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mercredi, 31 janvier 2007

Influence de J. Evola en Hongrie

Claudio MUTTI:

 

L'influence de Julius Evola en Hongrie

 

En Hongrie, circule une sorte de “légende évolienne”. Dans les années 30, Julius Evola s'est effectivement rendu à Budapest, où il a prononcé une conférence à Obuda, dans le Château Zichy. En effet, Evola lui-même, dans le texte de son “auto-défense”, prononcée en 1951 devant la Cour d'Assise de Rome, affirme “avoir été invité à parler dans des sociétés étrangères, ouvertes seulement aux principaux exposants de la pensée traditionnelle et aristocratique européenne”; dans ce contexte, il a cité expressément l'“Association culturelle” de la Comtesse Zichy. Les occasions de se rendre à Budapest ne manquaient pas pour Evola. La Hongrie faisait partie de cette aire de “pays voisins” (voisins de l'Allemagne) dans lesquels Evola a développé son “activité propagandiste” qu'un rapport secret de l'Ahnenerbe signale à l'attention de Heinrich Himmler en 1938.

 

Une chose est certaine cependant, les auteurs hongrois cités par Evola ne sont pas nombreux: il y a Endre Ady, Lajos Ligeti, Franz Lehár et quelques autres. Evola consacre toutefois une certaine attention à deux autres auteurs hongrois: Károly Kerényi (1897-1973) et son élève Angelo Brelich (1913-1977). Il a signalé l'existence de ces deux auteurs aux lecteurs de Bibliografia fascista: Brelich à l'occasion de la traduction italienne de son premier ouvrage, parue auprès d'un institut universitaire de Budapest et Kerényi pour l'édition de Die antike Religion,  parue chez Zanichelli. Ces deux écrivains hongrois n'ont jamais cessé de recevoir les hommages d'Evola: Brelich publiera deux articles dans les colonnes de Diorama filosofico quindicinale, une publication dirigée par Evola pour le compte d'Il Regime fascista, tandis que Kerényi a une nouvelle fois attiré l'attention d'“Ea” (pseudonyme d'Evola) pour son Einführung in das Wesen der Mythologie.

 

 

Kerényi avait fondé à Budapest en 1935 un cercle littéraire, le “Sziget” (= l'“Ile”), avec un écrivain qui fut le premier à s'occuper sérieusement de l'œuvre d'Evola en Hongrie: Béla Hamvas (1897-1968). «Mon maître est Béla Hamvas» dira de lui Sándor Weöres (1912-1989), le Rimbaud magyar. En 1927, la Föváresi Könyvtár  (la Bibliothèque de la capitale hongroise) avait engagé Hamvas au titre de bibliothécaire. C'est ainsi qu'il prit connaissance de Révolte contre le monde moderne  et d'Impérialisme païen, ouvrages dont il assura la diffusion, traduisit plusieurs extraits, notamment dans l'un de ses essais de 1935, consacré à la “littérature de la crise”. Hamvas a dit de l'œuvre d'Evola: «Evola n'est pas un spécialiste: il n'est ni un sociologue ni un psychologue ni un historien, il ne s'occupe pas de gnoséologie, il ne privilégie pas le point de vue de la biologie ou de l'esthétique ou de la politique ou de la morale ou de la philologie. L'objet de sa pensée est l'“entier”... et donc l'“entier” dans la crise».

 

Dans un article de l'année suivante aussi, Hamvas ne cite que les deux livres d'Evola, Révolte... et Impérialisme païen. En 1942, Hamvas publie un essai sur Guénon, dans lequel “Leopold Ziegler et Julius Evola”, constamment associés l'un à l'autre, sont présentés comme les pionniers d'une conversion nécessaire de l'intelligence européenne au traditionalisme. En 1943, Evola est une nouvelle fois cité dans A láthatatlan történet  (= L'histoire invisible), où Hamvas écrit que Révolte...  est “son plus grand livre”. Entre 1943 et 1944, Hamvas écrit une grande œuvre de synthèse, Scientia Sacra.  D'Evola, Hamvas y dit qu'avec Guénon et Ziegler, le traditionaliste italien forme la triade la plus significative dans le champ des études traditionnelles. Cependant, selon Hamvas, il convient de distinguer, dans l'œuvre d'Evola, les ouvrages d'importance décisive, comme ceux sur l'individu absolu et sur la tradition hermétique, des ouvrages comme Révolte... et Impérialisme païen,  qui “donnent l'impression d'avoir été écrit de manière précipitée”.

 

Après la guerre, à la suite de la condamnation prononcée par le grand inquisiteur György Lukács (“la preuve vivante de la tolérance du régime” selon une curieuse opinion de François Fejtö), Hamvas est mis à l'index; il est privé de son poste de travail et rejeté en marge de la société. Certains exemplaires de ses livres, toutefois, parviennent à échapper au pilon et circulent sous le manteau, alimentant une culture souterraine dont les textes de références sont ceux de Hamvas mais aussi ceux d'Evola. Ainsi, pendant les années de “socialisme réel”, a pu se former une “seconde génération” d'évoliens, dont le principal exposant a été András László et les premiers traducteurs hongrois d'Evola, Franco de Fraxino et Renée Kelemen. Le théologien et philosophe László ont commencé à prononcer des conférences en 1975 dans l'illégalité pour des groupes de vingt à trente personnes, et c'est à ce travail clandestin que l'on doit l'émergence d'une “troisième génération” d'évoliens hongrois.

 

La première traduction hongroise d'un extrait d'un livre d'Evola après 1944 provient de Masques et visages du spiritualisme contemporain. Elle est parue en 1990 dans une revue d'inspiration anthroposophique (Steiner), intitulée Harmadik Part (= Troisième rive). Mais l'événement décisif pour la diffusion des écrits d'Evola a eu lieu en mars 1991, quand sort à Budapest Öshagyomány. Tradicionális Szellemi Mühely  (= La Tradition primordiale. Laboratoire de l'esprit traditionnel), une revue de l'“Ecole de la Tradition et de la Transcendance”, fondée une année auparavant par Arpád Szigeti. Sous la direction de Szigeti lui-même, Öshagyomány continuera à sortir de presse jusqu'en juin 1995. Sur les vingt fascicules publiés, onze accueilleront divers extraits de livres d'Evola (de La doctrine de l'éveil, La tradition hermétique, Métaphysique du sexe, Introduction à la magie  et East and West),  à côté d'écrits de René Guénon, de Mircea Eliade et d'autres auteurs, pour la plupart hongrois. En 1992, l'Ecole inaugure une collection de livres, “les livres de la tradition primordiale”; elle édite ainsi Guénon, Schuon et un volume rassemblant les traductions du Tao-tê-ching, interprété par Evola et des extraits de Masques et visages...

 

 

Sous la supervision de László, Rudolf Szongott et Róbert Horváth fondent en 1994 Arkhé, un revue qui porte curieusement le même nom que la maison d'édition fondée à Milan dans les années 70 par un Hongrois émigré en Italie, László Tóth. Si la maison d'édition Arché de Milan, fondée par Tóth a publié plusieurs titres d'Evola, la revue Arkhé  de Budapest réserve depuis sa naissance un poste d'honneur à Julius Evola. De fait, le premier numéro, immédiatement après la présentation, s'ouvre avec deux textes tirés d'Introduction à la magie  et de L'Arc et la Massue,  auxquels fait suite un troisième, également tiré de L'Arc et la Massue, mais placé plus loin dans la revue. D'autres extraits de ces deux livres d'Evola ont été traduits dans les numéros ultérieurs d'Arkhé.

 

Un long extrait de Révolte contre le monde moderne  a été traduit en 1995 pour les Quaderni di Pendragon, une revue éditée auprès des presses universitaires de Debrecen et qui se présente comme un “périodique d'esprit traditionnel”. Un autre texte, tiré de L'Arc et la Massue, illustré par une photo d'Evola et traduit par Monika Imregh, est paru la même année dans l'élégante revue Noe. Elle est éditée par un cercle dont le moteur est le groupe musical Actus, qui, dans l'un de ses disques édité en 1995 et intitulé Das Unbenennbare  (= L'innommable), a introduit un passage explicitement inspiré d'Evola: Der ewigliche Akt des Prinzips (= L'acte éternel du principe). Toujours en 1995, lors de la tentative de donner vie à une Lega Pannonica, flanquée d'un Pannon Front  (= Front Pannonique), mensuel politique dirigé par József Bognár, qui, dès son premier numéro, a aligné des citations d'Evola. Notamment, son n° 4 publie une photo d'Evola et publie un entretien avec András László, où celui-ci affirme que «René Guénon et Julius Evola... représentent les fondements les plus importants de la doctrine traditionaliste». Dans le n° 5, Miklós Kórleónisz définit Evola comme “une des plus grandes figures du traditionalisme spirituel et métaphysique”. Dans le n°6, on trouve un article d'Evola sur l'Empereur Julien. Le n°7 publie en couverture une photo d'Evola et accueille un article de Gianfranco De Turris sur la fortune de l'évolianisme en Italie aujourd'hui. En 1996, la maison d'édition Camelot a inauguré la collection Regulus par la publication d'une plaquette rassemblant les écrits d'Evola ayant pour thème commun “la race de l'homme en fuite”.

 

Aujourd'hui donc, en Hongrie, l'œuvre d'Evola circule dans des milieux relativement restreints, parce qu'on n'a pas encore trouvé là-bas une maison d'édition suffisamment importante pour prendre en charge sa diffusion sur une plus grande échelle, s'adressant à un public plus vaste. Róbert Horváth écrit: «Aucun individu, aucun cercle des évoliens hongrois n'a pu encore jusqu'ici réalisé la grande percée. Sans aucun doute, celui qui, en Hongrie, a fait plus que tous les autres pour la diffusion des idées d'Evola est András László. Par ses conférences, une nouvelle génération est arrivée au stade adulte; les principaux orateurs de ce cercle  —Rudolf Szongott, Csaba Szmorad, Ferenc Buji, Tibor Imre Baranyi—  ont pu renouer avec le fil de la Tradition spirituelle et métaphysique. Dans la mesure où ces hommes ont pu conserver la Tradition et la développer, où ils se sont concentrés sur l'essentiel, nous avons assisté en Hongrie à plus que la simple divulagation des œuvres d'Evola et la publication de ses livres. On en verra les résultats dans les cinq prochaines années: la doctrine traditionnelle vit en Hongrie, grâce à ceux dont nous venons de parler, mais aussi parce que les gens voient les effets pervers des phénomènes anti-traditionnels, pseudo-traditionnels et contre-traditionnels. Tout cela concourt à une renaissance, avec le nom et les enseignements de Julius Evola».

 

Claudio MUTTI.

(article paru dans Pagine Libere, avril 1997).

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