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vendredi, 18 mars 2022

Autriche: "Nous avons actuellement une neutralité au rabais"

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Autriche: "Nous avons actuellement une neutralité au rabais"

Le brigadier à la retraite Günter Polajnar sur la neutralité et les besoins d'investissement de la Bundesheer autrichienne

Source: https://zurzeit.at/index.php/wir-haben-derzeit-eine-diskont-neutralitaet/

Monsieur le Brigadier, quelles leçons l'Autriche doit-elle tirer de la guerre en Ukraine en ce qui concerne la défense nationale et l'armée fédérale ?

Günter Polajnar : Tous les politiciens rivalisent à nouveau d'interventions sur le "budget famélique" de l'armée fédérale autrichienne, comme par exemple : "Nous devons investir dans notre défense nationale plus qu'auparavant, au moins, etc ... !"

J'entends les mots, mais je n'y crois pas ! Chaque gouvernement de ces dernières décennies a laissé des traces essentiellement partisanes dans la structure de l'armée fédérale autrichienne, qui est donc passée d'une réforme à l'autre en titubant. La stratégie politique des partis a toujours été plus importante pour nos gouvernements que la nécessité de la politique de défense ! Klaudia Tanner (ÖVP), notre actuelle ministre de la Défense, en a fourni un exemple particulièrement frappant : En 2020, elle voulait tout juste réduire au minimum la mission principale de la défense nationale (car la fameuse "bataille des chars dans le Marchfeld" n'aura plus jamais lieu). Au lieu de cela, notre armée fédérale devait, malgré sa neutralité, être transformée selon le "modèle suisse" en un corps d'assistance technique légèrement armé pour des missions d'assistance. Or, depuis le 24 février 2022, des chars russes circulent et tirent dans l'Ukraine voisine et maintenant (minuit cinq), quelle surprise, la chère Madame parle soudain d'un "incroyable besoin de rattrapage" !

Autres exemples de la volonté de défense autrichienne : Herbert Scheibner (FPÖ) a dû avaler en 2002, après un "petit déjeuner avec l'éminent chancelier", les Eurofighter Typhoon du chancelier Schüssel de l'époque au lieu de la solution bien plus raisonnable du Gripen suédois (photo, ci-dessous) proposée par l'état-major (entre autres à cause de l'infrastructure de chantier suffisamment disponible à l'époque, d'origine suédoise) !

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Juste avant les élections nationales de 2006, Günther Platter (ÖVP) a suspendu les exercices de milice et en a fait le point culminant de sa carrière de ministre. Pour couronner le tout, il a réduit de moitié la capacité de mobilisation de l'armée et a supprimé les exercices. Enfin, Norbert Darabos (SPÖ), objecteur de conscience déclaré, était prévu pour le ministère de l'Intérieur lors du changement de gouvernement en 2007. Cependant, l'ancien chancelier Schüssel a imposé Platter comme ministre de l'Intérieur. Darabos est donc devenu, à notre grand regret, le ministre suivant de la Défense.
Il s'est immédiatement mis au travail, a réalisé le vœu le plus cher de Gusenbauer (SPÖ) et a marginalisé la défense aérienne, qui était de toute façon quasiment inexistante, en réduisant encore considérablement le nombre des Eurofighters, déjà mal aimés, à un nombre honteux et ridicule de 15 unités.

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Pour couronner le tout, cet appareil a été rétrogradé au rang d'avion-école tout juste utilisable, sans capacité de combat de nuit. Sous Hans-Peter Doskozil (SPÖ), dans le sillage de la crise migratoire de 2015/16, un budget un peu plus élevé a de nouveau été obtenu pour l'armée, et Thomas Starlinger a été le dernier ministre fédéral de la Défense nationale dans le gouvernement d'experts avant le gouvernement Kurz de 2020, qui, en tant que spécialiste reconnu, avait le courage et probablement la compétence d'aborder clairement les vérités désagréables et de les mettre sur la table des débats. Ainsi, ce triste éventail de nombreux échecs et de mauvaises décisions se referme sur la phrase de Marcus Tullius Cicero, qui reste malheureusement toujours d'actualité : "Si vis pacem, para bellum" ou "Si tu veux la paix, prépare la guerre" !

Le Bgdr i. R. Günter Polajnar a commandé la 7e brigade de chasseurs (Photo : Bundesheer)

Pendant des années, voire des décennies, l'armée fédérale a été traitée en parent pauvre par les politiques et sous-dotée financièrement. Aujourd'hui, les politiques se sont engagés à augmenter le budget de l'armée. Pensez-vous que l'armée fédérale obtiendra désormais les moyens dont elle a besoin ?

Polajnar : Il n'est pas facile de répondre à cette question ! Comme nous l'avons déjà dit, la stratégie politique des partis, leur cuisine intérieure, a toujours été plus importante que les besoins de la politique de défense. J'ai toujours entendu toutes ces promesses d'augmentation des investissements pour la défense nationale lorsqu'il y avait le feu au lac !

Oui, notre armée jouit d'un certain prestige, mais principalement en raison de ses nombreuses interventions en cas de catastrophe et d'assistance, ainsi que de ses fréquentes opérations de protection des frontières en rapport avec les réfugiés cherchant à entrer illégalement sur le territoire, mais pas vraiment pour la mission principale pour laquelle elle est censée être prioritaire, à savoir la défense nationale.

La responsabilité principale de ce dilemme n'incombe pas aux citoyens, mais surtout à nos hommes et femmes politiques, qui n'agissent en tant qu'État que lorsqu'il y a le feu à la baraque et qu'il serait nécessaire et donc raisonnable de disposer de pompiers prêts à intervenir. Mais contrairement aux pompiers, qui n'interviennent que pour minimiser les dégâts, une armée bien équipée devrait déjà servir à prévenir le "feu" imminent.

Pour faire court, je ne pense pas que la défense nationale soit une priorité à long terme, en raison de l'expérience intense que j'ai acquise dans le cadre de cette politique essentiellement partisane, qui fait passer ses propres intérêts avant l'intérêt général et dont l'objectif est de maximiser l'électorat.

Les principaux responsables de ce dilemme sont les hommes et les femmes politiques qui n'ont agi que lorsque le feu avait été allumé.

Selon vous, où faut-il mettre l'accent sur la défense nationale dans les années à venir ? La défense contre les cyber-attaques, la protection des infrastructures critiques ou autre?

Polajnar : Je dois malheureusement avouer que je ne peux peut-être pas répondre à cette question de manière aussi compétente que je le souhaiterais, étant donné que je suis à la retraite depuis un certain temps déjà. Il me manque donc simplement un état des lieux actuel, mais je vais faire de mon mieux. La culture stratégique de l'Autriche en matière de défense militaire repose sur deux points essentiels :

    - L'hypothèse qu'il n'y aura pas de conflit militaire sur le sol autrichien, et
    - qu'en cas d'urgence, l'Autriche neutre et non-alignée pourra tout de même compter sur le soutien de ses alliés.
    - De ces deux hypothèses clés découle la tendance de la classe politique autrichienne à utiliser l'armée fédérale sur le territoire national principalement pour des tâches secondaires telles que des missions d'assistance. Une défense militaire efficace n'est pas nécessaire et il n'est donc pas nécessaire d'y consacrer des ressources financières supplémentaires.
    - Que peut-on attendre de cette "pensée quasi-stratégique" pour l'avenir ?
    - Il est très probable qu'une réforme ou une restructuration de l'armée fédérale dans l'esprit de la "culture de défense autrichienne habituelle" impliquera de toute façon toujours plus de mise en scène que d'amélioration effective des performances militaires. Le sous-financement chronique des forces armées fait partie intégrante de cette culture, et même les conflits armés dans notre voisinage immédiat (comme en Yougoslavie en 1991) n'ont pas permis d'amorcer un changement de mentalité. Or, pour armer efficacement la République contre de nouveaux dangers, il faut non seulement une nouvelle définition de la guerre et de la paix et une nouvelle doctrine, mais aussi et surtout un soutien budgétaire à plus grande échelle.
    - Pour la raison susmentionnée, on ne peut pas non plus supposer que de nouveaux concepts opérationnels dans les domaines de la cyberdéfense ou de la défense contre les drones contribueront de manière significative à la défense militaire du pays.
    - Pour des raisons financières et de sécurité géographique, ces nouvelles priorités seront très probablement des programmes ponctuels, sans effet à grande échelle et avec de faibles capacités techniques militaires. Pour augmenter efficacement la capacité de combat de l'ensemble des forces armées et les rendre réellement opérationnelles sur le plan militaire conventionnel pour le XXIe siècle, il y aurait une multitude d'investissements à réaliser, y compris dans la guerre électronique ou dans la mise en réseau de tous les systèmes d'information de commandement, qui devraient être effectués en liaison avec cette dernière pour obtenir une valeur ajoutée militaire. La cyberdéfense ne fonctionne pas sans un renseignement efficace en matière de télécommunications et d'électronique.

En fin de compte, les attaques futures ne seront pas unidimensionnelles, mais très probablement multidimensionnelles, comme l'infiltration d'infrastructures critiques par des forces spéciales associées à des drones et soutenues par des cyberattaques ciblées. La nouvelle priorité ne doit donc en aucun cas signifier le désarmement de toutes les autres capacités.

Compte tenu de l'invasion russe en Ukraine, la neutralité est également un sujet de préoccupation en Autriche. L'Autriche devrait-elle envisager d'adhérer à l'OTAN ?

Polajnar : Notre neutralité au rabais actuelle ne protège pas, l'Autriche a objectivement deux options principales, à savoir une neutralité armée honnête ou l'adhésion à l'OTAN, mais subjectivement, je pense que nous n'avons qu'une seule option :
Mettre fin à notre parasitisme politicien irresponsable, dire enfin adieu à cette "neutralité en forme de clin d'œil" au cœur d'une Europe entièrement inféodée l'OTAN et, au lieu de cela, s'engager clairement en faveur d'une volonté d'affirmation de la politique de défense selon le modèle suisse, comme l'exigeait à l'origine la loi sur la neutralité, parce que l'Autriche a signé le 15 décembre 2009 un accord de paix avec l'OTAN. Après de longues et difficiles négociations, l'Autriche a obtenu son traité d'État et donc son indépendance le 1er mai 1955, et "dans le but d'affirmer en permanence son indépendance vis-à-vis de l'extérieur et de garantir l'inviolabilité de son territoire, l'Autriche déclare de son plein gré sa neutralité perpétuelle. L'Autriche la maintiendra et la défendra par tous les moyens à sa disposition".

Parce que je rejette catégoriquement la "position phéacienne" des Autrichiens et l'inconstance de nos politiciens qui font sans cesse des allers-retours sans jamais trancher ! Si, au lieu de l'OTAN actuelle - dont les États-Unis sont l'acteur principal -, une communauté de défense exclusivement européenne devait un jour se développer, il faudrait alors réévaluer cette nouvelle situation stratégique !

L'entretien a été mené par Bernhard Tomasachitz.