lundi, 05 novembre 2007
Henri Storck et la Wallonie
Henri Storck et la Wallonie
Les pères fondateurs du cinéma wallon sont un Néerlandais et un Flamand : il s’agit respectivement de Joris Ivens et de Henri Storck. Avec leur film « Misère au Borinage » de 1932, ils sont à la base des succès cinématographiques wallons.
Henri Storck (1907-1999), dont on fêtera le centenaire cette année, était un Ostendais francophone. On le connaissait surtout pour ses documentaires où il évoquait et interviewait des artistes flamands comme Ensor et Permeke. Mais, indubitablement, c’est « Misère au Borinage » qui fit le plus d’effet ; il y donnait une image criante de vérité de la région minière dans les années 30. Storck se sentait pleinement concerné par son sujet, par humanisme mais aussi par idéologie : il était un communiste convaincu. Les représentations de « Misère au Borinage » furent à l’époque les points de rassemblement des militants communistes. Plus encore : ces représentations ont été plus d’une fois perturbées par l’irruption des agents de la BSR (« Brigade Spéciale de Recherche », soit la branche politique de l’ancienne gendarmerie belge), jusque dans les années 70 ; les pandores notaient les noms de toutes les personnes présentes. En bon nombre d’endroits, le tournage du film était même carrément interdit. Même lorsque l’écrivain flamand Hugo Claus, alors hôte d’une émission de la VPRO, demanda à voir un extrait du film, il fut brusquement interrompu par les actualités. Personnellement, moi, l’auteur de ces lignes, je n’ai aucune sympathie pour le communisme, mais, en dépit de cette antipathie, je n’ai jamais compris l’acharnement des censeurs contre « Misère au Borinage ». C’était les émissions « Jambers » ou « Striptease » avant la lettre, mais, simultanément, c’était une véritable œuvre d’art.
Chez les experts wallons en cinématographie, le nom de Storck fait encore et toujours vibrer une corde sensible. Mais le grand public, lui, ignore tout de sa personne et de son œuvre. Pourtant, les frères Dardenne, cinéastes wallons en vogue, ont évoqué publiquement son nom lorsqu’ils ont obtenu, il y a une dizaine d’années, la « Palme d’Or » à Cannes. Ce n’est pas étonnant car la vision que donnait « Misère au Borinage » sur le bassin industriel wallon n’était pas rose ! Or le misérabilisme paie en Wallonie aujourd’hui. Grâce aux frères Dardenne, le film « Rosita » (qui traite des mésaventures d’une jeune fille au chômage dans la région de Liège) est devenu un classique. Quant au film « Germinal », qui se déroule dans la partie du Hainaut annexé à la France, on le montre très souvent au public lors des congrès du PS. Mais tant « Rosita » que « Germinal » contiennent une bonne dose de fiction, ce qui les différencie tout de même très nettement du réalisme cruel de Storck.
L’Ostendais Storck était revenu sous les feux de la rampe en Wallonie, de manière très négative et fort paradoxale, il y a une dizaine d’années. A l’époque, un groupe avait organisé une exposition en l’honneur du grand photographe Willy Kessels (1898-1974). Natif de Termonde (Dendermonde) en Flandre orientale, Kessels accompagnait souvent Storck lors de ses tournées de prises de vues et prenait des photos. Ces photos servaient souvent de support à des campagnes publicitaires. Mais Kessels était très proche des mouvements dits d’ « Ordre Nouveau ». Il était le photographe des diètes nationales de Rex et du VERDINASO. C’est lui qui prit la fameuse photo de Joris van Severen, « à la Memling ». Le fait de consacrer une exposition à Kessels provoqua un flot de critiques en Wallonie rouge. Ce fut surtout le quotidien du PS, « Le Peuple », qui orchestra la campagne. En attaquant Kessels, on s’en est pris simultanément, bien que de manière détournée, au fidèle militant de gauche qu’avait toujours été Storck. De fait, « Misère au Borinage » avait été un brûlot d’extrême gauche à son époque, à un moment où les socialistes établis entendaient évoluer vers un social-démocratisme para-bourgeois.
Montage photographique de Willy Kessels
En cette année 2007, rien ne laisse augurer en Wallonie un hommage, fût-il modeste, à Henri Storck. Je dois également avouer que notre cinéaste n’est plus davantage connu en Flandre. Certes, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance, vers la mi-octobre, on organisera bien quelques activités à Ostende et dans les environs de la ville portuaire ; un livre est également sur le point de sortir de presse. Malgré ces quelques timides manifestations culturelles, bien des étudiants en audiovisuel en Flandre n’ont jamais entendu parler de Storck. Malgré ses immenses mérites en matières cinématographiques, sa célébrité se limite aujourd’hui à quelques cénacles de cinéphiles et il n’est plus que le dada d’un groupe restreint d’universitaires, surtout à la VUB (Bruxelles).
« Picard » (article tiré du « ‘t Pallieterke », Anvers, 3 octobre 2007).
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