dimanche, 09 mars 2025
1965: Simon du désert et la fin du catholicisme
1965: Simon du désert et la fin du catholicisme
Nicolas Bonnal
1965 : on est dans la décennie qui a tout brisé, celle des Beatles et de BB, du gaullisme et de mai 68, de la télé et de la libération sexuelle, de l’Europe et des Trente Glorieuses, du gauchisme outrancier et du krach chrétien et familial. La société devient enfin surréaliste et refuse les « tiroirs du cerveau » du vieux Breton ou de Marcuse, tout en préparant à long terme un totalitarisme néo, plus informaticien et vicieux que l’ancien.
Debord (cité par mon ami Christophe Bourseiller dans sa bio plantureuse) parle « du processus de formation d’une société totalitaire cybernétisée à l’échelle planétaire ». Le fait est que quand on commence à interdire d’interdire on commence par une interdiction, et on va interdire tout ce qui interdisait peu ou prou comme on dit quelque chose : la famille, le sexe, la religion, l’Etat, la nation, tout sauf l’interdiction. On entre dans la société du numéro deux Keir Starmer et du Prisonnier de McGoohan. Ce dernier illustre le propos situ : l’insatisfaction devient une marchandise – et sera traitée comme telle, et la révolte ne peut être que formelle, entre deux enjeux dérisoires (IE les élections). Ergo à chaque évasion on revient avec notre numéro six bien-aimé et têtu au point de départ dans le quartier de Westminster : ici l’ombre !
Les années soixante c’est aussi le progressif triomphe israélien, l’idiotisme voyageur, le déclin terminal du christianisme, notamment romain. Alors que les Palestiniens vont être chassés après avoir été plus ou moins exterminés dans une totale indifférence (ou même bienveillance) occidentale, on se demande à quoi finalement aura pu servir ce christianisme déchu ou manipulé depuis le début. A partir en croisade pour Jérusalem ? Quelle farce.
Après tout, comme le Christ le dit lui-même, le salut vient des Juifs, donc pas des Palestiniens. Tant pis donc pour Gaza. Les cathos, qui en ont vu d’autres, se soumettront un peu plus. Sur les cathos je ne sais rien de plus rafraîchissant que cet extrait du journal de Léon Bloy vers 1910…: « Le curé nous dit que ses paroissiens sont à un tel degré d’abrutissement qu’ils crèvent comme des bestiaux, sans agonie, ayant détruit en eux tout ce qui pourrait être l’occasion d’un litige d’Ame, à leur dernière heure. »
J’en viens brièvement à mon géant Luis Buñuel (voyez mon texte sur ses incroyables Mémoires) qui est selon moi le seul cinéaste chrétien avec l’oublié Bresson. Grâce à Dieu, je suis athée, a-t-il dit génialement un jour, en enchantant mon grand-oncle Georges Sadoul, communiste et critique de cinéma. Buñuel s’est acharné gentiment et savamment (la voie lactée…) sur le christianisme en évoquant l’embourgeoisement éternel de cette religion, sa vocation carcérale, son progressif abandon des pauvres et son déclin humain et sociologique, lié aux temps qui passent et à la civilisation industrielle agonisante muée en société du spectacle. McLuhan écrit quelque part que sans télévision on n’aurait pas eu Vatican 2.
...Et Céline que la vérité de ce monde c’est la mort.
C’est là qu’intervient son Simon du désert. C’est un court-métrage avec l’impeccable Claudio Brook, acteur de la Grande Vadrouille et surtout de l’âge d’or mexicain, qui a accompagné Buñuel dans une nuée de chefs-d’œuvre. En une demi-heure la caméra explore le temps, liquide la furibarde vocation du saint (il se tient sur un pied sur sa colonne), découvre enfin la malignité des pauvres.
C’est un des traits de génie de Buñuel: le pauvre n’est ni bon ni chrétien, voyez Viridiana, en fait un bon pauvre, c’est un rêve de richard, cf. les migrants. Buñuel emmène avec le diable tentateur (géniale Silvia Pinal) notre saint aux enfers c’est-à-dire à New York. Cet enfer est d’abord signalé par un énième et satanique boucan d’aéroport (cf. l’interview de Parvulesco dans A bout de souffle), et c’est un espace dans lequel on s’acclimate et s’ennuie instantanément. C’est ce qui explique le succès de l’américanisation ou de la mondialisation : on s’y habitue instantanément. Richard Bandler, un des fondateurs de la PNL me raconta un jour qu’en Afrique on avait recours au psychiatre une fois qu’on y avait installé l’eau courante. L’eau des fontaines et des riantes conversations ne coulerait plus. Pensez au destin de Farrebique ou du village de Manon des sources, tournée dans une banlieue de Marseille…
La date choisie par Buñuel pour nous régaler de cet opus magique et définitif fait rêver.
Je me souviens que dans ses provocantes (et bizarrement tolérées, plus que les films suivants) Invasions barbares, notre français du Canada Denys Arcand fait intervenir un prêtre québécois qui explique à une agente de Sotheby (ou de Christie’s) que la religion a disparu (et la pratique religieuse donc) EN QUELQUE MOIS vers 1966-67. Tout cela sent bon son 666 et son Québec libre.
J’étais enfant, je peux en témoigner: tout disparaissait en quelques mois ou en quelques années (depuis il n’y a plus rien à détruire) ; on est passé, pour rester en bons termes avec le cinéma, de la civilisation de la Renaissance à la civilisation du cul (début de Pierrot le fou) et de la France de Jean Gabin à celle de Jean Yanne. Tout cela sous la houlette du gendarme hystérique Louis de Funès (voyez mon livre sur la destruction de la France au cinéma) et de celui qui voulait faire une France great again. On sait comment ça se termine.
Sources:
https://www.dedefensa.org/article/bunuel-et-le-grand-nean...
https://www.amazon.fr/DESTRUCTION-FRANCE-AU-CINEMA/dp/B0C...
17:19 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : déclin, nicolas bonnal, luis bunuel, cinéma, christianisme | |
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