dimanche, 09 mars 2025
Les enseignements des législatives allemandes
Les enseignements des législatives allemandes
par Georges Feltin-Tracol
Le 23 février dernier, soixante millions et demi d’Allemands votaient pour désigner leur nouveau Bundestag, suite à la dissolution de la vingtième législature prononcée le 27 décembre 2024 par le président de la République fédérale.
L’élection se déroule selon un mode de scrutin mixte original. Chaque électeur détient deux voix. Sur le même bulletin de vote se présentent deux colonnes. La première concerne le mandat direct: 276 circonscriptions au scrutin majoritaire uninominal à un seul tour. La seconde porte sur une liste présente au niveau du Land, soit 354 sièges répartis à la proportionnelle selon la méthode de Sainte-Laguë qui favorise les minorités. L’électeur coche donc à deux reprises sans forcément choisir la même formation politique. L’accès au Bundestag suppose d’obtenir 5% au niveau fédéral ou bien de gagner trois mandats directs qui annulent ce seuil. Il est enfin possible pour une personne d’être à la fois candidate à un mandat direct et de figurer sur une liste régionale.
Une participation de 82,54%, soit près de six points et demi de hausse, marque ces élections anticipées. Il faut remonter aux législatives de 1987 pour observer un si fort engouement civique. La brièveté de la campagne électorale n’a pas empêché un réel intérêt accru par les attentats islamistes allogènes à la voiture et au couteau. La tendance finale confirme une fragilisation partielle du consensus outre-Rhin.
Résultats des élections de 2021 (à gauche) et de 2025 (à droite).
Les listes de la coalition CDU – CSU arrivent en tête avec 28,52%. Certes, elles remportent l’élection, mais leur résultat se trouve en dessous des 30% prévus par les sondages. Pressenti pour devenir le prochain chancelier fédéral, Friedrich Merz est dès à présent vulnérable, car ses 208 députés n’arrivent pas à la majorité absolue de 316 sièges.
Le chancelier sortant, le social-démocrate Olaf Scholz, perd son pari de conserver son poste. Avec 16,41%, le SPD réalise la plus mauvaise contre-performance électorale de son histoire. Perdant 86 sièges, les 120 heureux élus vont sûrement exiger quelques comptes à Scholz qui, tel un Biden obstiné et têtu, n’a pas voulu renoncer au profit de l’actuel ministre de la Défense, Boris Pistorius, plus populaire que lui d’après les enquêtes d’opinion.
Les libéraux-démocrates du FDP sortent du Bundestag avec 4,33 %. Dès l’annonce des premières tendances désastreuses, leur chef de file, Christian Lindner (photo), a démissionné de la présidence du parti et quitté la vie politique active. Ce vote confirme le déclin du FDP qui n’est plus représenté que dans neuf Länder sur seize. Bien que perdant 33 sièges, les Verts restent relativement stables (11,61% et 85 députés). Leur programme belliciste en politique étrangère et liberticide en politique intérieure ne gêne pas leurs électeurs nantis désormais, bien souvent retraités. Certains responsables Verts seraient néanmoins favorables à une entente gouvernementale avec Friedrich Merz. Mais cette hypothétique alliance noire – verte impliquerait un gouvernement minoritaire.
Toute la médiacratie occidentale bien-pensante s’indigne des 20,80% de l’AfD. Fondée en 2013, elle avait fait cette année-là 4,70% et aucun élu, puis 12,60% en 2017 (94 sièges) et 10,30% (83 sièges) en 2021. Dorénavant principale force d’opposition, l’AfD consolide sa domination dans l’ancienne RDA où elle rafle la quasi-totalité des mandats directs.
Son co-président Tino Chrupalla (photo) récolte par exemple 48,90% dans sa circonscription de Görlitz en Saxe. Exclu du groupe Europe des nations souveraines au Parlement de Strasbourg – Bruxelles pour un simple point de vue historique non conforme, Maximilian Krah remporte lui aussi un mandat direct (44,20%) à Chemnitz toujours en Saxe. Il appartient bien au groupe AfD. Toutefois, certains sondages pronostiquaient l’AfD à 22%. Fondée par des conservateurs – libéraux hostiles à l’euro et à l’intervention des États pour sauver le système financier en 2008 et la Grèce au début des années 2010, l’AfD reste plus que jamais ambivalente. La structure fédérale allemande influence l’organisation des partis politiques eux aussi fédéraux. Ainsi, dans l’AfD coexistent-ils la libertarienne Alice Weidel, le catholique de tradition Maximilian Krah, et Björn Höcke à la sensibilité identitaire plus affirmée. Ces deux derniers n’apprécient guère le tropisme trumpien de la direction plutôt nationale-libérale...
Maximilian Krah (en haut) et Björn Höcke (en bas).
Les nationaux-conservateurs de l’Alliance Allemagne n’obtiennent que 0,20% et ceux de l’Union des valeurs, une scission nationale-libérale de la CDU, 0%. Elle ne se présentait qu’en Rhénanie du Nord – Westphalie. Quant à Heimat, le nouveau nom du NPD (Parti national-démocrate d’Allemagne), il n’a pas pu participer au scrutin. Déjà privé pour cinq ans de tout financement public, ce mouvement national radical subit l’hostilité permanente du Régime et de ses sbires médiatiques. En outre, les conditions pour se présenter sont problématiques. Tout candidat aux législatives doit recueillir au préalable un nombre précis de parrainages de citoyens. Vu le climat de haine anti-nationale actuel, rares sont les Allemands prêts à signer pour les valeureux militants de Heimat. La liberté de candidature est donc biaisée et restreinte sans que cette infamie ne suscite la préoccupation du Conseil de l’Europe et de l’Organisation de sécurité et de coopération en Europe qui préfèrent dénoncer Tbilissi ou Budapest. En revanche, l’AfD ne risque plus l’interdiction, d’autant qu’elle bénéficie désormais du soutien tacite de l’administration Trump. La rencontre entre Alice Weidel et le vice-président JD Vance en fait foi.
La véritable surprise de ces élections revient cependant à Die Linke (8,77 % et 64 sièges). Les sondages la plaçaient en dessous des 5% fatidiques. Cette formation de gauche radicale qui prône l’immigration à outrance, a su tirer partie dans les dernières semaines de campagne de l’aura médiatique acquise par sa co-tête de liste Heidi Reichinnek (photo, ci-dessous) à travers des discours délirants d’antifascisme.
Plus inquiétant encore, maints primo-votants de 18 à 25 ans ont préféré Die Linke. Cinq – six ans auparavant, ces jeunes adultes manifestaient tous les vendredis à l’appel de « Sacrée Greta Thunberg » pour le climat, la planète et l’école buissonnière. Ce vote puéril en faveur des héritiers du communisme est-allemand provient en outre du bourrage incessant des crânes dans un système éducatif allemand largement déficient.
La remontée surprenante de Die Linke efface l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW) qui frôle les 5% avec 4,90%. Il aurait été exceptionnel qu’un parti lancé en janvier 2024 accède si tôt au Bundestag. Par ailleurs, BSW paie ses compromissions dans les Länder du Brandebourg et de Thuringe. Un mouvement estampillé anti-Système peut-il collaborer au sein des gouvernements régionaux avec la CDU et le SPD? Cet échec ne marque pourtant pas sa fin. BSW pourrait bientôt s’appeler l’Alliance pour la Sécurité et la Prospérité.
Pendant la campagne électorale, Friedrich Merz a vivement critiqué le SPD avec qui il devrait maintenant négocier un partenariat de gouvernement. En dépit de leur claque cinglante, les sociaux-démocrates deviennent des faiseurs de roi. Or bien peu d’entre-eux apprécient le président de la CDU. Ses prises de position jugées « droitières », son passé d’homme d’affaire millionnaire, son avion privé qu’il pilote le rendent antipathiques auprès des électeurs du SPD, des Verts et de Die Linke. Former une éventuelle coalition ne sera pas simple à moins que Merz renonce à son programme en matière d’immigration, de sécurité publique et de budget. Conscient de ces difficultés, il souhaiterait que l’actuel Bundestag qui, bien que dissout, n’en poursuit pas moins ses travaux, adopte avant l’entrée en fonction du nouveau un fonds spécial consacré à la défense et à l’armement. Il craint qu’avec la configuration politique à venir, ce fonds soit retoqué par la minorité de blocage exercée par l’AfD et Die Linke.
Plutôt que de rechercher une nouvelle « grande coalition » avec un SPD déchu, Friedrich Merz devrait solliciter l’AfD qui partage un libre-échangisme (l’AfD soutient l’accord de commerce avec le MERCOSUR) et un anti-merkelisme carabiné. Grand rival d’Angela Merkel au début des années 2000, Friedrich Merz renonça à la politique en 2009 avant d’y replonger en 2018 sur des thèmes libéraux et conservateurs. En brisant le « cordon sanitaire », il donnerait l’occasion aux membres de l’AfD de prouver leur valeur, leur sérieux et leur compétence à la tête de ministères majeurs. À diverses reprises, les conservateurs autrichiens l’ont fait avec le FPÖ qui perdit très vite et pour de courtes périodes sa dynamique auprès des électeurs. Mais il est exact qu’une pesante tyrannie mémorielle empêche toute transgression politique audacieuse en Allemagne. Le changement attendra.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 146, mise en ligne le 5 mars 2025 sur Radio Méridien Zéro.
14:57 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : affaires européennes, politique, actualité, europe, allemagne, législatives allemandes 2025 | |
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