lundi, 17 avril 2023
Des Valkyries dans l'espace: notre Saint-Empire dans les étoiles
Des Valkyries dans l'espace: notre Saint-Empire dans les étoiles
Par Michael Kumpmann
Source: https://www.compact-online.de/walkueren-im-weltall-unser-reich-in-den-sternen/?fbclid=IwAR2fAu0j-iOyKSRMzvHxd6qAZ4e8GOLM3Nc96__96oC-D7Vq-Stf7arYPYs
Image - Majestueux : l'empereur Reinhard von Lohengramm mène les troupes de l'Empire dans les batailles stellaires. Photo : Capture d'écran
L'Empire allemand survit - dans l'immensité de l'univers. Un auteur de science-fiction japonais a ressuscité l'empereur sur une planète lointaine.
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C'est un grand jour pour l'Empire : des dignitaires de toute la galaxie se sont réunis au château de Neu Sanssouci sur la planète Odin dans le système stellaire Valhalla. Un nouvel empereur monte sur le trône: Reinhard von Lohengramm. Ce noble à la crinière blonde et aux yeux d'un bleu éclatant s'était auparavant distingué en tant que commandant des vaisseaux Brunhilde et Tannhäuser. Son génie militaire s'est notamment illustré lors des batailles pour la planète Iserlohn. Le héros de guerre porte désormais la couronne. Son épouse Hildegard est à ses côtés - et Siegfried, son second, qui a fait ses preuves au combat, jure une fidélité éternelle au nouvel empereur.
L'Empire contre-attaque : l'attaque des héros teutoniques sur la couverture d'un manga japonais. Photo : Capture d'écran
Cette scène est tirée de la série de livres Legend of the Galactic Heroes (en version originale: Ginga Eiyu Densetsu) de l'auteur japonais de fantastique et de science-fiction Yoshiki Tanaka. Les dix romans (1982-1987) de cet écrivain, docteur en littérature et historien amateur, né à Hondo en 1952, ont servi de modèle à de nombreux mangas, films d'animation, jeux informatiques et même à une comédie musicale.
Sa saga de héros galactiques est indéniablement inspirée des mythes germaniques et du wilhelminisme. De nombreux noms de personnes, de lieux et de vaisseaux spatiaux y font référence - les opéras de Richard Wagner semblent notamment avoir séduit le Japonais. Tanaka ne laisse planer aucun doute sur le fait que son empire fictif est une projection future de l'Empire allemand - mais à une échelle galactique.
La planète désertique d'Allah
L'histoire rappelle fortement le cycle de science-fiction de Frank Herbert, Dune (1965-1985), qui a fait date. Ce dernier est surtout connu pour l'adaptation par David Lynch du premier roman de la série en six parties, La planète du désert, en 1984, et une nouvelle adaptation cinématographique par le réalisateur canadien Denis Villeneuve est sortie sur les écrans fin 2021. La série Dune décrit une époque où l'humanité fait de grands progrès technologiques, mais où elle se corrompt psychologiquement. En fin de compte, la population ne dégénère pas seulement moralement, mais perd également son humanité - elle s'adapte aux machines dans sa façon de penser.
Une rébellion éclate contre cet état de fait et l'établissement d'une monarchie galactique marque la fin de l'ère de la croyance en la science pure. Le nouveau régime assure son pouvoir par des guerres, mais à l'intérieur, un déclin intellectuel et moral s'installe à nouveau, encouragé par les intrigues de la noblesse.
Tous ces motifs sont similaires à ceux de Dune de Herbert et de la Légende des héros galactiques de Tanaka. Les deux histoires sont également centrées sur un héros qui se fait d'abord connaître comme chef militaire avant de prendre le pouvoir. Il y a cependant une différence majeure : alors que Legend of the Galactic Heroes fait référence à la culture allemande, Dune s'inspire des cultures arabe et islamique.
La religion fictionnelle Zensunni présente des similitudes avec la foi mahométane, mais mélangée à des éléments bouddhistes et taoïstes. Le personnage principal, Paul Atréides, est inspiré de l'historique Lawrence d'Arabie, il y a un padischah (grand roi en persan), la symbolique des couleurs, les rites et les coutumes rappellent l'Orient, il y a des allusions à la philosophie guerrière islamique ou aux légendes chiites comme celle de l'imam al-Mahdi (sauveur) ou de l'alam al-Mithal, qui correspond dans le mysticisme soufi au niveau du chaos dans la kabbale juive.
Alors que Tanaka ne traite que de thèmes laïques, Dune doit également être considéré comme une histoire religieuse et spirituelle. Non seulement l'empire galactique est une sorte d'état divin islamique, mais la religion est également le motif central de l'action de chaque personnage et le véritable créateur de l'histoire mondiale. Le grand exploit de Paul Atréides n'est pas de mener une guerre dans le désert pour obtenir du carburant pour les vaisseaux spatiaux, mais d'aider l'humanité à se renouveler car il est Mahdi.
Des Césars cosmiques
Dans Legend of the Galactic Heroes, une république démocratique de type occidental existe avant l'établissement de l'empire. Celle-ci tombe dans un état de désolation à cause du matérialisme et de la corruption. Les perversions sexuelles ne sont pas seulement répandues, elles sont aussi officiellement encouragées par l'élite au pouvoir. L'État se transforme de plus en plus en un État défaillant, où même les crimes tels que la piraterie et le terrorisme sont tolérés au lieu d'être combattus.
L'empereur (à droite) et son fidèle Siegfried. Unis par la camaraderie, et pas seulement au combat. Photo : capture d'écran
Le général Rudolf von Goldenbaum ne veut plus accepter cela et organise, avec l'aide de l'armée et d'entrepreneurs influents, un coup d'État contre l'équipe dirigeante dépravée. La République est renversée et les nouveaux dirigeants s'attaquent à la corruption et au déclin social et culturel. Pour sauver la civilisation, von Goldenbaum établit un empire galactique sous sa direction. Cela s'inscrit explicitement dans la tradition de l'Empire allemand.
Près de 500 ans plus tard, Arle Heinessen organise une rébellion qui aboutit à la création de l'Alliance des planètes libres, d'inspiration américaine et gouvernée démocratiquement. L'Alliance est en guerre contre l'Empire pendant des siècles. Ce dernier finit par l'emporter. Le génie tactique du général Reinhard von Lohengramm, qui deviendra plus tard le souverain, mène l'armée impériale à la victoire.
A première vue, cela semble être une solution simple: adieu le marxisme culturel et le parlementarisme - place à la monarchie, et tout ira bien. Mais l'histoire de Tanaka n'est pas aussi simple. S'il est vrai qu'il éprouve une certaine admiration pour le règne impérial, ce qui l'intéresse fondamentalement, c'est que ce sont toujours des Césars éminents qui veulent faire tourner la roue de l'histoire, surmonter la décadence et conduire l'humanité vers l'âge d'or.
Mais ils ne peuvent pas non plus arrêter le cours des choses. L'inspiration de l'auteur par Oswald Spengler et son Déclin de l'Occident transparaît ici, tout comme la théorie des grands hommes, telle qu'elle a été défendue par Hegel et Nietzsche. Selon cette théorie, l'histoire est moins déterminée par des masses ou des phénomènes sociaux que par des individus qui parviennent à marquer le monde de leur empreinte par des idées ou des actes. Une grande partie de l'humanité ne serait composée que de suiveurs, incapables de prendre des initiatives. Cela est réservé à des "surhommes" (Nietzsche), que la masse suit ensuite. De ce point de vue, la démocratie ne peut être comprise que comme la domination des médiocres sur les éminents.
Pas à Versailles, mais dans l'espace : le couronnement du nouveau régent. Photo : capture d'écran
Les critiques libéraux de gauche ont reproché à Tanaka de mettre l'accent sur les leaders héroïques et sur l'armée dans Legend of the Galactic Heroes. D'un point de vue conservateur, il n'y a rien à redire. Une armée forte et fidèle à ses principes est un pilier important de la société. Ce qui est critiquable, c'est que l'histoire présente la politique de pouvoir aristocratique comme le pilier de l'ordre politique et que la religion, qui est en fait un élément constitutif, passe complètement à l'arrière-plan. D'un point de vue traditionaliste, l'idée du sacré est le fondement sur lequel tout le reste est construit.
Jusqu'à présent, la saga de Tanaka n'a été traduite qu'en anglais. De même, la première adaptation en dessin animé, une série de 110 épisodes en quatre saisons publiée au Japon de 1988 à 1997, n'a reçu de licence que pour le marché américain. Les scènes de bataille sont accompagnées de musiques de Beethoven, Wagner et d'autres compositeurs allemands. En outre, il existe plusieurs séries avec des intrigues secondaires, appelées gaiden.
Le remake de Legend of the Galactic Heroes : The New Thesis (La légende des héros galactiques : la nouvelle thèse) est apparu en 2020 en version doublée allemande. La première saison de douze épisodes a été diffusée à la télévision japonaise en 2018. Une deuxième saison a été publiée entre septembre et novembre 2019 sous la forme de trois films cinématographiques comprenant chacun quatre épisodes. Une troisième saison, composée de 24 épisodes au total, est actuellement en cours de préparation. La date de lancement n'est pas encore connue.
L'empire galactique de Tanaka a également fait son entrée dans la culture Internet. Sur des sites tels que 4chan ou 8kun, des mêmes représentant des personnages d'épisodes du dessin animé circulent en masse, la plupart du temps dans un contexte de droite. Les images montrant Donald Trump en empereur de Lohengramm sont particulièrement populaires en ce moment. Le symbolisme ne pourrait pas être mieux choisi : lui aussi, après tout, se trouve actuellement à New York à la veille d'une bataille décisive.
19:09 Publié dans Bandes dessinées | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bandes dessinées, mangas, yoshiki tanaka | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 04 mars 2019
H. P. Lovecraft à la lumière du Soleil Levant
H. P. Lovecraft à la lumière du Soleil Levant
par Thierry Durolle
Nul n’est prophète en son pays… et en son temps ! Ce fut le cas du plus célèbre des écrivains fantastiques que le monde des hommes ait connu: Howard Phillips Lovecraft. Né en 1890 à Providence dans le Rhode Island et mort en 1937 dans la même ville, Lovecraft n’était pas un auteur populaire à son époque. Entre temps, son univers si particulier fut redécouvert mais surtout apprécié à sa juste valeur. Le « mythe de Lovecraft », pour reprendre l’expression de son biographe S.T. Joshi, a imprégné moult aspects et domaines de la culture populaire, du cinéma à la musique, en passant par l’art graphique, sur lequel nous allons nous pencher.
Mais avant cela, il faut tout d’abord revenir sur quelques caractéristiques majeurs, ainsi que quelques grands thèmes présents,pour ne pas dire constitutifs, de l’œuvre de Lovecraft. Évidemment il y a tout d’abord ces entités primordiales monstrueuses, ces abominations répondant aux noms de Yog-Sothoth, Nyarlathotep ou bien encore Cthulhu. A l’instar de nombreux éléments qui façonnent l’univers de l’auteur, son panthéon noir est sujet à l’intertextualité : le lecteur retrouvera ces monstruosités dans divers nouvelles indépendantes des unes des autres. Ces horreurs sont également citées dans des livres, le plus souvent des vieux grimoires comme le Necronomicon, les Manuscrits Pnakotiques, l’Unaussprechlichen Kulten,etc, eux-aussi présents dans la plupart des écrits de Lovecraft (et il en est de même pour certains lieux, bien réels ou imaginaires). L’intertextualité constitue une véritable toile de fond qui contribue à la création de l’univers « lovecraftien ».
Un autre aspect de l’œuvre de H.P.Lovecraft est la dialectique Progrès/Conservatisme-rejet de la modernité. Nous savons que le « père » de Cthulhu s’était intéressé à l’astronomie et aux progrès scientifiques. Cela ne l’empêchait pourtant pas de ressentir une méfiance certaine envers les nouvelles découvertes, animé sans doute de cette peur de l’inconnu tellement humaine : il suffit de relire les nouvelles Herbert West, réanimateur et Les montagnes hallucinées pour s’en convaincre. H.P.Lovecraft aurait-il été un défenseur du concept de limite ? Il n’y a là qu’un pas que nous nous abstenons de faire, mais il nous semble plus mesuré de voir en lui une sorte de donneur d’alerte : les forces élémentaires, titaniques, risquent une nouvelle fois de faire irruption dans notre monde.
Cette dialectique s’accompagne ainsi d’une atmosphère anti-moderne palpable, voir d’un véritable retour à l’archaïque (type de sculptures, d’architectures, de sociétés humaines, etc). Mais, encore une fois, H.P.Lovecraft pouvait également s’intéresser à des « tendances » de son époque, comme l’eugénisme. Certes Lovecraft était raciste et antisémite – les pseudo-journalistes et autres écrivaillons n’oublient jamais de gloser là-dessus bien évidemment – mais c’est surtout la dégénérescence atavique qui est intéressant chez lui. Les nouvelles La peur qui rode et surtout Le cauchemar d’Innsmouth mettent horriblement en avant ces thèmes, voir aussi celui du Destin.
Les montagnes hallucinées, à notre avis l’une des meilleures nouvelles de l’écrivain, emploie à merveille la dialectique mentionnée plus haut. L’ambiance y est glaciale, anxiogène mais parfois onirique, avec forcément une dose d’horreur sans quoi Lovecraft ne serait pas Lovecraft. Nous fûmes surpris d’apprendre la parution en français d’une adaptation de ce formidable récit en manga. C’est donc en néophyte curieux que nous nous sommes plongé dans le travail de Gou Tanabe.
Peu d’informations sur ce mangaka nous sont parvenues dans l’Hexagone. Né en 1975, Gou Tanabe s’est visiblement spécialisé dans l’adaptation de romans ou de nouvelles horrifiques japonaises, russes et américaines. The Hound (Le molosse) fut sa première adaptation d’une nouvelle de Lovecraft. Il s’attaque donc maintenant aux terribles montagnes de l’Antarctique.
En 1930, une expédition en Antarctique est organisée par l’Université Miskatonic. Celle-ci est composée de nombreux scientifiques et d’étudiants : biologistes, géologues, et physiciens. Ayant établi leur QG sur le mont Erebus, les premières découvertes ne tardent pas à voir le jour. Enthousiasmé, le Professeur Lake décide de poursuivre les recherches au nord-ouest. C’est en arrivant sur place qu’ils vont découvrir une chaîne de montagnes plus haute encore que l’Himalaya. Une fois leur camp installé, l’équipe met à jour une grotte abritant des restes de créatures inconnues, mi-animales, mi-végétales, que le Pr. Lake baptisera « les Anciens », en référence à la description de créatures semblables dans le Necronomicon. Une violente tempête s’abat sur la région et le contact entre les deux équipes est coupée. Le Professeur Dyer décide d’aller aider ses confrères partis au nord-ouest. Sur place, ils ne trouveront que les cadavres horriblement mutilés de l’équipe et des chiens de traîneau. Seul manque à l’appel Gedney, l’assistant de Lake, et un chien…
Cette adaptation est l’occasion d’étoffer une nouvelle au style narratif à la première personne qui ne s’embarrassait pas de dialogues (hormis entre Dyer et Danforth). C’est donc un développement qui devrait plaire aux inconditionnels de ce récit. Le dessin quant à lui est excellent. A l’évidence Gou Tanabe maîtrise son art et surtout son sujet. Il n’a pas son pareil pour dessiner des paysages lugubres. Sous sa plume, l’horrible plateau de Leng devient réalité. Cette adaptation des Montagnes hallucinées est une réussite. Il faut espérer que le mangaka ne s’arrêtera pas en si bon chemin.
09:25 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lovecraft, lettres, lettres américaines, littérature, littérature américaine, mangas, japon | | del.icio.us | | Digg | Facebook