mardi, 15 décembre 2020
Les "antiracistes" et la réinvention du langage
Les "antiracistes" et la réinvention du langage
par Marco Malaguti
Source : Centro Machiavelli & https://www.ariannaeditrice.it
"Je ne suis pas raciste mais...". Cette phrase a longtemps été une phrase qui ne peut plus être prononcée. Dans le passé, elle était utilisée pour exprimer les distinctions les plus polies concernant l'immigration de masse, mais maintenant elle est considérée comme une sorte de confession. Le "mais" nie automatiquement la négation, quelle que soit la suite de la phrase, de sorte que le "je ne suis pas raciste" est arbitrairement supprimé par celui qui reçoit la phrase : une intervention extérieure brutale révoque la légitimité de la relation existante entre le signifiant et le signifié, modifiant de manière significative ce deuxième aspect, le sommet du triangle sémiotique de la signification.
Une telle opération n'est possible qu'en intervenant au niveau de la légitimation, dont le fonctionnement est décrit avec précision par Jean-François Lyotard dans le deuxième chapitre de La condition postmoderne avec un titre particulièrement emblématique : "Le problème". Le droit de décider de ce qui est vrai - par exemple, que la phrase "Je ne suis pas raciste mais" implique le rejet de la discrimination raciale - est pour Lyotard un problème essentiellement prospectif. Le droit de décider de ce qui est vrai ou faux (par exemple un sens), est étroitement lié au droit de décider de ce qui est juste et de ce qui est injuste. Dans un tel scénario, la science (la sémiotique) est étroitement liée à la politique et à l'éthique qui, selon Lyotard, reposerait sur un concept appelé "Occident". Lyotard conclut son chapitre par ce commentaire paradigmatique : "Qui décide de ce qu'est la connaissance (c'est-à-dire le sens à attribuer aux signifiants, ndA) ? La question de la connaissance à l'ère des technologies de l'information est plus que jamais la question du gouvernement".
En ce sens, l'œuvre culturelle du progressisme a été activée avec clairvoyance par une remise en question de toute la culture occidentale qui a sagement combiné les outils d'un relativisme semi-absolu et d'un dogmatisme para théologique qui ne sont qu'en apparence en contradiction l'un avec l'autre. L'affirmation progressive de significations progressistes corroborée par l'imprimatur de la légitimité académique et politique a placé les défenseurs des anciennes significations dans une impasse dont il semble n'y avoir aucune issue.
Dans un tel contexte, l'adversaire double les enjeux : il ne suffit plus de proclamer que l'on n'adhère pas aux anciennes significations, il faut les répudier publiquement. L'autodafé de l'Inquisition espagnole est de nouveau à la mode. C'est ce qu'ont suggéré des universitaires comme Ibram Kendi (Université de Boston), qui, lors d'un webinaire de l'Université de Stanford, a déclaré qu'il ne suffit plus de ne pas dire qu'on est raciste, mais qu'il faut une déclaration publique de lutte contre le racisme.
Nous l'avons vu : Lyotard a attribué à l'Occident un sens central en tant que concept prospectif. Si nous encadrons les significations dans une prospective occidentale (c'est-à-dire blanche), la déclaration de Kendi a une logique qui lui est propre : les institutions décident de ce qui est juste et de ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire qu'elles décident des significations des signifiants dans une perspective eurocentrique, donc implicitement raciste. Au lieu de cela, exiger des autoproclamations ouvertes d'antiracisme démolit le système de consensus et de légitimité sur lequel reposent les significations.
Mais le problème qui se pose est celui de l'émergence, qui connote cette évolution comme une simple succession d'actes de force nihilistes : ceux qui ont le plus de force brute et de ruse pour s'imposer au détriment des autres sont aux commandes, et une perspective commune fait totalement défaut. C'est ainsi que se produit le déclin de toute transcendance politique, en particulier dans les républiques libérales-démocrates. En ce sens, le concept d'État lui-même est redéfini et se corrode, devenant une sorte de vase prêt à être rempli, selon la fortuité, le hasard et les forces qui s'affrontent à l'extérieur, avec des significations toujours nouvelles. Les oppositions, quelles qu'elles soient, sont soumises à la violence coercitive des maîtres du sens, prêts cependant à en payer le prix au premier moment de faiblesse de ceux-ci.
Le concept d'alternance démocratique disparaît, submergé par une lutte brutale pour la vie et la mort.
Cet état de précarité totale est perçu avec lucidité par les appareils au pouvoir, qui courent se mettre à l'abri :
Le pouvoir déclenche une course à des lois toujours plus liberticides dans une sorte d'idéation pré-traumatique mais loin d'être paranoïaque. Cette tendance peut être observée dans tous les pays, des démocraties libérales occidentales aux pays "populistes", des "démocraties" sud-américaines au totalitarisme chinois et aux monarchies musulmanes du Golfe persique. Dans tous les pays du monde, les technologies et les lois qui les contrôlent représentent le secteur clé des relations entre les gouvernements et les oppositions, et aucun changement de tendance n'est visible : ce processus trouve précisément ses racines dans le champ de bataille sémiologique et plus encore dans celui des récits et des images.
L'importance de ce champ de bataille a été implicitement soulignée par Kendi lui-même à l'occasion des dernières élections présidentielles, lorsqu'il s'est particulièrement attardé sur des expressions telles que "vote légal" et "responsabilité personnelle", soulignant le caractère éminemment linguistique du problème. Il reste à savoir si les différentes langues du monde, en particulier celles d'origine européenne, peuvent être repensées dans une optique "inclusive" et "antiraciste", ou si, ayant été codifiées et provenant d'une époque certainement "raciste" (ainsi que "patriarcale", "homophobe", etc.), elles ne devraient pas plutôt être abolies tout court et remplacées par quelque chose d'autre, peut-être créé de toutes pièces, en dehors de la perspective occidentale.
Ce problème affecte la légitimité même des États qui seraient théoriquement appelés à approuver de telles mesures, mais qui sont aussi les rejetons d'un même horizon sémiotique. La conséquence serait qu'aucun État, du moins à l'Ouest, ne serait pleinement légitime. Un message radical dont les conséquences à long terme peuvent être aussi dangereuses qu'impondérables.
00:58 Publié dans Actualité, Langues/Linguistique, Manipulations médiatiques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antiracisme, manipulations médiatiques, actualité, langue, novlangue | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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