jeudi, 19 avril 2012
Lui, il croit pouvoir !
Lui, il croit pouvoir !
par Pierre LE VIGAN
Voilà un ouvrage sympathique dans son principe et agaçant par son contenu. La perspective de redonner enfin ses droits à la politique ne peut que plaire. L’idée qu’il n’y a pas une seule politique possible ne peut que convaincre. Mais Jacques Généreux, économiste proche de Jean-Luc Mélenchon qui préface son livre, pêche par optimisme. Il donne l’impression qu’une autre politique est non seulement possible mais facile. C’est sous-estimer l’ampleur des mutations à mener.
Le diagnostic porté par Jacques Généreux est pourtant juste. Nos gouvernants, dit-il, ont une idéologie : « Une société de marché dans laquelle chacun est seul responsable de son sort et ne doit compter que sur sa capacité à s’engager dans la libre compétition avec tous les autres. » Nos gouvernants ont aussi un projet. Celui-ci n’est pas tant l’État minimal, qui serait conforme à leur doctrine. C’est bien plutôt la démocratie minimale. « Il s’agit de mettre l’État à l’abri des revendications populaires et d’exploiter au contraire sa puissance au service d’intérêts privés. » Le néo-libéralisme colonise ainsi l’État pour en faire sa chose.
La question de la dette et du déficit public est aussi complètement minimisée. Il peut y avoir une bonne dette pour des investissements utiles, affirme l’auteur. Mais peut-on sérieusement ne pas s’inquiéter d’une dette servant à payer des dépenses de fonctionnement ? Il y a surtout une philosophie générale du projet de l’économiste du Parti de Gauche qui est d’une navrante faiblesse. Nous avons bien compris qu’il ne s’agit pas de chercher, nous dit-il, « une croissance indifférenciée ». Nous voulons bien « changer de gauche », mais nous aimerions surtout savoir ce que cela changera vraiment. Or Jacques Généreux croit comme les gouvernants qui nous ont amené là où nous sommes au progrès indéfini. Il ne paraît pas croire aux bienfaits de la libre circulation des capitaux mais continue de croire aux bienfaits de la libre circulation des hommes, en tout cas à l’impossibilité morale d’y mettre de quelconque bornes. Il est donc partisan de l’immigration, pensant sans doute que l’on peut, par du volontarisme politique, à la fois mettre au pas le capital qui n’a qu’à bien se tenir, et faire des citoyens français et européens de n’importe quels arrivants venus des quatre coins du monde. Sans doute les immigrés se rendront-ils compte en arrivant qu’ils vivaient dans l’obscurantisme et qu’il n’y a rien de mieux à aimer dans le monde que la France des Lumières et rien de plus urgent que de se débarrasser de leurs mœurs et coutumes, à moins que, séduits par le spectacle quotidien de fierté et d’affirmation nationale de notre pays, ils ne décident qu’il n’y a rien de plus normal que d’être fier d’être français – ce qui reviendra au même. C’est là un stupéfiant irénisme qui ne tient pas le moindre compte des leçons de l’histoire. Mais il n’y a cela rien d’étonnant. À aucun moment dans son analyse des dérives de la gauche s’abandonnant à la séduction du mondialisme, Jacques Généreux ne s’interroge sur la conjonction libérale-libertaire qui est née en son sein et qui a gagné la droite si facilement parce que l’une et l’autre se sont ralliées au libéralisme mondialisateur. À aucun moment Jacques Généreux ne remarque que plus la gauche est devenue libérale au plan économique, plus elle a développé une idéologie de substitution : un pseudo-« antiracisme » aboutissant à nier les problèmes posés par l’immigration de masse, une préconisation de la légalisation du mariage homosexuel qui, comme chacun sait, est un souci majeur du peuple français, les hommes y pensant tous les matins en se rasant, des positions d’« ouverture » (sic) face aux drogues, une complaisance pour toutes les remises en cause des valeurs traditionnelles, et en l’occurrence celles du peuple : le respect du travail, de l’argent gagné proprement, de l’art qui ne se moque pas du public, et même, l’amour raisonnable de la patrie. Il n’est pas étonnant qu’avec une telle myopie intellectuelle sur ce qui a amené la gauche à être une solution de secours parfaitement praticable pour le nouvel ordre mondial et le turbocapitalisme, les solutions préconisées par Jacques Généreux, même quand elles vont dans le bon sens – et c’est le cas –, témoignent d’un optimisme indécrottable, il est vrai assez caractéristique de la gauche dépourvue du sens du tragique de l’histoire (on pense à Léon Blum, si perspicace, expliquant en 1932 que « la route du pouvoir est fermée devant Hitler »).
Voilà donc où en est l’« autre gauche », celle qui se prétend une alternative aux sociaux-libéraux. Or il ne faut pas seulement changer de politique, et bien entendu changer les politiques au pouvoir. Il faut changer de paradigme, sortir de l’idée d’une civilisation universelle, bonne pour tous et partout, qui ne peut mener qu’à l’exact contraire de la « révolution citoyenne » à laquelle se réfère Jacques Généreux. La civilisation universelle de l’économie productiviste mondialisée, de la délocalisation généralisée ne peut être que la fin de toute République. Ce ne peut être que la démocratie réduite au procédural, ce ne peut être que la parodie de l’idée même de citoyen. Ce n’est peut-être pas ce que veut Jacques Généreux mais c’est très exactement ce à quoi nous mènent ses idées internationalistes. Dès lors, à quoi bon son « autre gauche » ? Si le but est d’homogénéiser le monde, qui a mieux montré son savoir-faire que le capitalisme ?
Pierre Le Vigan
• Jacques Généreux, Nous on peut ! Pourquoi et comment un pays peut toujours faire ce qu’il veut face aux marchés, face aux banques, face aux crises, face à la B.C.E., face au F.M.I., Le Seuil, 140 p., 11 €.
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00:10 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, europe, affaires européennes, france, présidentielles françaises | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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