jeudi, 01 septembre 2022
Tocqueville et la vanité de la théorie du complot
Tocqueville et la vanité de la théorie du complot
par Nicolas Bonnal
Personne n'a expliqué le monde dit moderne et les siècles dits démocratiques mieux qu'Alexis de Tocqueville. On peut se demander alors ce que ce grand esprit terrassé par le césarisme plébiscitaire des Bonaparte (qui stérilisa l'esprit français, en particulier l'esprit aristocratique qui est celui de la Liberté – voir Jouvenel) pouvait penser de la théorie du complot pour expliquer l'histoire. Or il n'y a pas à se le demander, car il a bien répondu sur ce point dans sa correspondance, à un ami visiblement « d’extrême-droite », le sympathique marquis de Circourt, qui lui parlait de l'inévitable et fastidieux jésuite Barruel, auteur du pensum sur les conspirations maçonniques et illuminées pendant la révolution (dans le genre je préfère Robison ou même le Napoléon de Walter Scott, ou même Dumas et Balsamo).
Sur la gesticulation politique au XIXe siècle, Debord avait écrit dans ses Commentaires :
La « conception policière de l’histoire était au XIXe siècle une explication réactionnaire, et ridicule, alors que tant de puissants mouvements sociaux agitaient les masses (1). »
Mais les masses allaient mener au socialisme, à l’étatisme, au fascisme et au nazisme, en attendant le mondialisme télévisé. Relisez Ortega Y Gasset qui révéla leur perversion dans Rébellion.
Tocqueville n'a donc pas lu le légendaire et sulfureux Barruel ; et d'expliquer pourquoi :
« J'en ai toujours été détourné par l'idée que celui-ci avait un point de départ essentiellement faux. Sa donnée première est que la révolution française (il est permis de dire aujourd'hui européenne) a été produite par une conspiration. Rien ne me paraît plus erroné (2). »
Car on oublie que conspirer signifie respirer ensemble. Les Français voulaient tous ou presque cette abomination. Le voyageur Young révéla l’instantané fanatisme de leur révolution dans ses voyages.
Tocqueville fait ensuite une concession rhétorique :
« Je ne dis pas qu'il n'y eût pas dans tout le cours du dix-huitième siècle des sociétés secrètes et des machinations souterraines tendant au renversement de l'ancien ordre social. Au-dessous de tous les grands mouvements qui agitent les esprits se trouvent toujours des menées cachées. C'est comme le sous-sol des révolutions. »
Mais Tocqueville rappelle l'essentiel. L'essentiel est qu'il n'y a pas besoin de théorie de la conspiration quand la théorie de la constatation fonctionne. Les Français voulaient que ça saute, comme aujourd'hui ils veulent du Macron, du Reset, de la pénurie et des coupures de courant (oui, je sais, pas tous, mais la minorité de mécontents qui clique ne fait et ne fera pas la loi). Car on ne les refait pas les Français. La révolution-conspiration c’est quand la masse veut la même merde que l’élite. Aux mécontents de changer de pays.
Tocqueville ajoute superbement :
« Mais ce dont je suis convaincu, c'est que les sociétés secrètes dont on parle ont été les symptômes de la maladie et non la maladie elle-même, ses effets et non ses causes. Le changement des idées qui a fini par amener le changement dans les faits s'est opéré au grand jour par l'effort combiné de tout le monde, écrivains, nobles et princes, tous se poussant hors de la vieille société sans savoir dans quelle autre ils allaient entrer (3). »
Nouvelle société qui semblait inévitable. A cet égard Tocqueville souligne les caractères de la science historique :
« On dirait, en parcourant les histoires écrites de notre temps, que l’homme ne peut rien, ni sur lui, ni autour de lui. Les historiens de l’Antiquité enseignaient à commander, ceux de nos jours n’apprennent guère qu’à obéir. Dans leurs écrits, l’auteur paraît souvent grand, mais l’humanité est toujours petite. »
Notre écrivain ajoute :
« Si cette doctrine de la fatalité, qui a tant d’attraits pour ceux qui écrivent l’histoire dans les temps démocratiques, passant des écrivains à leurs lecteurs, pénétrait ainsi la masse entière des citoyens et s’emparait de l’esprit public, on peut prévoir qu’elle paralyserait bientôt le mouvement des sociétés nouvelles et réduirait les chrétiens en Turcs (4). »
Cette doctrine de la fatalité me paraît juste : tout empire, à commencer par l’étatisme, le bellicisme humanitaire et la tyrannie informatique, et l’on n’y peut rien : théorie de la constatation.
C'est l'historien de l'Espagne Stanley Payne qui, désespéré par l'anesthésie de cet ancien grand peuple, dénonce la torpeur de ces temps post-historiques. Raison de plus pour rendre hommage à la liquidation de la théorie du complot par Tocqueville : la masse suit, quand elle ne la précède pas, la mauvaise volonté de son élite. Plus antiraciste, plus féministe, plus véganienne et plus écologiste qu’elle, plus cybernétisée même, elle exige du Reset.
Ma solution ? Un voilier dans les sublimes fjords du Chili (pays le plus vacciné au monde...).
Notes
1). Debord, Commentaires, XX.
2). Tocqueville, correspondance, A M. LE COMTE DE CIRCOURT, Tocqueville, 14 juin 1852.
3). Ibid.
4). De la Démocratie en Amérique II Première partie CHAPITRE XX.
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dimanche, 06 décembre 2020
« Théorie du complot » et comique de répétition
« Théorie du complot » et comique de répétition
par Nicolas Bonnal
C’est du poumon que vous êtes malade
Le seul argumentaire du système, de ses intendants et de leur populace de téléphages est l’insulte tempérée par la menace. Quoiqu’on dise on est accusé de théorie de la conspiration avec un ricanement insultant et surtout menaçant. Théorie de la conspiration rimera un jour avec camp de concentration pour les contrevenants et rime aussi avec le fameux comique de répétition. Pensez au poumon du Malade imaginaire de Molière, auteur qui n’a jamais été autant d’actualité : les Femmes savantes, les précieuses, le Malade imaginaire, Tartufe, le Bourgeois gentilhomme et surtout Georges Dandin, cocu à répétition des temps pseudo-cycliques.
Donc si l’on évoque Schwab, Davos, Gates, le mondialisme, l’ARN, l’ADN ou autres, on est accusé de complotisme sur un ton de précieux dégoûté. Cela montre que le système s’est renforcé/affaibli, qui peut s’établir sur une désertification intellectuelle bien globalisée.
Reprenons cette remarque extraordinaire de Guy Debord (il existe une bibliothèque pour l’insulter) sur ces mondialistes qui n’existent pas, ces vaccinateurs qui n’existent pas, ces banquiers qui n’existent pas, ce Reset qui n’existe pas, cet ADN qui n’existe pas, cette censure intégrale qui n’existe pas, cette élection volée qui n’existe pas, cette dictature qui n’existe pas, et tout le reste :
« La plus grande exigence d’une Mafia, où qu’elle puisse être constituée, est naturellement d’établir qu’elle n’existe pas, ou qu’elle a été victime de calomnies peu scientifiques ; et c’est son premier point de ressemblance avec le capitalisme. Mais en la circonstance, cette Mafia irritée d’être seule mise en vedette, est allée jusqu’à évoquer les autres groupements qui voudraient se faire oublier en la prenant abusivement comme bouc émissaire. »
La cabale mondialiste (voyez mon livre Littérature et conspiration pour constater que Dostoïevski, Chesterton ou Jack London la voient venir en leur temps…) n’existant pas, ne peut exister qu’une méchante volonté de tout inventer pour mieux accuser. Il faut donc sanctionner et insulter les félons avant de pouvoir les enfermer. Et sur cette volonté de ne plus discuter mais d’insulter, qui repose sur la rage et l’impuissance (voyez le petit Blachier face au professeur Toussaint) Schopenhauer a déjà tout dit dans son fameux Art d’avoir toujours raison que l’on trouvera sur Wikisource :
« Lorsque l’on se rend compte que l’adversaire nous est supérieur et nous ôte toute raison, il faut alors devenir personnel, insultant, malpoli. Cela consiste à passer du sujet de la dispute (que l’on a perdue), au débateur lui-même en attaquant sa personne…En devenant personnel, on abandonne le sujet lui-même pour attaquer la personne elle-même : on devient insultant, malveillant, injurieux, vulgaire. C’est un appel des forces de l’intelligence dirigée à celles du corps, ou à l’animalisme. C’est une stratégie très appréciée car tout le monde peut l’appliquer, et elle est donc particulièrement utilisée. »
Tout le monde peut l’appliquer, en particulier les journalistes ignares qui ne savent que répondre aux savants Toubiana ou Fouché qu’on leur oppose sur un plateau. Que ne peuvent-ils faire taire leur adversaire avec un pistolet ! On oppose parfois les pédants (Molière, toujours) aux savants, or les pédants ne publient rien sur le plan scientifique contrairement à Raoult par exemple.
Tout cela marche parce la bêtise s’est répandue industriellement et ce grâce aux médias. A tout seigneur tout honneur, la presse. Au milieu du dix-neuvième siècle le bon théologien Mgr Gaume écrivait déjà à propos de l’imbécillité positiviste :
« Vous avez des yeux, et vous ne voyez pas ; des oreilles, et vous n'entendez pas; une volonté, et vous ne voulez pas. Fruit du don d'entendement, le sens chrétien, ce sixième sens de l'homme baptisé, vous manque. Il manque à la plupart des hommes d'aujourd'hui et à un trop grand de nombre de femmes. Il manque aux familles, il manque à la société, il manque aux gouvernants et aux gouvernés, il manque au monde actuel. Monde de prétendues lumière et de prétendu progrès, il ne reste pour toi qu'un dernier vœu à former, c'est que l'Esprit d'intelligence te soit donné de nouveau et te montre à nu l'abîme inévitable, vers lequel te conduit à grands pas l'Esprit de ténèbres, redevenu, en punition de ton orgueil, ton guide et ton maître. »
Car leur monde moderne est le monde des gogos, des consommateurs, des guerres mondiales, du totalitarisme à répétition. Et il veut finir glorieusement par un Reset et une extermination.
Baudrillard dans sa Guerre du golfe avait évoqué la fonction des médias dans le maintien d’une hébétude collective. Or Mgr Gaume rappelle :
« Le premier effet d'un pareil désordre, c'est l'affaiblissement de l'intelligence, hebetudo. L'âme et le corps sont entre eux comme les deux plateaux d'une balance : quand l'un monte, l'autre descend. Par l'excès du boire et du manger, l'organisme se développe, et l'esprit s'émousse, s'épaissit, devient pesant, paresseux, inhabile à l'étude et aux fonctions purement intellectuelles : ce résultat est forcé. Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es. En contact intime, habituel et coupable avec la matière, avec l'animalité, l'homme devient matière, il devient bête, animalis homo. »
En effet pour quelqu’un qui n’a pas envie de réfléchir ou de discuter (66%, 90%, 99% des téléphages), l’accusation de théorie de la conspiration est bienvenue. Elle est liée à une ignorance fumiste et à une joie méchante, un ricanement (Blachier toujours à Toussaint : « vous êtes tellement con et conspiratif qu’on ne peut discuter avec vous… »). Et Gaume en parle de ce ricanement agressif, laïc et ploutocratique :
« Le second effet de l'esprit de gourmandise, c'est la folle joie, inepta laetitia. Devenue, par l'excès des aliments, victorieuse de l'esprit, la chair manifeste son insolent triomphe. Des rires immodérés, des facéties ridicules, des propos trop souvent obscènes, des gestes inconvenants ou puérils, des chants, des cris, des danses, des plaisirs bruyants, des fêtes théâtrales en sont l'inévitable expression. »
Alors on fait rentrer les bouffons sur les plateaux télé, bouffons qui sont là pour ajouter plus de fausseté à l’esprit de ce monde. Et de parler du virus comme le faux médecin de Molière parle du poumon.
Sources:
Schopenhauer – L’art d’avoir toujours raison (Wikisource.org)
Mgr Gaume – Traité du Saint-Esprit, tome deuxième, pp. 472-474
Guy Debord – Commentaires, XXIII
Baudrillard – La Guerre du Golfe n’a pas eu lieu (Galilée)
Bonnal – Littérature et conspiration (Amazon.fr)
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lundi, 29 juin 2015
L’épouvantail de la « théorie du complot »
L’épouvantail de la « théorie du complot »
Une véritable campagne d’intimidation se déploie – à coups d’émissions TV, de dossiers de presse, d’accusations infâmantes, de « listes noires », d’interdictions de parler etc… – à l’encontre de « complotistes » et de « confusionnistes » où l’on fait figurer, pêle-mêle, des critiques surtout dérangeants des politiques des Etats-Unis, d’Israël, de l’Union Européenne etc… (curieusement, il s’agit toujours de ceux-là !) et les « populistes » « antisémites » « conspirationnistes délirants » auxquels les précédents sont abusivement amalgamés.
Les procédés de cette « chasse aux sorcières », couverte par certains intellectuels français, sont de type policier et rappellent les méthodes de l’extrême-droite « organisée », y compris des menaces physiques à l’encontre d’organisateurs de débats « conspirationnistes ».
Cela frise la terreur intellectuelle, vu que les « accusés » sont quasiment mis en demeure de se taire ou, de facto, réduits au silence par des médias (journalistes) eux-mêmes effrayés d’être vus en sulfureuse compagnie.
Difficile de savoir « qui tire les ficelles » de ce…complot médiatique auquel prend également part une certaine « gauche » bienpensante. Il faudrait IDENTIFIER les sources, en particulier les soi-disant « antifas » qui se chargent de cette basse besogne.
A titre d’information, le « journal antiproductiviste » KAIROS publie cette critique cinglante de…
Le 4 janvier dernier, le New-York Times ouvre un débat dans ses colonnes avec une courte série d’articles sur les théories du complot. Après les attentats parisiens du 7 janvier paraissent également dans les journaux français de nombreux articles sur ce thème – avec des titres explicites trahissant l’objectif poursuivi. On peut lire par exemple : « Les jeunes plus exposés à la théorie du complot », « Comment naissent les théories du complot », « La théorie du complot, l’arme politique du faible », « Les rouages de la machine complotiste » ou encore « Pourquoi les enfants sont tentés par la théorie du complot ? ».
Tous ces articles évoquent les théories du complot sans qu’aucun d’eux n’ose préciser ce que ce vocable, hors de toute conviction, de toute réalité et de toute opinion, peut objectivement désigner. A leur lecture, apparaît pourtant le seul dénominateur commun de tous ces points de vue : la perte de confiance d’une partie de la population face à la présentation officielle d’évènements (ou à leurs analyses), c’est-à-dire émanant du pouvoir, grands médias ou institutions politiques. Cette défiance – justifiée ou non – vis-à-vis des thèses officielles porte de plus en plus de gens à accorder leur confiance à des sources non officielles présentant des versions des faits sensiblement différentes. Dès lors, si l’on imagine que ce phénomène peut se généraliser à une part importante de la société, on comprend mieux l’inquiétude des pouvoirs, et plus généralement de nos élites. Car que resterait-il de notre système si les populations ne croyaient plus ce que leur disent les élites politiques et médiatiques qui les dirigent ?
L’objectif de tous ces articles apparaît sans ambiguïté : décrédibiliser toute personne mettant en doute les thèses officielles, c’est-à-dire la vérité telle que la conçoit le pouvoir. A ce titre, toutes les vieilles méthodes sont employées, à commencer par l’emploi de néologismes suggestifs, comme « les conspirationnistes » évoquant sans détour l’image de gens à moitié fous s’imaginant que des comploteurs masqués se réunissent en secret la nuit dans les caves pour nuire à la communauté tout entière.
La seconde méthode, qui était fréquemment pratiquée par l’URSS et la Chine de Mao, consiste à disqualifier la parole des gens qui doutent des versions officielles en leur collant sur le dos une pathologie certifiée par des spécialistes. Ainsi, toute parole dissonante ou dissidente sera considérée comme un comportement déviant qu’il faut soigner. Comme le disait très sérieusement une journaliste de France 2 : « il faut repérer et traiter tous ceux qui ne sont pas Charlie ». Dans la demi-douzaine d’articles du NYT, un supposé spécialiste du phénomène dénonce la nature « paranoïaque » des conspirationnistes, un autre y voit le symptôme d’une anxiété « de masse » (on notera le choix du terme soulignant la nature peu instruite ou éduquée des conspirationnistes qui appartiennent à « la masse »), un autre encore évoque les croyances populaires aidant le peuple à admettre ce qu’il ne comprend pas. Le portrait est dressé : celui qui émet un doute sur les thèses présentées par le pouvoir s’appelle un conspirationniste, c’est un malade mental généralement peu instruit appartenant à la masse et sujet à des croyances populaires car il ne comprend pas le monde. Dans les articles français, on trouve l’utilisation de la même méthode, puisque l’on parle de « vulnérabilité » au conspirationnisme comme à une maladie, vulnérabilité accrue avec la jeunesse : l’idée est de faire passer la remise en cause des thèses officielles pour de l’adolescence attardée. Les conspirationnistes sont donc des victimes – immatures dans la totalité des cas – et les journalistes se demandent comment leur venir en aide. L’un des articles va d’ailleurs plus loin que la simple référence à l’adolescence puisqu’il parle des enfants tentés par la théorie du complot. Ainsi, si un doute naît dans votre esprit sur ce qui vous est présenté officiellement, cela signifie que vous êtes retombés en enfance. Dans le même esprit, on notera également l’intervention dans les colonnes du NYT d’une professeure de psychologie qui use d’une bienveillance maternelle avec une extrême condescendance jugeant ces théories risibles et inoffensives pour la plupart.
« Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage », c’est la troisième méthode destinée à neutraliser toute idée contraire aux thèses officielles. Pour cela, on va associer au conspirationnisme des thèses parfois indéfendables ou saugrenues, ou encore poursuivies par la loi. Ainsi, en lisant les articles cités plus haut, on pensera que les conspirationnistes ne croient pas aux premiers pas sur la lune en 1969, qu’ils sont convaincus que les extra-terrestres ont débarqué sur terre il y a longtemps (mais que les gouvernements nous le cachent), et enfin, que ce sont des négationnistes. Sachez donc que si vous doutez de certaines informations ou analyses exposées dans les grands médias, cela signifie que vous pensez que les extra-terrestres sont parmi nous et que vous niez l’existence des chambres à gaz. Cette méthode est d’une efficacité redoutable puisque, en ces temps terrifiants de procès pour pensée, de dénonciation calomnieuse d’intention ou de non-charlisme, chacun redoute, et c’est bien légitime, d’être soupçonné de la sorte et lynché.
Le portrait-robot du conspirationniste ayant été tracé, que ce soit sous les traits de la naïve victime de son incompréhension du monde, ou sous ceux du délire paranoïaque du malade mental, il faut aussi en citer des exemples et le situer sur un échiquier politique infréquentable. On lira alors dans Le Figaro : « le conspirationnisme était le propre de l’extrême droite. Depuis les attentats du 11 septembre, on le trouve aussi chez certains courants de la gauche radicale ». Le message est clair : extrême droite et extrême gauche se rejoignent dans la déraison ; seuls des extrémistes peuvent douter des versions officielles. Quant aux exemples, ils sont explicites : Alain Soral, l’humoriste Dieudonné ou Jean-Marie Le Pen sont cités. Une fois toutes ces précautions prises, on peut alors qualifier certaines analyses de conspirationnistes pour les discréditer. On apprend ainsi, par de supposés experts censés « démonter les mécanismes complotistes », que le conspirationnisme est très répandu en Russie. En effet, toujours dans le même article, d’après « l’expert » interrogé, « les télévisions du Kremlin décrivent (…) les révolutions de couleur comme des complots occidentaux ». Cette fois, si vous pensez que certains renversements de régime ont été organisés ou soutenus par des agences américaines, c’est que vous êtes victime de la propagande du Kremlin passé maître dans l’art du conspirationnisme. Dans Le Monde, on peut lire le même type de discours, tout aussi accusateur quand, à propos de l’assassinat de Boris Nemtsov, le journal écrit : « La théorie du complot prend de l’ampleur à Moscou (…) et le pouvoir russe n’hésite pas à désigner son commanditaire : l’Occident ». L’objectif est ici, à l’aide de disqualification par théorie du complot, d’écarter toute explication autre que celle de l’assassinat de Nemtsov par le Kremlin.
Plus intéressante encore, et infiniment plus inquiétante, la description des conspirationnistes faite par la fondation Jean-Jaurès, le fameux think tank du parti socialiste auquel le président Hollande a commandé un rapport en janvier. Voici ce que le laboratoire d’idées, réputé siège de l’élite des intellectuels du parti gouvernemental, écrit dans son rapport lorsqu’il entreprend de décrire ceux qui doutent des thèses officielles : « (…) mouvance hétéroclite, fortement imbriquée avec la mouvance négationniste, et où se côtoient admirateurs de Hugo Chavez et inconditionnels de Vladimir Poutine. Un milieu interlope que composent d’anciens militants (…) d’extrême gauche,(…), souverainistes, nationaux-révolutionnaires, ultra-nationalistes, nostalgiques du IIIème Reich, militants anti-vaccination, partisans du tirage au sort, révisionnistes du 11 septembre, antisionistes, adeptes des médecines alternatives, agents d’influence du régime iranien, bacharistes, (…) ». De cet odieux inventaire à la Prévert destiné à rendre compte du conspirationnisme tel que l’entend le pouvoir, c’est le mépris et l’intolérance, voire la haine et l’insulte qui émergent de ces associations infâmes, mêlant sans honte les adeptes de la médecine douce avec les admirateurs de nazis et de Hugo Chavez (à propos de ce dernier, rappelons qu’il a été le président de gauche du Venezuela, régulièrement élu quatre fois consécutives, et qu’il s’est illustré au plan international par son refus de se plier à la domination américaine ; son alliance avec Morales en Bolivie, Correa en Equateur ou Castro à Cuba en font un acteur majeur de la vague socialiste en Amérique latine, vague qui vient de faire plier Obama il y a quelques jours, contraint de lever l’embargo sur Cuba). D’après le Parti Socialiste français, approuver le socialisme de Chavez, c’est être un paria, tout comme refuser d’alimenter la guerre civile en Syrie, ou faire partie d’un milieu interlope, ou être antisioniste, ou être un nostalgique du IIIème Reich, c’est appartenir à une mouvance où se côtoient tous les infréquentables, tous les sorciers qu’il faut combattre. Notons d’ailleurs qu’à cette liste noire, la fondation Jean Jaurès ose ajouter, déshonorant ainsi le nom qu’elle porte, celui d’Etienne Chouard, simple citoyen blogueur devenu célèbre en 2005 pour avoir lancé une campagne pour le « Non » au référendum sur la Constitution européenne, et revendiquant aujourd’hui une position radicale sur la nécessité de repenser la démocratie.
A la lecture de cette description pitoyable – dont il faut répéter qu’elle est réalisée par l’élite du parti au pouvoir – on comprend aisément que sont estampillés conspirationnistes tous ceux qui ne pensent pas comme le veulent nos élites. Ainsi, le problème « complotiste » n’est plus de distinguer le vrai du faux, le vraisemblable de la fable ou le délire de la raison, non, le problème est de penser ou non comme le suggère le pouvoir. Il faut donc condamner tous ceux qui, finalement, « ne sont pas Charlie ».
Ce mois de janvier 2015 s’achève par un texte étonnant :
« Pour combattre un ennemi, il faut d’abord le connaître et le nommer (…) c’est toujours le complot, le soupçon, la falsification (…). Les théories du complot se diffusent sans limites et ont, dans le passé, déjà conduit au pire. Alors face à ces menaces, il nous faut des réponses, des réponses fortes, des réponses adaptées. (…) Il faut prendre conscience que les thèses complotistes prennent leur diffusion par internet et les réseaux sociaux (…). Nous devons agir au niveau international pour qu’un cadre juridique puisse être défini, et que les plateformes qui gèrent les réseaux sociaux soient mises devant leurs responsabilités et que des sanctions soient prononcées en cas de manquement. »
Ces quelques lignes ne sont pas extraites d’un manuscrit d’Orwell qui n’aurait pas encore été publé, mais du discours de François Hollande prononcé le 27 janvier dernier à propos de l’antisémitisme. Deux semaines après ce discours, est publié le décret d’application du blocage de sites internet sans juge pour suspicion d’apologie d’actes terroristes, ce qu’Amnesty International dénonce comme un concept flou dans un article où l’on apprend le 18 mars que cinq sites ont déjà été bloqués sans procédure de justice.
Le 19 mars est présenté en Conseil des ministres le projet de Loi Renseignement, prévoyant de renforcer les données liées aux connexions internet : l’idée majeure est d’installer des boîtes noires chez les fournisseurs d’accès internet contrôlant et vérifiant tous les transits de données. L’argument est de les équiper d’algorithmes destinés à déceler des comportements proches d’éventuels terroristes, et de contrôler les personnes en contact avec les personnes déjà suspectées. De plus, la conservation des données est étendue de un à cinq ans et tous les opérateurs devront fournir les éléments permettant le déchiffrement des données. Le quotidien Le Monde précise : « La France n’est pas seule à se pencher sur la question du chiffrement : le sujet est aussi à l’origine d’un bras de fer entre le FBI, Apple et Google. (…) Le premier ministre britannique, David Cameron, a quant à lui menacé ces derniers mois de rendre illégaux les systèmes de chiffrement dont les créateurs n’auront pas fourni les « clefs » aux autorités. »
Enfin, le 9 avril, les principaux hébergeurs de sites internet réagissent en lançant un signal d’alerte dans un communiqué adressé au Premier Ministre. Outre dresser un tableau noir des conséquences économiques qu’aurait l’adoption d’une telle loi (perte de plusieurs milliers d’emplois et déménagement vers l’étranger de toutes leurs plateformes), ils s’opposent à la « captation en temps réel des données de connexion » par les boîtes noires aux contours flous, et déclarent : « [40% de clients étrangers] viennent parce qu’il n’y a pas de Patriot Act en France, que la protection des données des entreprises et des personnes est considérée comme importante. Si cela n’est plus le cas demain en raison de ces fameuses « boîtes noires », il leur faudra entre 10 minutes et quelques jours pour quitter leur hébergeur français. » (…) « En effet, nous ne sommes pas les États-Unis, nous n’avons pas de NSA, dont les activités de surveillance opaques ont poussé nombre d’entreprises et de particuliers du monde entier à devenir clients de la France : une démocratie plus transparente et respectueuse des droits de ses citoyens. »
Ainsi pourraient se dessiner les contours d’un nouveau monde, bien étrange, un monde dans lequel de grosses entreprises viennent au secours de nos libertés en nous protégeant du pouvoir politique.
- Source : Michel Segal
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