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mardi, 12 février 2019

Les objectifs de démocratie directe des Gilets jaunes

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Faire revivre la démocratie

Les objectifs de démocratie directe des Gilets jaunes

par Diana Johnstone*

Ex: http://www.zeit-fragen.ch/fr

Dans les médias, les Gilets jaunes sont souvent dénigrés comme étant des casseurs incendiant des voitures et détruisant des magasins. En réalité, ils luttent pour un droit fondamentalement démocratique: celui de la participation. Diana Johnstone décrit la renaissance de l’obstination démocratique et des tentatives de l’establishment de l’étouffer.

 

Démocratie française, morte ou vivante?

Ou peut-être faudrait-il dire, enterrée ou ressuscitée? Parce que pour la masse des gens ordinaires, loin des centres politiques, financiers et médiatiques du pouvoir à Paris,
la démocratie est déjà moribonde, et leur mouvement est un effort pour la sauver. Depuis que Margaret Thatcher a décrété qu’«il n’y a pas d’alternative», la politique économique occidentale est menée par des technocrates au profit des marchés financiers, tout en affirmant que les bénéfices se répercuteront sur la population. Mais ces bénéfices sont en grande partie taris, et les gens sont fatigués de voir leurs besoins et leurs souhaits totalement ignorés par une élite qui «sait mieux».
Le discours du président Emmanuel Macron à la nation à l’occasion de la Saint-Sylvestre a clairement indiqué qu’après
une tentative peu convaincante de jeter quelques miettes au mouvement de protestation des Gilets jaunes, il a décidé de jouer aux durs.
La France entre dans une période de turbulences. La situation est très complexe, mais voici quelques points pour vous aider à comprendre de quoi il s’agit.

Les méthodes

Les Gilets jaunes se rassemblent dans des endroits bien visibles: les Champs-Elysées à Paris, les places principales dans les autres villes et les nombreux ronds-points à la périphérie des petites villes. Contrairement aux manifestations traditionnelles, les marches à Paris ont été bon enfant et spontanées, les gens se promenant et se parlant entre eux, sans chefs ni discours.
L’absence de dirigeants est inhérente au mouvement. Tous les politiciens, même les plus sympathisants, sont méfiants et personne ne cherche un nouveau leader. Les gens organisent leurs propres réunions pour dresser leurs listes de doléances et de revendications.
Dans le village de Commercy, en Lorraine, à une demi-heure de route de Domrémy où est née Jeanne d’Arc, les habitants se rassemblent pour lire leur proclamation. Six d’entre eux lisent à tour de rôle, un paragraphe chacun, indiquant clairement qu’ils ne veulent pas de dirigeants, pas de porte-parole spécial. Ils trébuchent parfois sur un mot, ils n’ont pas l’habitude de parler en public comme les têtes qui parlent à la télé. Leur «deuxième appel» des Gilets jaunes de Commercy invite d’autres à venir à Commercy les 26–27 janvier pour une «assemblée des assemblées».

Les revendications

Les personnes qui sont sorties pour la première fois dans la rue avec des gilets jaunes le 17 novembre dernier protestaient ostensiblement contre une hausse des taxes sur l’essence et le diesel qui frapperait le plus durement les habitants des campagnes françaises. Obsédé par l’idée de favoriser les «villes du monde», le gouvernement français a pris des mesures les unes après les autres au détriment des petites villes et des villages et des populations qui y vivent. C’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le mouvement est rapidement passé à la question fondamentale: le droit des citoyens à avoir leur mot à dire sur les mesures prises qui affectent leur vie. En un mot, la démocratie.
Depuis des décennies, les partis de gauche et de droite, quels que soient leurs discours de campagne, poursuivent, une fois arrivés au pouvoir, des politiques dictées par «les marchés». C’est pourquoi les gens ont perdu confiance en tous les partis et en tous les politiciens et exigent de nouvelles manières de faire entendre leurs revendications.
La taxe sur les carburants a été vite oubliée, car la liste des revendications s’est allongée. Les critiques du mouvement font remarquer qu’il est tout à fait impossible de répondre à tant de revendications. Qu’il ne sert à rien de prêter attention aux revendications populaires, parce que les gens stupides revendiquent tout et son contraire.
La réponse à cette objection se trouve dans ce qui s’est rapidement imposé comme la seule revendication dominante du mouvement: le Référendum sur l’initiative citoyenne (RIC).

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Le référendum

Cette revendication illustre le bon sens du mouvement. Plutôt que de faire une liste de «revendications», les Gilets jaunes se contentent de demander que le peuple puisse choisir, et le référendum est la voie à suivre. L’exigence est qu’un certain nombre de signataires – peut-être 700 000, peut-être plus – puissent obtenir le droit d’organiser un référendum sur une question de leur choix. Le droit à un RIC existe en Suisse, en Italie et en Californie. L’idée horrifie tous ceux dont le métier est de savoir mieux que les autres. Si les gens votent, ils voteront pour toutes sortes de choses absurdes, font-ils remarquer avec un frisson.
Etienne Chouard, un modeste enseignant d’un collège marseillais, développe depuis des décennies des idées sur la manière d’organiser la démocratie directe, avec le référendum en son centre. Son heure est arrivée avec les Gilets jaunes. Il insiste sur le fait qu’un référendum doit toujours être organisé après un long débat et un temps de réflexion, afin d’éviter les décisions émotionnelles spontanées. Un tel référendum exige des médias honnêtes et indépendants n’étant pas tous soumis à des intérêts particuliers. Il faut s’assurer que les politiciens qui font les lois suivent la volonté populaire exprimée dans le référendum. Tout cela suggère la nécessité d’une convention constitutionnelle populaire.
Le référendum est un point amer en France, une puissante cause sous-jacente et silencieuse de l’ensemble du mouvement des Gilets jaunes. En 2005, le Président Jacques Chirac (de façon imprudente, de son point de vue) a appelé à un référendum populaire sur la ratification du projet de Constitution de l’Union européenne, certain qu’il serait approuvé. La classe politique, à quelques exceptions près, est entrée dans la rhétorique, promettant un avenir prospère en tant que nouvelle puissance mondiale en vertu de la nouvelle Constitution et avertissant que, sinon, l’Europe pourrait être plongée de nouveau dans les deux guerres mondiales précédentes. Cependant, les citoyens ordinaires ont organisé un mouvement extraordinaire d’auto-éducation populaire, où des groupes se réunissaient pour se plonger dans les documents juridiques intimidants, en expliquant ce qu’ils signifiaient et ce qu’ils impliquaient. Le 29 mai 2005, avec un taux de participation de 68%, les Français ont voté à 55% contre le projet de Constitution. Seule Paris a voté massivement en sa faveur.
Trois ans plus tard, l’Assemblée nationale – c’est-à-dire les politiciens de tous les partis – a voté pour adopter pratiquement le même texte, qui est devenu en 2009 le Traité de Lisbonne. Ce coup porté à la volonté populaire clairement exprimée a produit une telle désillusion que beaucoup s’étaient éloignés de la politique avec un sentiment d’impuissance. Les voilà qui reviennent.

La violence

Dès le début, le gouvernement a réagi avec violence – une volonté évidente de provoquer une réaction violente afin de condamner le mouvement comme violent.
Une armée de policiers, habillés comme des robots, ont encerclé et bloqué des groupes de Gilets jaunes pacifiques, les noyant dans des nuages de gaz lacrymogènes et tirant des flash balls directement sur les manifestants, blessant gravement des centaines de personnes (aucun chiffre officiel). Un certain nombre de personnes ont perdu un œil ou une main. Le gouvernement n’a rien à dire à ce sujet.
Au cours du troisième samedi de protestation, cette armée de policiers n’a pas
pu empêcher – ou avait reçu l’ordre de laisser faire – à un grand nombre de voyous
ou de Black Blocs (comment savoir?) d’infiltrer le mouvement et de détruire des biens, vandaliser des magasins, mettre le feu aux poubelles et aux voitures en stationnement, fournissant aux médias du monde entier des images censés démontrer que les Gilets jaunes sont dangereusement violents.
Malgré toutes ces provocations, les Gilets jaunes sont restés remarquablement calmes et déterminés. Mais il y a forcément quelques personnes qui perdent leur sang-froid et essaient de se défendre.

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Le boxeur

Au cours du 8e samedi, le 5 janvier, alors qu’une escouade de policiers protégés par des boucliers de plexiglas attaquaient violemment des Gilets jaunes sur un pont au-dessus de la Seine, un grand gaillard s’est mis en colère, est sorti de la foule et a lancé l’attaque. Avec ses poings, il a repoussé un policier et a fait reculer les autres. Cette scène étonnante a été filmée. On pouvait voir des Gilets jaunes qui essayaient de le retenir, mais Rambo était déchaîné.
Il s’appelle Christophe Dettinger, un Rom français, ancien champion de France de boxe mi-lourd. Son surnom est «le Gitan de Massy». Il s’est éloigné de la scène, mais a fait une vidéo avant de se présenter à la police. «J’ai mal réagi», a-t-il dit, quand il a vu la police attaquer des femmes et d’autres personnes sans défense. Il a exhorté le mouvement à aller de l’avant pacifiquement.
Dettinger risque sept ans de prison. En un jour, son fonds de défense avait recueilli 116 433 euros. Le gouvernement a fait fermer le fonds – sous je ne sais quel prétexte juridique. Une pétition circule maintenant en son nom.

La calomnie

Dans son discours du Nouvel An, Macron a réprimandé avec condescendance son peuple en lui disant que «vous ne pouvez pas travailler moins et gagner plus» – comme s’ils aspiraient tous à passer leur vie sur un yacht et à regarder les cours des actions monter et descendre. Puis il a fait sa déclaration de guerre:
«J’ai vu ces derniers temps des choses impensables et entendu l’inacceptable.» Faisant apparemment allusion aux quelques politiciens de l’opposition qui osent sympathiser avec les manifestants, il a réprimandé ceux qui prétendent «parler au nom du peuple», mais qui ne sont que «les porte-voix d’une foule haineuse, s’en prennent aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux Juifs, aux étrangers, aux homosexuels, c’est tout simplement la négation de la France!»
Les Gilets jaunes ne «s’en sont pris» à personne. C’est la police qui «s’en est pris» à eux. Les gens ont même vigoureusement protesté contre les équipes de cameramen des chaînes de télévision qui déforment systématiquement le mouvement.
Pas un mot n’a été entendu de la part du mouvement contre les étrangers ou les homosexuels. Le mot clé, c’est «Juifs».
«Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.» (Proverbe français). Aujourd’hui, quiconque veut ruiner une carrière, se venger d’un rival, déshonorer un individu ou détruire un mouvement l’accuse, lui ou elle, d’antisémitisme.
Ainsi, devant la montée du mouvement démocratique, jouer la carte de l’«antisémitisme» était prévisible. C’était statistiquement inévitable. Dans presque n’importe quel lot aléatoire de centaines de milliers de personnes, on trouvera toujours une ou deux qui ont quelque chose de négatif à dire sur les Juifs. Ce qui fera l’affaire. Les médias sont à l’affût. Le moindre incident peut être utilisé pour suggérer que le véritable motif du mouvement est de faire revivre l’Holocauste.
Cette petite chanson légèrement ironique, interprétée sur l’un des ronds-points français, met en contraste le «gentil» establishment avec le «méchant» peuple. C’est
un grand succès sur YouTube. Il donne le
ton du mouvement. Les Gentils, les Méchants.
Il n’a pas fallu longtemps pour que ce joyeux numéro soit accusé d’antisémitisme. Pourquoi? Parce qu’il était ironiquement dédié à deux des critiques les plus virulents des Gilets jaunes: la star de mai 68, Daniel Cohn-Bendit et l’ancien «nouveau philosophe» Bernard-Henri Lévy. La nouvelle génération ne les supporte pas. Mais devinez quoi, il se trouve qu’ils sont Juifs. Et hop! Antisémitisme!

La répression

ricmacaron.jpgFace à ce que le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a qualifié d’«agitateurs» et d’«insurgés» voulant «renverser le gouvernement», le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé une nouvelle «loi pour mieux protéger le droit de manifester». Sa principale mesure: punir sévèrement les organisateurs d’une manifestation dont l’heure et le lieu n’ont pas été officiellement approuvés.
En fait, la police avait déjà arrêté Eric Drouet, routier de 33 ans, pour avoir organisé une petite cérémonie de bougies en l’honneur des victimes du mouvement. Il y a eu beaucoup d’autres arrestations, mais aucune information n’a été diffusée à leur sujet. Incidemment, pendant les vacances de fin d’année, des voyous dans les banlieues de plusieurs villes ont procédé à l’incendie rituel de voitures garées, sans beaucoup d’échos dans les médias et sans grande intervention policière. Ce sont des voitures de travailleurs qui en ont besoin pour aller travailler, pas les précieuses voitures des quartiers aisés de Paris dont la destruction a provoqué un tel scandale.
Le 7 janvier, Luc Ferry, «philosophe» et ancien ministre de la Jeunesse, de l’Education et de la Recherche, a donné une interview radio sur la très respectable Radio Classique dans laquelle il déclarait: «On ne donne pas les moyens nécessaires à la police pour mettre fin à cette violence. C’est insupportable! Ecoutez franchement, quand on voit des types qui tabassent à coup de pied un malheureux policier qui est par terre. Qu’ils se servent de leurs armes, une bonne fois. Ça suffit! […] On a la quatrième armée du monde, elle est capable de mettre fin à ces saloperies!»
Ferry a demandé à Macron de faire une coalition avec les Républicains pour faire avancer ses «réformes».
Le mois dernier, dans une chronique contre le Référendum d’initiative citoyenne (RIC), Ferry écrivait que «le dénigrement actuel des experts et la critique de l’élitisme sont la pire calamité du notre époque».

L’antifa

Partout où les gens se rassemblent, les groupes soi-disants «antifascistes» poursuivent leur chasse aveugle pour traquer les «fascistes». Samedi dernier à Bordeaux, des Gilets jaunes ont dû repousser une attaque d’un groupe d’antifas.
Il est maintenant tout à fait clair (comme cela a toujours été le cas) que les autoproclamés «antifascistes» sont les chiens
de garde du statu quo. Dans leur traçage inlassable de «fascistes», l’antifa attaque tout ce qui bouge. En réalité, elle protège l’immobilisme. Et curieusement, la violence antifa est tolérée par le même Etat et la même police qui insultent, attaquent et arrêtent des manifestants plus pacifiques. En bref, l’antifa est la troupe d’assaut du système actuel.

Les médias

Soyez sceptiques. Au moins en France, les médias grand public sont fermement du côté de l’«ordre», ce qui signifie Macron, et les médias étrangers ont tendance à faire répercuter ce que les médias nationaux écrivent et disent. De plus, en règle générale, lorsqu’il s’agit de la France, les médias anglophones se trompent souvent.

La fin …

Elle n’est pas en vue. Ce n’est peut-être pas une révolution, mais c’est une révélation de la nature réelle du «système». Le pouvoir repose sur une technocratie au service des «Marchés», c’est-à-dire du capital financier. Cette technocratie aspire à refaire la société humaine – nos propres sociétés et celles de la planète entière – dans l’intérêt d’un certain capitalisme. Elle utilise les sanctions économiques, la propagande écrasante et la force militaire (OTAN) dans un «projet de globalisation» façonnant la vie des gens sans leur consentement.
Macron est l’incarnation même de ce système. Il a été choisi par cette célèbre élite pour mener à bien les mesures dictées par «les Marchés» et appliquées par l’Union européenne. Il ne peut pas céder. Mais maintenant que les gens sont conscients de ce qui se passe, ils ne s’arrêteront pas non plus.
Malgré le déclin regretté du système scolaire, les Français d’aujourd’hui sont aussi instruits et raisonnables que n’importe quelle population peut l’être. S’ils sont incapables de démocratie, alors la démocratie est impossible. A suivre …    •

*    Diana Johnstone, née en 1934, a fait des études de sciences régionales russes/slavistique et a obtenu un doctorat en littérature française. Elle vit depuis de nombreuses années à Paris et travaille comme journaliste indépendante pour divers médias américains et internationaux. Elle est auteure de plusieurs livres, entre autres «The Politics of Euromissiles: Europe’s Role in America’s World», «Fools’ Crusade: Yugoslavia, Nato and Western Delusions» (en version française «Yougoslavie, première guerre de la mondialisation»), «Queen of Chaos: The Misadventures of Hillary Clinton», (en version française «Hillary Clinton: la reine du chaos»). En dernier, elle a rédigé la préface et les commentaires accompagnant les mémoires de son père Paul H. Johnstone, ancien analyste dirigeant du Strategic Weapons Evaluation Group (WSEG) au Pentagone, intitulées «From Mad to Madness».

Source: Le Grand Soir du 10/1/19 https://www.legrandsoir.info/gilets-jaunes-en-2019-democratie-francaise-morte-ou-vivante.html

(Traduction par Viktor Dedaj pour Le Grand Soir)

dimanche, 21 janvier 2018

Yvan Blot: La démocratie directe

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La démocratie directe
par Yvan Blot
Ex: http://www.oragesdacier.info
 
Le lien entre la démocratie et la nation est exprimé notamment dans l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui figure dans nos textes constitutionnels : "le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément."
 
L'article 3 de la Constitution, lui, exprime le refus de toute oligarchie : "la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice."
 
L'article 4 précise même l'intention des partis politiques : "ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie" : le font-ils réellement ? On sait que les partis sont des structures oligarchiques où la direction impose sa volonté aux militants et non l'ivresse. De plus, les partis se sont opposés souvent à la démocratisation des institutions, montrant souvent une hostilité réelle à l'égard du référendum. Quant à la souveraineté, ce n'est pas leur préoccupation première comme le montre le fait qu'ils ont accepté de contourner le référendum sur la constitution européenne où le peuple avait clairement dit "non". Le Général de Gaulle avait critiqué le régime des partis qui avait mis la France hors d'état de résister à l'armée allemande en 1940.
 
Autrement dit, les principes constitutionnels de la démocratie directe existent en France mais ne sont pas appliqués. Et l'on s'étonne que beaucoup de Français montrent de la méfiance à l'égard des institutions politiques, de 40% de confiance dans le parlement à 12% seulement de confiance pour les partis politiques ! 
 
Si l'on veut combler le fossé entre les gouvernants et le peuple, il faut que les gouvernants renoncent à l'oligarchie de fait et acceptent d'introduire en France la démocratie directe comme beaucoup de nos voisins.
 
Extension géographique
 
La démocratie directe qui permet au peuple, et pas seulement à ses représentants élus, d'abroger ou d'adopter des lois, est encore très minoritaire dans le monde. C'est la démocratie représentative pure, où seuls les représentants élus du peuple adoptent formellement les lois, qui demeure encore la règle de droit commun.
     
La démocratie directe fonctionne depuis 1848 en Suisse (au niveau fédéral, cantonal et local) et aux États-Unis (au niveau de 27 États fédérés sur 50 et au niveau local). Le petit Liechtenstein la pratique aussi ainsi que l'Uruguay en Amérique latine. Depuis 1970, le référendum d'initiative populaire pour abroger une loi existe en Italie. Depuis la réunification allemande du 3 octobre 1990, la démocratie directe a été progressivement introduite dans tous les Länder allemands et souvent aussi au niveau communal. Peu à peu, la démocratie directe gagne en extension.
 
Outils de la démocratie directe
 
Il y a deux outils essentiels, le référendum veto et l'initiative populaire, un frein et un moteur.
     
Le référendum veto consiste à permettre au peuple d'annuler une loi votée par le parlement. Il faut une pétition de citoyens (50 000 en Suisse, 500 000 en Italie) qui demande l'annulation de la loi. Si le nombre minimum de signatures est atteint, un débat est lancé et le référendum populaire a lieu environ six mois plus tard. Si le non l'emporte, la loi est annulée. Si le "oui" l'emporte, la loi est confirmée. C'est un frein pour s'assurer que les élus ne votent pas une loi que la majorité des citoyens réprouve, ce qui peut arriver compte tenu des puissants lobbies qui font aujourd'hui pression sur le gouvernement ou le parlement. C'est un moyen de redonner la parole aux citoyens non organisés en lobbies, en groupes de pression.
     
L'initiative populaire est une pétition pour soumettre au référendum un projet de loi voulu par les citoyens signataires sur un sujet que le gouvernement ou le parlement ignorent ou ont peur d'aborder. En Suisse, le chiffre pour qu'une pétition soit valable a été relevé à 100 000 signatures. Aux États-Unis, le chiffre à atteindre est un pourcentage des électeurs, et il varie selon les États. Si le nombre de signatures est atteint, un débat est organisé sur les médias et le parlement donne son avis sur le projet en question. Il peut aussi rédiger un contre-projet qui sera soumis le même jour au référendum. Ainsi, le parlement n'est nullement mis à l'écart. La démocratie directe organise plutôt une saine concurrence entre les citoyens et les élus pour faire les lois : personne ne doit être exclu alors que la démocratie représentative pure exclut les citoyens de la fonction législative.

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Des études universitaires très poussées en Suisse, en Allemagne, aux États-Unis notamment ont montré que les décisions du peuple étaient toujours modérées et raisonnables. Par exemple, les Suisses ont rejeté des mesures démagogiques comme l'adoption des 35 heures ou bien la suppression de l'armée. 
    
Sur le plan des finances publiques, les travaux des professeurs Feld et Kirchgässner ont montré en étudiant les résultats des référendums financiers aux États-Unis et dans les cantons suisses que là où la démocratie directe existe; les impôts et les dépenses publiques sont un tiers plus bas que dans les pays où la démocratie est purement représentative. L'endettement public est de moitié plus faible. Ce résultat est d'une extrême importance à la fois pour le respect de la liberté de chacun que pour accroître la liberté de tous.
 
Plus généralement, la démocratie directe permet au peuple de faire de libres choix, hors des canaux réducteurs des consignes des partis politiques. Comme le dit Michael Barone dans sa préface au livre de Patrick Mc Guigan, The Politics of Direct Democracy : "Peut-être le meilleur argument classique en faveur de la démocratie directe est qu'elle permet de prendre en considération dans la décision politique des problèmes qui étaient ignorés pour des raisons institutionnelles ou idéologiques."
 
Yvan Blot, L'oligarchie au pouvoir

mardi, 19 décembre 2017

Droit naturel et souveraineté populaire: la conception de la démocratie de Troxler

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Droit naturel et souveraineté populaire, composantes essentielles de la démocratie en Suisse

Ex: http://www.zeit-fragen.ch/fr

La conception de la démocratie d’Ignaz Paul Vital Troxler

Par René Roca, Institut de recherche sur la démocratie directe

Paru dans Zeit fragen | N° 31, 11 décembre 2017

(voir également: Robert Steuckers, "Ignaz Paul Vital Troxler - 1780-1866":

http://robertsteuckers.blogspot.be/2014/01/ignaz-paul-vit... ).

2016 a été l’année commémorative de Troxler. Le 6 mars 1866, soit 150 ans auparavant, mourait Ignaz Paul Vital Troxler (né en 1780). Il avait été médecin, philosophe, pédagogue et homme politique, et dans tous ces domaines ses activités avaient été placées sous le signe de l’excellence. Durant cette année, plusieurs évènements ont été consacrés aux diverses activités de Troxler. On trouvera les comptes-rendus, rapports et autres documents sur le site ww.troxlergedenkjahr2016.ch. Tout l’honneur revient à l’association «Année commémorative de Troxler» et plus particulièrement à Franz Lohri, d’avoir rendu hommage à l’occasion de l’année commémorative, à une personnalité suisse bien trop oubliée mais dont la pensée n’a cependant rien perdu de son actualité ni de sa profondeur. Les recherches sur l’œuvre gigantesque de Troxler se poursuiv­ront.

Le texte ci-dessous correspond à la version écrite d’une conférence tenue par l’auteur, dans le cadre d’un symposium organisé dans l’ancien cloître Saint-Urban {canton de Lucerne), sur l’œuvre de Troxler. La première partie de ce texte met en lumière quelques aspects de sa vie et de l’élaboration de sa philosophie du droit et sa philosophie de l’Etat basées sur le droit naturel. La seconde partie, consacrée à la définition donnée par Troxler de la souveraineté populaire et de sa conception de la démocratie, suivra dans l’un des prochains numéros d’«Horizons et débats».

Première Partie

Introduction

Troxler était un véritable citoyen. Dans tous les domaines où il a exercé, que ce soit comme médecin, philosophe, pédagogue ou comme homme politique, il ne s’est pas arrêté à la théorie, mais s’est consacré à la pratique, à la mise en activité. «Ressentir sans agir, c’est ne vivre qu’à moitié»,2 tel était le credo auquel il s’est conformé toute sa vie. Il était profondément convaincu du fait que l’accomplissement de l’être humain résidait dans l’alliance entre la vie contemplative et la vie active (Vita contemplativa et Vita activa) dans le sens de leur utilisation pour le «Bonum commune», le bien public.

En conséquence de cet état d’esprit, Troxler ne fut jamais un «intellectuel de salon», mais il connut dans sa chair, à cause de ses opinions politiques, la fuite et l’exil avec les siens. Par deux fois, il perdit des postes prometteurs. Il aurait pu se tenir tranquille et se consacrer à sa carrière académique. Il ne put cependant agir autrement, intervint courageusement dans les débats politiques de son temps et remit tout en jeu. Qu’il ait pu malgré tout réussir à trouver tout de même le temps et l’endroit propices à l’indispensable concentration nécessaire à la rédaction d’un livre ou de ses nombreux articles, est extraordinaire! Troxler y parvint grâce au soutien de sa femme et à un large réseau de contacts en Suisse et en Europe. Il aurait certainement désiré écrire davantage et avait constamment de nombreux projets de livres en tête. Dès qu’il posait des réflexions sur le papier, cela attirait l’attention des spécialistes en la matière et des hommes politiques, stimulant les discussions et les recherches approfondies. Troxler ne pouvait que très rarement compter sur la solidarité universitaire et le soutien de ses pairs, mais il réussit pourtant toujours à mener à bien ses projets littéraires – comme par exemple la «Doctrine philosophique du droit» – même si cela n’était toutefois pas au niveau ni à la mesure souhaités. C’est donc méconnaître les circonstances de son existence et le contexte historique de son temps que de lui reprocher «superficialité» et «partialité».3

Troxler était croyant, chrétien et catholique et défendait avec la plus grande véhémence le progrès démocratique. Il est difficile de le catégoriser sur le plan politique. Les uns ne voient en lui que le démocrate radical et méconnaissent ou ignorent ses liens avec le conservatisme, les autres le rangent parmi les conservateurs en ignorant ses aspirations au progressisme. Troxler était sans aucun doute une personnalité qui plaçait la liberté individuelle au centre de ses réflexions, sans pour cela abandonner ses convictions chrétiennes. Dans sa conception de l’humanité, il alliait christianisme et modernisme au sein du droit naturel dans sa quête de la vérité. Certains de ses professeurs et de ses compagnons de route avaient formé et influencé ces opinions.

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Importance du catholicisme réformateur

Troxler accomplit ses études supérieures au Lyzeum de Lucerne. C’est là que deux enseignants le marquèrent particulièrement, Franz Regis Krauer (1739–1806) et Thaddäus Müller (1763–1826), tous deux adeptes du catholicisme éclairé et de la réforme de l’Eglise, soulignant l’importance d’un enseignement et d’une éducation moderne.

En 1756, Krauer avait rejoint l’Ordre des Jésuites et était devenu en 1769 professeur de rhétorique et de poésie des deux classes terminales du collège des jésuites de Lucerne. Bien que l’ordre des Jésuites ait été supprimé en 1773, Krauer enseigna presque jusqu’à sa mort dans le collège entretemps nationalisé. En tant que représentant du catholicisme réformateur, il prit la défense d’une école moderne, et avec le concours de Joseph Ignaz Zimmermann participa à la rénovation des cours d’allemand et de littérature. Il était également en contact avec son frère Nivard Krauer, dont la renommée de pionnier de la réforme de l’enseignement populaire au cloître Saint-Urban, était grande. Ce dernier était devenu directeur de la première école normale de Suisse.4 Saint-Urban et l’influence qu’il exerçait, provoquèrent en Suisse – à l’encontre de la perception historique courante – un «grand bond en avant de l’éducation» des catholiques.5

De 1789 à 1796, Müller enseigna la rhétorique au Gymnase et au Lycée de Lucerne, puis devint de 1796 à 1826 curé de cette même ville et pendant un certain temps, commissaire épiscopal. C’était également un représentant du catholicisme réformateur, perçu comme un adepte convaincu de la République helvétique. Müller s’engagea intensément dans la mise en œuvre des réformes religieuses du vicaire général de Constance Ignaz Heinrich von Wessenberg. Dans tout le canton de Lucerne et au-delà, il jouissait d’un grand respect et fut en 1810 cofondateur de la Schweizerische Gemeinnützige Gesellschaft, la Société suisse d’utilité publique.6


Dans cet environnement stimulant, Troxler se façonna une conception de l’homme et du monde définissant la science dans une perspective républicaine-démocratique, au service d’une humanité chrétienne et selon l’esprit de liberté. Cela donna, sur le modèle de Krauer et Müller, une grande importance à l’éducation et à la formation. Durant toute sa longue existence et allant totalement dans le sens du catholicisme réformateur, Troxler en appela toujours à la tolérance religieuse. Ainsi en 1841, pendant les conflits constitutionnels à Lucerne, déplora-t-il qu’on veuille avec la nouvelle Constitution exclure les non-catholiques de la citoyenneté cantonale. Une telle intolérance «détruit le lien tissé entre les deux communautés chrétiennes par la paix religieuse et exclut comme des pestiférés – selon l’expression de l’un des Suisses parmi les plus nobles – les confédérés protestants des autres cantons de la citoyenneté et des droits cantonaux et locaux des ‹catholicisés›».7


Cette «furie de la discorde» est une «destruction peu chrétienne et inhumaine de la plus haute liberté individuelle – la liberté des cultes et de la conscience».8

Troxler – l’Helvétique sceptique

Dans ses jeunes années, Ignaz Paul Vital Troxler avait accueilli avec enthousiasme les idées de la Révolution française – notamment grâce à l’enseignement de ses professeurs à Lucerne. Il était convaincu qu’après les transformations suite à la République helvétique de 1798, on en viendrait, en Suisse aussi, à la révolution. C’est ainsi qu’il interrompit ses études et se mit au service de l’Etat helvétique en tant que secrétaire du sous-gouverneur d’un arrondissement lucernois. Mais bientôt, les exactions de l’armée française et sa propre impuissance dégrisèrent le jeune fonctionnaire. Troxler quitta son service et partit étudier à Iéna. Cette première expérience politique resta pour lui marquante. D’une part, il s’en tenait fermement aux idées de la Révolution française et à son éveil à la liberté, d’autre part, les vicissitudes et l’arbitraire de la politique le remplissaient d’«horreur et de dégoût».9

Au cours des décennies suivantes, Troxler développa les prémisses d’une philosophie du droit et d’une philosophie de l’Etat. Il s’agissait de relier les traditions démocratiques (pré-)helvétiques avec les résultats de la Révolution française, et donc au droit naturel moderne et au principe de souveraineté du peuple. Désormais, la maxime favorite de Troxler était de mettre ces théories en pratique, ce à quoi il se consacra avec intransigeance et combativité.

En 1814, il soutint l’opposition à la réintroduction des principes aristocratiques à Lucerne. Il y développa un concept politique qu’il adaptait et affinait en permanence, et chercha à argumenter de façon théorique. Il rédigea ainsi une supplique, lança une pétition populaire et encouragea la résistance par la base. Pour Troxler, l’implication populaire à grande échelle était essentielle. Au cours des années qui suivirent, il agit toujours de la même façon et soutint l’organisation d’assemblées publiques rurales pour concrétiser l’initiative politique. Troxler fut l’un des premiers en Suisse à exiger l’élection d’un Conseil constitutionnel, donc d’une réunion constituante dans le cadre d’un bouleversement politique. En aucun cas, le pouvoir législatif en poste (à Lucerne le Grand Conseil) qui, dans de nombreux cantons restaurés avait été désigné en partie de façon indirecte et au moyen d’un mode de suffrage manquant d’égalité (suffrage censitaire), ne devait élaborer une nouvelle Constitution. Il fallait laisser à de nouvelles forces politiques la possibilité de se faire élire au Conseil constitutionnel par un vote direct sans inégalités dans l’éligibilité des citoyens afin de lancer un renouveau cantonal. L’objectif était de mettre sous pression à la fois le gouvernement cantonal et le Parlement. Le Conseil constitutionnel élu ne pouvait cependant pas siéger dans le secret et de manière cloisonnée, mais devait donner à la population la place nécessaire pour susciter des propositions et des souhaits au sein du processus constitutionnel par le biais des pétitions. Dans plusieurs cantons, on réussit à développer ce processus politique et à finaliser avec lui des expériences fondamentales pour les débats démocratiques à venir.10

Troxler apporta ainsi une contribution importante à une culture politique reliée consciemment aux traditions helvétiques, tels que le principe coopératif et la «landsgemeinde». Il parlait à ce propos du «sens d’une confédération éternelle, comme les vrais confédérés l’ont décrite»11 et posait ainsi les bases intellectuelles et pratiques du développement ultérieur de la démocratie directe. Parallèlement, il s’impliquait avec force en faveur de la liberté de la presse, laquelle devait offrir la garantie de faciliter les luttes politiques dans l’espace public. Il rédigeait – en partie sous couvert d’anonymat – presque continuellement des articles pour les quotidiens et les hebdomadaires suisses, des pamphlets et des articles scientifiquement argumentés pour les journaux.12

En conséquence de son engagement politique, Troxler fut plusieurs fois contraint à l’exil dans le canton d’Argovie, plus libéral. A partir de 1823, c’est là qu’en plus de son cabinet médical, il se consacra bénévolement à l’enseignement au sein du «bürgerlicher Lehrverein», la société d’enseignement citoyen. Il dispensait aux élèves et aux étudiants, les «camarades d’enseignement» les connaissances théoriques aussi bien que l’indispensable mise en pratique. On prit de plus en plus conscience des fruits de son activité pédagogique et politique quand, en 1830, il fut nommé à la chaire de philosophie de l’Université de Bâle. A l’époque des transformations politiques de la Régénération après 1830, plusieurs parmi les quelques 200 camarades d’enseignement jouèrent un rôle central. Ils posèrent les fondements républicains pour la Suisse et en consolidèrent les structures démocratiques. Troxler soutint à Bâle – selon ses convictions politiques – la légitimé des prérogatives de Bâle-Campagne par rapport à Bâle-Ville. Ce fut l’un de ses anciens élèves qui lança le débat dans le demi-canton de Bâle-Campagne. Son engagement en faveur de la liberté et de la démocratie lui coûta une fois de plus ses fonctions d’enseignant. De nouveau exilé en Argovie, il s’engagea par la suite en faveur des mouvements révolutionnaires dans divers cantons, dont Lucerne. Là, il soutint, selon ses idées politiques et «animé du sens de la liberté et de l’esprit de coopération lesquels sont innés dans chaque âme suisse»,13 l’organisation des réunions populaires et la rédaction de pétitions et exigea, dans ses articles journalistiques et dans des tracts, un Conseil constitutionnel librement élu.14
Troxler ne voulait cependant pas limiter la volonté de changement au seul niveau cantonal et s’était depuis longtemps déjà attelé à la révision du Pacte fédéral et à la création de l’Etat fédéral. Il le basait sur son concept de la démocratie (cf. ci-dessous) qu’il perfectionna au cours des années 1830. Selon lui, il était essentiel de renforcer les droits du peuple afin d’établir une démocratie «pure» et une «véritable souveraineté populaire».15


Après sa nomination à l’Université de Berne en 1839, Troxler ne représenta plus la modernité, professa une philosophie anti-hégélienne, fut de plus en plus ignoré par ses collègues et ne s’exprima plus que rarement en public.

Cependant, lors du renouvellement de la Confédération de 1848, il intervint une fois encore de façon décisive dans les débats. Troxler défendait depuis longtemps déjà l’idée d’un Etat fédéral doté d’un bicamérisme sur le modèle des Etats-Unis. Son ouvrage à ce sujet «La Constitution des Etats-Unis d’Amérique du Nord, un modèle pour la réforme fédérale suisse»16 fut diffusé par l’un de ses anciens élèves lors de la consultation décisive de la commission compétente. Pour Troxler, il s’agissait d’un compromis entre la souveraineté cantonale et le gouvernement central sur le modèle helvétique, donc entre la Confédération et l’Etat unitaire: «On doit partir de l’idée d’une Confédération négociant entre les deux extrêmes, celui d’un Etat fédéral avec un rapport organique entre l’indépendance cantonale et la dépendance fédérale».17 Cette idée devint réalité, et Troxler marqua ainsi également l’Etat fédéral suisse de son empreinte.

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Le droit naturel, une pierre angulaire

Troxler relia sa philosophie du droit et de l’Etat au droit naturel. En 1816, il publia à Aarau une nouvelle revue, Das Schweizerische Museum [le Musée suisse]. Certes, la revue ne perdura pas plus de deux ans, mais elle fut tout à fait fondamentale pour Troxler concernant son débat avec la République helvétique. Il y publia lui-même des traités de philosophie du droit et de l’Etat relatifs à des sujets tels que «L’idée de l’Etat et la nature de la représentation populaire», «Sur la liberté de la presse en général et en relation particulière avec la Suisse» ainsi que «Sur les notions fondamentales du système de représentation».18

Ces textes, au centre desquels se trouve l’idée de liberté, furent considérés comme un manifeste important du pré-libéralisme. La liberté d’esprit absolue, dont dérive tout le reste, représentait pour Troxler le «droit fondamental» majeur, et donc, la liberté de la presse avait un rôle éminent. A l’époque, il écrivit dans une lettre: «La liberté de la presse est, pour l’instant, comme vous le trouverez vous aussi, ce qu’il y a de plus important. Si nous la conquérons, nous aurons tout gagné».19 Les articles de Troxler dans le Schweizerisches Museum étaient pour celui-ci autant de références servant de base à l’une de ses œuvres maîtresses. Ce traité, la «Doctrine philosophique du droit de la nature et de la loi en prenant en compte les hérésies du libéralisme et de la légitimité»,20 rattache le droit naturel aux valeurs éthiques du christianisme.

Dans la préface, Troxler décrit ce qui l’a poussé à rédiger ce texte: «Depuis des années, je suis fortement attiré par le processus du développement humain au sein de l’Etat – pas juste l’Etat per se.»21 Il définit sa position philosophique, conformément à son sous-titre, par des principes, «tout aussi éloignés de ceux exposés dans le Contrat social de notre Rousseau, que de ceux qu’on peut trouver chez notre Haller».22 Troxler veut tracer par là «une sorte de ligne médiane» et n’a aucun scrupule à se placer «dans l’indépendance et l’impartialité, dans le patriotisme et l’enthousiasme pour la liberté à côté des penseurs cités».23
Dans son introduction, Troxler met en évidence qu’il interprète le droit naturel d’une manière anthropologique:
«La doctrine philosophique exige à bon droit et selon sa nature, une loi intérieure, laquelle détermine d’elle-même, hors de toutes les conditions prérequises, sans facteurs limitants, ce qui est juste et injuste.»24

Et plus loin:
«Cette loi doit être une loi naturelle, mais puisque dans notre mission l’homme est son propre sujet, il ne peut y avoir une autre loi naturelle, que celle venant de la nature humaine et se rapportant à elle. Tout homme doit porter en lui-même cette loi (telle une loi morale).»25
Troxler parle à ce propos de l’«état de nature légal de la personne humaine» et d’une législation interne à l’être humain, qu’il assimile à la conscience. Pour lui, la doctrine philosophique du droit «est équivalente au droit rationnel ou au droit naturel».26
La doctrine du droit s’impose dans l’Etat, non pas comme une simple idée ou un idéal flou, mais comme une véritable loi de la nature, orientant et réformant toute la législation positive en tout temps et en tout lieu. Le droit positif a ainsi besoin d’un fondement sur le droit naturel. Pour Troxler, cette relation était fondamentale et il s’opposait à l’absolutisme tant du droit naturel (Rousseau) que du droit positif (Haller). En outre, il soulignait que la loi de la nature, ainsi qu’il la définissait, était une «loi de la nature divine».27 C’est ainsi qu’il associa le droit naturel chrétien au droit naturel moderne et se rattacha à une tradition déjà fondée au XVIe siècle par l’Ecole de Salamanque.

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L’Ecole de Salamanque était indiscutablement caractéristique de l’époque de la scholastique espagnole tardive et posa la base pour relier le droit naturel moderne et chrétien. Cette école devint un bastion de la résistance au «droit divin», donc cette position légitimiste que Karl Ludwig von Haller se réappropria au début du XIXe siècle pour la propager, et contre laquelle Troxler s’opposa avec sa «doctrine du droit». L’école de Salamanque avait déjà franchi le pas entre le droit naturel et la doctrine des droits de l’homme. Les penseurs éclairés du XVIIIe siècle purent ainsi continuer leur action sur cette base.28

De façon presque simultanée à Jean Bodin (1529/30–1596) développant alors sa théorie de la souveraineté, l’Ecole de Salamanque lança le débat sur le droit naturel et le droit international. Pour Bodin, le droit naturel chrétien constituait une limite claire, à présent élargie par les représentants de l’Ecole de Salamanque. Ils réussirent ainsi à présenter leur argumentation sur le droit naturel avec une approche très libre et en partie nouvelle de la tradition théologique.29

La découverte et la conquête de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud par les Espagnols et les Portugais, les transformations économiques induites par le basculement du Moyen-Age européen vers les temps modernes ainsi que l’humanisme et la Réforme en composaient l’arrière-plan historique. Les valeurs traditionnelles de l’Eglise catholique romaine furent ainsi, au début du XVIe siècle, l’objet de pressions toujours croissantes et il devint indispensable de définir une véritable éthique coloniale ainsi qu’une nouvelle éthique économique. Cela signifiait la rupture des représentations médiévales de l’être humain et de la communauté ainsi que de leurs relations mutuelles.30

Le juriste et humaniste espagnol Fernando Vázquez de Menchaca (1512–1569) se rapportait à la tradition chrétienne du droit naturel définie par Thomas d’Aquin. Dans cette tradition, on partait de l’idée de la supériorité et de la validité éternelle de la loi divine sur le droit positif. Tout en haut, on trouvait la lex aeterna, la loi éternelle établissant le pouvoir divin, puis venait la lex divina, la loi divine, que Dieu avait transmise directement à l’humanité par les Ecritures. Pour finir, il y avait la lex naturalis, la loi naturelle, que Dieu avait inspiré aux êtres humains pour qu’ils soient en mesure de reconnaître le plan de l’univers. C’était exactement ce que pensait Troxler lorsqu’il parlait de la «loi intérieure» et professait que tout était déjà présent dans la nature humaine, et devait être développé par la formation et l’éducation de la conscience.
Vázquez expliquait que le droit naturel chrétien contenait déjà en lui la représentation de la nature de la raison de l’être humain.31 Cette représentation était le point de contact décisif pour le développement ultérieur du droit naturel laïque moderne.

La référence à Thomas d’Aquin donnait à Vázquez et aux autres représentants de l’Ecole de Salamanque la possibilité d’appréhender les problèmes les plus impératifs de leur époque en les rattachant en théorie au droit naturel chrétien. Certes, Vázquez demeurait de cette façon solidement ancré dans la tradition scholastique et pouvait ainsi argumenter – tout comme les autres représentants de l’école – dans le cadre de sa conception chrétienne fondamentale. Il rendit cependant cette tradition bénéfique pour le droit naturel moderne, fondé sur la liberté originelle et l’égalité de tous les êtres humains.32 Par la suite, Troxler s’y rallia sans toutefois mentionner explicitement les représentants de l’Ecole de Salamanque.

Salamanca._Francisco_de_Vitoria.JPGFrancisco de Vitoria (environ 1483–1546), un autre représentant de cette école, a en outre souligné la nature sociale axée sur la communauté des êtres humains qui les conduit à se regrouper volontairement en communautés. L’Etat est donc le mode d’existence le plus adapté à la nature de l’être humain. Au sein de cette communauté, l’individu peut perfectionner ses capacités, échanger avec les autres et pratiquer l’entraide. Troxler remarquait à ce propos que «la politique est la réconciliation de l’individu avec le monde».33

Ce n’est qu’ainsi, continuait Vitoria, qu’il peut, suivant ses dispositions positives ou négatives, mener une vie digne. En tant que citoyen d’un Etat, l’individu demeure un être libre, qui doit toutefois en cas de conflit subordonner son bien-être personnel au bien public de la communauté – le Bonum commune. Ce principe est également repris dans l’idée de la communauté des nations en tant que Totus orbis – c’est-à-dire des Etats égaux en droits et souverains existant côte à côte et les uns avec les autres, indépendamment de leur religion et de leur culture. Les membres individuels de la communauté des nations peuvent ainsi poursuivre non seulement leurs propres intérêts, mais ils ont également la responsabilité de la promotion du bien commun universel, le Bonum totius orbis.34

Le jésuite Francisco Suárez (1548–1617) qui enseignait notamment à l’Université de Coimbra au Portugal, marqua lui aussi de son empreinte l’Ecole de Salamanque et développa plus avant l’idée de la «souveraineté du peuple». En 1612, dans son «Traité des lois et du Dieu législateur», Suárez écrivit que Dieu était à l’origine de l’autorité étatique (souveraineté) et que l’«ensemble des communautés», donc le peuple, était le récipiendaire du droit naturel et par conséquent, le titulaire de ce pouvoir. Au rebours de la théorie du droit divin, Suarez soutenait que Dieu n’a jamais désigné un individu isolé ou un groupe particulier de personnes pour être détenteur du pouvoir public. S’il est investi du pouvoir public, le peuple peut exercer lui-même ce pouvoir ou le déléguer de son plein gré à un individu ou une entité. Suite à sa déduction de l’Etat du droit divin et du droit naturel, Suárez voyait le peuple comme la force régulatrice et structurante de l’Etat. Dans ce contexte, Suárez déclara que l’exercice du droit de résistance revenait également au peuple.35

Il était significatif pour le débat démocratique que des intellectuels, aussi bien catholiques que protestants (Luthériens et Calvinistes) se sentaient fortement concernés par le droit naturel. L’un des grands médiateurs entre les confessions chrétiennes fut Hugo Grotius (1583–1645) qui connaissait les écrits des représentants importants de l’Ecole de Salamanque. Dans ses écrits, Grotius posa les bases essentielles de la définition du droit naturel moderne et du droit international. Jean Barbeyrac (1674–1744) traduisit les œuvres de Grotius et de Samuel Pufendorf (1632–1694), instaurant ainsi les bases de l’Ecole romande du droit naturel. A la fois pour la Suisse et pour les débats tournant autour de la forme de démocratie, ce processus fut remarquable, et l’«Ecole romande» fut primordiale pour le débat sur le droit naturel moderne en Suisse. Ainsi Rousseau se fonda, lors de sa tentative de clarifier son idée de la souveraineté populaire, sur la doctrine du droit naturel d’un élève de Barbeyrac, Jean-Jacques Burlamaquis (1694–1748).36 Des aspects primordiaux concernant le droit naturel chrétien et rationnel trouvèrent ainsi leur place dans le droit constitutionnel positif, et cela en se basant sur les premières Constitutions américaines depuis 1776. C’est sur ces bases que Troxler établit son concept de démocratie fondé sur le droit naturel.

Dans la «Doctrine philosophique du droit» de Troxler, on ne trouve certes aucune mention de l’Ecole romande du droit naturel, mais il fait référence entre autres à Grotius et Pufendorf dans une courte esquisse de l’histoire du droit naturel.37    •

Par René Roca, Institut de recherche sur la démocratie directe

1)www.fidd.ch
2)Troxler, Ignaz Paul Vital. Volkssouveränität
die ächte und die falsche oder Luzerner! Was ist revolutionär?, in: Rohr, Adolf (Hg.). Ignaz Paul Vital Troxler (1780–1866), Politische Schriften in Auswahl. Zweiter Band, Bern 1989, p. 502–516,
ici p. 506
3)Gschwend, Lukas. Kommentierende Einleitung, in: Troxler, Ignaz Paul Vital, Philosophische Rechtslehre der Natur und des Gesetzes, mit Rücksicht auf die Irrlehren der Liberalität und Legitimität. Würzburg 2006, p. 11–56, ici p. 15
4)Wicki, Hans. Staat, Kirche, Religiosität. Der Kanton Luzern zwischen barocker Tradition und Aufklärung. Luzern 1990, 497f.; auch Marti-Weissenbach, Karin. Art. Franz Regis Krauer, in:
Historisches Lexikon der Schweiz (HLS), Band 7. Basel 2008, p. 429s.
5)Schmidt, Heinrich Richard. Bildungsvorsprung des Schweizer Katholizismus um 1800?. in:
Roca, René. (Hg.), Katholizismus und moderne Schweiz, Beiträge zur Erforschung der Demokratie. Band 1. Basel 2016, p. 81–94, ici p. 89–91
6)Roca, René. Bernhard Meyer und der liberale Katholizismus der Sonderbundszeit. Religion und Politik in Luzern (1830–1848). Bern 2002, p. 41–44; auch Bischof, Franz Xaver. Art.
Thaddäus Müller, in: Historisches Lexikon der Schweiz (HLS), Band 8, Basel 2009, p. 835
7)Troxler, Ignaz Paul Vital. Volkssouveränität, p. 512
8)idem.
9)Troxler, Ignaz Paul Vital. Einige Hauptmomente aus meinem Leben, in: Rohr, Adolf (Hg.).
Ignaz Paul Vital Troxler (1780–1866), Politische Schriften in Auswahl, Erster Band. Bern 1989, p. 383–393, ici p. 390
10)Roca, René. Wenn die Volkssouveränität wirklich eine Wahrheit werden soll … Die schweizerische direkte Demokratie in Theorie und Praxis –
Das Beispiel des Kantons Luzern, Zürich/Basel/Genf 2012, p. 91–93
11) Troxler, Ignaz Paul Vital. Was verloren ist, was
zu gewinnen. Rede in der Versammlung der Helvetischen Gesellschaft, in: Rohr, Alfred, Troxler, Zweiter Band, p. 39–67, ici p. 60
12)Roca, René. Ignaz Paul Vital Troxler und seine Auseinandersetzung mit der Helvetik – Von der repräsentativen zur direkten Demokratie, in:
Zurbuchen, Simone et al. (Hg.). Menschenechte und moderne Verfassung. Die Schweiz im Übergang vom 18. zum 19. Jahrhundert, Genève 2012, p. 97–106, ici p. 100s.
13) Troxler, Ignaz Paul Vital. Ehrerbietige Vorstellungsschrift an den Grossen Rath des Kantons Luzern. Eingereicht durch achtzehn Abgeordnete des Volks am 22. November 1830, in: Rohr, Adolf. Troxler, Zweiter Band, p. 177–187, ici p. 179
14)Roca, René. Ignaz Paul Vital Troxler und der Aarauer Lehrverein. Wie eine private Bildungs­anstalt die Demokratieentwicklung in der Schweiz entscheidend förderte. In: Argovia 2014, Jahres­schrift der Historischen Gesellschaft des Kantons Aargau, Band 126, Baden 2014, p. 140–154, ici
p. 150–153
15)Troxler, Ignaz Paul Vital. Volkssouveränität, p. 505
16) Troxler, Ignaz Paul Vital. Die Verfassung der Vereinigten Staaten Nordamerika’s als Musterbild der Schweizerischen Bundesreform (1848),
in: Rohr, Adolf. Troxler, Erster Band, p. 529–553
17)Troxler, Ignaz Paul Vital. Bemerkungen über den Entwurf des Grundgesetzes für den eidgenössischen Stand Luzern von dem Ausschuss des Verfassungsraths im Jahre 1841, in: Rohr. Troxler. Zweiter Band, p. 477–496, ici p. 486
18)Troxler, Ignaz Paul Vital, Artikel im «Schweizerischen Museum», in: Rohr, Adolf. Troxler, Erster Band, p. 445–568
19) Troxler an Karl August Varnhagen von Ense, 12. Mai 1816, zit. nach Rohr, Adolf. Einleitung
zu Troxlers politischem Schrifttum, Erster Band,
Bern 1989, p. 9–293, ici p. 39
20) Troxler, Ignaz Paul Vital. Philosophische Rechtslehre der Natur und des Gesetzes mit
Rücksicht auf die Irrlehren der Liberalität und Legitimität (EA: 1820), éd. v. Gschwend, Lukas. Würzburg 2006
21)idem., p. 57
22) idem.; on parle ici de l’aristocrate bernois Karl Ludwig von Haller (1768–1854), ayant donné son nom à l’époque suite à son ouvrage «Restauration der Staatswissenschaft» (1816–34). Haller tenta ainsi de légitimer l’Ancien Régime de manière rationaliste et créa avec son attaque contre l’époque moderne un programme fondamentaliste de la contre-révolution.
23) idem.
24)idem., p. 60 (mise en évidence par l’auteur)
25)idem.
26)idem.
27) idem., p. 61
28) Roca, René. Einleitung Katholizismus, p. 38–41
29)Roca, René. Volkssouveränität, p. 32–34
30)Seelmann, Kurt. Die iberische Spätscholastik als historischer Wendeprozess, in: Müller, Klaus E. (Hg.). Historische Wendeprozesse. Ideen, die
Geschichte machten, Freiburg i.B. 2003,
p. 114–127, ici p. 115s.
31)Glockengiesser, Iris. Mensch – Staat – Völkergemeinschaft. Eine rechtsphilosophische Untersuchung zur Schule von Salamanca. Bern 2011, p. 11–13
32) Seelmann, Kurt. Theologische Wurzeln des
säkularen Naturrechts. Das Beispiel Salamanca,
in: Willoweit, Dietmar (Hg.). Die Begründung
des Rechts als historisches Problem, München 2000, p. 215–227, ici p. 215–218
33)Troxler, Ignaz Paul Vital. Rechtslehre, p. 64
34    Glockengiesser, Mensch, p. 103–110
35    Brieskorn, Norbert; Suàrez, Francisco. Francisco – Leben und Werk, in: Suárez, Francisco. Abhand­lung über die Gesetze und Gott den Gesetzgeber (1612), übersetzt, herausgegeben und mit einem Anhang versehen von Norbert Brieskorn. Freiburg i.B. 2002, p. 635–657, ici p. 653–656
36)Roca, René. Volkssouveränität, p. 51–53
37)Troxler, Iganz Paul Vital. Rechtslehre, p. 68

Source: Zeit-fragen.ch/fr

jeudi, 10 août 2017

Souveraineté populaire en Allemagne? Hans Herbert von Arnim exige davantage de démocratie directe

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Souveraineté populaire en Allemagne?

Hans Herbert von Arnim exige davantage de démocratie directe

Ex: http://www.zeit-fragen.ch/fr

«Si toujours davantage de personnes sont de l’avis que la politique échappe à leur volonté et qu’ils n’ont plus voix au chapitre – est-ce une fausse conclusion populiste? Ou bien l’impression des citoyens d’être dépossédés de leur droits serait-elle fondée?»1

rt. Le débat sur la souveraineté populaire (démocratie) reste virulent. On reconnaît rapidement l’importance de notre démocratie directe en regardant au-delà de nos frontières. De plus en plus de citoyens et citoyennes ne s’y sentent plus représentés avec leurs préoccupations par les représentants politiques ou députés. Tout spécialement dans les démocraties représentatives, telles la France ou l’Allemagne, cette impression est entièrement fondée. L’écart entre les préoccupations de la population et leur réalisation par la politique officielle s’agrandit constamment. Le «désintérêt croissant pour la politique» est une des conséquences s’exprimant dans un abstentionnisme croissant lors d’élections. Cela fut très clairement illustré par les récentes législatives françaises où plus de la moitié des électeurs n’y a pas participé et presque un dixième des électeurs ont voté nul ou blanc. Un autre signal d’alarme est représenté par les sérieuses défaites obtenues par les partis établis ou leurs candidats malgré les campagnes de communication intenses soutenues par les grands médias et les chaînes étatiques.

De graves déficits en matière des droits démocratiques

Etant donné que ces évènements sont de plus en plus fréquents au cours des derniers mois, le mécontentement exprimé par les citoyennes et citoyens est stigmatisé par le terme de «populisme». C’est évidemment faux et bien utile pour détourner l’attention des gens des vrais problèmes. Quand le droit en vigueur n’est plus respecté comme dans de nombreux Etats concernant par exemple la «question de l’immigration» et quand on n’a plus la possibilité de corriger de fausses décisions par les votations populaires, il y a donc de graves déficits en matière des droits démocratiques.

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Abus de pouvoir par les partis politiques

Dans sa dernière publication, Hans Herbert von Arnim – éminent spécialiste en droit et en économie, ancien recteur de l’Université pour les Sciences administratives de Speyer et juge constitutionnel dans le Land de Brandebourg – analyse exactement les questions de la représentation du peuple à l’aide d’exemples concernant l’Etat allemand et l’UE.2 Depuis des décennies, l’auteur analyse les abus de pouvoir, l’incompétence et l’opportunisme des partis aux niveaux communal, régional et fédéral.
Dans la plus grande partie des démocraties représentatives, les représentants du peuple sont organisés dans des partis. Entretemps, ceux-ci mènent en Allemagne une vie à part. Ce sont eux qui décident des candidats et de leurs programmes. Cela a créé une partitocratie, à juste titre vivement critiquée. Car, entretemps ce sont les partis, c’est-à-dire un petit groupe de personnes dirigeantes, qui décident comment les députés doivent voter. Il serait naturellement intéressant d’analyser à qui ces quelques personnes obéissent …

L’Etat, une proie des partis politiques

Dans son analyse factuelle et détaillée, von Arnim décrit comment la représentation populaire prévue par la Loi fondamentale allemande est toujours et encore systématiquement sapée par la partitocratie. Ainsi, les lois devant réglementer le financement des partis sont élaborées par ces mêmes partis. Mais aussi des postes dans l’administration publique – ayant entre autre la tâche de contrôler les partis ou de recruter les membres des tribunaux responsables de juger les affaires des partis – sont pourvus par les partis établis. Au cours des décennies écoulées, l’Etat allemand est devenu de plus en plus la proie des partis et de leurs fonctionnaires de pointe. Les partis décident des règles du jeu. Ils ont pu supprimer les mécanismes de contrôle ayant pour but de les contrôler.
On arrive ainsi à la situation paradoxale que les représentants élus du peuple ne représentent plus leurs électeurs mais les intérêts des dirigeants de leur parti et les groupes d’intérêts se trouvant derrières. Aussitôt qu’un député diverge de la ligne du parti et suit sa conscience, il court le risque de perdre sa place sur la liste électorale de son parti.

A qui obéissent les hommes politiques?

Cette situation intenable devient évidente en comparant le constant rejet, depuis des décennies déjà, des missions militaires allemandes à l’étranger par la population allemande avec les résultats des votations de leurs représentants au Bundestag. Comme dans de nombreuses autres questions, les politiciens décident à l’encontre de leurs électeurs.
Cet état des choses ne peut être dissimulé et représente de plus en plus un sérieux problème pour de larges couches de la population.
La tentative de dénigrer toute critique justifiée et tous les désirs de changements à l’aide du terme «populisme» porte des traits absolutistes. Le fait d’exprimer une autre opinion que celle véhiculée par les grands médias est suspecte. Quiconque veut remettre en question ou limiter la démocratie par de tels moyens doit s’en expliquer.
De quel droit ces personnes se permettent-elles de se positionner au-dessus de leurs concitoyens? Le parti a-t-il (à nouveau) toujours raison? Y a-t-il (à nouveau) des gens au sang bleu sachant de par leur naissance mieux ce qui est juste que le «petit» peuple. Les prétendus «experts», ont-ils le droit de mener le pays dans le mur (comme lors de la crise financière) ou le pays a-t-il (à nouveau) besoin d’un Führer ou d’une élite dirigeante qui, étant «meilleure» que les autres, a le droit de les dominer? Donc un retour vers l’absolutisme?

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Etat citoyen au lieu de la partitocratie

Von Arnim traite intensément la question pertinente comment changer cette situation. Il exige le retour à l’Etat citoyen démocratique. Mais comment endiguer de manière sensée le régime des partis? L’auteur voit la solution dans davantage de participation directe des citoyens par des votations populaires, existant déjà dans plusieurs Länder – mais malheureusement de manière très limitées. Il y voit une solution. Les citoyennes et citoyens doivent-ils réellement se contenter de la situation que «leur» député puisse, en leur nom, faire tout ce que le parti lui dicte pendant les quatre ans pour lesquels ils l’ont élu? Pensons donc aux missions de l’armée à l’étranger, à l’immigration en masse illégitime et non réglementée, à la dette excessive de l’Etat, aux garanties financières illimitées envers les banques et les Etats endettés par la BCE ou juste aux coûts exorbitants de l’aéroport berlinois en construction.

Effets positifs de la participation directe en démocratie

Von Arnim décrit de manière détaillée les effets positifs de la participation directe: les lois s’avérant inaptes peuvent être supprimées par les citoyennes et citoyens. Les nouveaux projets de lois sont donc préparés plus soigneusement. Des projets insensés ou mal ficelés pourraient être refusés. Les citoyennes et les citoyens participent activement et peuvent s’exprimer sur des questions les concernant. Les activités arbitraires de la partitocratie peuvent être limitées.
Après plus de 60 ans, il serait vraiment approprié d’instaurer au niveau fédéral une participation sur la base de la démocratie directe, comme cela est prévu par la Loi fondamentale allemande. Poursuivre la voie actuelle deviendrait fatal pour le pays.    •

1    Cf. von Arnim, Hans Herbert. Die Hebel der Macht und wer sie bedient. Parteienherrschaft statt Volkssouveränität. Klappentext. 2017. ISBN 978-3 453-20142-2
2    Die Hebel der Macht und wer sie bedient. Parteienherrschaft statt Volkssouveränität. [Les leviers du pouvoir et les personnes qui s’en servent. Particratie au lieu de souveraineté populaire.]

dimanche, 20 novembre 2016

Pascal Junod: fédéralisme suisse, UDC, Oskar Freysinger, démocratie directe

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Le fédéralisme suisse, exemple pour l'Europe (Pascal Junod)

Maître Pascal Junod, avocat au barreau de Genève, bien connu en France, nous donne une courte analyse des bienfaits du système fédéral suisse qu'il faut se garder de confondre avec ce que l'on appelle ailleurs le fédéralisme.

Oskar Freysinger, l'UDC et la démocratie directe (Pascal Junod)

Maître Pascal Junod, avocat au barreau de Genève, bien connu en France, nous parle de son ami Oskar Freysinger, de l'UDC, et de la démocratie directe telle qu'elle fonctionne en suisse. Il nous dit aussi pourquoi l'Europe Unie explose.

jeudi, 01 septembre 2016

Démocratie directe – Une bénédiction pour la Suisse

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Démocratie directe – Une bénédiction pour la Suisse. Un modèle pour les autres peuples

 
Ex: http://arretsurinfo.ch

L’initiative populaire fédérale a 125 ans

Les Suisses sont depuis longtemps habitués à contribuer au façonnement de l’Etat et de la politique. Commençant par la formation coopérative des communes et des «Landsgemeinden» dans les cantons de montagne, peu à peu tous les cantons se donnèrent – depuis l’époque de la Régénération dans les années 1830 – une Constitution démocratique avec le développement successif des droits populaires.[1]

Au niveau fédéral, on introduisit déjà lors de la fondation de l’Etat fédéral de 1848 le référendum obligatoire pour les amendements de la Constitution. En 1874 suivit le référendum législatif facultatif qui fut plus tard – en 1921 – complété par le référendum facultatif pour les accords internationaux. Il y a 125 ans, le 5 juillet 1891, le peuple suisse vota avec 60% des voix en faveur de l’introduction du droit d’initiative au niveau fédéral. Depuis les Suisses ont déposé plus de 300 initiatives dont 203 furent soumises au peuple, les autres furent en général retirées suite à des contre-projets acceptables rédigés par le Parlement. Durant ces 125 ans, 22 initiatives, dont dix depuis 2002, furent adoptées par le peuple suisse et la majorité des cantons.Ce procédé démocratique développé en Suisse au cours de l’histoire est, en principe, possible également dans d’autres pays. Un développement constant de la démocratie directe du bas vers le haut est sans doute le fondement le plus solide. Car la démocratie directe implique aussi, à part le droit du citoyen de prendre des décisions, le devoir d’engager ses forces pour le bien commun. Celui qui dans une commune, en coopération responsable et pour le bien commun, apprend à planifier et à gérer, peut l’appliquer ensuite à des niveaux supérieurs de l’Etat.

Sous le titre «125 ans d’initiative populaire fédérale – une réussite?» le Zentrum für Demokratie Aarau a organisé le 5 juillet 2016 un forum en présence d’un nombreux public, avec la participation de deux conseillers aux Etats (Thomas Minder, sans parti, Schaffhouse et Hans Stöckli, parti socialiste, Berne) ainsi que de deux professeurs de droit (Andreas Kley[2] et Markus Müller[3]). Le Pr Andreas Glaser[4] a dirigé de manière très vivante et engagée la réunion et le débat avec les auditeurs.

Dans une démocratie on ne peut pas gouverner contre la volonté de la population

«La démocratie directe occupe en ce moment l’Europe entière. Dans beaucoup de pays de l’UE, les uns exigent de manière euphorique, après la décision du Brexit, davantage de droits décisionnels pour le peuple de façon immédiate, tandis que les autres se voient confortés dans leur position qu’il ne faut pas se fier au peuple et que la politique doit demeurer uniquement l’affaire de l’élite.» (Katharina Fontana [5] )

Sur des questions d’une importance capitale pour l’avenir d’un Etat – comme par exemple l’adhésion à l’Union européenne ou la substitution de la monnaie du pays par une monnaie unitaire – la perspective suisse exigerait une votation obligatoire même au plus haut niveau étatique, dans chaque pays membre. Après la décision du Brexit, il y aura probablement aussi dans d’autres pays européens une velléité du peuple de poser la question de la sortie. Si les autorités évitent de manière trop acharnée de demander le vote populaire, par peur que la majorité approuve la sortie, cela pourrait avoir des répercussions négatives: pour pouvoir parler d’une «Nation fondée sur la volonté du peuple = Willensnation», le gouvernement et le Parlement de chaque Etat devraient savoir si une nette majorité de la population est d’accord ou s’oppose à l’intégration dans une organisation supranationale.

D’ailleurs cela ne regarde personne si le citoyen donne sa voix suite à une analyse soigneuse des documents à disposition ou suite à ses sentiments personnels subjectifs. C’est son affaire tout à fait personnelle, sa propre liberté.

[Lire l’interview du conseiller aux Etats Thomas Minder.] Ainsi s’exprime aussi Pr Andreas Kley à Aarau :

«Dans la démocratie directe, les opinions se manifestent de manière subite, c’est dû au système. On peut qualifier cela de citoyens colériques, d’actes émotionnels ou erronés etc. C’est une perspective négative. Je pense qu’en démocratie, on ne peut pas gouverner contre la volonté du peuple, sinon il faut l’abolir ou bien introduire une dictature.»

Chaque citoyen est sur le même pied d’égalité

Bien que la démocratie directe ait jouée en Suisse, au cours des siècles, un rôle important pour la satisfaction des citoyens, mais aussi pour la paix sociale dans le pays, il y a toujours à nouveau dans ce pays des discussions si le droit d’initiative ne devrait pas d’une manière ou d’une autre être limité. Car à la différence du droit au référendum, avec lequel les citoyens peuvent s’exprimer sur les décisions parlementaires, l’initiative populaire est un instrument actif qui ne pose presque pas de limites aux désirs et idées des citoyens pour contribuer à des changements concrets de la Constitution – le plus souvent contre la volonté du Parlement – dans le processus politique. Ainsi, on récolte actuellement des signatures pour neuf initiatives populaires fédérales, entres autres «Pour davantage de logements abordables», «Pour plus de transparence dans le financement de la vie politique», «Pour un congé de paternité raisonnable – en faveur de toute la famille» ou bien «Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination)».

Quand on pense à quel point les droits politiques des citoyens suisses sont ancrés dans le peuple, certaines voix entendues lors du forum à Aarau ont pu surprendre, bien que la plupart des prises de position aient été plutôt positives. Ainsi, le professeur de droit Markus Müller a constaté que le peuple suisse n’est qu’un acteur parmi d’autres: «La démocratie bien comprise consiste, dans ma perception des choses, en l’art de donner au peuple le rôle qu’il peut effectivement remplir. C’est le rôle de l’organe de contrôle, de l’initiateur […].»

Cette «définition» du droit d’initiative et de référendum des citoyens ne se trouve toutefois pas dans la Constitution fédérale, mais le peuple suisse est véritablement l’instance suprême de l’Etat fédéral suisse. C’est pourquoi le présentateur, Pr Andreas Glaser, a confronté de manière directe son collègue bernois avec un témoignage de notre pays voisin – non habitué à la démocratie: «Le président fédéral allemand M. Gauck a déclaré après la votation du Brexit: actuellement, ce ne sont pas les élites qui sont le problème, ce sont les populations. Markus Müller, tu devrais le voir de la même façon, n’est-ce pas? C’est donc la population qui est le problème?»

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Et Markus Müller de répondre: «[…] que le peuple soit le problème, c’est à cause de l’élite. L’élite n’atteint plus le peuple. – En lisant dans les brochures officielles, dans les livrets de votation aux meilleures intentions, alors j’ai le sentiment que les gens pensent que la population suisse s’arrête aux employés de bureau. Et ce n’est pas le cas: je connais un employé de nettoyage dans la centrale nucléaire de Gösgen, il pense différemment, il faut l’atteindre différemment.»

Depuis quand est-ce qu’il y a en Suisse deux sortes de citoyens – des élites et des employés de nettoyage? En quoi diffère un employé de nettoyage? Refuse-t-il peut-être de se laisser expédier, sur des rails huilés, directement au sein de l’UE par certaines prétendues élites? Cela me rappelle une ancienne collègue de travail à l’école professionnelle, une partisane fervente de l’adhésion à l’UE. Un jour, elle arrive en colère dans la salle des professeurs et s’exclame: «Avec mes élèves [des apprentis électro-monteurs] je ne discute plus de l’UE, ils sont tous contre!» Cela devrait être chose difficile pour les «experts» autoproclamés de forcer ces jeunes gens actifs dans leur propre pays pour l’adhésion à l’UE – heureusement!

Un participant dans le public a également critiqué une telle classification des citoyens: «Monsieur Müller, vous contestez en quelque sorte au peuple, au ‹citoyen lamda› la capacité de décider. Moi, j’ai une toute autre opinion. Souvent ce sont justement les non-juristes ou les ‹citoyens lamda› qui ont un bien meilleur jugement des réalités. En effet, il y a avant chaque votation un débat intense, dans lequel presque tous les arguments des adhérents et des adversaires sont discutés. Ainsi, durant le processus de la votation, tout devient très clair. Je suis vraiment de l’avis qu’il faut prendre au sérieux la décision des citoyens.»

En totale contradiction à l’égard du citoyen instruit et autonome

Hansueli Vogt, également professeur de droit et participant au forum, pointa du doigt la contradiction fondamentale dans la pensée de certains «cercles progressistes»: «Je trouve hautement élitiste de penser que des spécialistes du nettoyage à la centrale de Gösgen ne soient pas capable de se forger une opinion. Ce sont précisément les droits individuels, très appréciés dans vos rangs: la liberté de pensée, la liberté personnelle, la liberté économique etc. qui caractérisent le citoyen instruit. On ne peut pas défendre les droits individuels, dans une société éclairée où l’on met l’individu au centre, et d’autre part nier sa capacité de décision. Voilà une incohérence totale.»

Pas de mise sous tutelle du souverain

Les propositions de M. Müller pour mieux diriger les électeurs vont donc également dans ce sens: il veut supprimer l’initiative populaire rédigée de toutes pièces et accepter seulement les initiatives en forme de proposition conçue en termes généraux.
Si les citoyens sont limités, par une initiative populaire, à n’exprimer qu’une orientation générale, alors ils ne peuvent plus «obstruer» les activités du Parlement. La majorité parlementaire serait libre de rédiger elle-même les textes légaux de sorte qu’ils s’adaptent, entre autres, au dit «droit international», notamment aux accords bilatéraux avec l’UE.

Une participante de la réunion d’Aarau a relevé l’exemple le plus récent de la politique suisse, tout en classant l’idée de M. Müller dans ses aspects du droit public: «La proposition du Professeur Müller de ne tolérer les initiatives populaires qu’en forme de proposition conçue en termes généraux reviendrait à supprimer le droit d’initiative. Cela se réduirait à peu près à une pétition. Les débats actuels comme, par exemple, celui sur l’Initiative contre l’immigration de masse s’expliquent précisément du fait que le texte de l’initiative a été rédigé de toutes pièces – et qu’il se trouve actuellement comme article 121a dans la Constitution fédérale. On y trouve des mesures concrètes concernant les ‹contingents› et les ‹plafonds annuels› permettant une gestion souveraine des flux migratoires en Suisse. Les fonctionnaires des administrations bernoises et bruxelloises prétendent une violation à l’Accord sur la libre circulation des personnes et se plaignent des électeurs suisses. Si, par contre, les électeurs suisses ne pouvaient formuler que des souhaits du genre: cher Parlement, auriez-vous la gentillesse de veiller à ce que moins de migrants envahissent notre pays» [6] – cela conviendrait sans doute mieux aux aspirations de la Berne fédérale, mais il ne s’agirait alors que d’un pur droit à la pétition.

Faudra-t-il donc, à l’avenir, s’exposer aux intempéries pour récolter les 100 000 signatures en vue d’une pétition stérile?

Le conseiller aux Etats Thomas Minder s’est exprimé de manière similaire dans l’interview :

«La possibilité de créer des textes d’initiative rédigés de toutes pièces est nécessaire pour débattre d’un sujet de manière différenciée. Car dans la démocratie directe suisse le Oui ou le Non dans les urnes sont certes une chose essentielle – cependant, il est beaucoup plus important pour le développement des droits populaires de pouvoir débattre du sujet dans le pays, à la table des habitués, lors de débats publics, de discussions dans les médias, avec des lettres de lecteurs.»

L’initiative populaire fédérale, la Magna Charta Libertatum du peuple suisse

D’ailleurs, il y a 125 ans, les objections contre l’initiative rédigée de toutes pièces étaient similaires: «Des conseillers fédéraux et des parlementaires émirent de sérieux avertissements contre le danger ‹d’une confusion illimitées et d’une législation imparfaite›. Ce nouvel instrument mènerait à la démagogie, dit-on. Il s’agirait d’une initiative ‹anarchique› permettant ‹de s’adresser à la population derrière le dos des députés›.» (Katharina Fontana [7]).

En 1890, le Conseil national donna néanmoins son aval à l’initiative populaire au texte rédigé de toutes pièces, après que le Conseil des Etats s’en fût montré moins récalcitrant. Le Pr Andreas Kley partage l’avis, d’un des conseillers aux Etats d’alors du camp de l’Union conservatrice (catholique) qui s’était battu avec succès, contre la majorité libérale du Parlement, en faveur du droit à l’initiative populaire:

«Ce que Theodor Wirz, conseiller aux Etats et pionnier résolu de l’initiative populaire avait dit en 1890 a gardé toute sa pertinence aujourd’hui encore. Wirz avait critiqué le Parlement ‹despotique›, notamment le Conseil national en posant la question rhétorique: ‹Y a-t-il un droit populaire qui n’ait pas été caractérisé, par les tuteurs du peuple, comme étant dangereux et révolutionnaire? A qui est-ce, finalement, de régner en roi et en maître dans le pays?› Wirz et la majorité du Conseil des Etats refusèrent donc la réduction de l’initiative populaire à sa forme de proposition conçue en termes généraux. Ils précisèrent qu’il s’agissait, pour le Conseil des Etats, ‹d’une question d’honneur d’offrir au peuple suisse, de manière beaucoup plus résolue que le Conseil national, cette Magna Charta Libertatum›.»[8]

Cette «Magna Charta» de la liberté politique du peuple suisse a contribué, au cours de 125 ans, à d’innombrables débats au sein des partis politiques, des associations et des organismes civiques, sur des questions politiques et sociales, menant les citoyens à se décider pour ou contre des centaines d’initiatives populaires. Ainsi, les citoyens contribuent eux-mêmes, par leur propre action, à faire évoluer le modèle suisse et se soucient de son acceptation maximale au sein de la population.    •

Par Marianne Wüthrich, docteur en droit, 22 août 2016

1    cf. Roca, René. Wenn die Volkssouveränität wirklich eine Wahrheit werden soll … Die schweizerische direkte Demokratie in Theorie und Praxis. Das Beispiel des Kantons Luzern, Schriften zur Demokratieforschung, Band 6, Zürich-Basel-Genf 2012
2    Chaire de droit public, histoire constitutionnelle et philosophie de l’Etat et du droit, Université de Zurich
3    Chaire de droit administratif et public et de droit procédural, Université de Berne
4    Chaire de droit public, administratif et européen, spécialisé dans les questions de démocratie, Université de Zurich
5    Fontana, Katharina. «125 Jahre Volksinitiative. Keine Zähmung nötig», in: «Neue Zürcher Zeitung» du 9/7/16
6    Actuellement, 1.4 millions de citoyens de l’UE résident en Suisse, tandis que, sur le territoire entier de l’Union européenne, le nombre de ressortissants de l’UE habitant dans un autre pays membre s’élève à 15.4 millions. C’est d’autant plus remarquable que le nombre de la population suisse s’élève à 8 millions d’habitants, chiffre 60-fois mineur à celui de l’Union.
7    Fontana, Katharina. «125 Jahre Volksinitiative. Keine Zähmung nötig», dans: «Neue Zürcher Zeitung» du 9/7/16
8    Kley, Andreas Kley. «125 Jahre eidgenössische Volksinitiative. Die Magna charta libertatum des Schweizervolkes»,www.news.uzh.ch/de/articles/2016/125-Jahre-Volksinitiativ...

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La démocratie directe est véritablement une histoire de réussite

A la question initiale «L’initiative populaire fédérale est-elle une histoire de réussite», posée par le professeur Andreas Glaser, la réponse fut affirmative par tous les participants au forum.

«Il faut prendre grand soin de l’initiative populaire»

«Pour moi, l’initiative populaire est le facteur de réussite absolu de la Suisse, pour la stabilité du pays. Il y a des personnes désirant réduire les droits, pour moi, ils font fausse route. Je veux élargir les droits démocratiques en Suisse. Je ne changerais rien au système de la démocratie directe. Il faut prendre grand soin de l’initiative populaire.» (Thomas Minder, conseiller aux Etats et entrepreneur, sans parti, SH)

Ce qui a fait ses preuves aux niveaux communal et cantonal, le fait aussi au niveau fédéral

«Il va de soi que l’initiative populaire est une réussite. Elle a un excellent effet constructif pour nos systèmes juridique et politique, notre démocratie consensuelle. Ce qui à fait ses preuves aux niveaux communal et cantonal, le fait aussi au niveau fédéral. Son effet est grand, pas seulement si elle est acceptée en votation, mais également comme base consécutive du travail.» (Hans Stöckli, conseiller aux Etats et avocat, PS BE)

Elle est un instrument en nos mains pour ne pas être livrés aux autorités

«Pour moi aussi, l’initiative populaire est une perle de la démocratie directe suisse. Pourquoi est-elle d’une si grande importance? Parce qu’elle est un instrument en nos mains pour ne pas être livrés aux autorités. Elle élimine, relativise ou réduit en nous le sentiment d’impuissance et la perte de contrôle. C’est très important au niveau psychologique. Car nous savons que, si nous le désirons, nous avons la possibilité de nous faire entendre, c’est en tout cas rassurant.» (Markus Müller, professeur de droit, BE)

Source: http://www.zeit-fragen.ch/fr/editions/2016/no-18-22-aout-...

dimanche, 19 juin 2016

Démocratie directe : la Russie en avance sur les Occidentaux?

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Démocratie directe: la Russie en avance sur les Occidentaux?

Uli Windisch
Rédacteur en chef
Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Yvan Blot et Uli Windisch invités à Moscou pour répondre à l’intérêt pour la démocratie directe et à donner un avis sur l’application des primaires par Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine

 

Vladimir Poutine plus démocratique que nombre de pays occidentaux !

Impossible n’est pas russe !

Une Fondation russe, l’Institut of socio-economic and political research, invite des professeurs et des chercheurs étrangers spécialisés dans l’étude de la démocratie directe afin de prendre connaissance de leurs travaux et expériences et d’en tirer profit pour une organisation plus démocratiques des élections législatives de septembre 2016. Parmi eux Yvan Blot et Uli Windisch

En Occident on n’est guère au courant que le 25 mai dernier, Russie Unie, le parti de V. Poutine, a organisé pour la première fois ses primaires en vue de la désignation de ses candidats aux législatives qui renouvelleront la Douma en décembre prochain. Le but principal de ces primaires : rajeunir le personnel politique et  rapprocher davantage les élus de la population. Le succès de ces primaires  a été incontestable : 9,1 millions d’électeurs y ont participé.

Parmi les invités occidentaux spécialisés dans l’étude de la démocratie directe, Yvan Blot, est un admirateur de longue date de la démocratie directe suisse et auteurs de plusieurs ouvrage sur le sujet, et Uli Windisch, professeur des universités, et rédacteur en chef du site de Réinformation LesObservateurs.ch, est lui aussi auteur de nombreuses recherches et publications sur la démocratie directe suisse:

Uli Windisch, Le Modèle suisse, La démocratie directe et le savoir-faire intercommunautaire au quotidien, Ed l’Age d’Homme, Lausanne, Paris, 2007 ;

Le récent entretien donné à TVlibertés : Le Modèle suisse, La démocratie directe suisse", le 7 juin 2016: Lien vers l’émission de TVlibertés et sur notre site: interview de Uli Windisch sur Le Modèle suisse et la démocratie directe, ici: http://lesobservateurs.ch/2016/06/07/uli-windisch-sur-le-plateau-de-tvlibertes-video/

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Le dernier article de Yvan Blot : Les primaires, une idée russe, Polémia, site de Réinformation français, 16 juin 2016:

Les primaires, une idée à la russe

Ivan Blot, haut fonctionnaire, homme politique, essayiste et écrivain

♦ A la fin des traditionnelles élections primaires américaines et à l’heure des prochaines primaires de la droite et du centre, peu de Français, et d’Occidentaux en général, sont informés de l’innovation que vient de mettre en place la Russie. Il est vrai que les opinions publiques occidentales ne sont pas encore prêtes à admettre que la Russie puisse inspirer une innovation éminemment démocratique.

Pourtant, c’est un exemple intéressant pour des pays comme la France où le système des partis est oligarchique et se bat avant tout pour sa propre survie.

Ainsi, le 25 mai dernier, Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine, a organisé, pour la première fois, ses élections primaires en vue de désigner ses candidats aux législatives qui renouvelleront la Douma en décembre prochain. Selon les données fournies par Russie Unie, 2.781 candidats ont participé à ces primaires, dont 200 membres des activistes de l’ONF, le Front du peuple de toutes les Russies. Ce qui fait une moyenne de six candidats par circonscription avec, par exemple, une pointe à treize à Moscou. Plus de 9,1 millions d’électeurs y ont participé. La participation s’est établie dans une fourchette de 3%, dans la région d’Arkhangelsk, au nord-ouest du pays, à 14% en Mordovie, Moscou ayant participé à hauteur de 6,5%. A noter que 193 députés sortants se sont soumis à ces primaires.

demdirUwt3L._AC_UL320_SR206,320_.jpgRussie Unie a choisi d’en passer par les primaires pour recruter des candidats solides et des leaders d’opinion qui pourraient réaliser de meilleurs résultats que des membres du parti qui, eux, sont promus par les autorités locales mais n’ont pas forcément les faveurs de l’électorat.

Sur la base des résultats de ces primaires législatives, Russie Unie constitue actuellement ses listes de candidats, qui seront présentées dans le courant de ce mois de juin au congrès du parti.

Ce processus de sélection des candidats aux législatives est, certes, nouveau en Russie, mais il n’existe encore nulle part en Europe où les rares médias qui en ont parlé ont insisté sur son caractère éminemment démocratique. En France, par exemple, où le débat sur le cumul des mandats qui divise tous les partis pourrait trouver une solution en s’inspirant de ce modèle russe. Certains candidats à la primaire de la droite et du centre suggèrent, en effet, non seulement de limiter le cumul des mandats simultanés, mais de les limiter également dans la durée, comme c’est déjà le cas pour la présidence de la République. Mais la plupart d’entre eux préfèrent éviter le sujet.

Dans un contexte où tous s’accordent à reconnaître que la démocratie française est malade, souffrant du manque de confiance des citoyens, l’exemple russe mérite d’être étudié. En effet, si seulement 14% des Français déclarent faire confiance aux partis politiques, ils sont 35% à se déclarer confiants en la démocratie. En d’autres termes, les citoyens ne sont pas opposés à la démocratie mais sont déçus par sa façon de fonctionner.

Pour l’anecdote, je rappellerai un épisode pittoresque qui remonte à plus d’un quart de siècle mais qui n’a rien perdu ni de son actualité ni de son acuité : je siégeais en tant que directeur du cabinet du secrétaire général du RPR, Bernard Pons, à une commission d’investiture réunie pour désigner le candidat du parti à la mairie de Lyon aux élections municipales de 1989. Les autres membres de la commission étaient Jacques Chirac, président du parti, les présidents des deux groupes parlementaires, Claude Labbé à l’Assemblée nationale et Charles Pasqua, le secrétaire national aux élections, Jacques Toubon.

Chirac nous demanda de choisir entre deux candidats, le chef d’entreprise, Alain Mérieux, et un membre local du parti, Michel Noir. Il nous expliqua aussi qu’il préférait Noir à Mérieux parce que celui-ci était trop riche, donc trop indépendant. Il ajouta que Mérieux était si ambitieux que s’il devenait maire de Lyon, il se servirait de sa prestigieuse mairie comme tremplin pour une candidature à l’Élysée contre lui-même. Evidemment, Noir fut désigné sans que nous ne nous soyons prononcés et encore moins les militants locaux du parti.

Ivan Blot
16/06/2016

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Autre article de Uli Windisch sur la culture politique suisse (18p):

Au- delà du multiculturalisme: identité, communication interculturelle et culture politique: le cas de la Suisse[1]

La situation concrète de la Suisse plurilingue et pluriculturelle illustre l'impossibilité de comprendre la diversité culturelle croissante des pays européens ayant connu une forte immigration en termes dichotomiques et manichéens du genre multiculturalisme/citoyenneté; relativisme culturel/assimilation; différences culturelles/unité nationale, etc.

Plus généralement, on remarque dans la recherche une tendance à vouloir aborder des thèmes comme ceux de la diversité culturelle et de l'immigration de manière purement théorique, abstraite et universelle. Chaque chercheur a sa théorie et veut imposer sa vérité, souvent par une sorte de coup d'état théorique. Les recherches approfondies et les données empiriques passent volontiers au second plan. Cela montre à quel point la diversification culturelle à la suite de l'immigration et de l'ensemble des mouvements de population n'est pas un thème neutre politiquement. Tout propos à ce sujet, aussi nuancé, fondé empiriquement et objectif soit-il, est quasi automatiquement connoté politiquement et réinterprété idéologiquement en fonction des a priori partisans et idéologies respectifs. La polémique est garantie d'avance et les accusations réciproques et autres procès d'intention constituent le moteur de la dynamique de la discussion. En bref, c'est un terrain miné.

Notre objectif ne vise pas à ajouter une énième vérité ni à louer ou à condamner le multiculturalisme ou le communautarisme, ou, au contraire, à prôner l'intégration ou la citoyenneté comme unique solution politique valable et responsable. A notre avis, l'urgence en la matière ne consiste pas à choisir entre multiculturalisme et citoyenneté mais à analyser empiriquement et de manière approfondie des exemples réels de sociétés confrontées au problème de la gestion de la diversité (culturelle) dans l'unité (politique). Quelle unité à partir de la diversité? Quelle diversité une unité (nationale) peut-elle supporter sans éclater? Concilier diversité et unité cela ne revient-il pas à vouloir concilier l'inconciliable? La diversité est souvent perçue comme une menace pour l'unité; l'obsession de l'unité et la peur concomitante de l'éclatement sont sans doute deux traits majeurs de toute société, de tout Etat, de tout pays, de toute nation. Et si la diversité ou même l'encouragement de la diversité constituait aujourd'hui le meilleur gage de l'unité d’un pays?  L'objectif de notre propos vise à montrer comment la Suisse tente de répondre à ces différents défis, concrètement, dans la vie de tous les jours, de manière pragmatique plutôt que par l'application de dogmes prédéfinis.

Le savoir-faire intercommunautaire élaboré par ce pays ne peut, bien sûr, tenir lieu de référence pour d'autres pays. Son expérience permet en revanche de réfléchir sur ces problèmes de manière moins théorique et abstraite et d’élargir ainsi la voie des possibles en matière de gestion de la cohabitation interculturelle au sein d'un même pays. Livrons d'emblée un résultat principal des six années de recherche sur le terrain de la mosaïque linguistique et culturelle suisse avec une équipe interdisciplinaire composée de sociologues, d’anthropologues, de linguistes, de sociolinguistes et de politologues .Sans en remplir toujours toutes les conditions, la Suisse montre qu'une cohabitation entre communautés culturelles et linguistiques  différentes au sein d'un même Etat suppose la présence simultanée et conjointe de trois composantes:

  1. L'identité culturelle
  2. La communication interculturelle
  3. Une culture politique commune à toutes les communautés linguistiques et culturelles

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La plupart des approches des phénomènes interculturels se caractérisent par la prise en compte d'une seule de ces trois composantes ou du moins par le surpoids très marqué de l'une d'entre elles. Dans l'analyse des problèmes interculturels, on se concentre par trop sur les facteurs langue et culture en sous-estimant la dimension de la communication (ou de l'absence de communication) entre les différentes cultures et sous-cultures et la dimension de la culture politique. Les différents courants du multiculturalisme surestiment le poids de la langue et de la culture tandis que les courants qui insistent sur la citoyenneté accordent un surpoids au politique.

Nos études  sur le terrain montrent que des difficultés d'ordre politique général apparaissent dès que certaines de ces trois composantes font défaut ou sont en surpoids.

Illustrons notre démarche à l'aune de la réalité politico-culturelle suisse:

  1. La Suisse, environ 7 millions d'habitants, comprend quatre langues nationales (l’allemand, le français, l’italien et le romanche) et donc quatre communautés culturelles différentes. Celles-ci sont de taille très inégale, cela sans compter les communautés d'immigrés (20% environ de la population totale).
  2. Ce qui tient ensemble la Suisse, ce n'est pas le fait qu'une grande partie des Suisses connaissent deux, trois, voire quatre langues (les Suisses plurilingues sont moins nombreux qu’on ne le pense généralement ) et qu'ils peuvent ainsi communiquer aisément entre eux, mais le fait que tous les Suisses partagent une culture politique commune (notamment la démocratie directe, le fédéralisme et quelques autres traits importants qui seront rappelés sous peu). Le fort attachement des Suisses à la démocratie directe (initiative populaire et référendum) et au fédéralisme (autonomie régionale, cantonale et communale) constitue un lien puissant, beaucoup plus puissant que la communication entre les différentes communautés linguistiques et culturelles).
  3. c) La Suisse connaît toutefois un certain nombre de problèmes en lien avec son

plurilinguisme et son pluriculturalisme: précisément, le manque de communication entre ces différentes communautés et le manque d'intérêt de ces dernières les unes envers les autres. C’est le fameux adage "On se comprend bien  parce qu'on ne se connaît pas".

Si ce "vivre les uns à côté des autres" pouvait suffire autrefois, à l'avenir une communication intercommunautaire plus marquée pourrait bien devenir une nécessité. La situation suisse vérifie d'emblée l'inadéquation d'oppositions tranchées du genre multiculturalisme/citoyenneté; différences culturelles/assimilation. Elle fait aussi ressortir l'origine des difficultés qui interviennent lorsqu'on prône, par exemple, la seule différence culturelle au détriment de l'intégration politique. Plus généralement, nos sociétés doivent retrouver des modes de pensée sociale et politique plus globales, qui relèvent du "à la fois" (à la fois la différence culturelle et l'intégration), plutôt que de régresser vers des oppositions manichéennes du type "ou bien ou bien" (ma langue, ma culture, ma communauté contre mon aliénation par votre assimilation ). La gestion politique suisse des différences culturelles internes (l'intégration dans le respect des différences culturelles) devrait pouvoir s'étendre aux communautés immigrées de Suisse, dans la mesure où les immigrés adoptent cette personnalité politique de base faite de démocratie directe et de fédéralisme. Il est connu que la nationalité suisse s'obtient plus difficilement que la nationalité française par exemple, et l'on ironise volontiers sur le parcours du combattant que représente cette naturalisation suisse. On peut toutefois se demander si ce n'est pas à cause de la grande diversité culturelle interne de la Suisse que l'obtention de la nationalité est plus longue et difficile.( Elle nécessite jusqu'à 12 ans de séjour).Si la diversité culturelle constitue une grande richesse, elle peut aussi augmenter la fragilité de l'unité. On veut avoir l’assurance que les futurs naturalisés ont bien intégré cette personnalité politico-culturelle de base qui maintient l'unité du pays. Relevons par ailleurs que  la démocratie directe (participation effective des citoyens et la vie politique quotidienne) et le fédéralisme (forte autonomie locale et décentralisation)  constituent des valeurs de plus en plus prisées et même exigées à l’heure actuelle dans nos sociétés européennes (des sondages montrent par exemple que près de 80% des Français aimeraient connaître certaines formes de démocratie directe relevant de la pratique référendaire). Si le temps nécessaire à l'acquisition de la nationalité suisse est longue, on peut signaler que les étrangers naturalisés peuvent, en revanche, garder leur nationalité d'origine et devenir  ainsi binationaux, contrairement à d'autres pays où cela est impossible mais où la durée nécessaire à la naturalisation est plus courte. Cette particularité s'avère finalement cohérente avec la politique générale d'unité dans la diversité. Elle montre l'insistance à la fois sur l'unité (long délai nécessaire pour acquérir la personnalité politique de base suisse) et sur la diversité (respect des différences culturelles qui va jusqu'à admettre la binationalité).Un problème se pose alors, celui du droit de vote, que ce soit au niveau local, cantonal ou national, des étrangers établis depuis un certain nombre d’années. La dimension politique de la vie sociale suisse étant particulièrement importante (nombreux référendums et initiatives populaires), tant au niveau local, régional que national, il s'avère que la vie politique quotidienne devient elle-même un important facteur d'intégration sociale.

suisse-carte-article_1_730_400.jpgLa participation aux multiples discussions publiques autour des référendums et des initiatives populaires génère une vie sociale intense. Autrement dit, l'octroi de droits politiques, même partiels et sectoriels aux immigrés, favoriserait et accélérerait leur intégration sociale.

Mais en démocratie directe, c'est le peuple qui a le dernier mot et en Suisse comme dans d'autres pays, les droits politiques des immigrés rencontrent régulièrement l'opposition de la majorité de la population. Sur ce point, il faut donc laisser du temps au temps et  compter sur la discussion publique pour faire avancer les choses. Toutefois,  fédéralisme oblige, certains cantons et communes ( le canton de Neuchâtel et du Jura notamment) connaissent déjà depuis longtemps le droit de vote des immigrés. Ce sont souvent ces expériences locales, concrètes et positives, qui font avancer le débat public plus général. Si cette démarche est bien sûr lente, "lentement mais sûrement" dit-on en Suisse, elle comporte néanmoins un aspect positif; elle évite les effets pervers que pourrait entraîner ailleurs un décret gouvernemental imposant le droit de vote des étrangers contre l'avis  d'une population majoritairement hostile. La discussion publique et l'argumentation contradictoire constituent  l'un des moteurs de la démocratie directe et la clef de solutions longuement mûries.

D'autres traits, dont on parle moins, vont de pair avec ce système politique2). L'attachement des Suisse à l'indépendance et à la neutralité (bien que relatives) a certainement partie liée avec le pluricultualisme. Si la Suisse a réussi à faire de sa diversité une force (la fameuse unité dans la diversité, les diversités qui renforcent l'unité), cela a pourtant pris du temps et n’a été atteint que progressivement. En effet, les trois principales communautés linguistiques de Suisses sont liées par leur langue aux pays voisins (la Suisse allemande à l'Allemagne, la Suisse romande à la France et la Suisse italienne à l'Italie). Une telle situation comporte une certaine fragilité puisque malgré des langues et des traits culturels communs avec les pays frontière, ces trois communautés se sont associées avec des communautés d'autres langues plutôt qu'avec leur "Hinterland" naturel. Il est donc clair que suivant les époques et la nature des tensions internationales, notamment entres les pays frontières (France, Allemagne, Italie, Autriche), cette mosaïque pouvait devenir très fragile et constituer une force centrifuge en ce sens que chaque communauté linguistique aurait pu être tentée de prendre fait et cause pour le pays étranger dont elle partage la langue et la culture. Cela explique le long travail mental, politique et historique qui a été nécessaire pour parvenir à cette volonté d'indépendance et de neutralité par rapport à l'extérieur ainsi que la difficulté de relativiser aujourd’hui cette volonté. Ce système de représentations sociales et politiques, que certains appellent aujourd'hui "repli sur soi", est aussi à l'origine de la difficulté qu'ont certains Suisses à envisager, subitement, une entrée dans l'Union européenne, même si la Suisse est très profondément européenne par ses valeurs et sa culture.

La subsidiarité va de pair avec le fédéralisme et peut se résumer en une formule également fameuse: "Ce que les communes peuvent faire, le canton ne doit pas le faire, ce que les cantons peuvent faire, la Confédération ne doit pas le faire". L'on pourrait ajouter, du point de vue des Suisses qui sont favorables à une entrée conditionnelle dans l'Union européenne: ce que chaque pays peut faire, l'Union européenne ne doit pas le faire.

Le fédéralisme et le principe de subsidiarité sont, eux aussi, liés à la très grande diversité et hétérogénéité culturelle et politique de la Suisse, hétérogénéité que l'on retrouve à l'intérieur des cantons, suivant les régions et les communes. Ainsi, voit-on des cantons appliquer des politiques linguistiques très différentes et des communes, à l'intérieur d'un même canton, mettre en pratique des politiques scolaires fort variables. Ce respect fondamental  de chaque entité particulière (ce principe souffre bien sûr des exceptions mais il s'agit bien d'un principe d'organisation général et qui est inimaginable dans un pays fortement centralisé) est la condition d'un minimum de consensus, un autre trait constitutif de la réalité politico-culturelle suisse.

Suisse UDC.jpgCes différents traits sont liés entre eux, ils s'appellent les uns les autres, ils forment un système, une totalité spécifique. Le consensus est indissociable du fédéralisme et suppose de longues et larges procédures de consultation de tous les principaux acteurs sociaux et politiques concernés par une décision. En Suisse, il est inimaginable de gouverner par décret. Cette politique de  consultation généralisée est elle-même liée à la démocratie directe: en consultant le plus d'acteurs possible, on peut éviter un référendum. Le fait de tenir compte des avis les plus différents et opposés débouche, après des discussions généralisées (aspect participatif), sur des compromis et le pragmatisme. La volonté de trouver une solution convenant au plus grand nombre évite la polarisation sur des positions idéologiques tranchées. Le consensus et le pragmatisme sont incompatibles avec la défense de principes idéologiques a priori. L'attitude pragmatique vise toujours des solutions concrètes. On part du principe qu'il y a toujours une solution à un problème, même difficile et délicat, et l'on mettra le temps nécessaire pour la trouver, même si ce temps est long, trop long pour certains. Parfois, on finit même par espérer que le temps résoudra de lui-même un problème. La démocratie directe, ou semi-directe, suppose ensuite une conception active de la citoyenneté, même si tout électeur ne participe pas à toutes les élections, votations populaires et autres pratiques référendaires. Nombre de critiques du système relèvent  les taux d'abstention parfois élevés. C'est la possibilité qu'a chaque citoyen de participer très largement au système politique qui nous semble important, plus que la participation elle-même, possibilité qui va aussi dans le sens du désir généralisé de participation propre au Zeitgeist politique de note époque. Si certains citoyens s'abstiennent, d'autres en font davantage que la normale. C'est alors l'esprit de milice, qui est autre chose que le goût pour la vie associative en général (très poussé aussi en Suisse). Il s'agit de la participation bénévole de nombre de citoyens qui s'engagent dans un esprit d'ouverture et de dialogue à participer à nombre d'activités collectives de réflexion, de discussion et d'élaboration de propositions en vue de trouver des solutions aux grands défis de la société et d’aider ainsi les autorités dans leur tâche. Dans d'autres pays, ces bénévoles deviendraient des chargés de mission, des personnes engagées professionnellement et rémunérées comme telles. Ces citoyens de milice peuvent être membres de plusieurs commissions, groupes de travail, groupes de réflexion, etc. sans jamais être engagés à titre professionnel. L'absence de rémunération ou le simple dédommagement des frais courants n'excluent pas, en revanche, des retombées symboliques pouvant favoriser une carrière politique ou autre, ou encore la nomination à une responsabilité prestigieuse. En lien avec l'esprit de milice, on peut signaler la modestie du faste qui entoure les autorités politiques du pays. A défaut d’être toujours populaire, l'autorité politique a le souci  de ne pas être coupée du peuple, malgré la difficulté de l’exercice. La démocratie directe l'y oblige d’ailleurs. Certaines anecdotes illustrent cette réalité: le fait, par exemple,. que les Conseillers fédéraux (les membres du gouvernement fédéral) peuvent parfaitement prendre le bus ou le train avec Madame et Monsieur Tout-le-Monde et cela sans être accompagnés de gardes du corps. Il ne s’agit pas d’une légende.

Si le peuple peut désavouer les autorités politique lors de telle ou telle votation populaire, cela ne signifie nullement un rejet général de ces mêmes autorités, ni ne suppose une démission de tel ou tel membre du gouvernement. Le peuple peut réellement contrôler les autorités, obliger ces dernières à tenir compte de lui, trop selon certains technocratiques pressés mais peu conscients des effets pervers qu'aurait un changement profond de ce système politique. Nous ne disons pas cela par conservatisme (le système politique s'est d'ailleurs constamment autocorrigé et cela avec l'approbation du peuple) mais en fonction d'une appréhension globale de ce système politique et de l'analyse de ses effets manifestes et latents . Il s'agit bien d'un phénomène social et politique total  et dont les caractéristiques et les conséquences n'ont de loin pas encore été toutes mises au jour.

Plus généralement, parmi les acquis de la démocratie semi-directe suisse (initiatives populaires nécessitant la signature de 100.000 citoyens et les référendums de 50.000 signatures), on retiendra encore qu'elle a permis le développement progressif d'une volonté populaire réfléchie et qu’elle a contribué au développement de valeurs telles que  la tolérance (par opposition à l'intransigeance idéologique), le respect des autres (des autres langues, cultures, religions, partis etc.) et le bon sens. Ce qui ailleurs peut entraîner la désintégration (la présence de plusieurs langues, ethnies, religions, cultures, etc.) a été ici retourné en une force d'intégration. Cette personnalité politique de base rappelle, en ces périodes ethniquement troublées, que la destruction réciproque entre ethnies, langues, cultures et religions différentes n'est pas inéluctable.

La présentation synthétique ci-dessus devrait nous permettre de montrer que la cohabitation interculturelle propre à la Suisse dont il va être question maintenant ne peut être adéquatement saisie si elle n'est pas mise en relation avec les spécificités de cette culture politique, et que les problèmes de cohabitation interculturelle ne sont jamais des problèmes purement linguistiques ou culturels mais des problèmes fondamentalement politiques.

Contrairement à d'autres pays plurilingues, comme le Canada et la Belgique par exemple, qui ont une politique linguistique très développée et complexe, ce qui frappe nombre d'observateurs à propos de la Suisse, c'est l'absence d'une telle législation linguistique détaillée[2]. Un seul et bref article de la Constitution fédérale, l'art. 116,qui vient d'être modifié le 10 mars 1996, tient lieu de politique linguistique. Voici sa teneur en quatre points:

  1. Les langues nationales de la Suisse sont l’allemand, le français, l’italien et le romanche.
  2. La Confédération et les cantons encouragent la compréhension et les échanges entre les communautés linguistiques.
  3. La Confédération soutient des mesures prises par les cantons des Grisons et du Tessin pour la sauvegarde et la promotion des langues romanche et italienne.
  4. Les langues officielles de la Confédération sont l’allemand, le français et l’italien. Le romanche est langue officielle pour les rapports que la Confédération entretient avec les citoyens romanches. Les détails sont réglés par la loi.

La brièveté de cet article indique que la politique linguistique de la Suisse est essentiellement informelle, non écrite, pragmatique, le résultat d'une longue tradition de pratiques informelles patiemment élaborées sur la base de cas problématiques et d'expériences concrètes.

L'ensemble de ces pratiques informelles sont toutefois déterminées par un principe général, également non écrit, qui est le principe de la territorialité (par opposition au principe de la liberté de la langue). L'image de la Suisse plurilingue ne signifie pas que l'on parle indifféremment toutes les langues nationales dans chaque communauté linguistique ou encore que la plupart des Suisses sont plurilingues. A chaque territoire sa langue (l'allemand en Suisse allemande, le français en Suisse romande, etc.). L’application de ce principe de la territorialité a pour but d'éviter un déplacement des frontières linguistiques et de maintenir l'homogénéité des différentes régions linguistiques. L'application du principe de la territorialité implique une politique claire d'intégration et même d'assimilation des migrants internes: un Suisse allemand qui s'établit en Suisse francophone doit scolariser ses enfants en français et ne peut pas revendiquer un enseignement en allemand pour ses enfants, en vertu du fait que le pays est plurilingue. En bref, chaque région linguistique n'a qu'une langue officielle (exception faite des cantons plurilingues). Mais le principe de la territorialité n'empêche pas l'apprentissage des autres langues nationales dans chacune des régions linguistiques. Des efforts considérables sont même faits dans ce sens.

L'attachement au principe de la territorialité tient à une autre raison : c'est l'inégale importance numérique des différentes communautés linguistiques nationales. La population suisse (sans les 20% d’étrangers), se répartit de la manière suivante (recensement fédéral de 1990): allemand 73,4% (4.131.027 hab.)  ; français 20,5% (1.155.683 hab.); italien 4% (229.000 hab.); romanche 0,7% (38.454 hab.); autres langues: l,3% (74.002 hab.)

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Du fait de cette seule disproportion numérique, les Alémaniques sont beaucoup plus nombreux à s'être établis dans les trois autres régions linguistiques que l'inverse. Les données chiffrées sont les suivantes: sur l'ensemble de la population suisse établie en Suisse allemande, les francophones représentent 1,6% , les italophones 0,7% et les Romanches 0,4% tandis que les proportions de Suisses allemands établis en Suisse romande représentent 7,4%; en Suisse italophone 11,3% et en Suisse rhéto-romanche 20,8%. La présence alémanique se fait d’autant plus sentir qu’une communauté est minoritaire. Ainsi, parle-t-on du danger de "germanisation" en Suisse rhéto-romanche et italophone, mais guère en Suisse romande. Le principe de la territorialité peut cependant comporter des effets pervers (dans les Grisons, certaines communes comptaient une telle proportion de germanophones immigrés qu'au nom de ce même principe de la territorialité, les communes sont devenues à la longue majoritairement alémaniques et par la suite, au moyen de l'autonomie communale elle-même, de langue officielle allemande). Mais sans une application relativement stricte de ce principe dans la longue durée, la Suisse plurilingue actuelle n'existerait peut-être déjà plus. Si les enfants de tous les Suisses alémaniques ayant émigré vers les autres régions linguistiques de Suisse avaient pu être scolarisés en allemand, la proportion des Suisses de langue allemande serait encore beaucoup plus importante à l'heure actuelle. Il faut cependant souligner que les Alémaniques n'ont aucune visée hégémonique ou impérialiste sur les autres régions linguistiques, bien au contraire. Le problème provient uniquement de leur considérable surnombre par rapport aux autres communautés linguistiques. Bien que grand et large majoritaire national, les Alémaniques ont une capacité assez exceptionnelle d'intégration et d'assimilation. Les Alémaniques qui émigrent dans une autre région linguistique du pays s'assimilent très vite, au point de chercher parfois à gommer les traces de leur origine linguistique. Ils chercheront par exemple à faire disparaître activement l'accent caractéristique qu'ils ont lorsqu'ils commencent à parler français. La proportion d'immigrés d'origine suisse alémanique établis en Suisse romande  est beaucoup plus importante que le 7,4% susmentionné, précisément à cause de cette assimilation rapide. Ces 7,4% ne représentent que les immigrés les plus récents, ceux dont l'allemand est encore la langue la mieux maîtrisée.

Au sujet de la pratique du bilinguisme et du plurilinguisme dans la Suisse pluriculturelle, on peut dire, schématiquement, que les plus actifs en matière de plurilinguisme sont les plus minoritaires, soit les italophones et les Romanches, qui connaissent eux fréquemment deux, trois, voire quatre langues nationales, du moins pour ceux qui vivent au contact des autres communautés linguistiques nationales . Ce sont eux qui s'adaptent aux deux autres communautés majoritaires. En ce qui concerne les relations entre Alémaniques et Romands, en revanche, pendant longtemps les Alémaniques  apprenaient et parlaient plus facilement le français que les Romands l'allemand. Mais les choses semblent être en train de changer: on voit poindre du côté alémanique une certaine exigence de réciprocité; les Alémaniques, surtout parmi les jeunes, trouvent que les Romands pourraient également faire un effort et parler un peu l'allemand, voire le suisse allemand, puisque la langue maternelle des Suisses allemands n'est pas l'allemand mais le dialecte alémanique. Les Suisses alémaniques apprennent  l'allemand standard (le Hochdeutsch) surtout à partir du moment où ils vont à l'école. Ils deviennent bilingues (dialecte + allemand standard) avant même d'apprendre une deuxième langue nationale. D'autre part, en Suisse aussi, l'engouement pour l'anglais est de plus en plus marqué, quelle que soit la communauté linguistique nationale. On touche ainsi à un problème majeur auquel la Suisse sera de plus en plus confrontée: le manque de communication entre les différentes communautés linguistiques.

La définition de la situation et des problèmes de la Suisse en matière de relation et de cohabitation interculturelles varie suivant les acteurs sociaux et politiques et les divergences dans cette définition peuvent faire l'objet de vives polémiques.

Un premier souci des autorités est celui du romanche menacé de disparition. L’un des objectifs de la révision de l’art.116 sur les langues (le 1er mars 1996) visait précisément à renforcer cette langue en la faisant passer du statut de langue nationale à celui de langue officielle pour ce qui est des relations entre les Romanches et la Confédération. Cette mesure, à la fois symbolique et concrète, a été massivement approuvée par le peuple suisse, ce qui indique l’attachement des Suisses au quadrilinguisme, leur sympathie et leur soutien à la plus petite communauté linguistique du pays, (seulement 40.000 personnes). La disparition du romanche mettrait en cause une composante à la fois réelle, symbolique et mythique du pays. Un nombre insignifiant de Suisses qui ne sont pas Romanches de naissance parlent cette langue, ce qui ne les empêche pas d’avoir une grande sympathie et un profond attachement pour elle. L’italien, bien que fortement minoritaire aussi (4,1% de la population suisse) n’est, en revanche, nullement menacé car le Tessin possède son Hinterland: l’Italie. Le souci majeur des autorités constitue néanmoins les divergences qui semblent s’accentuer, on parle parfois de « fossé », entre la Suisse alémanique et la Suisse francophone. Au manque d’intérêt, de connaissance et de communication réciproques, s’ajoutent des divergences politiques sur des sujets aussi essentiels que l’adhésion à l’Union européenne, les relations internationales en général et différents sujets nationaux plus particuliers, liés par exemple à l’environnement, à l’écologie, aux transports, etc. Plus généralement, le sentiment d’appartenance communautaire est davantage marqué chez les Alémaniques que chez les Romands, sentiment renforcé par la spécificité dialectale du langage parlé par les Alémaniques. Face à ces différences culturelles et de mentalité entre communautés linguistiques nationales, les attitudes des différents acteurs de la société varient considérablement. La presse et les médias ont tendance à insister sur les divergences, à mettre en évidence les événements qui différencient plutôt que ceux qui lient malgré tout les différentes communautés. Après les votations populaires qui font apparaître ces différences de sensibilité entre communautés linguistiques, la dramatisation est de mise dans certains journaux: « La Suisse peut-elle exploser? ». « La Suisse peut-elle voler en éclats », etc.

Sur des sujets aussi émotifs que celui de l’avenir du pays, il n’existe pas de discours ni de représentation uniques. D’un côté, on trouve ceux qui dramatisent, de l’autre ceux qui minimisent. Ces derniers insisteront sur les capacités d’absorption des conflits du système politique. Un sujet comme celui de l’adhésion à l’Union européenne divise et renforce l’opposition et la stéréotypisation réciproques entre Alémaniques et Romands notamment, mais il est tout aussi vrai que jamais un problème considéré comme fondamental n’a été résolu en un tournemain. C’est l’espace public, foncièrement délibératif, qui doit, par le débat et la discussion contradictoires, même virulents, amener peu à peu à un consensus minimal. Aucun système politique n’exige sans doute autant de temps pour résoudre certains problèmes, c’est pourquoi  ce système politique doit être apprécié en fonction de la longue durée et non en termes de « coups médiatiques ».

Notre propre point de vue à propos de l’avenir de la Suisse n’est ni béatement optimiste ni catastrophiste mais volontariste, fonction d’un projet de société exigeant et qui nous semble adapté à l’évolution générale actuelle. Ce ne sont pas des réformes institutionnelles (voir les nouveaux projets de réforme de la Constitution fédérale dont certains semblent attendre comme des miracles) mais une meilleure mise à profit et une utilisation volontariste de l’ensemble des possibilités politico-culturelles du système politique et du pluriculturalisme suisses qui pourraient apporter  des éléments de réponse aux grands défis de notre époque. Prenons l’exemple du problème des rapports entre les différentes communautés linguistiques. Il y a quelque temps encore, la Suisse pouvait parfaitement fonctionner avec des communautés linguistiques juxtaposées, sans communication poussée ni liens intenses et durables entre elles. Aujourd’hui, une telle communication plus poussée semble, en revanche, devenir une nécessité. Les autorités le pensent également puisque le point 3 du nouvel article constitutionnel sur les langues (art. 116) le prévoit explicitement (« La Confédération et les cantons encouragent la compréhension ou les échanges entre les communautés linguistiques »).

Pour se comprendre et échanger il faut pouvoir communiquer, et pour communiquer il faut connaître la langue de l’autre ou du moins la comprendre à défaut de la parler. Il s’agit d’ailleurs là d’un mode de communication courant entre les élites helvétiques des différentes communautés linguistiques: chacun parle dans sa langue et est censé comprendre passivement celles des autres, ou du moins celles des plus grandes communautés linguistiques. Il serait en effet difficile d’attendre d’une grande partie des Suisses qu’ils comprennent, même passivement, le romanche (cela d’autant plus qu’il existe à côté de « l’inter-romanche » nouvellement créé (le rumantsch grisun), cinq dialectes romanches différents parmi les 40.000 personnes dont c’est la langue principale.

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On saisit ainsi quelques problèmes majeurs de la Suisse actuelle, que l’on ne peut que caricaturer, tant chaque aspect comporte toujours de multiples nuances, variations et cas particuliers, sans oublier que la définition de ces problèmes varie encore fortement d’une communauté linguistique à une autre. Prenons l’exemple de la communication entre Alémaniques et Romands. Du point de vue des Romands, les difficultés de communication avec les Alémaniques sont dues au fait que ces derniers parlent un dialecte (langue essentiellement orale) et non la langue allemande standard (orale et écrite) telle qu’on l’apprend à l’école et qu’elle s’écrit. Ainsi dira-t-on en Romandie que l’apprentissage de l’allemand ne sert à rien puisque les Alémaniques préfèrent parler le dialecte et n’aiment pas la langue allemande standard. Il est vrai que ces derniers ne se sentent pas toujours à l’aise en allemand standard, car ce n’est pas leur langue maternelle et d’autre part les Alémaniques sont très attachés à leurs dialectes. De plus, dit-on du côté romand, même si on voulait apprendre le dialecte alémanique (le Schwyzerdütsch), lequel faudrait-il choisir puisqu’il y en a plusieurs? En réalité, il s’agit là d’un prétexte car les Alémaniques parlant des dialectes différents peuvent parfaitement se comprendre moyennant certains mécanismes d’adaptation rodés depuis longtemps (on laisse tomber certains termes trop idiomatiques et l’on atténue les phénomènes de prononciation trop singuliers).

En réalité, la raison de la faible pratique que ce soit de l’allemand standard ou du dialecte alémanique parmi les Romands provient de l’image négative que ces derniers ont de la langue du majoritaire, voire des majoritaires eux-mêmes. Il y a bien sûr des exceptions mais d’une manière générale, à l’école déjà, les enfants francophones n’aiment pas l’allemand et ont beaucoup de préjugés négatifs aussi bien envers cette langue qu’envers les individus qui la parlent. Les moyens financiers investis par chaque communauté linguistique, dans l’éducation, pour l’apprentissage de la deuxième langue nationale, sont pourtant énormes. Les résultats sont faibles à cause de cette image et représentation sociale négatives, et l’on sait que l’on n’apprend que difficilement une langue lorsqu’on en a une image négative. Il faudrait donc changer cette image, démonter les stéréotypes et s’intéresser à la mentalité, à la manière de vivre, à la sous-culture (réellement différente) de l’autre, plutôt que la stigmatiser et s’en moquer. Cela paraît d’une logique implacable mais changer les mentalités n’est pas chose facile. Malgré tout, les situations semblent évoluer peu à peu, et le dévouement et l’imagination de nombre d’enseignants de langue seconde sont remarquables.

Les Romands signalent volontiers que s’ils disent quelques mots en allemand standard à des Alémaniques, ces derniers préfèrent répondre en français plutôt que de parler en allemand standard. Cela est encore en partie vrai mais cette adaptation du majoritaire au minoritaire commence elle aussi à changer puisque nombre d’Alémaniques  s’intéressent plus à l’anglais qu’au français, et qu’ils trouvent donc de plus en plus que les Romands pourraient aussi faire un effort et apprendre un peu le dialecte alémanique. A ce moment-là c’est le tollé, car certains francophones considèrent qu’ apprendre le dialecte alémanique serait comme une trahison envers la langue française et une soumission au majoritaire alémanique et à sa langue (qui, en plus, pour certains Romands, n’en serait pas une, de langue!). En fait, on sait aujourd’hui que tout apprentissage d’une autre langue constitue une ouverture incomparable sans nuire à la langue maternelle et dans le cas présent, les francophones défendraient peut-être encore mieux leur propre langue, identité et spécificité en s’exprimant de temps en temps en allemand, voire en dialecte, en présence d’ Alémaniques. Soyons précis, puisque nous marchons sur des charbons ardents, il ne s’agirait aucunement d’adaptation unilatérale mais de comportements symboliques ayant une signification et une portée considérables. En ne prononçant que quelques mots en allemand, voire en dialecte alémanique, les Romands montreraient qu’ils ont de la considération pour les Alémaniques, pour leur identité, leur langue, leur mentalité, et non du rejet, voire du mépris. Les Alémaniques sont très sensibles à ce genre de comportements plus ouverts. Quelques mots seulement pourraient changer du tout au tout la nature de ces rapports intercommunautaires. Nous l’avons vérifié empiriquement à de nombreuses reprises dans nos travaux de recherche. Mais proposer de telles mesures, aussi symboliques soient-elles, est déjà de trop pour certains francophones, pour les plus intransigeants qui voient partout mais à tort un danger de germanisation de la Suisse. Pour avoir proposé de telles mesures symboliques au niveau national et qui sont d’ailleurs couramment appliquées à la frontière des langues où Alémaniques et Romands vivent mélangés, nous avons été traité de « collaborateurs » par un ancien membre du gouvernement du canton, pourtant bilingue et frontière de Fribourg (« le combat linguistique a ses collaborateurs complaisants et ses résistants héroïques », journal « La Liberté », 5 sept. 1992).

On saisit la charge émotive du sujet alors que  notre proposition peut sembler des plus évidentes. Autre phénomène surprenant de nature linguistique dans un pays plurilingue: les écoles bilingues. Sachant précisément les difficultés d’un apprentissage purement scolaire et traditionnel des langues, de nombreux pays s’orientent de plus en plus vers les écoles bilingues. Au lieu d’apprendre une autre langue uniquement lors de cours de langue, on enseigne donc certaines matières scolaires générales (mathématiques, gymnastique, géographie , histoire, etc.) dans la langue étrangère afin d’acquérir cette dernière en la pratiquent et en l’appliquant . Sans entrer dans les détails et les variantes de cette pédagogie, il est établi que cette dernière s’avère très efficace, attirante même. La Suisse serait bien placée pour mettre davantage à profit les remarquables acquis de la scolarisation bilingue, cela d’autant plus que dans chaque communauté linguistique sont présents des membres des autres communautés linguistiques qui pourraient faciliter la mise en pratique de tels enseignements bilingues, voire plurilingues, en servant d’intermédiaires. Paradoxalement, la Suisse est aujourd’hui en retard en matière d’enseignement bilingue, même par rapport à des pays traditionnellement unilingues. Elle ne profite guère des atouts exceptionnels et considérables de son plurilinguisme. Le dynamisme innovateur n’arrive pas à avoir raison des pesanteurs éducationnelles traditionnelles ainsi que des peurs et préjugés  intercommunautaires ancestraux. La capacité des individus à se déplacer professionnellement, à changer de lieu, de région, voire de communauté linguistique, est aujourd’hui prônée par tout le monde mais on n’y prépare guère les individus. Les autorités et les parents de la Suisse plurilingue se verront-ils reprocher par leurs enfants de les avoir empêché d’apprendre efficacement et sans préjugés les autres langues? Il existe certes quelques écoles bilingues en Suisse mais elles sont souvent privées et coûtent cher. Seule une petite minorité privilégiée sera-t-elle réellement plurilingue? En fait, il s’agirait de généraliser l’enseignement bilingue dans l’école publique, afin de faciliter les échanges, la mobilité professionnelle et la communication interculturelle en général. L’apprentissage des langues deviendrait non plus rebutant mais passionnant. Cela serait possible sans beaucoup de moyens financiers supplémentaires étant donné les compétences à disposition, et éviterait surtout la dépense en vain de sommes considérables comme cela est fait actuellement. Il ne suffit plus de se donner bonne conscience en prônant théoriquement l’apprentissage des langue; il faut viser l’efficacité, efficacité qui permettrait simultanément une vie sociale plus intense, une communication interculturelle d’actualité et une ouverture d’esprit tant prônée, elle aussi.

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Et l’anglais? Il s’agit d’un autre problème faisant l’objet de discussions innombrables et infinies, en Suisse aussi. Continuons avec l’exemple des relations entre Alémaniques et Romands. On voit de plus en plus poindre la demande de pouvoir apprendre l’anglais comme seconde langue, à la place d’une deuxième langue nationale (à la place de l’allemand pour les Romands et du français pour les Alémaniques). Argument avancé: son utilité serait plus grande, son usage plus large et son apprentissage plus aisé; pour terminer, les Suisses communiqueraient entre eux en anglais lors des contacts intercommunautaires au lieu d’apprendre les langues nationales.

Le problème est clairement politique et notre choix l’est tout autant. Oui à l’anglais mais après une seconde langue nationale, cela d’autant plus que l’on sait que l’apprentissage d’une langue étrangère prépare et facilite l’apprentissage d’autres langues. Politique, le problème l’est car il en va carrément de la survie de la société pluriculturelle et plurilingue suisse. Avec l’hypothèse de l’anglais comme seconde langue apprise à l’école, la logique de la séparation risquerait de l’emporter sur la logique de l’unité dans la diversité, si longuement et chèrement acquise. En effet, l’on n’invente pas du jour au lendemain un facteur d’union nouveau entre des communautés linguistiques et culturelles différentes et à qui il a fallu des décennies, voire des siècles, pour trouver des modalités originales de cohabitation et de communication interculturelles[3].

Le modèle interculturel suisse est un modèle volontariste; il ne va pas de soi et ne se perpétuera pas automatiquement. Il suppose une volonté politique collective et doit être constamment activé, pratiqué, reconstruit et développé par des citoyens volontaires, actifs et décidés. De nos jours, la cohabitation séparée ne suffit plus, il faut un intérêt pour l'Autre, pour les Autres, intérêt qui va à l'encontre de la force des préjugés, des stéréotypes négatifs et des stigmatisations caricaturales.

Même s’il n’est ni parfait ni exportable, le modèle suisse nous semble mériter de continuer à exister, surtout à une époque où une logique diamétralement opposée, celle de l’exclusion de l’Autre et de la purification ethnique, se répand si vite qu’elle va finir par paraître inéluctable.

Pour illustrer un peu plus en détail la culture de l’interculturel et le savoir-faire intercommunautaire développés en Suisse, nous allons nous référer brièvement à l’une ou l’autre des multiples situations concrètes de contacts interculturels que nous avons observées sur le terrain pendant de nombreuses années dans le cadre de notre Groupe de recherche interdisciplinaire sur le pluriculturalisme.

Illustrons d’une autre manière le fait, fondamental pour nous, que la diversification culturelle de nos sociétés est également liée à des changements politiques profonds, à une modification des critères de nos comportements politiques et de nos sensibilités collectives. Certains de ces critères autrefois secondaires sont devenus plus importants, voire prioritaires, tandis que d’autres, déterminants il y a peu encore, sont devenus secondaires. Parmi les premiers critères, on peut citer précisément l’attachement à la langue, à l’identité culturelle et ethnique, au local, au régional, au territorial. Ces critères sont plus marqués chez un groupe social qui cherche à se définir comme minoritaire sur une base linguistique, ethnique ou régionale et à être perçu comme tel par les autres acteurs sociaux et politiques. L’insistance sur ces nouveaux critères a relégué au second plan, dans ces situations, des critères plus traditionnels comme les oppositions de classe et les oppositions idéologiques du genre gauche/droite. Dans le canton bilingue et frontière de Fribourg, (2/3 de francophones et 1/3 de germanophones) l’art.21 de la Constitution cantonale (la politique linguistique relève principalement des cantons en Suisse) relatif aux langues et qui prévoyait une certaine prééminence du français sur l’allemand (la version française faisait foi) n’avait guère posé de problèmes pendant des décennies. Mais, à partir des années 1960, cette prééminence du français a subitement été considérée comme vexatoire et humiliante par les minoritaires alémaniques (dans le canton de Fribourg, les Alémaniques, majoritaires au niveau national, sont minoritaires ). Ce changement d’attitude des Alémaniques ayant commencé à se définir comme MINORITAIRES est à mettre en relation avec le changement des critères du comportement social et politique susmentionné. Plus généralement, on peut distinguer 3 phases historiques dans les relations entre les deux communautés linguistiques fribourgeoises.

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  1. a) Une première phase qui va jusque vers les années 1950-1960 et qui se caractérise par l’adaptation unilatérale et volontaire des Alémaniques à la langue du majoritaire francophone. Le français est la référence, plus prestigieuse, à laquelle on s’adapte, au point où les Alémaniques ont même honte de leur dialecte alémanique maternel.
  2. b) A partir des années 1960, le bouleversement est complet: les Alémaniques minoritaires entrent dans une phase d’affirmation et de revendication identitaires générale et systématique (comme d’autre minorités nationales, linguistiques et ethniques dans d’autres régions du pays et du monde). Il s’agit bien d’un phénomène social et politique général et non d’une revendication purement locale. Cela, c’est nous, les sciences sociales, qui le disons. En revanche, les acteurs concernés vivaient les réalités tout autrement. Ainsi, les francophones majoritaires, brusquement remis en cause par des minoritaires jusque-là si conciliants et prêts à s’adapter, n’ont pas fait, dès le début, une lecture politique du phénomène. Ils ont procédé à une psychologisation, attribuant les revendications des Alémaniques à « leurs traits de caractère » (« esprit insatisfait et toujours revendicateur », etc.). La langue et la culture des Alémaniques n’étaient pas vraiment reconnues comme telles et une véritable « francisation » s’était mise en place (même les futures institutrices alémaniques qui allaient ensuite enseigner en allemand dans les communes et districts alémaniques du canton de Fribourg devaient faire leurs études en français). Cette psychologisation, vexatoire pour les Alémaniques, passés de l’adaptation à l’affirmation, a eu pour effet de crisper les relations entre les deux communautés. Le majoritaire a mis du temps à comprendre que derrière des revendications, à l’origine effectivement très spécifiques, partielles et sectorielles, (revendications sur la dénomination des noms de rues, de lieux, demande de bilinguisation généralisée, etc.), se cachait la naissance d’un véritable mouvement social et politique à base linguistique et culturelle.

D’autre part, même si les Alémaniques sont majoritaires au niveau national, il devenait intenable pour les francophones de leur refuser au niveau cantonal les droits que ces mêmes francophones revendiquent comme minorité au niveau national.

  1. c) A l’heure actuelle, au moment où les Alémaniques ont obtenu, après des décennies de lutte, d’insistance et de persévérance, satisfaction sur un très grand nombre de discriminations, s’ouvre une troisième phase des rapports intercommunautaires, faite pour l’instant d’incertitude mais dont l’issue va dépendre pour beaucoup de la disposition et de la volonté des acteurs en présence: ou bien chaque communauté linguistique va de plus en plus son propre chemin, dans le sens d’un « séparatisme soft », ou bien le canton de Fribourg profite de sa situation privilégiée de canton bilingue pour faire fructifier cette coprésence de deux langues et cultures et pour les faire communiquer davantage. Cela n’ira pas non plus de soi et ne pourra qu’être fonction d’un projet politique volontariste. Chaque communauté ayant maintenant  son identité, elles seraient en principe bien placées pour communiquer davantage entre elles et cela d’autant mieux qu’elles ont par ailleurs une culture politique

Le canton de Fribourg comme celui par exemple du Valais, également  bilingue et avec des proportions linguistiques semblables (1/3 de germanophones et 2/3 de francophones), ont la chance de posséder une longue tradition de culture de l’interculturel et de savoir-faire intercommunautaire grâce à la coprésence historique des deux principales langues et cultures nationales. Les deux cantons, situés à la frontière nationale des langues, comptent un certain nombre de communes comportant une part variable de l’une et l’autre communauté linguistique. Ils constituent de véritables laboratoires de l’interculturel, illustrant dans le réel et en acte ce que peut devenir la vie intercommunautaire lorsque deux communautés linguistiques et culturelles sont en présence dans des proportions, des situations et des contextes très variables. L’expérimentation interculturelle se fait sous nos yeux, sans expérimentateur, et cela depuis de nombreuses décennies, voire des siècles.

La grande variété des situations auxquelles a donné lieu l’attitude pragmatique dans la gestion des rapports intercommunautaires s’explique aussi par un facteur comme celui de l’autonomie cantonale et de l’autonomie communale (possibilité de rencontrer des modèles de rapports interculturels fort variables, même dans des communes proches ou voisines et ayant une composition intercommunautaire semblable) puisque chaque commune peut définir de manière relativement autonome sa politique linguistique et scolaire).

Ce savoir-faire intercommunautaire qui s’est développé à la frontière des langues est pourtant encore très peu étudié et connu, même par la population suisse. On retrouve la différence entre la définition politique et journalistique de la question des langues (souvent dramatisée, spectacularisée et peinte comme si la Suisse était au bord de l’éclatement) et le tableau que peuvent offrir des recherches approfondies des sciences sociales.

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Illustrons brièvement le fonctionnement quotidien de ce savoir-faire intercommunautaire qui s’est développé à la frontière des langues française et allemande dans les cantons du Valais et de Fribourg, et qui pourrait constituer une référence, ou du moins une source d’inspiration, pour l’ensemble de la Suisse, voire pour d’autres pays pluriculturels.

Dans l’ensemble, on est frappé par le climat de bonne volonté qui règne dans ces communes. Les problèmes existent, des différends et des tensions surgissent périodiquement, mais on cherche toujours une solution, la moins inéquitable possible. La dimension historique joue un rôle capital: cela fait des décennies, voire des siècles que l’on a dû chercher et trouver des solutions. Bonne volonté, souplesse et pragmatisme, autant d’attitudes qui se situent à l’opposé de l’attachement rigide à des principes et dont l’exigence d’application stricte devient souvent source de conflit. Lorsque l’expérience historique devient la référence, la solution est proche, tandis que la défense inconditionnelle de principes idéologiques engendre vite intolérance, blocage et conflit.

Dans les communes plurilingues du canton de Fribourg, par exemple, les domaines qui posent problème reviennent avec une régularité des plus fidèles: se sont principalement l’école, l’administration et la vie politique en général. La mesure dans laquelle une commune est plus ou moins complètement bilingue est déterminante (possibilité pour les enfants de la communauté minoritaire de suivre les écoles dans leur langue d’origine, degré de bilinguisme de l’administration, place faite à la minorité dans la vie sociale, culturelle et politique en général). Ce degré de bilinguisme dépend lui-même de l’importance de la minorité, de la pratique historique, du contexte géolinguistique, de la proximité de la frontière linguistique. Des facteurs autres que purement linguistiques interviennent pour expliquer l’état plus ou moins consensuel ou conflictuel du rapport entre les communautés linguistiques: l’ampleur et la rapidité du développement économique et des flux migratoires. Un développement économique et une immigration subits et forts peuvent poser plus de problèmes (comme c’est le cas à Marly et à Courgevaux, mais pas à Villars-sur-Glâne, dans une situation pourtant analogue) que des mouvement plus lents et plus anciens (Granges-Paccot, par exemple). La proximité des voies de communication joue également un rôle déterminant. Une commune située près d’une autoroute et relativement proche d’un centre urbain présente un attrait certain: terrain moins cher, possibilité de vivre à la campagne tout en travaillant à la ville. Si, d’autre part, une commune offre la possibilité de scolariser les enfants indifféremment dans l’une ou l’autre langue, son pouvoir d’attraction devient maximal. Dans ce tels cas, il peut se produire subitement des réactions de défense, souvent avec retard.

L’équilibre linguistique dépend aussi de la disposition plus ou moins grande des minoritaires linguistiques nouvellement arrivés à s’adapter. Souvent, les nouveaux arrivants alémaniques non fribourgeois qui ne possèderaient pas ce savoir-faire intercommunautaire historique que les "vrais" Fribourgeois, Alémaniques ou Romands, “ont dans le sang”, sont transformés en véritables boucs émissaires, devenant la cause de tous les problèmes.

Dans trois communes officiellement francophones: Courtaman, Courtepin et Wallenried (cette dernière à majorité pourtant alémanique, à 54%), le bilinguisme est considéré comme fonctionnant de manière exemplaire, palmarès au sein duquel Courtaman arrive en tête. Dans ce dernier cas, les proportions linguistiques sont aussi les plus proches (54% de francophones et 47% d'Alémaniques). Cette commune se trouve à mi-chemin entre Morat et Fribourg et est entourée de communes à la fois alémaniques et romandes. Le développement des deux communautés linguistiques s'est fait de manière lente et équilibrée au cours de l'histoire récente (contrairement, par exemple, à Courgevaux dont l'image est conflictuelle, et qui a donc connu un développement brusque et une immigration essentiellement alémanique).Ces trois communes disposent d'un autre avantage: elles sont proches les unes des autres et collaborent activement. Ce qui permet par exemple aux parents, grâce au cercle scolaire commun dont elles font partie, de scolariser leurs enfants dans la langue de leur choix. En ce qui concerne l'Association des communes du district du Lac (sept membres représentant les différentes régions du district), son président est parfaitement bilingue, les débats se déroulent à 80% en allemand tandis que le procès-verbal des réunions est rédigé en français. Autre modalité de gestion communale intéressante: Meyriez. Cette commune officiellement francophone, bien que les francophones ne représentent plus que 20% de la population, tient à le rester. Les débats au Conseil communal ont lieu en dialecte alémanique, les procès-verbaux sont rédigés en français. L'ensemble de la population tient au français, considéré comme un élément d'identité du village (situé à côté de la ville germanophone de Morat). La paroisse protestante de Meyriez (70% de protestants) constitue un autre exemple original de cohabitation linguistique. Même si les trois quarts de la communauté ecclésiale sont de langue allemande, la paroisse est francophone. Deux cultes mensuels sont célébrés en allemand et un en français. Les offices des jours de fête sont toujours bilingues. Le pasteur commence le sermon en français et le poursuit en allemand, sans traduire ses propos, la plupart des pratiquants comprenant les deux langues. Chacun chante dans sa propre langue sur une mélodie commune et les paroissiens prient en même temps, mais dans leur langue respective. Les mariages mixtes (du point de vue à la fois linguistique et religieux) sont courants. Le pasteur prépare alors minutieusement son texte afin que chaque langue ait la même importance. Une anecdote relative à l'image d'un tel culte bilingue chez certains: une dame suisse allemande trouvait que le pasteur avait privilégié le français, tandis qu'une romande fit remarquer: "C'était quand même un culte en allemand".

A propos de ces subtilités du bilinguisme, une remarque, recueillie à Courgevaux, souligne la nécessité d'ajouter à l'opposition Romands/Alémaniques, la catégorie des bilingues: une invitation rédigée dans les deux langues attire les Alémaniques et les Romands bilingues mais rarement les "purs" Romands (monolingues). On retrouve le sentiment  de nombre de Romands qui affirment que le bilinguisme avantage les Alémaniques, sentiment qui correspond à la réalité, puisque les Romands manifestent en général un moindre empressement à apprendre l’allemand.

Nombreuses sont les personnes qui insistent pour dire que les autorités cantonales devraient soutenir les communes comprenant les deux communautés linguistiques afin qu'elles puissent être plus conséquemment bilingues. Nombreux sont également ceux qui signalent que les situations de bilinguisme tempèrent les préjugés et la xénophobie. Les immigrés alémaniques, dans les communes majoritairement francophones et qui ont fréquenté l'école française, jouent souvent le rôle d'intermédiaire entre les deux communautés. Il est intéressant de relever les nuances apportées par les membres des deux communautés qui ont des rapports étroits avec ceux de l'autre communauté. Dans ces situations, les Alémaniques sont plus sensibles à la situation des minoritaires tandis que les Romands minoritaires comprennent mieux l'attachement des Alémaniques à leurs dialectes. Ces Romands-là ne seraient aucunement opposés à l'apprentissage du Schwyzerdütsch à l'école. Il ne s'agirait nullement d'un scandale pour eux et ils soulignent la nécessité de connaître ce dialecte pour comprendre la mentalité alémanique et pour éprouver ce que ressentirait un Alémanique qui devrait parler Hochdeutsch (allemand standard) dans toutes les situations de la vie quotidienne .Pour eux, demander aux Alémaniques de parler systématiquement Hochdeutsch relève de l'illusion et ils savent qu'il est impossible de les inviter à renoncer au dialecte, leur langue maternelle. Ici, certains Romands vont jusqu'à souligner que le dialecte alémanique est partie intégrante du patrimoine cultuel helvétique. Quant aux Romands bilingues, ils  se rendent mieux compte des difficultés que représente le dialecte alémanique pour le Romand unilingue. D'où l'évocation d'une autre modalité de communication intercommunautaire: les Romands qui ne parlent pas le dialecte cherchent néanmoins à le comprendre, chacun parlant dans sa langue. A Morat, chef-lieu du district bilingue du même nom et comptant environ 15% de francophones, les difficultés sont aussi  et vite attribuées aux "gens venus de l'extérieur", en l'occurrence les immigrés alémaniques du canton de Berne. Leur influence est crainte aussi bien par les Alémaniques que par les Romands; cette influence serait plus grande que ne le montrent les chiffres officiels, car tous les propriétaires de résidence secondaire aux environs du lac de Morat ne sont pas comptés dans ces chiffres. Comme dans le Haut-Valais, on trouve des Alémaniques pour dire qu'ils n'aiment pas trop d'autres Alémaniques. Il existe bien sûr aussi des animosités entre les deux communautés linguistiques traditionnelles. A Morat, les francophones minoritaires ont également dû se battre afin d'obtenir un cursus scolaire francophone de plus en plus complet (jusque dans les années 1960, les élèves francophones devaient suivre l'école secondaire en allemand). Les Romands se sentent et se disent peu désirés dans certains clubs et associations. Si les Alémaniques se disent très largement satisfaits, les Romands sont nombreux à signaler qu'ils ressentent néanmoins le "rapport de force" et la nécessité de s'adapter. Si des Alémaniques trouvent "qu'on en a fait déjà assez pour les Romands", certains Romands pensent que les raisons financières opposées à leurs revendications sont plutôt une excuse.

kantone_wappen.jpgMalgré certaines divergences inévitables, on retrouve la culture de la frontière que tous ressentent, mais qu'ils ont de la peine à définir. Cette culture se développe à partir des interactions intercommunautaires quotidiennes inévitables, interactions qui finissent par créer une mentalité particulière où l'on se sent "entre les deux". Ce qui, ailleurs, tourne en opposition, voire en exclusion, devient ici complémentarité enrichissante. L'expression "barrière de Röstis" est ressentie comme non pertinente car contradictoire avec ce que vivent quotidiennement les gens.

Cette culture de la frontière n'est pas non plus une donnée acquise; elle est aussi à construire et à reconstruire tous les jours. Elle suppose des efforts réciproques quotidiens, même si elle est profondément ancrée et relève de la tradition historique.

Le canton de Fribourg semble se trouver aujourd’hui à un tournant. La question linguistique prend subitement de plus en plus de place et des tensions plus marquées pourraient se faire jour d'un moment à l'autre. Sans mettre en cause un seul instant ni les frontières linguistiques ni les identités linguistiques et culturelles respectives, il serait bon de se rappeler que si l'équilibre linguistique suisse constitue un fondement solide de la Suisse, il compte ses fragilités; il a été acquis par le pragmatisme, un effort constant d'intercompréhension, de tolérance et de souplesse, et non par l'intransigeance, la méfiance et la suspicion. La Suisse pourrait éviter d'en arriver à la situation belge, à une polarisation sur la question des langues, à une logique de la séparation systématique et à un refus réciproque de plus en plus marqué.

Les cantons du Valais et de Fribourg ont l'immense avantage de vivre quotidiennement ce problème des rapports intercommunautaires et d'offrir une gamme extrêmement vaste et riche de situations concrètes où l'on a constamment cherché et réussi à résoudre les problèmes, même les plus difficiles et inextricables. L'ensemble de la Suisse aurait intérêt à mieux connaître certains de ces cas concrets de manière approfondie et détaillée, car seuls les problèmes les plus aigus que peuvent rencontrer ces deux cantons sont connus et médiatisés. Certes, les difficultés et les conflits existent, mais ils ne représentent qu'une infirme partie de l'ensemble des réalités économiques, sociales, culturelles, politiques et linguistiques, extrêmement riches, surprenantes et stimulantes, qui vont de pair avec cette cohabitation historique et quotidienne de deux communautés linguistiques.

On peut rappeler ici la différence de résultats suivant que l'on se fonde sur des sources écrites comme la presse quotidienne ou sur des études de cas approfondies effectuées par observation participante. Les premières font volontiers apparaître les difficultés et les problèmes (la presse est même accusée de les créer) tandis que dans les communes où vivent quotidiennement ensemble les deux communautés linguistiques, on est occupé à la solution de ces problèmes. C'est ici que s'élabore et se met en pratique le savoir-faire intercommunautaire et que se développe une véritable culture de la pratique interculturelle quotidienne.

Dans les mesures concrètes à prendre pour favoriser le développement du bilinguisme et du biculturalisme, nombreux sont ceux qui soulignent la nécessité d'agir à l'école et cela dès le plus jeune âge. Sans doute ressentent-ils le poids et la place que peuvent prendre très tôt chez les enfants les représentations stéréotypées et les préjugés relatifs à l'autre communauté et à l'autre langue.. Les exhortations habituelles au bilinguisme de la part des autorités n'étant guère suivies d'effets, peut-être vaudrait-il mieux se fixer des objectifs plus modeste et essayer, par exemple, d'agir davantage sur les obstacles qui empêchent la traduction dans la pratique de ces appels rituels au bilinguisme. L'un de ces obstacles majeurs réside à coup sûr dans ces images et représentations stéréotypées de l'autre communauté et de l'autre langue. L'Autre ne serait plus le bouc émissaire idéal et la cohabitation intercommunautaire deviendrait une chance exceptionnelle d'ouverture et d'enrichissement culturels et linguistiques. Les actes et gestes, concrets et symboliques, envers l’autre communauté et qui ont retenu notre attention pourraient grandement contribuer à un tel changement de représentation.

Pour terminer, nous espérons que les longues et patientes recherches menées de manière bénédictine sur la mosaïque interculturelle suisse et dont nous avons essayé de rappeler quelques aspects, montrent que les débats virulents autour du "multiculturalisme" ne peuvent se résoudre par des coups d'état théoriques et qu'ils ne sont en rien purement linguistiques ou culturels. Ces problèmes relèvent à la fois de l’ identité, de la communication et du politique. La grande variété des interactions constatées entre identité, communication interculturelle et culture politique devrait rendre plus évidente l'impossibilité de généralisations hâtives. L'étude de nombreux cas concrets et différents de culture de l'interculturel et de savoir-faire intercommunautaire illustrent enfin à quel point les phénomènes de communication interculturelle sont des phénomènes profondément politiques puisqu’ils font apparaître certains critères nouveaux et fondamentaux du comportement social et politique actuel.

  1. Une première version de cet article a paru dans l’ouvrage suivant : Uli Windisch, La Suisse, clichés, délire, réalité, Ed. l’Age d’Homme, Lausanne, 1998.

[2] Jusqu’au 10 mars 1996, cet article 116 relatif à la politique linguistique ne comportait

que deux alinéas:

  1. l’allemand, le français, l’italien et le romanche sont les langues nationales de la Suisse
  2. sont déclarés langues officielles de la Confédération: l’allemand, le français et l’italien

[3] Davantage de détails et des exemples concrets du fonctionnement quotidien de cette culture de l'interculturel et du savoir-faire intercommunautaire suisses se trouvent dans les nombreuses études de cas approfondies analysées sur le terrain par notre Groupe de recherche interdisciplinaire sur le pluriculturalisme suisse. Cf. U. Windisch et al, Les relations quotiennes entre Romands et Suisses allemands, 2 vol. op.cit. Cet ouvrage comprend par ailleurs une bibliographie d'une dizaine de pages sur le "modèle" politico-culturel suisse qu'il est impossible de reprendre dans le présent article. Le lecteur plus particulièrement intéressé au cas suisse pourra s'y référer.

Uli Windisch, L' article ci-dessus est un extrait de mon livre : Le Modèle suisse , Ed l'Age d'homme, Poche suisse, Lausanne -Paris, 2007.

dimanche, 22 novembre 2015

Freysinger, censuré par le journal Le Temps, son interview en entier

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Freysinger, censuré par le journal Le Temps, son interview en entier

Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Vous voulez savoir comment Le Temps, "journal de référence", traite ses interlocuteurs ? Voici un exemple parlant.

Le mardi 17 novembre, Xavier Lambiel me téléphone en me disant que sa rédaction veut réaliser une interview approfondie qui révèle le fond de ma pensée politique. Je lui réponds que j’ai un emploi du temps démentiel et lui demande quel délai il me donne.

Réponse : c’est assez urgent, pour demain mercredi, ou au plus tard jeudi.

Après réflexion, je lui suggère de m’envoyer ses questions par mail, lui promettant une réponse exhaustive avant la nuit.

Les questions m’étant parvenues dans l’après-midi, j’y ai répondu pendant presque deux heures. Un temps qu’il a fallu aménager dans mon agenda.

Mercredi, je reçois un mail du journaliste m’informant que l’interview ne paraîtra que vendredi 20. Je lui réponds que c’est OK pour moi.

Le jeudi, enfin, un nouveau courriel m’annonce que la rédaction renonce finalement à publier l’interview le lendemain et qu’elle ne la publiera que la semaine suivante à la condition que je sois sur le ticket UDC pour le Conseil fédéral !

Là, je fais savoir à Xavier Lambiel qu’il n’a plus besoin de me téléphoner et que je ne répondrai plus à aucune sollicitation du Temps, n’appréciant pas d’être pris pour un con. Je m’y tiendrai et ne m’étonne plus que ce journal, dirigé par des amateurs incompétents et des cuistres, voie son lectorat fondre de jour en jour.

Pourquoi cette censure ? Peut-être les rédacteurs ont-ils été mécontents des réponses que j’ai données à des questions très polémiques ? Peut-être n’ai-je pas suffisamment illustré la thèse selon laquelle l’UDC serait composée de butors ou de mononeurones ? Quoi qu’il en soit, je ne permettrai pas que mon temps et ma parole soient suspendus au bon vouloir ou aux manipulations tactiques des calamiteux maîtres du Temps. Je publie donc ci-dessous l’entretien tel quel.

Comme disent les journalistes, « le public a le droit de savoir »…


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INTERVIEW

Pourquoi dites-vous que la troisième guerre mondiale a déjà commencé depuis longtemps ?

Elle a commencé au lendemain de la deuxième, de manière insidieuse et lente. Nous avons été, pendant des décennies, comme des grenouilles baignant dans une eau tiède. Une tiédeur confortable faite de progrès social, de consommation, de divertissement. Et nous n’avons pas remarqué que nous y perdions notre âme. Maintenant, l’eau est devenue très chaude. Sous peu, elle sera bouillante et nous y passerons tous. Une civilisation qui est en dessous du seuil de 2,1 enfants par couple, qui se renie elle-même, qui jette aux oubliettes toutes ses valeurs et qui renie des pans entiers de son histoire est vouée à disparaître.

Le crépuscule des dieux approche et nous ne voulons rien voir venir.

C’est le déni qui nous tuera, l’aveuglement et l’inaction. Nous nous sommes évertués à nourrir sur notre sein le serpent qui nous mordra et nous le considérons toujours comme un doux chaton ronronnant !

Pourquoi dites-vous de l’Europe qu’elle est « malade » ?

Elle est malade de ses élites lâches et corrompues, de gens ne considérant plus le bien commun, mais seulement leurs petits intérêts propres, leurs ambitions, leurs prébendes. Ils ne font plus rêver personne. Ils ont perdu toute crédibilité. Leur incapacité à prendre des décisions nécessaires et à les assumer plonge les pays européens dans un marasme grandissant. Ils veulent tellement plaire qu’ils renient leurs racines, leur culture, leur histoire, car ça risquerait d’être « mal vu ». Or, un politicien n’a pas à plaire, il a à faire ce qui est juste, il a à faire ce qui doit être fait, et tant pis pour l’image. C’est le seul moyen pour retrouver une cohérence, le seul chemin pour retrouver le respect des citoyens.

N’exagérez-vous pas quand vous dites que « les écrits de Voltaire seront brûlés sur la place publique dans 20 ans » ?

Absolument pas. On s’évertue déjà maintenant à les interdire, car ils risquent d’offusquer certains milieux. Demain, on les brûlera sur la place publique. La soumission de la société civile à des idéologies doctrinales et liberticides finit toujours par des autodafés.

Vous prétendez représenter « l’anticorps contre la barbarie ». Que voulez-vous dire ?

Je suis un crieur dans le désert, un avertisseur. Depuis des années, je me bats contre la propagation, à l’intérieur du corps social, d’éléments criminogènes et liberticides qui ne sont pas issus de notre culture, de notre droit, de notre histoire. L’application rigoureuse de la sharia n’est pas compatible avec l’État de Droit tel que nous le concevons (arrêt Refah, CEDH 2001). Laisser des extraterritorialités juridiques se propager met en danger l’État de Droit. Accepter la coexistence de systèmes juridiques contradictoires crée des conflits et des tensions menant à la violence et la guerre civile. L’Europe doit défendre avec vigueur ce qui fait d’elle une exception civilisationnelle, elle doit revendiquer son droit de défendre ses valeurs immuables : la dignité individuelle inviolable, la liberté d’expression, le libre arbitre. C’est notre devoir envers nos enfants, envers nous-mêmes. L’Europe doit extirper les éléments liberticides qui cherchent à détruire notre société de l’intérieur en se prévalant des droits que nous leurs accordons tout en privant d’autres de leurs droits et en se moquant des devoirs qu’ils ont face à leur pays d’accueil.

La théorie du remplacement à laquelle vous souscrivez n’est-elle pas catastrophiste ou paranoïaque ?

La réalité est là. Les chiffres sont terrifiants. L’Europe est devenue stérile. Elle sent la mort. Entre l’euthanasie et l’avortement, les forces vives de notre continent s’amenuisent. Nous prolongeons la vie, mais nous n’en créons plus, parce que nous ne croyons plus en notre futur, en nos valeurs, en nous-mêmes. Nous passons d’une impulsion fugace à l’autre, nous consommons la vie comme si c’était un Big Mac, nous tuons notre ennui par des divertissements futiles, nous fuyons l’autre en le tenant à distance par l’électronique, nous nions la maladie et la mort en nous cloisonnant, nous nous déresponsabilisons par une pathologisation de nos dérives, par le recours systématique à des psys. Nous bourrons nos enfants de Ritaline pour qu’ils se tiennent tranquilles, nous prônons la solidarité et l’ouverture, mais nous cultivons notre égoïsme en nous refermant sur nous-mêmes. De cette manière, nous avons affaibli nos défenses, perdu notre vigueur. Des peuples plus forts, plus brutaux, portés par un dogmatisme étroit, vont finir par nous balayer.

Vous évoquez parfois « la haine de la race blanche ». Cet argument n’est-il pas un renversement de paradigme pratiqué par ceux qui haïssent l’islam ?

Pas du tout. C’est de la haine de l’homme blanc de lui-même que je parle, de son autoflagellation, de sa culpabilisation qui le pousse à ne plus oser s’affirmer, à se taire, à se coucher devant la barbarie croissante.

Vous êtes parfois taxé de racisme et classé à l’extrême droite de l’échiquier politique. Où considérez-vous vous situer sur cet échiquier ?

Je suis un démocrate convaincu. Un défenseur acharné de la vie, de la liberté individuelle qui ne peut exister que si l’homme assume ses choix. Je suis un défenseur de l’état de Droit et de la seule vraie liberté, celle qui est au fond de nous, cette étincelle d’essence spirituelle qui nous habite et qui a pour nom : amour transcendant ! Cela fait de moi un homme qui échappe aux clivages traditionnels, un humaniste et un mystique en même temps. Je refuse tous les totalitarismes, qu’ils soient collectivistes ou doctrinaires, car ils sont toujours matérialistes et cherchent donc le pouvoir absolu dans un monde limité. Quelle aberration. Il n’y a pas d’autre pouvoir que le pouvoir d’amour.

Pour vous, les Américains œuvrent à la perte de l’Europe en favorisant volontairement la crise migratoire actuelle. Vous considérez-vous comme antiaméricain ou comme pro russe ?

Je constate que les Américains ne sont plus le « policier de la planète », mais le premier générateur d’un chaos mondial. Ses jalons s’appellent Irak, Afghanistan, Libye, Syrie, Ex-Yougoslavie, Ukraine et j’en passe. L’empire US ne veille qu’à ses intérêts propres. Il ne connaît que des pays qui se soumettent à son diktat ou des pays qui s’y opposent et qu’il faut combattre.

La Russie a le courage de s’opposer à la Némésis yankee. Elle a retrouvé des valeurs, des couleurs, retrouvé la foi ; malgré les difficultés, elle est vivante ! Les USA ne sont plus qu’un propagateur de mort et de destruction et l’OTAN est leur instrument obéissant. Je suis convaincu que le futur de l’Europe se fera avec la Russie et non pas contre elle. C’est justement cette collaboration que les Yankees essaient par tous les moyens d’empêcher, sachant qu’il en émergerait un formidable contre-pouvoir économique, social, culturel et peut-être militaire.

Vous critiquez régulièrement les médias. Est-ce que les théories dites « complotistes » vous séduisent ?

Pour qu’il y ait complot, il faudrait qu’il y ait un semblant de réflexion ! Or, la plupart des médias sont aux ordres. Ils propagent la doxa dominante, se copient les uns les autres, condamnent malgré la présomption d’innocence, ignorent toute conception d’équité. Ils vivent désormais plus par l’image et sa dérive émotionnelle que par le verbe. Je les utilise comme ils m’utilisent. C’est un jeu de dupes. J’ai besoin de la visibilité qu’ils offrent malgré les distorsions de mon image et eux ont besoin d’un méchant pour pouvoir se faire un film qu’ils tentent de vendre à la foule.

Vous vous exprimez régulièrement en France ou en Allemagne. Avez-vous l’ambition d’être reconnu comme un idéologue des droites dures européennes ?

Dans mes conférences, je parle de démocratie directe, de la dignité inaliénable de l’homme, de la souveraineté. J’y parle de collégialité, de compromis, de dialogue. J’y parle de paix sociale, de droits populaires étendus, d’équilibres sensibles. J’y parle de la Suisse, un modèle d’essence métaphysique unique au monde. La Suisse est le seul pays sur terre qui a su traduire les lois immuables d’Antigone dans sa réalité politique vécue. Chez nous, Antigone fait le boulot de Créon sans devoir se renier. Chez nous, le cadavre de Polynice est enterré rapidement afin de rendre à la terre ce qui est sorti de la terre et permettre le pardon et le renouveau. En Suisse, les cadavres ne sont pas exhibés à des fins politiques. La Suisse est un perpetuum mobile, l’incarnation du développement durable politique. La Suisse est une horloge sensible, aussi forte que fragile, elle offre un mode de gouvernance unique dans l’histoire du monde, c’est un moule précieux qu’il faut propager, qu’il faut exporter, car c’est grâce à lui que le monde peut guérir.

Votre pensée politique est-elle gouvernementale et a-t-elle sa place au Conseil fédéral ?

Si ce que je viens de répondre dans cet interview n’est pas « gouvernemental », alors je crains que le gouvernement ne soit qu’une coquille vide.

Source : blog d'Oskar Freysinger

mardi, 21 octobre 2014

Trois initiatives cruciales pour la Suisse en novembre

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Trois initiatives cruciales pour la Suisse en novembre

Entretien avec Dominique Baettig

Ex: http://www.egaliteetreconciliation.fr

Le 30 novembre prochain, les électeurs suisses pourront se prononcer sur trois initiatives aux enjeux cruciaux. La première souhaite restreindre l’immigration de telle manière que la population vivant en Suisse n’augmente pas au-delà de 0,2 % par an [1], la deuxième propose d’abolir les forfaits fiscaux offerts aux étrangers [2] et la dernière permettrait à la Suisse de sauvegarder ses réserves d’or [3]. Le politicien suisse Dominique Baettig, qui ne suit pas la ligne officielle de son parti (UDC) sur Ecopop, nous livre son avis sur ces questions qui touchent à des thèmes aussi importants que l’immigration, la fiscalité et la souveraineté nationale.

Propos recueillis pour E&R par Alimuddin Usmani.

Alimuddin Usmani : Le 30 novembre prochain le peuple suisse se prononcera sur l’initiative Ecopop, qui souhaite ramener le solde migratoire annuel en Suisse à 0,2 % de la population permanente. Que pensez-vous de cette initiative ?

Dominique Baettig : L’initiative Ecopop est très importante pour l’avenir de notre pays. Elle transcende les clivages gauche/droite et cristallise les inquiétudes de la population autochtone qui voit se dessiner l’avenir radieux migratoire concocté par la droite économique et la gauche moraliste. Un cauchemar de 12 millions d’habitants, une surdensité urbaine, du béton partout, l’explosion des prix de l’immobilier, l’installation d’entreprises étrangères ou multinationales qui amènent avec elles cadres et employés. Le modèle suisse est privé progressivement de sa substance par substitution de population, accroissement de sa dépendance avec l’Union européenne, disparation de sa culture démocratique de proximité. La sous-enchère culturelle, économique (on ne forme plus assez en Suisse, on va chercher des employés ailleurs, meilleur marché) s’accélère et la population s’effraie aussi de voir ses décisions politiques (loi Weber, initiative sur l’immigration de masse, expulsion des criminels étrangers, acceptées par le peuple) systématiquement contournées ou disqualifiées par les milieux de l’économie et la gauche moraliste, soi-disant antiraciste. L’initiative Ecopop pose les vraies questions de l’avenir de ce pays et envisage une croissance différente, écologique, soucieuse de la qualité de vie, de souveraineté nationale et locale, de maîtrise des flux migratoires. Elle fixe des limites claires au solde migratoire (0,2 % du solde migratoire) et apparaît plus crédible que l’initiative de l’UDC qui laisse une marge de manœuvre trop floue (les besoins de l’économie).

L’initiative souhaite également allouer 10 % de l’aide au développement à la promotion de la planification familiale volontaire. Cette forme d’ingérence est-elle selon vous nécessaire ?

L’aide au développement, qui devrait d’ailleurs être plafonnée et plus incitative pour la responsabilité individuelle, peut très bien être une forme de promotion de la planification familiale volontaire. C’est une évidence, du bon sens qui diminuera aussi la paupérisation.

Concernant la problématique de l’immigration, le cas de l’Érythrée est éloquent. Ce petit pays de 6 millions d’habitants est considéré comme une fabrique de réfugiés. Une grande partie des réfugiés érythréens choisit la Suisse comme destination finale. L’année dernière près de 6 000 Érythréens ont demandé l’asile en Suisse, soit 1 habitant de l’Érythrée sur 1 000. Si l’on appliquait la même proportion à la Chine et à l’Inde, on aurait affaire à pas moins de 2,6 millions de Chinois et d’Indiens qui demanderaient l’asile en Suisse chaque année. Que vous inspire ce cas précis ?

Le droit d’asile, le statut de réfugié a subi une dérive dramatique. Il s’agit d’une forme détournée du droit à l’immigration, immigration qui s’impose, sans consulter la population locale et avec la bénédiction de certains milieux économiques qui y trouvent une main-d’œuvre bon marché et une arme de stratégie du chaos pour démonter les acquis sociaux et le droit de propriété. Au droit d’asile il faudra dorénavant opposer le droit de vivre dans sa culture, le droit à la propriété privée et collective nationale, le droit de bien vivre dans sa souveraineté nationale et l’autosuffisance économique la plus large possible, le droit à la démocratie de proximité. Les Érythréens ont bénéficié d’un statut particulier puisqu’ils ont pu invoquer pour obtenir le droit d’asile, qu’ils refusaient de faire leur long service militaire ou qu’ils étaient déserteurs. Cette exception doit cesser, surtout que cette communauté ne s’intègre guère (l’asile sera, au terme de la longue procédure, refusé) et que le séjour permet des rentrées financières qui repartent au pays via des canaux contrôlés par l’État érythréen. La gauche moralisatrice est responsable de cette exception scandaleuse puisqu’un déserteur (et ils disent qu’ils le sont presque tous !) pourrait, selon elle, être maltraité s’il n’est pas accueilli en Suisse.

Les Suisses vont également avoir la possibilité d’adopter l’initiative « Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires (abolition des forfaits fiscaux) ». Les étrangers fortunés peuvent effectivement bénéficier d’une fiscalité avantageuse. Pensez-vous que cela serait une erreur de l’accepter ?

L’abolition des forfaits fiscaux est cohérente par rapport aux autres thèmes visant à contrôler les flux migratoires et la croissance démesurée. Même si l’on ne sait pas vraiment si les autorités en tirent bénéfice ou pas, l’idée de favoriser les riches étrangers alors qu’on refuserait les pauvres n’est pas éthiquement défendable.

Enfin le pays votera sur l’initiative « Sauvez l’or de la Suisse » qui possède 3 exigences : 
- stopper les ventes d’or ;
- rapatrier en Suisse tout l’or de la Banque nationale stocké à l’étranger ;
- la Banque nationale suisse doit détenir au moins 20 % de ses actifs sous forme d’or.
Que recommandez-vous ?

L’initiative « Sauvez l’or de la suisse » est aussi très importante et déclenche déjà, comme Ecopop, les cris d’orfraie de la classe politique. Les milieux financiers internationaux cherchent à disqualifier le rôle des monnaies argent/or depuis des années pour les remplacer par des valeurs papiers, reconnaissances de dettes. Les ventes d’or doivent être stoppées pour conserver assez de réserves garantissant souveraineté et prospérité (alors que le papier ne vaut presque plus rien). 20 % des réserves de la Banque nationale doivent être composées d’or, ce qui n’est pas trop contraignant. Et les réserves doivent être rapatriées pour être sous contrôle national souverain. Grâce à l’initiative, nous savons que 70 % des 1 040 tonnes d’or suisse sont conservées sur le territoire, ce qui est une très bonne nouvelle. L’Allemagne et l’Autriche ont engagé des procédures similaires de rapatriement de leur or.

La classe politique fait du chantage en faisant croire que cette initiative empêchera la distribution des bénéfices aux cantons. Est-ce bien le rôle de la BNS que de redistribuer le produit de la vente, à bas prix, des bijoux de famille appartenant à la prospérité de l’économie suisse et au succès de son modèle qui suscite des envies et de la jalousie ?

vendredi, 21 février 2014

Die Folgen der Schweizer Volksabstimmung

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Die Folgen der Schweizer Volksabstimmung

Martin Lichtmesz

Ex: http://www.sezession.de

 [1]Die Reaktionen der EU-Kaste [2] auf das Ergebnis der Schweizer Volksabstimmung waren in nahezu burlesker Weise entlarvend. Es wurde gescholten, gezetert, die Stirn gerunzelt, vor allem aber allerlei unangenehme „Konsequenzen angedroht“, aktuell etwa von Kommissar José Manuel Barroso nach dem Motto „Wie du mir, so ich dir“.trans Die Folgen der Schweizer Volksabstimmung [3]

Nach der ersten Schockstarre – die Schweiz hatte am Sonntag wider Erwarten für die Wiedereinführung von Zuwanderer-Kontingenten gestimmt – reagiert die Europäische Union: Die Kommission droht nun mit ernsten Konsequenzen, sollten die Eidgenossen die Zuwanderung (von EU-Bürgern) tatsächlich wieder begrenzen. „Im Sinne der Gegenseitigkeit ist es nicht richtig, dass Schweizer Bürger die unbeschränkte Personenfreizügigkeit in der Europäischen Union haben“, sagte Kommissionspräsident Jose Manuel Barroso in einem am Mittwoch veröffentlichten Reuters- [4]Interview. Damit deutete der Kommissionschef an, dass Schweizer künftig nicht mehr ohne weiteres in EU-Ländern wohnen und arbeiten könnten. Konkrete Strafmaßnahmen nannte er aber nicht. „Es ist unfair, dass ein Land alle Vorteile hat und seinen Partnern nicht dieselben Vorteile gewähren will“, betonte der Politiker.

Einen unüberhörbar dräuenden Unterton hatten auch die Stellungnahmen der bundesbunten EU-Statthalter auf deutschem Boden, Merkel und Schäuble: [5] Das Ergebnis des Volksentscheids werde „eine Menge Schwierigkeiten verursachen“ (Schäuble) und „erhebliche Probleme bereiten“ (Merkel). Beides klingt weniger nach nüchternen Feststellungen, sondern eher als Ankündigung von einer Menge Ärger für die Ungehorsamen.

Der Umgang mit der bloß EU-nahen Schweiz zeigt, was auch allen Mitgliedstaaten blüht, die es wagen, von der Brüsseler Linie abzuweichen. Überall dort, wo das Stimmvieh etwas anderes im Schilde führt, als deren Zielsetzungen formell abzusegnen, drohen Sanktionen und Ächtungen. Brüssel läßt Parteien wie die SVP, die FPÖ, Front National, UKIP oder AfD, und damit auch ihre Wähler mehr oder weniger offen spüren, daß sie gerade noch geduldet sind, im Grunde aber nichts weiter als lästige Quälgeister sind, die man einstweilen dulden muß, mit denen man aber langfristig schon fertig werden wird.

Die deutsche Presse hat in Übereinstimmung mit den herrschenden Eliten überwiegend versucht, den Volkentscheid als negativ hinzustellen. Typische Schlagzeilen lauteten: „Die Schweiz schottet sich ab“, „Proteste gegen das Ja“, „Kritik an Schweizer Abschottung“, „Schweizer Abschottung – Ratlos im ‚Tal der Tränen“, „Schweiz schockt die Politik“, „Schweiz schneidet sich ins eigene Fleisch“, „Enttäuschtes Europa“, [6]Sieg der Angst vor der Überfremdung“ [7] und so weiter.

Minderwertigkeitskomplexe, [8]gnadenlose Vereinfacher“ und „Poltergeister“ [9] und sonstige „Gespenster“ [10] werden für das Debakel verantwortlich gemacht. Die Schweizer hätten „fundamentale Rechte ausgehebelt“  [11]und einen furchtbaren „Schaden“ angerichtet. Und Martin Schulz, Präsident des EU-Parlaments, sieht kleinkarierte, rosinenpickende „Fremdenfeinde“ [12] am Werk.

Zu den „Vereinfachern“ werden selbstverständlich nicht jene gezählt, die auf die sentimentale Tube drücken und etwa die Schlagwortmystik der „Offenheit“ oder „Weltoffenheit“ bemühen, um rationale Diskussionen zu verhindern. Hier wird wieder die übliche doppelbackige Zange angesetzt, die Allianz zwischen linker Internationalisierungsrhetorik und neoliberalen Geschäftsinteressen, die einander gegenseitig glänzend stützen und ergänzen. Während die einen beklagen, der Volksentscheid sei schlecht fürs Business, jammern die anderen, er sei schlecht für die „Vielfalt“ und allerlei humanitäre Anliegen.

Kulturträger wie der Schriftsteller Adolf Muschg „schämen“ [13] sich schon mal kräftig, daß ihre Landsleute „einen tiefen Mangel an kosmopolitischer Substanz“ gezeigt hätten, was natürlich das Wichtigste auf der ganzen Welt ist. Demonstranten gegen den Volksentscheid in Zürich marschierten mit vielsagenden Transparenten [14] auf: „Gegen Rassismus und Repression: Internationale Solidarität“ oder „Refugees welcome“  [5] oder für „eine offene Schweiz“.

Der Wiener Standard brachte am 10. Februar einen für dieses Denken typischen Cartoon [15]:  dieser zeigt die Schweiz als trostlose, finstere Alpenfestung mit dem Charme des Todessterns, von einer hohen, dicken, fünfzackigen Mauer ohne Fenster und Türen umgeben, versehen mit der Bildlegende: „Von offenen Gesellschaften und ihren Feinden“. (Aha: „Feinden“?) Geographisch recht abenteuerlich, nur ein kleines Stück hinter der Mauer, ist ein Meer zu sehen, über das mit Armutsflüchtlingen vollbepackte Boote Richtung Europa steuern.

Das Motiv kennt man: ähnliche Bilder, die eine Alcatraz-artige „Festung Europa“ zeigten, haben linke Cartoonisten auch apropos Lampedusa am Fließband produziert. In beiden Fällen ist moralische Erpressung durch die Erzeugung von schlechtem Gewissen das Ziel. Daß diese Motive nun 1:1 auf die Schweiz übertragen werden, zeigt den entscheidenden „Subtext“ der Kontroverse um die Abstimmung, der auch Grund für die Unruhe ist, die sie ausgelöst hat.

Vordergründig macht man sich darüber lustig, daß sich die Schweizer nun offenbar vor einer „Überfremdung“ durch Deutsche [16] und deren Konkurrenz [8] fürchten (siehe auch hier [17]und hier [18]). Aber im Hintergrund steht eben doch ein anderer „Diskurs“. Es geht hier keineswegs um Deutschen- oder EU-Bürgerfeindlichkeit. Die SVP-Initiative hat ein wichtiges Paradigma der EU-Herrschaft in Frage gestellt – ein Akt, der in deren Hauptfregatten Deutschland [19] und Frankreich [20] zu weitaus problematischeren Lagen führen würde.

Anders als die Presse mit ihrer Rede von den „Poltergeistern“ und verpeilten „Populisten“ behauptet, bestach die SVP-Kampagne durch eine intelligente Kombination aus Faktenpräsentation, vernünftiger Argumentation und griffiger Vermittlung. [21]  Sie war in jeder Hinsicht vorbildlich aufgezogen, was gewiß ihren erstaunlichen Erfolg befördert hat.

Sie warf legitime und für jede Nation überlebensnotwendige Fragen auf: die Frage nach dem rechten Maß, dem Verhältnis zwischen Bevölkerungs- und Einwandererzahl, die Identitätsfrage, die Raum- bzw. Verortungsfrage [22]und die Umweltfrage, [23] die untrennbar miteinander zusammenhängen. Es kann für kein Land wünschenswert sein, wenn auf lange Frist die Zahl der Zugewanderten jene der Ansässigen übertrifft, oder wenn die räumlichen Ressourcen und Kapazitäten übermäßig strapaziert werden.

Diese Probleme können weder mit rein „ökonomistischer“ („Allein das Business zählt!“) noch mit rein „humanistischer“ Rhetorik, die alle Welt zu sich einladen will, um an einem angeblich endlos verfügbaren Kuchen mitzunaschen, zugedeckt werden – und auch nicht mit „kosmopolitischem“ Glamour, der sich spätestens dann verflüchtigt, wenn sich der Import der Dritten Welt auch sozial, bildungspolitisch und wirtschaftlich bemerkbar macht.

Die EU ist heute nichts weiter als ein politischer Arm dessen, was ich als „egalitären Globalismus“ bezeichne. Wenn Nationalstaaten nur mehr beliebige „Standorte“ werden sollen, die man zuerst ihrer Substanz beraubt, um sie anschließend mit Konsum und „Menschenrechten“ aufzufüllen, dann müssen folgerichtig  die Völker „entortet“ und ihre Identitäten aufgelöst werden.

Die Rede von der allumfassenden und totalen „Offenheit“ und „Freizügigkeit“ zielt auf genau dies ab: auf Entortung durch Entgrenzung und Identitätsabbau durch „Egalisierung“. Dies ist die „offene Gesellschaft“, die hier geplant wird, und wer sich gegen sie stellt, ist ein „Feind“, wenn nicht gleich ein Schwerverbrecher, der den Sieg der Heilen [24] kaum erwarten kann. Darum wird man nicht müde, diesen Widerstand aus neurotischen Verkrampfungen und ethischen Defekten zu erklären. In Wirklichkeit sollte inzwischen klar sein, daß die solcherart „geöffneten“ Gesellschaften in erster Linie offenstehen sollen, um die Penetration durch allerei übernationale Finanzpumpen zu ermöglichen.

Schließlich ist der SVP und den Schweizern zu verdanken, dem Schlagwort von der „Masseneinwanderung“ weite Verbreitung und Geltung verschafft zu haben. Die EU-Eliten reagieren auffällig allergisch, wenn die Einwanderung an sich als Problem thematisiert wird, und handele es sich auch nur, wie im Fall der Schweiz, um nicht mehr als die Forderung nach einer sinnvollen Beschränkung (denn von einem Totalstopp war ja niemals die Rede). Das hat den einfachen Grund, daß sie eben diese „Masseneinwanderung“ wollen, was man eindeutig belegen kann. [25]

Es sei noch hervorgehoben, daß der Schweizer Volksentscheid nicht nur negative Presse hervorgebracht hat. Erstaunlich positive Kommentare sind in Leitmedien wie Focus [26], Die Welt [27] oder sogar im Spiegel [28]erschienen, wo ein Gastbeiträger „Europas mutigste Demokraten“ bejubelte – ob es sich hierbei nur um Alibis und Pluralismus-Attrappen handelt, sei dahingestellt. „Weltwoche“-Chefredakteur Roger Köppel bekam in deutschen Fernsehen Gelegenheit zu einem souveränen Auftritt, [29]der seine Wirkung auf viele Zuschauer nicht verfehlt haben wird.  Auch in den deutschen Kommentarspalten [30] zeigt sich überwiegend Sympathie für die Schweizer. Im „Voting“ des Mainstream-Massenportals web.de [31], das in der Regel nur Prawda-ähnliche Artikel verbreitet, haben über 60% der Nutzer die Entscheidung der Schweizer als „richtig im Sinne ihrer Bürger“ beurteilt.

Dahingestellt sei auch, ob der Entscheid wirklich soviel Grund zum Jubeln bedeutet, wie dieser junge Autor aus dem Umfeld der Wiener „Identitären“ meint [32].  In einem Punkt hat er gewiß recht: die Schweizer haben eine entscheidende, weithin verharmloste und unterschätzte Schicksalsfrage Europas angesprochen, über die dringender Aufklärungsbedarf herrscht. Es fehlt der breiten Bevölkerung an Wissen und Informationen; wären mehr Fakten über die Konsequenzen der laufenden Einwanderungspolitik bekannt, so wäre vermutlich auch ein größeres Widerstandspotenzial, wie es sich in der Schweiz gezeigt hat, möglich.

Tatsächlich erklären sich Experten die Aufholjagd der Volksabstimmung dadurch, dass den meisten Schweizern gar nicht bewusst war, wie massiv und unumkehrbar die Einwanderung in ihre Heimat wirklich ist. Der Tagesspiegel schreibt z.B.

Diese Nettozahl war bis zur Lancierung der Zuwanderungsinitiative nur Insidern bekannt, die gerne Bevölkerungsstatistiken studieren oder diese selbst verfassen.” (tagesspiegel [33])

Erst die Info-Kampagne der SVP, welche die Frage zum Thema machte und so auch allen Medien „aufzwang“, durchbrach diese Mauer der Desinformation. Und erst als den Schweizern bewusst wurde, wie massiv das Problem ist, wendete sich das Blatt und die allgemein akzeptierte, politisch korrekte Haltung wurde zunehmends hinterfragt. Es ist dasselbe Phänomen, warum etwa in Österreich in Wahlkampfzeiten die Ablehnung von Einwanderung so hoch ist wie sonst nie. Wenn das Problem thematisiert wird, bröckelt die „Heile Welt“-Fassade der Medien und die Wahrheit tritt zutage. Wenn man es dem Volk bewusst macht, bildet sich erst Wut und Widerstand. (…)

Sozialistische Parteien fahren mittlerweile in ganz Europa die Strategie, Masseneinwanderung und Überfremdung gar nicht mehr zu erwähnen (!). Selbst wenn sie es mit der schönsten und bestgeschliffensten Multikulti-Propaganda garnieren: allein die Erwähnung des Themas als Problem führt zu immensen Stimmengewinnen bei patriotischen Parteien. Es gibt für die Multikultis keine Möglichkeit mehr, das Problem zu thematisieren, weil sie einfach keine Lösung dafür haben, weil sie es nicht erwartet haben, weil es nach ihnen „gar nicht da“ sein dürfte. Also wird es totgeschwiegen. Genauso totgeschwiegen, wie die gesamte Kampagne der SVP, von der man in den europäischen Medien wenig bis gar nichts erfahren hat.

Ich denke, daß der Autor recht hat, dieses Thema besonders hoch zu veranschlagen:

In der restlichen Infoarbeit und den Aktionen ist das Thema oft in den Hintergrund gerückt. Dabei ist es die wichtigste Frage überhaupt, die und das zu bezeichnen, das sonst NIEMAND thematisiert. Es gibt genug Bewegungen, die sich auf Umweltschutz, Datenschutz, Konsumkritik, reine Kritik am Genderwahn, Kulturmarxismus, Islam, etc. eingeschossen haben. Aber all diese Fragen sind sekundär gegenüber der Frage von Masseneinwanderung und Überfremdung! Hier liegt das größte Problem, denn wessen Daten, Umwelt, Religion, Familien und Kulturen will man schützen, wenn unser Volk verschwunden ist?

Er schließt mit dem Appell:

Unsere Forderung nach echter Demokratie, nach einem Offenlegen aller Zahlen; danach, dass man das Volk endlich vor die Wahl stellt, ob es abgeschafft werden will, ist das wichtigste Thema, dem alles Denken und Streben aller Identitären 24 Stunden am Tag und 365 Tage im Jahr gelten sollte!
 

Article printed from Sezession im Netz: http://www.sezession.de

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[1] Image: http://www.sezession.de/43628/schweiz.html/svpbaum

[2] Reaktionen der EU-Kaste: http://deutsche-wirtschafts-nachrichten.de/2014/02/10/volksentscheid-eu-funktionaere-pruegeln-auf-die-schweiz-ein/

[3] Image: http://kurier.at/politik/eu/barroso-droht-schweiz-erste-konsequenzen-an/51.021.570

[4] Reuters-: http://uk.reuters.com/article/2014/02/12/us-eurozone-summit-switzerland-idUKBREA1B0FG20140212

[5] Merkel und Schäuble:: http://www.faz.net/aktuell/politik/votum-fuer-begrenzte-einwanderung-merkel-sieht-erhebliche-probleme-mit-der-schweiz-12793738.html

[6] Enttäuschtes Europa“,: http://www.spiegel.de/politik/ausland/zuwanderung-enttaeuschung-ueber-volksabstimmung-in-der-schweiz-a-952398.html

[7] Sieg der Angst vor der Überfremdung“: http://www.faz.net/aktuell/politik/ausland/volksabstimmung-in-der-schweiz-sieg-der-angst-vor-ueberfremdung-12793412.html

[8] Minderwertigkeitskomplexe,: http://www.welt.de/wirtschaft/article124787234/Schweiz-fuehlt-sich-von-den-Deutschen-provoziert.html

[9] gnadenlose Vereinfacher“ und „Poltergeister“: http://www.welt.de/wirtschaft/article124721437/Schweizer-Volkstribun-wird-zum-Poltergeist-Europas.html

[10] Gespenster“: http://images.derstandard.at/2014/02/10/1389960440589-140211ca959xf.jpg

[11] fundamentale Rechte ausgehebelt“ : http://www.gmx.at/themen/nachrichten/ausland/38b2pvy-fragen-antworten-konsequenzen-schweizer-weichenstellung

[12] kleinkarierte, rosinenpickende „Fremdenfeinde“: http://www.nzz.ch/nzzas/nzz-am-sonntag/christoph-blocher-ist-ein-cleverle-1.18239039

[13] schämen“: http://www.focus.de/politik/ausland/volksabstimmung-in-der-schweiz-schriftsteller-muschg-schaemt-sich-fuer-landsleute_id_3603117.html

[14] vielsagenden Transparenten: http://i0.gmx.net/images/978/18603978,pd=2,mxw=720,mxh=528.jpg

[15] einen für dieses Denken typischen Cartoon: http://images.derstandard.at/2014/02/09/1389956143381-cart.gif

[16] Überfremdung“ durch Deutsche: http://www.zeit.de/politik/ausland/2014-02/Schweiz-Einwanderung-Deutsch-Kommentar

[17] hier : http://www.rp-online.de/politik/volksentscheid-schweiz-mobbing-vor-allem-gegen-deutsche-aid-1.4026449

[18] hier: http://www.spiegel.de/wirtschaft/soziales/zuwanderungsstreit-in-der-schweiz-deutsch-zu-selbstgerecht-a-952622.html

[19] Deutschland: http://www.pi-news.net/2014/02/kopp-harte-fakten-ueber-zuwanderung/

[20] Frankreich: http://alternative-right.blogspot.co.uk/2014/02/the-africanization-of-france.html

[21] bestach die SVP-Kampagne durch eine intelligente Kombination aus Faktenpräsentation, vernünftiger Argumentation und griffiger Vermittlung.: http://www.masseneinwanderung.ch/

[22] Verortungsfrage : http://antaios.de/gesamtverzeichnis-antaios/reihe-kaplaken/1109/der-verlust-des-ortes?c=7

[23] Umweltfrage,: http://www.sezession.de/heftseiten/heft-56-okt-2013

[24] Sieg der Heilen: http://www.spiegel.de/politik/ausland/gegen-masseneinwanderung-analyse-zum-votum-in-der-schweiz-a-952426.html

[25] was man eindeutig belegen kann.: http://www.sezession.de/41694/nein-muss-ich-nicht-identitaere-kundgebung-gegen-morten-kjaerum-in-wien.html

[26] Focus: http://www.focus.de/politik/gastkolumnen/kelle/freiheit-ist-es-was-ich-meine-ein-land-gefangen-in-politischer-korrektheit_id_3603746.html

[27] Die Welt: http://www.welt.de/debatte/kommentare/article124718119/Der-wohlueberlegte-Aufschrei-der-Schweizer.html

[28] Spiegel : http://www.spiegel.de/politik/ausland/schweizer-journalist-verteidigt-volksvotum-gegen-zuwanderung-a-952673.html

[29] Gelegenheit zu einem souveränen Auftritt, : http://www.pi-news.net/2014/02/tv-tipp-hart-aber-fair-mit-koeppel-und-lucke/

[30] deutschen Kommentarspalten: http://www.tagesanzeiger.ch/schweiz/standard/Lob-fuer-die-Schweiz/story/15474108

[31] web.de: http://web.de/magazine/nachrichten/ausland/18603630-volksentscheid-schweiz-reaktionen-votum-masseneinwanderung.html

[32] wie dieser junge Autor aus dem Umfeld der Wiener „Identitären“ meint: http://www.identitaere-generation.info/was-sagt-uns-die-schweiz/

[33] tagesspiegel: http://www.tagesanzeiger.ch/schweiz/standard/Diese-Fakten-bringt-die-Zuwanderungsinitiative-ans-Licht-/story/26741991

[34] : http://www.youtube.com/user/BlocherTV

[35] : https://www.facebook.com/akif.pirincci/posts/662425503798674?stream_ref=10

[36] : http://diepresse.com/home/politik/aussenpolitik/1562651/Schweiz_Blocher-uberrascht-von-milder-Reaktion-der-EU

[37] : http://www.youtube.com/watch?v=B5OiE_gpGiE

[38] : http://bazonline.ch/basel/land/Der-Besuch-der-Sextante-D/story/21578252

jeudi, 20 février 2014

La Suisse contre l’immigration : analyse

La Suisse contre l’immigration : analyse

les-suisses-vont-restreindre-l-immigration-26542-hd.jpgLorsque les Suisses s’étaient prononcés, grâce au système unique en Europe de la ”votation” populaire, en mars 2013, pour un encadrement des  salaires des grands dirigeants d’entreprise, tous les partis de gauche avaient applaudi : que le peuple helvète pense bien !  Mais quand  il avait voté contre les minarets, puis pour l’expulsion des étrangers criminels, les mêmes avaient fulminé contre ce système de référendum populaire (pardon, populiste) qui donne la parole à ce peuple qui pense mal.

Avec le référendum de février 2014 pour limiter l’immigration, ce n’est plus seulement la gauche, mais presque l’ensemble de la classe dirigeante helvétique qui s’est insurgée contre cette opinion populaire incongrue. Le prétexte, pseudo économique, consiste à dire que la Suisse va s’isoler, mais la véritable raison de la colère des élites est ailleurs : le peuple a refusé de suivre l’oligarchie dans ses délires d’ouverture des frontières. Sagesse populaire contre folie. Mais réaction bien fragile, car le peuple souverain sera toujours très faible face aux retours de bâton des dirigeants. (1)  

 Avec quel mépris les résultats du référendum suisse ont été traités par les autorités de Bruxelles, le discours journalistique dominant et une partie de la classe politique française ! ”Démagogie” et ”populisme”, voilà les deux termes les plus fréquemment employés  par le clergé bien-pensant pour qualifier le résultat du référendum limitant l’immigration. La prétentieuse technocratie de l’UE a même osé proférer des admonestations et des menaces contre la Suisse. M. Fabius (de quoi se mêle-t-il ?) et le gouvernement socialiste français (le plus nul en résultats de toute l’Europe) ont tenu des propos méprisants sur les conséquences de ce référendum. Sans penser au respect qu’un pays européen doit à un autre. Belle conception de la démocratie, où la volonté du peuple réel est discréditée et déligitimée.  C’est normal, puisque le référendum suisse remet en cause le dogme central : l’immigration libre et incontrôlée, pilier de l’idéologie dominante (mais non majoritaire) qui gouverne la technocratie de l’UE comme la plupart des gouvernements.   

Les pseudo économistes prédisent une catastrophe pour l’économie suisse (la seule d’Europe à ne pas connaître de chômage de masse) du fait de quotas imposés aux migrants en fonction des besoins économiques du pays. Mais enfin, le Canada et l’Australie pratiquent la même mesure avec succès. Au contraire, le peuple suisse, à l’inverse de ses dirigeants, est pétri de bon sens économique. Depuis que la Confédération a adhéré aux accords de Schengen, interdisant à un État de contrôler ses frontières, l’immigration a explosé : 400.000 entrées par an, pour un pays de 8 millions d’habitants. Actuellement, on frôle les 25 % d’étrangers. On a atteint un seuil à ne pas dépasser, même si la majorité est composée d’autres Européens.

En réalité, le peuple suisse a fait preuve de perspicacité : d’une part, il a jugé que la prospère économie suisse n’avait pas besoin de plus de travailleurs extérieurs, même européens, ce qui est conforme à la loi de l’utilité marginale ; l’argument du manque de main d’œuvre domestique ne tient pas, comme le démontre l’exemple du Japon (2) ; d’autre part – et c’est là le point le plus important – le référendum suisse anti-immigration libre vise à préserver le pays contre ce fléau qui accable la France, c’est-à-dire l’immigration de peuplement extra-européenne de non-travailleurs (3) qui a deux conséquences : plomber l’économie et la richesse nationale sous le poids de l’assistanat social ou de l’économie souterraine et défigurer les racines et l’identité du peuple. Sans parler des problèmes de sécurité et de multiples dégradation du cadre de vie.    

Ce fléau a déjà commencé en Suisse, sans atteindre le niveau catastrophique de la France. Le peuple s’en rend compte, dans sa vie quotidienne (pas les élites protégées). En n’acceptant l’installation, par quotas, que de travailleurs utiles à l’offre économique domestique, le peuple suisse a rejeté de fait, suivant en cela l’UDC, l’immigration extra-européenne, à 80% musulmane. Et c’est bien cela qui choque les maîtres du système, et pas du tout une préoccupation économique : le peuple suisse refuse de se laisser envahir et mélanger, le peuple suisse rejette l’idéologie dominante, il tient à son identité. Sous-entendu : il est obsidional, il est raciste, il est pécheur, il refuse d’obéir. Les Helvètes ont manifesté, de manière subliminale (quoiqu’à une proportion assez faible de 50,3% des votants) le souhait de maintenir sur leur territoire souverain leur identité européenne.  C’est inacceptable pour nos dirigeants  qui rêvent d’un autre monde, de leur paradis qui sera un enfer.   

Bien sûr, le Front National  français a applaudi au référendum de nos voisins suisses, ce qui est logique et cohérent.  Mais, chose amusante, en cette période pré-électorale, certains caciques de l’UMP aussi. Comme Guillaume Peltier, cofondateur de la Droite forte, un des vice-présidents de l’UMP et l’ancien Premier ministre M. François Fillon. On se frotte les yeux : l’UMP, qui  a donc été au pouvoir (à moins que je ne rêve) n’a strictement rien fait qui aille dans le sens du référendum suisse, proposé par l’UDC, c’est-à-dire la maîtrise rigoureuse de l’immigration, en la limitant à des quotas de travail. C’est la planète des politiciens : ”mes opinions sont faites pour me faire élire, pas pour être appliquées”. L’UMP et la droite, quand elles étaient au pouvoir, n’ont jamais suivi les idées qu’elles semblent défendre aujourd’hui. L’explication ne tient pas tant à la lâcheté ou à la duplicité des politiciens de droite qu’à leur manque de courage politique.  Ils manquent d’envergure et de véritables convictions. 

Exception dans la classe journalistique française, Ivan Rioufol, pour l’instant toléré comme dissident, écrit (Le Figaro, 14/02/2014) dans un article intitulé « La Suisse accélère le sursaut des peuples » : « quand un sondage montre, à rebours des propagandes,  que 66% des Français estiment qu’il y a trop d’étrangers, il est aisé d’imaginer ce que dirait un référendum s’il était autorisé sur ce tabou politique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’UMP (Christian Estrosi mis à part) est aussi réticente que le PS à aller sur cette voie qui n’a jamais été la leur ». Évidemment… Si la France était aussi démocratique que la Suisse, les résultats d’un tel référendum seraient encore meilleurs. Et probablement dans d’autres pays européens aussi. 

Donner la parole au peuple par un référendum d’initiative populaire sur tous les sujets est beaucoup trop dangereux pour l’idéologie dominante. Elle préfère ” changer le peuple” en forçant l’immigration, légale ou illégale impunie, par tous les moyens. La destruction de l’identité européenne, c’est le mot d’ordre des élites ethnomasochistes par un mélange pathologique d’idéologie et de névrose douce.   

Mais ne vous inquiétez pas : le gouvernement suisse comme les instances de l’Union européenne, au cours des négociations à venir dans les trois ans avec Bruxelles, vont tout faire pour vider de sa substance la ”votation” populaire, comme on a déjà contourné et aboli le ”non” à la Constitution européenne du référendum de 2005. Espérons que ma prédiction se révélera fausse et que le peuple helvète résistera,  que son exemple sera suivi, et que la flèche de Guillaume Tell atteindra son but. 

Notes:

(1) La notion de ”démocratie” ne signifie plus du tout aujourd’hui la volonté du peuple majoritaire, puisque les élus n’appliquent pas les idées de leurs électeurs.  L’élection est devenue un simulacre.

(2  En déficit démographique et de main d’œuvre extérieure, le Japon a toujours refusé l’immigration de main d’œuvre. Ce qui a favorisé la robotisation, donc la haute technologie.  L’immigration est  toujours la mauvaise solution, le remède pire que le mal.

(3) 7% seulement des entrées massives en France sont des travailleurs légaux. Le reste, déversement incontrôlé, légal ou illégal, représente une masse croissante d’assistés improductifs.  Autoroute vers l’explosion.

mercredi, 19 février 2014

La démocratie suisse n’est pas un virus mais un antidote !...

La démocratie suisse n’est pas un virus mais un antidote !...

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David L'Epée, cueilli sur le sit Les Observateurs et consacré au référendum suisse contre l'immigration de masse. Journaliste indépendant, David L'Epée collabore à la revue Éléments.

 

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La démocratie suisse n’est pas un virus mais un  antidote !

Lorsqu’on lui montre la lune, l’imbécile regarde le doigt, dit l’adage populaire. Je dois faire partie de la catégorie des imbéciles parce que quand on me montre le problème migratoire tel qu’il a été mis en lumière par le scrutin du 9 février dernier, j’ai tendance à regarder la démocratie directe qui a permis de le désigner. Cette dernière, pourtant, ne semble pas peser bien lourd dans les considérations dont la presse nous abreuve depuis quelques jours, considérations marquées très majoritairement par le dépit, à l’image d’un milieu – les médias, l’intelligentsia, la classe politique – massivement opposé à cette initiative. « L’aveuglement anti-européen qui domine le pays l’a emporté » nous explique le socialiste Roger Nordmann, tandis que Pascal Couchepin, depuis l’autre face de la même pièce libérale, assombrit le tableau et parle d’ « économie de guerre ». Cette fracture entre électorat et “experts” est une constante dans l’histoire politique suisse de ces dernières années, mais elle prend aujourd’hui une autre dimension du fait, comme l’écrivait Le Temps du 10 février, que cette fois « le tremblement de terre est continental ». Les médias de notre pays ne sont plus les seuls à stigmatiser l’électeur suisse, ils sont rejoints dans ce travail de réprimande morale par de nombreux médias européens, à commencer par Libération qui titrait sa une d’il y a quelques jours « Le virus suisse ». A la condamnation des grands fait écho le soutien des petits : les peuples membres de l’UE sont nombreux ces jours-ci à envier la souveraineté populaire helvétique et à se demander ce qu’ils auraient fait à notre place si on leur avait donné la parole, ce que leurs gouvernants s’abstiennent bien de faire, et pour cause ! En France, deux sondages, effectués respectivement par Le Point et par Le Figaro, révèlent que les Français auraient été entre 88 et 92% à soutenir une initiative semblable à celle qui nous a été soumise.

M. Fabius se rend-il bien compte de cette fracture lorsqu’il appelle l’UE à pénaliser la Suisse ? Et M. Cohn-Bendit, qui, invité par l’émission Forum du 10 février, comparait la situation actuelle de notre pays à celle de 1933 ? Lors de cette même émission, la députée européenne Astrid Lulling se montrait encore plus explicite. Se réjouissant que son pays à elle ne soit pas perverti par l’infâme institution du référendum populaire, elle s’est écriée : « C’est à désespérer du droit de vote si les citoyens sont aussi bêtes ! »

Ces réactions à chaud ont le mérite de faire tomber quelques masques et de révéler que ce n’est pas uniquement la nouvelle politique migratoire de la Suisse qui est remise en cause par ce qu’il faut bien appeler les technocrates européens mais bien le principe même de la démocratie directe ! Un discours menaçant aux accents autocratiques qui se trouve soutenu et relayé par un certain nombre de nos politiciens, à la défaite amère, pour qui la souveraineté populaire n’a de valeur que lorsqu’elle valide leurs propositions. Le politologue Antoine Chollet l’explique bien dans son livre Défendre la démocratie directe (collection Le Savoir Suisse, 2011) : « Les élites suisses, dans leur grande majorité, nourrissent à l’égard de la démocratie des sentiments pour le moins mitigés et se font bien souvent les avocates de positions anti-démocratiques plus ou moins savamment camouflées. » Le camouflage a tendance ces derniers jours à s’effriter on découvre alors des figures franchement inquiétantes.

Alors que les “commissaires politiques” cités plus haut appellent ouvertement à des mesures de rétorsion de l’UE à notre encontre, quelques-uns parmi nos compatriotes semblent s’en réjouir. Lorsque des citoyens attendent d’un pouvoir étranger qu’il punisse leurs propres concitoyens, il n’est pas exagéré de parler de collaboration, au sens le plus méprisable que ce terme a pu prendre à travers l’histoire. Qu’importent qu’ils le fassent au nom d’une morale transcendante mais ô combien relative, la leur, qui leur donne l’assurance d’avoir raison contre tous ! Avoir raison contre la majorité est une prétention indéfendable dans un Etat démocratique puisque la démocratie est à elle-même sa propre mesure. Elle ne reconnaît pas les notions de tort ou de raison en soi, elle ne reconnaît que la légitimité d’une décision populaire, légitimité acquise par la majorité des votes.

Libération ne s’est pas trompé en parlant de virus suisse. L’épidémie risque, ces prochaines années, de surprendre et de bousculer de nombreux gouvernements parmi nos voisins européens. La maison Bruxelles se fragilise un peu plus chaque jour tandis que l’aspiration souverainiste, un peu partout, se fait jour et tente de s’exprimer, dans les urnes lorsque c’est possible, sinon dans la rue. Comme le disait Victor Hugo, il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue, et cette idée-là pourrait bien être celle de la démocratie directe. Nous nous apercevrons peut-être alors qu’il ne s’agissait pas d’un virus mais bien d’un antidote.

David L’Epée (Les Observateurs, 15 février 2014)

vendredi, 22 novembre 2013

Pro-Russia-TV rencontre Yvan Blot

Pro-Russia-TV rencontre Yvan Blot

("Démocratie directe")

jeudi, 08 mars 2012

Islande : Une Constitution du peuple, par le peuple, pour le peuple

Islande : Une Constitution du peuple, par le peuple, pour le peuple

Touchée par la crise en 2008, l’Islande a entrepris de revoir sa constitution pour revoir non seulement l’organisation des pouvoirs législatifs et exécutifs, mais aussi les piliers de l’infrastructure administrative islandaise.
 

La nouvelle constitution islandaise –la présente constitution étant inspirée de la constitution danoise, dont dépendait l’Islande jusqu’en 1944-, actuellement en cours de vote au Parlement, devrait permettre au pays de sortir d’une crise qui l’a durement impactée : c’est du moins l’espoir des citoyens islandais.
Dès 2008 en effet, l’Islande est touchée de plein fouet, par la crise des subprimes : la dette publique passe de 23.2% du PIB en 2007 à 81.3% du PIB en 2010, le taux de chômage est multiplié par 3 sur la même période (2,3% en 2007 à 7.7% en 2010)[1].
Le 10 mai 2009, un nouveau  gouvernement est formé issu d’une alliance entre les sociaux-démocrates et le mouvement écologique. Pour la première fois, une femme, Johanna Sigurdardottir, est élue Premier ministre.

Cependant, dans ce contexte de crise économique et politique, la pression populaire s’accentue sur le gouvernement  pour revoir l’organisation des pouvoirs législatifs et exécutifs ainsi que les piliers de l’infrastructure administrative islandaise. Le 4 novembre de la même année, le Premier ministre  propose au Parlement (Althingi) une révision de la constitution Islandaise. Le Comité constitutionnel est chargé rendre un rapport sur les principaux points à revoir.

Le Comité plébiscite un audit national.

Ce rapport a été rendu au printemps 2010 et la révision de la constitution approuvée par le Parlement  le 16 juin 2010. Cette révision, suivant les axes indiqués par le Comité, devra porter sur des points précis, dont : les concepts fondamentaux de la constitution, l’indépendance de la justice, l’organisation des élections, le rôle du Président de la République et du Gouvernement. Le rapport du Comité prévoyait aussi d’une part l’organisation d’un forum national (National Assembly) pour consulter directement les citoyens (l’Islande compte 320 000 habitants) et recueillir leur avis, d’autre part l’élection de 25 citoyens, par suffrage direct, chargés de mener à bien la révision de la constitution et formant la nouvelle Assemblée constitutionnelle.
Le forum s’est tenu le 6 novembre 2010. Au total,950 citoyens Islandais se sont rassemblés pour réfléchir aux valeurs fondamentales (« core values ») de la société Islandaise[2]. Les avis recueillis ont donné lieu à un rapport qui a été  remis aux 25 membres de l’Assemblée constitutionnelle, dont l’élection a eu lieu le 30 novembre 2010.
 
Controverses autour du scrutin

Cependant, et même si ces 25 citoyens ont été élus démocratiquement par le peuple, parmi 522 candidats (sélectionnés selon ces critères : avoir plus de 18 ans, ne pas être un élu national et être soutenu par au moins 30 personnes dans sa démarche), une contestation s’est élevée.
D’une part, parce que la campagne a duré moins d’un mois ; d’autre part parce que, en dépit d’un fort soutien de la part des médias et des pouvoirs publics, la participation aux élections n’a été que de 36%. Enfin, des problèmes ont été signalés sur la tenue même de l’élection : comptabilisation de scrutins, type d’isoloir utilisé dans certaines circonscriptions.
 
Résultat : le 25 janvier 2011, la Cour suprême a invalidé les résultats de l’élection de l’Assemblée constitutionnelle.Cependant, le Premier ministre, en accord avec les leaders des principaux partis du Parlement, a nommé un comité consultatif pour trouver un moyen de poursuivre la révision de la constitution.
 
Ce Comité a donc proposé au Parlement de nommer, par une résolution parlementaire, un Conseil constitutionnel constitué des candidats ayant reçu le plus grand nombre de votes au cours du scrutin qui avait sélectionné les 25 membres de l’Assemblée constitutionnelle.  La résolution parlementaire ayant été votée le 24 mars 2011[3], les 25 élus de l’Assemblée constitutionnelle, devenue désormais un Conseil constitutionnel, ont eu pour tâche d’étudier les rapports du Comité constitutionnel et du Forum national pour s’en inspirer et rédiger, enfin, un projet de Constitution pour la République d’Islande.
 
Ce projet, approuvé à l’unanimité, a été déposé au Parlement le 27 juillet 2011. Le Parlement, chargé de réviser ce projet, s’est attelé à la tâche à l’automne 2011 mais les débats se poursuivent toujours actuellement. Leurs conclusions devraient ensuite être soumises un probable référendum national,  avant le vote par le Parlement, mais  la date de ce référendum n’a pas encore été fixée.
 
Les principales propositions de la nouvelle Constitution

Sur un total de 114 articles et de 9 chapitres, on peut noter en particulier[4]:
 
Article 15 : Droit à l’information : « Les informations et documents détenus par les autorités publique devraient être disponible sans exception et l’accès au public à tous ces documents devraient être  garantit par la loi. »
 
Article 27 : Entrave aux libertés de l’Homme : « La garde à vue ne peut s’appliquer que pour une infraction répréhensible par une peine de prison »Article 34 : Ressources naturelles : « Les ressources naturelles sont détenus par le peuple Islandais »
 
Article 63 : Création d’un Comité de contrôle de la responsabilité du Gouvernement : « Une investigation sur les mesures et décisions du Gouvernement peut être demandé par 1/3 des membres de Althingi ».
 
Article 65 : Droit à la consultation directe : « 10%  des votants peuvent demander un référendum national sur les lois passer par Althingi ».

Article 66 : Possibilité d’interpellation directe d’Althingi (soumission d’une question à partir de 2% des électeurs, soumission d’un projet de loi à partir de 10%).

Article 90 : Formation du Cabinet : « Le Premier ministre est nommé par Althingi ».

Article 99 : Indépendance des tribunaux : « L’indépendance des tribunaux doit être garantie par la loi ».

Article 105 : Indépendance des collectivités territoriales : «  Les sources de revenus des collectivités territoriales doivent être garanties par la loi, tout comme leur droit de déterminer l’utilisation de ces ressources ».

Le Conseil constitutionnel et l’E-participation

Le Conseil Constitutionnel a été officiellement formé le 6 avril 2011. Il est dirigé par un président élus par les 25 membres, qui sont pour l’essentiel des intellectuels,  avocats, journalistes, professeurs et universitaires. Dix d’entre eux sont des femmes et une handicapée participe au projet. Il compte trois groupes de travail sur différentes thématiques (environnement, justice, pouvoir législatif, pouvoir exécutif, affaires étrangères, participation du public, droits de l’Homme).
 
Les membres du CC ont eu quatre mois pour établir une proposition pour une nouvelle Constitution pour la République d’Islande à l’intention du Parlement Islandais.
 
En pratique, la semaine de travail du Conseil est divisée en plusieurs sessions. En premier lieu les lundis et les mardis où les groupes travaillent séparément sur leurs sujets et recommandations pour de futurs amendements. Ces projets d’amendements sont ensuite présentés, les mercredis, aux membres des autres groupes qui peuvent émettre des suggestions. Enfin, pour qu’une recommandation d’amendement soit insérer dans le projet de Constitution, elle doit être validée lors des réunions du Conseil qui se tiennent chaque jeudi en présence du président du Conseil et de l’ensemble des délégués.
 
Ces réunions sont accessibles au public et retransmises en direct sur le site du Conseil[5].  De plus, le projet de Constitution est consultable en ligne et chacun peut y participer en postant des commentaires et des propositions sur le site officiel.
 
Au total, quelque 3600 commentaires et 370 propositions concrètes d’amendements ont été recensées. Cette méthode de participation est appelée « crowdsourcing » : il s’agit de faire appel à la créativité, à l’intelligence du plus grand nombre pour mener à bien un projet.
 
L’utilisation des réseaux sociaux a été indispensable pour communiquer avec la population : les débats ont été postés sur Youtube, et les membres du CC ont pu intervenir sur un page Facebook dédiée qui, en outre, publiait chaque jour de courtes interviews avec les membres du Conseil.
 
De plus, tous les travaux du Conseil (débats, documents, communications et recommandations) sont archivés au Parlement (Althingi), aux Archives nationales, à la Librairie nationale et à la Librairie municipale de Akureyri, sous l’appellation « Journal du Conseil constitutionnel ».
 
La leçon de démocratie Islandaise ?

Alors que le reste de l’Europe est toujours plongée dans une crise profonde, l’économie s’est redressée depuis fin 2010 en Islande : les exportations ont repris ainsi que la consommation des ménages. Le principal indice de solvabilité d’un État, à savoir sa dette souveraine, qui était placée sous perspective négative depuis avril 2008 est désormais considéré comme stable depuis janvier 2011. Le pays redevient peu à peu une place de choix pour les investisseurs après deux ans de fuite des capitaux étrangers et cela grâce à l’action du peuple Islandais soutenu par son Président[6].
 
On peut parler ici d’une « Constitution du peuple, par le peuple, pour le peuple », en parallèle aux paroles d’Abraham Lincoln, où les fondements d’une société juste et idéale ont été déterminés par la population. Tout porte à croire que l’Islande ne saurait être un cas isolé et Internet, par le développement des canaux d’informations, fait apparaître la consultation des peuples comme évidente et inévitable pour les gouvernements.
 
Ainsi l’Islande, dont l’indice de développement humain porte ce pays à la 2ème place des pays les plus développés au monde, nous apprend que la démocratie directe peut résoudre une crise dans laquelle ses dirigeants l’ont plongé.
 
[1]  Chiffres OCDE.
[2] http://www.agora.is  Agora est la société qui s’est chargé d’organiser le forum national, la procédure utilisée ainsi que les résultats obtenus sont consultables en ligne.
[4] Consultation en ligne du projet de constitution :http://stjornlagarad.is/other_files/stjornlagarad/Frumvarp-enska.pdf

 
[6] la « Kitchenware revolution » coïncide avec le vote du plan d’austérité budgétaire « Icesave », ce plan d’austérité à un vote par référendum par le Président Islandais et rejeté à 93% par la population en mars 2010 ; les termes du plan de remboursement de la dette Islandaise durent être renégociés avec la FMI et les principaux créanciers de l’Islande, anglais et néerlandais, pour parvenir à un accord qui permettent à l’Islande de renouer avec la croissance sans être écrasée par le remboursement de sa dette comme initialement stipulé dans le plan d’austérité rejeté.
 
Mediapart

vendredi, 30 septembre 2011

Franck ABED reçoit Yvan Blot


Franck ABED reçoit Yvan Blot 

jeudi, 07 avril 2011

Les droits de l'homme contre la démocratie directe

Les droits de l’homme contre la démocratie directe

par Yvan Blot

 

Texte paru sur le site de la Fondation Polémia [1] sous le titre Droits de l’Homme et Démocratie directe : le problème du contrôle de constitutionnalité. Yvan Blot, auteur de La Démocratie confisquée (éd. Picollec, 1988), est président de Agir pour la Démocratie directe [2].

1/ Initialement, les droits de l’homme sont des libertés fondamentales

Les droits du citoyen à voter la loi et l’impôt, donc la démocratie directe, sont d’ailleurs cités explicitement dans les articles 6 et 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui fait partie de nos textes constitutionnels. La protection de ces droits est plus une affaire de culture que de droit. Ainsi, le Royaume-Uni comme la Suisse ne connaissent aucun mécanisme de contrôle de la constitutionnalité des lois, et ces deux pays n’en sont pas devenus des dictatures pour autant. Si la culture de la liberté est développée, on n’a pas de besoin de juge de la constitutionnalité. Si par contre la culture de la liberté est sous-développée, battue en brèche par des éléments de culture totalitaire, le juge constitutionnel peut devenir le pire ennemi des libertés, et donc de la démocratie directe.

2/ Actuellement, les droits de l’homme font souvent l’objet d’une dérive totalitaire et se retournent alors contre les libertés des citoyens.

Si les droits de l’homme sont interprétés de façon égalitariste (au sujet de l’immigration par exemple), ou comme droits de créance sur la société (droit à l’emploi ou au logement par exemple), ils servent à tuer les libertés. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire Lautsi a demandé en 2009 à l’Italie de retirer les crucifix présents dans les écoles publiques. Suite aux protestations de 20 Etats européens, en général de l’Est, elle a inversé sa jurisprudence le 18 mars dernier. La Cour européenne de Justice de son côté interdit aux assureurs de fixer des primes d’assurance plus faibles pour les femmes qui ont statistiquement moins d’accidents que les hommes, au nom de l’égalité des sexes ! Dans son récent arrêt Hirst, la CEDH a demandé au Royaume-Uni, au nom de l’égalité, de redonner le droit de vote aux condamnés à la prison ce qui a suscité un tollé au Parlement britannique et dans le peuple.

S’agissant de la Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a été saisie par un recours de M. Hafid Ouardiri [3] contre le résultat de la votation populaire interdisant la construction de minarets. Mais des problèmes de procédures pourraient empêcher ce recours d’aboutir. De même, des intellectuels de gauche ont évoqué un recours contre les résultats de la votation populaire exigeant l’expulsion des étrangers condamnés à des crimes graves. Certains pensent qu’il faut restreindre la démocratie directe pour donner la priorité aux droits de l’homme interprétés par des cours européennes. Le juge se substitue alors au peuple et intervient dans la législation : il ne reste plus grand-chose de la séparation des pouvoirs ! C’est le poison de l’égalitarisme qui fait tourner la sauce des droits de l’homme et en fait une arme contre les libertés !

3/ Gouvernements des juges et « recall » aux Etats-Unis

En Amérique où, dans certains Etats, les juges des cours suprêmes sont élus, il existe la procédure de révocation ou « recall » qui est une procédure de démocratie directe. Une pétition de citoyen peut déclencher un référendum pour demander la révocation d’un juge ou d’un gouverneur. L’idée est que le peuple a le droit de révoquer ceux qu’il élit. En effet, le juge n’est qu’un homme et il peut aussi se retourner par idéologie contre la protection des libertés. Il faut alors que le citoyen ait un recours.

4/ Démocratie directe et contrôle de la constitutionnalité

Les systèmes varient selon les pays. En Suisse, un tel contrôle n’existe pas et le peuple peut modifier la constitution par initiative populaire. Aux Etats-Unis, des référendums peuvent avoir lieu sur toutes sortes de sujets dans les 27 Etats fédérés qui le permettent mais le citoyen peut toujours se plaindre du résultat d’un référendum s’il estime que celui-ci viole ses droits. L’ennui est que la Cour annule parfois le résultat : 9 juges ont-ils raison contre la majorité du peuple ? Cela créé un malaise. En Allemagne, c’est le tribunal constitutionnel de chaque Etat fédéré (Land) qui interdit a priori les référendums sur des sujets qu’il déclare inconstitutionnel. Mais alors tout dépend de la jurisprudence : dans certains Etats, les juges ont étouffé la démocratie directe, dans d’autres non !

Conclusion :

Aucun système n’est parfait. En pratique, le contrôle de constitutionnalité a parfois tendance à restreindre abusivement les droits politiques des citoyens. L’oligarchie judiciaire vient alors au secours des autres oligarchies et le peuple est lésé. En fait, la protection des libertés est plus affaire de culture que de droit comme on l’a dit au début. Avec une culture de liberté, contrôle de constitutionnalité ou pas, les libertés fondamentales sont protégées. Avec l’égalitarisme, les droits de l’homme deviennent une arme dévoyée pour réduire la liberté des citoyens et la souveraineté des Etats !

Yvan Blot

Yvan Blot donnera une conférence le lundi 4 avril à l’Hôtel Néva (rez-de-chaussée) 14, rue Brey, 75017 Paris (près de l’Etoile).
Contact : atheneion@free.fr


Article printed from :: Novopress.info France: http://fr.novopress.info

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URLs in this post:

[1] Fondation Polémia: http://www.polemia.com/

[2] Agir pour la Démocratie directe: http://www.democratiedirecte.fr/

[3] M. Hafid Ouardiri: http://www.tdg.ch/actu/suisse/recours-depose-strasbourg-contre-initiative-anti-minarets-2009-12-15

mardi, 22 février 2011

Volonté populaire, volonté identitaire?

Volonté populaire, volonté identitaire ?

Par Jean-David Cattin

Encore une fois en quelques mois, la Suisse fait des envieux dans toute l’Europe. Le peuple (56.3%) ainsi que les cantons* ont repoussé l’initiative «contre la violence des armes» émanant de la Gauche et des milieux pacifistes. Celle-ci visait principalement à créer un registre national des armes, à interdire les armes automatiques ainsi que les fusils à pompe, elle aurait enfin obligé tout militaire à déposer son arme à l’arsenal en dehors de ses périodes de service.**

Qui sont ces Suisses qui refusent coup sur coup la construction de minarets, exigent l’expulsion des criminels étrangers pour enfin maintenir une de leurs traditions ancestrales ? Ce sont simplement des Européens qui ont la chance de pouvoir s’exprimer. Si l’on regarde les résultats de plus près, on s’aperçoit que ce sont surtout les villes qui ont soutenu l’initiative alors que les campagnes l’ont massivement rejetée. À Genève, à Zurich ou à Bâle, les bobos citoyens du monde à la sauce Manu Chao et les élites mondialisées à la sauce Jacques Attali sont aussi nombreux qu’à Paris, Londres ou Berlin. La différence c’est qu’en Suisse, le peuple, celui qui n’a pas honte d’aimer son pays, celui qui connait les effets dévastateurs de la mondialisation sans en percevoir les dividendes, a le droit à la parole.

C’est cela qui à chaque fois rend fou de rage les éditorialistes de la totalité des quotidiens suisses. Issus de ces milieux urbains où il est de bon ton de s’extasier devant l’exotisme et la diversité, ils ont une nouvelle fois été unanimes à déverser leur mépris du peuple et des traditions au lendemain de la votation de dimanche passé. Persuadés de leur supériorité, jamais ils n’admettront avoir eu tort pour la simple et bonne raison que la notion même d’enracinement les révulse.

Si ceux-ci semblent irrécupérables, il semble que ces votations successives ont eu un effet sur certains politiciens de la droite bourgeoise, essentiellement alémaniques. Dans un document intitulé «Pour un contrôle pragmatique de l’immigration en adéquation avec les besoins de la Suisse», le parti Libéral-Radical*** va même jusqu’à dire : Le mélange de différentes cultures n’est pas toujours bénéfique pour notre pays, contrairement à ce que veut nous faire croire la Gauche. En bref, ce document réclame une immigration essentiellement européenne et veut limiter au minimum prévu par le droit international le regroupement familial et l’asile. La nouveauté fondamentale présente dans cette réflexion des libéraux suisses c’est qu’à coté de considérations économiques, comme le recours à une main d’œuvre qualifiée, figure des soucis identitaires. Gardons-nous néanmoins de toute joie excessive. Les élections fédérales de l’automne 2011 ne sont certainement pas étrangères à cette soudaine prise de conscience.

Que cela soit du à la conjoncture économique ou bien à des échéances électorales, la thématique identitaire s’impose de plus en plus dans la bouche des grands dirigeants européens. En témoignent les récentes prises de position d’Angela Merkel, James Cameron ou Nicolas Sarkozy sur l’échec du multiculturalisme. Ces politiciens de la droite libérale, pourtant mondialistes convaincus, ont bien compris qu’ils n’arriveraient pas à se maintenir s’ils ne prenaient pas en compte ce qui devient une préoccupation grandissante des peuples européens. Les peuples européens n’ont pas dit leur dernier mot.

Jean-David Cattin
Membre du bureau exécutif du Bloc identitaire

* Une double-majorité est requise pour qu’une initiative populaire soit acceptée
** Trois semaines par an
*** Droite économique


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lundi, 29 novembre 2010

Suisse: succès du référendum pour l'expulsion des criminels

Suisse : succès du référendum pour l’expulsion des criminels étrangers

Ex: http://tpprovence.wordpress.com/

Flyer_JUDC_district_Monthey.jpgLe référendum d’initiative populaire «Pour le renvoi des criminels étrangers» a été approuvé aujourd’hui par 53 % des votants. Ce texte prévoit la suppression des méandres législatifs qui actuellement faisaient que très peu de criminels étrangers finissaient par être expulsables.

Pour torpiller ce projet de référendum, un contre-projet concocté par le gouvernement et une majorité du Parlement avait été lancé et était également soumis au vote aujourd’hui ; il prévoyait de durcir les lois actuelles mais en conservant les méandres législatifs qui empêchent l’expulsion de la plupart des criminels étrangers. Ce contre-projet a été repoussé par 54% des votants mais a certainement fait perdre des voix au projet initial.

L’Union Démocratique du Centre (UDC) qui était à l’initiative de ce référendum s’est retrouvée seule pour le soutenir, face au gouvernement, à tous les autres partis et à la quasi-totalité des médias. C’est une nouvelle victoire pour ce parti populiste qui avait déjà fait gagner l’année passée le référendum pour l’interdiction des minarets en Suisse.

Rappelons qu’en France une loi pour l’expulsion des criminels étrangers à été supprimée par Nicolas Sarkozy quand il était Ministre de l’Intérieur.

mardi, 26 octobre 2010

Démocratie directe: la grande peur des bien-pensants!

Démocratie directe : la grande peur des bien-pensants !

 

landsgemeinde1.jpgEx: http://www.polemia.com/

La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), créée par Jérôme Monod, organise, le 16 octobre 2010, à Lille, un colloque sur « Ce que le web fait à la démocratie représentative ». Un sujet dont l’intitulé paraît étroit (quid de la démocratie directe ?) et craintif.

Ce qui a conduit Yvan Blot, contributeur régulier de Polémia, et président de l’Association « Agir pour la démocratie directe » à proposer à la Fondapol une étude purement factuelle sur la démocratie directe. Il s’agissait d’un parangonnage portant sur les expériences suisse allemande italienne et américaine Un sujet intéressant d’autant que depuis 2008 la constitution française prévoit la possibilité d’organiser des référendums d’initiative populaire (à condition toutefois que la demande soit formulée par un cinquième des membres du Parlement et un dixième des électeurs).
Polémia

La peur du peuple

La réponse négative qu’il a reçue du Secrétaire général de la Fondapol, Mathieu Zagrodzki, est très révélatrice :

« Après réflexion et concertation approfondies, nous estimons que notre priorité aujourd’hui est de défendre la démocratie représentative. Notre sentiment est que la démocratie directe constitue l’une de ces voies de passage qui favorisent aujourd’hui l’expression du populisme, le risque le plus élevé se trouvant dans la rencontre entre cette procédure de décision et les questions très sensibles posées par l’immigration, comme l’a démontré le récent exemple de la votation citoyenne en Suisse sur l’interdiction des minarets. A l’heure où les divisions au sein de la société tendent à s’accroître, l’appropriation de la décision publique par des communautés locales nous semble plus de nature à créer de nouveaux problèmes qu’à fournir des solutions. En outre, une fondation pro-européenne comme la nôtre ne peut soutenir le développement de référendums locaux sans songer aux risques de blocage de l’intégration européenne qu’ils pourraient générer. Nous préférons ainsi vous annoncer à ce stade notre décision de ne pas engager le travail que vous nous proposez. »

Démocratie réelle ou démocratie de façade ?

La réponse d’Yvan Blot met les pieds dans le plat :
« Merci de votre franche réponse qui me permet de mieux situer les contours de l'oligarchie gouvernante actuelle. Vous savez fort bien que la démocratie représentative est une façade : les lois sont faites par les hauts fonctionnaires (dont je suis) et par les lobbies et médias qui gravitent autour, et certainement pas par les députés (je l'ai été). Le choix réel n'est pas aujourd'hui entre la démocratie dite représentative et la démocratie directe mais entre l'oligarchie actuelle et la démocratie réelle qui doit comporter à la fois des éléments directs et représentatifs comme en Suisse.

Les grandes menaces d'aujourd'hui, endettement des Etats jusqu'à la faillite par exemple, ne sont pas le fruit du « populisme» mais des décisions des oligarques régnants. Ceux-ci nous mènent à la catastrophe et c'est alors que vous verrez le triomphe du populisme qui vous fait peur. Quant à l'Europe, vouloir l'intégrer à marche forcée en ignorant les peuples, c'est bâtir sur du sable.

Forces oligarchiques contre forces démocratiques

Nos opinions divergent donc clairement. Je crois que l'idéologie oligarchique que vous incarnez ressemble à celle de l'Ancien Régime en 1789. J'espère que les événements qui vont produire sa chute de façon inévitable seront le moins violents possible. Je crains qu'en refusant la démocratisation de notre système politique, l'oligarchie qui s'approprie actuellement le pouvoir ne creuse sa propre tombe. C'est déjà arrivé dans l'histoire. L'attitude réactionnaire, même affublée du masque du progressisme, est une attitude perdante.

Je suis ravi de ce dialogue révélateur des forces oligarchiques et démocratiques en présence. J'espère au moins qu'elles pourront dialoguer et que la tentation de la censure des voix des citoyens ne l'emportera pas : toute censure est vaine et vaincue à terme. »

Yvan Blot
06/10/2010

Correspondance Polémia – 15/10/2010

dimanche, 24 octobre 2010

"La Suisse, un modèle pour la droite populiste en Europe"

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«La Suisse, un modèle pour la droite populiste en Europe»

 

Les droites radicales enchaînent les succès électoraux en Europe. Faut-il en avoir peur? Les réponses de Damir Skenderovic, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Fribourg. Selon lui, une société d’exclusion est en cours de préparation.

Dans une bande dessinée diffusée aux électeurs, il se posait en défenseur de la capitale autrichienne et encourageait un jeune Viennois armé d’un lance-pierres à en «coller une au Mustafa». Dimanche passé [10/10/2010], Heinz-Christian Strache, 41 ans, le leader du Parti de la liberté (FPÖ) de feu Jörg Haider, a créé la surprise en s’arrogeant 27% des suffrages au scrutin municipal/régional de Vienne. Ce succès n’est que le dernier d’une série de trophées électoraux remportés par les partis à la droite de la droite en Europe cette année. Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Fribourg, Damir Skenderovic* suit de près cette évolution.

Le Temps: Percée du FPÖ à Vienne, entrée de l’extrême droite au parlement suédois en septembre, gouvernement soutenu par Geert Wilders aux Pays-Bas… L’extrême droite est-elle devenue incontournable sur l’échiquier politique européen?

Damir Skenderovic: Si sa présence n’est pas nouvelle, on peut parler d’un élargissement. Récemment encore, les partis de droite populiste étaient tenus à distance. Et puis, à la fin des années 1990, le FPÖ est devenu en Autriche un parti de gouvernement. Ces partis sont de plus en plus des acteurs avec lesquels on considère que l’on peut travailler. En outre, après avoir beaucoup investi depuis des années, ils profitent aujourd’hui d’un savoir-faire acquis, ils ont des services de communication efficaces, ils savent recruter du monde.

On observe par ailleurs un processus d’adaptation du programme des partis de centre droit à l’agenda politique de la droite populiste. L’UMP de Nicolas Sarkozy en France, radicaux et démocrates-chrétiens en Suisse n’hésitent plus à parler immigration ou intégration de manière exclusionniste. Plus important encore, avec l’européanisation des médias, certaines thématiques deviennent transnationales.

Le Temps: Ce glissement de la droite classique vers l’extrême droite a été saisissant en France ces derniers mois. A quoi tient-il?

Damir Skenderovic: Il est lié bien sûr à la question du pouvoir, à la manière dont on pense le gagner ou le conserver. Mais l’opportunisme n’explique pas tout; il y a aussi un fond idéologique. Nicolas Sarkozy n’est pas nouveau venu sur ces thématiques, elles participent de la manière dont il imagine la société.

Le Temps: Les droites populistes d’Europe ont chacune leurs spécificités. Mais elles semblent toutes se rejoindre sur l’islamophobie. Est-ce la grande nouveauté?

Damir Skenderovic: Tout à fait. Pour différentes raisons, les attentats du 11 septembre 2001 ou la politique internationale, un rejet de l’islam s’est développé au niveau mondial. Mais il ne faut pas oublier que déjà au milieu des années 1990, l’UDC distribuait à Zurich des brochures contenant des propos islamophobes. Le fait nouveau est que cette thématique s’est transnationalisée avec la diffusion dans toute l’Europe d’arguments qui n’avaient pas cours avant sur le continent. Le livre de Thilo Sarrazin est frappant à cet égard (ndlr: dans un pamphlet récent intitulé L’Allemagne court à sa perte, grand succès d’édition, Thilo Sarrazin, membre du SPD et ex-membre du directoire de la Bundesbank, juge que l’Allemagne «s’abrutit» sous le poids des immigrés musulmans).

Le Temps: Frappant? C’est-à-dire?

Damir Skenderovic: Ce livre marque un retour au biologisme, selon lequel le comportement des gens est déterminé génétiquement. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale on n’imaginait pas que ce genre d’argument puisse refaire surface à grande échelle.

Le Temps: Le développement du sentiment islamophobe est-il aussi lié à la crise économique?

Damir Skenderovic: Plus que la crise, c’est sa perception qui est importante. On ne peut par exemple pas vraiment dire que la Suisse est en crise économique. L’histoire a régulièrement montré que lorsqu’une crise est perçue, quelles qu’en soient les raisons (économiques ou autres…), la tentation est grande de chercher des boucs émissaires et des solutions toutes simples. On pointe les musulmans et on dit que l’Etat providence ne marche pas parce qu’il y a trop d’abus, ou que par leur faute l’insécurité est trop grande. Les partis socialistes pourraient entrer dans le débat en parlant économie, travail, inégalités et reconnecter la crise à ses vraies raisons. Ils ne le font pas.

Le Temps: Il y a presque un an, la Suisse votait l’interdiction des minarets. Depuis, le débat sur l’interdiction de la burka a traversé de nombreux pays. Cette votation a-t-elle fait sauter un tabou en Europe?

Damir Skenderovic: Oui, mais il n’y a pas que le vote anti-minarets. De manière générale, la Suisse joue un rôle de modèle pour la droite populiste en Europe. Par exemple, le Vlaams Belang belge ne manque pas une occasion d’applaudir aux succès de l’UDC. C’est un modèle de parti sachant gagner des voix en misant sur un agenda exclusionniste; elle a tout un savoir-faire (jeu internet, affiches) qui permet de mobiliser sur de telles thématiques. Voyez sa dernière campagne! Avec l’effet «transnational» des médias, la votation sur les minarets a suscité un immense débat en Europe. Dans d’autres pays on a pensé: «Oui, le peuple suisse a osé dire cela.» La Suisse est d’autant plus un acteur qu’elle est perçue comme un pays modéré, un pays de respect. L’UDC, en outre, n’est pas un outsider, mais est un parti de gouvernement, un parti accepté avec lequel on peut collaborer sur fond de concordance.

Le Temps: Mais vous le mettriez sur le même plan que d’autres partis de la droite populiste européenne?

Damir Skenderovic: Dans une perspective comparative, l’UDC est très proche du FPÖ de l’époque de Jörg Haider, ou des Partis du progrès en Scandinavie. La Lega italienne et le Vlaams Belang belge diffèrent par leur aspect régionaliste, mais l’agenda en matière d’immigration est le même que celui de l’UDC.

Le Temps: Et avec le Front national français?

Damir Skenderovic: Le FN a une organisation très forte avec un pied dans l’extrême droite dure, alors que l’UDC a toujours veillé à se maintenir à distance de l’extrême droite, comme par exemple avec le PNOS en Suisse alémanique, lié aux skinheads.

Le Temps: Jimmy Akesson, chef de l’extrême droite suédoise, a 31 ans. La montée en Europe touche-t-elle surtout les jeunes, les aînés ayant en mémoire la Seconde Guerre mondiale?

Damir Skenderovic: La discussion est en train d’émerger sur ce sujet. Tous les partis rajeunissent leur leadership en Europe et l’extrême droite prend de plus en plus l’allure d’une contre-culture jeune avec ses musiques, ses vêtements, ses symboles. Quant à l’enseignement de l’histoire, c’est un point très important. En Suisse, il y a eu un grand débat ces dernières années sur la baisse du nombre d’heures d’histoire enseignées aux jeunes: elle occupe une place moins importante qu’autrefois dans le curriculum pédagogique. Paradoxalement, on assiste à un renouvellement de l’intérêt des jeunes pour l’histoire médiévale avec les jeux de rôle ou d’ordinateur. Le système d’éducation devrait profiter de cette tendance et s’engager de nouveau plus dans l’enseignement historique, aussi sur le XXe siècle.

Le Temps: Doit-on s’inquiéter de cette présence renforcée de l’extrême droite dans le débat politique?

Damir Skenderovic: Il est inutile de dramatiser en disant que la démocratie est en danger. Les institutions démocratiques sont trop fortes et trop anciennes pour être menacées. Même en Europe de l’Est, l’intégration européenne les a stabilisées. En revanche, il est inquiétant de constater que des valeurs sur lesquelles cette démocratie est basée, le pluralisme ou les droits de l’homme, sont violées lorsque l’on désigne les Roms, les étrangers, les musulmans ou les Noirs. On est en train de préparer une société de discrimination et l’effet cognitif sur ces gens constamment pointés du doigt est très inquiétant.

Le Temps: Ces derniers temps, il est régulièrement fait référence aux années trente. Est-ce pertinent?

Damir Skenderovic: Je ne pense pas que l’on puisse comparer; le contexte d’alors était différent. Mais une certaine imagerie de l’autre utilisée aujourd’hui est semblable aux années trente, telle celle du bouc émissaire, ou les stéréotypes de culture, de religion.

Angélique Mounier-Kuhn
Le Temps
16 octobre 2010
 
*The radical right in Switzerland. Continuity, 1945 – 2000, Berghahn Books, 2009

Correspondance Polémia – 19/10/2010

Image : Affiche électorale du FPÖ « L’Etat-providence plutôt que l’immigration »

 

Angélique Mounier-Kuhn

vendredi, 01 octobre 2010

Une conférence à Nice sur la démocratie directe de type helvétique

lundi, 07 décembre 2009

Suisse: la démocratie directe en danger!

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La démocratie directe est en danger !

 

Ex: http://unitepopulaire.org/

Jamais je n’aurais pensé être amené un jour à défendre une idée par conviction et à défendre l’idée opposée par fidélité à des principes supérieurs. Et pourtant c’est dans cette situation que je me retrouve au lendemain des dernières votations nationales. Pour des raisons que nous avons expliquées en détail dans notre chronique de la semaine passée, j’ai voté contre l’interdiction des minarets, ayant compris que c’était là un faux débat et que l’UDC était en train de réunir ses troupes contre un nouveau bouc émissaire qui pouvait lui assurer encore quelques victoires politiques. Je fais donc partie des déçus du scrutin. Néanmoins, je n’ai jamais eu la prétention de vouloir placer mon opinion personnelle au-dessus de la volonté populaire, et pour cette raison, comme la plupart des Suisses, j’ai pris acte de la décision du souverain, me rappelant que la célèbre phrase de Voltaire sur la tolérance – “Je ne suis pas d’accord avec vous mais je me battrai pour que vous puissiez le dire” – était un des fondements de notre éthique démocratique.

Déjà mécontent du résultat, ma mauvaise humeur n’a fait que croître lorsque, dimanche soir, j’ai commencé à aller glaner çà et là quelques réactions sur internet et que j’ai trouvé des manifestations de mépris absolument indignes de notre culture politique. Je ne parle pas là du triomphalisme grossier de l’UDC et de l’UDF (d’autres ont déjà écrits à ce sujet), mais des réactions offensantes d’une partie des déçus de la votation, c’est-à-dire des gens qui, comme moi, ont voté non à l’interdiction, mais qui, contrairement à moi, refusent le verdict des urnes. Outre ce refus de reconnaître à la majorité le droit de trancher la question (ce qui équivaut à un rejet pur et simple de la logique démocratique), ces prises de position agressives se caractérisent par leur dédain de l’électeur moyen – toujours soupçonné de xénophobie et de bétise congénitales – et leur masochisme identitaire.

J’ai honte d’être Suisse”, “Brûlons nos passeports !”, “Emigrons !” : tout cela été écrit, dit et répété dans la presse, sur facebook ou dans les veillées nocturnes de protestation qui ont eu lieu dans plusieurs villes romandes. Comment a-t-on pu en arriver là ? Que peut-il bien se passer dans la tête d’un individu a priori en possession de toute sa raison pour qu’il en vienne à cracher sur son propre peuple – c’est-à-dire, indirectement, sur lui-même ? L’idéologie scolaire et télévisuelle n’y est sans doute pas pour rien… Quelqu’un, sur internet, proposait même, pour protester contre cette loi, de boycotter les produits suisses. Un musulman de l’étranger ? Non, un Suisse. Un Suisse qui était prêt à ne plus donner un centime à l’épicier de son quartier pour le plaisir très particulier de faire baisser son propre niveau de vie et de mettre quelques concitoyens au chômage – simples points de détail sans doute à côté de l’infâme interdiction de bâtir des minarets sur le territoire…

Par curiosité et pour prendre la température, je me suis rendu à Neuchâtel à une de ces veillées aux bougies réunissant ces gens qui avaient “honte” d’être ce qu’ils sont. Cela a été l’occasion d’échanges enrichissants et je dois dire que la plupart des manifestants ne savaient pas exactement ce qu’ils faisaient là ; ils étaient déçus, certes, mais quant à savoir s’ils voulaient simplement exprimer cette déception ou demander une révision du verdict populaire, ce n’était pas très clair. L’ambiance était bon-enfant et quoi qu’il en soit, ce type de manifestation civique fait partie des droits que nous assure la liberté d’expression telle que définie dans la Constitution – pour un “pays engagé sur la pente du fascisme” comme je l’ai entendu dire, on a connu pire. Petite observation au passage : je note que la présence musulmane était pour le moins discrète et que le nombre de femmes voilées était inversement proportionnel au nombre d’étudiants en lettres… On en déduira ce qu’on voudra.

Relativisons : les âneries proférées sous le coup de la colère ou de la tristesse ne doivent pas toujours être prises pour argent comptant, et j’ose espérer que cette crise épidermique de masochisme cessera une fois le souffle retombé et qu’on en reviendra à un peu plus de dignité. Mais quelque chose de bien plus inquiétant subsiste, quelque chose qui nous donnera encore beaucoup de fil à retordre et dont nous n’avons pas fini d’entendre parler – le problème juridique posé par la nouvelle loi.

Je ne vais pas refaire ici l’exposé in extenso de la situation, je me contenterai des grandes lignes. L’initiative anti-minarets, bien qu’acceptable sur le plan constitutionnel, serait, aux dires de certains juristes, irrecevable sur le plan du droit international impératif. On parle, entre autres, d’incompatibilité avec la Déclaration des droits de l’homme et plus précisément avec la garantie pour tous de ne pas être victime de discrimination du fait de ses convictions religieuses. C’est étonnant, car si cette initiative était irrecevable, pourquoi notre gouvernement, après examen, l’a-t-il soumis au vote ? Ou ces juristes nous racontent des sornettes ou ces Messieurs de Berne ont commis une grosse bourde !

Dès lors, le plan des perdants revanchards est simple : recourir auprès des instances européennes et faire invalider la nouvelle loi sous prétexte de non-compatibilité avec le droit international impératif. Ils en ont le culot, ils vont sans doute le faire, ils l’ont déjà fait par le passé : souvenez-vous de l’initiative pour l’internement à vie des délinquants sexuels dangereux. Parmi tous ceux qui se souviennent avoir voté en faveur de cette initiative, combien sont au courant du fait que cette loi n’existe tout simplement plus, abolie par la juridiction européenne pour les mêmes conditions ? Aux yeux de Bruxelles et de Strasbourg, aux yeux de leurs agents en activité chez nous, nos droits populaires, quoiqu’enviés par plusieurs de nos voisins, comptent pour rien.

Andréas Gross, l’aristo-socialiste bien connu qui éternue à la simple évocation du mot “populisme” (si si, j’ai testé), nous fait part dans Le Temps du 1er décembre du peu d’estime dans lequel il tient notre démocratie directe :

Le résultat de dimanche est pour moi l’illustration criante du fait que la démocratie directe en Suisse souffre de l’absence de certaines conditions fondamentales nécessaires pour son bon fonctionnement, un fonctionnement à la hauteur des exigences de notre temps et donc aussi des droits de l’homme. […] Il faut interpréter les normes existantes de manière à éviter le pire, et à sauver la démocratie directe elle-même contre la tentation de l’opposer aux droits de l’homme.

On notera la tournure orwelienne de la dernière phrase : c’est bien sûr pour sauver la démocratie directe qu’il faut cesser de faire voter le peuple… Je propose à M. Gross, avec cette perle, de déposer sa candidature au prochain prix Champignac ! Il nous rappelle ensuite que les peuples mal guidés sont des brebis égarées et que pour voter correctement, rien ne vaut une bonne petite séance de rééducation par les élites autorisées :

Les partis du centre ont peur des crises, peur de heurter la volonté populaire, ils pensent qu’il faut la suivre et oublient que c’est à eux de convaincre les citoyens de ce qui est juste et de leur éviter des erreurs.

Sans commentaire.

Le lendemain, dans le même quotidien, on est allé chercher, pour défendre la même cause anti-démocratique, la crème de la crème du boboïsme autoritaire, le pape de l’européisme moralisant, l’écolo-pédéraste en chef, j’ai nommé Daniel Cohn-Bendit. Et lui, vous allez voir, il ne prend pas de gant :

La limite démocratique est à mes yeux franchie. […] Une votation comme celle des minarets, qui cible une communauté en particulier, restera une tache noire sur la réputation de la Confédération. Pour l’effacer, les Suisses n’ont qu’une solution : se mobiliser et revoter.

Le projet qu’on propose deux ou trois fois de suite devant l’opinion jusqu’à ce que ça passe, ça ne vous rappelle rien ? Un vieux classique de la manipulation ces dernières années, depuis le vote suisse sur le paquet fiscal jusqu’au Traité de Lisbonne et au scandale irlandais. Si les Suisses avaient refusé l’initiative, tout serait en ordre, mais comme ils l’ont acceptée, il est nécessaire de les faire revoter jusqu’à ce qu’ils la refusent, vous comprenez, c’est une question de droits de l’homme…

Mais Dany le roux n’a pas fini de dispenser sa leçon :

Le problème helvétique, c’est cet égoïsme des riches que l’on retrouve aussi en Italie du Nord. On a vu combien de temps il a fallu à vos concitoyens pour que leur pays devienne membre de l’ONU !

Faire venir un grand bourgeois français pour expliquer au populo suisse qu’il fait preuve d’un “égoïsme de riche”, ce serait risible si ce n’était pas aussi scandaleusement indécent !

La priorité de l’élite politique suisse hostile à ce vote doit être de remobiliser la population en vue d’un nouveau référendum. Ce sera dur, et alors ? Capituler devant cette angoisse populaire serait une défaite pour tous les démocrates.

Même novlangue que chez M. Gross : se résoudre à respecter le verdict des urnes, ce serait une défaite pour tous les démocrates… Allez comprendre !

Le lendemain encore, toujours plus claire, toujours plus cynique, la sentence tombait, sous la plume de Richard Werly dans Le Temps :

La démocratie directe reste, en l’état, l’obstacle majeur à une future intégration de la Confédération dans l’Union européenne.

La messe est dite.

Tant que le droit international (et européen en particulier) continuera de prévaloir sur nos lois – expression de la souveraineté populaire, je le rappelle ! – nous continuerons encore et encore à participer à des mascarades de votations dont les résultats seront, selon l’humeur des technocrates européistes et l’idéologie du moment, approuvés d’un hochement de tête paternaliste ou balayés d’un revers de manche méprisant. J’ai beau être personnellement opposé à l’interdiction des minarets, je me dois de mettre entre parenthèses mes idées sur ce sujet particulier et de rappeler ce droit inaliénable de notre peuple qui consiste, grâce à la démocratie directe, à être le maître de ses destinées. Nous avons aujourd’hui un avant-goût supplémentaire de la société liberticide et élitiste que l’Union européenne nous prépare. Allons-nous une fois encore baisser la tête ?

Je doute que tous les bons bourgeois “progressistes” qui ont appelé à brûler les passeports à croix blanche et à émigrer aient le courage d’aller au bout de leur provocation. La vie leur est si confortable ici… Si vraiment notre pays est devenu par trop invivable à leur goût, toutefois, ce n’est pas nous qui les retiendrons, les portes de sortie leur sont grandes ouvertes ! Si j’ai bien compris, ils cherchent un pays d’accueil où, si possible, ils puissent partager leur exécration de la Suisse et de la démocratie. Qu’ils essaient la Lybie !

 

pour Unité Populaire, David L’Epée