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mercredi, 03 juin 2009

A propos des accords Reagan/Gorbatchev

 

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SYNERGIES EUROPÉENNES - Juin 1988

 

 

 

A propos des accords Reagan-Gorbatchev

 

 

par Jean-Rémy Vanderlooven

 

 

La récente signature, en décembre dernier, du traité américano-soviétique portant sur une réduction des euro-missiles a fait couler beaucoup d'encre. La ren-contre à Moscou de Reagan et de Gorbatchev prouve en tout cas que cet accord est durable. Enfin un évé-nement médiatique qui ne soit sucité ni par une catastrophe ni par un scandale?

 

 

Bien que le traité, désormais ratifié par le Congrès américain, ne concerne que 3 à 7% de la puissance de feu nucléaire des deux super-puissances, réactions et com-mentaires ont fusés en tous sens.

 

Certains en ont déduit, hâtivement sans doute, que Reagan et Gorbatchev s'étaient soudain convertis au pacifisme angélique, d'autres y ont trouvé une preu-ve supplémentaire du machiavélisme soviétique, et quelques-uns, enfin, sont partis en quête d'un para-pluie, pas trop troué, sous lequel se réfugier frileu-sement. Toutes ces gesticulations révèlent un double manque considérable: la lucidité et la dignité.

 

 

En fait, la signature de ce traité trouve sa véritable im-portance historique, en tant que signe d'une dou-ble modification d'analyse et de stratégie dans le chef des deux grands et "subsidiairement" du statut de l'Europe de l'Ouest.

 

 

USA

 

 

Depuis quelques années, la stratégie mondiale des E-tats-Unis se réoriente en fonction de deux éléments re-lativement neufs. D'une part, une résurgence de la tentation isolationniste. Celle-ci est illustrée, au plan économique, par les différentes "guerres" euro-amé-ricaines (aciers, pâtes, etc.), ou encore, par la dégringolade —voulue— du dollar sur toutes les pla-ces financières, ce qui a pour double effet de faire fi-nancer la démagogie reaganienne par le reste du mon--de et d'élever des barrières autour du marché in-térieur américain. Parallèlement, au plan militaire, l'IDS ne sanctuarise que le territoire américain.

 

 

D'autre part, la source de la vitalité américaine glisse de la côte Est vers la côte Ouest, recentrage motivé par le transfert du centre de gravité économique de l'At-lantique-Nord au Pacifique. Cette double con-train-te, à laquelle s'ajoute au relatif manque de "fia-bi-lité" des alliés de l'OTAN, conduit, dans la pensée stratégique américaine, à une marginalisation toujours plus marquée de l'Europe de l'Ouest. Un désengagement progressif des Américains en Europe est donc de plus en plus probable.

 

 

URSS

 

 

En ce qui concerne l'URSS, il serait temps d'aban-donner nos phantasmes concernant une quelconque volonté de démocratisation de type "occidentalo-libéral". La nouvelle direction du pays a relevé un dé-fi d'une toute autre nature: la modernisation d'un sys-tème économique obsolète, condition de survie de l'empire. Cette exigence détermine le choix de nou-velles priorités: la société civile et l'infrastructure économique/technologique prennent, momentané-ment (?), le pas sur la logique d'un impérialisme pu-rement militaire et sur son corrolaire, la course aux armements.

 

Cette réorientation fondamentale devra permettre à la fois le transfert de ressources financières et humai-nes à l'intérieur de l'URSS et, via une amélioration du "look" diplomatique, une meilleure collaboration avec le reste du monde. Si tout ceci peut se traduire par une moindre militarisation de la société sovié-ti-que, par une relative décentralisation du pouvoir et par un assouplissement des normes de commu-nica-tion et d'information, l'Union Soviétique restera mal-gré tout fort éloignée d'un quelconque "plura-lis-me".

 

 

Les indices de ce changement de stratégie ne man-quent pas; l'URSS s'est longtemps montrée très ac-ti-ve dans le monde par ses interventions militaires, sou-vent massives. Dans les pays d'Europe centrale, à Cuba, au Vietnam, en Angola, en Ethiopie, en Af-gha-nistan (ces entreprises ont d'ailleurs eu pour effet d'atténuer le complexe d'"assiégés" des dirigeants so-viétiques).

 

Or, plus récemment, un relatif désengagement est per-ceptible, illustré, par exemple, par une aide plus dis-crète au Nicaragua, par la non-intervention directe en Pologne, par les velléités de retrait d'Afghanistan ou encore par le traité sur les euromissiles.

 

 

Tout cela rend l'étouffement complet des satellites eu-ropéens moins impératif et diminue l'acuité de l'af-frontement avec les nations ouest-européennes.

 

 

Europe de l'Ouest

 

 

Les Européens de l'Ouest ne peuvent nullement es-pé-rer imposer une stratégie propre et volontariste dans le cadre de ces bouleversements.

 

 

En effet, du fait des conséquences de ses guerres ci-viles et des erreurs historiques qui ont jalonné les po-litiques de colonisation puis de décolonisation, l'Europe a dû renoncer à son rôle de leader mondial. Cependant, les atouts qu'elle conserve, doivent lui permettre de développer une tactique "opportuniste" en fonction du relatif espace d'autonomie qui s'offre à elle.

 

 

Cette tactique devrait s'articuler sur trois options fon-damentales: 1) le neutralisme (non-alignement idéo-logique par rapport aux deux super-puissances; ce que les Allemands nomment plus justement la Blockfreiheit);  2) le recentrage et 3) la redécouverte de ces axes naturels de collaboration internationale.

 

 

Neutralisme

 

 

"Plutôt rouge que mort?". Certainement pas: une tel-le attitude n'est qu'une façon, parmi d'autres, de sa-crifier, une fois de plus, l'essentiel: la dignité. En fait, le nouveau neutralisme dont ont besoin le centre et l'ouest de notre continent est la première condition de son indépendance: il s'agit de s'affranchir de la tu-telle exercée par les deux grands, tutelle qui n'apporte qu'une protection illusoire au prix d'une vassalisation bien réelle. Dans cette optique, tant l'iso-la-tionnisme américain que l'attitude nouvelle des Soviétiques à l'égard du glacis est-européen sont des opportunités qui ne peuvent être négligées.

 

 

Recentrage

 

 

Au-delà de cette neutralité réinventée, l'espace euro-péen ainsi créé ne pourra définir son identité et affir-mer sa vocation internationale qu'en faisant appel à un système de références et de projets se rapportant à lui-même.

 

 

Potentiels culturels et traditions politiques purement européens sont, en effet, appelés à former la base d'une vision prospective de notre devenir, par la mi-se en avant de la communauté de destin de nos peu-ples. Nous voilà bien éloigné du "grand marché" pu-rement mercantile et ouvert à tous vents que nous proposent nos technocrates...

 

 

Axes d'ouverture

 

 

Contrairement aux dires des farfelus du mondialisme militant, l'avenir international de l'Europe ne passe pas par Séoul ou Lima, lieux pour nous excentri-ques, appartenant à l'espace sud- ou nord-pacifique.

 

 

Notre histoire indique à suffisance les solidarités (et les interdépendances) naturelles qui devraient être ré-ac-tualisées: l'axe est-ouest d'une part, l'axe nord-sud d'autre part.

 

Les conditions d'émergence du premier axe ont été dé-veloppées dans le points précédent. En ce qui con-cerne le deuxième axe  —l'Afrique—  sa réalité est clairement inscrite dans les faits. Nombre de nos pro-blèmes parmi les plus concrets, comme l'immi-gration ou l'approvisionnement en énergie, par exemple, ne pourront être résolus que sur base d'un dialogue trans-méditerranéen.

 

 

Défis

 

 

Il s'agit donc, pour l'Europe, de relever un défi: re-constituer une identité européenne propre qu'il fau-dra concrétiser dans un espace autonome et inscrire dans une alternative internationale dynamique.

 

Au boulot,...

 

 

Jean-Rémy VANDERLOOVEN.

 

 

samedi, 14 mars 2009

Réflexions de Tomislav Sunic sur l'effondrement du bloc soviétique

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995

 

Réflexions de Tomislav Sunic sur l'effondrement du bloc soviétique

L'effondrement du bloc soviétique a bouleversé les habitudes. l'Europe occidentale est désormais con­frontée à des concepts qu'elle avait prudemment refoulés pendant les quarante ans de guerre froide. Dans un ouvrage collectif récemment paru en A, 14 intellectuels de huit pays dialoguent et exposent ces fondements et ces nouveautés qui s'agencent, s'entremêlent, s'entrecroisent dans une quantité de syn­thèses nouvelles, déjà à l'œuvre ou encore en jachère. Dans cet ouvrage, nous avons remarqué les ré­ponses du politologue croate Tomislav Sunic, marquées de scepticisme et de déception, non pas par nos­talgie du monde communiste, mais par le fait qu'aucune innovation pertinente ne s'installe impérialement sur les débris du rêve marxiste (source: Gyula KURUCZ, Hrsg., Nationalismus - Identität - Europäertum, edition q, Berlin, 223 S., 1994, ISBN 3-86124-207-9). L'ouvrage se compose de sept textes de base: Tomislav SUNIC («Verfall und Glanz des Nationalismus»), Csaba G. KISS («Nationalismus und Kommunismus in Mitteleuropa»), Gyula KURUCZ («Ertragen oder mitragen? Die Chancen der ost-mitteleuropäischen Intellektuelle»), Sona SOMOLANYI («Nationale Eigenstaatlichkeit — eine historische Notwendigkeit? Der Fall Slowakei»), Rolf SCHNEIDER («Zur Lage der Ostdeutschen»), Richard WAGNER («Rumänische Geschichte») & Dimiter PAUNOW («Zünden wir eine Kerze an»). A la suite de chacun de ces exposés, cinq débats animés et courtois ont opposé les participants (1. Sur le nationalisme et la vision de l'histoire; 2. Sur le nationalisme et le post-communisme comme facteurs de déstabilisation; 3. Nationalisme d'en haut ou nationalisme d'en bas?; 4. Sur la distinction nationa­lisme/patriotisme; 5. Sur l'identité nationale, les troubles qui affectent les identités et l'Européité). C'est dans ses interventions au cours de ces débats que Sunic a été particulièrement succinct et pertinent. Ainsi:

 

p. 117: «Dans une perspective croate, le grand danger réside dans la paralysie de la communauté inter­nationale face à la guerre dans les Balkans. La Communauté Européenne, l'ONU, etc. sont sans doute de bons modèles  —je dis cela sur le ton de l'ironie—  de bons paradigmes pour mes étudiants. mais à quoi servent-ils ces modèles, ces paradigmes? Pendant trois ans, ces modèles n'ont eu aucun effet, c'est là une vérité officielle. Mais au-delà de cette vérité officielle, sur base de ma propre expérience personnelle, je crois que le danger ne réside pas dans le nationalisme ou dans une éventuelle balkanisation de l'Europe. Je crois que le plus grand danger réside  —comment pourrais-je m'exprimer clairement?—  dans le mimétisme qui affecte l'Europe de l'Est, c'est-à-dire dans une imitation servile de la démocratie occi­dentale. Et à cette imitation servile, s'ajoutent l'hédonisme, le matérialisme et le consumérisme. Personnellement, je trouve que l'oubli de l'histoire chez les Européens du Centre et de l'Est est très dan­gereux. Cet oubli de l'histoire va de paire avec l'américanisation, du moins métaphoriquement. Peut-être, paradoxalement, le communisme avait-il un avantage. Nous pouvions, quand j'étais jeune, véritablement déchiffrer les communistes, nous pouvions déchiffrer les bonzes, les cas pathologiques du communisme, morphologiquement, quasi anthropologiquement. Mais comment déchiffre-t-on aujourd'hui l'ennemi, l'hédonisme et le consumérisme? Pour moi, c'est vraiment très, très difficile. En France, on parle beau­coup d'hyperréalisme et il y a là-bas quelques sociologues et historiens qui nous parlent du syndrome “Alice au Pays des Merveilles” en Europe de l'Est, du “totalitarisme Mickey-Mouse”, etc. Je crois qu'il faut s'attaquer aussi à ce totalitarisme doux, à ce totalitarisme doux et métapolitique, qui est très vivace en Europe orientale aujourd'hui. Presque tous les Européens, de manière grotesque, disent: “Nous sommes des démocrates, nous sommes des pluralistes”. Mais la façon de le dire, le style de cette rhétorique est finalement grotesque. Je crois que nous devrions aussi abattre et briser ces mythologies modernes, et non pas seulement le communisme ou le fascisme. Nous devrions en un certain sens briser et fracasser les mythologies de la modernisation. Du moins, devrions-nous essayer. Je crois qu'elles nous apportent encore davantage de malheurs que le totalitarisme brutal et frontal, que nous avons tous vécu en Europe communiste. Le nouveau totalitarisme doux imite les démocraties de l'Ouest. Il sonne un peu faux, il est un peu grotesque, de qualité inférieure. Mais tous, en Europe de l'Est, du moins en Croatie, croient: “Oh, quel bonheur, je peux maintenant émigrer à Santa Barbara en Californie!”. Tous veulent l'Amérique, ce que je trouve pire que le communisme, dans une certaine mesure, parce que cette volonté indique un manque de véritable identité. Imiter purement et simplement, je le répète, peut avoir des conséquences terribles pour les Européens du centre et de l'est du continent».

 

p. 146: «Le terme “nationalisme” a encore beoins de recevoir une bonne définition. Il a de toutes autres connotations en Allemagne, en France, etc. Le nationalisme des “grands peuples” recèle toujours quelque danger. Le nationalisme des “petits peuples”, comme celui des Palestiniens, des Croates, des Slovaques ou des Catalans, n'apporte aucun danger dans une constellation de type libéral. Nous devrions aussi opé­rer une distinction entre le nationalisme lié à une structure étatiqueet le nationalisme lié à une donnée ob­jective telle que le peuple. Les Allemands, les Polonais, les Croates sont plus ou moins des “nouveaux venus”. Leurs Etats ont tout au plus entre 100 et 200 ans. Chez les Français et les Anglais, les choses sont fort différentes. C'est d'abord l'Etat qui est né, ensuite l'identité nationale s'est forgée petit à petit. En Allemagne, par exemple, en Croatie ou en Pologne, les choses se sont passées en ordre inversé. Il y avait une forte conscience historique, une “populité” puissante, mais, pendant longtemps, il n'y a pas eu d'Etat».

 

p. 156: «A mon avis, la conscience historique est le meilleur rempart contre le nationalisme radical. La conscience historique a été complètement détruite par le communisme. Et aujourd'hui, tous les Européens de l'Est se cherchent une toute nouvelle identité. Malheureusement, il s'agit d'une identité consumériste, ce qui n'est pas bon. Ce dont les populations, les peuples, d'Europe centrale et orientale ont besoin, c'est d'identité historique. Deuxième point, que j'aimerais soulevé, c'est celui de l'identité arti­ficielle qui repose sur l'Etat. La Yougoslavie et l'Union Soviétique était des Etats artificiels et coercitifs: pour nous, il est important désormais de nous défendre contre ces structures étatiques artificielles, que nous les combattions».

 

p. 178: «La culture de masse, je la trouve bien pire que le nationalisme et le régionalisme. Un peuple sans histoire, sans identité, n'est plus un peuple. Je crois, sur le plan métaphorique, que l'américanisation de la vie est bien pire que le nationalisme classique. En Europe orientale, aujourd'hui, on imite l'américanité, même chez ceux qui ne parlent pas un seul mot d'américain. C'est là un syndrome d'unidimensionalité, le syndrome du show de Santa-Barbara. C'est le danger que je redoute le plus pour l'avenir».

 

p. 190: «Par identité, j'entends tout d'abord mon histoire nationale. Elle est presque comme une carte d'identité métaphorique. Sans ce document, on cherche des produits de remplacement faux, comme par exemple la dictature de la “belle vie”, l'hédonisme, etc. Je me définis toujours, et je définis donc mon iden­tité, comme étant celle d'un homme concret et non pas d'un homme abstrait. Moi aussi, j'ai mon héritage. Et je dois le respecter. Et en même temps je suis un cosmopolite et j'essaie d'apprendre et de connaître d'autres mythes et d'autres langages. Nous sommes donc en présence de problèmes fort complexes».

 

p. 200: «A notre époque d'atomisation, le terme “identité” signifie tout et rien. Aux Etats-Unis et aussi en Europe occidentale, nous observons aujourd'hui l'émergence d'un nouveau type d'identité, par exemple, au sein des “nouvelles tribus”, chez les “chaotiques”. En Amérique, par exemple, il y a aujourd'hui des “pédérastes conservateurs” et des “pédérastes de gauche”. Ces deux groupes possèdent leur identité propre. Mais il s'agit d'une identité fonctionnelle et non pas d'une identité organique: raison pour laquelle nous devons toujours préciser, bien signifier de quoi nous voulons parler. Que signifie l'identité en France aujourd'hui, et que signifie-t-elle dans un pays encore plus ou moins traditionnel comme la Croatie, où on s'identifie encore à une identité populaire?».

 

p. 203: «Notre identité positive, je la comprend en premier lieu comme un retour à nos racines historiques. Pendant longtemps, j'ai dû m'identifier comme “yougoslave”, ce qui était dépourvu totalement de sens. Aujourd'hui, je peux enfin m'identifier comme Croate. Mais je dois d'abord m'identifier comme Européen. Car l'Europe est toujours un continent fait de pluralité, de différences. En comparaison avec l'unification mortelle de la vie que l'on observe aux Etats-Unis, l'Europe, la “Nation Europe” possède encore ce foison­nement de différences. Et ces différences entre les peuples et les régions signifie énergie, permet con­versations et communications».