lundi, 12 janvier 2009
Les Gallois: une nation qui refuse de mourir
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES / VOULOIR - 1989
Les Gallois: une nation qui refuse de mourir
par Gwyn DAVIES
Je voudrais vous parler aujourd'hui du Pays de Galles et des Gallois, une nation à laquelle on dénie le droit de vouer un culte à son héritage et d'avoir sa place juridiquement parlant au sein de l'ordre international des Etats. Et pourtant cette nation survit toujours sous une forme reconnaissable et conserve tous les attributs nécessaires d'un Etat, même si des forces extérieures l'empêchent d'exercer sa fonction souveraine en toute indépendance. Cette nation a magnifiquement résisté à la culture étrangère qu'on lui a imposée, une culture perverse, envahissante qui a déjà corrompu et édulcoré bien des peuples dans le monde.
A notre époque, où l'auto-détermination est invoquée comme un droit naturel de l'homme et où les mouvements de libération nationale dans le tiers-monde sont acceptés avec la ferveur des croisades, il s'avère tout à fait impossible de contester intellectuellement la légitimité de la lutte pour la liberté des populations indigènes d'Europe, enfermées dans les structures étatiques actuellement existantes. Nous sommes au crépuscule des empires coloniaux et les derniers restes de ces vieilles instances peuvent aisément se repérer dans les colonies intérieures, retranchées à l'intérieur même des frontières de la plupart des Etats européens modernes. Le Pays de Galles est l'une de ces colonies.
C'est un objet d'étonnement pour tous d'apprendre que ce promontoire occidental des Iles Britanniques ait pu maintenir son identité et son caractère face à l'hostilité incessante de la puissance occupante au cours de près de vingt siècles. C'est l'histoire de cette résistance remarquable que je vais tenter de vous résumer aujourd'hui.
Du départ des légions romaines à l'époque arthurienne
Après le départ des légions romaines au début du Vième siècle, la province de Britannia dut assumer seule sa défense. L'historien grec Zozime nous relate cet épisode: «Les Bretons prirent les armes et, bravant le danger pour la sauvegarde de leur indépendance, libérèrent les cités des barbares qui les menaçaient». Les ennemis des Bretons étaient nombreux et menaçaient l'île de toutes parts. Le danger majeur, toutefois, était représenté par l'invasion et l'installation sur les côtes est et sud de tribus germaniques migrantes, connues sous le nom collectif de Saeson, ainsi que les nommait la population autochtone.
Pendant cette période romantique, cet «âge héroïque», l'Etat romano-breton se fragmenta en plusieurs petits sous-royaumes guerroyant entre eux. Chaque regulus luttait pour établir sa propre domination sur ces cymru (= compatriotes), au moins avec le même zèle qu'il combattait les barbares. Malgré les efforts de chefs comme Ambrosius Aurelianus et le légendaire Arthur, les Saeson (que nous appelerons "Anglais" par facilité dans la suite de ce texte) poursuivirent inlassablement leur avance vers l'Ouest.
En 577, la bataille de Dyrham coupa les Bretons du sud-ouest de leurs compatriotes du nord. En 615, la bataille fatidique de Chester interrompit les communications entre Ystrad Clud, le «Vieux Nord» et la région que l'on appelera par la suite le «Pays de Galles».
A cette époque où les Anglais s'accrochent et s'installent, les Bretons parvinrent quand même à repousser des envahisseurs irlandais qui s'étaient établis sur leurs côtes occidentales. De puissantes dynasties s'imposèrent à Gwynedd, Deheubarth et Powys dans l'actuel Pays de Galles. Ce sont ces dynasties qui incarnèrent au mieux la résistance des Gallois à l'agression anglaise, agression violente dont témoigne l'horrible massacre de 1200 moines à Bargor-Is-Coed par Aethelfrith, Roi de Northumbrie. Ce grand monastère et scriptorium était un centre d'érudition et témoignait de la continuité de la civilisation romaine, dont les Bretons étaient les fidèles héritiers.
Le triomphe des Northumbriens à Chester permit d'étendre la puissance anglaise dans tout le pays breton, situation qui connut son point culminant dans l'invasion de Gwynedd et la fuite de Cadwallon, son souverain, en Irlande.
Mais Cadwallon ne devait pas mourir ignominieusement en exil. Dès son retour, il leva une armée contre les Anglais qui furent mis en déroute en 632 à la bataille de Meigen. Leur chef, le puissant Edwin, mourut au combat. On apprend, par la plume de Bède le «Vénérable», propagandiste anti-breton virulent, quelles étaient les intentions de Cadwallon: «totum genus Anglorum Brittaniae finibus erasorum se esse deliberans» («ils complotèrent entre eux d'exterminer toute la race des Anglais présente dans le pays de Bretagne»). Que Cadwallon ait ou non planifié un tel génocide, il est clair que ses actions visaient la restauration de la domination bretonne dans les territoires conquis par les Anglais.
Le grand projet de Cadwallon ne se réalisa pas à cause de son décès précoce. Toutefois, sa marche vers l'est détruisit la prééminence de la Northumbrie. Les Bretons du Pays de Galles, bien que coupés de leurs frères du Nord, n'auront plus jamais à faire face à un danger anglo-saxon aussi mortel pour leur existence.
Arrêt de la progression anglaise et guerres intestines
Les quatre siècles qui suivirent connurent bien des aléas, chanceux et malchanceux. Gallois et Anglais luttèrent pour déterminer le tracé de leur frontière commune, laquelle fut effectivement fixée, grosso modo contiguë à celle d'aujourd'hui. Les Anglais dressèrent la Offa's Dyke (= la Digue d'Offa), une ligne de fortifications en terre le long de la frontière, prouvant une mutation dans la philosophie politique anglaise: les Gallois ne doivent plus être conquis mais «contenus».
Au-delà de la Dyke, les Gallois se livrèrent à d'incessantes querelles fratricides; des royaumes rivaux se combattaient mutuellement, assortissant leurs luttes de changement d'alliances si rapides que l'image que nous avons de cette époque est particulièrement confuse. Mais le grand legs laissé à l'histoire par ces roitelets gallois, c'est le soutien qu'ils ont accordé à la tradition bardique. Grâce à ce patronage, les Gallois purent atteindre un haut degré de civilisation, unique en soi et qui mérite parfaitement le qualificatif de «classique». Cette culture représente l'une des plus anciennes traditions littéraires d'Europe. Le Oxford Book of Welsh Verse commence par une œuvre de Taliesin, un poète du VIième siècle. Le premier poème présenté dans le Oxford Book of English Verse date du XIVième siècle!
Ces poèmes composés il y a quinze siècles nous semblent toujours d'une importance vitale aujourd'hui, aussi vitale qu'au moment de leur conception. Laissez-moi illustrer cela en citant un vers de Y Gododdin, une élégie guerrière de Aneirin, datant du VIième siècle:
«Gwyr a aeth Gatraeth oedd ffraeth eu Llu,
Glasfedd eu harcwyn a gwerwyn fu,
Trichart trwy beiriart yn catau,
Ac wedi elwch tawelwch fu».
Aux yeux de beaucoup, la littérature galloise atteint son apogée dans le Mabinogion, une collection de douze récits incarnant plus de mille ans de narration bardique: ce sont des récits comme Culhwch ac Olwen, une romance arthurienne qui anticipe l'Historia Regum Britanniae de Geoffrey of Monmouth, et The Dream of Macsen Wledig, une épopée ayant pour héros central Magnus Maximus, l'Empereur Maxence, l'«usurpateur» de l'Empire d'Occident au IVième siècle.
Un code de lois
très modernes
Mais les Gallois n'étaient pas que des poètes. Sous la férule d'un chef du Xième siècle, Hywel Dda («le Bon»), un code de lois complet fut esquissé et maintenu en pratique jusqu'à ce que la conquête anglaise ne l'annule. Ce code, rédigé en gallois, contenait des idées juridiques révolutionnaires pour l'époque: les femmes pouvaient réclamer une compensation lorsqu'elles étaient battues par leurs maris et revendiquer une part de propriété égale en cas de divorce; le vol n'était pas punissable si le but de l'acte délictueux était la survie physique; un fils illégitime avait des droits égaux au patrimoine de son père, comme tous les autres fils.
Jacques Chevalier écrit que «le peuple du Pays de Galles était le plus civilisé de son époque et avait atteint le plus haut degré d'intellectualité... Le Pays de Galles au Xième siècle était le seul pays d'Europe possédant une littérature nationale à côté d'une littérature impériale en latin».
Les années qui ont immédiatement suivi la conquête normande de l'Angleterre furent traumatisantes pour les Gallois. Des aventuriers normands se rassemblaient à l'Ouest pour se tailler des fiefs et de la puissance. Le Pays de Galles, malgré sa division en un réseau de petits royaumes, résista aux envahisseurs avec davantage d'efficacité que les royaumes anglo-saxons. Lorsque les Normands tuèrent à Hastings le Roi Harold, ils emportèrent, d'un coup, un royaume centralisé, mais lorsqu'ils éliminaient un petit chef gallois, ils n'enregistraient qu'un succès local.
Néanmoins, la marée montante de la conquête normande finit par battre les contreforts des royaumes gallois et, au début du XIième siècle, le destin des dynasties autochtones semblait scellé.
Conquête normande et
«âge des Princes»
Mais la tenacité des Gallois s'avéra aussi âpre que l'appétit des Normands. Dans sa Descriptio Kambriae, Geraldus Cambrensis, prélat «cambro-normand» du XIIième siècle, écrit à propos des Gallois que leur esprit «est entièrement voué à la défense de leur pays et de leur liberté; c'est pour leur pays qu'ils se battent, pour leur liberté qu'ils œuvrent; pour cela, il leur semble doux, non seulement de lutter l'épée à la main, mais aussi de mettre leur vie à disposition... Lorsque sonne le clairon de la guerre, les paysans abandonnent leur charrue et se précipitent sur leurs armes, avec la même promptitude que le courtier vers sa cour».
Les historiens surnomment les 300 années qui suivirent la prise du pouvoir par les Normands d'«Age des Princes». Pendant toute cette période, les chefs gallois comme Owain Gwynedd et Lord Rhys de Deheubarth luttèrent vaillamment pour résister aux incursions étrangères et pour unir leurs turbulents sujets en une nation capable de résister aux menaces extérieures.
Pendant cette époque, les Gallois enregistrèrent plusieurs victoires importantes, comme la destruction d'une armée normande et flamande à Crug Mawr en 1136, l'humiliation de Henri II Plantagenet à Basingwerk en 1157 et à Cadair Berwyn en 1165. Mais malgré ces victoires, la résistance des chefs gallois a toujours été freinée par les guerres fratricides endémiques. Ces luttes intestines s'expliquent pour une part par le système des héritages, lequel, même s'il est équitable, divise et partitionne les terres. Contrairement au système de la primogéniture appliqué en Angleterre, où le fils aîné hérite de l'entièreté des propriétés de son père, en Pays de Galles, tous les fils ont droit à une part égale de la propriété paternelle, ce qui engendre des rivalités et des antagonismes sur une base inter-familiale. Ces disputes sont alors exploitées, encouragées et soutenues par des forces extérieures et intéressées.
Le seul espoir de conserver l'indépendance, c'était d'établir un Etat unitaire. Les efforts de la Maison des Gwynedd visaient un tel objectif. Sous l'égide de Llywelyn Fawr ("le Grand") et de son petit-fils, Llywelyn ap Gruffudd, les Gwynedd prouvèrent leur prédominance sur toutes les autres dynasties autochtones. Ce clan de chefs chercha à fonder une structure féodale semblable à celle des Normands; leur effort connut son apogée lors du Traité de Montgomery de 1267, par lequel la Couronne anglaise reconnaît le droit de Llywelyn ap Gruffudd à porter le titre de «Prince de Galles» et à avoir le droit de recevoir l'hommage des autres princes mineurs.
Les Anglais deviennent maîtres du pays
Une telle concession n'a pu être arrachée que par moyens militaires car les Anglais auraient autrement refusé d'abandonner leurs projets de rapines et n'auraient jamais accepté un compromis politique. Mais inévitablement, la toute-puissance de l'Empire anglais et la volonté indomptable d'Edouard I, combinées, ruinèrent les aspirations des Gwynedd. En 1282, Llywelyn est tué et ses terres démembrées.
Les succès anglais, dus aux armées nombreuses et à la finance génoise, ont été renforcés par la construction d'un réseau de puissantes forteresses garnies de garnisons permanentes, symboles de l'autorité royale et destinées à surveiller et à réprimer la population autochtone. Un chroniqueur anglais de l'époque écrivit: «L'histoire du Pays de Galles arrive à sa fin». Ce jugement était assurément fort prématuré! Face à l'arrogance anglaise, les Gallois refusèrent de reconnaître leur défaite.
Les Anglais durent déployer une formidable puissance militaire pour mater de nombreuses rébellions, dont la plus sérieuse fut celle menée par Madog ap Llywelyn en 1294-95. Ce soulèvement, pour être contré, exigea une campagne de neuf mois et la mobilisation de 35.000 hommes. Il empêcha la réalisation du plan d'Edouard d'envahir la France.
De nombreux Gallois avaient fui leur pays pour se rendre en France afin de poursuivre la lutte contre l'ennemi comme l'avaient fait les Wild Geese (= les «Oies Sauvages») d'Irlande. Le plus connu de ces exilés fut Owain Lawgoch (= «la Main Rouge»), qui se proclama Prince de Galles et Capitaine de France. Le Duc Yvain de Galles, ainsi qu'il fut baptisé par les Français, commanda la flotte française qui s'empara de Guernesey. Yvain retournait en son pays lorsque le Roi de France le rappela pour investir La Rochelle et entrer dans le Poitou. Le Pays de Galles s'est souvenu des gestes d'Owain et les récits contant sa bravoure ont été chantés à profusion par les Bardes. La Couronne anglaise voyait en lui une telle menace qu'elle loua les services d'un assassin pour le tuer lors du siège de Mortagne-sur-Mer.
Owain Glyndwr, le plus grand et le plus célèbre des patriotes gallois
Mais à peine un quart de siècle s'écoule après l'assassinat du premier Owain, qu'un autre se dresse, Owain Glyndwr, le plus grand et le plus célèbre des patriotes gallois. Les exploits de ce héros inspirèrent de nombreux esprits et ce n'est pas un hasard si les nationalistes activistes gallois d'aujourd'hui, qui s'attaquent aux propriétés détenues par des Anglais dans tout le Pays de Galles, ont choisi de s'appeler «Meibion Glyndwr» ou «les Fils de Glyndwr».
Au tournant du XVième siècle, le Pays de Galles était travaillé par le ressentiment. Aucun Anglais ne pouvait être mandé devant une cour de justice par un Gallois et dans les arrondissements ruraux (les boroughs), la détention des terres et le commerce étaient des privilèges exclusifs des planteurs anglais. Le Parlement, averti de la colère des Gallois, émit une remarque méprisante: «Qu'avons-nous cure de ces pendards et va-nu-pieds?». Dans une telle atmosphère, Glyndwr fut proclamé «Prince de Galles» et, sous les acclamations ferventes de son peuple, il fut salué comme le sauveur tant attendu, le fils du destin, l'icône des prophéties bardiques.
De 1400 à 1415, le Pays de Galles connut le tumulte et les feux de la rébellion, menaçant du même coup la construction de l'Angleterre moderne. En 1404, la plus grande année de Glyndwr, le jeune chef n'avait aucun rival en Pays de Galles; même les grandes forteresses royales de Harlech et de Aberystwyth étaient tombées entre ses mains. Cette année-là, Owain convoqua son premier parlement national à Machynlleth et, en présence d'émissaires d'Espagne, de France et d'Ecosse, avec la bénédiction du Pape d'Avignon, il fut couronné formellement Dei Gratia Princeps Walliae (= Prince de Galles par la Grâce de Dieu). On élabora des plans pour détacher l'Eglise du Pays de Galles de la tutelle de Canterbury et pour fonder des universités dans le nord et le sud du pays. Ces plans attestent le projet authentiquement national de Glyndwr.
La défaite de ses alliés en Angleterre, de ses co-signataires du Tripartite Indenture qui voulaient partager l'Ile de Bretagne en un nord, un sud et un ouest, pesa considérablement sur la stratégie d'Owain; même l'aide d'une armée française ne put garantir son invulnérabilité. Entre-temps, avec toutes les ressources de la puissance anglaise dirigées contre lui, Glyndwr perdit du terrain. Mais si l'étau royal se refermait sur lui, Owain ne fut jamais battu définitivement sur le champ de bataille. Vers 1412, ses activités se résumaient à des coups de guerilla. Les légendes entourant son personnage se multiplièrent et s'amplifièrent. Glyndwr disparait de la scène vers 1415 et un voile de mystère entoure sa mort. Un chroniqueur gallois de cette époque relate que «la majorité affirme qu'il est mort; les devins disent qu'il n'est pas mort».
Les Tudor, une dynastie galloise oublieuse
de ses racines
Bien qu'elle ait été écrasée par un Etat dont la population était quinze fois supérieure et dont les richesses étaient incomparablement plus importantes, la nation galloise, par sa guerre d'indépendance, s'était signalée à l'attention de toute l'Europe. A la Conférence de Constance de 1415, la délégation française maintint avec succès que le Pays de Galles était une nation distincte en tous points de l'Angleterre. Les efforts de Glyndwr n'avaient pas été vains.
Depuis l'échec de Glyndwr jusqu'aujourd'hui, il a été refusé au peuple gallois le droit à l'auto-détermination. Même l'accession de Henry Tudor au trône d'Angleterre avec l'appui d'une armée galloise, ne déboucha pas sur une reconnaissance de la spécificité galloise. En effet, le couronnement d'un roi d'Angleterre de nationalité galloise retarda considérablement la lutte de libération car les membres les plus compétents de la gentry galloise abandonnèrent leur rôle traditionnel de chefs du gwerin (le peuple, le Volk) pour partir en Angleterre à la recherche de postes, de richesses et d'influence.
La politique des Tudor fut d'assimiler le Pays de Galles à l'Angleterre et, en conséquence, de détruire l'identité nationale distincte des Gallois. A cette fin, deux actes d'union passèrent en 1536 et en 1543. Le préambule de celui de 1536 mérite d'être cité ici: «... le dominion, la principauté et le pays de Galles est incorporé, annexé, uni et soumis à et sous la Couronne impériale de ce Royaume... parce que dans le dit pays, principauté et dominion existent divers droits, usages, lois et coutumes très différents des lois et coutumes de ce Royaume et aussi parce que le peuple du dit dominion possède un langage quotidien utilisé dans le dit dominion ne ressemblant pas et n'ayant pas la même euphonie que la langue maternelle utilisée dans le Royaume... Son Altesse, en conséquence, manifeste l'intention de les réduire à l'ordre parfait et à la connaissance des lois du Royaume et d'extirper complètement les coutumes et usages singuliers et sinistres différant de ce qui est en ce Royaume... Elle a ordonné que le dit pays et dominion de Galles sera à l'avenir, pour toujours et dorénavant incorporé et annexé au Royaume d'Angleterre».
La traduction de la Bible en gallois sauve la langue de la disparition
Le gouvernement anglais fit donc de la langue galloise un problème politique. La situation est restée telle jusqu'à nos jours. La survie de la langue, exclue de la vie publique et des instances légales, doit beaucoup à la traduction de la Bible en gallois, terminée en 1588. Cette traduction permit à la langue de ne pas dégénérer à la suite de l'effondrement de l'ordre bardique et fournit la base linguistique nécessaire au Y Diwygiad ou «Grand Réveil». Le revival religieux qui souffla sur le pays au XVIIIième siècle fut alimenté par des prêcheurs charismatiques qui s'adressaient en gallois et en plein air à des foules de milliers de personnes. Ce qui est plus significatif encore, c'est que ce revival permit la création d'écoles itinérantes dont l'objectif était d'enseigner au gwerin comment lire afin qu'il soit instruit des principes de la foi chrétienne. Bien sûr, la langue d'enseignement était le gallois. A la fin du XVIIIième siècle, le nombre total des élèves fréquentant les classes de jour et de nuit s'élevait à quelque 300.000 et, avec les 3/4 de la population ayant fréquenté les écoles, le Pays de Galles était la région la plus lettrée d'Europe à cette époque.
L'éducation du gwerin conduisit, inévitablement, à sa politisation et, dans les premières années du XIXième siècle, une agitation sérieuse agita le sud nouvellement industrialisé et les régions centrales encore rurales. En 1831, les ouvriers de Merthyr, la ville du fer et du charbon, brandirent le drapeau rouge et prirent d'assaut les positions tenues par les troupes gouvernementales. Il fallut quatre journées de combat, avec l'appui de renforts en soldats réguliers, pour que le soulèvement soit maté. Huit années plus tard, la ville de Newport lançait à son tour un défi à l'Etat britannique.
Les Chartists gallois constataient que leur lutte pour la justice sociale ne réussirait pas s'ils n'adoptaient pas les méthodes qui avaient fait le succès de la Guerre d'Indépendance américaine et de la Révolution française. En conséquence, ils décidèrent d'utiliser la force physique pour renverser l'ordre existant. Une armée, composée surtout de «sans armes», comptant 20.000 hommes, se rassembla pour marcher sous la bannière de CYFIAWNDER (= Justice) afin de fonder une République Galloise (Silwian Republic). L'entreprise échoua sous le feu des canons du 45ième Régiment à Pied.
Après les révoltes des Chartists, les Anglais décident de détruire la langue et la culture galloises
Les autorités anglaises étaient bien conscientes que le Pays de Galles était au bord de la révolution. Le Times rapporte que «le Pays de Galles est devenu aussi volcanique que l'Irlande», tandis que le Morning Herald déclare: «Le Pays de Galles est devenu un théâtre où l'on proclame des doctrines révolutionnaires, où l'on prêche la violence et l'effusion de sang. Les horreurs de la "petite guerre des Chartists ont frappé les dominions de la reine, qui n'avaient plus été souillés par le sang de la guerre civile depuis le temps d'Owen Glandower (sic)».
La solution préconisée par les Anglais était simple: détruire la langue galloise et le pays deviendrait ainsi une province anglaise comme les autres. A cette fin, des commissaires sont envoyés au Pays de Galles pour récolter des "preuves" du primitivisme et de l'ignorance du peuple autochtone. Et bien que sept huitièmes de la population était de langue galloise, les commissaires unilingues interrogeaient les témoins en anglais. De ce fait, ce n'est pas une surprise d'apprendre que leur rapport concluait les choses suivantes: «Le langage gallois dessert considérablement le Pays de Galles et constitue une barrière complexe au progrès moral et à la prospérité commerciale du peuple... A cause de sa langue, la masse du peuple gallois est inférieure au peuple anglais dans tous les domaines du savoir pratique et technique».
Armées d'un pareil rapport, les autorités possédaient enfin l'excuse qu'elles avaient recherchée pour asseoir une politique d'éducation obligatoire en anglais, afin d'angliciser le gwerin de façon si systématique qu'il serait totalement assimilé. Cette politique fut imposée sans ambages et les enfants des écoles que l'on entendait parler leur langue maternelle interdite étaient punis et humiliés. Pas de surprise donc que de telles mesures, appliquées systématiquement pendant plusieurs générations, combinées à l'immigration massive d'Anglais dans les zones industrielles, s'avérèrent catastrophiques pour l'avenir de la langue galloise. Alors que 88% de la population étaient de langue galloise vers la moitié du XIXième siècle, la proportion est, aujourd'hui, d'environ 20%. Comme prévu, la perte de la langue a conduit à la perte de la conscience nationale et des pans entiers de la société galloise ont transféré leurs allégeances au concept parfaitement illusoire de la Britishness, véhicule à peine voilé de la suprématie anglaise.
De telles défections se sont répercutées sur la scène politique. Dans les dernières années du XIXième siècle, un puissant mouvement de home rule naît au Pays de Galles sous l'appellation de Cymru Fydd (= Le Pays de Galles du Futur). Cette organisation doit être mise en parallèle avec le mouvement contemporain Young Ireland (= Jeune Irlande): elle vise à créer un parti national pour le Pays de Galles, qui, au début, devait se développer à l'intérieur du parti libéral gallois. Mais le Cymru Fydd était profondément divisé et sa vision d'un Pays de Galles autonome dans une Grande-Bretagne fédérale, marquée par l'éthos impérial anglais, n'avait rien de révolutionnaire. Par la suite, le lobby du home rule capota par la défection de ses chefs, partis à Londres pour exercer des responsabilités gouvernementales, comme Tom Ellis et, plus tard, David Lloyd George.
Premières menées activistes
Il fallut attendre 1925 pour que le Pays de Galles ait son premier parti national indépendant, avec l'apparition du Plaid Genedlaethol Cymru, dénommé ultérieurement Plaid Cymru (Le Parti du Pays de Galles). Sous la présidence de Saunders Lewis pendant l'entre-deux-guerres, le parti reçut son principal soutien de la part d'écrivains et d'intellectuels et cherchait à donner au Pays de Galles une doctrine nationaliste rigoureuse qui mettait l'accent sur la préservation de l'identité des communautés de langue galloise contre toute installation étrangère. Cette campagne eut pour moment fort l'incendie d'une école de l'armée de l'air, où les pilotes de bombardiers devaient être entraînés, que les militaires avaient fait construire au cœur du Pays de Galles. Cette action provoqua l'inculpation et l'emprisonnement de trois membres importants du parti. Ce fut un procès célèbre qui fournit à la cause nationaliste l'appui d'un public nouveau. Mais le parti ne put enregistrer que de très faibles succès électoraux et la plupart des critiques le dénoncèrent pour ses tendances dangereusement fascistes.
Pendant la seconde guerre mondiale, le Plaid Cymru resta résolument neutre, affirmant que son premier devoir était de défendre la nation galloise et non un Etat britannique artificiel; cette politique aboutit à l'arrestation et à l'emprisonnement de beaucoup de membres de l'organisation nationaliste.
Après la guerre, le Plaid Cymru se débarrassa de ses principes les plus pointus afin de s'attirer un électorat plus nombreux; ce fut une politique qui s'avéra fructueuse quant au nombre de sièges gagnés à Westminster mais qui compromit l'intégrité de la cause nationaliste au Pays de Galles. Dans sa volonté d'obtenir une représentation en Angleterre, le Plaid avait trahi sa nation et sa langue. Beaucoup d'activistes se sentirent frustrés par cette "trahison" de la direction du Plaid, dont le président en exercice se décrivit un jour sottement comme un «socialiste intellectuel britannique». Cela déboucha sur la formation de plusieurs groupes alternatifs et plus radicaux, dont le plus réussi fut le Cymdeithas yr Iaith Gynraeg (La Société de la Langue Galloise).
Une action directe
et non violente
L'organisation opta pour une action directe non violente, de façon à attirer l'attention sur le statut inférieur de la langue galloise. Les campagnes du mouvement ont ainsi lutté pour l'élimination de la signalisation routière en anglais, pour l'installation d'un bon service de radiodiffusion gallois (cet objectif a été partiellement réalisé avec l'apparition de la chaîne S4C) et l'accroissement de l'usage du gallois dans la vie publique. Actuellement la Cymdeithas met l'accent sur l'importance qu'il y a d'accroître l'enseignement moyen en gallois et fait campagne pour obtenir un nouveau Language Act pour le Pays de Galles.
Dans les années 60, certains radicaux gallois furent impliqués dans des organisations proto-terroristes comme la Free Wales Army (FWA) et le Mudiad Amddifyn Cymru (MAC; Le Mouvement de Défense du Pays de Galles). Ces groupes se formèrent en réponse à l'échec des méthodes constitutionnelles visant à éviter la destruction des communautés galloises en proie aux autorités anglaises. Lorsque plusieurs districts unilingues gallois furent mis sous eau afin de fournir de l'eau et de l'électricité à bon marché à des villes anglaises, les tracés d'aqueducs et les pylônes devinrent les cibles légitimes des attaques à la bombe des groupes en question.
L'investiture de Charles comme Prince de Galles au cours d'une cérémonie arrogante rappelant les conquêtes anglaises déclencha une campagne accrue d'attentats à la bombe dans tous le Pays de Galles. Mais les autorités étaient bien conscientes de la menace et, le jour même de l'investiture, les membres dirigeants de la FWA furent traduits en justice et emprisonnés pour appartenance à une organisation quasi militaire. Incident plus sérieux, le même jour, deux membres du MAC sont tués par l'explosion prématurée de leur engin, alors qu'ils étaient en route pour attaquer la voie de chemin de fer que devait emprunter le train royal. On soupçonne, à bon droit semble-t-il, que la machine infernale avait été «arrangée» par les services de sécurité… L'arrestation et l'inculpation des membres de la FWA et du MAC mit un terme aux attentats à la bombe mais la stratégie de l'«action directe» constitue toujours une option pour le Meibion Glyndwr. Ce groupe nationaliste clandestin a mené une campagne d'attentats incendiaires contre les propriétés possédées par des Anglais dans les districts de langue galloise au nord et à l'ouest du pays. Le Meibion Glyndwr prend pour appui le souci des Gallois face à l'impact destructeur du «syndrome de la résidence secondaire». L'organisation nationaliste a travaillé à grande échelle et elle jouit indubitablement d'un appui populaire tacite, ce qui explique qu'elle n'a pas pu être repérée et est restée opérationnelle depuis neuf années.
Pour en terminer avec ce tableau nécessairement schématique des bases de l'identité galloise, je voudrais citer les mots de Saunders Lewis, écrits pour une émission de la BBC en 1930, émission interdite parce qu'elle était «forgée pour enflammer les sympathies nationalistes»: «Il ne peut y avoir de lendemains heureux pour le Pays de Galles si nous ne nous montrons pas capables de passer à l'action, de nous imposer une auto-discipline, de nous donner un esprit fort et viril d'indépendance et si nous ne cultivons pas la fierté qui a animé nos ancêtres. Ce dont le Pays de Galles d'aujourd'hui et de demain a besoin, c'est de l'appel de l'héroïsme. La touche d'héroïsme n'a jamais vibré dans la politique galloise. Et c'est la raison pour laquelle je suis un nationaliste politique, parce que le nationalisme est appel à l'action et à la coopération, parce que le nationalisme referme les divisions de classe et impose aux riches et aux pauvres, aux clercs et aux travailleurs, un idéal qui transcende et enrichit l'individu: l'idéal de la nation et du terroir».
Gwyn DAVIES.
Conférence prononcée le 11 mars 1989 dans les salons de l'Hôtel Bedford à Bruxelles.
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