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jeudi, 18 janvier 2007

Réflexions sur le destin des Arméniens

SYNERGIES EUROPEENNES – Bruxelles/Vienne – Novembre 2006

 

 

 

Albrecht ROTHACHER :

Réflexions sur le destin des Arméniens depuis la fin du 19ième siècle

 

 

 

Albrecht Rothacher est journaliste libre. Il écrit notamment pour l’hebdomadaire viennois « Zur Zeit ». Nous publions ici en traduction française quelques extraits de son long essai sur l’histoire arménienne. L’objectif de son journal est bien évidemment d’éviter à tout prix l’adhésion turque à l’UE, en montrant bien que la Turquie n’a nulle envie d’appliquer les principes de liberté religieuse et intellectuelle que lui imposerait une adhésion à l’Europe bruxelloise. Ensuite, même si nous critiquons, avec l’Académicien et Professeur français René Rémond (*)(voir note en bas d’article), la multiplication déraisonnable des « lois mémorielles », force est tout de même de constater que le cas arménien est différent des autres : il s’agit d’un peuple européen, de souche indo-européenne, qui a courageusement été, à l’époque des Croisades notamment, un bouclier pour protéger le reste de l’Europe des invasions seldjoukides. Nous avons une dette à l’égard de l’Arménie. Il est donc normal que nous la défendions sans fléchir. Et pour cela, nul besoin de « lois mémorielles » : rien que de la volonté, de l’inflexibilité. Cet extrait de l’essai de Rothacher porte sur les diverses péripéties du massacre des Arméniens, qui s’est déroulé en plusieurs phases. Un rappel utile.

 

 

 

Dès la phase dernière du lent déclin de l’Empire ottoman, sous le règne du Sultan Abdoul Hamid II (1878-1908), les massacres d’Arméniens survenaient à intervalles réguliers. Le déclencheur et le prétexte de ces opérations macabres étaient, la plupart du temps, des protestations arméniennes contre les abus du fisc ottoman ou des manifestations contre l’arbitraire des autorités musulmanes. A cette époque, une idée faisait son chemin au sein de l’Empire ottoman moribond : il fallait absolument maintenir sous la férule turque le noyau territorial anatolien d’Asie Mineure, tandis que le reste de l’Empire, hétéroclite et multiethnique, se désagrégeait. Le moyen ? Imposer une turcisation forcée. Cette politique a bien sûr rencontré la désapprobation des peuples qui vivaient dans cette région depuis des temps immémoriaux, comme les Grecs, les Arméniens, les Chaldéens et les Araméens. Les Kurdes sunnites, eux, s’étaient installés dans l’Est de l’Asie Mineure, avec pour mission militaire de protéger les frontières de l’Empire ottoman contre les Perses chiites. Leurs alliés dans cette mission étaient quelques éléments tcherkesses/circassiens originaires du Caucase du Nord. La Sublime Porte leur a garanti l’impunité et accordé le droit de piller et de s’emparer des propriétés foncières de leurs victimes. Ainsi, entre 1893 et 1896, 320.000 Arméniens ont été massacrés, 570 églises et monastères ont été détruits. En 1909, en Cilicie, les massacres font encore 30.000 victimes supplémentaires.

 

 

 

La « forme » de ces épurations ethniques ressemblent aux massacres généraux de chrétiens que l’on repère traditionnellement dans l’histoire des pays majoritairement musulmans ; exemples : les Moluques en Indonésie, le Soudan, le Nigeria où ils sont encore pratique courante. Malgré l’horreur de ces faits, il restait une chance d’échapper à la mort : en corrompant les sicaires de la Porte ou en faisant semblant de se convertir à l’Islam. Le génocide de 1915/16, en revanche, ne s’assimile pas à ces débordements sanglants. Les Jeunes Turcs l’ont planifié sans pitié et l’ont mené avec une précision toute militaire. Leur objectif en perpétrant ces horreurs ? Créer un Etat national mono-ethnique, excluant tous les non Turcs, et l’étendre à tous les autres peuples de souche turco-mongole jusqu’au cœur de l’Asie centrale. C’est le projet « pantouranien ». Pour assurer une cohérence géographique et une continuité territoriale sans obstacle à ce projet, il fallait régler la question arménienne, du moins liquider tous les Arméniens d’Arménie occidentale.

 

 

 

Massacres et marches de la mort, résistance héroïque à Van

 

 

 

Au début de l’année 1915, tous les soldats et officiers arméniens de l’armée turque ont été désarmés et versés, comme tous les Arméniens mâles de 16 à 65 ans, dans des bataillons de travailleurs forcés. On les a contraints à ériger des barricades ou des réseaux de tranchées, à porter des charges, souvent jusqu’à l’épuisement et la mort. Parfois, on les abattait après les travaux qu’ils avaient réalisés. Le 24 avril 1915, toute l’élite intellectuelle et politique arménienne de Constantinople est arrêtée et immédiatement exécutée de la manière la plus sommaire qui soit. A la suite de cette Saint Barthélemy, la population arménienne, dans les régions qu’elle habitait traditionnellement en Cilicie, dans le Nord de la Syrie, en Arménie occidentale et en Anatolie occidentale, a été immédiatement massacrée ou contrainte de déménager, formant de long cortèges, des marches de la mort, qui ont duré plusieurs semaines, tout en subissant pillages et viols dans les régions kurdes et dans les déserts de Syrie et d’Irak septentrional. Les survivants y ont péri de faim ou y ont été molestés jusqu’à ce que mort s’ensuive. A Van, le centre culturel de l’Arménie occidentale, les Arméniens sont parvenus à résister pendant de longues semaines à leurs bourreaux jusqu’à l’arrivée des troupes russes.

 

 

 

Mais en 1917, le front tenu par les Russes en Arménie occidentale s’effondre, à cause de la révolution menchevique puis bolchevique, ce qui permet aux troupes turques de reprendre l’offensive en direction du Caucase. Au début de l’année 1918, de nombreux civils arméniens tombent aux mains des troupes turques, des bandes kurdes et tcherkesses qui perpètrent de nouveaux massacres. Les prisonniers de guerre arméniens, qui avaient combattu auparavant aux côtés des Russes, sont systématiquement massacrés. 500.000 réfugiés fuient vers l’Arménie orientale, toujours aux mains des Russes. Dans les camps de fortune, qui abritent ces malheureux, épidémies et famines font rage et exigent leur macabre tribut.

 

 

 

Lors du Traité de Sèvres, l’Arménie obtient en théorie, en 1920, une bonne partie de l’ancienne Arménie occidentale, territoire peuplé d’Arméniens depuis des siècles voire depuis des millénaires, y compris la côte pontique de Batoum à Giresun. Mais Atatürk parvient à s’assurer le soutien de la nouvelle Union Soviétique et refuse de tenir compte des exigences alliées. Les troupes turques pénètrent une nouvelle fois en Arménie occidentale et y commettent une nouvelle vague de massacres. Après un putsch communiste en novembre 1920, que l’on a pu mater en peu de temps, le gouvernement Dajnaken, au pouvoir depuis 1918, lassé de la guerre, harcelé par les menaces d’annexion turque, jette l’éponge quand l’Armée Rouge entre dans le pays en avril 1921. Une fois de plus, l’Arménie disparaît de la carte. Il y avait deux millions et demi d’Arméniens dans l’Empire Ottoman avant la guerre ; après les hostilités et les massacres à grande échelle, il n’en restait plus qu’un million, pour la plupart sous le statut précaire de réfugié. En Cilicie, en Arménie occidentale et dans les grandes villes turques, la vie arménienne s’était éteinte.

 

 

 

Seule défense turque : les bobards de « Hill & Knowlton »

 

 

 

Bon nombre de Jeunes Turcs, responsables de ces massacres de grande ampleur, se disputèrent avec Atatürk, devenu dictateur, et furent contraints à l’exil. Dans les années 20, des Arméniens exilés les repérèrent et les abattirent. La Turquie conteste, on le sait, le génocide perpétré contre les Arméniens. Et persiste dans sa négation. Tout au plus, reconnaît-elle des pertes humaines dues à des faits de guerre, des épidémies ou des transports mal organisés. Toute personne qui parle de génocide en Turquie aujourd’hui, risque, comme l’écrivain Orhan Pamuk, de subir une peine de prison pour « insulte à la nation ». Pour faire taire toute critique venue de l’étranger, la Turquie fait feu de tout bois. Quand les Etats-Unis ou la France adoptent des résolutions parlementaires, Ankara menace, avec succès, de faire fermer la base aérienne américaine d’Inçirlik, ou annule, pour faire pression sur Paris, des contrats d’exportation s’élevant à des milliards d’euro. Pour soutenir sa campagne de désinformation, la Turquie a engagé l’agence de manipulation médiatique américaine Hill & Knowlton, véritable fabrique de bobards et de mensonges, pour faire triompher son point de vue. Pour rappel, l’agence Hill & Knowlton avait, en son temps, propagé le bobard des bébés tués dans leurs couveuses par les soldats de Saddam Hussein.

 

 

 

Les souffrances du peuple arménien n’étaient pas pour autant terminées, avec l’arrivée de l’Armée Rouge. En Arménie soviétique, la situation n’était guère enviable. Entre 1928 et 1934, les collectivisations forcées ont été imposées dans les pays du Caucase méridional, comme partout ailleurs en Union Soviétique. Les purges staliniennes contre les « ennemis du peuple », les « nationalistes » et les églises ont commencé en 1936 en Arménie par la défenestration littérale du Premier Secrétaire du PC arménien, Khandjan, tombé de la fenêtre du bureau de Beria. Trois ans plus tard, elles s’achèvent dans ce pays à la conscience nationale aiguë avec un sinistre bilan : 300.000 victimes. La deuxième guerre mondiale provoque la mort de 300.000 autres Arméniens. Après 1945, la répression soviétique fait rage et plonge le pays dans un sous-développement social affligeant, ce qui explique pourquoi les diasporas arméniennes des Etats-Unis et de France cultivent un héritage culturel, religieux et intellectuel bien plus riche et varié que la patrie est-arménienne. Les conséquences néfastes de l’histoire tumultueuse de ce peuple perdurent.

 

 

 

Albrecht ROTHACHER.

 

(Extrait d’un long essai paru dans l’hebdomadaire viennois « Zur Zeit », n°46-47, 2006). 

 

 

 

(*) René Rémond est le Président de la Fondation nationale des sciences politiques en France. Il est également membre de l’Académie française. Ce printemps, en avril 2006, il a publié un ouvrage remarquable, en fait un long entretien accordé à François Azouvi, où il explique pourquoi il a cosigné avec de nombreux historiens éminents une pétition demandant l’abrogation de toutes les lois relatives à l’histoire, dont la Loi Gayssot du 13 juillet 1990, concernant la « Shoah », la loi du 29 janvier 2001 concernant la reconnaissance du génocide arménien, la loi dite Taubira sur la traite négrière et l’article 4 de la loi du 23 février 2005 reconnaissant un « rôle positif » à la présence française outre-mer. Cette pétition résultait directement du scandale de la mise en accusation du respectable professeur Olivier Pétré-Grenouilleau parce qu’il avait écrit un ouvrage scientifique, trois fois primé, intitulé «Les Traites négrières. Essai d’histoire globale », paru chez Gallimard en 2004. Pour René Rémond, il fait laisser l’histoire aux histoires et proscrire toutes les interventions de l’Etat, et de la « justice » à sa solde, dans le travail des historiens. Ce petit ouvrage, lecture impérative pour tout identitaire, a pour références : René Rémond, « Quand l’Etat se mêle de l’histoire », Ed. Stock, Paris, 2006, 13,45 euro (prix Benelux), ISBN 2-234-05919-4. C’est l’ouvrage qu’il faudra avoir en main, quand on légifèrera pour abroger définitivement ces lois scélérates, qui interdisent la liberté scientifique, et pour punir très sévèrement tous leurs inventeurs et surtout les magistrats qui auront osé les appliquer, en allant fourrer leur sale groin de juristes cuistres et ignorants dans les arcanes d’une aussi noble science que l’histoire. Suum cuique : les éboueurs évacuent les ordures, les magistrats évacuent les voyous; les historiens et les narrateurs donnent du sens à l'ensemble de la société, ils énoncent le ciment intellectuel qui fera les sociétés fortes. Car, pour le salut de la communauté scientifique, pour le respect des intellectuels dignes de ce nom, pour le salut de nos enfants à qui il faudra transmettre des corpus intelligents et solides, il faudra bien qu’un jour une répression impavide se déploie et purge les rangs d’une magistrature fondamentalement corrompue. René Rémond, mu par une juste colère, nous indique la voie à suivre dans ce travail d’assainissement de nos sociétés.

 

 

 

 

 

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