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dimanche, 01 juin 2025

Primauté de la politique étrangère ou de la politique intérieure?

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Primauté de la politique étrangère ou de la politique intérieure?

Choisis ton primat(e) préféré !

Dimitrios Kisoudis

La primauté de la politique étrangère est le primat préféré de la droite. Il dit qu'il faut agir en politique étrangère pour changer l'état de son pays. La 'primauté de la politique intérieure' (Eckart Kehr), le primat préféré de la gauche, dit que la politique étrangère n'est que l'échappatoire de la politique intérieure. Ceux qui se préparent à la guerre veulent rassembler les classes contre la classe ouvrière et étouffer la révolution en l'attaquant de l'extérieur.

Pendant plus d'un demi-siècle, les nationalistes et les libéraux se sont creusé la tête pour savoir sur base de quelle constitution il fallait fonder la nation allemande. C'est alors que Bismarck fonda la nation par l'extérieur avec les guerres d'unification. C'est cette solution gordienne que Heinrich von Treitschke et d'autres nationaux-libéraux, corrigeant l'erreur du mouvement libéral, ont transformée pour promouvoir la primauté de la politique étrangère. L'impérialisme qui s'ensuivit rassembla les citoyens et les ouvriers derrière les objectifs de la création d'une flotte de guerre capable de défier l'Angleterre. Question: pour empêcher la révolution prolétarienne ou pour faire de l'Allemagne une puissance mondiale ?

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En 1895, le planificateur de cette flotte, Alfred Tirpitz, donna la priorité à la politique étrangère : « La situation mondiale montre le danger qu'il y a de voir notre empire s'éloigner de sa position de grande puissance au cours du siècle à venir, si l'ensemble de nos intérêts maritimes ne sont pas énergiquement, sans perte de temps et systématiquement, poussés en avant ». Il lia cette primauté, dans un deuxième temps, à la politique intérieure : « De cette façon, on crée en même temps le meilleur moyen pour contrer la social-démocratie, tant celle qui est instruite que celle qui demeure inculte; et, ainsi, la seule richesse excédentaire que l'Allemagne possède dans sa production humaine est mise à profit, alors qu'elle menace maintenant tantôt de nous étouffer, tantôt d'être perdue par l'émigration ou de renforcer nos concurrents ».

La mentalité de droite n'aurait jamais compris que l'on puisse se préparer à la guerre pour réduire les classes inférieures. L'accroissement de la gloire et du pouvoir passait naturellement avant le calme et l'ordre. La gauche socialiste pensait certes différemment, à partir du concept de la lutte des classes. Soit selon la vision anti-impérialiste que le capital ne poursuivait pas un intérêt unique à l'échelle mondiale, tout en le tournant vers l'impérialisme, qu'adopterait plus tard l'Union soviétique, elle aussi, était déjà inscrite dans les astres. Primauté de la politique intérieure ou extérieure ? La question est la suivante : les conditions d'un éventuel changement se trouvent-elles plutôt à l'intérieur ou à l'extérieur ? La question ultérieure et évidente est alors la suivante : où se trouvent donc les conditions de la situation actuelle ?

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L'idéologie d'État de la République fédérale d'Allemagne est un produit des conférences organisées par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, un produit de ce que l'on souhaitait donner comme mentalité aux Allemands après deux guerres mondiales. En tant que consensus capitaliste-communiste, cette mentalité a déterminé l'ordre d'après-guerre régi selon l'ONU. Lorsque la soi-disant réunification a été réalisée sous la forme d'une adhésion de la RDA à la RFA et à l'OTAN, la variante occidentale de la religion pan-humanitaire a pris le dessus sur les promesses de la lutte des classes. La migration de masse et la dissolution des différences entre les sexes ne peuvent pas en être dissociées. C'est pourquoi elles ont pris leur essor après la chute du mur de Berlin, et sont devenues l'expression quasi majeure des "valeurs occidentales".

Pouvons-nous donc changer l'ordre intérieur en interpellant les citoyens sur les problèmes de politique intérieure: criminalité des immigrés, paupérisation, etc. Ou devons-nous passer par la politique étrangère, car les conditions de cet ordre sont indissolublement liées à la position du pays dans les relations entre les puissances mondiales ? Mon primat(e) préféré est la primauté accordée à la politique étrangère. C'est pourquoi je dis que la voie du changement ne peut passer que par la politique étrangère. Même si l'Occident devait baisser d'un cran dans le wokisme, les présupposés de celui-ci restent trop profondément inscrits dans son ordre.

L'anti-discriminationnisme (affirmative action/diversity) était pour ainsi dire une idéologie d'État aux États-Unis dans la seconde moitié du 20ème siècle. Elle est inscrite tant dans la législation que dans la jurisprudence. L'exceptionnalisme américain n'est pas lié au principe de différence, mais à celui de l'égalité. Une suprématie de nature conservatrice qu'exerceraient Etats-Unis sur l'Europe est une chose impossible. C'est ce que postule de facto l'antagonisme entre puissance terrestre et puissance maritime. La base du 19ème siècle conservateur était l'alliance entre l'Europe centrale et la Russie. Et même sous les auspices du communisme, la Russie a imposé plus tard un ordre qui a certes conduit au déclin de l'économie, mais qui a laissé les peuples intacts dans leur existencialité.

Pour réorienter l'Allemagne, il faut s'insérer dans la constellation changeante des puissances mondiales. L'Europe est actuellement séparée du continent eurasien par un coin enfoncé dans son flanc. Le conflit entre les Etats-Unis et la Chine est modéré par des deals, mais tend vers le piège de Thucydide (Graham T. Allison) en raison d'une logique hégémonique propre. Ce n'est qu'une fois ce conflit survenu que la possibilité d'un tournant pour l'Allemagne existe. L'Allemagne, comme la France, sera alors confrontée à la question suivante : allons-nous nous laisser entraîner dans le déclin ? Ou bien prononçons-nous le mot que Charles de Gaulle et Gerhard Schröder ont déjà dit : Non ! En attendant, il faut attendre et siroter son thé.

Les "primates" de droite, qui préconisent le primat de la politique intérieure, avancent d'abord l'argument de la communication : les gens ne réagissent pas aux discours de politique étrangère, car ces problématiques sont trop éloignées de leur vie quotidienne. Il faut donc se contenter de la politique intérieure pour mobiliser les gens. Mais pour exploiter les conditions réelles/potentielles du changement, peu importe ce que les gens veulent entendre ou non. La vérité est qu'il n'y aura jamais de rémigration pour des millions d'hères dans un bloc occidental, fût-il MAGA. En feignant la toute-puissance en politique intérieure, on peut tout au plus dissimuler l'impuissance en politique extérieure, mais non la surpasser. En réalité, ce n'est qu'une question de temps avant que nous verrons la rhétorique exaltée de la politique intérieure se mettre au service d'une politique étrangère erronée. Si elle ne s'y trouve pas déjà.

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Hans von Seeckt (photo), Karl Haushofer ou Carl Schmitt ont défini quelles devraient être conditions d'une politique étrangère allemande souveraine. Elles se situent dans l'union de l'Europe centrale, de l'Eurasie et de l'Asie. A première vue, ces conditions semblent difficiles à remplir. Comment pouvons-nous changer les rapports de force en Europe, dans le monde, si notre horizon s'arrête à notre propre circonscription électorale ? Ne semble-t-il pas plus simple, après une victoire électorale, de mettre de nombreux immigrés dans des avions et de les expulser ? Non. Il est toujours plus facile de changer l'ordre dans un monde qui se réorganise en le ré-agençant à nouveau que de réaliser son contraire au sein d'un ordre sans pouvoir modifier la répartition matérielle du pouvoir.

La droite politique menace aujourd'hui de se zombifier. Sur une scène plus large, elle se laisse parfois entraîner en politique étrangère par des aigreurs intérieures qui viennent de la rue et devraient y rester. On peste contre la Turquie, un acteur émergent à la charnière de l'Europe et de l'Asie, parce que l'on voit trop de kebabs dans la ville. On exige un durcissement vis-à-vis de l'Iran parce qu'on ne peut pas faire la différence entre chiites et sunnites ou entre Perses et Arabes. Chaque besoin de nature inférieure se voit attribuer une utilisation posée comme supérieure. Les conditions d'un éventuel changement deviennent ainsi irréalisables.

On pourrait maintenant dire : je divise ma mise et je mise ici sur l'extérieur, là sur l'intérieur. Je suis alors sûr de gagner. Premier problème : on joue ainsi avec des tricheurs, qui ont la partie plus facile parce que le casino est capable de brouiller ses cartes. Du point de vue de la politique étrangère, les fronts de la politique intérieure sont transversaux. Deuxième problème : les deux primautés entraînent des stratégies fondamentalement différentes. Le primat de la politique intérieure crie : les étrangers dehors ! Il évoque ainsi une confrontation entre Allemands et immigrés. Le prix du changement n'interviendra que lorsque la spirale de la répression aura été franchie et surmontée. Et si ce n'est pas le cas ?

La primauté de la politique étrangère tient compte du rôle que les migrants sont susceptibles de jouer dans le scénario de changement politique mondial. Ainsi, elle saisit dialectiquement la migration comme une possibilité. Ensemble, nous faisons de l'Allemagne ce qu'elle peut être dans un monde multipolaire. Car ce monde-là est mentalement proche pour de nombreux migrants. Si l'on divise la mise, on s'expose à une double répression et on risque de perdre, même si une partie du pari est gagnée. Si l'on n'ose miser qu'une seule fois, un autre jeu se met en place. Avec d'autres joueurs et d'autres règles. Le temps de la décision arrive. A chacun de choisir son primat préféré !

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