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jeudi, 25 janvier 2007

Souveraineté sacrée, spiritualité mystique

Prof. Jean Paul ALLARD:

De la souveraineté sacrée

 

à la spiritualité mystique dans l’Europe médiévale

 

Aux alentours de l'an 1000 se produit en Europe un changement important dans les relations de l'ordre existant et de la religion officielle. Cette mutation correspond à celle qui sépare le Moyen Age en deux moitiés à peu près égales que les historiens ont coutume d'appeler le premier et le second Moyen Age .

Le christianisme est désormais maître de l'Europe entière. Sa diffusion s'est étendue aux pays du Nord pendant le VIIIème et IXème siècle . il a atteint les plus lointains Scandinaves au Xème et, en l'an 1000 précisément, le Allthing d'Islande, I'assemblée détentrice de la souveraineté suprême, vient de l'accepter comme religion officielle. L'Eglise considère donc que son prosélytisme ne doit désormais plus viser à une expansion géographique, mais davantage à une intériorisation de la foi dans l'âme des fidèles. Qui plus est, les rapports qu'elle entretenait jusqu'alors avec les pouvoirs politiques, notamment la royauté, vont changer. Les souverains, sous la tutelle desquels elle s'était habilement placée afin d'utiliser leur influence pour favoriser la conversion de leurs peuples au christianisme, doivent être dépouillés de leur charisme sacré et replacés, dans la vision théologique des hiérarchies du monde chrétien, au rang de subordonnés de l'autorité pontificale et de représentants exclusifs du "bras séculier ".

 

Ainsi le XIème siècle voit-il émerger une nouvelle conception de la Papauté, de la souveraineté pontificale, au sein même de l'Eglise où se diffuse d'ailleurs l'influence du mouvement réformiste inspiré par l'abbaye de Cluny (1).

 

Les deux phénomènes sont, en dépit des apparences, parallèles et intimement liés. Si l'esprit de Cluny semble avant tout préoccupé d'une réforme monacale et conventuelle, d'une mise à jour, d'un “aggiornamento", de la règle de saint Benoît, d'un retour à la pauvreté évangélique du christianisme primitif, il s'agit d'abord de libérer l'Eglise de la tutelle des pouvoirs dits laïques, mais que la mentalité et la culture traditionnelles d'alors tiennent pour sacrés, parce que directement inspirés et instaurés par Dieu pour être les garants de l'ordre du monde. La royauté sacrée avait des origines païennes germaniques (2) qui avaient permis, lors de l'implantation des Germains dans l'ensemble de l'Europe occidentale, à la charnière du Vème et du VIème siècle, une nouvelle émergence de cette institution commune à tous les peuples indo-européens (3) et dont on retrouve les manifestations les plus diverses dans les civilisations de l'Antiquité. Les modèles bibliques de la royauté n'avaient servi qu'à sa justification formelle à partir du Vlème siècle. Clovis et ses descendants mérovingiens, les rois anglo-saxons, wisigothiques, alémans et longobards, princes dont la légitimité avait été primitivement assurée et garantie par le mythe de l'origine divine de leur dynastie (souvent rattachée à Wotan (4)), étaient devenus aux yeux de l'Eglise de nouveaux Melchisédec, David ou Salomon, personnages qui fournissaient un archétype chrétien de la fonction royale sans pour autant la sacraliser de façon irréfutable. Ces figures tirées de l'Ancien Testament avaient fourni le prétexte à un rapprochement de l'institution royale sacrée, telle qu'elle existait dans la réalité politique et religieuse du monde germanique, et du christianisme qui ne l'avait découverte que fort tardivement, après avoir toutefois appris à re­con­naî­tre et à respecter l'autorité des empereurs romains. Mais une am­bi­guïté subsistait depuis l'époque de la christianisation. Qui était le chef de l'Eglise: le roi ou un membre du clergé? L'empereur ou l'é­vê­que de Rome qui s'était peu à peu élevé au-dessus de tous les au­tres pour finir par prendre le titre de pape, au grand dam de son con­current le patriarche de Constantinople, toujours prééminent dans l'Em­pire romain d'Orient, mais toujours soumis et déférent envers son souverain, le basileus de Byzance?

 

Les origines de l’opposition Papauté/Empire

L'ambiguïté relative à la légitimité et à la nature de l'autorité sacrée s'était intensifiée depuis le règne de Charlemagne. L'empereur se voulait indépendant de la Papauté, sans pour autant refuser d'être son défenseur contre d'éventuels adversaires temporels. On sait quel geste il eut lors de son couronnement, à Noël de l'an 800. Geste de défiance! Il ne voulait pas apparaître comme redevable de sa couronne à la Papauté. Il couronna lui-même son fils Louis quelques années plus tard, imitant le rite du couronnement impérial byzantin. Mais son successeur eut la naïveté - ou se trouva dans la nécessité - de se laisser de nouveau couronner par le pape. L'usage se fixa ainsi en Occident et l'Eglise se crut autorisée, à maintes reprises, à revendiquer pour elle-même la source de la légitimité sacrée, cherchant à faire de l'Empire et de toute royauté une institution subordonnée à la Papauté, du moins lorsque la situation politique le lui permettait, ce qui devint le cas dans l'Empire au XIème siècle. C'est au sein de l'ordre de Cluny que s'élabora d'abord l'argumentation réformiste qui contesta la sacralité de l'institution royale et impériale. Celle-ci était alors, sous les Ottons, parvenue à un nouvel apogée. Face à une papauté très faible au Xème siècle, les empereurs avaient non seulement refondé l'Empire mais assuré leur prééminence de fait sur les pontifes romains dont ils contrôlaient sans peine l'élection. Il n'est donc pas étonnant que l'empereur Henri III se soit défini, au XIème siècle, comme imago Dei, tournure par laquelle il affirmait être le vicaire et représentant de Dieu dans l'ordre temporel, le chef suprême de la Chrétienté, investi d'une souveraineté qu'il prétendait tenir de Dieu immédiatement, sans qu'aucun intermédiaire n'ait à la lui transmettre.

 

L'Eglise romaine avait perçu, dès le Xème siècle, quel danger représentait pour elle une telle conception. Ses militants les plus convaincus voyaient là un asservissement aux hiérarchies et à l'esprit du Siècle. C'est pourquoi ils ressentirent le besoin d'une réforme préparée hors du Siècle, par des membres du clergé régulier, des moines. Le mouvement clunisien repose donc au départ sur le projet de revenir à une Eglise des origines évangéliques, à un idéal de pauvreté ascétique, quitte à s'en prendre avec véhémence à l'épiscopat, souvent peu soucieux d'obéir à Rome et toujours dévoué envers l'empereur ou te roi avec lesquels, en France ou dans les pays d'Empire, les évêques ou abbés entretenaient d'excellents rapports vassaliques. Ce projet était en outre conforté par l'atmosphère de fin du monde qui se développa au Xème siècle, à l'approche de l'an 1000: l'angoisse du salut incitait tout naturellement à une réforme de la Chrétienté qui remettait en question l'équilibre auquel cette dernière était parvenue à la fin du premier Moyen Age.

 

L’ordre de Cluny conteste la sacralité royale

Ce sera donc au sein de l'ordre de Cluny que s'élaborera l'argumentaire réformiste qui conteste la sacralité de l'institution royale et impériale brillamment restaurée par les Ottons ou solidement instaurée par les Capétiens, quoique encore modeste en France au début de second Moyen Age. S'il ne la conteste pas ouvertement, il entend du moins ne la tolérer que dans la soumission au pouvoir spirituel de l'Eglise. Humbert de Moyenmoûtier, représentant typique de l’idéal réformiste qui aboutira à la Querelle des Investitures et à la politique pontificale de Grégoire VII, écrit dans son ouvrage Adversus simoniacos, qui est en lui-même tout un programme ecclésiologique: le roi n'est qu'un laïc. Cette phrase résume en quelques mots lapidaires le désir de porter atteinte au caractère sacré de la royauté et de toute souveraineté politique. En retour, il s'agit d'imposer à toute la Chrétienté l'autorité absolue de la Papauté, jusqu'alors soumise par la force des choses à la tutelle de l'Empire, sur lequel elle a cherché a s'appuyer et dont elle avait même suscité la renovatio (5), mais qu'elle souhaite désormais abaisser et réduire au rang d'institution exécutive.

 

Royaume capétien et empire ottonien

En parallèle de cette évolution, l'an 1000 est aussi la charnière chronologique après laquelle la scission de l'Empire carolingien en Royaume capétien et Empire ottonien, puis salien, est irrévocable. Théaphano, régente au nom de son jeune fils Otton III, a reconnu définitivement les Capétiens comme souverains légitimes de la Francia occidentale (= la France), pour faire pièce aux revendications des derniers Carolingiens sur la Francia orientale et la Lotharingie septentrionale (= l'Allemagne). Mais dans le futur Royaume de France comme dans le futur Saint-Empire se développera la même conception de la royauté sacrée qui, au cours du temps, aboutira à des réalisations différentes selon les circonstances, s'affirmera ici et sera paralysée ailleurs. Cette institution, venue du plus lointain passé et ancrée dans la civilisation traditionnelle de l'Europe, va subir, du XIème au XIVème siècle, les assauts les plus variés de l'Eglise et de la Papauté.

 

C'est l'Empire qui devra livrer les combats les plus rudes pour s'assurer une survie qui ne sera plus, en définitive, que valétudinaire dès la seconde moitié du XIIIème siècle. Le Royaume lui succèdera alors dans le rôle d'adversaire privilégié de la Curie romaine. A la mort de l'Empereur Frédéric II de Hohenstaufen, la Papauté peut caresser pendant quelques décennies l’illusion d'être désormais maîtresse de l'Occident. Mais cette illusion ne dure qu'autant que la Curie romaine n'entreprend pas ouvertement de s'opposer à la maison de France. On voit resurgir alors dans les lettres de Boniface VIII les prétentions dirigées deux siècles plus tôt par Grégoire VII contre l'empereur Henri IV, et les arguments de ce dernier en faveur de la monarchie sacrée reparaissent, identiques, dans les lettres d'autojustification de Philippe IV le Bel: le roi tient son pouvoir directement de Dieu. Le roi est immédiat à Dieu. Comparativement, la lutte sera alors très brève. Instruit par l’histoire du Saint-Empire, qu'il ne pouvait ignorer, le petit-fils de saint Louis frappe vite et fort. Le conflit n'excèdera pas en longueur la durée de son règne et se terminera par l'abaissement de la papauté qui devra accepter d'être placée en résidence surveillée en Avignon et ne regagnera Rome qu'à la faveur de la guerre de Cent Ans, échappant alors à une royauté française paralysée et affaiblie, mais non pas au Grand Schisme. L'Eglise romaine devra attendre la fin du Concile de Bâle (1415) pour se réunifier, sans jamais pouvoir d'ailleurs renouer avec ses ambitions du XIIIème siècle qui visaient l'hégémonie politique sur l'Occident européen. Pour l'Empire comme pour le Royaume, il s'était agi du même combat, celui de la souveraineté sacrée, immédiate au divin, pour légitimer le pouvoir suprême et pour établir le lien fondateur entre le divin et la communauté des hommes soumis à l'autorité du souverain. La seule différence résidait dans le caractère “universel”, c'est-à-dire supranational, de l'idée d'Empire, le Royaume n'y prétendant pas, sans être pour autant déjà un “Etat national”.

 

Diabolisation de la vie séculière et de la femme

Dans sa lutte contre la royauté sacrée, la Papauté s'appuie sur les grands ordres monastiques dont le premier, chronologiquement, est celui de Cluny. Le mouvement clunisien n'apparaît jamais comme une entreprise politique, mais comme le promoteur d'une nouvelle culture authentiquement chrétienne, fondée sur le monachisme et l'ascèse, le refus du monde et de la chair, la diabolisation de la vie séculière, de la femme, du mariage, de toutes les hiérarchies sociales et notamment de la condition de noblesse: vers la fin du XIème siècle, en Allemagne, un poème en langue vernaculaire auquel on a donné un titre latin: Memento Mori, résume ce programme égalitaire dans le reproche adressé aux seigneurs et aux nobles, qu'ils soient laïcs ou d'Eglise: par les droits féodaux qu'ils exigent, ceux-ci “volent la justice” aux chrétiens, les dépouillent de leur droit de créatures divines. Aussi les membres de la noblesse sont-ils voués à l'Enfer, sauf si, pour faire leur salut, ils renoncent à leurs privilèges. L'auteur de ce poème, Noker de Zwiefalten, est un moine formé à l'abbaye de Hirsau, filiale souabe de Cluny. Cet égalitarisme, qui préfigure ce que l'on connaîtra bien plus tard dans ce domaine sous forme sécularisée, s'accompagne d'une hostilité de principe à la royauté telle qu'elle s'exprime dans les écrits de l'écolâtre Manegold de Lautenbach, fanatique défenseur de la politique pontificale et fervent admirateur de Grégoire VII. Manegold étouffe d'indignation lorsque ses adversaires, partisans de Henri IV, lui objectent que leur vrai chef religieux est ici-bas l'empereur: Non habemus pontificem nisi imperatorem. Formule bien frappée qui répond par avance à celle que forgera plus tard Innocent III: Papa ipse verus imperator .

 

Le plus haut idéal humain est, selon Cluny, incarné par le moine et, pour le sexe féminin, la moniale. Le point de perfection de l'humanité sera atteint lorsque toute l'humanité renoncera à la vie charnelle et séculière pour se regrouper en communautés conventuelles à l'approche de la Parousie. Otton de Freising croit  —non sans quelque inquiétude—  à l'avènement prochain de cette nouvelle société, vers 1140. Joachim de Flore en fait un sujet d'exaltation mystique vers 1190. Avec des variantes dans les préoccupations quotidiennes et en reconnaissant la valeur du travail et de la production en parallèle de celle de la prière, l'ordre de Cîteaux prendra le relais de cet idéal clunisien . L'ordre de Cluny a inspiré et soutenu la réforme grégorienne qui entreprend de saper la fonction sacrée de l'Empire et, par voie de conséquence, la notion de l'ordre sacré, voulu par Dieu, dans le Monde tel qu'il est sous la tutelle du souverain. Grégoire VII, vitupérant contre Henri IV, n'a pas hésité à écrire dans une de ses lettres adressées aux évêques:

 

« Qui ne sait que les premiers rois ... ont été des hommes ignorants Dieu qui ... stimulés par le démon prince de ce monde, se sont efforcés ... de dominer leurs égaux, c'est-à-dire les autres hommes ? » (6).

 

L’Eglise romaine a voulu la ruine de la souveraineté politique sacrée

 

On voit bien là que la Querelle des Investitures n'était qu'un prétexte et que la véritable querelle qui s'ouvrait alors était celle du Sacerdoce et de l'Empire (ou du Royaume). L'Eglise romaine a voulu la ruine de la souveraineté politique sacrée.

 

Quelle est la réponse de la civilisation aristocratique européenne de l'époque au mouvement clunisien et grégorien ? Elle est d'ordre culturel: c'est l'émergence et l'épanouissement de la civilisation courtoise qui, comme son nom l'indique par l'étymologie, est une culture de la cour, royale, princière, ducale, et s'oppose à la culture monacale des abbayes de l'ordre de Cluny ou de Cîteaux et, plus tard, d'autres ordres comme les Dominicains ou les Franciscains.

 

L'idéal humain, l'idéal de vie et de sensibilité de l'Europe occidentale change et se renouvelle totalement vers le milieu du XIIème siècle. Le mouvement va ensuite s'affirmant jusque vers 1230, puis se stabilise pour plusieurs siècles, même s'il est alors concurrencé par l'essor de la bourgeoisie et des villes. Le nouvel idéal est celui de la chevalerie et de ses rites aussi bien militaires que courtois: l'exaltation de la valeur guerrière, de l'ardeur héroïque, du courage et de l'honneur, le tournoi qui permet de révéler toutes ces vertus au Monde et de faire reconnaître et comprendre leur sens. Mais c'est aussi et surtout l'amour courtois (et ses diverses formes d'expression) qui donne naissance à une littérature nouvelle, vecteur culturel des valeurs de la chevalerie. La poésie lyrique et le roman arthurien célèbrent le culte de la dame dont l'émergence se produit d'abord parmi les troubadours. Guillaume IX d'Aquitaine, l'un des plus hauts barons de France, est le premier d'entre eux. Ses chansons datent du premier quart du XIIème siècle. Elles se distinguent par leurs gaillardises provocantes qui, on s'en doute, ne sont pas fortuites. Mais on rencontre aussi dans son œuvre des strophes dont le sens et la portée constituent une réplique aux idées de Cluny et du mouvement grégorien:

 

Qu'y gagnerez-vous, dame jolie, si vous m'éloignez de votr

amour ? Il semble que vous vouliez vous faire nonne ...

 

Qu'y gagnerez-vous si je me cloître, si vous ne me retenez parmi

 

vos fidèles ? Toute la joie du monde est notre si vous et moi nous nous aimons (7).

 

 « Joie du monde » et idéal courtois

 

La “joie du monde” est un mot-clé de l’idéal courtois. C'est celle du grand seigneur qui proclame sa fierté d'être et son plaisir à la vie du Siècle, son bonheur de vivre dans le Monde. Quant au culte de la dame, laquelle n'est jamais une simple femme, mais l'équivalent féminin d'un seigneur", il réhabilite à la fois la condition nobiliaire, ou même princière, et l'image de la femme honnie et haïe des gens de Cluny. Mais cette image se garde le plus souvent de revêtir des aspects trop sensuels, justement pour éviter le reproche d'impureté diabolique: la dame est lointaine et pure, inaccessible et inflexible envers son amant qui lui reste malgré tout fidèle —du moins dans ce qu'il est convenu d'appeler la haute époque de l'amour courtois. Ou bien il faut même que ce dernier, tout en gardant une pureté platonique, soit adultère pour être authentiquement courtois. Pour se rendre compte de l'originalité de ce sentiment et de la variété de ses aspects, il suffit de lire Chrétien de Troyes et ses adaptateurs ou imitateurs qui ont transposé ses romans dans les diverses langues de l'Europe. Chacun des héros du roman arthurien, Lancelot, Yvain, Erec, représente une réalisation possible de l'amour ou une solution apportée aux problèmes qu'il pose. On constate alors que ce que cet amour a de totalement étranger à l'amour chrétien est toujours approuvé et même sauvegardé par Celui que les auteurs appellent “le Dieu courtois”, “qui protège les fins amants”, et couvre de son autorité jusqu'à la passion incoercible et adultère de Tristan et Iseut.

 

L’héroïsme guerrier

A la joie, déjà évoquée, sont intimement liés le sens et le goût de la fête, dont les descriptions sont, dans la littérature courtoise, aussi fréquentes qu'intarissable tant elles ont la faveur du public des cours. Quant à l'héroïsme guerrier, il va être désormais célébré dans des œuvres narratives qui, tout en exprimant un esprit plus rude et moins policé que celui de la cour, persistent dans le fonds de la culture courtoise, bien que leur apparition soit en fait quelque peu antérieure à l'épanouissement de celle-ci. La Chanson de Roland, par exemple, date de 1100. L'esprit qui l'anime n'est chrétien qu'en surface: il est surtout guerrier et finira d'ailleurs par s'imposer à l'Eglise qui, après avoir proclamé son hostilité au métier des armes, I'intégrera à ses ordres militaires et à l'idéologie de croisade, suivant en cela l'incitation de Bernard de Clairvaux, auteur du traité De laude novae militiae ad milites Templi (1128). En Allemagne, l'esprit courtois adoucit certes celui qui dominait l'ancienne légende traditionnelle des Nibelungen. En témoigne l'image qui nous est donnée, vers 1200, dans la Chanson des Nibelungen, de l'amour qui pousse l'un vers l'autre Siegfried et Kriemhilde, apport incontestable du XIIème. Cependant, I'ancien esprit païen subsiste, sans crainte de l'archaïsme, dans la version courtoise qui nous a été transmise de la légende. Qui plus est, ce texte est le témoin de la redécouverte du sens du tragique qui survient alors: tragique des sentiments et des passions, tragique de situations fatales, tragique politique enfin, excluant l'idée d'un salut ménagé par une Providence transcendante.

 

Mais la valeur suprême de la culture courtoise, celle qui est le plus fréquemment invoquée et attestée, demeure l'honneur du lignage, et l'importance capitale que revêt ce dernier. Le culte du sang royal ou noble, de la lignée ancestrale conçue comme source et dispensatrice des plus hautes vertus, est omniprésent et répond, en les contrant, aux aspirations de l'égalitarisme clunisien.

 

Société et culture courtoises exaltent notamment en Allemagne le hôher muot, qui n'est qu'une transcription du latin magnanimitas, concept transmis par l'Antiquité païenne et bien accueilli chez les descendants des Germains. Avant de devenir, bien plus tard, à l'époque de la Contre-Réforme, sous l'effet de la morale chrétienne, Hochmut, c'est-à-dire l'orgueil, ce terme désigne la conscience que le chevalier a de sa propre valeur et de l'honneur de sa lignée, le sentiment de satisfaction justifiée qu'il en éprouve. L'emploi de cette locution est toujours positif et laudateur à l'époque courtoise, et le sentiment qu'il exprime est une sorte de fierté que l'on a de ses ancêtres et de l'honneur qu'ils vous ont légué. L'Eglise combat un tel sentiment et l'évolution sémantique du vocable est tout à fait révélatrice du glissement de civilisation qui s'est opéré à l'époque moderne.

 

Les « Carmina Burana »

L'épanouissement de cette culture séculière de la joie de vivre ne laisse pas le monde des clercs indifférent. Ce que certains historiens ont appelé la "Renaissance du XIIème siècle" suscite une littérature latine d'un nouveau genre; les poésies et chansons des vagants ou goliards que l'on a conservées sous le nom de Carmina Burana et dont l'inspiration peut être qualifiée de païenne tant elle est étrangère aux préoccupations spirituelles qui caractérisent d'ordinaire les auteurs médiévaux usagers du latin. A l'esprit de ces textes on mesure l'étendue de la révolution mentale qui s'est produite au XIIème siècle contre l'autorité de l'Eglise. Les auteurs des Carmina Burana sont pour la plupart partisans de l'Empire.

 

Cependant, entre 1250 et 1268, l'Eglise réformiste grégorienne remporte un succès politique en parvenant à abattre, dans l'Empire et en Sicile, la maison de Hohenstaufen. Mais ce succès est superficiel et ne change pas les mentalités qui conserveront longtemps encore l'héritage de la société courtoise. Le véhicule métapolitique culturel qu'a été l'idéal courtois dans la lutte de la royauté sacrée pour sa propre défense survit à l'écroulement du rêve impérial de Frédéric II. La souveraineté sacrée connaît même, en France, son premier apogée. Qui plus est, dans le dernier tiers du XIIIème siècle, la Papauté subit un échec au sein même de l'Eglise et doit intensifier les efforts de l'Inquisition fondée, au début du siècle, par saint Dominique.

 

C'est à cette époque, en effet, que se font jour les tendances mystiques de la spiritualité de l'ordre dominicain. Vers 1260 était né Eckhardt de Hochheim, représentant prototypique, mais non pas unique, de ce qu'on a appelé la mystique rhénane (ou allemande). Certes, il y avait eu, avant lui, d'autres formes de spiritualité mystique: Hildegarde de Bingen, Bernard de Clairvaux, Hugues de Saint-Victor en sont les témoins. Mais ces modes de vie contemplative demeuraient dans l'obédience vis à vis de la théologie officielle de l'Eglise et les auteurs qui les pratiquaient, écrivant en latin exclusivement, n'étaient lus que des clercs. Dans la première moitié du XIIème siècle, Bernard avait même défendu l'autorité de l'Eglise et de la théologie traditionnelle en instruisant le procès d'Abélard, accusé d'erreur pour avoir tenté d'appliquer à la spéculation théologique la méthode aristotélicienne, c'est-à-dire la dialectique rationnelle héritée de la philosophie antique. Mais les efforts de Bernard pour endiguer la rationalisation scolastique de la théologie avaient été vains. L'aristotélisme avait fini par devenir, au XIIIème siècle, partie intégrante de la pensée de Thomas d'Aquin.

 

Thierry le Teutonique

Lorsque celle-ci s'impose, vers 1280, une réaction d'inspiration mystique se produit au contact et souvent au sein même de l'Université de Paris, bien qu'elle soit principalement l'œuvre de clercs allemands qui ont d'abord fréquenté le Studium Generale des Dominicains de Cologne avant d'aller prendre leurs grades de théologie à Paris. Eckhardt est le plus célèbre d'entre eux et celui qui est allé le plus loin dans la voie mystique mais il n'est pas le seul à percevoir l'incompatibilité qui régnait entre l'aristotélisme et la théologie. Avant lui, Albert de Lauingen, dit le Grand, (1206-1280) s'était rallié à l'aristotélisme dans les sciences profanes tout en continuant la tradition platonicienne en théologie, acceptant la coupure entre les deux domaines et leur autonomie l'un par rapport à l'autre. Albert avait été à Cologne le professeur de Thomas d'Aquin, qui n'avait pas eu la même réserve que lui par la suite. Mais Albert avait aussi pour disciple Thierry (Dietrich) de Freiberg, qu'on avait appelé à Paris Thierry le Teutonique. Thierry est le précurseur immédiat d'Eckhardt. Il connaît bien la pensée néo-platonicienne dont la mystique non chrétienne est résumée dans les écrits de Denys l'Aréopagite.

 

Thierry aura des disciples qui seront à leur tour les maîtres des théologiens mystiques de la génération qui suit immédiatement Eckhardt, notamment de Suso et de Tauler. N'osant plus se référer à l'exemple d'Eckhardt lorsque celui-ci aura été condamné par la cour pontificale d'Avignon, cette génération de spirituels invoquera l'autorité d'Albert le Grand pour se libérer de la systématisation dogmatique de Thomas. Tous s'opposeront au thomisme, devenu doctrine quasi officielle de l'Eglise, en lui reprochant in petto de s'appuyer trop sur la raison et trop peu sur la foi. Tous feront appel à “la profondeur de notre mémoire“, à ce qu'Eckhardt appelle "le fond de l'âme" (sêlengrund), qu'ils identifient à l'intellectus agens, selon Albert traduction latine du grec nous poïeticos, au tréfonds secret de l'esprit qui devient, selon Thierry, la substance déiforme de l'âme, la part de divin qui est en l'homme. Ce dernier aurait donc en lui-même, dans la vie présente, le principe de la béatitude éternelle, alors que celle-ci ne peut, selon Thomas, advenir que par l'acquisition d'une aptitude nouvelle à la vision du surnaturel, par un effort qui dépasse la nature de l' intellectus agens et ne peut s'accomplir que sous la direction et le magistère de l'Eglise, de la Papauté, du Clergé et du Sacerdoce.

 

De l’ « étincelle de l’âme »

La mystique minimise donc le rôle de ces institutions qui ne manqueront pas de se défier d'elle en retour et tenteront d'intimider les mystiques en s'acharnant sur le plus brillant et le plus populaire d'entre eux. Car Eckhardt, outre une œuvre latine importante, prêche en allemand et atteint un vaste public de laïcs, auprès desquels il est très vite en odeur de sainteté, notamment à Strasbourg et dans les villes rhénanes. Voilà qui ulcère une Eglise qui, après avoir suscité, par l'intermédiaire de Thomas d'Aquin, une restructuration autoritaire du dogme aboutissant à une exigence encore inouïe d'obéissance de la part des fidèles, se heurte à la revendication d'une quête personnelle, d'une expérience vécue de Dieu, d'une façon de Le sentir et de L'éprouver par des voies qui ne sont ni celles de la dialectique ni celles du dogme. Car la mystique est une théologie négative, apophatique, qui se refuse à “dire” la nature de Dieu (du grec muo, se taire, dérive le mot “mystique”), une théologie pour laquelle Dieu est inconnaissable. Elle ne s'exprime pas à l'aide de concepts, mais d'images et de paradoxes destinés à éveiller la sensibilité. Ainsi l'image de l’“étincelle de l'âme” (8) (sêlenfunkelîn), partie noble de l'âme, qui participe de la lumière divine et qu'Eckhardt appelle gemuet (9), mot appelé à une longue et extraordinaire fortune dans la pensée allemande jusqu'au romantisme ! L'âme étant créature dans son essence, l'étincelle de l'âme dépasse l'ordre du créé et touche à l'éternité. Elle illustre non pas tant l'union de l'âme à Dieu que l'unité radicale, originelle, de l'âme et de Dieu: « il y a quelque chose dans l'âme qui est du lignage de Dieu de telle sorte qu'il est un avec Lui et non pas réuni à Lui » (10). S'étonnera-t-on de voir alors Eckhardt recourir à l'image du lignage (sippe ) pour traduire la notion d'identité et d'unité de l'âme à Dieu ? Il ne fait que reprendre ici une notion-clé de la culture courtoise aux yeux de laquelle le lignage est la garantie absolue d'une "aristeia", d'une supériorité et d'une souveraineté de l'être liées à l'ordre du monde. Tout comme Suso, mystique de la seconde génération, reprendra aux poètes de l'amour courtois (minne) leurs démarches de pensée et leurs images, elles aussi contestables dans la confrontation qui les oppose à une théologie dogmatique, mais irréprochablement extatiques et mystiques par la pureté de sentiment à laquelle elles aspirent (11).

 

 « Gelassenheit » et négligence des œuvres

 

Quant aux paradoxes, ils sont de la même nature lyrique que les images. Ils veulent faire sentir ce qu'il y a en Dieu d'inaccessible par la pensée et d'inconnaissable. Mais ils seront pris au pied de la lettre par les esprits “clairs” et rassis de Jean XXII, du cardinal Jacques Fournier et des autres juges d'Avignon. En disant: "Dieu est l'éternel néant, le néant qui est... Il te faut aimer Dieu tel qu'il est: un non-dieu, un non-esprit, une non-personne" etc... Eckhardt joue de tous les néologismes permis par la jeune langue allemande pour suggérer ce qu'il veut s'abstenir d'énoncer, pour poser des négations qui entendent demeurer des affirmations. Il force son langage afin d'inculquer à ses auditeurs - auditrices le plus souvent, moniales issues de la noblesse - que l~ieu est l'éternel inconnaissable que seule l'intériorité de l'âme peut deviner par l'étincelle qui est en elle. Il n'est désormais guère plus besoin de la grâce que du magistère de l'Eglise. On comprend que le procès, inauguré par l'archevêché de Cologne, suspendu par l'action influente des Dominicains allemands, ait été finalement repris et diligenté par la Papauté d'Avignon qui suspectait là un dévoiement en direction du panthéisme. L'Eglise était d'autant plus inquiète que le renoncement (abgescheidenheit) et l'abandon (gelâzenheit) prônés par Eckhardt incitaient à négliger les œuvres, les actes caritatifs et humanitaires que, sous l'influence des Franciscains, la chrétienté des XIVème et XVème siècles allait tenir pour la voie principale du salut, au détriment de la spiritualité et de la foi, et au risque de susciter une indignation qui devait être, deux siècles plus tard, celle de Luther, s'écriant: c'est la foi qui sauve !

 

La tentative de domination intégrale de l'Occident qui traduisit au XIIIème siècle les aspirations de l'Eglise romaine et de la Papauté grégorienne parvenues à l'apogée de leur puissance est à l'origine de la réaction mystique que représente, à la façon d'un emblème, Maître Eckhardt. Stérilisée par un dogme devenu totalitaire, la spiritualité s'efforça de revenir à des sources spontanées. L'attitude mystique fut sans doute, en Allemagne, un signe de l'opposition sourde qui couvait contre la Papauté après la phase la plus intense de la lutte du Sacerdoce et de l'Empire. Cette attitude prolongeait dans les rangs des Frères Prêcheurs Dominicains celle de Mechthilde de Magdebourg ou d'Elisabeth de Thuringe, et renouait aussi avec la tradition mystique qui remontait à la patristique grecque. Par-delà l'histoire des origines chrétiennes se pose le problème de ses rapports avec les mystiques de l'Inde (12) dont on a remarqué que les caractères structuraux sont bien proches de ceux des mystiques d'Occident, à tel point que l'on a émis l'hypothèse d'une commune origine indo-européenne, hypothèse que viendrait encore corroborer la manifestation des mystiques néoplatoniciennes de la civilisation hellénistique.

 

Mystiques, bégards et béguines

Dans le cadre plus restreint de l'Europe médiévale, la spiritualité mystique rhénane ou flamande pose le problème de sa parenté avec le mouvement des bégards et béguines, et notamment avec le cas de Marguerite Porrète, béguine originaire du Hainaut, des environs de Valenciennes où le livre dont elle était l'auteur, le Miroir des simples âmes anéanties fut brûlé sur ordre de l'archevêque de Cambrai, avant que Marguerite elle-rnême, refusant toute rétractation, ne montât sur le bûcher à Paris en 1310. La continuité de la tradition mystique allemande qui dura au moins jusqu'au XVIIème siècle, et même sous forme philosophique (Schopenhauer) jusqu'au XIXème, a donné lieu à la théorie selon laquelle Eckhardt et ses disciples et héritiers auraient été les témoins d'une originalité absolue et essentielle de l'esprit allemand, d'une spiritualité proprement allemande, irréductible à toute autre. Cette théorie est exprimée - ou plus exactement résumée, synthétisée, dans un passage du Mythe du XXème siècle d'Alfred Rosenberg, avec l'exaltation due au style de l'époque. La recherche actuelle a une vue plus large du phé­no­mè­ne (13). Elle se fonde notamment sur l'évidence de l'influence exercée sur Eckhardt, pendant son séjour à Paris, par les idées de Marguerite Porrète. En 1311, Eckhardt s'installa à Paris dans la même maison que le Grand Inquisiteur de France, Guillaume de Nan­gis, et il y logea pendant deux ans. Il a eu ainsi connaissance des thèses de Marguerite, auxquelles ­—les érudits en sont aujourd'hui convaincus— il a voulu donner un approfondissement théologique et spéculatif destiné à les rendre défendables, à les justifier face à l'Inquisition. On sait que sa tentative fut vaine et que la condamnation pontificale frappa sa mémoire en 1329, un an après sa mort. Mais la mystique du XIV~me siècle apparaît du même coup comme un phénomène européen dont la manifestation allemande fut seulement plus vigoureuse et plus brillante qu'ailleurs. Elle traduit en fait, que ce soit en France, sous le pouvoir royal triomphant de Philippe le Bel, ou dans les désordres du Saint-Empire affaibli, le désir d'une revanche à prendre sur une Papauté qui avait voulu ruiner  —ou capter à son profit—  la souveraineté sacrée, et sur une hiérarchie ecclésiastique à laquelle la société européenne entendait désormais opposer l'idéal d'une vie spirituelle libre comme elle avait opposé à l'ascétisme clunisien celui de la vie courtoise.

 

Jean-Paul ALLARD.

 

Notes :

 

(1) Gerd TELLENBACH: Libertas, Kirche und Weltordnung im Zeitalter des Investiturstreites. 1936.

 

(2) Otto HOFLER: Der Sakralcharakter des germanischen Königtums, in: Das Königtum. Seine geistigen und rechtlichen Grundlagen. Sigmaringen 1956, pp.75-104.

 

(3) La royauté sacrée est naturellement connue également de peuples non indo-européens. Mais elle revêt chez les peuples d'origine indo-européenne des traits caractéristiques propres qui autorisent l'hypothèse d'une origine traditionnelle commune aux descendants des Indo-Européens.

 

(4) J. P. ALLARD: La royauté wotanique des Germains; in: Etudes Indo-Européennes 1 (65-83) et 2 (31-57) (1982).

 

(5) La renovatio imperii est un thème récurrent de la pensée politique médiévale. Qu'elle soit carolingienne, ottonienne ou gibeline, elle reprend sans cesse l'idée que l'Empire romain, institution entrée dans le plan de la Providence divine pour favoriser la diffusion de la foi chrétienne, ainsi que l'enseignait saint Jérôme, est destiné à durer jusqu'à la fin du monde. Il n'a donc pu subir après 476 qu'une éclipse, à laquelle Charlemagne a mis fin. Puis il a connu de nouvelles épreuves entre le VIIIème et le Xème siècle, avant que les Ottons et, après eux, tous les rois d'Allemagne ne le relèvent et le restaurent.

 

(6) Gregorii VII Registri, VIII, 21: "Quis nesciat reges ... ab his habuisse principium, qui Deum ignorantes ... mundi principe videlicet diabolo agitante, super pares, scilicet homines dominari ... affectaverunt."

 

(7) Traduction des vers en langue d'oc empruntée à l'édition d'Alfred Jeanroy, Paris 1964, Les chansons de Guillaume IX, duc d'Aquitaine (1071-1127) , pp. 20-21. Le texte original est:

 

Qual pro y auretz, dompna conja,

 

Sivostr'amors mi deslonja ?

 

Par queus vulhatz metre monja ...

 

 

 

Qual pro y auretz, s'ieu m'enclostre

 

E no'm retenetz per vostre ?

 

Totz lo joys del mon es nostre,

 

Dompna, s'amduy nos amam ...

 

(8) "scintilla animae" est en fait une image reprise à Thomas d'Aquin, mais totalement métamorphosée dans sa portée et sa signification. Pour Thomas, qui transformait d'ailleurs déjà ce que les Pères de l'Eglise avaient appelé scintilla conscientiae en scintilla animae, l'étincelle de l'âme est le principe du jugement moral. Pour Eckhardt, le sêlenfunkern est aussi et surtout un moyen essentiel de parvenir à la lumière et de percevoir Dieu.

 

(9) Eckhardt dénomme également le gemuet "vitalité de l'âme", lebelicheit der sêle . Il le définit comme une lueur secrète, l'image de la nature divine imprimée dans l'âme humaine : ein lieht, oben în gedrucket, und ist ein bilde gotelîcher natûre.

 

(10) etwaz ist in der sêlen, daz got also sippe ist, daz es ein ist und niht vereinet

 

(11) J.A. Bizet: Suso et le Minnesang, Paris 1947.

 

(12) Bernard BARZEL: Mystique de l'ineffable dans l'hindouisme et le christianisme: Shankara et Eckhardt. Paris 1982.

 

(13) Kurt RUH: Meister Eckhardt. Theologe. Prediger. Mystiker. Munich 1989, pp. 95-114.

 

 

 

 

 

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