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mercredi, 24 janvier 2007

Les agissements de la CIA en Allemagne

Au fil de l'épée - Bruxelles/Berlin - janvier 2007

 

Günther DESCHNER:

Les agissements de la CIA en Allemagne

 

Comme pour paraphraser Karl Marx, qui reprochait aux philosophes de son temps d’avoir seulement interprété le monde, alors qu’il convenait désormais de le transformer, les services secrets, censés être une police, se voient de plus en plus souvent houspillés, par les responsables politiques, dans la zone d’ombre qui sépare vaille que vaille les activités politiques des activités criminelles. Dans les pays communistes, c’était monnaie courante et chacun le savait. Le service secret soviétique, le KGB, et la sûreté d’Etat de l’ex-RDA ne se bornaient pas à glaner des informations mais tentaient aussi d’influencer par des « mesures actives » le cours des événements du monde. Des « actions spéciales », violentes, et de types divers, comme les assassinats, les enlèvements et les manipulations médiatiques faisaient partie du menu. Parmi ces « actions spéciales », il faut compter les campagnes de désinformation, la compromission de personnalités, de partis, d’Etats, d’idées ou de simples paroles qui gênaient. Le camp des droites et plus encore des extrêmes droites constituaient un champ d’application privilégié de ces actions spéciales.

Les « mesures actives », qui épuisent le vaste catalogue des actions potentielles des services secrets, ne se limitent pas aux seules dictatures dominées par un parti totalitaire, comme ce fut le cas dans l’ancienne URSS. Les services secrets des pays démocratiques dotés de constitutions en bonne et due forme, comme la CIA américaine, ont utilisé exactement les mêmes méthodes.

Récemment, l’historien américain Alfred de Zayas a décrit, dans un bref essai, les tentatives de la CIA de le recruter dans le but d’infiltrer les Républicains allemands, qui connaissaient un certain succès à la fin des années quatre-vingt (ndr : sous l’impulsion de Franz Schönhuber). Les méthodes de la CIA nous rappellent dès lors combien important était l’intérêt que portaient les services secrets américains à toutes les activités politiques se situant « à droite du centre » en Allemagne. L’essai de de Zayas prouve que, depuis la fondation de la République Fédérale allemande, les cercles influents des Etats-Unis se sont continuellement préoccupés du devenir potentiel de l’Allemagne : ils voulaient éviter qu’elle n’évolue dans une direction « indésirable ». Ils craignaient que le peuple allemand changeât de cap et optât pour des orientations nouvelles en politique étrangère et fût séduit par d’autres alliances que la seule alliance qu’ils lui permettaient d’entretenir, c’est-à-dire l’alliance avec Washington.

En effet, certaines de ces craintes étaient fondées, du point de vue américain. Dans les années qui ont précédé la réunification, Russes et Allemands avaient noué des contacts, comme le rappelle le Professeur Wolfgang Seiffert dans son dernier livre, ce qui déplaisait aux Américains. Pour empêcher ce rapprochement germano-russe, la CIA a mis sur pied des départements spéciaux depuis près de soixante ans, chargés de surveiller les mouvements jugés « nuisibles », de leur mettre des bâtons dans les roues et de favoriser les mouvements jugés « favorables » à la politique américaine par le biais de méthodes typiques des services secrets. Un film documentaire sensationnel de la chaîne WDR, titré « Deutschland made in USA » a pu, il y a quelques années, montrer clairement comment fonctionnaient ces infiltrations politiques et culturelles dans l’Allemagne de l’après-guerre, après qu’aient été rendus publics certains documents jusqu’alors tenus secrets. Les colis de vivres et le plan Marshall ne sont qu’une face de la médaille. L’objectif était d’influencer de manière durable les vicissitudes intérieures de la vie politique allemande et de la pensée politique développée par les Allemands.

L’organisme dominant dans cette stratégie a été le département de la CIA baptisé « Organisations internationales », dirigé par un ancien avocat de Wall Street, Frank Wiesner. Un autre avocat de Wall Street, John McCloy avait reçu la fonction de haut commissaire pour l’Allemagne. D’après son biographe Kai Bird (dans le livre « The Chairman »), il avait reçu pour mission de mettre sur pied un Etat ouest-allemand viable, de maintenir l’état de division du pays, d’intégrer le demi Etat occidentalisé dans l’OTAN et d’ « édifier l’Allemagne selon le modèle américain ». Dans une directive secrète des services, adressée à la CIA, on pouvait lire ce qui suit : « Si cela s’avère opportun, constituez des mouvements pour briser la cohésion d’organisations qui répandent des idéologies nuisibles, avant qu’elles ne deviennent un danger ».

Dans le cadre de la « rééducation » des Allemands, il convenait, du point de vue américain, de « libérer » le peuple germanique de tous les reliquats prussiens et nationaux et, en plus, de créer un « plan stratégique et psychologique pour l’Allemagne », devant être tenu « top secret ». Les agents américains l’ont appliqué. La campagne a été téléguidée et financée par la CIA. Elle a influencé la scène culturelle allemande, elle a soutenu des médias, payé des politiciens. Le but était et reste de lier durablement les « young leaders » de l’Allemagne de l’après-guerre au camp occidental et de discréditer petit à petit l’idée neutraliste, y compris dans les rangs de la SPD socialiste.

L’influence de la CIA s’est exercé jusqu’aux sommets du monde politique allemand, y compris dans les sphères dirigeantes de la SPD. Un responsable de la CIA, Thomas Braden, nous le rappelle : « Je sais que même Willy Brandt a reçu de l’argent de la CIA ».

Pour autant qu’on le sache aujourd’hui, les politiciens allemands de l’après-guerre n’ont pas utilisé les sommes que leur octroyait la CIA à des fins directement personnelles, mais plutôt pour financer leurs campagnes électorales et pour consolider leur carrière au sein de leurs propres partis. Quoi qu’il en soit, ces soutiens matériels ont renforcé les liens de ces politiciens avec les Etats-Unis. Les agents de la CIA ont également exercé leur influence quand il s’est agi de construire et de doter en effectifs les divers services secrets allemands aux niveaux intérieur et extérieur. Comme le formule l’expert Andreas von Bülow, ces services allemands ont été « dès le départ téléguidés de manière occulte par les Américains ». Cette influence constante ne se dissipera pas et l’intérêt que portent les services secrets de Washington aux affaires allemandes ne disparaîtra pas de sitôt. Tout ce qui se passe « à droite du centre » suscite un grand intérêt dans ces milieux américains.

L’un des plus grands penseurs américains actuels dans le domaine de la politique étrangère, Zbigniew Brzezinski l’a rappelé, sans la moindre gêne, dans l’un de ses derniers ouvrages : on pourra toujours miser sur la culpabilité allemande dans le futur, comme on l’a fait dans le passé.

Günther DESCHNER.

(article paru dans Junge Freiheit, Berlin, n°3/2007).

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