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jeudi, 15 février 2007

Note sur Alfred Bäumler

Robert STEUCKERS :

Note sur Alfred Bäumler

19 novembre 1887 : Naissance à Neustadt an der Tafelfichte dans le Pays des Sudètes du philosophe allemand Alfred Bäumler. Connu en France pour la polémique qu’il avait lancée contre Heidegger, grâce aux travaux de Jean-Michel Palmier, Alfred Bäumler avait rejoint le national-socialisme, devenant certainement le philosophe le plus pertinent parmi les rares “ralliés”. Il a opéré une synthèse, — que l’on redécouvre aujourd’hui en la détachant du contexte politique des années 30 et 40 — entre les œuvres de Kant, Hegel, Bachofen et Nietzsche. Son système repose essentiellement sur une interprétation existentialiste et panvitaliste de l’esthétique et de la critique de la faculté de juger de Kant.

En effet, le philosophe de Koenigsberg reconnaît l’hétérogénéité fondamentale des jugements esthétiques, constate la quasi impossibilité de se débarrasser de cette hétérogénité, mais, en même temps, perçoit, chez les hommes, un unisson quand il s’agit de reconnaître, émerveillés, la beauté transcendantale des véritables chefs-d’œuvre. L’Allgemeingültigkeit [la validité générale] des chefs-d’œuvre est-elle une valeur “universelle” transposable en d’autres domaines que l’esthétique, par exemple la politique, dont le but n’est évidemment pas de générer du “beau”, mais un “bien commun” circonstanciel à une Cité donnée ? Peut-on hisser un principe valable et même efficace, né ici et pour ici, au rang de règle générale pour ce qui se passe et/ou doit se passer là-bas ? Bref, de l’universalité de la beauté des chefs-d’œuvre peut-on déduire une théorie et une pratique universalistes de la politique ? D’autant plus que la “validité générale” d’une œuvre d’art conserve toujours des racines particulières, locales, ethno-nationales, liées à une histoire. La question mérite donc toujours d’être débattue et hante sournoisement tous nos débats, encore aujourd’hui. Ensuite, dans sa critique de la faculté de juger, Kant distingue les “objets d’art” des “objets vivants” (ou “objets de nature”), où les uns sont produits d’une volonté extérieure à eux-mêmes, tandis que les autres recèlent en eux-mêmes leur sève et sucs vitaux. Existentialiste, volontariste et panvitaliste, Bäumler va parier sur l’hétérogénéité et sur la force vitale qui impulse les mouvements autonomes des “objets vivants”, dont les nations. En partant de cette hétérogénité et de ce timide vitalisme kantien, Bäumler va explorer un filon qui aboutit à Bachofen et à Nietzsche. En adhérant au national-socialisme, il croit faire passer la vie politique et idéologique de son pays d’un stade déterminé par les philosophèmes abstraits de l’Aufklärung (qui prétendent à une Allgemeingültigkeit) à un stade nouveau, acceptant l’hétérogénéité du monde pour ce qu’elle est, avec son cortège de tragédies et de conflits, et focalisé sur les sucs et sèves autonomes des “objets vivants”. Alfred Bäumler meurt isolé le 19 mars 1968 à Eningen en Allemagne. Preuves de la renaissance de Bäumler aujourd’hui, dans l’espace linguistique français :

1) Alain Renaut, qui nous propose une nouvelle traduction de la critique de la faculté de juger, évoque la grande pertinence de l’exégèse bäumlerienne de Kant et nous invite à la relire avec beaucoup d’attention, alors que les positions “républicaines”, assez banales et superficielles de Renaut, le posent comme un moraliste para-pseudo-kantien et libéraloïde. Renaut —qui s’inscrit dans cette platte stratégie de défense de l’idéologie “républicaine” en France— défend Kant pour son cosmopolitisme, alors que ce cosmopolitisme n’était certainement pas aussi simple ni aussi “diluationniste”, comme l’a justement prouvé Bäumler. Seul point positif au fait que Renaut enjoigne ses lecteurs à lire Bäumler : ceux qui le feront dans une perspective moins conformiste ne pourront plus se faire traîter de “fachos” par les “vigilants”, à la Olender…

2) Ensuite, la réédition d’un livre de Gilbert Lebrun, qui constitue une autre étude sur la critique de la faculté de juger, s’appuie essentiellement sur les thèses de Bäumler sur Kant. Gilbert Lebrun est un philosophe rigoureux et apolitique, qui ne fait pas mention de l’engagement national-socialiste de Bäumler, et ne prend en considération que ses arguments de nature philosophique, comme il se doit [cf. Robert Steuckers, «Thomas Mann et Alfred Bäumler», analyse de Marianne BÄUMLER, Hubert BRUNTRÄGER & Hermann KURZKE, Thomas Mann und Alfred Baeumler. Eine Dokumentation, Königshausen und Neumann, Würzburg, 1989, 261 p., ISBN 3-88479-407-8; in: Vouloir, n°8/NS, automne 1996].

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