mardi, 23 décembre 2025
Pickeresel, Julbock, figures anthropomorphes hivernales dans les traditions germaniques

Les traditions hivernales européennes ont conservé, parfois de manière fragmentaire mais remarquablement cohérente, un ensemble de figures animales ou anthropomorphes qui occupent une place centrale dans le temps liminaire du solstice et des nuits d’hiver.
Loin d’être des survivances folkloriques isolées, ces figures expriment une logique symbolique profonde: lorsque le monde humain entre dans une phase d’instabilité cosmique, ce ne sont plus des figures strictement humaines qui assurent le passage, mais des animaux investis de fonctions mythiques.

Le Pickeresel, personnage à la tête d'âne, visiteur nocturne, apparaît comme un être actif à la période de Noël, chargé de transporter des dons, mais aussi, à un niveau symbolique plus profond, d’accompagner le passage de l’année ancienne vers la nouvelle.
Cette fonction de portage silencieux, discrète et patiente, s’oppose en apparence à la violence de la Chasse sauvage, mais lui est en réalité complémentaire.
Là où le dehors est purgé par la tempête et le vacarme, l’intérieur est préservé par la continuité.
L’âne du Pickeresel n’est pas un choix anodin.
Dans l’imaginaire européen ancien, les équidés sont des animaux liminaires par excellence, associés aux voyages nocturnes, aux passages entre mondes et aux fonctions psychopompes.

Cette dimension apparaît de manière éclatante dans la figure de Wotan, dieu cavalier, meneur de la Chasse sauvage, qui traverse le ciel hivernal accompagné des âmes errantes.
Le cheval wotanique n’est pas seulement une monture : il est l’instrument même du passage entre les mondes, capable de franchir les frontières invisibles entre vie et mort, présent et hors-temps.
L’âne partage cette capacité de franchissement, mais sous une forme apaisée et domestiquée: il n’emporte pas les morts dans la tempête, il accompagne silencieusement la traversée.
Cette structure explique pourquoi, dans de nombreuses traditions hivernales, le personnage de Noël n’est presque jamais conçu comme se déplaçant seul.

Le traîneau tiré par des rennes, aujourd’hui perçu comme indissociable du Père Noël, constitue en réalité une invention tardive du XIXᵉ siècle, issue de la littérature et de l’illustration modernes.
Il a remplacé iconographiquement des montures terrestres bien plus anciennes, sans en effacer la structure profonde: celle du déplacement liminaire nocturne assuré par un équidé, porteur d’une souveraineté invisible héritée de Wotan.
Avec la christianisation, cette figure animale n’a pas disparu, mais a été recouverte d’une nouvelle lecture
L’âne est dans le christianisme, l’animal de l’humilité volontaire, du service silencieux et de la royauté inversée.
Associé à Jésus-Christ, il porte le sacré sans le posséder, transporte sans décider, accompagne sans dominer.
Il était présent à la crèche.
Il a porté le Christ lors de son entrée à Jérusalem, le dimanche des rameaux.

Dans certaines traditions locales, l’âne ne se contente pas d’accompagner le Christkindl, l'enfant Christ: il peut s’y substituer entièrement, devenant à lui seul la figure du don et de la visite nocturne, signe d’un archaïsme où l’animal suffit à incarner la fonction mythique.

Dans l’espace scandinave, le Julbock est l’une des figures les plus anciennes du solstice.
Animal anthropomorphe, parfois porté par des hommes masqués, parfois figuré comme porteur de dons ou comme visiteur nocturne, il est directement lié à la fertilité hivernale, à la force brute et à la violence contenue du renouveau.
À l’origine, le bouc n’est pas un symbole décoratif, mais l’expression d’une puissance sexuelle et vitale, associée à la survie du monde pendant la saison morte.

Le bouc est son animal privilégié: dans la mythologie nordique, Thor se déplace dans un char tiré par deux boucs, dont la capacité à renaître après avoir été consommés exprime une logique cyclique de destruction et de régénération.
Le Julbock s’inscrit dans cette même dynamique: il n’est pas l’animal du passage des âmes, comme le cheval de Wotan, mais l’animal de la force vitale condensée, prête à réémerger après l’hiver.
Là où l’équidé transporte et guide, le bouc incarne et pousse.
La coexistence de ces deux figures animales (équidé et bouc) révèle une structuration profonde du cycle hivernal.
Le cheval, associé à Wotan Odin, gouverne le passage, la mort, la circulation des âmes et la souveraineté nocturne.
Le bouc, associé à Donar Thor, gouverne la force, la fertilité, la violence nécessaire au retour de la vie.
Ces deux dimensions ne s’opposent pas: elles sont parallèles et complémentaires. Ensemble, elles assurent la traversée de l’hiver et la possibilité du renouveau.
Cette logique ne se limite pas au monde germanique.

Personnage hivernal coiffé d’un crâne de cheval, porté par un groupe de chanteurs qui vont de maison en maison, la Mari Lwyd est à la fois effrayante, ludique et rituelle.
Le crâne de cheval, symbole explicite de mort, devient ici l’instrument d’une visite saisonnière bénéfique, accompagnée de chants et de joutes verbales.
Là encore, le cheval n’est pas décoratif : il est le support d’une fonction associée au passage de l’année et à la circulation entre vivants et morts.
À travers le Pickeresel, le Julbock et la Mari Lwyd, se dessine ainsi une structure européenne ancienne: lorsque le monde entre dans un temps hors norme, ce sont des animaux investis de fonctions mythiques qui prennent le relais des figures humaines.
Tantôt porteurs silencieux, tantôt incarnations de la fertilité et de la force brute, tantôt supports de la mémoire des morts, ils permettent d’exprimer des forces que l’homme ne peut plus assumer directement.



Le Pickeresel et le Julbock ne sont pas des curiosités régionales, mais deux expressions complémentaires d’un même langage symbolique.
Ensemble, ils forment l’ossature d’un imaginaire du solstice où la mort, la nuit et la renaissance ne sont jamais séparées, mais étroitement nouées dans le rythme profond de l’année.
20:09 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : traditions, traditions hivernales, julbock, bickeresel |
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