mercredi, 03 décembre 2008
OTAN: l'immixtion globale
Archives de "Synergies Européennes" - 1999
La nouvelle doctrine de l’OTAN : l’immixtion globale
Que l’on ne se fasse pas d’illusions : la guerre dans les Balkans n’est qu’un début. Les « interventions humanitaires », comme celle qui vient d’avoir lieu en Yougoslavie seront monnaie courante dans l’avenir. Ces interventions tous azimuts constituent vraisemblablement la nouvelle doctrine de l’OTAN, qui fête ainsi son cinquantième anniversaire. Pourtant, il y a un demi siècle, l’Alliance Atlantique se voulait exclusivement un pacte de défense, fondé pour contrer la menace communiste. Aujourd’hui ce principe de défense est caduc, faute de communisme. Les nuées de chars d’assaut de l’Est, prompts, disait-on, à foncer vers l’Atlantique en 48 heures, n’existent plus. Que fait l’OTAN, devant cette nouvelle donne ? Elle se mue en gendarme du monde !
Le glas sonne pour l’ONU
Le principe de défense n’est plus qu’une référence marginale dans la nouvelle doctrine de l’OTAN. Les stratèges de Bruxelles et du Pentagone pensent désormais en de nouvelles catégories et élaborent de nouveaux scénarii. Pour l’avenir, il suffira de constater des « actes de terreur », des « sabotages », une « interruption dans le trafic de ressources vitales » ou des « mouvements incontrôlés de grands nombres de personnes, surtout s’ils sont la conséquence de conflits armés », pour mobiliser l’Alliance. Dans le futur, l’OTAN entend entrer en action pour « éviter » et « apaiser » des situations de crise. Mieux : la simple « stabilisation et la sécurité de l’espace euro-atlantique » suffisent comme motifs d’intervention. C’est un blanc-seing pour intervenir dans tous les coins du globe. Rien de plus, rien de moins.
Jusqu’ici, il fallait, du moins formellement, un mandat des Nations-Unies pour autoriser l’intervention de l’Alliance. Cette restriction est désormais également caduque. Dans le texte fondant la nouvelle stratégie de l’OTAN, présenté à Washington en avril, les interventions de l’Alliance doivent simplement se référer aux principes de bases de la Charte de l’ONU et être en accord avec ceux-ci. Mais cette stipulation n’est pas contraignante. L’ONU ou l’OSCE ne doivent plus servir que comme « baldaquin » à des opérations communes, selon les cas qui se présentent. L’important, c’est que tous les pays membres de l’OTAN marquent leur accord. En conséquence de quoi, l’Alliance, en pratique, peut frapper à tout moment n’importe quel pays-cible. A juste titre, l’irénologue de Hambourg, Hans J. Giessmann, écrit dans le quotidien berlinois taz, que « le glas a sonné pour l’ONU » et avertit ses lecteurs : «Ceux qui affaiblissent le baldaquin juridique qu’est l’ONU, sont co-responsables des conséquences. L’OTAN (…) pourra certainement empêcher certains Etat de faire ce qu’elle se réserve, elle, le droit de faire. Si la naissance de la nouvelle OTAN signifie l’enterrement de l’ONU, la conséquence, pour le monde, c’est qu’il n’y aura pas davantage de sécurité au niveau global, mais moins ».
On peut en conclure que l’objectif actuel de l’OTAN n’est pas d’augmenter la sécurité sur la surface de la planète. Partout où l’OTAN est intervenue ces dix dernières années sous l’impulsion déterminante des Etats-Unis, nous n’avons pas un bonus en matière de sécurité, mais un malus ; la stabilité est en recul, l’insécurité en croissance. Quant aux « droits de l’homme », prétextes de la guerre en Yougoslavie, il vaut mieux ne pas en parler.
Terreur contre les populations civiles
Prenons l’exemple de l’Irak : ce pays était l’un des plus progressistes du monde arabe ; il possédait un excellent système d’enseignement et une bonne organisation de la santé ; le régime baathiste était laïc et le régime de Saddam Hussein accordait davantage de libertés citoyennes que les autres pays arabes. Depuis que le pays est sous curatelle de l’ONU et est bombardé chaque semaine par l’aviation américaine (sans que l’opinion publique mondiale y prête encore attention), rien de ces acquis positifs n’a subsisté. Cette ancienne puissance régionale est tombée au niveau d’un pays en voie de développement, où règnent le marché noir, la corruption et l’état d’exception. Vous avez dit « droits de l’homme » ? Vous avez dit « stabilité » ?
Prenons l’exemple de la Yougoslavie : lors de son intervention dans ce pays, l’OTAN, appliquant sans retard sa nouvelle doctrine, a renoncé dès le départ à tout mandat de l’ONU et a bombardé pendant des mois un pays européen souverain, faisant ainsi reculer son niveau de développement de plusieurs décennies. Ici aussi apparaît l’ectoplasme des « droits de l’homme », que l’on défend soi-disant. On nous transmet des images de ponts détruits, de fabriques, de chemins de fer, de stations de radio et d’innombrables bâtiments civils bombardés, pulvérisés par les bombes ou les missiles de l’OTAN. Même CNN n’est plus en mesure de « retoucher » les photos ou les films. Début mai 98, à l’aide de nouvelles bombes au graphite, les pylônes de haute tension et les usines d’électricité de Belgrade et des environs ont été détruits, coupant l’électricité et l’eau à de larges portions du territoire serbe. A Bruxelles, les porte-paroles de l’Alliance annonçaient avec un effroyable cynisme que l’OTAN était en mesure d’allumer et d’éteindre la lumière en Yougoslavie. On peut se demander quels ont été les objectifs militaires poursuivis par l’Alliance dans ces coupures d’électricité ? Les porte-paroles de l’OTAN ne répondent à cette question que par le silence. L’armée yougoslave, elle, dispose de ses propres générateurs qui, à l’instar des carburants militaires, sont profondément enterrés dans le sol, comme en Suisse. Seule la population civile subit des dommages.
Jamais plus la Yougoslavie ne sera la même après la guerre du Kosovo. Son appareil militaire sera affaibli (ce qui réjouira sans nul doute deux pays voisins : la Croatie et la Hongrie), mais aussi son économie et ses infrastructures. On évalue d’ores et déjà que la Yougoslavie a été ramenée au niveau qu’elle avait immédiatement après la seconde guerre mondiale. Les planificateurs de l’OTAN songent déjà à haute voix à détacher le Kosovo de la Serbie et à occuper cette province, à installer là-bas un protectorat avec la présence d’une armée internationale. Or la République fédérative de Yougoslavie est un Etat souverain…
L’enjeu réel de l’intervention dans les Balkans
Dans les Balkans, après l’intervention de l’OTAN, la paix ne reviendra pas et la stabilité politique sera profondément ébranlée. Répétons-le : il ne nous semble pas que la stabilité et la paix soient dans l’intérêt des stratèges de l’OTAN. Quel est alors l’enjeu réel ?
On aperçoit les premiers contours de l’ordre politique qui devra régner dans les Balkans sous la férule de l’OTAN. Parallèlement à l’élimination de la puissance régionale qu’était la Serbie, les Etats-Unis reviennent en Europe par le Sud-Est. Cette démarche est impérative pour les Etats-Unis, car sur la côte pacifique du bloc continental eurasien, les Américains reculent. Des penseurs stratégiques comme Henry Kissinger et Pat Buchanan ont constaté que la Chine, renforcée, sera le futur concurrent de Washington dans cette région. Les pertes en Asie doivent dès lors être compensées par une avancée stratégique en Europe.
Ensuite : les nouveaux partenaires junior des Etats-Unis sont (outre les satrapies européennes habituelles, dont l’Allemagne), les Turcs. Un contingent turc est présent au sein de la force internationale de « paix » au Kosovo. En ayant mis hors jeu la puissance orthodoxe serbe, l’Islam se voit renforcé dans le Sud-Est de l’Europe. Washington joue à ce niveau un jeu clair : si l’Europe réussi son intégration, si l’espace économique européen s’avère viable, elle acquerra, bon gré mal gré, une puissance géostratégique qui portera ombrage aux Etats-Unis. Situation inacceptable pour le Pentagone. Dans les tréfonds du subconscient européen, la menace islamique-ottomane dans le Sud-Est du continent n’est pas vraiment oubliée. Délibérément, les Américains la réinstallent en Europe pour déstabiliser le processus d’unification européen : ironie et cynisme de l’histoire.
L’élargissement de l’OTAN a une odeur de poudre
La carte turque est un atout majeur des stratèges américains, également dans le domaine des approvisionnements énergétiques. Dans la partie de poker qui se joue en Asie centrale, l’enjeu est le pétrole, entre autres matières premières. Les futures zones d’exploitation se situent sur les rives de la Mer Caspienne et dans les ex-républiques soviétiques de l’Asie centrale musulmane et turcophone. Dans un tel contexte, on ne s’étonnera pas que l’OTAN, depuis quelques années, s’intéresse à toute coopération militaire et économique avec les Etats de la CEI dans le Sud de l’ex-URSS. L’an dernier, les troupes de l’OTAN ont participé pour la première fois à des manœuvres au Tadjikistan. Ce n’est plus qu’une question de temps, mais, si le processus actuel se poursuit, les anciennes républiques musulmanes et turcophones du « ventre mou » de l’ex-URSS appartiendront en bloc à la sphère d’influence atlantiste, tout comme les anciens pays du Pacte de Varsovie et l’Ukraine.
On le voit clairement : l’Alliance atlantique s’est fixé de nouveaux objectifs planétaires. L’ancienne doctrine purement défensive (en théorie…) est un boulet au pied de l’Alliance actuelle. En conséquence, l’Alliance se transforme en un système interventionniste global.
Quoi qu’il en soit : la sécurité ne sera pas de la partie au début du XXIième siècle. Les prochains conflits sont déjà programmés : avec la Chine, avec la Russie (complètement désavouée), avec toute une série de « méchants Etats » régionaux, que la propagande américaine dénoncera quand cela s’avèrera opportun et oubliera tout aussi vite. Hier, c’était l’Afghanistan et le Soudan, aujourd’hui, c’est la Yougoslavie. Et demain ?
D’autres cibles possibles en Europe
Peut-être sera-ce le Sud de la France ou les nouveaux Länder de l’Est de l’Allemagne. Je ne blague pas. Comme l’écrivait l’hebdomadaire d’information américain Time, il y a quelques mois, dans un numéro spécial, les stratèges de l’OTAN se soucient déjà de futurs « foyers de crise » en Europe. L’ancienne RDA et quelques villes du Sud de la France sont des cibles potentielles, car elles sont soupçonnées d’être d’ « extrême-droite ». Au Kosovo, l’OTAN bombarde parce que les « droits de l’homme » y seraient bafoués. Mais en Turquie, en Israël, à Timor-est, en Indonésie, les droits de l’homme sont bafoués depuis des décennies, sans que l’Alliance n’intervient. Qui décide où tomberont les prochaines bombes ?
La réponse est simple. Pendant cinquante ans, l’Alliance a été un instrument destiné à sécuriser les intérêts stratégiques des Etats-Unis. Rien ne changera dans l’avenir. En revanche, ce qui est nouveau, c’est que le Grand Frère d’Outre-Atlantique définit ses intérêts au niveau global sans vergogne depuis la disparition de l’ennemi soviétique. Cela continuera tant que le monde acceptera ses manières de cow-boy.
Organiser la résistance à l’hégémonisme US
Pourtant la résistance à la nouvelle doctrine de l’OTAN s’organise. Le Président de l’Académie russe des sciences militaires, le Professeur Machmoud Gareïev exprime ses réserves de manière succincte et concise : « Un nouvel ordre mondial apparaît : une petite communauté d’Etats occidentaux sous l’égide américaine entend dominer et dicter le cours des événements. Le message que cette communauté nous lance est clair : ne dérangez pas notre cercle ». Le député socialiste allemand (SPD), Hermann Scheer, manifeste son scepticisme face aux ambitions globales de l’Alliance occidentale. Il écrit à propos des zones de conflit qui se dessinent en Asie : « Les Etats-Unis tentent de contrôler politiquement cette région riche en ressources ; l’Alliance doit dès lors devenir l’escorte militaire des consortiums pétroliers et gaziers (…). L’élargissement de l’OTAN en Asie a une odeur de poudre. Nous devrions ne pas nous en mêler ».
Conclusion : la force des uns repose toujours sur la faiblesse des autres. L’hégémonie mondiale que concocte l’OTAN est possible parce que le reste du monde ne s’en est pas soucié. Pour cette raison, il nous apparaît urgent de forger des alternatives à la domination américaine et de leur donner une assise politique. Avec les élites établies, infectées par les virus de la banque et de l’idéologie mondialiste, un tel projet ne sera pas possible. En revanche, si des hommes et des femmes à la pensée claire, capables de tirer les conclusions qui s’imposent, agissant de Madrid à Vladivostok, l’alternative sera parfaitement possible. L’Internationale des peuples libres : voilà le projet qu’il faudra élaborer pour le XXIième siècle.
Karl RICHTER.
(Nation-Europa, 6/1999; trad. franç. : Robert Steuckers).
00:15 Publié dans Défense | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : otan, atlantisme, américanisme, europe, affaires européennes, etats-unis, guerre | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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