lundi, 07 avril 2008
Les critiques de Bassam Tibi
L'Europe sans identité
La critique de la société multiculturelle par le politologue germano-syrien Bassam Tibi
Nous avions déjà eu l'occasion de souligner l'excellence des écrits du Prof. Bassam Tibi, sur les affres de la société muticulturelle. A l'occasion de la parution d'une traduction néerlandaise de l'un de ses derniers livres, consacré à la crise de la société multiculturelle, nous soumettons au jugement critique de nos lecteurs cette recension du journaliste flamand Ludo Leen, qui situe parfaitement la personnalité de Bassam Tibi et la thématique de ses ouvrages.
«Dans une société multiculturelle, il n'existe plus de valeurs liantes, propres d'une culture-modèle; il n'y a plus que des hommes qui vivent les uns à côté des autres, dans des groupes réduits à eux-mêmes, dans des espaces réduits, ce qui revient, en fait, à juxtaposer les ghettos ethniques. Une telle Europe ne serait dès lors plus qu'une simple zone habitée, neutralisée sur le plan axiologique, sans identité propre» (Bassam Tibi).
Douter des dogmes imposés par l'église de la multiculturalité n'est pas une démarche de l'esprit exempte de tout danger. Aux Pays-Bas, on a diabolisé Pim Fortuyn pour cela, avant de s'en débarrasser de manière professionnelle. Quant au Vlaams Blok, pour le même motif, on le traîne devant les tribunaux pour délit d'opinion. Toute résistance à l'idéologie multiculturaliste est considérée comme "anti-démocratique" ou comme "raciste", et automatiquement mis en équation avec un appel à l'épuration ethnique ou avec un plaidoyer en faveur d'une Flandre monoculturelle, répondant aux canons de la pure "aryanité", peuplée uniquement de grands Germains blonds aux yeux clairs… Cette escroquerie intellectuelle, cette malveillance caricaturale, ont rendu impossible jusqu'ici tout débat rationnel sur la société multiculturelle. Or c'est justement un débat social ouvert que les tenants du beau monde onirique de la multiculture ne tiennent pas à amorcer.
L'intégration est un échec…
Jusqu'ici, Bassam Tibi a été un illustre inconnu sous nos cieux, alors qu'en Allemagne il s'est taillé une solide réputation grâce à ses articles provocateurs et bien ciselés sur l'islam et l'intégration. Bassam Tibi est un client particulièrement difficile à cerner pour les faiseurs d'opinion, adeptes de la "political correctness", surtout parce qu'il sait de quoi il parle. Son argumentation ne peut être balayée comme de "simples propos racistes de bistrot". Le Prof. Tibi est musulman, il est originaire de Syrie et naturalisé allemand. Ses racines se situent à Damas. Dans son livre intitulé "Europa zonder identiteit - De crisis van de multiculturele samenleving" (= "L'Europe sans identité - La crise de la société multiculturelle"), ce politologue germano-syrien donne un formidable coup de pied dans la fourmilière. L'intégration est un échec, dit Tibi. Immédiatement après la seconde guerre mondiale, seulement un million de musulmans vivaient en Europe. En 1998, il y en avait plus de 15 millions. Ce groupe au sein de la population globale va doubler voire tripler au cours de la première décennie du nouveau millénaire: nous ferons face à une poudrière, ajoute-t-il. L'Europe évitera-t-elle un scénario cauchemardesque à la bosniaque? Cela dépend de notre capacité à intégrer les musulmans ou non. Quoi qu'il en soit, les pronostics n'augurent rien de bon. «La société multiculturelle est loin d'être idyllique et les illusions multiculturalistes s'évanouissent comme des bulles de savon, dès qu'un problème réel se pose».
Du relativisme culturel
Bassam Tibi critique sévèrement le "relativisme culturel" qui domine la scène intellectuelle aujourd'hui en Europe, car elle repose sur un aveuglement: celui de croire à l'égalité des hommes et des cultures. L'Europe contemporaine fait comme si ses valeurs démocratiques ne se trouvaient pas loin au-dessus des idées "pré-modernes" des cultures autoritaires. «En se niant elle-même l'Europe en arrive à se haïr elle-même; ce qui doit susciter de la pitié, mais qui conduit aussi les autres à la considérer avec mépris et à se détourner d'elle», écrit Tibi, qui considère que les tenants de la multiculturalité constituent une "dangereuse combinaison de stupidité et d'ignorance délibérée" et font montre d'un haut degré d'intolérance! Tibi ne cesse, tout au long de ses ouvrages, de critiquer très sévèrement l'idée de tolérance occidentale, qui est une tolérance mal comprise, et qui conduit à accepter le voile islamique; celui-ci n'est rien d'autre que le symbole publicitaire d'un islam en marche en nos murs; pire, l'Europe accepte que des fondamentalistes algériens, qui ont assassiné des milliers de femmes et d'enfants, reçoivent purement et simplement l'asile politique en Occident, où ils peuvent continuer tranquillement à faire du prosélytisme. Tibi crache tout son mépris à l'endroit de la dictature intellectuelle qu'exerce en Europe la "political correctness", avec "son utilisation inflationniste de concepts dénaturés, hissés au rang de slogans creux, tels 'l'extrême-droite', le 'racisme' et la 'xénophobie' ". Il s'insurge enfin contre les interdits qu'érigent les intellectuels de gauche, qui font l'opinion. Ce sont eux qui sont les inventeurs du multiculturalisme.
Une idéologie de gauche…
Bassam Tibi exprime clairement son rejet des marxistes actuels, avec lesquels il se trouvait sur les barricades en mai 68: «Ces idéologues des années 60, qui rêvent tout haut, qui demeurent étrangers au monde, ont troqué leurs slogans utopiques, répétés à satiété, qui nous parlaient d'une société sans classe contre une vision multiculturelle de la société. C'est comme cela qu'ils règlent leurs comptes avec les valeurs occidentales. Leur révolution, qu'ils ont tant attendue, et qui devait se diriger contre un système haï, est restée lettre morte, tant ici que dans le tiers monde. Aujourd'hui, nous, les étrangers et les immigrés, devrions devenir leurs complices, pour que soient enfin réalisés leurs rêves éthérés et pour que le système, qu'ils abominent, soit ébranlé jusqu'en ses tréfonds». On comprendra que Bassam Tibi n'est guère apprécié aujourd'hui par ses anciens compagnons de combat…
Une culture directrice
Bassam Tibi présente à l'Europe un miroir et ce qu'il lui fait voir ainsi ne correspond pas à l'image idyllique que véhiculent les médias. Tibi plaide en faveur d'un "euro-islam", qui accepte et respecte l'identité européenne et partage les valeurs et les normes occidentales. Il estime que la culture européenne, dans ce processus, doit demeurer la culture directrice, la culture-guide, la culture sur laquelle on s'orientera. Tibi plaide pour un dialogue sans tabous. Mais pour en arriver là, il faut du courage politique et il faut "abandonner la censure qu'exercent la political correctness et le moralisme trivial et vulgaire, qui en découle, afin de pouvoir résoudre les véritables problèmes. Cela signifie surtout qu'il faut appeler un chat un chat". Et Tibi s'y emploie avec une verve incontestable. Selon lui: «L'intégration n'est possible que si nous enterrons définitivement l'idéologie multiculturaliste». Cette philippique contre le faux idéal d'une société multiculturelle et ce vibrant plaidoyer pour l'identité européenne nous viennent d'un "allochtone": ce qui en dit long, nous force à agiter nos méninges mais indique aussi, espérons-le, que le vent est vraiment en train de tourner… Les droites nationales et populistes trouveront à coup sûr dans l'œuvre de Bassam Tibi une mine d'arguments; l'auteur est indubitablement un allié féal de ces droites populistes dans leur combat pour la spécificité européenne, pour ses valeurs et ses normes. Nous demandons à tous nos lecteurs de lire attentivement l'œuvre de ce courageux politologue allemand de souche syrienne!
Ludo LEEN.
(ex : Vlaams Blok Magazine, n°11/novembre 2002; références du livre de Bassam Tibi traduit en néerlandais: TIBI, Bassam, Europa zonder identiteit. De crisis van de multiculturele samenleving, Deltas, 2002, 287 pages, ISBN 90-243753-8X).
08:30 Publié dans Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les commentaires sont fermés.