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vendredi, 28 mars 2025

De quand date la crise de l’Occident?

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De quand date la crise de l’Occident?

Claude Bourrinet

Source: https://www.facebook.com/profile.php?id=100002364487528

Parallèlement à mon étude de Julien Gracq, déjà bien avancé, et qui occupera probablement mes soirées, je vais m'atteler à une autre tâche, bien plus rude, qui risque, si Dieu me prête encore assez de vie, de meubler les quelque dix ans qui viennent, peut-être ce qui me reste avant de mourir, avec un peu de chance.

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Cette recherche aura pour noyau Perlesvaus, aussi appelé Li Hauz Livres du Graal, roman "arthurien' violent, sombre, magnifique, publié anonymement au tournant des XIIe et XIIIe siècles. Ce récit ouvre une plaie sanglante dans la civilisation que l'on considère pourtant comme l'un des sommets de l'Europe, entre le Roman et le Gothique (termes et concepts, du reste, forgés au XIXe siècle). Quelque chose se passe alors dans le champ littéraire, comme un symptôme morbide. Il me semble que la crise s'ouvre en 1140 (voire avant, mais il s'agit-là de la prise en considération d'une maladie qui va plonger l'Europe dans des angoisses profondes et vitales), avec le heurt frontal entre Saint Bernard et Abélard, et semble se refermer, pour verser dans autre chose, un autre Occident, au début du XIVe siècle, avec la mystique rhénane et Dante.

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Quelques lignes d'Alain de Libéra m'ont confirmé dans mon choix, car il dit, en substance, que les fractures subies dans les expressions les plus hautes de la culture, comme la philosophie, ou, surtout, la théologie, se retrouvent, pour ainsi dit naïvement, naturellement, en littérature, dans un domaine qui, a priori, ne concerne que les « gens du commun », les « illettrés » (qui ne sont pas versés dans les « arts »intellectuels, ce qui ne signifie pas qu’ils ne sachent ni lire, ni écrire), mais qui, par ce fait même, reçoivent plus facilement, en imagination ou en leur sensibilité, les secousses qui mettent en péril la société. De fait, cette vocation de la littérature à jouer le rôle d’un sismographe civilisationnel a toujours été avérée, d’Homère à Julien Gracq. Et, à tout prendre, les blessures sanglantes, parfois mortelles, de notre humanité, surtout intérieure, s’explicitent mieux, en langage simple et accessible, dans le royaume des Lettres, que dans les réduits fortifiés de la technicité langagière et conceptuelle.

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Entre Saint Bernard et le couple Eckhart-Dante, existe un principe commun : c’est le choix conscient de la nature, et d’un lien direct entre l’âme (ou plutôt l’esprit) et le coeur, et le rejet plus ou moins affirmé de la dialectique et des « jongleries » verbales propres aux techniciens de l’« organon » aristotélicien. Au début, il s’agit de sauver un mysticisme d’épanchement, lyrique, tel qu’on le rencontre par exemple dans les Confessions de Saint-Augustin. Durant le large siècle et demi qui sépare Saint Bernard d’Eckhart et de Dante, la philosophie a émergé de façon plus ou moins autonome, néanmoins censurée par la Sorbonne. Non que le théologien ne passe par les arts libéraux comme propédeutique à l’étude très longue de la science de Dieu, mais l’horizon n’était pas celui d’une recherche du bonheur individuel, et surtout à la portée de tous. Les théologiens étaient une caste de spécialistes se plaçant au service des pouvoirs civils et ecclésiastique, pour permettre que le Salut de tous fût possible.

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En revanche, le Maître qu’était Eckhart « oublie » le jargon scolastique, la technicité langagière, et s’adresse en termes très simples, « enthousiasmant », en langue vernaculaire, aux béguines (et à d’autres « laïcs » … ou moines), à des gens qui n’ont pas fait d’études autres que d’apprendre à lire et à écrire (et encore!) ; et pourtant, ses sermons sont d’une profondeur fascinante.

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Quant à Dante il opte en grande partie pour l’italien, nous livre un immense poème théologique, métaphysique, épique, qui jette les bases de l’homme moderne, et disserte sur les préoccupations mondaines comme un philosophe. Ces deux grands penseurs n’ont pas pour autant abandonné le latin, langue de l’Europe, mais ont « oublié » le langage de l’université, pour transmettre leur Sagesse.

Il s’agit de savoir ce qui est en jeu dans ce pont entre deux périodes de l’histoire européenne, qui paraissent pourtant bien éloignées l’une de l’autre. Qu’a-t-on voulu « sauver », au moment où la ville « dénature » l’homme, où l’argent, truchement aliénant entre les producteurs, les consommateurs, semble être la transmutation dans le domaine économique de l’inflation technicienne du savoir, où l’aristocratie paraît dépossédée de son pouvoir, et où les fondements mystiques de l’âge roman ont été ravalés à des considérations parfois sécularisées, dont le thomisme, l’averroïsme, et certaines productions littéraires, traduisent la mauvaise conscience, ou le consentement à une vision « terrestre » de l’humanité (pour être plus précis, il s’agit en l’occurrence d’une vision qui part de l’homme pour se diriger vers Dieu). Un retournement des sens, de l’oeil, de l’âme, s’est produit durant ces deux siècles. Lequel ?

13:35 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, occident, dante, maître eckhart | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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