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mardi, 12 février 2019

Les objectifs de démocratie directe des Gilets jaunes

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Faire revivre la démocratie

Les objectifs de démocratie directe des Gilets jaunes

par Diana Johnstone*

Ex: http://www.zeit-fragen.ch/fr

Dans les médias, les Gilets jaunes sont souvent dénigrés comme étant des casseurs incendiant des voitures et détruisant des magasins. En réalité, ils luttent pour un droit fondamentalement démocratique: celui de la participation. Diana Johnstone décrit la renaissance de l’obstination démocratique et des tentatives de l’establishment de l’étouffer.

 

Démocratie française, morte ou vivante?

Ou peut-être faudrait-il dire, enterrée ou ressuscitée? Parce que pour la masse des gens ordinaires, loin des centres politiques, financiers et médiatiques du pouvoir à Paris,
la démocratie est déjà moribonde, et leur mouvement est un effort pour la sauver. Depuis que Margaret Thatcher a décrété qu’«il n’y a pas d’alternative», la politique économique occidentale est menée par des technocrates au profit des marchés financiers, tout en affirmant que les bénéfices se répercuteront sur la population. Mais ces bénéfices sont en grande partie taris, et les gens sont fatigués de voir leurs besoins et leurs souhaits totalement ignorés par une élite qui «sait mieux».
Le discours du président Emmanuel Macron à la nation à l’occasion de la Saint-Sylvestre a clairement indiqué qu’après
une tentative peu convaincante de jeter quelques miettes au mouvement de protestation des Gilets jaunes, il a décidé de jouer aux durs.
La France entre dans une période de turbulences. La situation est très complexe, mais voici quelques points pour vous aider à comprendre de quoi il s’agit.

Les méthodes

Les Gilets jaunes se rassemblent dans des endroits bien visibles: les Champs-Elysées à Paris, les places principales dans les autres villes et les nombreux ronds-points à la périphérie des petites villes. Contrairement aux manifestations traditionnelles, les marches à Paris ont été bon enfant et spontanées, les gens se promenant et se parlant entre eux, sans chefs ni discours.
L’absence de dirigeants est inhérente au mouvement. Tous les politiciens, même les plus sympathisants, sont méfiants et personne ne cherche un nouveau leader. Les gens organisent leurs propres réunions pour dresser leurs listes de doléances et de revendications.
Dans le village de Commercy, en Lorraine, à une demi-heure de route de Domrémy où est née Jeanne d’Arc, les habitants se rassemblent pour lire leur proclamation. Six d’entre eux lisent à tour de rôle, un paragraphe chacun, indiquant clairement qu’ils ne veulent pas de dirigeants, pas de porte-parole spécial. Ils trébuchent parfois sur un mot, ils n’ont pas l’habitude de parler en public comme les têtes qui parlent à la télé. Leur «deuxième appel» des Gilets jaunes de Commercy invite d’autres à venir à Commercy les 26–27 janvier pour une «assemblée des assemblées».

Les revendications

Les personnes qui sont sorties pour la première fois dans la rue avec des gilets jaunes le 17 novembre dernier protestaient ostensiblement contre une hausse des taxes sur l’essence et le diesel qui frapperait le plus durement les habitants des campagnes françaises. Obsédé par l’idée de favoriser les «villes du monde», le gouvernement français a pris des mesures les unes après les autres au détriment des petites villes et des villages et des populations qui y vivent. C’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le mouvement est rapidement passé à la question fondamentale: le droit des citoyens à avoir leur mot à dire sur les mesures prises qui affectent leur vie. En un mot, la démocratie.
Depuis des décennies, les partis de gauche et de droite, quels que soient leurs discours de campagne, poursuivent, une fois arrivés au pouvoir, des politiques dictées par «les marchés». C’est pourquoi les gens ont perdu confiance en tous les partis et en tous les politiciens et exigent de nouvelles manières de faire entendre leurs revendications.
La taxe sur les carburants a été vite oubliée, car la liste des revendications s’est allongée. Les critiques du mouvement font remarquer qu’il est tout à fait impossible de répondre à tant de revendications. Qu’il ne sert à rien de prêter attention aux revendications populaires, parce que les gens stupides revendiquent tout et son contraire.
La réponse à cette objection se trouve dans ce qui s’est rapidement imposé comme la seule revendication dominante du mouvement: le Référendum sur l’initiative citoyenne (RIC).

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Le référendum

Cette revendication illustre le bon sens du mouvement. Plutôt que de faire une liste de «revendications», les Gilets jaunes se contentent de demander que le peuple puisse choisir, et le référendum est la voie à suivre. L’exigence est qu’un certain nombre de signataires – peut-être 700 000, peut-être plus – puissent obtenir le droit d’organiser un référendum sur une question de leur choix. Le droit à un RIC existe en Suisse, en Italie et en Californie. L’idée horrifie tous ceux dont le métier est de savoir mieux que les autres. Si les gens votent, ils voteront pour toutes sortes de choses absurdes, font-ils remarquer avec un frisson.
Etienne Chouard, un modeste enseignant d’un collège marseillais, développe depuis des décennies des idées sur la manière d’organiser la démocratie directe, avec le référendum en son centre. Son heure est arrivée avec les Gilets jaunes. Il insiste sur le fait qu’un référendum doit toujours être organisé après un long débat et un temps de réflexion, afin d’éviter les décisions émotionnelles spontanées. Un tel référendum exige des médias honnêtes et indépendants n’étant pas tous soumis à des intérêts particuliers. Il faut s’assurer que les politiciens qui font les lois suivent la volonté populaire exprimée dans le référendum. Tout cela suggère la nécessité d’une convention constitutionnelle populaire.
Le référendum est un point amer en France, une puissante cause sous-jacente et silencieuse de l’ensemble du mouvement des Gilets jaunes. En 2005, le Président Jacques Chirac (de façon imprudente, de son point de vue) a appelé à un référendum populaire sur la ratification du projet de Constitution de l’Union européenne, certain qu’il serait approuvé. La classe politique, à quelques exceptions près, est entrée dans la rhétorique, promettant un avenir prospère en tant que nouvelle puissance mondiale en vertu de la nouvelle Constitution et avertissant que, sinon, l’Europe pourrait être plongée de nouveau dans les deux guerres mondiales précédentes. Cependant, les citoyens ordinaires ont organisé un mouvement extraordinaire d’auto-éducation populaire, où des groupes se réunissaient pour se plonger dans les documents juridiques intimidants, en expliquant ce qu’ils signifiaient et ce qu’ils impliquaient. Le 29 mai 2005, avec un taux de participation de 68%, les Français ont voté à 55% contre le projet de Constitution. Seule Paris a voté massivement en sa faveur.
Trois ans plus tard, l’Assemblée nationale – c’est-à-dire les politiciens de tous les partis – a voté pour adopter pratiquement le même texte, qui est devenu en 2009 le Traité de Lisbonne. Ce coup porté à la volonté populaire clairement exprimée a produit une telle désillusion que beaucoup s’étaient éloignés de la politique avec un sentiment d’impuissance. Les voilà qui reviennent.

La violence

Dès le début, le gouvernement a réagi avec violence – une volonté évidente de provoquer une réaction violente afin de condamner le mouvement comme violent.
Une armée de policiers, habillés comme des robots, ont encerclé et bloqué des groupes de Gilets jaunes pacifiques, les noyant dans des nuages de gaz lacrymogènes et tirant des flash balls directement sur les manifestants, blessant gravement des centaines de personnes (aucun chiffre officiel). Un certain nombre de personnes ont perdu un œil ou une main. Le gouvernement n’a rien à dire à ce sujet.
Au cours du troisième samedi de protestation, cette armée de policiers n’a pas
pu empêcher – ou avait reçu l’ordre de laisser faire – à un grand nombre de voyous
ou de Black Blocs (comment savoir?) d’infiltrer le mouvement et de détruire des biens, vandaliser des magasins, mettre le feu aux poubelles et aux voitures en stationnement, fournissant aux médias du monde entier des images censés démontrer que les Gilets jaunes sont dangereusement violents.
Malgré toutes ces provocations, les Gilets jaunes sont restés remarquablement calmes et déterminés. Mais il y a forcément quelques personnes qui perdent leur sang-froid et essaient de se défendre.

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Le boxeur

Au cours du 8e samedi, le 5 janvier, alors qu’une escouade de policiers protégés par des boucliers de plexiglas attaquaient violemment des Gilets jaunes sur un pont au-dessus de la Seine, un grand gaillard s’est mis en colère, est sorti de la foule et a lancé l’attaque. Avec ses poings, il a repoussé un policier et a fait reculer les autres. Cette scène étonnante a été filmée. On pouvait voir des Gilets jaunes qui essayaient de le retenir, mais Rambo était déchaîné.
Il s’appelle Christophe Dettinger, un Rom français, ancien champion de France de boxe mi-lourd. Son surnom est «le Gitan de Massy». Il s’est éloigné de la scène, mais a fait une vidéo avant de se présenter à la police. «J’ai mal réagi», a-t-il dit, quand il a vu la police attaquer des femmes et d’autres personnes sans défense. Il a exhorté le mouvement à aller de l’avant pacifiquement.
Dettinger risque sept ans de prison. En un jour, son fonds de défense avait recueilli 116 433 euros. Le gouvernement a fait fermer le fonds – sous je ne sais quel prétexte juridique. Une pétition circule maintenant en son nom.

La calomnie

Dans son discours du Nouvel An, Macron a réprimandé avec condescendance son peuple en lui disant que «vous ne pouvez pas travailler moins et gagner plus» – comme s’ils aspiraient tous à passer leur vie sur un yacht et à regarder les cours des actions monter et descendre. Puis il a fait sa déclaration de guerre:
«J’ai vu ces derniers temps des choses impensables et entendu l’inacceptable.» Faisant apparemment allusion aux quelques politiciens de l’opposition qui osent sympathiser avec les manifestants, il a réprimandé ceux qui prétendent «parler au nom du peuple», mais qui ne sont que «les porte-voix d’une foule haineuse, s’en prennent aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux Juifs, aux étrangers, aux homosexuels, c’est tout simplement la négation de la France!»
Les Gilets jaunes ne «s’en sont pris» à personne. C’est la police qui «s’en est pris» à eux. Les gens ont même vigoureusement protesté contre les équipes de cameramen des chaînes de télévision qui déforment systématiquement le mouvement.
Pas un mot n’a été entendu de la part du mouvement contre les étrangers ou les homosexuels. Le mot clé, c’est «Juifs».
«Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.» (Proverbe français). Aujourd’hui, quiconque veut ruiner une carrière, se venger d’un rival, déshonorer un individu ou détruire un mouvement l’accuse, lui ou elle, d’antisémitisme.
Ainsi, devant la montée du mouvement démocratique, jouer la carte de l’«antisémitisme» était prévisible. C’était statistiquement inévitable. Dans presque n’importe quel lot aléatoire de centaines de milliers de personnes, on trouvera toujours une ou deux qui ont quelque chose de négatif à dire sur les Juifs. Ce qui fera l’affaire. Les médias sont à l’affût. Le moindre incident peut être utilisé pour suggérer que le véritable motif du mouvement est de faire revivre l’Holocauste.
Cette petite chanson légèrement ironique, interprétée sur l’un des ronds-points français, met en contraste le «gentil» establishment avec le «méchant» peuple. C’est
un grand succès sur YouTube. Il donne le
ton du mouvement. Les Gentils, les Méchants.
Il n’a pas fallu longtemps pour que ce joyeux numéro soit accusé d’antisémitisme. Pourquoi? Parce qu’il était ironiquement dédié à deux des critiques les plus virulents des Gilets jaunes: la star de mai 68, Daniel Cohn-Bendit et l’ancien «nouveau philosophe» Bernard-Henri Lévy. La nouvelle génération ne les supporte pas. Mais devinez quoi, il se trouve qu’ils sont Juifs. Et hop! Antisémitisme!

La répression

ricmacaron.jpgFace à ce que le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a qualifié d’«agitateurs» et d’«insurgés» voulant «renverser le gouvernement», le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé une nouvelle «loi pour mieux protéger le droit de manifester». Sa principale mesure: punir sévèrement les organisateurs d’une manifestation dont l’heure et le lieu n’ont pas été officiellement approuvés.
En fait, la police avait déjà arrêté Eric Drouet, routier de 33 ans, pour avoir organisé une petite cérémonie de bougies en l’honneur des victimes du mouvement. Il y a eu beaucoup d’autres arrestations, mais aucune information n’a été diffusée à leur sujet. Incidemment, pendant les vacances de fin d’année, des voyous dans les banlieues de plusieurs villes ont procédé à l’incendie rituel de voitures garées, sans beaucoup d’échos dans les médias et sans grande intervention policière. Ce sont des voitures de travailleurs qui en ont besoin pour aller travailler, pas les précieuses voitures des quartiers aisés de Paris dont la destruction a provoqué un tel scandale.
Le 7 janvier, Luc Ferry, «philosophe» et ancien ministre de la Jeunesse, de l’Education et de la Recherche, a donné une interview radio sur la très respectable Radio Classique dans laquelle il déclarait: «On ne donne pas les moyens nécessaires à la police pour mettre fin à cette violence. C’est insupportable! Ecoutez franchement, quand on voit des types qui tabassent à coup de pied un malheureux policier qui est par terre. Qu’ils se servent de leurs armes, une bonne fois. Ça suffit! […] On a la quatrième armée du monde, elle est capable de mettre fin à ces saloperies!»
Ferry a demandé à Macron de faire une coalition avec les Républicains pour faire avancer ses «réformes».
Le mois dernier, dans une chronique contre le Référendum d’initiative citoyenne (RIC), Ferry écrivait que «le dénigrement actuel des experts et la critique de l’élitisme sont la pire calamité du notre époque».

L’antifa

Partout où les gens se rassemblent, les groupes soi-disants «antifascistes» poursuivent leur chasse aveugle pour traquer les «fascistes». Samedi dernier à Bordeaux, des Gilets jaunes ont dû repousser une attaque d’un groupe d’antifas.
Il est maintenant tout à fait clair (comme cela a toujours été le cas) que les autoproclamés «antifascistes» sont les chiens
de garde du statu quo. Dans leur traçage inlassable de «fascistes», l’antifa attaque tout ce qui bouge. En réalité, elle protège l’immobilisme. Et curieusement, la violence antifa est tolérée par le même Etat et la même police qui insultent, attaquent et arrêtent des manifestants plus pacifiques. En bref, l’antifa est la troupe d’assaut du système actuel.

Les médias

Soyez sceptiques. Au moins en France, les médias grand public sont fermement du côté de l’«ordre», ce qui signifie Macron, et les médias étrangers ont tendance à faire répercuter ce que les médias nationaux écrivent et disent. De plus, en règle générale, lorsqu’il s’agit de la France, les médias anglophones se trompent souvent.

La fin …

Elle n’est pas en vue. Ce n’est peut-être pas une révolution, mais c’est une révélation de la nature réelle du «système». Le pouvoir repose sur une technocratie au service des «Marchés», c’est-à-dire du capital financier. Cette technocratie aspire à refaire la société humaine – nos propres sociétés et celles de la planète entière – dans l’intérêt d’un certain capitalisme. Elle utilise les sanctions économiques, la propagande écrasante et la force militaire (OTAN) dans un «projet de globalisation» façonnant la vie des gens sans leur consentement.
Macron est l’incarnation même de ce système. Il a été choisi par cette célèbre élite pour mener à bien les mesures dictées par «les Marchés» et appliquées par l’Union européenne. Il ne peut pas céder. Mais maintenant que les gens sont conscients de ce qui se passe, ils ne s’arrêteront pas non plus.
Malgré le déclin regretté du système scolaire, les Français d’aujourd’hui sont aussi instruits et raisonnables que n’importe quelle population peut l’être. S’ils sont incapables de démocratie, alors la démocratie est impossible. A suivre …    •

*    Diana Johnstone, née en 1934, a fait des études de sciences régionales russes/slavistique et a obtenu un doctorat en littérature française. Elle vit depuis de nombreuses années à Paris et travaille comme journaliste indépendante pour divers médias américains et internationaux. Elle est auteure de plusieurs livres, entre autres «The Politics of Euromissiles: Europe’s Role in America’s World», «Fools’ Crusade: Yugoslavia, Nato and Western Delusions» (en version française «Yougoslavie, première guerre de la mondialisation»), «Queen of Chaos: The Misadventures of Hillary Clinton», (en version française «Hillary Clinton: la reine du chaos»). En dernier, elle a rédigé la préface et les commentaires accompagnant les mémoires de son père Paul H. Johnstone, ancien analyste dirigeant du Strategic Weapons Evaluation Group (WSEG) au Pentagone, intitulées «From Mad to Madness».

Source: Le Grand Soir du 10/1/19 https://www.legrandsoir.info/gilets-jaunes-en-2019-democratie-francaise-morte-ou-vivante.html

(Traduction par Viktor Dedaj pour Le Grand Soir)

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