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mardi, 30 juin 2009

Le "destin" dans la pensée germanique des origines d'après Franz Murawski

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Le «destin» dans la pensée germanique

des origines d'après Friedrich Murawski

 

Le divin dans la pensée des anciens Ger­mains ne s'exprimait pas par la bouche de prêtres ou par le biais d'une église ou dans l'exiguïté d'un temple. Le divin est au-des­sus de toute organisation hiérarchique de la religion; de ce fait, cette dernière est superflue car elle institue un espace cir­conscrit à côté de la vie, espace qui est seul considéré comme sanctifiant. Dans les religions ecclésiales, la vie et ses ex­pressions multiples sont subordonnées et opposées à une organisation religieuse qui s'arroge le droit de détenir à elle seule le sens du sacré.

 

Comme les païens de l'ancienne Germanie se passaient d'église, leur religiosité igno­rait forcément la «révélation» (du «juste chemin» qu'indique l'église) ou la dogma­tique ou encore le péché, la prière et la grâce. Ces absences ont induit les chré­tiens à croire que les Germains avaient une conception fataliste du destin. Celui-ci envoyait arbitrairement heurs et malheurs et les hommes avaient à subir passivement ces lubies, sans jamais pouvoir les contre­carrer. Une analyse philologique méticu­leuse des mots signi­fiant «destin» dans les plus anciennes langues germaniques pul­vérise cette critique issue de la propa­gande chrétienne. Le mot allemand «Schick­sal» est récent; il contient la ra­cine «schick», du verbe «schicken» (envoyer), et présuppose donc l'existence préalable d'une personne divine qui «en­voie» des aléas favorables ou défavo­rables. Avant que n'ait été forgé le mot «Schick­sal», les Germains et les Scandi­naves uti­lisaient les termes «sköp» ou «skap» et «örlög» ou «urlac», signifiant «déter­mina­tion ori­ginelle» ou «loi origi­nelle». Ces mots dérivent des verbes «skapu» (créer) et «lagu» (déposer). Cette loi ou détermi­nation originelle désigne la nécessité de tou­tes les choses qui devien­nent, existent et passent, mais elle est im­personnelle; pour les choses non hu­maines, elle cor­res­pond à ce qu'est la des­tinée (heil)  pour les hommes. Le cours de toute vie humaine est donc déterminé par la ren­contre du destin (des faits in­contour­na­bles) et de la destinée (trajectoire per­sonnelle).

 

Mais le destin ne peut être lu ou deviné. Il n'est pas inscrit en chiffre dans les astres: contrairement à la civilisation sémitique de Babylone, le centre et le nord de l'Eu­ro­pe ne connaissent pas la superstition de l'astrologie, déviation abâtardie de la cro­yance proche-orientale en la révélation. La révélation et l'astrologie trahissent un dé­ficit de la personnalité proche-orien­tale, aux yeux du Dr. Murawski. En effet, celle-ci semble incapable de prendre une dé­ci­sion et d'accepter des responsabilités par­ce que trop faible ou trop couarde. Il lui faut un support extérieur à elle: en l'oc­cur­­rence le signe hypothétique qui vo­gue­rait entre les astres.

 

Le destin ne concerne donc que les cho­ses extérieures à l'homme; il n'est pas une personne ni une force impulsée par une personne mais il est le tout, la totalité cosmique, qui porte en soi toutes les lois qui la régissent. Le chemin de chaque homme dépend de sa hamingja (heil),  de sa destinée. L'homme ne re­çoit donc pas une «grâce» par la générosité d'une di­vinité extérieure à lui mais exprime dans tous les actes de son existence ce qu'il porte au fond de lui. La destinée d'une vie n'est donc pas quelque chose qui est offert, donné, envoyé, mais quelque chose qui croît en l'intérieur même du corps et du cerveau qui la portent et qui sont plongés dans la lutte éternelle et quo­tidienne contre les défis du destin, du monde, des choses, du cosmos. Cette lutte exige un lourd tribut: les meilleurs peu­vent gagner ou perdre.

 

Mais gagner ou perdre sont des destinées individuelles. Ce qui compte en dernière instance, ce qui est essentiel, c'est de main­tenir intacts l'honneur et la paix in­té­­rieure du peuple auquel on appartient. La sau­vegarde de ce peuple, sa perpétua­tion dans le temps, constituent un bon­heur vraiment essentiel qui transcende tous les bonheurs ou malheurs individuels, au-delà de la mort des corps. Quand cette convic­tion est profondément ancrée, quand elle est vécue même dans le cœur du plus humble ressortissant du peuple, on ne peut parler, comme les chrétiens, de fatalisme sombre. C'est là un mensonge historique. Une telle attitude devant la vie, au contraire, est le gage le plus solide de la joie créatrice. D'une joie créa­trice qui n'a pas besoin de sauveur, de parousie.

 

Un tel sens du divin est incommensura­blement plus profond que la misérable ca­­ri­cature de divin person­nalisé qui trans­paraît dans les platitudes dogmatiques du judéo-christia­nisme. Le sens du destin per­met d'affirmer majestueusement la vie dans toute sa plénitude. Il interdit par ailleurs de cultiver la peur de Dieu et son corol­laire, l'humilité servile, l'auto-amoin­dris­sement masochiste.

 

Source: Dr. Friedrich MURAWSKI, Das Gott. Umriß einer Weltanschauung aus germanischer Wurzel, Faksimile Verlag, Bremen, 1981; adresse: Fak­si­mi­le-Verlag, Postfach 10 14 20, D-2800 Bremen 1).    

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