olor, ni se deja empapar por atmósferas nacionales, la nefasta versión que conoce que el Capital no desea fronteras, ni arraigos, ni religiones ni vínculos afectivos basados en la sangre o en el suelo. Tan impreciso y nocivo es reunir a las tribus del “anti-fascismo” en un mismo saco, como tratar de hacer lo propio con un “anti-comunismo”, hoy por hoy delirante, pues no existen apenas comunistas sino tribus populistas y anti-sistema. Impreciso y contraproducente a no ser que el propio sistema de dominación mundial, el nuevo (o viejo, si lo miramos de cerca) capitalismo depredador desee imponer tal miope “conservadurismo”. ¿Y qué es lo que desea el Capital, en el fondo, al obrar así? Remover todos los obstáculos que se oponen al crecimiento, a la acumulación y centralización del mismo Capital. La élite que hoy en día actúa en nombre de esos mecanismos de obtención de plusvalía y que, de forma cada vez más minoritaria pero dotada de poder omnímodo, es la principal beneficiaria del saqueo y depredación, es una élite apátrida, sin “olor” ni impregnaciones culturales de ningún tipo. Exactamente como el dinero. 

Los europeos occidentales que han de pasar a la resistencia deben evitar los falsos amigos tanto como los falsos enemigos. De veras, ha de hacerse un análisis profundo sobre cuál va a ser el futuro próximo y saber qué armas ciudadanas todavía están a nuestra disposición. El análisis ha de hacerse pronto, antes de que la composición sociológica y étnica de la llamada “ciudadanía” cambie, cosa que va a ocurrir drásticamente en diez o veinte años. Con la composición social y étnica totalmente alterada, por el tráfico “progresista” de personas que hoy se llama inmigración y acogida de refugiados, los cambios legales que hoy parecen radicales y sin vuelta a tras, serán cada vez más numerosos, despóticos y aplastantes. Se negará incluso el derecho a la existencia física y a la ocupación de espacios públicos al “nativo”. El europeo de dentro de dos décadas será como el poblador originario, nativo, de los Estados Unidos en la actualidad: el “indígena” vivirá en reservas o será una atracción de circo. Eso mismo le espera al autóctono europeo, blanco y cristiano, para más señas, si no espera “pasar desapercibido” en la olla multicultural obligatoria que están preparando. Dado que el confinamiento en espacios privados va a ser una realidad, pues las expresiones públicas, naturales y abiertas de su propia etnicidad, cultura y religión van a estar mal vistas, primero, y prohibidas después, será de todo punto necesario cultivar esa educación privada, reducto para esa “marca de clase” de una verdadera nueva aristocracia. La aristocracia en el sentido de cultivar un “poder de los mejores”, de quienes más se exigen a sí mismos y que reincorpore –adaptados al siglo XXI- los ideales caballerescos medievales, los ideales caritativos cristianos del Medievo y de la Hispanidad habsburguesa, así como los de la areté homérica.  Nos acercamos a una época en la cual ser europeo será una cuestión heroica. Una mezcla de caballero cristiano al servicio de un Imperium universal, donde reine la justicia y caridad, un poco de monje-sabio y de atleta de la virtud, un héroe que, anónimamente, al lado de su familia y su comunidad inmediata, preserve la esencia de una Civilización que podrá decaer, mas no morir, si ese ethos se conserva y vivifica, expandiendo a partir de ahí su radio con cada nueva generación. Para resistir, hay que criarse con fortaleza.

Las culturas son seres vivos colectivos, según Spengler. Ellas vienen al mundo, nacen y conocen una aurora originaria, en la que todo es nuevo y la inconsciencia de su identidad se asemeja a un sueño. Dentro del sueño de su propio venir al mundo, las culturas toman las formas de su propia alma, única, aunque absorben todo género de materiales de su paisaje originario. El alma auroral y balbuciente de una cultura está envuelta e impregnada de los datos físico-paisajísticos, ambientales. Para el desarrollo del proyecto impreso en el alma de una nueva cultura que viene al mundo, es preciso que ésta se sirva de un pueblo. El pueblo será el vehículo que transmita en dirección al porvenir ese embrión del alma de una cultura, cargado de formas y de materiales que hirieron definitivamente las entrañas del recién nacido que despierta a la vida. La cultura balbuciente fáustica, por ejemplo, de la que proceden la mayor parte de los europeos nórdico-atlánticos, así como los helenos y romanos clásicos en el sur mediterráneo, es la cultura que desplegó un alma “herida” por los rigores de un originario clima frío o, en el mejor de los casos, templado-frío. La gran llanura centro-europea y el inmenso bosque originario del occidente, el conocimiento de los glaciares boreales y de costas atlánticas ariscas, de lluvia, ventisca y nieves, de conquistas a golpe de hacha y de resistencia ante medios adversos o pueblos hostiles, todo ello condicionó por siglos la estructura de formas que se dio en el embrión del alma fáustica. Un alma que vislumbra infinitos, que los busca interiormente aun cuando tenga frente a sí murallas de árboles, de riscos, de océano, de enemigos. 

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Los europeos procedemos de la clase de alma que un día prehistórico despertó, aún borracha de imágenes que no podía comprender. El pueblo originario que fue portador e instrumento de un alma marcada por la fuerza de la voluntad y la conquista de infinitos, bien pronto se dividió en ramales y se esparció por gran parte de la Eurasia. Queda por saber con certeza si los primitivos vascones (no los actuales, apenas distinguibles del resto de españoles y franceses), los iberos y ciertas otras etnias minoritarias del centro y del norte de nuestro continente, fueron también ramas muy antiguas de aquel pueblo originario, nómada y conquistador. La dispersión ya era un hecho cuando las oleadas civilizatorias (más en concreto urbanizadoras) del Levante llegaron a Occidente. La potencia civilizatoria de helenos, romanos y (en otro plano) de celtas, iberos y otras culturas desarrolladas, hubo de conocerse en latitudes muy sureñas, las del Mediterráneo, antes que en el Norte. El cruce del alma fáustica (de origen estepario y nórdico) con el alma sureña provocó las primeras conmociones. El alma sureña ya es, desde tiempos inmemoriales, un combinado de formas levantinas (asiáticas) y albo-africanas. Esos primitivos pobladores blancos del norte de África, de donde proceden los ulteriores bereberes, guanches, egipcios, etc. fueron portadores, antes que creadores, de oleadas culturales muy remotas, muy lejanas, que acaso procedan de un Sahara cuando era éste más fértil, y aun más al Sur, de un África negra aún no degradada en el salvajismo, de un África “proto-civilizada” que irradió hacia el Norte, hacia el Mediterráneo, la espiritualidad carnal, femenina y lunar, frente a la espiritualidad hiperbórea solar, apolínea. 

Fue Europa, y siempre lo será, una tensión desgarrada, aunque en horas grandes también una síntesis sublime, entre la rectitud imperativa y voluntariosa de un primitivo Septentrión, y la promiscuidad y cierta dejadez pasiva de un cálido Meridión. Siempre estuvo Europa en trámite de africanizarse. Siempre ha podido convertirse en una prolongación del alma meridional en sus fases expansivas, pues los pueblos portadores de esta clase de alma también son capaces de guerra y conquista, dejando en determinados momentos de la Historia aparcado su inercial abandono y sufriendo ardores expansivos encendidos por mechas fanáticas.

Así, pues, el peligro que para la Europa naciente (siglo VIII) en sentido estricto, supuso la invasión mora, no fue un hecho puntual. La España goda, y más concretamente, la Hispania de profundo tronco celtogermánico que en Asturias, poblada entonces por cántabros, astures, así como refugiados y descendientes de suevos y godos, detuvo la gran oleada afro-levantina en 722 (Batalla de Covadonga, que otras dataciones sitúan en 718), incluso antes que Carlos Martel, al frente de los francos, lo hiciera en Poitiers (732). Desde entonces, los pueblos de Las Españas –si es que en tiempos prehistóricos no se hizo ya- han asignado para sí el papel de centinelas. Hay pueblos que deben asumir el destino, a veces trágico, de ser esencialmente los guardianes de una Civilización. Para que hermanos y parientes suyos vivan alegres y holgados allende un limes infernal, los pueblos de las Españas, desde Covadonga, tienen la misión asignada por el Cielo, de hacer de tapón, valladar, muro erizado de lanzas, que detenga la africanización del continente.

Es en tiempos de degradación moral y de confusión de conceptos, que lleva también a la confusión de sangres y de extravío de la identidad, cuando se bajan las guardias, se abren las puertas de la patria a todo género de contingentes bajo las más oportunistas excusas. El falso humanitarismo que dice amar al extraño pero que desatiende al cercano, y que contraviene al mismo Evangelio, destroza la formación moral de nuestros muchachos, así como hace mucho daño el más vil de los pacifismos: el pacifismo inducido desde potencias extranjeras para castrar a los españoles previo paso para ponerlos de rodillas, esclavizados. España, renunciando a su misión de centinela, inducida por los piratas y depredadores que, para mayor burla y escarnio, se presentan como “europeístas”, va cayendo por la pendiente de la africanización, después de haber inundado el mediterráneo con la sangre de sus mejores hijos poniendo coto a los infieles y a los salvajes.

Hesperialismo para España. Reconcentrarnos en nuestras tradiciones y transmitirlas en la familia. Y vuelta a coger la espada, sin dejar de tener a mano el rosario. De no hacerlo, estamos todos muertos.

dimanche, 02 août 2020

Rappel : Sir John Glubb et la décadence impériale

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Rappel : Sir John Glubb et la décadence impériale

par Nicolas Bonnal
Ex: https://nicolasbonnal.wordpress.com

On parle beaucoup dans le monde antisystème de la chute de l’empire américain. Je m’en mêle peu parce que l’Amérique n’est pour moi pas un empire ; elle est plus que cela, elle est l’anti-civilisation, une matrice matérielle hallucinatoire, un virus mental et moral qui dévore et remplace mentalement l’humanité  – musulmans, chinois et russes y compris. Elle est le cancer moral et terminal du monde moderne. Celui qui l’a le mieux montré est le cinéaste John Carpenter dans son chef-d’œuvre des années 80, They Live. Et j’ai déjà parlé de Don Siegel et de son humanité de légumes dans l’invasion des profanateurs, réalisé en1955, année flamboyante de pamphlets antiaméricains comme La Nuit du Chasseur de Laughton, le Roi à New York de Chaplin, The Big Heat de Fritz Lang.

On assiste néanmoins, certes, à un écroulement militaire, moral des américains et autres européens qui se font régulièrement humilier (sans forcément s’en apercevoir, tant ils sont devenus crétins) par les russes, les chinois et même par des iraniens présumés attardés…

Il faut alors rappeler ce qui motive ces écroulements impériaux. Je l’ai fait maintes fois en étudiant la décadence romaine à partir de textes tirés de la grande littérature romaine, agonisante du reste, puisqu’au deuxième siècle, après le siècle d’Auguste comme dit Ortega Y Gasset, les romains deviennent bêtes (tontos) comme les ricains, les franchouillards branchés et les Bozo britishs d’aujourd’hui. J’ai aussi rappelé dans trois brefs essais sur Ibn Khaldun les causes de la décadence morale du monde arabe.

Hervé nous a donné à connaître Glubb, personnage charmant et décati, qui me fait penser à l’oncle de Purdey dans l’un de mes « chapeau melon et bottes de cuir » préféré, oncle qui déclare que « tous les empires se sont cassé la gueule ». Dans cette série les méchants sont souvent et comme par hasard des nostalgiques de la grandeur impériale…

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Témoin donc de la désintégration de l’empire britannique causée par Churchill et Roosevelt, militaire vieille école, Glubb garde cependant une vision pragmatique et synthétique des raisons de nos décadences. 

Commençons par le résumé donc de Glubb. Causes de la grandeur.

« Les étapes de la montée et de la chute de grandes nations semblent être:
– L’âge des pionniers (explosion)
– L’ère des conquêtes
– L’ère du commerce
– L’âge de la richesse
– L’âge de l’intellect, particulièrement dangereux…

Puis Glubb donne les causes de la décadence historique :

« La décadence est marquée par :
– une culture de la défensive (nous y sommes en plein avec Trump en ce moment)
– Le pessimisme (pensez au catastrophisme financier, économique climatique, avec cette Greta barbante qui insulte ses victimes consentantes).
– Le matérialisme (vieille lune, Ibn Khaldun ou Juvénal en parlant déjà)
– La frivolité (Démosthène en parle dans son épistèmé, traité sur la réforme, les athéniens passant leur temps au théâtre)
– Un afflux d’étrangers qui finit par détraquer le pays (Théophraste en parle au quatrième siècle, avant l’écroulement athénien, dans ses caractères)
– L’Etat providence. C’est très bien que Glubb en parle, à la manière de Tocqueville (Démocratie II, p. 380), de Nietzsche (« nous avons inventé le bonheur ! », au début de Zarathoustra) et du méconnu australien Pearson. Pearson résume en un trait-éclair : le prophète et le héros sont devenus des femmes de ménage. Ou des bureaucrates humanitaires ?
– Un affaiblissement de la religion. »

 

Sur ce dernier point, on évoquera Bergoglio qui est passé comme une lettre à la poste chez les cathos zombis qui lui sont soumis. La religion catholique canal historique n’intéresse plus les ex-chrétiens, à part une poignée d’oasis, comme l’avait compris le pape éconduit Benoit XVI.Le Figaro-madame faisait récemment sans barguigner la pub d’une riche catho, bourgeoise, mariée à une femme, et qui allait à la messe le dimanche…

8mVDulCiqCdbamOM5NkmJVSHuEE@300x413.jpgBloy, Drumont, Bernanos observaient la même entropie en leur temps. Sur le journal La Croix, qu’embêtait la manif anti-PMA récemment, Léon Bloy écrivait vers 1900 dans son journal : « Pour ce qui est de la Croix, vous connaissez mes sentiments à l’égard de cette feuille du Démon, surtout si vous avez lu la préface de Mon Journal. »

Toutes ces causes se cumulent aujourd’hui en occident. Glubb écrit à l’époque des Rolling stones et on comprend qu’il ait été traumatisé, une kommandantur de programmation culturelle (l’institut Tavistock ?!) ayant projeté l’Angleterre dans une décadence morale, intellectuelle et matérielle à cette époque abjecte. C’est l’effarante conquête du cooldont parle le journaliste Thomas Frank.En quelques années, explique Frank notre nation (US) n’était plus la même. Idem pour la France du gaullisme, qui rompait avec le schéma guerrier, traditionnel et initiatique de la quatrième république et nous fit rentrer dans l’ère de la télé, de la consommation, des supermarchés, de salut les copains, sans oublier mai 68. Je ne suis gaulliste que géopolitiquement, pour le reste, merci… Revoyez Godard, Tati, Etaix, pour reprendre la mesure du problème gaulliste.

Glubb explique ensuite le raisons (surtout morales, de son point de vue de militaire de droite) de la décadence…

« La décadence est due à:
-Une trop longue période de richesse et de pouvoir
– L’Égoïsme
– L’Amour de l’argent
-La perte du sens du devoir. »

Très bien dit. Il semble que la date charnière de l’histoire de France, après le beau baroud d’honneur de la quatrième république, soit la reddition algérienne du gaullisme. Après on a consommé et on s’est foutu de tout : les bidasses, la septième compagnie prirent le relais de Camerone, de Dien-Bien-Phu…

Jusque-là Glubb nous plait mais il ne nous a pas surpris. Trouvons des pépites dans ce bref aperçu des écrits de Glubb tout de même : 
« Les héros des nations en déclin sont toujours le même, l’athlète, le chanteur ou le acteur. Le mot ‘célébrité’ aujourd’hui est utilisé pour désigner un comédien ou un joueur de football, pas un homme d’État, un général ou un littéraire génie. »

 

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Et comme notre homme est un arabisant distingué, il parle de la décadence arabe – citant lui le moins connu mais passionnant Ibn Ghazali.

« Dans la première moitié du neuvième siècle, Bagdad a connu son apogée en tant que plus grande et la plus riche ville du monde. Dans 861, cependant, le Khalif régnant (calife), Mutawakkil, a été assassiné par ses turcs mercenaires, qui ont mis en place une dictature militaire, qui a duré environ trente ans.

Au cours de cette période, l’empire s’est effondré, les divers dominions et provinces, chacun en recherchant l’indépendance virtuelle et à la recherche de ses propres intérêts. Bagdad, jusque-là capitale d’un vaste empire, a trouvé son autorité limitée à l’Irak seul. »

Cet écroulement provincial fait penser à notre Europe pestiférée, à l’Espagne désintégrée du binôme Sanchez-Soros, et évoque ces fameuses taifas, micro-royaumes écrabouillés un par un par les implacables et modernes rois catholiques.

Glubb ajoute :

« Les travaux des historiens contemporains de Bagdad au début du Xe siècle sont toujours disponibles. Ils ont profondément déploré la dégénérescence des temps dans lesquels ils vivaient, en insistant sur l’indifférence de la religion, le matérialisme croissant, le laxisme de la morale sexuelle. Et ils lamentaient aussi la corruption des fonctionnaires du gouvernement et le fait que les politiciens semblaient toujours amasser de grandes fortunes quand ils étaient en fonction. »

Détail chic pour raviver ma marotte du présent permanent, Glubb retrouve même trace des Beatles chez les califes !

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« Les historiens ont commenté amèrement l’influence extraordinaire acquise par les populaires chanteurs sur les jeunes, ce qui a entraîné un déclin de la moralité sexuelle. Les chanteurs « pop » de Bagdad ont accompagné leurs chansons érotiques du luth (sic), un instrument ressemblant à la guitare moderne. Dans la seconde moitié du dixième siècle, en conséquence, le langage sexuel obscène est devenu de plus en plus utilisé, tels qu’ils n’auraient pas été tolérés dans un âge précoce.Plusieurs califes ont émis des ordres pour interdire les chanteurs «pop» de la capitale, mais en quelques années ils revenaient toujours. »

Glubb dénonce le rôle de la gendarmerie féministe (voyez Chesterton, étudié ici…) :

« Une augmentation de l’influence des femmes dans la vie publique a souvent été associée au déclin international. Les derniers Romains se sont plaints que, bien que Rome ait gouverné le monde, les femmes gouvernassent Rome.Au dixième siècle, une semblable tendance était observable dans l’empire arabe, les femmes demandant l’admission à des professions jusque-là monopolisées par les hommes. »

 

Affreux sexiste, Glubb ajoute :

« Ces occupations judiciaires et administratives  ont toujours été limitées aux hommes seuls. Beaucoup de femmes pratiquaient le droit, tandis que d’autres ont obtenu des postes à l’université, de professeurs. Il y avait une agitation pour la nomination de femmes juges qui, cependant, ne semble pas avoir réussi. »

Sur ce rôle dela manipulation de la « libération » de la femme, qui n’a rien à voir avec l’égalité des droits, dans la décadence des civilisations, je recommanderai le chef d’œuvre sur Sparte de mon ami d’enfance Nicolas Richer, fils de Jean Richer, l’éclaireur de Nerval.

Et je célébrerai aujourd’hui cette pépite, à une époque où l’histoire devient une caricature au service de lobbies toujours plus tarés :

« Alternativement, il existe des écoles «politiques» de l’histoire, inclinée pour discréditer les actions de nos anciens dirigeants, afin de soutenir la modernité des mouvements politiques. Dans tous ces cas, l’histoire n’est pas une tentative de déterminer la vérité, mais un système de propagande, consacré à l’avancement de projets modernes. »

Nietzsche écrit déjà dans sa deuxième dissertation inactuelle :

« Les historiens naïfs appellent « objectivité » l’habitude de mesurer les opinions et les actions passées aux opinions qui ont cours au moment où ils écrivent.C’est là qu’ils trouvent le canon de toutes les vérités. Leur travail c’est d’adapter le passé à la trivialité actuelle.Par contre, ils appellent « subjective » toute façon d’écrire l’histoire qui ne considère pas comme canoniques ces opinions populaires. »

Terminons avec Glubb, qui donne deux siècles et demi à chaque empire, l’anglais, l’ottoman, l’espagnol y compris. On voit bien que l’empire américain n’en est pas un. C’est en tant que matrice subversive que l’entité-dollar-télé US est pernicieuse (Chesterton). Tout ce que Glubb dénonce dans l’intellectualisme si néfaste trouve en ce moment, avec la nouvelle révolution culturelle made in USA, un écho particulier. Tocqueville nous avait mis en garde : en démocratie, le pouvoir délaisse le corps et va droit à l’âme.

Sources

Nicolas Bonnal – Mitterrand grand initié (Albin Michel) ; Chroniques sur la fin de l’histoire ; le livre noir de la décadence romaine (Amazon.fr)

Sir John Glubb – The Fate of Empires (archive.org)

 

Charles Pearson – National Life and character (archive.org)

Léon Bloy – L’invendable (wikisource.org)

LES PROLÉGOMÈNES D’IBN KHALDOUN (732-808 de l’hégire) (1332-1406 de J. C.), traduits en Français et commentés par W. MAC GUCKIN DE SLANE (1801-1878), (1863) Troisième partie, sixième section (classiques.uqac.ca)

Nietzsche – Deuxième considération inactuelle (wikisource.org) ; Ainsi parlait Zarathoustra

Ortega Y Gasset – L’ère des masses

Nicolas Richer – Sparte (Perrin)

Démosthène – Traité de la réforme (remacle.org)

Tocqueville – Démocratie en Amérique, I, 2.

Théophraste – Caractères, traduits par La Bruyère (ebooksgratuits.com)

dimanche, 24 mai 2020

Nietzsche et l'Histoire, Nietzsche dans l'Histoire

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Nietzsche et l'Histoire, Nietzsche dans l'Histoire

"La Grande H.", Dorian Astor

 
fn-cons.jpgL'histoire est indispensable pour comprendre le présent : assurément... et voilà un lieu commun somme toute rassurant. Mais quelle(s) histoire(s), faite(s) par qui, et comment ? Y-a-t-il une manière neutre d'aborder le passé, ou plus recommandable que d'autres qui seraient trop orientées ou militantes ? Les historiens peuvent-ils s'ériger en arbitres des usages du passé – en particulier de ses usages ou instrumentalisations politiques ? Le savoir et l'érudition sont-ils en mesure de dire le dernier mot sur ce qui a eu lieu, et quelles seraient les conséquences de cette prétention ? La pensée d'un philosophe du XIXe siècle, Friedrich Nietzsche (1844-1900), peut aider à poser ces problèmes très actuels. En 1874, dans sa deuxième "Considération inactuelle", intitulée "De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie", Nietzsche mettait en évidence les enjeux cruciaux de la "science historique" et de notre rapport au passé.
 
Pour en parler, "La grande H." a sollicité Dorian Astor, philosophe, germaniste et spécialiste de Nietzsche.
 
Motion design Jaques Muller, montage Bérénice Sevestre.
Une émission de Julien Théry.
 
** Pour en savoir plus
– D. Astor, Nietzsche, Biographies Gallimard, 2011
– D. Astor, Nietzsche. La détresse du présent, Folio, 2014
– D. Astor, Dictionnaire Nietzsche, Robert Laffont, 2017
– G. Colli, Après Nietzsche, trad. fr. L'éclat, 1987, rééd. 2000.
– G. Deleuze, Nietzsche, PUF, 1965, rééd. 1999
– G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie, PUF, 4e éd. 1974
– M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l'histoire », dans Hommage à Jean Hippolyte, PUF, 1971, p. 145-172, téléchargeable en ligne : https://www.unil.ch/files/live/sites/...
– M. Montinari, Friedrich Nietzsche, trad. fr. PUF, 2001.
– M. Perrot (dir.), L'impossible prison, Le Seuil, 1980
– Ainsi parlait Zarathoustra, livre 1 lu par Michael Lonsdale : https://youtu.be/MlvHSb_0IiE

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mardi, 31 mars 2020

Homenaje a Oswald Spengler

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Homenaje a Oswald Spengler

Armin Mohler

Traducción: Carlos X. Blanco

Ex: https://decadenciadeeuropa.blogspot.com

Hay muchas maneras de ignorar los pensamientos de los grandes hombres, y de vivir como si esos pensamientos nunca hubieran sido expresados. En 1980, cualquier espectador en la Alemania Federal habría visto precisamente eso. Celebramos el centenario del nacimiento de Oswald Spengler. Incluso en los homenajes ofrecidos al filósofo, uno habría encontrado, objetivamente, lagunas. Algunos subrayaron la importancia de la filosofía spengleriana de la historia, cuyas profecías serían confirmadas por los acontecimientos; pero así evitaron abordar las afirmaciones políticas del autor de La decadencia de Occidente. Otros querían "rescatar" al político Spengler convirtiéndolo en antifascista y estudiando sólo muy superficialmente los vínculos que existían entre Spengler, Hitler y el nacional-socialismo. No diré nada de los "brillantes" ensayistas que trabajaron prodigiosamente en su estudio de Spengler para sacar tan poco de él.

El Spengler total

Fue otro gran hombre, Herbert Cysarz (nacido dieciséis años después de Spengler), quien pudo comprender verdaderamente a Spengler en su totalidad. El homenaje que ofreció, en el número de enero de la revista Aula, editada en Graz, Austria, comenzó con estas palabras:

"Ningún historiador contemporáneo ha conocido una gloria tan grande como Oswald Spengler. Ninguno ha sido, en su vida, tan incontestablemente original. Este hombre, hostil a toda la literatura y a todo idealismo, totalmente alejado del mundo abstracto de las letras, ha examinado los grandes temas y las múltiples capas de la Historia, y ha subrayado, como ningún hombre lo ha hecho hasta ahora, la intensidad que reside en la voluntad y la acción. Ha dado al mundo una nueva forma de concebir lo político, con una particular manera de ver, pensar y presentar la Historia."

No cabe duda de que Cysarz comprende que Spengler es más que un historiador: en lo que respecta a su obra, escribe, sigue siendo un signo del destino que se manifestó en el cambio de nuestra época.

Un hombre de la misma generación que Cysarz, Ernst Jünger, escribió cosas de este tipo en los años 20... Aunque su tono fuera más comedido, no tan lleno de patetismo. En un artículo político muy importante de esa época (por cuya reedición en las obras completas de Jünger no deberíamos esperar, claro está), expresa una opinión compartida por muchos de sus contemporáneos: por un cerebro del calibre de Spengler, estarían encantados de dar todo un Parlamento.

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Las debilidades del trabajo de Spengler

Una recepción tan entusiasta de la totalidad de la obra de Spengler no significa que aprobemos todos sus detalles, por lo demás, sin formular ninguna crítica. Spengler no es un superhombre: él también tenía sus debilidades. Además de las profecías que se cumplieron de hecho están las que no se han cumplido. Los profundos estudios de Spengler sobre las diversas culturas de la Historia nos obligan a señalar que no todos los dominios de la actividad humana creativa le son igualmente familiares. Por ejemplo, el estilo literario de Spengler no siempre puede estar a la altura de sus temas; esto no debe aturdirnos, ya que estos textos despiertan las emociones más fuertes. Los enemigos de Spengler también se deleitan en citar frases que muestran cierto "kitsch". Además, Spengler sufre una debilidad como muchos visionarios: lo más inmediato se le escapa. Por lo tanto, según él, el gran poeta de su generación no es ni Stefan George ni Rainer Maria Rilke, sino Ernst Droem, que, con razón, ha languidecido en la oscuridad.

Muy reveladora es la reacción del autor de la Decadencia de Occidente al envío, por parte de un joven escritor, de uno de los libros más importantes de nuestro siglo. En 1932, Ernst Jünger envió a Spengler, con sus más cálidos saludos, su libro titulado Der Arbeiter (El Trabajador). Spengler se contentó con hojear el libro y responder:

"En Alemania, el campesinado sigue siendo una fuerza política. Y cuando uno se opone al campesinado - supuestamente moribundo - el "Obrero" - es decir, el trabajador manufacturero - uno se distancia de la realidad, y se excluye de toda influencia en el futuro..."

Como Spengler no leyó el libro, no podía saber que Jünger no hablaba del obrero de la fábrica. Pero es bastante sorprendente que sobrevalore las potencialidades políticas del campesinado que, unos años más tarde, sería completamente aniquilado.

Obstrucción interna

29976181.jpgNi estos pocos puntos ciegos, ni los extraños aspectos de la vida de Spengler, deben desviar nuestra atención de la masa de su trabajo. Este hombre sensible usaba una máscara, adoptó un estilo que no debe ser tomado directamente. Por lo tanto, los admiradores de Spengler deberían evitar confundir su verdadera personalidad con esa "máscara Cesárea" que usó en sus numerosas apariciones públicas.[i]

Los detractores de Spengler, por su parte, intentarán no describirlo, a la luz de su vida privada, como una especie de extraño tótem de la burguesía decadente.

Por supuesto, la vida solitaria de Spengler permite ciertas suposiciones. Nació el 29 de mayo de 1880, hijo de un alto funcionario postal, en Blankenburg en Harz.[ii] No fue su padre, un hombre apacible, quien dominó el hogar familiar, sino su madre, una criatura medio loca, devorada por ambiciones pseudo-artísticas. Adornó su gran apartamento con tal cantidad de muebles, que el joven Oswald y sus tres hermanas tuvieron que dormir en los desvanes bajo las vigas.

Después de defender una disertación sobre Heráclito, Spengler se convirtió en profesor de matemáticas y ciencias naturales en un instituto de secundaria (Gymnasium). La posterior muerte de su madre no le dejó una gran herencia, pero le permitió vivir sin trabajar: desde 1911 hasta su muerte por un ataque al corazón el 7 de mayo de 1936, vivió retirado como investigador independiente en Munich, en un inmenso apartamento de estilo Gründerzeit (el estilo de los años 1870-80), repleto de enormes muebles y situado en la Widenmayerstraße. Una de sus hermanas lo atendía.

Viajaba poco y sólo mantenía un círculo de conocidos restringido. Rechazó el puesto de profesor que le ofrecieron. Quedó trastocado por la Primera Guerra Mundial. Esta vida parece dominada por el feroz rechazo de todo contacto humano. No sabemos nada de ninguna relación erótica. Desde el principio, hubo un repliegue hacia la interioridad. Y en Spengler, los únicos resultados que nos interesan son los productos de ese aislamiento después de 1917. La castidad de esta existencia no es en absoluto un argumento contra el trabajo de Spengler. Así como el aislamiento en una celda monástica no sería un argumento contra Agustín.

Más allá del optimismo y el pesimismo

En la historia de las ideas, el sentido de la obra de Spengler reside en que, en estado de crisis, devuelve a la conciencia los fundamentos "subterráneos" del pensamiento, con un vigor que recuerda al de un Georges Sorel. ¿Y cuáles son estos fundamentos "subterráneos"? Es el pensamiento resueltamente realista iniciado por Heráclito y la escuela del Pórtico (Stoa). Es un pensamiento que siempre ha renunciado a los falsos consuelos y a la organización del destino de los sistemas fundados en pseudo-órdenes cósmicos. De manera magistral, Spengler confronta a la generación de la guerra con este pensamiento. Su estilo era una curiosa mezcla de "monumentalidad" clásica y expresionismo, realizada con pinceladas de fuertes colores. Y fueron precisamente los que más profundamente habían experimentado el colapso del mundo burgués (el del "espectáculo de marionetas" [Puppenspiel]) los que escucharon su llamamiento.

Este pensamiento se sitúa más allá del optimismo y el pesimismo. El título que el editor eligió para la obra maestra de Spengler (La decadencia de Occidente) engaña. Es posible que Spengler, en privado, deplorara el colapso de un mundo que le era querido. Pero su obra no deplora nada: más bien nos sorprende que la Historia sea un movimiento único de surgimiento y declive, y que no haya nada que el hombre pueda hacer sino afrontar esta realidad con compostura, en el lugar que el destino le ha asignado. Esto es lo que impide a Spengler identificarse con el Tercer Reich, y lo que le llevó en 1933, en su última obra, Jahre der Entscheidung (Años Decisivos), a enfrentarse al NSDAP por su ceguera en política exterior. Para Spengler, la política exterior, por ser un combate, es primordial con respecto a la política interior, que a su vez insiste en la importancia del bienestar. Por lo tanto, el carácter híbrido del nacionalsocialismo aparece claramente: como socialismo, alimenta una fuerte tendencia a la utopía, aunque también conoce la fascinación de la melodía heraclítea.

Sin duda, ninguna praxis política es posible sin una cierta dosis de esperanza, y sin alusiones a un orden (cósmico) dotado de sentido (teleológico). Sólo una minoría de individuos puede sostener la mirada de la Gorgona. Dentro de esta minoría, el porcentaje de hombres de acción es mayor que el de los intelectuales, o sacerdotes, o de otros fabricantes de opinión. En todo caso, los discípulos de Heráclito poseen un consuelo propio, que sacan precisamente de lo que constituye, para los demás, una fuente de terror. La lectura de Spengler nos demuestra el doble aspecto del pensamiento de Heráclito.

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Inflexibilidad

De manera muy pertinente Herbert Gysarz cita dos frases que muestran de manera insuperable lo que separa a Oswald Spengler de la sociedad liberal, como de cualquier tipo de dictadura del bienestar (ya sea roja o marrón). La primera de estas frases dice: "Los hechos son más importantes que las verdades". La segunda: "La vida no es sagrada". Este es el lado duro de la filosofía de Spengler; y es en El Hombre y la Técnica (1931), un libro ajeno a toda ambigüedad, donde Spengler lo subraya más particularmente, para desafiar toda la cháchara de nuestro siglo.

Heinz Friedrich, en su artículo en Die Welt, escrito para el centenario del filósofo, ofrece fórmulas aún más precisas. Comienza con el hecho de que el propio Spengler es un discípulo declarado de Goethe y Nietzsche. El propio Cysarz dice que la noción spengleriana de destino muestra más afinidad electiva con las sagas germánicas y el heroísmo trágico de Shakespeare que con el humanismo clásico. Friedrich escribe, en un idioma nada Spengleriano (¡habla de "verdades"!):

Al final de la era del caos, los ciudadanos deben habituarse no sólo a llegar a tomar conciencia de las verdades, sino también a vivirlas y a convivir con ellas. Como dijo Goethe, no sólo la naturaleza es insensible, sino también la historia; porque, parafraseando a Spengler, se podría decir que conserva más características naturales que las que nos gustaría admitir. Por consiguiente, es con una absoluta indiferencia que ella ignora nuestras esperanzas y temores.

Para Friedrich, lo que es nietzscheano en esto es el diagnóstico que representa la decadencia como una debilidad vital: "El agente de la vida, el factor favorecido del eterno devenir es, para Nietzsche, la voluntad de poder". Friedrich añade una advertencia: "La voluntad de poder, reconocida por Nietzsche como principio vital, es cualquier cosa menos el orgullo biológico y muscular que aún hoy queremos que signifique". Esta concepción vulgar de las cosas es compartida por los adeptos de Nietzsche como por sus adversarios. Simplemente significa que toda la vida siente el impulso de afirmarse a sí misma. Spengler es más que un discípulo de Nietzsche: lo completa y lo transforma. La contribución personal de Spengler a esta escuela de pensamiento es cumplir algo que encontró en Nietzsche en forma de un llamamiento.

Los colores de la vida

Quien se resiste a la mirada de la Gorgona no se aparta del mundo. Al contrario: ve el mundo de una manera más intensa, más plástica, más colorida. Esta es la paradójica verdad del asunto. La mirada de la esperanza, por otra parte, sólo puede ver coherencias, leyes, y, por esta razón, desvía su atención de lo particular para perderse en lo general: desencanta al mundo.

Hay que tener en cuenta cómo los Weltanschauungen dominantes, que son un lúgubre pastiche de la insípida ideología de la Ilustración y del cristianismo secularizado, han transformado el mundo, para el hombre mediocre, en un conjunto de tristes esquemas. Es el resultado de una visión bien definida de la Historia (en la Historia, el hombre descifra el mundo para comprenderlo). ¿De dónde, en esta visión, saca su valor la vida? De algo que se alcanzará en un futuro lejano, después de una larga evolución, y después de nuestra propia muerte. Nada es en sí mismo; todo existe sólo en la medida en que significa otra cosa, que está "detrás".

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La vida se ve entonces reducida a una racionalidad mediocre, que excluye todas esas grandes efervescencias que conducen a las alturas o a las profundidades; el hombre se mueve entonces dentro de una angosta estrechez, que no le ofrece nada más que la satisfacción de sus necesidades físicas. Por encima de esta estenosis sopla un tibio aliento de ética conductista. Arnold Gehlen llamó a esto "eudaimonismo masivo". Las masas están constituidas por individuos aislados, que no están enraizados en nada sólido, que no están enredados en una estructura de hormigón, que vagan sin rumbo en lo "general".

Es en este contexto que el ciclón spengleriano debe ser entendido: rompe la monotonía de lo que se llama a sí mismo "moderno", y reinvierte el mundo con tonalidades vibrantes. En la visión Spengleriana, el hombre ya no se manifiesta como una "generalidad", que comparte con todos sus semejantes. Al contrario, pertenece a una cultura específica, que no puede ser reducida a ninguna otra cosa, pero que tiene su propio significado. Toda cultura es de naturaleza totalmente litúrgica, porque de todo lo que produce surge el símbolo con el que se identifica y por el que se distingue. Spengler vio a estas culturas viviendo como viven las plantas: con sus fases de crecimiento y declive. Cada una de estas fases de crecimiento ocupa su propio rango. ¡Qué fuerte suena una melodía en su evocación del fin de una cultura o del Cesarismo! Podríamos citar con placer páginas enteras del primer volumen de La Decadencia:

"Una vida real se lleva a sí misma. No está determinada por el intelecto. Las verdades se sitúan más allá de la Historia y de la vida. [...] Los pueblos de la cultura son formas efímeras del río de la existencia. [...] Para mí, el pueblo (Volk) es una unidad de alma (Seele). [...] La mirada se libera de los límites de la vigilia. [...] Lo que confiere valor a un solo hecho es simplemente el mayor o menor poder de su lenguaje formal, la fuerza de sus símbolos. Más allá del bien y del mal, lo superior y lo inferior, lo necesario y lo ideal."

Todavía debemos añadir una última palabra sobre el alemán que fue Oswald Spengler. No evocó la pluralidad de culturas para sublimarse a través del exotismo. Escribió sus libros para los alemanes que vivieron el colapso del Reich. Spengler no lleva a los alemanes ante un tribunal de "generalidad", sino que los confronta con su especificidad, en el espejo de su historia. En todos los escritos de Spengler, uno siente su convicción de que los alemanes han jugado en el pasado un papel particular, y que los prusianos lo jugarán en el futuro. Estas convicciones de Spengler obviamente desmienten el deseo de mantener la mentalidad frustrada que reina hoy en día.

Versión inglesa de Fergus Cullen: https://ferguscullen.blogspot.com/2020/03/armin-mohler-homage-to-oswald-spengler.html. Con nuestro agradecimiento.

Versión francesa: http://www.archiveseroe.eu/spengler-a48363374

[i] [* Nota del autor. Podríamos, por supuesto, discutir el buen gusto de publicar la foto de Spengler en su lecho de muerte. Esta foto prueba, sin embargo, que esta máscara no impregnó de forma duradera la fisonomía de Spengler].

[ii] [** Nota del autor. Otro protagonista de la revolución conservadora que vino de esta ciudad es August Winnig. Nació dos años antes que Spengler en 1878, y era hijo de un sepulturero].

 

lundi, 30 mars 2020

"Antes de la historia: Algunas notas asistemáticas" (1975)

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"Antes de la historia: Algunas notas asistemáticas" (1975)

Armin Mohler, Nouvelle École 27-28 (1975).

Del tipo de hombre que concede una importancia especial a la historia, queremos decir que es un ser que se siente incómodo en este presente y que busca volver en sus sueños a las épocas que ama y, por esta razón, podemos decir que es "conservador". Para describir esta actitud, que hoy en día comienza a parecer una epidemia, se ha acuñado el término "nostalgia". La nostalgia es un fenómeno con múltiples aspectos y, a la luz de estos, no resulta fácil emitir un juicio. Pero parece que no depende de unas actitudes intelectuales fundamentales. Hay conservadores nostálgicos y conservadores que no lo son, mientras que un sinnúmero de no conservadores experimentan una intensa nostalgia. De todas formas, la nostalgia no es un elemento constitutivo del conservadurismo; y el hecho de que uno sea o no nostálgico no es lícito concluir que alguien es o no es conservador.

  1. La historia está cerca

La mayoría de los malentendidos sobre el tema de la historia provienen del hecho de que la consideramos distante en el tiempo. Ciertamente la historia no es inmediatamente perceptible. Pero no por ello tiene menos importancia en el presente. Podríamos concebir nuestra relación con ella según el modelo de la holografía, que fue introducido en 1948 por Dennis Gabor. Se trata esencialmente de un nuevo tipo de "fotografía", capaz de representar tanto los contornos como el reverso de un objeto, aunque nuestro ojo sólo puede tomar su propia perspectiva. El hombre sin sentido histórico es como quien se ve en un espejo: se ve a sí mismo como si estuviera transcrito en una superficie, con las distorsiones y omisiones que esto conlleva. Tener sentido histórico significa no contentarse sólo con esta dimensión. Y, para seguir con la imagen que hemos tomado como ejemplo, estudiar la historia significa sostener un segundo espejo detrás de la cabeza, o todo un sistema de espejos, para verse desde todos los ángulos y así lograr una distancia con respecto a uno mismo.

  1. La historia no es una clase académica.

El beneficio que se obtiene de la historia es generalmente de orden moral. Alabamos los ejemplos que esperamos igualar. Afirmamos que nos ayuda a evitar los errores de los demás. Y así sucesivamente. Los historiadores no han escatimado esfuerzos en lo que se refiere a estos supuestos efectos directamente educativos de la historia. Los sucesores de los grandes hombres son generalmente pocos en número; y los errores se ensayan fatigosamente. Si la historia tiene un efecto educativo, éste se manifiesta de la forma menos directa, por decir algo.

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  1. La historia permite una observación verificable

La historia tiene un poder disciplinario porque su función es la misma que la de la experimentación en el dominio de las ciencias naturales: la historia ofrece la única posibilidad de efectuar una observación verificable a nivel humano, tal como la experimentación la ofrece a nivel de la naturaleza. Esta observación es más fácil de hacer ya que la filosofía se ha degradado a un modesto papel de secretario en las reuniones interdisciplinares. La lógica tiene ciertamente sus inducciones, pero sólo en abstracto. Lo que tratamos de distinguir en el ámbito humano, como "naturaleza", "alma" (Seele) y "espíritu" (Geist), está tan íntimamente enredado que la lógica se esfuerza por comprenderlo. ¿Qué podría decir realmente verificable sobre una cosa, una persona, un evento humano? Podría decir qué es, en qué se convertirá con el tiempo y cómo cambia mientras tanto. Sobre los detalles puede haber diferencias de opinión: en términos generales, sin embargo, un consenso es posible.

  1. La verificabilidad no lo es todo

Quien comenta los severos límites de la observación verificable se expone generalmente a la sospecha de querer desvalorizar toda observación adelantada. Pero no tendría sentido actuar de esta manera: sería decir que cualquier intento de volver a las raíces, cualquier proyecto de gran envergadura debería ser limitado en consecuencia, y que la fuerza creativa en el hombre debería dejarse marchitar. En la esfera de la acción humana, la historia tiene una función particular: "verificabilidad" no significa otra cosa más. Y llamar a esa función "compensatoria" sería minimizarla: ya que la experiencia de la historia puede tener dos efectos contrarios y radicalmente opuestos.

  1. A través de la historia experimentamos lo complejo

Seguiría siendo una de esas simplificaciones inadmisibles, como en el caso de la cuestión de la nostalgia, decir que el "conservador" experimenta la historia como un absurdo. Algunos autores han utilizado la metáfora de "lo in-significativo" ("l'in-signifiant") para denotar aquello que aparece efectivamente en todo acontecimiento histórico: a saber, el hecho de la experiencia de que la historia representa siempre un exceso con respecto a los esquemas interpretativos que tratamos de atribuirle en el pensamiento. La experiencia fundamental según la cual "el mundo no es divisible", es decir, que el pensamiento humano y la realidad nunca pueden coincidir, alcanza en la dimensión histórica una intensificación que se podría comparar con un "efecto estéreo". La historia es una escuela de humildad: todos los intentos de explicación monocausal (o incluso bi- y tricausal) se hacen añicos contra ella, y nos hace conscientes del carácter complejo de toda realidad. Esto no tiene por qué molestarnos, ni siquiera desalentarnos, sino todo lo contrario: de una manera difícil de definir (e inexplicable en términos racionales), esto puede -de hecho- impulsarnos a una apreciación más profunda. Al darnos cuenta de lo complejo que es el mundo, vivimos una especie de segundo nacimiento.

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  1. A través de la historia experimentamos la forma.

"Darle un significado a lo que no tiene significado" es igualmente una fórmula de la que debemos desconfiar. Desmiente una psicología un tanto escuálida. Es cierto que el mundo no tiene sentido y que, como el hombre no puede vivir sin sentido, pues bien, se construye uno. Pero la relación que debemos tener con la historia es aún más esencial. Este "segundo nacimiento" no sólo consiste en la experiencia de la complejidad del mundo, sino que también reside en nuestro impulso de contraponer a lo complejo (Benn o Montherlant dirían "contra el caos") una forma, una configuración. Lo que nos mueve profundamente en la historia es que el hombre siempre busca, precisamente a partir de esta experiencia de una realidad compleja, e incluso en las situaciones más desesperadas, dejar todavía un rastro detrás de él. Aunque sólo sea un rasguño en una realidad tan compacta, como dijo Malraux en alguna parte, con esa brillante despreocupación que hizo suya.

El hombre de la Aufklärung [Ilustración] dirá: "No es mucho". Nuestra respuesta sólo puede ser: "Pero lo es".

Tomado de : https://ferguscullen.blogspot.com/2020/01/armin-mohler-be...

jeudi, 27 février 2020

Historian of the Future: An Introduction to Oswald Spengler’s Life and Works for the Curious Passer-by and the Interested Student

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Historian of the Future:
An Introduction to Oswald Spengler’s Life and Works
for the Curious Passer-by and the Interested Student

By Stephen M. Borthwick
Ex: https://europeanheathenfront.wordpress.com

There have been two resurgences in the popularity of Oswald Spengler since the initial blooming of his popularity in the 1920s; the first in the 1980s and the second most recently, with almost ten major books dealing directly with him or his thought published in the last ten years, and more articles in various academic journals. It is a resurgence in the popular mind that may yet be matched in the academy, where Spengler has hardly been obscure but nevertheless an unknown—a forbidden intellectual fruit for what was, in the words of Henry Stuart Hughes, his first English-language biographer, “obviously not a respectable performance from the standpoint of scholarship” calling Decline of the West, in form typical to Hughes’ species “a massive stumbling block in the path to true knowledge”.[1] This is a pervasive attitude amongst academics, whose fields, especially history, are dominated by a specialisation that Spengler’s history defies with its broad perspective and positivist influences. As such when Spengler’s magnum opus first appeared, it was immediately subject to what in popular parlance can only qualify as nit-picking, which did not cease when the author corrected what factual errors could be found in his initial text. Nevertheless, in the popular mind Spengler has remained an influential if obscure author. Most recently, his unique, isolated civilisations encapsulated in their own history has been observed in Samuel Huntington’s Clash of Civilizations and the Remaking of the World Order, though the development of civilisations from Mediterranean to Western that he paints resembles the dominant theory posited by William McNeill in his Rise of the West rather than Spengler’s Decline of the West. Nevertheless, Spengler’s theory of encapsulated cultural organisms growing up next to one another, advanced by subsequent authors like Toynbee, remains a stirring line of thought, growing more relevant in the rising conflict between Western countries and the resurging Islamic world.

T9780195066340_p0_v1_s550x406.jpgo understand this adversity that Spengler’s ideas struggle against in the academic establishment, and therefore to know why his ideas have filtered through the decades but left his name and book behind, it is necessary to do what very few academics dare to do: to explore and openly discuss the significance of Spengler’s thought. This is the project of this essay; to explain to any who have recently discovered Spengler, especially if they are a college student or college graduate, why they have never heard the name “Spengler” before, and what his thought entails at its most basic level. This discussion will deal not just with Spengler’s most famous work, Der Untergang des Abendlandes (“The Downfall of the Occident”, popularly known as Decline of the West, after C.F. Atkinson’s translation) but also with his numerous political pamphlets and subsequent works of philosophy and history. His philosophical texts include, chiefly: Man and Technics, a specialised focus expanding on the relationship of the human being and the age of technology in which we live already mentioned in Decline, The Hour of Decision, which foresees the overthrow of the Western world by what today would be called the “Third World”, or what Spengler refers to as the “Coloured World”, and Prussianism and Socialism, his first major political text, prescribing the exact form of political structure needed, in his view, to save Germany immediately after the First World War. Numerous other texts, published by C.H. Beck in Munich, also exist, compiled in two primary collections, Politischen Schriften (“Political Writings”) of 1934 and posthumous Reden und Aufsätze (“Speeches and Essays”) of 1936; these are joined by Gedanken (“Reflections”), also of 1936. His unfinished works, posthumously collected and titled by chief Spengler scholar Anton Koktanek in the 1960s, Urfragen and Frühzeit der Weltgeschichte, will not be touched upon in this brief introduction, since they are not available in the English language, but readers fluent in German are encouraged to explore them as well as Koktanek’s other works.

On the assumption that without understanding a man, one cannot grasp his thought, it seems most appropriate to begin any exploration of Spengler the philosopher with Spengler the man. Spengler was a conservative first, then a German nationalist, then a pessimist (though he regarded himself as a consummate realist). Further, he was one of the few men (if not the only man) to meet Adolf Hitler and come away completely unmoved by the demagogue and future dictator of Germany. He openly attacked National Socialism as “the tendency not to want to see and master sober reality, but instead to conceal it with... a party-theatre of flags, parades, and uniforms and to fake hard facts with theories and programmes” and declared that what Germany needed was “a hero, not merely a heroic tenor.”[2] Nevertheless, when voting in the 1932 elections, Spengler, along with some 13.5 million other Germans, cast his ballot for the National Socialist ticket; he explained his choice to friends by saying enigmatically “Hitler is an idiot—but one must support the movement.”[3] At the time people speculated what he meant, and have subsequently continued to speculate to what he was referring when he said “the movement”, especially after his sustained criticisms of National Socialism well into what other Germans were experiencing as “the German Rebirth” in the years between 1933 and his death in 1936.

Spengler’s sustained pessimism about the National Socialist future (he remarked sarcastically shortly before his death that “in ten years the German Reich will probably no longer exist”) is reflective of a realism he had well before the beginning of the First World War, when the idea that would become Decline of the West were first conceived shortly after the Agadir crisis in 1911. Spengler lived and wrote largely in unhappy times; his chief contributions were made in Germany’s darkest hours of the interwar period, dominated by an unstable, incompetent government, extraordinary tributes exacted by the victorious allies, and as a result unrivalled poverty, inflation, and unemployment while the former Allied Powers (save for Italy) were experiencing the so-called “Roaring ‘20s”. He was born and he died, however, in times when things were looking bright. Few regular Germans in 1936 could or did foresee the barbarity of Hitler’s reign, five gruelling years of World War and the planned extermination of non-“Aryans” in conquered territories as well as at home, just as Wilhelmine Germany was oblivious to the consequences of the First World War almost right through it. All that the Germans saw was Germany, their Germany, was on the rise! In 1880, when the young Oswald was born to Bernhard Spengler and his wife Pauline, the German Empire was led by Kaiser Wilhelm I and his Iron Chancellor Bismarck, and the German Reich was still celebrating its formation and the unification of the German nation. Aside from the tribulation of the “year of three emperors” when the young Oswald was eight, there was no reason for the average German to worry about catastrophe: the kindly old Kaiser Wilhelm was replaced by his young, virulent grandson, Wilhelm II, who promised his people “a place in the Sun”. Later, in 1936, when the now established scholar died in his sleep of a heart-attack, the German people were again in good spirits; from the popular perspective, all they could see was that they at last had jobs again, inflation no longer loomed as so painful a memory, their shattered Reich was being rebuilt, and someone had finally reasserted German control over the Rhineland and the Saar—where the memory of the insulting use of colonial occupation forces by the French, and the various abuses civilians suffered during the occupation, still lingered in the German mind.

Early Life (From Youth to Decline, 1880-1917)

All of this blithe cheerfulness and celebration, though, did not affect either the young or the old Oswald Spengler. The opening chapter of Koktanek’s biography of him is titled “Ursprung und Urangst” – “Origin and Original Anxiety”, and not without good reason. Throughout his life, Spengler suffered a nervous affliction and anxiety, leading to chronic headaches in later years so bad that they caused minor short-term memory loss. He would later reflect in his planned autobiography that in his youth he had “no friends, with one exception, [and] no love: a few sudden, stupid [infatuations], fearful of the bond [of relationship]. [I had] only yearning and melancholy.”[4] His home life was similarly dismal. John Farrenkopf characterises it as the typical bourgeois home of the period; his father, a former copper miner turned civil servant, was proud of the Fatherland, conservative in social attitudes, and generally took for granted his loyalty to the Prussian State. It was, in Spengler’s own eyes, a cold place, and an unhappy one. Spengler remarked that his parents were “unliterarisch”—“unlettered, unliterary”—and they “never opened our bookcase nor bought a book”; he himself developed an early love for reading, which earned him ire from his father, of whom he wrote was characterised by a “hatred for all recreation, most of all books”.[5] Despite his newspaper reading and bourgeois sensibilities, though, Bernhard Spengler rarely raised the topic of politics in the household, and young Oswald was only exposed to the workings of the State by outside influences. He would break from this aloofness of politics only once in his life, shrinking after his failure back into scholastic and theoretical efforts to influence the political climate.

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Spengler’s mother led an unhappy life; she married Bernhard, it would seem, out of convenience rather than deep feeling, and bitter about her lot. Originally from the famous Grantzow clan of ballerinas and ballet masters, Pauline Spengler was prevented from ballet and the stage because of her figure, and then forced to leave her beloved home town, the quiet hamlet of Blanckenburg in the Harz mountains, for the bustling Hessian city of Halle-an-der-Saale when young Oswald was ten and her husband changed his trade from mining to postal work (a change he was not especially excited about, either). She displayed her dissatisfaction by brooding over her painting (an effort to cling to what artistry she could maintain in competition with her sisters) and playing petty tyrant over her children.

The young Spengler escaped this life through fantasy and fiction, inventing imaginary kingdoms and world-empires and writing childish theatre-plays with echoes of Wagner. He found further escape after he began his schooling at the Latina, administered by the Franckean Foundation in Halle, where he formally studied Greek and Latin, but in his free time devoured Goethe and Schiller, the first of literary influences that would later be joined by such eclectic writers as William Shakespeare, Gerhart Hauptmann, Henrik Ibsen, Maksim Gorky, Honoré de Balzac, Heinrich von Kleist, E.T.A. Hoffmann, Friedrich Hebbel, Heinrich Heine, Leo Tolstoy, Fyodor Dostoevsky, Émile Zola, Gutave Flaubert, and others.[6] Spengler complained of the Franckean focus on Greek and Latin that prevented him from learning “practical languages”, and he was forced as a result to teach himself French, English, Italian, and, later, during his university days, Russian, through reading authors in those languages. His fluency in the languages was astounding to many, but he himself never felt comfortable enough with them to correspond with many of the authors he would later read and who would bring to bear influence on his own magnum opus in their own languages. Anton Koktanek blames this anxiety and lack of formal training in modern foreign languages for Spengler remaining “a German phenomenon”.[7]

Spengler’s interest in world history and contemporary history also began here, and added to the fiction he wrote, including a short story set in the Russo-Japanese War titled Der Sieger as well as poetry, librettos, dramatic sketches, and other notes and such, most of which he would commit to the flames in 1911.[8] At University, he read the entirety of Goethe’s corpus and discovered two men who would bear tremendous influence on his later writing: Arthur Schopenhauer, and Friedrich Nietzsche. He would also become a devotee of Richard Wagner during this time, declaring his favourite work to be Tristan and Isolde.[9] His interest in Nietzsche especially would have great bearing on his choice of thesis topic, the pre-Socratic philosopher Heraclitus.

Spengler’s father died in 1901, just as Oswald was beginning University studies. He was by and large emotionally unaffected by the loss, and began all the more focusing on his studies. Like most students at University in those days, Spengler matriculated at several Universities while formally enrolled at the University of Halle. First, he travelled to Munich, a city with which he would fall in love and later make his home. Subsequently he would also study at the University of Berlin and then returned to Halle to complete his dissertation topic, entitled “Heraklit: eine Studie über den energetischen Grundgedanken seiner Philosophie” (“Heraclitus: A Study of the Energetic Fundamental Thought of his Philosophy”). It was, as Klaus Fischer observes, “a daring subject for a young scholar because Heraclitus had only left a few and highly cryptic fragments of his thought.”[10] Spengler, however, dared, and presented the first form of his thesis in 1903, but failed the oral defence. Despite his own typically depressed personality, however, he was not downtrodden at the failure; rather, he agreed with almost every criticism that was offered against his work—in his autobiography he called himself “naïve”. He had not, as most biographers observe, consulted any professors on his thesis before submitting it, and therefore had made errors and omissions that one only really avoids from consultation and discussion of one’s work.[11] The primary complaint was his lack of citations. He would repeat this mistake with the first edition of Decline of the West in 1917, writing the book entirely alone and isolated from the outside world—after initial criticism of the book he would revisit and largely revise the text, such that when it arrived in second edition in 1922 he had fixed most of his errors, but did not, as the academics insisted he should, increase the number of citations.

Spengler received his Ph.D. in 1904 and immediately went on to pass State examinations in a number of subjects that allowed him to become a Gymnasium teacher. His first assignment was a major turning point in his life, when he resolved not to be a teacher after stepping off the train in the little town of Lüneburg, taking a glance about at the town and the school and realising how terribly provincial his life would be. Spengler promptly boarded a train for his home town of Blankenburg and had a nervous breakdown. From this point forward he resolved to use teaching as a support for his true passions of study and writing. He recovered from his breakdown and took a different assignment, this time in Saarbrücken, happy to be so close to the French border that would allow him to take several holidays in France.[12] After a year there, he moved on to Düsseldorf, where he taught for another year before taking on a permanent (or so it appeared at the time) position in Hamburg.

Spengler flourished in these cities of big industry and metropolitan life—despite his writings criticising money power and the soul-stealing metropolis, Spengler remained a cosmopolitan urbanite throughout his life. An attestation to this aspect of his personality is his behaviour while teaching. Spengler remembered his days in the Franckean Latina with mixed disdain for the parochial moralists he had as teachers and gratitude for the training he received. He resolved, in the words of Klaus Fischer, “to avoid the foibles commonly attributed to schoolteachers: pedantry, narrow provincialism, and incivility” and made an effort to keep himself fully attuned to the petty culture of fashion and the latest advances in his scholarly fields (he taught German, mathematics, and geography). He would also frequent the theatre (where he would weep easily at especially moving plots and concertos) and local museums—in Düsseldorf he was even spotted frequently in the casino, a place quite foreign to most schoolteachers![13] His time in teaching, however, was short-lived. By almost all accounts Spengler hated Hamburg, not for itself, nor because he disliked the people, his colleagues or his students—indeed in all these respects he was well-respected and well-loved and returned these feelings of affection—but because of the weather. The cold, wet north German city terrorised him, increasing the acuteness and the frequency of his chronic headaches to such a degree that he took a year sabbatical in 1911 from which he would never return. His immediate plans were a holiday in Italy, where he would sojourn frequently in imitation of Goethe.[14]

His complete departure from teaching, much to the disappointment of both colleagues and students, who regarded him as a superlative teacher and amicable fellow, was by and large decided by his mother’s death in 1910. He had little regard for his mother, who psychologically tortured his sister Gertrude, disdained his other sister Hildegard, and was no kinder to his beloved sister Adele.[15] While he marked his father’s passing in 1901 with reflections of the latter’s loyalty to Prussia, his mother’s death was marked only with his inheritance and departure from his childhood home, leaving his sister Adele to dissolve the household.[16] Adele, a frustrated bohemian and largely talentless aspiring virtuoso, quickly spent the 30,000DM she inherited and committed suicide in 1917. Oswald’s inheritance, on the other hand, was wisely invested and used with some measure of thrift, giving him a comfortable lifestyle in Munich and allowing him to pursue his desire to be a writer.

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At first, Spengler hadn’t the slightest idea what to write about. In Heraklit he displayed some of the budding thought which came to fruition as his magnum opus, to be sure. In one of the thicker sections of notes for Eis Heauton, the author proclaims that “my great book, Untergang des Abendlandes, was already emotionally conceived in my twentieth year” (four years before he would submit his doctoral thesis).[17] Farrenkopf observes that Spengler’s dissertation bears the marks of Decline as well, declaring that “what Spengler later attempted as a philosopher of history is analogous to what he claimed Heraclitus had accomplished in Greek philosophy”.[18] The true inspiration for Decline, however, came not from Heraclitus nor from Goethe or Nietzsche; nor did it come to him, as it did with Gibbon and Toynbee, from a physical visit to any landmarks. Rather, the genesis of Decline of the West was in a much different, political work titled Liberal and Conservative, which Spengler began writing in response to the Agadir Crisis of 1911.

Agadir, briefly put, was an attempt on the part of Kaiser Wilhelm II to imitate the American support of the Panamanian rebellion against Columbia, which was accomplished by placing the American fleet off the coast of Panama to prevent Columbian intervention. When Moroccans rebelled against the puppet Sultan Abdelhafid after years of allowing his country to be exploited by European powers, the French offered to support Fez by sending in troops. Wilhelm attempted to assert German interests in the region by sending the gunboat Panther to the harbour of Agadir, much to the chagrin of the French, who would later take over Morocco as part of their colonial Empire, and the British, who viewed the act as a challenge to their own power and a threat to peace in Europe. The end result of the whole event was a strengthened Entente cordiale that would eventually become the Allied Powers in the First World War.

Spengler was keenly aware of the situation at the time, and took on the task of writing a book on the subject that would contrast German and British world-aims and national spirits. The general thrust of this work would become his later work Prussianism and Socialism of 1919, but as he worked on Liberal and Conservative, he found his topic broadening more and more, to the point where he was taking into account not the national rivalries of the nineteenth and twentieth centuries, but the great trials and tribulations of entire civilisations over the course of millennia. Thus the work transformed into the first volume of his Decline of the West, the title of which he probably derived from discovering Otto Seeck’s Geschichte des Untergangs der antiken Welt (“History of the Downfall of the Ancient World” or The History of the Decline of Antiquity) in a store-front window.[19] He would complete the work over the next few years, well into the World War, about which he maintained a positive outlook, to the extent that his introduction to the first volume of Decline, appearing in 1917, bore the hope of the author (omitted in Atkinson’s translation) that “this book might not stand entirely unworthy next to the military achievements of Germany.”[20]

The book that took shape was sweeping in scale, painting the picture of a broad history of mankind as the life cycle(s) of massive organisms to which Spengler gave two names: Kultur and Zivilisation, each representing the youth and the adulthood of the organism. These organisms passed through four seasons of life—(as Kultur) Spring, Summer, (as Zivilisation) Autumn, and Winter—before passing from existence and leaving the soil to which it is tied to give rise to a new organism. A more detailed discussion of the theory may be required before departing into Spengler’s life after the War and the publication of Decline.

Decline of the West and its Influences

Der Untergang des Abendlandes occurs as a part of a long tradition of German historical writing, dating from the early nineteenth century and in which the giants of the field, both famous and infamous, stand: G.W.F. Hegel, Karl Marx, Heinrich von Treitschke, Leopold von Ranke, Heinrich Friedjung, among others. It also occurs as a part of a long tradition of German philosophy and social thought, dating even further into history and starting, not with the rational Kant, but with the intuitive and romantic, sometimes quasi-mystical writings of Goethe, following to Nietzsche, Ferdinand Tönnies, Max Weber, and still more. More can be said of Spengler’s influences, and has been said in the works of Farrenkopf and Fischer on the subject, but a brief discussion of chief influences will be sufficient for our purposes.

osimagep.jpgIf Spengler was the first to propose a World-Historical view, as he claims in the early pages of Decline, Leopold von Ranke preceded him by for the first time proposing a European-Historical view in his two-volume Deutsche Geschichte im Zeitalter der Reformation (“German History in the Age of Reformation”) of 1845/47.[21] Ranke wrote a history which belongs to a very specific school of historical inquiry, dependent on objectivity and a slice of historical fact drawn from primary source work with bearing only on that exact moment in history, showing things wie es eigentlich gewesen, as he proclaims in his 1824 work Geschichte der romanischen und germanischen Völker von 1494 bis 1514 (“History of the Latin and Teutonic Peoples, 1494-1514”). For all his efforts at objectivity in history, he was a firm believer in the balance of power of nation-states, and his loyalty to this state philosophy bleeds through in his writing. He is significant to Spengler in that both men sought to broaden historical inquiry into an objective rather than national project, and that Spengler was certainly beholden to the school of narrative historicism that Ranke would found, inasmuch as his project was heavily criticised by more loyal Rankeans than himself.

Spengler’s other major historical inheritance was G.W.F. Hegel, who stood with Ranke in his typical nineteenth century fascination with the nation-state but was completely opposed to Ranke’s objective, slice-of-history approach, demanding a broader view, and the ability to see the future in the past. Hegel was also a dedicated Prussian, much like Spengler’s father and Spengler himself—so much so, in fact, that he is among several German historians of preceding centuries who are mentioned by Shirer in his fumbling, attempt to link National Socialism and the Prussian state in Rise and Fall of the Third Reich. His declaration in Grundlinien der Philosophie des Rechts (“Elements of the Philosophy of Right”) that “the course of God in the world—that is the State—and its foundation is the mighty force of Reason actualising itself as Will” is reflected in Spengler’s own firm belief in the role of fate in the lifespan of Kultur-Zivilisation organisms.[22] Furthermore, like Hegel, Spengler’s history is a designated march to a designated end: for Hegel, the “end of history” is a progressive, linear movement from antiquity to modernity and the pinnacle of mankind’s development—a belief that has earned Hegel accusations of arrogance and stubbornness, among other things, from detractors. He would pass this view onto his student Karl Marx, who proclaimed the same progression, but from a strictly economic view, of modes of production through history, culminating in the elimination of alienation and the realisation of Species-being in Communism. The difference between the Hegelian and Marxian view of history and Spengler, however, is two-fold: while the given lifespan of a Kultur-Zivilisation organism can be viewed as linear, it is a downward motion rather than the upward motion Hegel and Marx see; further, there is no single linear history of all mankind, the way Hegel and Marx see it. Quite the contrary, Spengler echoes Goethe, declaring that “‘Mankind’ is a zoological concept or merely an empty word.”[23]

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It seems contradictory, of course, that Spengler would reject that “mankind” exists while attempting very earnestly to write a “world-history.” As much as Spengler reflects Hegel and Ranke as historical predecessors, his views of the organism of society bear the marks of Ferdinand Tönnies, whose famous work Gemeinschaft und Gesellschaft would practically found the discipline of sociology, influencing both Max Weber’s seminal The Protestant Ethic and the Spirit of Capitalism as well as Emile Durkheim’s functional theories of society.[24] Tönnies summarises his project in Gemeinschaft und Gesellschaft in the very first page, saying “The connexion will be understood either as real and organic – this being the nature of the Gemeinschaft – or in an ideological and mechanistic form – this being the notion of Gesellschaft” and further summarising the difference between the two by saying that, “all that is familiar, private, living together exclusively (we find) is understood as life in a Gemeinschaft. Gesellschaft is the public sphere, it is the World”.[25]

Spengler’s structure of the communal, agrarian Kultur passing into individualised, urban Zivilisation has much in common with Tönnies’ conception of the organic Gemeinschaft and its artificial counterpart Gesellschaft. It is also important to bear in mind that the key to the Gemeinschaft/Gesellschaft schema is two-fold—both the contrast of the private with the public spheres as well as the organic with the artificial—when considering Spengler’s own contrast of the representative of Kultur, which is the “country-town” with the representative of Zivilisation, which is the megalopolis. As Spengler says himself, “long ago the country bore the country-town and nourished it with her best blood. Now the giant city sucks the country dry, insatiably and incessantly demanding and devouring fresh streams of men, till it wearies and dies in the midst of an almost uninhabited waste of country.”[26]

The contrast of the organic with the artificial, the personal with the impersonal, and the village with the city runs throughout Spengler’s whole structure. Spengler’s vision is two-fold: both the binary progression of Kultur crystallising and stagnating into Zivilisation as well the four-phase life cycle that all Kultur-Zivilisation structures (or, more properly, organisms) follow. Describing this, Spengler uses two sets of terms: organic terms, describing the actual birth, growth, decline, and death of the Kulture-Zivilization organism as a life form, and the fatalistic language for which he has been so criticised: he declares “the Civilisation is the inevitable destiny of a Culture… Civilisations are… a conclusion, the thing-become succeeding the thing-becoming, death following life”.[27] The central concept there—Werden and Gewordene, “becoming” and “become”—are ideas for which Spengler is deeply indebted (as he admits) to Goethe, and play strong role in the contrast he makes between the vivacious, developing Kultur and the stagnant, crystallised Zivilisation.[28]

These Kultur-Zivilisation organisms are detailed in three tables he includes in his work: the first details the passage of Spring-Summer-Autumn-Winter, which for the Occident begins in 900, after the Carolingian period and the final death of Antiquity, and ends (or begins to end) with modernity, completely the roughly thousand-year lifespan which Spengler assigns to his Kultur-Zivilisation organisms (except those of the far east). Each Kultur-Zivilisation organism has a symbol which accompanies it in the Kultur phase; for the West it is infinite space; for the Egyptian, the long corridor; the Semitic, the cavern; the Greeks, the idealised statue, etc. Spengler also specifically names three of the “souls” of these organisms with especial bearing on the Occident. The West itself is “Faustian” defined by Goethe’s own character and his constant outward-reaching for knowledge and more; Antiquity, which the West has replaced, is “Apollonian”, a term readily borrowed from Nietzsche, defined by the Nietzschean Apollonian rationality and thirst for worldly perfection; finally, the Semitic, being Jewish, Arabic, etc. is a sort of mixed Kultur-Zivilisation organism called “Magian”, after the mystics who visited the birth of the Christ-child, and is defined by the preoccupation with essence rather than space.

9200000078648382.jpgThe Magian requires some further discussion, since it represents for Spengler a different “mutation” (to keep with the biological sense of an organism) of the main species of Kultur-Zivilizationen. This is because of a process Spengler describes in the second volume of Decline called “pseudomorphosis”. He asserts in the first volume that the “Arabian soul was cheated of its maturity—like a young tree that is hindered and stunted in its growth by a fallen old giant of the forest,” but after critiques of the work began to circulate back to him, realised that this was inadequate to explain the unique situation that the Magian Kultur-Zivilisation finds itself.[29] He therefore suggests a parallel with mineralogy, pointing the phenomenon of “pseudomorphosis”, by which volcanic molten rock flows into spaces left by washed away minerals in the hollows of rocks; likewise, since the Arabian culture’s pre-historical period is encompassed by Babylonian Civilization, and later as it develops it is stunted by Antiquity with the Roman conquest of Egypt.[30] Spengler sees a similar occurrence with the Russian Kultur-Zivilisation, which is pressed between the Faustian Kultur-Zivilisation and the Asiatic hordes which repeatedly conquer it. He maintains even in his last work, Jahre der Entscheidung, that the Bolshevist revolution represented a part of this pseudomorphosis that Russia is experiencing: “Asia has conquered Russia back from “Europe” to which it had been annexed by Peter the Great”.[31]

This is the structure within which the subject of Spengler’s title exists. Spengler remarked on his title at length in an essay titled “Pessimismus?” (“Pessimism?”) appearing in the Preußischer Jahrbücher in 1921:

But there are men who confuse the downfall [literally “going under”] of Antiquity with the sinking of an ocean liner. The notion of a catastrophe is not contained in the word. If one said—instead of downfall—completion, an expression that is linked in a special way with Goethe’s thought, the “pessimistic” side is removed without the real sense of the term having been altered.[32]

He is not, therefore, discussing a cataclysmic event that would bring about the end of Western civilisation, though no doubt much of the appeal of his work was the recent catastrophe of the Great War. What he sees instead is a general inadequacy in the trends coming out of his contemporary West, which the Great War only compounded. Faustian civilisation had come to stagnate with the rise of bourgeois economists; as he says, “through the economic history of every Culture there runs a desperate conflict waged by the soil-rooted tradition of a race, by its soul, against the spirit of money”.[33] The capitalism and industrialisation of liberal Europe represents the bleeding dry of the soul of Faustian Kultur; it, too, however, shall pass in the coming Ceasarism of the Faustian Winter that Spengler predicts. He speaks of “the sword” being triumphant over money-power and finance capital, bringing about the final period of where violence of spirit triumphs and is marked by the rise of the “Caesars”, demagogues who will bring about a Western World Imperium that Spengler envisioned being headed by Germany. It is worth noting that John Farrenkopf believes this to remain an accurate prediction for America, which Spengler himself discounted, as most Europeans at the time, as an adolescent child of Europe, hardly capable of contributing to Faustian Zivilisation in any great way.

It is, at last, important to note that while Spengler offers this structure that explains history, it is not his intent to “save” the Occident. He participated in politics that would, in his view, further the progression of Faustian Zivilization out of its Autumn and into Winter, but, in true Nietzschean fashion, he encourages his readers to adopt an amor fati toward the decline of their Kultur-Zivilisation. Indeed, the hope one retains after reading Spengler is of a peculiar kind—since all Kultur-Zivilisationen are destined to wither and die, the Faustian man should embrace the destruction of the Occident with an eye to the subsequent Kultur-Zivilisation organism that will take its place, which Spengler predicts will be Russian, a society which due to close contact to both the Occidental and Asian Kultur-Zivilisation organisms has not been able to come into itself—in short, it is not yet Werden, existing in the historyless period that marks the beginning and end of every Kultur-Zivilisation organism.

The Conservative Revolutionary (Political Writings and Speeches, 1919-1924)

The Decline of the West marks a high-point in Spengler’s life, and also a turning point for both his own life and the life of Germany as a whole. Decline appeared complete in two volumes in 1922, four years after Germany’s defeat in the First World War and in the midst of the Weimar Republic struggling to get on its feet. As mentioned above, this contributed greatly to the book’s circulation, though it is unclear how many enthusiasts made an effort to read the entire text. Spengler found himself now ushered into higher intellectual circles, battling with intellectual greats over the value of his work, and once again able to enjoy the delicacies he had to go without for the duration of the War (he wrote that much of the work he did on Decline was done by candlelight). In 1919 he joined such famous names as Hermann Alexander Graf Keyserling (for his seminal work Reisetagebuch eines Philosophen, “Travel-Diary of a Philosopher”) and distinguished Kant scholar Dr. Hans Vaihinger (for his work Philosophie des Als Ob, “The Philosophy of As-If”) in being awarded the Nietzsche Archives’ “Distinguished Scholar Award” with an academic diploma and the sum of 1,500.00DM (roughly $45.00 in 1919).[34]

Despite his acute sense of the depressing reality of his work, Spengler was materially well-off and led a generally comfortable life because of its popularity. He moved from the small flat where he had written Decline during the war to a spacious apartment that overlooked the Isar River. He decorated it with a variety of fine paintings, Chinese and Greek-styled vases, and other pieces obtained at auctions or gifted to him by admirers, and shocked visitors with his vast library, which literally lined the walls of his new home. He covered the fine hard-wood floors with even finer rugs, most markedly a strikingly red carpet in his office upon which he was known to pace endlessly in the night while he worked.[35] He was, though, of relatively modest tastes, and was frugal with his money. He took holidays to Italy frequently, but otherwise only left Germany when another party could pay for his travel; his tastes at home included trips to the theatre, fine wines, and a regular supply of dark cigars. He never hired a housekeeper or married, and his sister Hildegard, widowed by the World War, would keep house for him. He rarely entertained and continued to devote himself to work. His work now, though, was not strictly scholarly.

41-idJ1g3nL._SX339_BO1,204,203,200_.jpgA well-known name now, Spengler began to take a greater interest in politics than he had hitherto. He wrote to Admiral Alfred von Tirpitz in 1920 regarding the recovery of the flag from the SMS Scharnhorst, which was sunk in the Battle of the Falkland Islands in 1914, taking Admiral Maximillian Graf von Spee to the bottom with it; the flag, Spengler wrote, had fallen into the hands of an anti-German party who wished to send it to Britain to be a trophy of war, something offensive to Spengler as a German nationalist.[36] Admiral von Tirpitz replied that he would refer the matter to the admiralty, but the flag was undoubtedly not that from the Scharnhorst’s main post, which went down flying, and therefore the value of the demands of the original owners for the flag (50,000-60,000DM) was probably not equal even to its sentimental value. The admiral added, probably much to Spengler’s satisfaction, that he had thoroughly enjoyed reading Prussianism and Socialism, and wrote “I only wish that your ideas could find response in the Marxist-infected working classes.”[37]

The work Admiral Tirpitz praised so highly was Spengler’s second attempt to reflect on the Agadir crisis and the significance of German and British relations. Prussianism and Socialism appears in English translation by Donald O. White with a number of other shorter articles that Spengler penned in the early 1920s. The work appears in White’s 1967 collection Selected Essays, which is roughly a translation of Politischen Schriften, but making some omissions and drawing also from Rede und Aufsätze. The overall collection gives a decent introductory glance at Spengler’s social and political thought, which merits it some exposition here. Other works included in it are “Pessimism?”, which was written as a response to the charge levelled against Decline, his two speeches “The Two Faces of Russia and Germany’s Eastern Problems” (delivered to a conference of influential Ruhr industrialists in 1922) and “Nietzsche and his Century” (delivered at a conference hosted by the Nietzsche Archive in 1924 before Spengler severed ties with Elizabeth Förster-Nietzsche because of her alignment with Hitler ten years later), another short essay titled “On the German National Character”, published in 1927, and finally a brief response given by Spengler to a query posited internationally by Hearst International’s The Cosmopolitan, titled “Is World Peace Possible?”, which was published in what White calls “barely adequate translation” in 1936 alongside answers from Mohandas K. Gandhi, Eleanor Roosevelt, General Billy Mitchell, and Lin Yu-tang.[38]

Prussianism and Socialism abandons Spengler’s earlier, less informed political alignment with the Kaiser, but beyond this minor change it expresses and sets the tone for almost all of Spengler’s other political writings before and after, including his final major work, Hour of Decision. It is also the work that initiated Spengler’s name into the collection of intellectuals and aristocrats that formed the “Conservative Revolution” movement in Weimar Germany. The names he is included with range from the completely obscure to the internationally famous. Among them are obscure authors like Arthur Moeller van den Bruck, for his work, later appropriated by the Nazis, Das Dritte Reich (1923—available in English as Germany’s Third Empire) and Edgar Julius Jung, who is seen as the leader of the movement, for his work Die Herrschaft der Minderwertigen (“The Reign of the Mediocre”, 1927), and more famously for Franz von Papen’s “Marburg Speech”, the last open condemnation of Nazism made in Weimar Germany. However, members of the movement also included men like the internationally acclaimed Ernst Jünger, for his famous memoir of the World War, In Stahlgewittern (first published in 1920 and having been revised by the author 7 times, it is now available in very good translation by Michael Hoffmann as Storm of Steel), Der Kampf als inneres Erlebnis (“Battle as Inner Experience”, 1922), Das Wäldchen 125 (“Copse 125”, 1925) and Feuer und Blut (“Fire and Blood”, 1925) as well as the famous and widely translated Carl Schmitt, now well known for his works Die Diktatur (1921—now available in translation as On Dictatorship), Politische Theologie (1922—available as Political Theology), Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus (1923—now available in a good translation by Ellen Kennedy titled The Crisis of Parliamentary Democracy), and his extremely significant Der Begriff des Politischen (1926—now available as The Concept of the Political). The unifying feature of the movement was a desire to bridge the gap between nationalist conservatism and socialism, though another major factor was the distaste that all the men had for Adolf Hitler and his, in the words of Moeller van den Bruck, “proletarian primitiveness”.[39]

Spengler’s interactions with other conservatives were largely done through his involvement in the Juniclub (“June Club”) a gathering of Conservatives and Monarchists who shared Spengler’s hatred of the Versailles Treaty (commonly known in Germany as the Versailles Diktat because of the lack of input allowed from the German delegation). Among the group’s founding members was Arthur Moeller van den Bruck, with whom Spengler had many encounters from 1919 until Moeller’s suicide in 1925 through lectures that both gave to the Juniclub. At the Juniclub he also had the opportunity to meet and begin correspondence with Crown Prince Rupprecht of Bavaria, Walther Rathenau, Erich Ludendorff, Hans von Seeckt, and create friendships and lasting ties to major industrialists like Paul Reusch, Roderich Schlubach, Alfred Hugenberg, Karl Helfferich, and Hugo Stinnes.[40] Aside from Moeller, however, his encounters with the other major thinkers of the Conservative Revolutionary movement seemed few; he had some contact later with Jung, who wrote him on several occasions. However, his major inclination during his years of involvement with the Juniclub was toward becoming actively involved in conservative politics, not merely being a theoretician. His ambitions during this time were as disparate and far-flung as leading German intellectuals into politics and founding a newspaper cartel in imitation of William Randolph Hearst.[41]

SpenglerAD.jpgSpengler’s letters during this time are often brief (owing to his preference for meeting people rather than writing them) and to a wide variety of people, including invitations to tea with Erich Ludendorff and his wife, which he maintained as a regular affair until Ludendorff’s involvement in the Beer Hall Putsch in 1923. There was also an extended correspondence with the German government regarding interaction with General Jan C. Smuts, who had invited General Paul von Lettow-Vorbeck (with whom Spengler also corresponded) to a dinner for African commanders of the war.[42] He also met semi-regularly, it would seem, with the Prussian royal family; Crown Prince Wilhelm wrote him a number of times, and Spengler sent copies of his magnum opus to Huis Doorn. He also managed to elicit a positive response from Gregor Strasser, a prominent rival of Hitler’s in the National Socialist party who was murdered in the Night of the Long Knives.[43]

Spengler, however, remained primarily a theoretician; he met many men with whom he had lasting friendships, but he was not a man of political action and he was acutely aware of that. Throughout his brief political career, he was advised by friends not to waste his genius on petty affairs of state, and he eventually gave in and retreated from public life in 1924 after five years of immense popularity and prolific writing. In addition to the one or two speeches and articles in the White collection, in 1924 alone Spengler published Frankreich und Europa (“France and Europe”), Aufgaben des Adels (“Tasks of the Nobility”), Politische Pflichten der deutschen Jugend (“Political Duties of the German Youth”), Neubau des deutschen Reiches (“Reconstruction of the German Reich”), Neue Formen der Weltpolitik (“New Forms of Global Politics”) all of which were derived from speeches and lectures he had given at the Juniclub or at various Industrial clubs and conferences during his involvement there. Some of them, including Politische Pflichten and Neubau would appear in Spengler’s Politischen Schriften of 1932, the others would only be published together in 1937 in the posthumous Reden und Aufsätze collection. The works, all expressing a common theme of the necessity to “reclaim socialism” from Marx and bring about a new birth of “Prussianism” in the German population, brought Spengler immense notoriety in Germany while Decline was making its way through foreign circles. Other presentations included his Das Verhältnis von Wirtschaft und Steuerpolitik seit 1750 (“The Relationship of Economy and Tax Policy since 1750”, 1924). His lectures drew tremendous crowds and he participated in a number of public debates between 1919 and 1924.

Prussianism and Socialism: A Brief Glance

Of all Spengler’s political writings and speeches, both from his public career and after, the most detailed and the most significant remains Prussianism and Socialism. In the work, Spengler makes two arguments, one unique to his own time and one with far-reaching relevance. The work’s principal argument surrounds the “true German spirit” with “the German Michel”, which Spengler declares “the sum of all our weaknesses: our fundamental displeasure at turns of events that demand attention and response; our urge to criticise at the wrong time; our pursuit of ideals instead of immediate action; our precipitate action at times when careful reflection is called for; our Volk as a collection of malcontents; our representative assemblies as glorified beer gardens.”[44] The thrust of the work is a contrast between “English” parliamentarianism and liberalism, which the “German Michel” typifies, the Marxist socialist movement of the Sparticists, which at least has the integrity that the “German Michel” lacked, and real “German” socialism, which Spengler ties to Prussian military spirit and civic duty to create the “Prussian socialism” that he insists is the only way to bring about a rebirth of the German Reich.

The opening of Prussianism and Socialism declares the same sense of destiny found in Decline, quoting Seneca's aphorism ducunt volentem fata, nolentem trahunt (“Fate leads along the willing soul and drags the unwilling”).[45] He declares that “the spirit of Old Prussia and the socialistic attitude, at present driven by brotherly hatred to combat each other, are in fact one in the same”, defining “socialism” itself, which he claims “everyone thinks… means something different”.[46] Spengler’s hero of socialism is August Bebel, the Marxist founder of the SPD who was famously born in a Prussian army barracks. He praises Bebels’ party for its “militant qualities…the clattering footsteps of workers’ battalions, a calm sense of determination, good discipline, and the courage to die for a transcendent principle” and damns the SPD in power in the Weimar Republic for abandoning the revolution and throwing in its lot with the “foe of yesteryear” and encouraging the Freikorps to crush the Spartacists, who Spengler felt “retained a modicum of integrity”.[47] It is not the Marxism of the Social Democrats Spengler admires, however; rather, it is their integrity and their dedication to their beliefs—something that simply does not exist for the “German Michel”, the contemporary parliamentarian.

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He goes on to condemn the “so-called German Revolution” that took place in November, saying that the Germans “produced pedants, schoolboys, and gossips in the Paulskirche and in Weimar, petty demonstrations in the streets, and in the background a nation looking on with faint interest”—not at all what a real revolution entails, but something feeble, something belonging to the parliamentarian and the “German Michel”.[48] Spengler establishes the foundation of Prussian Socialism with “the real German Socialist Revolution” which he says happened in 1914—a real revolution because it involved “the whole people: one outcry, one brazen act, one rage, one goal”.[49] He further asserts that the revolution is not over—a notion he expands on in later speeches and essays. The Revolution of the German people cannot come to full fruition for Spengler and his fellow conservatives, until the German nation is truly born—for 1918 in Germany was not 1789 in France; the nation and the revolution were not the same.

He concludes that “Socialism is not an instinct of dark primeval origin… it is, rather, a political, social, and economic instinct of realistically-minded peoples, as such it is a product of one stage of our civilisation—not of our culture.”[50] He asserts a thoroughly modern origin and a thoroughly modern role for socialism: the realistic, the enemy of the dictatorship of money and capitalism, defined in socialistic form by a sense of duty to the whole, that whole being the German nation. It is in this way that “all Germans are workers”, so that the failing of Marx, he asserts, is his inability to grasp anything more in Hegel, “who by and far represented Prussianism at its best” than mere method.[51] Marx misleads socialism by creating class antagonism when in reality the bourgeois is a meaningless term, Spengler asserts—and the real enemy is the English spirit of mercantilism and parliamentarianism of the feeble “German Michel”; it is not worker against burgher, nor burgher against elite, but German against the Englishman in himself. This is why the German Revolution is incomplete: because the national revolution that unites and brings about the birth of the German nation has not been achieved.

Perhaps the most significant aspect of this and subsequent political texts is the complete absence of any mention of Germany’s Jews. Spengler did not believe, as many of his day did, that the Jewish people had any connexion to parliamentarianism or Marxism or Capitalism or any other distinctly Western phenomenon; rather Western man was at war with himself and himself alone in the conflict between Prussian Socialism and English Mercantilism, between Revolution and Cowardice. He calls Marx “an exclusively English thinker”, unable to see beyond mere economics and ignoring the notion of everyone working for the whole, but each in his own destined place—the King for Spengler’s socialist is “the first servant of the state”, in the highest place among the rest of the nation serving a single, national goal. It is such a different picture than the typical anti-Bolshevik stance in Germany that never tired of reminding the world of Marx’s Jewish origins (his grandfather was a rabbi). This, for Spengler, was as much a simplification as Marx’s class antagonism, because it directed anger and action toward an invented foe instead of directing it toward corrective measures in the West itself.

The Hermit-Scholar (Return to Private Life 1924-1930)

After he retreated from public life, Spengler returned to the lonely life of the hermit scholar, and rededicated himself to work on the theories put forth in Decline. His re-entry into politics was prevented both my deteriorating health as well as a decrease in opportunity with the rising tide of National Socialism. Of all the Conservative Revolutionary thinkers, only Jünger and Schmitt would live to see the Second World War, and their literary lives were even shorter; Spengler was silenced by the Nazi state as early 1933, Jung was murdered, along with several of Spengler’s friends, in the Night of the Long Knives in 1934, and Moeller van den Bruck had a nervous breakdown and committed suicide as early as 1925. Others, like Hugo von Hofmannsthal and Stefan George (especially famous for his Das Neue Reich of 1928), died of natural causes, Hofmannsthal of a stroke in 1929, George four years later of old age. It is indubitable with his voracious appetite for the latest works that Spengler encountered these men through their writing, but no correspondence between them exists. This is not terribly surprising—Spengler wrote letters when he felt the passion to do so (such as to Admiral Tirpitz), or when it furthered his studies (such as the many letters to academics and professors). This was not out of a dislike of people; rather, it was because he detested the task of writing letters and preferred to grant an interview or meet with friends in person, something he did frequently—his sister, Hilde, who became primary caretaker of his estate after his death, remarked that “he always disliked writing letters, even when he was a child.”[52] Those political letters he did write he wisely burned in 1933 to protect himself and others from the National Socialist state.

The return to private living gave Spengler a tremendous opportunity to begin scholarly work again after some years of pamphleteering (something he himself hated, remarking to a friend in 1919, referring to Prussianism and Socialism that “I am not a born journalist and consequently I wrote out 500 pages of rough draft in four weeks and then started paring to get 100 pages of readable German. I realise now how I ought to work and shall never again accept any assignment that carries a deadline with it”).[53] He never ceased his correspondences with high-level academics and contributors in almost every field of study, but after 1924 he was able to begin to write more widely. He wrote frequently to Elizabeth Förster-Nietzsche and it was in 1924 after his departure from public life that he presented his paper “Nietzche and His Century”.

From 1925 onward his time was dominated by lectures, correspondences, and his old reading habits. He took several holidays in Italy and elsewhere, and as early as 1925 was in correspondence with Benito Mussolini, who would write a review of Hour of Decision in 1933 for Il Popolo d’Italia in December of that year. The Italian dictator, it would seem, was somewhat reserved about Spengler, who he felt tread close to Fascism but was not close enough.[54] He was not alone; after Spengler’s retreat from politics, was when his works came under heaviest fire from popular political personalities. His correspondence with Gregor Strasser in 1925 displays the chief dispute with Spengler, which seems to be his dislike of “popular movements”, like National Socialism, which he regarded as vulgar and mob-driven.[55] Aside from these, however, the bulk of his letters are not with political men but with academics.

lelivr_R240137969.jpgThe reason for this likely had much to do with Germany’s growing stability after 1925. Arthur Helps, who translated Spengler’s letters, suggests that Spengler left the public sphere precisely because of this; however, it is more likely that Spengler simply tired of the time he spent in the public eye—the constant assault of attention from both enthusiastic supporters and detractors of all stripes wore on the man whose sensitivity was well-known only to his sister and perhaps very close friends. He was a man who throughout his life was soft-hearted and sympathetic, ever striving to overcome the little boy whose nightmares in his bedroom in Halle haunted him vividly until he was well into his forties; the image he had inadvertently created of the hard-hearted, iron-willed prophet of doom was not an easy persona for him to fulfil on a constant basis, and put tremendous stress on his body. Fischer observes in his biographical sketch that “he agonised about his weaknesses with the same honesty as Rousseau did in the Confessions, with the difference that Spengler rarely tried to project his shortcomings on society… [he] believed that, in the final analysis, the individual has to assume responsibility for his own weaknesses”.[56]

Spengler’s physical weaknesses became acute during his time in politics, as the stress increased his headaches and other ailments. In 1925, rarely does a letter mention an illness or time of sickness—he seemed to recover from his ailments from getting away from stress of politics and the dismal state in which he perceived his beloved German Reich to be. He took cures in the sun of Italy, writing in February of 1925 from Palermo, after which he travelled to Rome and elsewhere.[57] In 1926, deep in the scholarly world once again, Spengler was invited by the Philosophical Congress in the United States to travel to America and conduct a lecture tour (C.F. Atkinson’s translation of the first volume of Decline appeared that very year). His excuse for declining the offer was that he felt America would leave too deep an impression on him that would disrupt the work he was conducting on his latest book (still unfinished at his death), Urfragen (“Primordial Questions”). His letters are strewn with questions to experts and professors of ancient history after information about Babylonian tablets and other Middle Eastern interests.

These interests, as a preparation for Urfragen, had begun as early as 1924, when Spengler appeared before the Oriental Institute in Munich with a lecture titled “Plan eines neuen Atlas Antiquus” (“Plan for a new Atlas Antiquus”), which detailed the need of a new cartographic project to map the ancient world within the scope of the Apollonian Kultur-Zivilisation organism.[58] The general thrust of his work, whether this lecture or the later letters to colleagues, is a collaborative effort that would overcome the increasing specialisation of history already in its adolescence in Spengler’s day and still increasing in contemporary academic history. During subsequent years he also became first enthralled and then embroiled with the famous archaeologist and ethnographer of Africa, Leo Frobenius, whose initial agreement with cyclical history caught Spengler’s attention, but his argued proofs for slow, gradual development of civilisations drew the censure of the author of Decline, who believed in epochal moments rather than gradual evolution (he detested all forms of Darwinism). His correspondence took him in more positive directions with the famous Assyriologist Alfred Jeremias, who took an immense interest in Spengler’s work.

Most striking about Spengler’s time as a private scholar in the late 1920s was the vast amount of interest being generated in his works abroad. 1927 saw contacts coming from The New York Times attempting to solicit an article from him; the paper had featured him in full-page articles twice before, and after including him in an article “Will our Civilization Survive?” of 1925, hoped he might appear in print with them—they even offered a sum of $100, which was no small sum of money in Germany at the time.[59] No response to their inquest ever came, however, and it does not appear Spengler showed any interest in taking up any journalistic venture. A query that Spengler felt did merit response came from André Fauconnet, a professor at Poitiers whose Un philosophe allemeand contemporain Oswald Spengler. Le prophète du déclin de l'Occident (“A Contemporary German Philosopher: Oswald Spengler, the Prophet of the Decline of the Occident”) appeared in 1925. He also received an invitation to speak at the University of Saragossa, which promised he could speak in German and translations of his speech would be distributed beforehand.[60] Spengler accepted the engagement, spending the entire month of April of 1928 on holiday in Spain; he loved the climate and found the place to have a profoundly positive affect on his demeanour—he even did some mountain climbing. He wrote his sister Hilde from Granada (where he stayed for about a week), “Grenada is beautiful beyond all description… I could live here”, and, later that week, that “here every day pleases me better”.[61]

lelivr_R240137968.jpgDuring all of his touring and international correspondence, Spengler did manage to make one or two forays back into political life; the first occasion was a speech in Düsseldorf before the Industry-Club titled “Das heutige Verhältnis zwischen Weltwirtschaft und Weltpolitik” (“The Contemporary Relationship between World Economics and World Politics”) in 1926, and was solicited by Edgar Julius Jung a year later to make a speech before the German Student Union, historically a hotbed for right-wing politics. 1927 also saw him begin writing on the topic again, with “Zur Entwicklungsgeschichte der Deutschen Presse” (“Toward a Developmental History of the German Press”) appearing in the Der Zeitungsverlag and “Vom Deutscher Volkscharakter” (“On the German National Character”) appearing in Deutschland the same year. After some time of soliciting his attention, Richard Korherr also finally convinced Spengler to write a brief introduction to his thesis “Über den Geburtenrückgang” (“Regarding the Decline of Birthrates”) of two years previous, which the author had dedicated to Spengler. Korherr hounded Spengler with information of the thesis, especially when it was translated into Italian by deputies of Mussolini’s in 1928.[62] Spengler regarded the young student well, and congratulated him on his success; he would probably not have had so positive a view of the young Dr. Korherr twelve years later, when he became one of Heinrich Himmler’s most loyal lieutenants in executing the “Final Solution”.[63]

Cassandra (Last Writings and Death, 1930-1936)

The years of 1929 and 1930 were eventful for Germany, but for Spengler much of the same that he had experienced in the second half of the 1920s. His pessimism was beginning to be proven true, with the stock market crash in 1929 and the swift rise of National Socialist and German Communist party power in the shattered Weimar Republic. In September 1930, the results gave the Nazis 107 seats in the Reichstag, and increased the Communist seats from 54 to 77. When the Reichstag took its seats, no business could be conducted, with the National Socialist “delegates” showing up in full uniform, sometimes with flags, interrupting the proceedings with chants, shouts, and songs; the Communists, not to be outdone, followed suit, and together they made a mockery of what was left of Weimar democracy.[64] Spengler was generally not disappointed with the turn of events, and, having put his Urfragen project on hold, wrote a prolegomena to his planned work titled Der Mensch und die Technik (“Man and Technics”) in 1931.

The work can hardly be said to be of the same calibre as Decline or even of Prussianism and Socialism—but then, it was never meant to be. The most important introductory note that can be given on Man and Technics is that it is fundamentally meant to be a primer for planned works. It is, by and large, a restatement of things said in Decline, and an expansion on the relationship between human beings and the tools they create. Fischer describes the book by saying “Spengler tried to show that primitive man was a magnificent predatory animal who possessed two major advantages over other beasts of prey: a superior brain and ambidextrous hands.”[65] The work is a true experiment in Nietzschean psychology by Fischer’s estimate: a tragic conflict between a naturally savage and predatory human being with the moral codes he makes to contain his savagery, but he cannot flee from it, for as he develops his technology, he also develops his means of savagery, and therefore his savagery itself.[66]

In greater detail, the book develops themes of conflict between man and external nature as well. Farrenkopf highlights that Spengler sees a religious grounding for this conflict—a suggestion not lost on several subsequent environmentalists—declaring that Spengler “claims to have uncovered the ‘religious origins’ of Western technical thought in the meditations of early Gothic monks, who in their prayers and fastings wrung God’s secrets from Him.”[67] Farrenkopf, working at the turn of the twenty-first century, attempts to make Spengler the prophet of “climate change” and “ecological disasters”, and points to a thesis in his own work—that Spengler’s thought changed from Decline to his later works—to say that Spengler was arguing for the inevitable failure of mankind’s struggle against nature. Whether his thesis has merit or not is not really a line of inquiry this introduction need undertake, but the conflict and eventual failure of humankind because of its own “progress” is certainly present in the work. A line from Decline of the West, quoted above, accurately encapsulates the entire purpose of Man and Technics: “the giant city sucks the country dry, insatiably and incessantly demanding and devouring fresh streams of men, till it wearies and dies in the midst of an almost uninhabited waste of country.”[68]

The urban sprawl and disappearance of the “green belt” that contemporary commentators, especially in America, where there is so much of the “green belt”, have witnessed is somewhat captured in this picture. The dangers of an industrial dystopia and plea for an agrarian Reich was one also being preached by the National Socialists at this time—Walther Darré’s 1928 pamphlet “Das Bauerntum als Lebensquell der nordischen Rasse” (“The Peasantry as the Life-source of the Nordic Race”) stands as a testament to that. The Nazis, though, were better at selling their message than Spengler was his own, primarily because of what each promised the German people. Spengler promised that the path of Western civilisation was destined and irreversible, and the coming destruction guaranteed by the very nature of Faustian man of his home-soil should be greeted with a Nietzschean amor fati. The Germans in 1931 were in no mood to hear that they were themselves to blame for their situation, and that it was an inescapable destiny.

The Nazis, on the other hand, gave the Germans an enemy—the Jews—that were causing this industrialisation and destruction of the nation, and if they could just get rid of them, there was a bright hope and future for Germans. The German people declared which message they preferred with dismal sales for Man and Technics, and subsequent tremendous victories at the ballot for the National Socialists. Hitler’s biographer, Lord Bullock gives a deep insight into the exact state of affairs; “taking 1928 as a measuring rod,” he declares, “the gains made by Hitler – close on thirteen million in four years – are still more striking,” adding that by early 1932, “with a voting strength of 13,700,000 electors, a party membership of over a million and a private army of 400,000 S.A. and S.S., Hitler was the most powerful political leader in Germany, knocking on the doors of the Chancellery at the head of the most powerful political party Germany had ever seen.”[69]

Spengler was shocked, if not a little appalled, by this turn of events. To Spengler, as he had been to Moeller, Adolf Hitler was an idiot in the scientific sense of the word: a vulgar proletarian clown shouting and flailing his arms and playing about in the muck, not a statesman who could lead Germany to her rebirth or a realistic forward-thinker. For the time being, though, there were few other options, and Spengler was willing to give the Führer the benefit of the doubt before meeting him—a meeting at which he hoped that his stature as one of Germany’s leading conservative intellectuals might moderate the Austrian firebrand somewhat.[70] He was dreadfully wrong.

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Spengler met with Hitler in 1933 at the invitation of the National Socialist Party, hoping to make use of Spengler’s sustained popularity. Fischer describes the meeting, of which little account exists on either side. It was Hitler, characteristically, who did most of the talking when the two men met, and used all of his well-accounted-for charm. Spengler was sufficiently fooled that Hitler, though a clown, was a well-meaning clown who basically wanted what was best for Germany. He nevertheless would remark later that “sitting next to him one did not gain the slightest inkling that he represented anything significant”—the jobless Austrian post-card painter may have built himself up into a powerful and captivating demagogue, but in the end he remained the disaffected young delinquent who wandered the streets of Munich and Vienna building a fantasy world in which he was important.[71] According to a popular anecdote, when the men had finished their encounter, Hitler asked Spengler for advice, to which the scholar enigmatically replied “watch your Praetorian guard!” a comment many have taken to be a bit of advice Hitler acted on in the Night of the Long Knives, when he purged his “praetorian guard” and replaced it—the S.A.—with a new one, the S.S. There is no evidence that this is accurate, but if it is, as Fischer asserts, it would be the first time Spengler had any direct influence on a public leader.[72]

It was not long, however, before the spell of Hitler’s charm over coffee wore off. The Nazis went on to preach a proletarian utopian future founded fundamentally in scapegoating the Jews and answering Germany’s problems with “party-theatre” of mass rallies and a well-tuned propaganda machine. It was in answer to the delusions of the National Socialist political machine that Spengler wrote his final book, Jahre der Entscheidung (“Years of Decision”, more popularly known in translation as Hour of Decision) in 1933. This work, largely considered Spengler’s most overtly political and explicit in its message, was banned by the Nazis as soon as they figured out what was in it—which took them a full year, even after one of their own published a critique of the book (Arthur Zweininger’s Oswald Spengler im dritten Reich), by which time the book had already made it into English translation and had received extensive comment by The New York Times.[73] Spengler also, naïvely, sent a signed copy directly to Hitler, accompanied by an expression of hope that the two might meet and discuss the work in the future.[74] Hitler consented to meet, but disparaged Spengler’s pessimism in what he was selling as Germany’s brightest hour.

Jahre der Entscheidung
deserves some specific attention to be paid to it. The first thing worth mention is that it was originally intended to be the first volume of a several-volume work, but after it was banned in 1934, Spengler abandoned the work, writing Goebbels that he would only write the conclusions of his own mind and that he would “not write books for confiscation”.[75]

The press was especially cruel to the new work, evoking (despite Fischer’s claims to the opposite) a number of highly sympathetic letters to Spengler from old conservative colleagues like Alfred Hugenburg, Crown Prince Wilhelm, Carl Friedrich Goerdeler (later executed as a resistance leader), as well as some new names, including Grand Duke Joseph Franz von Habsburg, who was enthralled by the new work, and Rudolf Graber, a professor of Theology and later Bishop of Regensburg. Despite the press and the Nazis, however, the book was initially a tremendous success, especially compared with Man and Technics. Heinrich Beck wrote to Spengler in November of 1933 that “the success of your Jahre der Entscheidung already surpasses, at least as far as tempo is concerned, The Decline of the West. You will certainly be pleased and I am proud also of publishing such a book.”[76] The Roman Curia was also impressed, and allowed the book to be placed by the Cardinal Hayes Literature Committee in the “First Circle” of their “White List” for Roman Catholics in America; the section was named for the First Circle of Hell in Dante’s inferno, where honest pre-Christian thinkers who were valuable to Christianity resided—on the White List proper for that year were titles like Essays in History by Pope Pius XI.[77]

l_9783938176153.jpgThe contents of the book are significant not just for Spengler’s life, but to his overall philosophy as well. Spengler frequently uses what critics have called “fetishistic” terms in his works like “blood”, “race”, “soul”, etc. The accusations of critics were left largely unanswered until Jahre der Entscheidung, which saw Spengler for the first time seriously take on the task of defining what he meant by “race” especially. Benito Mussolini, at the time still in his virulent anti-racist stage, received a copy of the work almost immediately after it was published, and wrote a review of the work highlighting that “Spengler clearly wishes to differentiate his views from the vulgar, materialistic Darwinism now fashionable among anti-Semites in Europe and America” (words he was in fact borrowing from Spengler) and points to Spengler’s declaration that “ ‘racial unity’ is a grotesque phrase considering that for centuries all types and kinds have mixed.”[78]

Spengler does indeed use the word “race”; however, he defines against the biological racial theories of Chamberlain, Gobineau and the various authors of National Socialism. “Race” to Spengler was captured in a spiritual feeling or will of a culture—thus in Jahre der Entscheidung, even the Russians find themselves included in Spengler’s “Coloured World”. The Faustian soul—and the Faustian will—that is the Faustian “race”. Farrenkopf observes from reading Spengler’s unpublished political writings that “Race for Spengler meant having ‘strong instincts’”, something reflected in Gedanken, where Spengler says “Men without race are without Will. Indeed, the more of a “race” one has, the more resolute is his sense of self”.[79] Spengler references this notion in Man and Technics as well, concluding with the exemplary of a man with “strong race”, the legionary who kept his post in Pompey as Vesuvius erupted because his superiors had forgotten to relieve him; “It is greatness, namely to have race”.[80] This sort of conception of race is one that has fled the English and German languages (and most other languages, really) in the wake of the biological racialist movements of the early twentieth century, but is still present in English when one says “the human race”—but for Spengler, there is no “human race”, there are different spiritual types of humans. Farrenkopf quotes him “There are not any noble races. There are only noble specimens of all races.”[81]

With this sense of “race” in mind, Spengler portrays two revolutions taking place in the coming decades and centuries: a White World-Revolution and a Coloured World-Revolution, the former of which will be a class revolution, and the latter will be a racial revolution. As he suggested in Decline, the Occident is failing, and some other Kultur-Zivilisation organisms must come into itself in order to replace the dying Faustian Zivilisation. This is what is meant in the “Coloured World-Revolution”; a collapse of the Western direct control over the rest of the world and the beginning of a new birth. The “White World-Revolution”, on the other hand, will be one of class: not because of Bolshevism, but because of the liberalism that destroyed the social structure of the West in the Autumnal season and brought about the new sense of egalitarianism. These combined “World-Revolutions” must ultimately arise from a great World War which Spengler foresees in the near future; it is his hope that the War will set the West back on its path toward Ceasarism, and begin the final phase of decay which has been prevented, be believes, by the defeat of the “Prussian Spirit” in the First World War; he therefore proclaims at the end of the work that, “Only the militarist Prussian spirit remains as a shaping force, not only for Germany, but everywhere.”[82]

Farrenkopf offers the critique that Spengler does not sufficiently “probe” into “how geopolitical competition among non-Western powers will interact with the conflict between the West and the non-West”.[83] Nevertheless, for a German in a time of when the general feeling of the nation was one of peace and plenty, to foresee a world-shattering global conflict that would bring about a post-colonial age is hauntingly astute, and speaks to the significance of Spengler’s overall corpus to contemporary political and historical study. Another testament to his skills of prophecy is the very military power gained by the United States subsequent to the Second World War; Farrenkopf also observes that Spengler discounted America but nevertheless may be applied in an American paradigm.

With all the talk of “race” and the “militaristic Prussian spirit” and Spengler’s relationship to National Socialism, it seems fitting that a special word be said of Spengler’s relationship to the Jewish community. He himself found anti-Semitism especially abhorrent, and recognised it for exactly what it was: namely, social and political scapegoating. As Fischer observes, “Spengler observed that the character of the Jew was moulded by his position as an outsider…[who is] generally forced to adopt attitudes that are inimical to the mainstream of society,” which is why they are viewed as threats; the only solution Spengler could see for the Jews to escape this inevitable situation was to assimilate or, though Spengler never suggests it, to leave.[84] A similar conclusion was reached by Theodor Herzl, the founder of Zionism, in his 1896 Der Judenstaat, which proposed the second option: that the Jews remove themselves from European society physically to escape anti-Semitism.

After his name was officially banned from the press and his book taken off the shelves in German bookstores, Spengler once again retreated from the public eye, this time never to return. Unlike other intellectuals of the day, he declined offers to university jobs, including the rectorship of the University of Leipzig’s Institute for Cultural and Universal History and a professorship at the University of Marburg. He was, nevertheless, honoured in 1933 with membership in the Senate of the German Academy, which he maintained even after his work was officially censored by the Nazi state. He was encouraged by friends to flee Germany and emigrate to America or England and continue his studies, but he refused to leave. He did, however, continue his work on Urfragen and his other unfinished book, Frühzeit der Weltgeschichte. He still received some attention from other countries, and in 1935 wrote an article entitled “Zur Weltgeschichte des zweiten vorchristlichen Jahrtausends” (“Toward a World History of the Second Millennium BC”) in the journal Die Welt als Geschichte.

9783902475435xxl.jpgSpengler’s final contribution while he was alive was a reply to a cable from Hearst International Cosmopolitan magazine, which at the time was still a respectable publication that gave attention to serious global political issues. The work, entitled Ist Weltfriede moeglich? (“Is World Peace Possible?”) was translated by editors of the magazine and published in January of 1936. This last work is largely ignored by Spengler biographers, but is rather his last real political offering, in which he expressed that the question was one that “can only be answered by someone familiar with world history… [which] means to know most humans as they have been and always will be.”[85] His next words encapsulate his “strong pessimism”, when he says that “there is a vast difference… between viewing the history of the future as it shall be and as one might like it to be. Peace is the wish, war is an actuality”: he echoes his introduction to Jahre der Entscheidung, “it is the great task of the connoisseur of history to understand the actualities of his age and, using them, to sense the future, to indicate and to sketch out what will come, whether we desire it or not.”[86] He follows it saying that, ultimately, man will always resort to violence in some form or another. He declares that a man may “be branded a criminal, a class can be called revolutionary or traitorous, a people bloodthirsty, but that does not alter the actuality” that violence is in escapable.[87]

He then repeats a his message to the Western world, hoping perhaps for an audience in liberal America where he had lost his in Germany: “It is a deadly reality that today only the white peoples speak of ‘world peace’, not the many coloured peoples. As long as individual thinkers and idealists do this—and they have done it in all ages—it is ineffective. When, on the other hand, entire peoples become pacifistic, it is a symptom of senility. Strong and unspent breeds do not do it: it is abandonment of the future, because the pacifist ideal is a terminal state that contradicts the reality of life.”[88] Spengler would go to his grave convinced that half of the Occident had adopted this very abandonment of the future, and the other half had gone mad on the drunkenness of National Socialism. Fischer observes that “convinced of the truth of his ideas, Spengler seems to have resigned himself to a life of quiet desperation.”[89] His desperation ended before the dawn of the 8th of May 1936, when a sudden heart attack mercifully took him from the world before he could witness his most recent predictions of death and doom become reality.

Eleven days after Spengler’s death, his closest friend, August Albers, who Fischer calls his “philosophical sounding board”, which he had been since Decline in 1917, threw himself in front of a train, unable to cope with the absence of his mentor and friend. His sister collected his papers and would spend the rest of her life handling the publication of his remaining papers; her daughter would devote most of her academic life to studying and publicising his contributions to history, politics, and philosophy. Paul Reusch chose and paid for the grave marker, a simple block of polished black granite with SPENGLER etched across it in stark white letters. Beneath it Spengler rests holding a copy of Nietzsche’s Thus Spoke Zarathustra and Goethe’s Faust.



[1] H. Stuart Hughes, Oswald Spengler: A Critical Estimate (New York: Charles Scribner Sons, 1952), 1.

[2] Anton Mirko Koktanek, Oswald Spengler in Seiner Zeit (Munich: C.H. Beck, 1968), 435.

[3] Koktanek, Spenger in Seiner Zeit, 427.

[4] Oswald Spengler, Ich beneide jeden, der lebt, ed. Gilbert Merlio and Hilde Kornhardt (Munich: C.H. Beck, 2007), 16. The original title of the text was to be Eis heauton, in imitation of Marcus Aurelius, and the manuscript was originally edited by Spengler’s niece and her mother, both named Hilde Kornhardt.

[5] Spengler, Ich beneide, 14.

[6] John Farrenkopf, Prophet of Decline, (Baton Rouge: Louisiana State University, 2001), 9.

[7] Koktanek, Spengler in Seiner Zeit, 19.

[8] Farrenkopf, Prophet, 7-8.

[9] Farrenkopf, Prophet, 8-9.

[10] Klaus P. Fischer, History and Prophecy: Oswald Spengler and the Decline of the West (New York: Peter Lang, 1989), 34.

[11] Fischer, History and Prophecy, 35.

[12] Fischer, History and Prophecy, 36.

[13] Fischer, History and Prophecy, 36.

[14] Farrenkopf, Prophet, 11.

[15] Fischer, History and Prophecy, 28.

[16] Fischer, History and Prophecy, 37.

[17] Spengler, Ich beneide, 73.

[18] Farrenkopf, Prophet, 15.

[19] Fischer, History and Prophecy, 45.

[20] Oswald Spengler, Der Untergang des Abendlandes, (Munich: C.H. Beck, 1969), x.

[21] Thomas A. Brady, German Histories in the Ages of Reformations (Cambridge: Cambridge University, 2009), 3.

[22] G.W.F. Hegel, Grundlinien der Philosophie des Rechts (Leiden: A.H. Adriani, 1902), 238.

[23] Oswald Spengler, Decline of the West, trans. C.F. Atkinson (New York: Alfred A. Knopf, 1928), 21. He derives this notion from Goethe, who says in a letter to Heinrich Luden (†1847), “‘Die Menschheit’? Das ist ein Abstraktum. Es hat von jeher nur Menschen gegeben und wird nur Menschen geben.(“‘Mankind’? It is an abstraction. There have only ever been men and will only ever be men.”) (p 281)

[24] The proper rendering of Gemeinschaft and Gesellschaft in English is highly disputed among translators; the former is often translated as “community” but may also be understood (perhaps more clearly) as “communion”, while the latter is rendered both as “society” and “association,” with the latter being favoured in recent scholarship. Cf. Ferdinand Tönnies: A New Evaluation, ed. Werner J. Cahnman (Leiden: E.J. Brill, 1973).

[25] Ferdinand Tönnies, Gemeinschaft und Gesellschaft (Berlin: Karl Curtius, 1912), 3-4.

[26] Spengler, Decline, 109.

[27] Spengler, Decline, 31.

[28] Spengler, Decline, 53.

[29] Spengler, Decline, 212.

[30] Spengler, Decline, 191-192.

[31] Oswald Spengler, Jahre der Entscheidung (Munich: C.H. Beck, 1933), 43. He doesn’t, however, make clear what the implications of Stalin’s “modernisation” policies and the five-year plan might be.

[32] Oswald Spengler, “Pessimismus?” in Rede und Aufsätze (Munich: C.H. Beck, 1937), 63-64.

[33] Spengler, Decline, 485. N.B. The notion of “race” here should not be understood as the restrictive biological concept but retaining its nineteenth-century use as a term for a broad cultural unit.

[34] Oswald Spengler, Letters 1913-1936, trans. Arthur Helps (London: George Allen Unwin, 1966), 87.

[35] Fischer, History and Prophecy, 68.

[36] Spengler, Letters, 92.

[37] Spengler, Letters, 93.

[38] Donald O. White, Introduction to Selected Essays, by Oswald Spengler, trans. and ed. Donald O. White (Chicago: Henry Regnery, 1967), xiii.

[39] Timothy Ryback, Hitler’s Private Library (New York: Alfred A. Knopf, 2008), 112.

[40] Fischer, History and Prophecy, 61.

[41] Fischer, History and Prophecy, 61.

[42] Spengler, Letters, 133-138.

[43] Spengler, Letters, 181.

[44] Spengler, Selected Essays, 7.

[45] Spengler, Selected Essays, 3.

[46] Spengler, Selected Essays, 1, 3.

[47] Spengler, Selected Essays, 10-11.

[48] Spengler, Selected Essays, 13.

[49] Spengler, Selected Essays, 13.

[50] Spengler, Selected Essays, 29.

[51] Spengler, Selected Essays, 92.

[52] Spengler, Letters, 11.

[53] White, Introduction, xi.

[54] Benito Mussolini, “Anni decisive di Osvaldo Spengler”, Il Popolo d’Italia, 15 December 1933, p. 16.

[55] Spengler, Letters, 184.

[56] Fischer, History and Prophecy, 71.

[57] Spengler, Letters, 180.

[58] Cf. Oswald Spengler, Reden und Aufsätze (Munich: C.H. Beck, 1937), 96.

[59] Spengler, Letters, 211; “Will Our Civilization Survive?” New York Times, 24 May 1925, SM1; “Doom of Western Civilization,” New York Times, 2 May 1926, BR1. 

[60] Spengler, Letters, 222.

[61] Spengler, Letters, 229.

[62] Spengler, Letters, 203, 204, 219-220, 235.

[63] Spengler, Letters, 2031.

[64] Fischer, History and Prophecy, 73.

[65] Fischer, History and Prophecy, 66.

[66] Fischer, History and Prophecy, 66.

[67] Farrenkopf, Prophet, 202.

[68] Spengler, Decline, 109.

[69] Alan Bullock, Hitler: A Study in Tyranny (New York: Harper & Row, 1962), 217-218.

[70] Fischer, History and Prophecy, 74.

[71] Fischer, History and Prophecy, 74.

[72] Fischer, History and Prophecy, 74.

[73] William McDonald, “Spengler’s New Challenge” New York Times, 11 February 1934.

[74] Fischer, History and Prophecy, 78.

[75] Farrenkopf, Prophet, 238.

[76] Spengler, Letters, 291.

[77] “June ‘White List’ of Books Issued” New York Times, 26 May, 1934, p. 15.

[78] Spengler, Jahre der Entscheidung, 157.

[79] Farrenkopf, Prophet, 256; Oswald Spengler, Gedanken, (Munich: C.H. Beck, 1941), 23.

[80] Spengler, Der Mensch und die Technik (Munich: C.H. Beck, 1931), 89.

[81] Farrenkopf, Prophet, 256.

[82] Spengler, Jahre der Entscheidung, 165.

[83] Farrenkopf, Prophet, 258.

[84] Fischer, History and Prophecy, 76.

[85] Spengler, Reden und Aufsätze, 292.

[86] Spengler, Reden und Aufsätze, 292; Spengler, Jahre der Entscheidung, vii.

[87] Spengler, Reden und Aufsätze, 292.

[88] Spengler, Reden und Aufsätze, 292-293.

[89] Fischer, History and Prophecy, 68.